**** *creator_fenelon *book_fenelon_explicationsaints *style_prose Avertissement J'ai toujours crû qu'il fallait parler et écrire le plus sobrement qu'on pourrait sur les voies intérieures. Quoiqu'elles ne renferment rien qui ne soit manifestement conforme à la règle immuable de la foi et des mœurs évangéliques, il me parait néanmoins que cette matière demande une espèce de secret. Le commun des lecteurs n'est point préparé pour faire avec fruit de si fortes lectures. C'est exposer ce qu'il y a de plus pur et de plus sublime dans la Religion à la dérision des esprits profanes, aux yeux desquels le mystère de J.-C. crucifié est déjà un scandale et une folie. C'est mettre entre les mains des hommes les moins recueillis et les moins expérimentés le secret ineffable de Dieudans les cœurs, et ces hommes ne sont capables ni de s'en instruire, ni de s'en édifier. D'un autre côté c'est tendre à toutes les Âmes crédules et indiscrètes un piège pour les faire tomber dans l'illusion ; car elles s'imaginent bien tôt être dans tous les états qui sont représentés dans les livres : par là elles deviennent visionnaires et indociles ; au lieu que si on les tenait dans l'ignorance de tous les états qui sont au-dessus du leur, elles ne penseraient à entrer dans les voies d'amour désintéressé et de contemplation qu'autant qu'elles y seraient portées par le seul attrait de la grâce, sans que leur imagination échauffée par des lectures y eût aucune part. Voilà ce qui m'a persuadé qu'il fallait garder autant qu'on le pourrait le silence sur cette matière, de peur d'exciter trop la curiosité du public, qui n'a ni l'expérience ni la lumière de grâce nécessaire pour examiner les ouvrages des Saints. Car l'homme animal ne peut ni discerner ni goûter les choses de Dieu telles que sont les voies intérieures. Mais puisque cette curiosité est devenue universelle depuis quelque temps, je crois qu'il est important d'écrire pour empêcher qu'elle n'aille jusqu'à des excès dangereux, et qu'il est aussi nécessaire de parler contre l'illusion, qu'il eût été à souhaiter de se taire sur les expériences mêmes les plus véritables. Je me propose dans cet Ouvrage d'expliquer les expériences et les expressions des Saints, pour empêcher qu'ils ne soient exposés à la dérision des impies. En même temps je veux éclaircir aux Mystiques le véritable sens de ces saints Auteurs, afin qu'ils connaissent la juste valeur de leurs expressions. Quand je parle des saints Auteurs, je me borne à ceux qui sont canonisez, ou dont la mémoire est en bonne odeur dans toute l'Église, et dont les écrits ont été solennellement approuvez après beaucoup de contradictions. Je ne parle que des Saints qui ont été canonisez ou admirez de toute l'Église, pour avoir pratiqué et fait pratiquer au prochain le genre de spiritualité qui est répandue dans tous leurs écrits. Sans doute il n'est pas permis de rejeter de tels Auteurs, ni de les accuser d'avoir innové contre la tradition. Je veux montrer combien ces saints Auteurs sont éloignez de blesser le dogme de la loi et de favoriser l'illusion. Je veux montrer aux Mystiques que je n'affaiblis rien de tout ce qui est autorisé par les expériences et par les maximes de ces Auteurs qui sont nos modèles. Je veux les engager par là à me croire quand je leur ferai voir les bornes précises que ces mêmes Saints nous ont marqués, et au-delà desquelles il n'est jamais permis d'aller. Les Mystiques à qui je parle ne sont ni des fanatiques, ni des hypocrites qui cachent sous des termes de perfection le mystère d'iniquité. À Dieu ne plaise que j'adresse la parole de vérité à ces hommes qui ne portent point le mystère de la Foi dans une conscience pure : ils ne méritent qu'indignation et horreur. Je parle aux Mystiques simples, ingénus et dociles. Ils doivent savoir que l'illusion a toujours suivi de prés les voies les plus parfaites. Dès l'origine du Christianisme les faux Gnostiques hommes exécrables voulurent se confondre avec les vrais gnostiques qui étaient les Contemplatifs et les plus parfaits d'entre les Chrétiens. Les Beguards ont imité faussement les Contemplatifs de ces derniers siècles, tels que saint Bernard, Richard et Hugues de saint Victor. Gerson ne doit pas être suspect aux mystiques. Bellarmin en parlant de Rusbroc que Gerson avait critiqué remarque que les expressions des Auteurs Mystiques ont été souvent blâmées sur des équivoques. Il arrive d'ordinaire, dit-il, à ceuxqui écrivent de la Théologie mystique, que leurs expressions sont blâmées par les uns et louées par les autres, parce qu'elles ne sont pas prises par tout le monde dans le même sens. Le Cardinal Bona dit aussi, que ceux qui sont dans la Contemplation passive sont les moins habiles pour s'exprimer, mais les plus excellents dans la pratique et dans l'expérience. En effet rien n'est si difficile que de faire bien entendre des états qui consistent en des opérations si simples, si délicates, si abstraites des sens, et de mettre toujours en chaque endroit tous les correctifs nécessaires pour prévenir l'illusion, et pour expliquer en rigueur le dogme théologique. Voilà ce qui a scandalisé une partie des Lecteurs qui ont lu les Livres des Mystiques, et qui a exposé à l'illusion plusieurs autres de ces Lecteurs. Pendant que l'Espagne était remplie dans le siècle passé de tant de Saints d'une grâce merveilleuse, les illuminez furent découverts dans l'Andalousie, et rendirent suspects les plus grands Saints. Alors sainte Thérèse, Balthazar Alvarez et le Bienheureux Jean de la Croix eurent besoin de se justifier. Saint François de Sales n'a pas été exempt de contradiction ; et les Critiques n'ont point su connaître combien il joint une Théologie exacte et précise avec une lumière de grâce qui est très éminente. Il a fallu une apologie au saint Cardinal de Berulle. Ainsi la paille a souvent couvert le bon grain, et les plus purs Auteurs de la Vie intérieure ont eu besoin d'explication, de crainte que des expressions prises dans un mauvais sens n'altérassent la pure doctrine. Ces exemples doivent rendre les Mystiques sobres et retenus surtout dans un temps ou il est certain que les Quietistes ont abusé de diverses expressions des saints pour établir des maximes très pernicieuses. Si les mystiques sont humbles et dociles, ils doivent laisser aux Pasteurs de l'Église non seulement la décision absolue sur la Doctrine, mais encore le choix de tous les termes dont il est à propos de se servir. Saint Paul veut ne manger jamais de viande plutôt que de scandaliser le moindre de ses frères pour qui Jesus-Christ est mort. Gomment pourrions-nous donc être attachez à quelque expression dés qu'elle scandalise quelque aine infirme ? Que les mystiques lèvent donc toute équivoque, puisqu'ils apprennent qu'on a abusé de leurs termes pour corrompre ce qu'il y a de plus saint : que ceux qui ont parlé sans précaution d'une maniéré impropre et pour exagérée s'expliquent et ne laissent rien à désirer l'édification de l'Église : que ceux qui se sont trompez pour le fonds de la doctrine ne se contentent pas de condamner l'erreur, mais qu'ils avouent de l'avoir crue ; qu'ils rendent gloire à Dieu ; qu'ils n'aient aucune honte d'avoir erré ce qui est le partage naturel de l'homme ; et qu'ils confessent humblement leurs erreurs, puisqu'elles ne seront plus leurs erreurs dès qu'elles seront humblement confessées. C'est pour déméler le vrai d'avec le faux dans une matière si délicate et si importante que deux grands Prélats ont donné au public trente-quatre propositions qui contiennent en substance toute la Doctrine des voies intérieures. Je les ai arrêtées autrefois avec eux et avec M. l'abbé Tronson avant que je fusse dans l'épiscopat. Et je ne prétends dans cet ouvrage qu'en expliquer les principes avec plus d'étendue. On les trouvera à la fin de cet avertissement. Toutes les voies intérieures tendent à l'amour pur ou désintéressé ; parce qu'elles doivent toujours tendre vers la plus liante perfection et que cet amour pur est le plus liant degré de la perfection chrétienne. Il est le terme de toutes les voies que les Saints ont connu. Quiconque n'admet rien au-delà est dans les bornes de la tradition. Quiconque passe cette borne est déjà égaré. Si quelqu'un doute de la vérité et de la perfection de cet amour, j'offre de lui en montrer une tradition si claire et si constante depuis les Apôtres jusqu'à saint François de Sales qu'aucun théologien persuadé du sentiment contraire ne pourra traiter cette doctrine de nouveauté, et je donnerai là-dessus au public quand on le désirera un recueil de tous les passages des Peres, des Docteurs de l'École, et des saints Mystiques qui parlent unanimement. On verra dans ce recueil que les anciens Peres ont parlé aussi fortement que saint François de Sales, et qu'ils ont fait pour le désintéressement de l'amour les mêmes suppositions sur le salut, dont les critiques dédaigneux se moquent tant quand ils les trouvent dans les Saints des derniers siècles. Saint Augustin même que quelques personnes ont crû opposé à cette doctrine ne l'enseigne pas moins que les autres. Il est vrai qu'il est capital de bien expliquer ce pur amour, et de marquer précisément les bornes au-delà desquelles son désintéressement ne peut jamais aller. Son désintéressement ne peut jamais exclure la volonté d'aimer Dieu sans bornes ni pour le degré, ni pour la durée de l'amour ; il ne peut jamais exclure la conformité au bon plaisir de Dieu qui veut notre salut, et qui veut que nous le voulions avec lui pour sa gloire. Cet amour désintéressé toujours inviolablement attaché a toutes les volontés de Dieu, et particulièrement a sa volonté écrite fait tous les mêmes actes et exerce toutes les mêmes vertus distinctes que l'amour intéressé, avec cette unique différence qu'il les exerce d'ordinaire d'une manière simple, paisible, et dégagée de tout motif de propre intérêt. La sainte Indifférence si louée par saint François de Sales n'est que le désintéressement de cet amour qui est toujours indiffèrent et sans volonté mercenaire intéressée pour soi-même, mais toujours déterminé et voulant positivement tout ce que Dieu nous fait vouloir par sa volonté écrite et par l'attrait de sa grâce non seulement pour sa gloire mais encore pour nôtre béatitude rapportée à sa gloire. Pour parvenir à cet état il faut purifier l'amour, et toutes les épreuves intérieures ne sont que sa purification. La Contemplation même la plus passive n'est que l'exercice paisible et uniforme de ce pur amour. On ne passe insensiblement de la méditation où l'on fait des actes méthodiques et discursifs, à la Contemplation dont les actes sont simples et directs, qu'à mesure qu'on passe de l'amour intéressé au désintéressé. L'état passif et la transformation avec les noces spirituelles et l'union essentielle ou immédiate ne sont que l'entière pureté de cet amour, dont l'état est habituel en un très petit nombre d'aines, sans être jamais ni invariable, ni exempt de fautes vénielles. Quand je parle de tous ces différents degrés dont les noms sont si peu connus du commun des Fidelles, je ne le fais qu'à cause qu'ils sont consacrés par l'usage d'un grand nombre de Saints approuvez par l'Église et qui ont expliqué par ces termes leurs expériences. De plus je ne les rapporte que pour les expliquer avec la plus rigoureuse précaution. Enfin toutes les voies intérieures aboutissent au pur amour comme à leur terme, et le plus haut de tous les degrés dans le pèlerinage de cette vie est l'état habituel de cet amour. Il est le fondement et le comble de tout l'édifice. Rien ne serait plus téméraire que de combattre la pureté de cet amour si digne de là perfection de nôtre Dieu à qui tout est du, et de sa jalousie qui est un feu consumant. Mais aussi rien ne serait plus téméraire que de vouloir par un raffinement chimérique ôter à cet amour la réalité de ses actes dans la pratique des vertus distinctes. Enfin il ne serait ni moins téméraire ni moins dangereux de mettre la perfection des voies intérieures dans quelque état mystérieux au-delà de ce terme fixe d'un état habituel de pur amour. C'est pour prévenir tous ces inconvénients que je me propose de traiter dans cet ouvrage toute la matière par articles rangez suivant les divers degrés que les mystiques nous ont marqué dans la vie spirituelle. Chaque article aura deux parties. La première sera la vraie que j'approuverai, et qui renfermera tout ce qui est autorisé par l' expérience des Saints, et réduit à la doctrine saine du pur Amour. La seconde partie sera la fausse, on j'expliquerai l'endroit précis dans lequel le danger de l'illusion commence. En rapportant ainsi dans chaque article ce qui est excessif, je le qualifierai et je le condamnerai dans toute la rigueur théologique. Ainsi mes articles seront dans leur première partie un recueil de définitions maisonnées aussi exactes qu'il me sera possible sur les expressions des Saints pour les réduire toutes à un sens incontestable qui ne puisse plus faire aucune équivoque, ni alarmer les âmes les plus timorées. Ce sera une espèce de dictionnaire par définition pour savoir la valeur précise de chaque terme. Ces définitions rassemblées formeront un système simple et le plus complet que je pourrai de toutes les voies intérieures pour lui donner une parfaite unité, puis que tout s'y réduira clairement à l'exercice du pur amour aussi fortement enseigné par tous les anciens Peres, que par les Saints les plus récents. D'un autre côté la seconde partie de mes articles montrera toute la suite des faux principes qui peuvent former l'illusion la plus dangereuse contre la Foi et contre les moeurs sous une apparence de perfection. En chaque article je tâcherai de marquer où commence l'équivoque, et de censurer tout ce qui est mauvais, sans affaiblir jamais en rien tout ce que l'expérience des Saints autorise. Les bons Mystiques s'ils veulent m'écouter sans prévention verront bien que je tâche de les entendre, et de prendre leurs expressions dans la juste étendue de leur sens véritable. Je leur laisse même à juger si je n'explique pas leurs maximes avec plus d'exactitude que la plupart d'entre eux n'ont pu jusqu'ici les expliquer, parce que je me suis principalement appliqué à réduire leurs expressions à des idées claires, précises, et autorisées par la Tradition, sans affaiblir le fonds des choses au lieu que quelques mystiques faute d'être exactement instruits des dogmes théologiques se servent d'expressions impropres et exagérées qui exposent a l'illusion. Tous les Mystiques qui n'aiment que la vérité et l'édification de l'Église doivent ce me semble être satisfaits de mon plan. J'aurais pu y joindre un grand nombre de Passages formels des plus anciens Peres aussi bien que des Docteurs de l'École et des Saints Mystiques ; mais cette entreprise rejetait dans une longueur et dans des répétitions innombrables qui m'ont épouvanté pour le Lecteur. C'est ce qui me fait supprimer ce recueil de Passages déjà rangez dans leur ordre. Pour épargner la peine du Lecteur je suppose d'abord cette Tradition constante et je ne la propose comme décisive que pour montrer que mon sentiment loin d'être nouveau est fondé sur des autorités de l'antiquité la plus pure, et sur les témoignages des bons auteurs dans la suite de tous les siècles, enfin je me borne à montrer un système clair et suivi dans des définitions Theologiques. La sécheresse de cette méthode me parait un inconvénient très fâcheux, mais moindre que celui d'une longueur accablante. Il ne me reste qu'à exécuter ce plan, que je viens d'expliquer. J'en attends la force non de moi, mais de Dieu qui se plaît à se servir du plus vil et du plus indigne instrument. Ma doctrine ne doit point être ma doctrine, mais celle de Jesus-Christ qui envoie les Pasteurs. Malheur à moi si je disais quelque chose de moi-même. Malheur à moi si dans la fonction d'instruire les autres, je n'étais moi-même le plus docile et le plus soumis des enfants de l'Eglise Catholique, Apostolique et Romaine. Je commencerai l'exécution de ce plan par une exposition simple des divers sens qu'on peut donner au nom d'amour de Dieu, pour faire entendre nettement et précisément l'état des questions en cette matière ; après quoi le Lecteur trouvera mes articles qui approuvent le vrai et condamnent le faux sur chaque point des voies intérieures. Extrait du privilège du roi Par Lettres Patentes du Roi données à Paris le 17 décembre 1696. Signées De S. Hilaire : Il est permis à Messire François de Salignac Fenelon Archevêque Duc de Cambrai, Précepteur de Messeigneurs les Ducs de Bourgogne, d'Anjou et de Berry, de faire imprimer par tel Libraire qu'il voudra choisir, le Livre qu'il a composé, intitulé : Explication des MaximesdesSaints sur la vie intérieure ; et cependant le temps et espace de huit années entières et consécutives, à commencer du jour que ledit Livre sera achevé d'imprimer pour la première fois, avec défenses à toutes personnes d'en vendre d'autre impression, à peine de confiscation des Exemplaires contrefaits, trois mille livres d'amendes, et de tous dépens, dommages et intérêts. Mondit Seigneur Archevêque a cédé son droit de Privilege à Pierre Auboüyn, Libraire de Messeigneurs les Enfans de France, qui en a fait part à Pierre Émery, et Charles Clousier, pour eu jouir suivant l'accord fait entr'eux. Registre sur le Livre de la Communauté des Libraires et Imprimeurs de Paris, le 10 janvier 1697. Signé : P. Aubouyn, Syndic. Achevé d'imprimer pour la première fois le 25 janvier 1697. Trente-quatre articles des ordonnances du 16 et 20 avril 1695. Tout chrétien en tout état, quoique non à tout moment, est obligé de conserver l'exercice de la foi, de l'espérance et de la charité, et d'en produire des actes comme de trois vertus distinguées. Tout chrétien est obligé d'avoir la foi explicite en Dieu Tout-puissant créateur du ciel et de la terre, rémunérateur de ceux qui le cherchent, et en ses autres attributs également révélez ; et à faire des actes de cette foi en tout état, quoique non à tout moment. Tout chrétien est pareillement obligé à la foi explicite en Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, et à faire des actes de cette foi en tout état, quoique non à tout moment. Tout chrétien est de même obligé à la foi explicite en Jésus-Christ et homme comme médiateur, sans lequel on ne peut approcher de Dieu, et à faire des actes de cette foi en tout état, quoique non à tout moment. Tout chrétien en tout état, quoique non à tout moment, est oblige de vouloir, désirer et demander explicitement son saint éternel, comme chose que Dieu veut, et qu'il veut que nous voulions pour sa gloire. Dieu veut que tout chrétien en tout état, quoique non à tout moment, lui demande expressément la rémission de ses péchez, la grâce de n'en plus commettre la persévérance dans le bien, l'augmentation des vertus, et tonte autre chose requise pour le salut éternel. En tout état le chrétien a la concupiscence a combattre, quoique non toujours également ; ce qui l'oblige en tout état, quoique non à tout moment, à demander force contre les tentations. Toutes ces propositions sont de la foi catholique, expressément contenues dans le symbole des Apôtres et dans l'Oraison dominicale, qui est la prière commune et journalière de tons les enfants de Dieu ; ou même expressément définies par l'Eglise, comme celle de la demande de la rémission des péchés et du don de persévérance, et celle du combat de la convoitise, dans les conciles de Carthage, d'Orange et de Trente : ainsi les propositions contraires sont formellement hérétiques. Il n'est pas permis à un chrétien d'être indifférent pour son salut, ni pour les choses qui y ont rapport : la sainte indifférence chrétienne regarde les événements de cette vie (à la réserve du péché) et la dispensation des consolations ou sécheresses spirituelles. Les actes mentionnez ci-dessus ne dérogent point à la plus grande perfection du Christianisme, et ne cessent pas d'être parfaits pour être aperçus, pourvu qu'on en rende grâces à Dieu, et qu'on les rapporte à sa gloire. Il n'est pas permis au chrétien d'attendre que Dieu lui inspire ces actes par voie et inspiration particulière ; et il n'a besoin pour s'y exciter que de la foi qui lui fait connaître la volonté de Dieu signifiée et déclarée par ses commandements, et des exemples des saints, en supposant toujours le secours de la grâce excitante et prévenante. Les trois dernières propositions sont des suites manifestes des précédentes, et les contraires sont téméraires et erronés. Par les actes d'obligation ci-dessus marquez, on ne doit pas entendre toujours des actes méthodiques et arrangez ; encore moins des actes réduits en formules et sous certaines paroles, ou des actes inquiets ou empressez : mais des actes sincèrement formez dans le cœur, avec toute la sainte douceur et tranquillité qu'inspire l'esprit de Dieu. Dans la vie et dans l'oraison la plus parfaite, tous ces actes sont mis dans la seule charité, en tant qu'elle anime toutes les vertus, et en commande l'exercice, selon ce que dit Saint-Paul : La Charité souffre tout, elle croit tout, elle espère tout, elle soutient tout.On en peut dire autant des autres actes du chrétien, dont elle réglé et prescrit les exercices distincts, quoiqu'ils ne soient pas toujours sensiblement et distinctement aperçus. Le désir qu'on voit dans les Saints, comme dans Saint Paul et dans les autres de leur salut éternel et parfaite rédemption, n'est pas seulement un désir ou appétit indélibéré, mais comme l'appelle le même Saint Paul, une bonne volonté que nous devons former et opérer librement en nous avec le secours de la grâce, comme parfaitement conforme à la volonté de Dieu. Cette proposition est clairement révélée, et le contraire est hérétique. C'est pareillement une volonté conforme à celle de Dieu, et absolument nécessaire en tout état, quoique non à tout moment, de vouloir ne pêcher pas ; et non seulement de condamner le péché, mais encore de regretter de l'avoir commis, et de vouloir qu'il soit détruit en nous par le pardon. Les réflexions sur soi-même, sur ses actes et sur le don qu'on a reçus, qu'on voit par tout pratiquées par les Prophetes et parles Apostres, pour rendre grâces à Dieu de ses bienfaits, et pour autres fins semblables, sont proposées pour exemples à tous les fidèles, même aux plus parfaits ; et la doctrine qui les en éloigne et erronée et approche de l'hérésie. Il n'y a de réflexions mauvaises et dangereuses que celles où l'on lait des retours sur ses actions et sur les dons qu'on a reçus, pour repaitre son amour- propre, se chercher un appui humain, ou s'occuper trop de soi-même. Les mortifications conviennent à tout état du christianisme, et y sont souvent nécessaires ; et en éloigner les fidèles sous prétexte de perfection c'est condamner ouvertement Saint-Paul, et présupposer une doctrine erronée et hérétique. L'oraison perpétuelle ne consiste pas dans un acte perpétuel et unique qu'on suppose sans interruption, et qui aussi ne doive jamais se réitérer ; mais dans une disposition et préparation habituelle et perpétuelle à ne rien faire qui déplaise à Dieu, et à faire tout pour lui plaire : la proposition contraire, qui exclurait en quelque état que ce fût, même parfait, toute pluralité et succession d'actes, serait erronée et opposée à la tradition de tous les Saints. Il n'y a point de traditions apostoliques que celles qui sont reconnues par toute l'Église et dont l'autorité est décidée par le Concile de Trente : la proposition contraire est erronée, et les prétendues traditions apostoliques secrètes seraient un piège pour les fidèles, et un moyen d'introduire toute sorte de mauvaises doctrines. L'oraison de simple présence de Dieu, ou de remise et de quiétude, et les autres oraisons ordinaires, mêmes passives, approuvées par saint François de Sales, et les autres spirituels reçus dans toute l'Église, ne peuvent être rejetées ni tenues pour suspectes sans une insigne témérité, et elles n'empêchent pas qu'on ne demeure toujours disposé à produire en temps convenable tous les actes ci-dessus marquez : les réduire en actes implicites ou éminents en faveur des plus parfaits, sous prétexte que l'amour de Dieu les renferme tous d'une certaine maniéré, c'est eu éluder l'obligation, et en détruire la distinction qui est révelée de Dieu. Sans ces oraisons extraordinaires, on peut devenir un très grand saint, et atteindre à la perfection du Christianisme. Réduire l'état intérieur et la purification de l'âme a ces oraisons extraordinaires, c'est une erreur manifeste. C'en est une également dangereux d'exclure de l'état de contemplation, les attributs, les trois personnes divines et les mystères du Fils de Dieu incarné, surtout celui de la croix et celui de la résurrection ; et toutes les choses qui ne sont vues que par la foi sont l'objet du chrétien contemplatif. Il n'est pas permis à un chrétien, sous prétexte d'oraison passive ou autre extraordinaire, d'attendre dans la conduite de la vie, tant au spirituel qu'au temporel que Dieu le détermine à chaque action par voie et inspiration particulière : et le contraire induit à tenter Dieu, à illusion et à nonchalance. Hors le cas et les moments d'inspiration prophétique et extraordinaire, la véritable soumission que toute âme chrétienne, même parfaite, doit à Dieu, est de se servir des lumières naturelles qu'elle eu reçoit, et des règles de la prudence chrétienne en présupposant toujours que Dieu dirige tout par sa providence, et qu'il est auteur de tout bon conseil. On ne doit point attacher le don de prophétie et encore moins l'état apostolique à un certain état de perfection et d'oraison, et les y attacher c'est induire à illusion, témérité et erreur. XXVIII. Les voies extraordinaires avec les marques qu'en ont données les spirituels approuvez, selon eux-mêmes, sont très rares, et sont sujettes à l'examen des Evesques, supérieurs ecclésiastiques et docteurs, qui lui doivent en juger, non tant selon les expériences que selon les réglés immuables de l'Écriture et de la tradition ; enseigner et pratiquer le contraire, est secouer le joug de l'obéissance qu'on doit à l'Église. S'il y a, ou s'il y a eu, en quelque endroit de la terre, un très petit nombre dames d'élite, que Dieu par des préventions extraordinaires et particulières qui lui sont connues, meuve à chaque instant de telle manière à tous actes essentiels au christianisme et aux autres bonnes œuvres, qu'il ne soit pas nécessaire de leur rien prescrire pour s'y exciter, nous le laissons au jugement de Dieu ; et sans avouer de pareils état, nous disons seulement dans la pratique, qu'il n'y a rien de si dangereux ni de si sujet à illusion, que de conduire les âmes comme si elles y étaient arrivées, et qu'en tout cas ce n'est point dans ces préventions qui consiste la perfection du christianisme. Dans tous les articles susdits, en ce qui regarde la concupiscence, les imperfections, et principalement le péché : pour l'honneur de notre Seigneur nous n'entendons pas comprendre la Très Sainte-Vierge sa More. Pour les aines que Dieu tient dans les épreuves, Job qui en est le modèle leur apprend à profiter du rayon qui revient par intervalles, pour produire les actes les plus excellents de foi, d'espérance et d'amour. Les spirituels leur enseignent à les trouver dans la cime et plus haute partie de l'esprit. Il ne faut donc pas leur permettre d'acquiescer à leur désespoir et damnation apparente, mais avec saint François de Sales les assurer que Dieu ne les abandonnera pas. Il faut bien en tout état, principalement en ceux-ci, adorer la justice vengeresse de Dieu, mais non souhaiter jamais qu'elle s'exerce sur nous en toute rigueur, puisque même l'un des effets de cette rigueur est de nous priver de l'amour. L'abandon du chrétien est de rejeter en Dieu toute son inquiétude, mettre en sa bonté l'espérance de son salut, et comme l'enseigne saint Augustin après saint Cyprien, lui donner tout : ut totum delur Deo. On peut aussi inspirer aux âmes peinées et vraiment humbles une soumission et consentement à la volonté de Dieu, quand même, par une très fausse supposition, au lieu des biens éternels qu'il a promis aux âmes justes, il les tiendrait par son bon plaisir dans des tournions éternels, sans néanmoins qu'elles soient privées de sa grâce et de son amour : qui est un acte d'abandon parfait et d'un amour pur pratiqué par des Saints, a qui le peut être utilement avec une grâce très particulière de Dieu par les aines vraiment parfaites : sans déroger à l'obligation dos autres actes ci-dessus marquez qui sont essentiels au Christianisme. XXXIV. Au surplus il est certain que les commençons et les parfaits doivent être conduits chacun selon sa voie par des réglés différentes, et que les derniers en tendent plus hautement et plus a fond les vérités chrétiennes Exposition de cinq divers états d'amour de Dieu On peut aimer Dieu, non pour lui, mais pour les biens distinguez de lui, qui dépendent de sa puissance, et qu'on espère en obtenir, en sorte qu'on ne l'aimerait point sans ce motif. Tel était l'amour de ceux d'entre les Juifs qui étaient charnels, et qui observaient la Loy, pour être récompensés par la rosée du Ciel, et par la fertilité de la terre. Cet amour n'est ni chaste, ni filial, mais purement servile. À parler exactement, ce n'est pas aimer Dieu, c'est s'aimer soi-même, et rechercher uniquement pour soi, non Dieu, mais ce qui vient de lui. 2° On peut, quand on a la foi, n'avoir aucun degré de charité. On sait que Dieu est notre unique béatitude ; c'est-à-dire le seul objet dont la vu peut nous rendre bienheureux. Si en cet état on aimait Dieu, comme le seul moyen propre à nôtre bonheur, et par l'impuissance de trouver nôtre bonheur en aucun autre objet : si on regardait Dieu comme un moyen de félicité, qu'on rapporterait uniquement à soi comme fin dernière, en sorte que l'âme fut déterminée a ne le point aimer si ce n'était pour elle-même et pour son bonheur, cet amour serait plutôt un amour de soi qu'un amour de Dieu : du moins, il serait contraire à l'ordre ; car il rapporterait Dieu en le regardant comme objet, ou moyen de nôtre félicité, à nous et à nôtre félicité propre. Quoique cet amour ne nous fit point chercher d'autre récompense que Dieu seul, il serait néanmoins purement mercenaire, et de pure concupiscence. Saint Bernard suppose cet amour, et il en fait le second des quatre qu'il représente dans son traité de l'amour de Dieu. L'homme, dit-il, aime déjà Dieu, mais néanmoins encore pour soi et non pour Dieu même. « Amat ergo jam Deum, sed propter se interim adhuc non propter ipsum ». Saint François de Sales suppose aussi cet état d'amour, et voici comment il en parle : L'âme, dit ce saint, qui n'aimerait Dieu que pour l'amour d'elle-même, établissant la fin de l'amour qu'elle porte à Dieu en sa propre commodité, hélas elle commettrait un extrême sacrilège… L'âme qui n'aime Dieu que pour l'amour d'elle-même, elle s'aime comme elle devrait aimer Dieu ; et elle aime Dieu comme elle de- v ?'oit s'aimer elle-même. C'est comme qui dirait : L'amour que je vie 'porte est la fin pour laquelle j'aime Dieu : en sorte que l'amour de Dieu soit dépendant, subalterne et inférieur à l'amour propre Ce qui est une impiété non pareille. 3° Ou peut aimer Dieu d'un amour qu'on nomme d'espérance et qui peut précéder la justification du pecheur, alors l'homme qui a cet amour ne rapporte point Dieu comme moyen a soi, comme fin, de même que dans l'amour de pure concupiscence. Il peut même préférer Dieu a tous les objets qui sont hors de lui. Mais il ne préfère pourtant pas encore Dieu a soi-même. S'il le fait, ce n'est que par un amour effectif, comme dit saint François de Sales, et non par un amour effectif, qui est le seul de préférence réelle. C'est pourquoi cet amour ne justifie pas quand il est tout seul. Ce saint parle ainsi de cet amour. Je ne dis pas toutefois qu'il revienne tellement à nous, qu'il nous fasse aimer Dieu seulement pour l'amour de nous… Il y a bien de la différence entre celleparole : J'aime Dieu pour le bien que j'en attends ; et celle-ci : Je n'aime Dieu que pour le bien que j'en attends. Cet amour d'espérance, quand il précédé la justification, n'empêche point que l'amour de nous-mêmes ne soit encore le plus fort en nous. C'est un commencement de conversion, car c'est un commencement d'amour véritable pour Dien, mais cet amour n'est pas encore dominant, et de préférence de Dieu a nous-mêmes. Ainsi, ce n'est pas encore la véritable justice. C'est de cet amour d'espérance dont saint François de Sales a parlé ainsi : Le souverain amour n'est qu'en la charité ; mais en l'espérance, l'amour est imparfait, parce qu'il ne tend pas en la bonté infinie, en tant qu'elle est telle en elle-même ; mais en tant qu'elle nous est telle… Quoiqu'en vérité, nul par ce seul amour ne puisse ni observer les Commandemens de Dieuni avoir la vie éternelle. 4° Il y a un état d'amour véritablement justifiant ou l'âme ne fait pas encore fréquemment des actes de charité. Mais ceux qu'elle fait sont purs et de la même espèce que ceux du 5e état que nous verrons ensuite. Ces actes regardent Dieu en lui-même et dans sa perfection, sans rapport a nous, mais il y a encore alors dans l'aine un reste d'amour intéressé parce que l'aine qui est dans cet état fait le plus souvent les actes d'espérance et des autres vertus sans qu'ils soient prévenus, animez et commandez par la charité. Alors ces actes ont presque toujours un reste d'amour de nous même qui est la cupidité soumise et qui n'est pas l'amour de charité. Cet état est néanmoins justifiant parce qu'il renferme, non seulement la charité infuse et habituelle, mais encore des actes de vraie charité, et que les actes des autres vertus y sont rapportés tantôt habituellement, tantôt virtuellement quelquefois même formellement à la fin dernière. C'est cet amour dont saint François de Sales parle dans l'endroit ci-dessus : Le souverain amour n'est qu'en la charité. L'amour de cet état est souverain en ce qu'il préféré Dieu a toutes les choses créées et a soi-même. Ce n'est que par cette préférence qu'il est capable de nous justifier. Il ne préfère pas moins Dieu et sa gloire, à nous et à nos intérêts, qu'a toutes les créatures qui sont hors de nous. En voici la raison : C'est que nous lie sommes pas moins des créatures viles, et indignes d'entrer en comparaison avec Dieu, que le reste des êtres créez. Dieu qui ne nous a faits pour les autres créatures, ne nous a point faits non plus pour nous-mêmes, mais pour lui seul. Il n'est pas moins jaloux de nous, que des autres objets extérieurs que nous pouvons aimer. À proprement parler, l'unique chose dont il est jaloux en nous, c'est nous-mêmes ; car il voit clairement que c'est nous- mêmes que nous sommes tentés d'aimer dans la jouissance de tous les objets extérieurs. Il est incapable de se tromper dans sa jalousie. C'est l'amour de nous- mêmes, auquel se réduisent toutes nos affections. Tout ce qui ne vient pas du principe de la charité, c'est a dire de l'amour de Dieu ou de son ordre en général, comme saint Augustin le dit si souvent, vient de la cupidité, c'est a dire de l'amour de nous même. Ainsi c'est cet amour, unique racine de tous les vices, quand il n'est point subordonné à Dieu, que la jalousie de Dieu attaque précisément en nous. Tandis que nous n'avons encore qu'un amour d'espérance, où l'intérêt de la gloire de Dieu ne domine point sur l'amour de nous-mêmes, une âme n'est point encore juste. Mais quand l'amour désintéressé ou de charité commence à prévaloir sur le motif de l'intérêt propre, alors l'âme qui aime Dieu, est véritablement aimée de lui. Cette charité véritable n'est pourtant pas encore toute pure, c'est-à-dire que l'état de cette aine n'est pas encore sans aucun mélange : quoique les actes de charité soient toujours purs en eux-mêmes : mais l'amour de charité prévalant sur le motif intéressé, on nomme cet état un état de charité. L'âme aime alors Dieu pour lui et pour soi ; mais en sorte qu'elle aime principalement la gloire de Dieu, et qu'elle y cherche son bonheur propre par le mélangé d'un motif d'amour de soi qui n'est point l'amour de charité, quoiqu'elle rapporte et subordonne son bonheur même à la fin dernière, que est la gloire de son Créateur. Il n'est pas nécessaire qui cette préférence de Dieu et de sa gloire, n nous et à nos intérêts, soit toujours explicite dans l'aine juste. La foi nous assure que la gloire de Dieu et notre félicité sont inséparables. Il suffit que cette préférence si juste et si nécessaire soit réelle, mais implicite, pour les occasions communes de la vie. Il n'est nécessaire qu'elle devienne explicite, que dans les occasions extraordinaires, où Dieu voudrait nous éprouver pour nous purifier. Alors, il nous donnerait, à proportion de l'épreuve, la lumière et le courage pour la porter, et pour développer dans nos cœurs cette préférence. Hors de là, il serait dangereux de la chercher scrupuleusement dans le fonds de nos cœurs. 5° On peut aimer Dieu d'un amour que les saints ont appelé pur. Ce n'est pas que dans cet état on fasse des actes de charité d'une autre espèce que ceux du 4e état précèdent les actes de charité sont toujours spécifiquement les mêmes, ils sont seulement plus fréquents et plus intenses dans ce 5e état. Il ne faut pas s'imaginer non plus que l'âme n'y fasse que des actes de charité. Elle y en fait très fréquemment de toutes les autres vertus distinctes, et entr'autres de l'espérance avec leurs motifs spécifiques. Mais voici la différence précise qui est entre le 4e et le 5e état. C'est que dans le 4e l'espérance excitée par un amour de nous même qui n'est point de pure charité prévient d'ordinaire a son tour, excite, et soutient la charité dans ses refroidissements au lieu que dans le 5e état c'est presque toujours la charité forte et prévenante qui anime l'espérance et qui en commande expressément les actes pour les rapporter a sa propre fin. Elle fait de même a l'égard des autres vertus en sorte que presque tons les actes méritoires de cet état sont ou des actes de pure charité ou des actes de vertus distinguées par leurs motifs spécifiques, mais animez et commandez expressément par la charité qui les rapporte en même temps a sa propre fin. Ainsi d'un côté la charité est alors si forte qu'elle n'a plus d'ordinaire besoin d'être prévenue et préparée par l'espérance. Voilà le cas ou les saints disent qu'ils n'aiment plus pour la récompense, et qu'ils aimeraient autant, quand même il n'y aurait point de béatitude à espérer. D'un autre côté les actes d'espérance et des autres vertus étant commandés avec leurs motifs spécifiques par la charité, ils sont élevés et épurez par elle puisqu'elle ne les commande que pour les rapporter en même temps a sa propre fin. Selon saint Thomas, ils conservent leur propre spécification, quoiqu'ils soient commandés par une vertu supérieure, et ils entrent néanmoins dans l'espèce de cette vertu supérieure qui les commande et qui les rapporte a sa fin. En cet état, une âme aime Dieu au milieu des peines de manière qu'elle ne l'aimerait pas davantage quand même il la comblerait de consolation. Ni la crainte des peines ni le désir ou l'attente des récompenses n'ont plus d'ordinaire de part aux actes de cet amour, purus amor de spe vires non sumit, dit saint Bernard. On n'aime plus Dieu ni pour l'intérêt du mérité, ni pour celui de la perfection, ni pour celui du bonheur qu'on trouve en l'aimant. Ce n'est pas qu'on ne veuille et le mérité et la perfection et le bonheur par conformité a l'ordre de Dieu, on veut même ces choses pour soi. On les veut par leur raison précise, on comme parle l'école, par leur motif spécifique, c'est-à-dire qu'on les veut parce qu'elles nous sont bonnes, qu'elles sont aimables dans l'ordre de Dieu, et qu'elles nous sont convenables par leur degré de bien pour notre fin dernière qui est Dieu même. On les veut par amour pour soi, mais l'amour pour soi qu'on a d'ordinaire en cet état de haute perfection est un amour de charité, et l'idée peu noble qui est attachée dans nôtre langue au terme d'intérêt ne convient point a un amour de nous-mêmes si pur et si désintéressé. Par intérêt et par motif intéressé, il est naturel d'entendre un amour de soi qui est autre que cet amour de nous si pur et si parfait, suivant lequel on ne s'aime plus que comme le reste des créatures, dans l'ordre de Dieu et du même amour dont on aime sa beauté souveraine. Alors on aimerait autant Dieu quand même par supposition impossible, il devrait ignorer qu'on l'aime ou qu'il voudrait faire souffrir des peines éternelles a ceux qui l'auraient aimé. En cet état, on l'aime néanmoins toujours comme souveraine et infaillible béatitude de tous ceux qui lui sont fidèles. On l'aime comme nôtre bien personnel, comme nôtre récompense, comme nôtre tout : mais 011 ne l'aime plus par le motif intéressé de la récompense et du bonheur, c'est a dire par le motif qui vient d'un autre amour de nous-mêmes que celui de la charité, car pour le motif spécifique de vertu de l'espérance qui est inséparable de l'amour de charité pour nous-mêmes, il est toujours essentiel, et il ne peut jamais diminuer le désintéressement des actes.Tel est l'amour pur et parfait autant qu'il peut l'être dans les fragilités et les variations du pèlerinage de cette vie. Cet amour, quoique pur d'ordinaire, fait néanmoins exercer les actes de tontes les mêmes vertus que l'amour moins parfait : avec cette unique différence, qu'il chasse la crainte aussi bien que toutes les inquiétudes, et qu'il est même exempt des empressements de l'amour moins désintéressé. Au reste, je déclare que pour éviter toute équivoque, dans une matière où il est si dangereux d'en faire, et si difficile de n'en faire aucune ; j'observerai toujours exactement les noms que je vais donner à ces cinq sortes d'amour pour les mieux distinguer. L'état d'amour de ceux d'entre les Juifs qui étaient charnels et qui cherchaient Dieu pour les dons distinguez de lui, et non pour lui-même, peut être nommé l'amour purement servile. Mais comme nous n'aurons aucun besoin d'en parler, je n'en dirai rien dans cet ouvrage. L'état d'amour par lequel on aimerait Dieu que comme un simple moyen de félicité, que l'on rapporterait absolument à soi, comme à la fin dernière, peut être nommé l'amour de pure concupiscence. L'état d'amour où l'on aime Dieu véritablement et où l'on ne rapporte point Dieu comme moyen a soi, comme fin de même que dans celui de pure concupiscence, nais ou l'amour n'est pas encore de préférence effective de Dieu a soi est celui que je nomme d'espérance. L'état d'amour, de préférence pour Dieu ou l'espérance et les autres vertus préviennent souvent la charité, et sont mêlées d'un motif d'amour de nous-mêmes qui est de cupidité soumise à la charité est un état moins parfait que l'état suivant, l'amour de charité y domine néanmoins : Iº par la charité infuse et habituelle, 2° par les actes de charité qui s'y exercent, 3º par l'exercice même des vertus qui y sont rapportées virtuellement ou habituellement à la fin principale et dernière qui est la gloire de Dieu. On devrait, par ces raisons, nommer cet état un état de charité. Mais domine nous aurons besoin à tout moment d'opposer cet amour à celui qu'on appelle pur ou entièrement désintéressé, je serai obligé de donner à ce quatrième amour es noms d'amour moins désintéressé ou d'amour mélangé d'intérêt propre ; parce qu'en effet, il a encore un reste d'intérêt propre, quoiqu'il soit un état d'amour de préférence de Dieu à soi. 5. L'état d'amour pour Dieu seul, considéré en lui- même et qui n'est d'ordinaire prévenu ni soutenu par aucun mélange de motif intéressé, ni de crainte, ni d'espérance, est le pur amour, réservé à la parfaite charité. Dans l'état le plus parfait de cet amour, la charité prévient, commande et anime d'ordinaire toutes les autres vertus distinctes, et rapporte en même teins leur exercice à sa propre fin, de sorte que ce n'est plus d'ordinaire l'espérance qui prévient et qui prépare les actes delà charité, comme dans les justes moins parfaits, mais c'est la charité qui prévient, anime et dirige les actes d'espérance pour les perfectionner et pour les épurer en les élevant a sa fin. **** *creator_fenelon *book_fenelon_explicationsaints *style_prose Articles Article I. Vrai L'amour de pure concupiscence, ou entièrement mercenaire, par lequel on ne desireroit Dieu que pour le seul intérêt de son propre bonheur, et parce qu'on croirait trouver en lui seul le moyen de notre félicité, serait un amour indigne de Dieu. On l'aimerait comme un avarie aime son argent, ou comme un voluptueux aime ce que fait son plaisir ; en sorte qu'on rapporterait uniquement Dieu à soi, comme le moyen à la fin. Ce renversement de l'ordre serait, suivant saint François de Sales, un amour sacrilège, et une impiété non pareille. Mais cet amour de pure concupiscence, ou entièrement mercenaire, 11e doit jamais être confondu avec l'amour que les Theologiens nomment de préférence, qui est un amour de Dieu, mélangé de nôtre intérêt propre, et dans lequel nôtre propre intérêt se trouve toujours subordonné à la fin principale, qui est la gloire de Dieu. L'amour de pure concupiscence, ou purement mercenaire, est plûtost un amour de soi-même, qu'un amour de Dieu. Il peut bien préparer indirectement à la justice, en ce qu'il fait une espèce de contrepoids de nos passions violentes, il nous rend même comme, dit saint Bernard en quelque manière prudents pour connaitre ce que nous pouvons attendre de Dieu et de nous, et pour nous éloigner d'offenser celui qui nous a conservés à nous-mêmes, est tamen quædam prudentia scire quid ex te quid ex Dei adjutorio possis et ipsi te servareinfensum qui te tibi servavit illœsum, mais il est contre l'ordre essentiel de la créature, et il ne peut être ni un principe ni un commencement réel et positif de véritable justice intérieure. Au contraire, l'amour de préférence, quoique moins désintéressé, peut justifier une âme, pourvu que l'intérêt propre y soit rapporté, et subordonné à l'amour de Dieu dominant, et que sa gloire soit la fin principale ; en sorte que nous ne préférions pas moins sincèrement Dieu à nous-mêmes, qu'à tout le reste des créatures. Cette préférence ne doit pas néanmoins être toujours explicite, pourvu qu'elle soit réelle : car Dieu qui connaît la boue dont il nous a pétris, et qui a pitié de ses enfants, ne leur demande une préférence distincte et développée, que dans les cas où il leur donne par sa grâce le courage de porter les épreuves, où cette préférence a besoin d'être explicite. Parler ainsi, c'est parler sans s'éloigner en rien de a doctrine du saint Concile de Trente, qui a déclaré contre les Protestans, que l'amour dans lequel le motif de la gloire de Dieu est le motif principal, auquel celui de nôtre intérêt propre est rapporté et subordonné, n'est point un péché. II condamne ceux qui assurent que les Justes pêchent dans toutes leurs œuvres, si outre ledésir principal que Dieu soit glorifié, ils envisagent aussi la récompense éternelle, pour exciter leur paresse, et pour s'encourager à courir dans la carrière.C'est parler comme saint François de Sales, et comme toute l'école suivie par les Mystiques. Article I. Faux Tout amour moins désintéressé, ou mélangé d'intérêt propre sur nôtre bonheur éternel, quoique rapporté et subordonné au motif principal de la gloire de Dieu, est un amour indigne de lui, dont les âmes ont besoin de se purifier comme d'une véritable souillure ou péché. On ne peut pas même se servir indirectement de l'amour de pure concupiscence, ou purement mercenaire, pour préparer les âmes pécheresses à leur conversion, en suspendant par là leurs passions et leurs habitudes, pour les mettre en état d'écouter tranquillement les paroles de la Foi. Parler ainsi, c'est contredire la décision formelle du saint Concile de Trente, qui déclaré que l'amour mélangé, où le motif de la gloire de Dieu domine, n'est point un péché. De plus, c'est contredire l'expérience de tons les saints pasteurs, qui voient souvent des conversions solides préparées indirectement et de loin par l'amour de concupiscence et par la crainte servile. Article II. Vrai Il y a trois divers degrés, ou trois états habituels de Justes sur la terre. Les premiers ont un amour de préférence pour Dieu, puisqu'ils sont justes ; mais cet amour, quoique principal et dominant, est encore mélangé d'une crainte pour leur intérêt propre qui ne naît point d'un pur amour de charité pour eux-mêmes. Les seconds sont à plus forte raison dans un amour de préférence : mais cet amour, quoique principal et dominant, est encore mélangé d'un motif d'espérance pour leur intérêt, en tant que propre qui ne naît point d'un amour de charité pour eux-mêmes. C'est pourquoi saint Bernard nous parle d'une cupidité réglée par la charité qui se mêle toujours avec la charité même pendant cette vie. Ce n'est pas la charité qui en est le principe. La charité qui survient trouve cette cupidité et ne fait que la modérer, la soumettre, et la subordonner ainsi à la fin dernière. Asuperveniente caritateordinatur cupiditas tuncrecta. C'est pourquoi saint François de Sales représente la sainte résignation comme ayant encore des désirs propres, mais soumis. Elle se fait, dit-il, parmanièred'effort et de soumission.Ces deux amours sont renfermés dans le quatrième état, que j'ai appelé état d'amour moins désintéressé. Les troisièmes, plus parfaits que les deux autres sortes de justes, ont un amour pleinement désintéressé, qui a été nommé pur, pour faire entendre qu'il n'est d'ordinaire excité par aucun autre motif, que celui d'aimer uniquement en elle-même et pour elle-même, la souveraine beauté de Dieu. C'est ce que les Anciens ont exprimé, en disant qu'il y a trois états : le premier est des justes qui craignent encore par un reste d'esprit d'échange. Le second est de ceux qui espèrent encore pour leur propre intérêt,par un reste d'esprit mercenaire. Le troisième est de ceux qui méritent d'être nommez les en fans, parce qu'ils aiment le Pere sans aucun motif intéressé, ni d'espérance, ni de crainte. C'est ce que les auteurs des derniers siècles ont exprimé précisément de même sous d'autres noms équivalents. Ils en ont fait trois états. Le premier est la Vie purgative, où l'on combat les vices par un amour mélangé d'un motif intéressé de crainte sur les peines éternelles. La seconde est la Vie illuminative, où l'on acquiert les vertus ferventes par un amour encore mélangé d'un motif intéressé pour la béatitude céleste. Enfin, le troisième est la Vie contemplative, ou unitive, dans laquelle on demeure d'ordinaire uni à Dieu par l'exercice paisible du pur amour. Dans ce dernier état on ne perd jamais ni la crainte filiale ni l'espérance des enfants de Dieu, quoiqu'on perde d'ordinaire tout motif intéressé de crainte et d'espérance. La crainte se perfectionne en se purifiant, elle devient une délicatesse de l'amour, et une révérence filiale qui est paisible. Alors c'est la crainte chaste qui demeure au siècle des siècles. De même, l'espérance loin de se perdre, se perfectionne par la pureté de l'amour. Alors c'est un désir réel et une attente sincère de l'accomplissement des promesses, non seulement en général et d'une manière absolue, mais encore de l'accomplissement des promesses en nous et pour nous, suivant le bon plaisir de Dieu ; mais par ce motif unique de son plaisir, qui renferme toujours le motif spécifique de notre propre bien, sans y mêler celui de notre intérêt propre, qui viendrait d'un amour de cupidité soumise. Ce pur amour ne se contente pas de ne vouloir point de récompense qui ne soit Dieu même. Tout mercenaire purement mercenaire, animé par le seul motif de la concupiscence, qui aurait une foi distincte des vérités révélées, pourrait ne vouloir point d'autres récompenses que Dieu seul, parce qu'il le connaîtrait clairement comme un bien infini, et comme étant lui seul sa véritable récompense ou l'unique moyen de sa félicité. Ce mercenaire ne voudrait dans la vie future que Dieu seul ; mais il voudrait Dieu comme béatitude objective ou objet de sa béatitude, pour le rapporter à sa béatitude formelle, que l'école nomme créée, c'est-à-dire à soi-même qu'ils voudront rendre bienheureux, et dont il serait la dernière fin. Au contraire, celui qui aime du pur amour sans aucun mélange d'intérêt propre, n'est plus excité d'ordinaire par le motif de son intérêt. Il ne veut la béatitude pour soi, qu'à cause qu'il sait que Dieu la veut en tant qu'elle est la chose la plus excellente pour nous et la plus convenable a sa glorification en nous, et qu'il veut que chacun de nous la veuille de même pour sa gloire. Si par un cas qui est impossible à cause des promesses purement gratuites, Dieu voulait anéantir les aines des Justes au moment de leur mort corporelle, ou bien les priver de sa vue, et les tenir éternellement dans les tentations et les misères de cette vie, comme saint Augustin le suppose, ou bien leur faire souffrir loin de ; lui toutes les peines de l'enfer pendant toute l'éternité, comme saint Gregoire de Nazianze et Saint-Chrysostome le supposent après saint Clément d'Alexandrie ; les aines qui sont dans ce troisième état de pur amour, ne l'aimeraient, ni ne le serviraient pas avec moins de fidélité. Encore une fois, il est vrai que cette supposition est impossible à cause des promesses, ou Dieu s'est donné à nous comme rémunérateur ; nous ne pouvons plus séparer notre béatitude de Dieu aimé avec la persévérance finale ; mais les choses qui ne peuvent être séparées du côté de l'objet, peuvent l'être très réellement du côté des motifs. Dieu ne peut manquer d'être la béatitude de l'âme fidèle ; mais elle peut l'aimer avec un tel désintéressement, que cette venue de Dieu béatifiant n'augmente en rien l'amour qu'elle a pour lui sans penser à soi, et qu'elle l'aimerait tout autant s'il ne devait jamais faire sa béatitude. Dire que cette précision de motifs est une vaine subtilité, ce serait ignorer la jalousie de Dieu et celle des saints contre eux-mêmes : c'est traiter de vaine subtilité la délicatesse et la perfection du pur amour, que la tradition de tous les siècles a mis dans cette précision de motifs. Parler ainsi, c'est parler conformément à la tradition, depuis les plus anciens Peres jusques à saint Bernard ; comme beaucoup de célébrés Docteurs de l'École, depuis saint Thomas jusques à ceux de nôtre siècle ; enfin comme tous les Mystiques canonisez ou approuvez de toute l'Église malgré les contradictions qu'ils ont souffertes. (Jette tradition est constante, et il serait téméraire de la combattre, ou de la vouloir éluder. Cette supposition du cas impossible dont nous venons de parler, loin d'être une supposition indiscrète et dangereuse des derniers Mystiques, est au contraire formellement dans saint Clement d'Alexandrie, dans saint Gregoire de Naziauze, dans saint Augustin, dans Saint-Chrysostome, dans Cassien, dans Theodoret, dans Jean d'Antioche, dans saint Isidore de Peluse, dans Euloge patriarche d'Alexandrie rapporté par Photius, dans Theophylacte, dans Saint-Anselme, dans Hugues de saint Victor, dans saint Thomas, dans Estius et dans un grand nombre de théologiens célébrés sans parler des Mystiques canonisez qui ont souvent exprimé le désintéressement habituel de leur amour par cette même supposition : c'est pour nous conformer à cette tradition que notre 33e proposition a été faite, il ne sera pas inutile d'en répéter ici encore les paroles. On peut aussi inspirer, etc. II. Faux Il y a un amour si pur, qu'il ne veut plus la récompense, qui est Dieu même. Il ne la veut plus en soi ni par aucun amour de soi quoique la foi nous enseigne que Dieu la veut en nous et pour nous, et qu'il nous commande de la vouloir comme lui pour sa gloire. Cet amour porte son désintéressement jusqu'à consentir de haïr Dieu éternellement, ou de cesser de l'aimer ; ou bien il va jusques à perdre la crainte filiale, qui n'est que la délicatesse de l'amour jaloux ; ou bien il va jusqu'à éteindre en nous toute espérance, en tant que l'espérance la plus pure est un désir paisible de recevoir en nous et pour nous l'effet des promesses selon le bon plaisir de Dieu et pour sa pure gloire sans aucun mélange d'intérêt propre ; ou bien il va jusques à nous haïr nous-mêmes d'une haine réelle, en sorte que nous cessons d'aimer en nous pour Dieu son œuvre et son image, comme nous l'aimons par charité en nôtre prochain. Parler ainsi, c'est donner par un terrible blasphème, le nom de pur amour à un désespoir brutal et impie, et à la haine de l'ouvrage du Createur. C'est par une extravagance monstrueuse, vouloir que le principe de conformité à Dieu nous fasse consentir a devenir contraires à lui. C'est vouloir, par un amour chimérique, détruire non seulement l'espérance, mais encore l'amour même. C'est éteindre le Christianisme dans les cœurs, c'est être du nombre de ces insensés qui, selon Hugues de Saint-Victor ne s'entendaient pas eux-mêmes quand ils disaient, de peur d'être mercenaires nous ne cherchons point là récompense. Nous ne cherchons pas même le Seigneur. Nous secouons tellement de nos mains toute récompense que nous ne cherchons pas même le bien-aimé. Article III. Vrai Il faut laisser les aines dans l'exercice de l'amour qui est encore mélangé du motif de leur intérêt propre, tout autant de temps que l'attrait de la grâce les y laisse. Il faut même révérer ces motifs qui sont répandus dans tous les Livres de l'Ecriture Sainte : dans tous les monuments les plus précieux de la tradition ; enfin dans toutes les prières de l'Église. Il faut se servir de ces motifs pour réprimer les passions, pour affermir toutes les vertus, et pour détacher les âmes de tout ce qui est renfermé dans la vie présente. Cet amour, quoique moins parfait que celui qui est pleinement désintéressé, a fait néanmoins dans tous les siècles un grand nombre de Saints, et la plupart des saintes âmes ne parviennent jamais en cette vie jusqu'au parfait désintéressement de l'amour ; c'est les troubler et les jeter dans la tentation que de leur ôter les motifs d'intérêt propre, qui étant subordonnés a la fin dernière les soutiennent et les animent dans les occasions dangereuses. Il est inutile et indiscret de leur proposer un amour plus élevé auquel elles ne peuvent atteindre, parce qu'elles n'en ont ni la lumière intérieure ni l'attrait particulier de grâce. Celles mêmes qui commencent à en avoir ou la lumière ou l'attrait, sont encore infini ment éloignées d'en avoir la réalité. Enfin celles qui en ont la réalité imparfaite, sont encore bien loin d'en avoir l'exercice uniforme et tourné en état habituel. Ce qui est essentiel dans la direction, est de ne faire que suivre pas à pas la grâce avec une patience, nue précaution et une délicatesse infinie. Le directeur doit se borner à laisser faire Dieu, et ne parler jamais du pur amour pour en demander l'exercice que quand Dieu par l'onction intérieure commence à ouvrir le cœur à cette parole, qui est si dure aux âmes encore attachées à elles-mêmes, et si capable ou de les scandaliser ou de les jeter dans le trouble. Encore même ne faut-il jamais ôter à une âme le soutien des motifs intéressez, quand on commence suivant l'attrait de sa grâce à lui montrer le pur amour. Il suffit de lui faire voir en certaines occasions combien Dieu est aimable en lui-même, sans la détourner jamais de recourir au soutien de l'amour mélangé. Autrement on ne se proportionnerait pas au besoin des âmes qu'il faut attendre patiemment dans les voies de Dieu et à qui il ne faut demander la perfection, que quand elles sont capables de porter cette doctrine. Parler ainsi, c'est parler comme l'esprit de grâce et l'expérience des voies intérieures feront toujours parler ; c'est prévenir les âmes contre l'illusion. III. Faux L'amour mêlé du motif intéressé pour nous-mêmes qui ne vient point de là charité,est un amour bas, grossier, indigne de Dieu, que les âmes généreuses doivent mépriser. Il faut se hâter de leur en donner le dégoût, pour les faire aspirer dès les commencements à un amour pleinement désintéressé. Il faut leur ôter les motifs de la crainte sur la mort, sur les jugements de Dieu, et sur l'Enfer, qui ne conviennent qu'à des esclaves. Il faut leur ôter le désir de la céleste patrie, et retrancher tous les motifs de l'espérance. Après leur avoir fait goûter l'amour pleinement désintéressé, il faut supposer qu'elles en ont l'attrait et la grâce ; il faut les éloigner de toutes les pratiques qui ne sont pas dans toute la perfection de cet amour tout pur. Parler ainsi, c'est ignorer les voies de Dieu et les opérations de sa grâce. C'est vouloir que l'esprit souffle où nous voulons, au lieu qu'il souffle où il lui plaît. C'est confondre les degrés de la vie intérieure. C'est inspirer aux âmes par une recherche précipitée et indiscrète de leur propre perfection l'ambition et l'avarice spirituelle, dont parle le Bienheureux Jean île la Croix. C'est les éloigner de la véritable simplicité du pur amour, qui se borne à suivre la grâce sans entreprendre jamais de la prévenir. C'est tourner en mépris les fondements de la justice chrétienne, je veux dire la crainte qui est le commencement de la sagesse et l'espérance par laquelle nous sommes sauvés. Article IV. Vrai Dans l'état habituel du plus pur amour, l'espérance loin de se perdre, se perfectionne, et conserve sa distinction d'avec la charité : 1° L'habitude en demeure infuse dans l'âme, et elle y est conforme aux actes de cette vertu qui doivent être produits ; 2° L'exercice de cette vertu qui demeure toujours distinguée de celui de la charité : car elle conserve toujours même dans les actes les plus purs et les plus commandez par la charité son motif spécifique sans déroger au désintéressement de cet état : voici comment. Ce n'est pas la diversité de fin éloignée qui fait la diversité ou spécification des vertus. Toutes les vertus ne doivent avoir qu'une seule fin dernière, quoiqu'elles soient distinguées les unes des autres par une véritable spécification. Saint Augustin assure que toute vertu qui nous conduit a la viebienheureuse n'est que l'amour suprême de Dieu « quod si virtus ad beatam vitam nos ducit nihit omnino esse virtutem affirmaverim, ni si summum amorem Dei ». Par l'amour suprême il entend manifestement la charité il ajoute que les vertus ne sont que ce même amour qui prend divers noms, suivant qu'il est appliqué a des affections diverses..Namque illud quod quadripartita dicitur virtus. ex ipsius amoris vario quodam affectu, quantum intelligi dicitur. Saint Thomas dit que la charité est la forme ou la fin de toutes les vertus. C'est pourquoi sa doctrine est comme nous l'avons vu que les actes des vertus qui procèdent de la charité en tant que commandez par elle appartiennent tout ensemble et a l'espèce de la vertu commandée, et à la vertu qui les commande pour les rapporter à sa fin. Ce même saint docteur veut que l'espérance puisse s'étendre sur le prochain comme sur nous-mêmes, alors elle est sans doute pleinement désintéressée, et elle ne laisse pas d'être une vraie espérance quoique sans intérêt. Saint-François de Sales qui a exclus si formellement tout motif intéressé des vertus des âmes parfaites a marché sur les vestiges de saint Augustin et de saint Thomas, il n'ôte point aux vertus inférieures ce qu'elles ont de propre et de spécifique. Mais il a voulu comme les pères que dans l'état des parfaits il n'y eut d'ordinaire aucun reste du motif qu'ils ont nommé mercenaire et qui vient de la cupidité soumise dont parle saint Bernard. Il est donc constant que l'espérance de cet état habituel quoiqu'il ne soit ni fixe ni invariable doit néanmoins être exercée ordinairement par des actes conformes a l'habitude qui eu est dans l'âme, et par conséquent que ces actes ordinaires sont purifiés de tout motif intéressé conformément a la nature de la charité même. Il est vrai que cette âme peut faire quelquefois des actes un peu intéressez qui ne seront pas précisément conformes a ce principe habituel d'amour pur. Mais ces actes ne feront point déchoir l'âme de son état habituel, car une habitude ne se détruit point par quelques actes qui n'ont point de suite constante. Et un état variable n'est point détruit par quelques variations. Il est donc vrai que dans cet état habituel d'amour désintéressé il ne faut plus chercher pour l'ordinaire une espérance exercée par un motif d'intérêt propre : autrement ce serait défaire d'une main ce qu'on aurait fait de l'autre ; ce serait se jouer d'une si sainte tradition ; ce serait affirmer et nier la même chose en même temps ; ce serait vouloir trouver le motif de l'intérêt propre dans l'amour pleinement désintéressé. Il faut donc se bien souvenir, que ce n'est pas la diversité de fins éloignées qui fait la distinction, ou spécification des vertus. Ce qui fait cette distinction, est la diversité des objets formels. Afin que l'espérance demeure véritablement distinguée de la charité, il n'est pas nécessaire qu'elles aient des fins éloignées qui soient différentes : au contraire, pour être bonnes et parfaites, elles doivent se rapportera la même fin dernière. Il suffit que l'objet formel de l'espérance ne soit pus l'objet formel de la charité. Or est-il, que dans l'état habituel de l'amour le plus désintéressé, les deux objets formels de ces deux vertus demeurent très différents ; donc ces deux vertus conservent en cet état une distinction et une spécification véritable dans toute la rigueur scolastique. L'objet formel de la charité est la bonté ou beauté de Dieu prise simplement et absolument en elle-même, sans aucune idée qui soit relative à nous. L'objet formel de l'espérance est la bonté de Dieu, en tant que bonne pour nous et difficile à acquérir ; Or est-il que ces deux objets, pris dans toute la précision la plus rigoureuse et suivant leur concept formel, sont très différents. Donc en cet état la différence des objets conserve la distinction ou spécification de ces deux vertus. Il est constant que Dieu en tant que parfait eu lui même et sans rapport à mon intérêt ; et Dieu, en tant qu'il est mon bien que je veux tâcher d'acquérir, sont deux objets formels très différents. Il n'y a aucune confusion du côté de l'objet qui spécifié les vertus ; il n'y en a que du côté de la fin éloignée et dernière, et cette confusion y doit être : elle n'altère en rien la spécification des vertus. L'unique difficulté qui reste, est d'expliquer comment une unie pleinement désintéressée peut vouloir Dieu, en tant qu'il est son bien. N'est-ce pas, dira-t-on, déchoir de lu perfection de son désintéressement, reculer dans la voie de Dieu, et revenir à un motif d'intérêt propre, malgré cette tradition des Saints de tous les siècles qui excluent du troisième état des Justes tout motif intéressé ? Il est aisé de répondre, que le plus pur amour ne nous empêche jamais de vouloir, et nous fait même vouloir positivement tout ce que Dieu veut que nous voulions. Dieu veut que je veuille Dieu, en tant qu'il est mon bien, mon bonheur, et ma récompense. Je le veux formellement sous cette précision : c'est-à-dire que je le veux par cette raison précise car c'est ainsi que Dieu le veut, et le principe de conformité à la volonté de Dieu renferme autant cette raison précisé de vouloir la chose que la chose même. Je veux l'objet à cause qu'il est bon en lui-même convenable a mon unique fin, et choisi de Dieu par cette raison : mais en un autre sens je ne le veux point parce qu'il est mon bien propre, c'est a dire un bien qui excite ma cupidité soumise. L'objet et le motif intéressé pour vouloir l'objet sont différents ; l'objet est mon intérêt, si on veut absolument se servir de ce terme indécent, mais le motif n'est point intéressé, puisqu'il ne regarde mon intérêt que par le commandement exprès de la pure charité, et pour le bon plaisir de Dieu. Je veux cet objet formel, et dans cette réduplication, comme parle l'École : mais je le veux par pure conformité à la volonté de Dieu qui me le fait vouloir. L'objet formel ou motif spécifique est celui de l'espérance commune de tous les Justes, et c'est l'objet formel qui spécifie les vertus. La fin donnée ou dernière est la même que celle de la charité ; mais nous avons vu que l'unité de fin dernière ne confond jamais les vertus. Je puis sans doute vouloir mon souverain bien en tant qu'il est mon avantage personnel, en tant qu'il est mon souverain bien, en tant qu'il est ma récompense et non celle d'un autre, et le vouloir pour me conformer à Dieu qui veut que je le veuille. Alors je veux ce qui est réellement s'il est permis de parler si peu noblement de la béatitude et ce que je reconnais en ce sens comme le plus grand de tous mes intérêts, sans qu'aucun motif intéressé m'y détermine. En cet état l'espérance demeure distinguée de la charité, sans altérer la pureté ou le désintéressement de sou état. Que si on veut encore aller plus loin et demander qu'on veuille la béatitude par un motif d'amour de cupidité soumise qui est par conséquent intéressé, je réponds qu'il y a dans l'espérance la plus parfaite un motif d'amour de soi-même. Mais je nie qu'il soit nécessairement de cupidité, et par conséquent je nie aussi qu'il soit intéressé suivant l'idée basse et mercenaire du terme d'intéressé qui est naturel à tous les hommes, que les pères aussi bien que les Saints Mystiques ont suivies dans leur langage et qu'on ne peut jamais effacer des esprits, s'aimer par charité comme son prochain ce n'est point être intéressé. Se vouloir du bien par cet amour de charité c'est s'en vouloir avec autant de désintéressement qu'on en voudrait a son prochain. Cet amour de nous même est la charité, et le désir de notre béatitude est aussi pur que la charité qui le commande et qui le rapporte en même temps a sa fin cet amour est celui dont les anges et les saints s'aimeront eux-mêmes éternellement dans le ciel. L'homme qui est sur la terre peut donc et doit toujours désirer attendre en un mot espérer la récompense par le motif qui vient de cet amour de soi même et qui a toute la perfection tout le mérité et tout le désintéressement de la charité. Ce motif est sans doute spécifique et essentiel a l'espérance. Mais il n'a rien de commun avec cet autre motif qu'on nomme intéressé et qui vient de la cupidité soumise. Le motif spécifique de l'espérance n'en est pas moins un vrai motif propre a cette vertu quoiqu'il vienne d'un amour de charité pour nous-mêmes. La charité ne commande point d'autre désir pour nous que celui qu'elle nous inspire. Alors on désire son propre bien et par amour pour soi voudrait-on dire qu'il faut encore nécessairement le vouloir par un amour de cupidité ? L'espérance se conserve donc dans toute sa spécification, quoique ses actes soient expressément commandez et animez par la charité pour les rapporter en même temps a sa fin tou le pure et toute désintéressée. Parler ainsi, c'est conserver la distinction des vertus Thelogales dans les états les plus parfaits de la vie intérieure, et par conséquent ne se départir en rien de la doctrine du saint Concile de Trente. En même temps, c'est expliquer la tradition des pères, des Docteurs de l'école et des saints Mystiques, qui ont supposé un troisième degré de Justes, qui sont dans un état habituel de pur amour sans aucun motif d'intérêt. IV. Faux Dans ce troisième degré de perfection, une aine ne veut plus son salut comme son sai ut, ni Dieu comme sou souverain bien, ni la récompense comme récompense, quoique Dieu veuille qu'on ait cette volonté. D'où il s'ensuit, qu'en cet état on ne peut plus faire aucun acte de vraie espérance distingué de la charité ; c'est a dire, qu'on ne peut plus désirer ni attendre l'effet des promesses eu soi et pour soi même pour la gloire de Dieu. Parler ainsi, c'est mettre la perfection dans la résistance formelle à la volonté de Dieu, qui veut notre salut, et qui veut que nous le voulions pour sa gloire comme notre propre récompense. En même temps c'est confondre l'exercice des vertus théologales, contre la décision du saint Concile de Trente. V. Vrai Il y a deux états différents parmi les âmes justes. Le premier est celui où l'on pratique la sainte résignation dont parle saint François de Sales. L'âme resignée veut, ou du moins voudrait plusieurs choses pour soi, par le motif de son intérêt propre. Saint François de Sales représente la résignation comme ayant encore des désirs propres, mais soumis, la résignation, dit-ilse pratiquepar maniéré d'effort et de.soumission…larésignationpéfère la volonté deDieuentoutes choses. Mais ellene laisse pas d'aimer beaucoupd'autres choses outrela volonté de Dieu. Voilà la cupidité dont parle saint Bernard qui est réglée et soumise par la charité survenance. Or l'indifférence, dit notre saint est au-dessusdetarésignation, carelle n'aime rien sinon pourl'amour delavolonté deD.…Voilà un état d'amour pur ou l'on n'aime plus d'ordinaire ni les créatures ni soi que d'un amour de pure charité. Le cœurindifférentest comme une boule de cire entre les mains de son Dieu pour recevoir semblablement tontes les impressions du bon plaisir éternel, un cœur sans choix également disposé a tout sans aucun autre objet de sa volonté que la volonté de son Dieu ne met point son amour des choses que Dieu veut ainsi en la volonté de Dieu qui les veut.Saint Thomas avant saint François de Sales avait déjà fait cette distinction, et c'est dans cette distinction qu'il a mis la différence des justes parfaits et des justes imparfaits. Les imparfaits selon luiont seulement un amour habituel en sorte qu'ils ne pensent et ne veulent rien de contraire a Dieu Les parfaitsse détachent de tout autant que la nécessité le permet. Quoiqu'ils croissent encore en charité, ce n'est pas la leur principal soin, mais leur principale occupation est d'être unis a Dieu.Sed non est ad hoc principalis eorum cura. Sed jam eorum studium circa hoc maxime versatur ut deo inhaereant.Bellarmin a dit aussi que les imparfaits aiment d'autres choses avec Dieu, mais aucune autant que lui, et que les parfaits ont levé tout empêchement et sont uniquement dévoués a Dieu. Cette résignation soumet et subordonne ses désirs intéressez à la volonté de Dieu, qu'elle préféré à son intérêt. Par là, cette résignation est bonne, et méritoire. Le second état est celui que le même saint nommela très sainte indifférence. L'âme indifférente ne veut plus rien pour soi par le motif de son propre intérêt : elle n'a plus de désirs intéressés à soumettre, parce qu'elle n'a plus d'ordinaire aucun désir intéressé. Il est vrai qu'il lui reste encore des inclinations et des répugnances involontaires, qu'elle soumet ; mais elle n'a plus d'ordinaire de désirs volontaires et délibérés pour son intérêt propre. Il y a néanmoins divers cas ou une aine parfaite fait encore des actes moins désintéressés. Voici ces cas de La grâce de cet état est variable aussi bien que l'état de l'âme. Après un péché véniel, la grâce peut un peu varier et laisser une âme dans un besoin passager de mêler dans quelque acte un motif intéressé ; 2e l'âme peut être touchée par exemple de là béatitude en elle-même dans un moment, sans avoir la vue de remonter alors a la fin supérieure qui est la pure gloire de Dieu ; 3e elle peut recourir au motif intéressé de la béatitude dans certaines tentations violentes ou elle courrait risque de succomber sans cette ressource extraordinaire ; 4° Dieu peut soustraire pour certains moments l'attrait des exercices les plus parfaits pour dénué davantage cette âme et pour lui osier l'appui de son abandon et de son désintéressement même afin de la tenir plus souple et plus dépendante dans sa main. Dans tous ces cas elle fera des actes moins désintéressés sans manquer a sa grâce. Mais il y a un autre cas, qui est le plus ordinaire et ou elle ne coopérerait pas fidèlement a toute sa grâce si elle faisoit de tels actes. C'est dans les occasions ordinaires de son état ou la grâce la porte expressément au parfait désintéressement de l'amour et ou elle ne pourrait revenir aux actes moins désintéressés que par hésitation et par une résistance volontaire à Dieu pour se rechercher par amour-propre. Alors ce serait une espèce d'infidélité. L'âme indifférente, quand elle remplit sa grâce, ne veut donc plus rien d'ordinaire que pour Dieu seul, et que comme Dieu le lui fait vouloir par son attrait. Elle aime, il est vrai, plusieurs choses hors de Dieu, mais elle ne les aime que pour le seul amour de Dieu, et de l'amour de Dieu même qui est l'amour de charité dont elle doit toujours aimer et soi et son prochain ; c'est Dieu qu'elle aime dans tout ce qu'il lui fait aimer. Car elle ne met point son amour es choses que Dieu veut ai ?is en la volonté de Dieu qui les veut. La sainte indifférence n'est que le désintéressement do l'amour, comme la sainte résignation n'est que l'amour mélangé de cupidité ou d'intérêt dans lequel on soumet l'intérêt propre à la gloire de Dieu. L'indifférence s'étend toujours tout aussi loin, et jamais plus loin que le parfait désintéressement de l'amour. Or est-il que le plus grand désintéressement de l'amour ne peut jamais exclure que les désirs intéressez sur le salut et non pas les désirs désintéressés du salut qui consiste essentiellement dans le parfait amour. Donc l'indifférence ne peut jamais exclure absolument le désir du salut. Le désintéressement de l'amour qui est le principe de la sainte indifférence ne peut donc jamais empêcher que nous ne désirions le salut pour nous par charité comme pour le prochain, mais d'une volonté d'autant plus forte que l'amour est plus pur, et nôtre bien est toujours la raison précise pour laquelle nous le voulons. Comme ceste indifférence est l'amour même, c'est un principe très réel et très positif. C'est une volonté positive et formelle, qui nous fait vouloir ou désirer réellement toute volonté de Dieu qui nous est connue. Ce n'est point une indolence stupide, une inaction intérieure, une non-volonté, une suspension générale, un équilibre perpétuel de l'aine. An contraire, c'est une détermination positive et constante de vouloir tout et de ne vouloir rien, comme parle le Cardinal Bona. Aussi voyons-nous que saint François de Sales représente l'indifférence comme un principe actif et fécond en volontés distinctes, quoique désintéressée. L'indifférence, dit-il, est an dessus de la résignation, car elle n'aime rien sinon pour l'amour de la volonté de Dieu, vous voyiez donc que cette indifférence aime et qu'elle a un amour réel avec des motifs précis, lin cet état on ne veut rien pour soi c'est a dire par un amour de soi qui ne soit point de pure charité ; mais on veut tout pour Dieu : et comme on s'aime en Dieu on se désire tous les biens qui nous conviennent dans l'ordre de Dieu et dans la subordination des fins qu'il s'est proposées : on ne veut rien par le désir d'être parfait ou bienheureux, pour son propre intérêt ; car le propre intérêt est un amour de soi que la charité ou amour de la justice éternelle ne met point dans le cœur. Mais il y a un autre amour plus pur et très désintéressé par lequel on exerce les vertus pour être parfait et heureux selon le bon plaisir de Dieu. Ainsi on veut toute perfection et toute béatitude, autant qu'il plaît à Dieu de nous faire vouloir ces choses, par l'impression de sa grâce, suivant sa volonté écrite, qui est toujours nôtre réglé inviolable. En cet état on ne veut plus le salut par le motif intéressé de ce qu'il est le salut propre, la délivrance éternelle, la récompense de nos mérités, et qu'on pourrait même nommer improprement le plus grand de tous nos intérêts : mais on le veut d'une volonté pleine, comme la gloire et le bon plaisir de Dieu, comme une chose qu'il veut, qu'il veut que nous voulions pour lui, et que nous voulions aussi pour nous par un amour de nous-mêmes qui étant de charité porte avec soi le désintéressement le plus parfait. Il y aurait une extravagance manifeste à refuser par pur amour de s'aimer ainsi, et de vouloir le bien que Dieu veut nous faire, puisqu'il nous commande de le vouloir avec lui. L'amour le plus désintéressé doit vouloir ce que Dieu veut pour nous, comme ce qu'il veut pour autrui. La détermination absolue à ne rien vouloir, ne serait plus le désintéressement, mais l'extinction de l'amour, qui renferme un désir et une volonté véritable : elle ne serait plus la sainte indifférence ; car l'indifférence est l'état d'une âme également preste à vouloir ou à ne vouloir pas, à vouloir pour Dieu tout ce qu'il veut, et à ne vouloir jamais pour soi ce que Dieu ne témoigne point vouloir : au lieu que celte détermination insensée à ne vouloir rien, est une résistance impie à toutes les volontés de Dieu connues et à toutes les impressions de sa grâce. C'est donc une équivoque facile et importante a lever, que de dire qu'on ne désire point son salut comme saint François de Sales l'a dit en ces termes. Il est bon de désirer son salut, mais il est encore meilleur de ne rien désirer. On le désire pleinement comme volonté de Dieu comme le principal moyeu de sa glorification dans les âmes, comme notre bien souverain que nous sommes obligés de vouloir et de nous procurer pour la gloire de Dieu par un amour de charité pour nous-mêmes. Il y aurait un blasphème horrible à le rejeter en ce sens, et il faut parler toujours là-dessus avec beaucoup de précaution. Il est vrai seulement qu'on ne le veut pas par le motif intéressé de ce qu'il est nôtre récompense, notre bien, et nôtre félicité c'est a dire en un mot que nous pouvons dans la plus haute perfection cesser d'ordinaire de le vouloir avec cet amour de nous-mêmes que saint Bernard nomme une cupidité réglée par la charité parce qu'alors c'est d'ordinaire par le seul amour de charité que nous nous aimons et que nous nous désirons le plus grand des biens. C'est donc en ce sens et jamais en aucun autre que saint François de Sales a dit, s'il y avait un peu plus du bon plaisir de Dieu en Enfer, les Saints quitteraient le Paradis pour y aller. Et encore ailleurs.Le désir de la vie éternelle est bon, mais il ne faut désirer que la volonté de Dieu. Et encore ailleurs, si nous pouvions servir Dieu sans mérite, nous devrions désirer de le faire. Et encore ailleurs, l'indifférence est au-dessus de la résignation, car elle n'aime rien sinon pour la volonté de Dieu : si qu'aucune chose ne louche le cœur indiffèrent en la présence de la volonté de DIEU… Le cœur indiffèrent est comme une boule de cire entre les mains de son Dieu, pour recevoir semblablement toutes les impressions du bon plaisir éternel. C'est un cœur sans choix, également disposé à tout, sans aucun autre objet de sa volonté que la volonté de Dieu ; qui ne met point son amour es choses que Dieu veut, ains en la volonté de Dieu qui les veut. En somme le bon plaisir de Dieu est le souverain objet de l'aine indifférente. Partout où elle le voit elle court à l'odeur de ses parfums, et cherche toujours l'endroit ou il y en a plus sans considération d'aucune autre chose. Il est conduit par sa divine volonté comme par un lien très aimable, et partout ou elle va il la suit. Il aimerait mieux l'enfer avec la volonté de Dieu que le paradis sans la volonté de Dieu. Ouy même il prefereroit l'enfer au paradis s'il savait qu'en celui-là il y eut un peu plus du bon plaisir divin qu'en celui-ci en sorte que si par imagination de chose impossible il savait que sa damnation fut un peu plus agréable a Dieu que sa salvation, il quitterait sa salvation et courrerait a sa damnation. Telle est selon saint François de Sales l'âme indifférente quand elle regarde son salut. Il ne faut pourtant pas s'imaginer qu'elle puisse jamais être dans une réelle indifférence ou suspension de volonté sur son salut. Elle peut bien avoir une réelle suspension de volonté a l'égard des événements de la vie, avant qu'ils arrivent ; parce qu'elle ignore alors la volonté de Dieu qu'on nomme de bon plaisir dans l'école, et dont elle attend la décision. Mais elle ne peut point pratiquer la même suspension de volonté à l'égard des choses telles que le salut ou elle a toujours devant les yeux une volonté signifiée par les saintes Écritures, et qui est invariable. Encore même la sainte indifférence n'est-elle jamais en rigueur une entière non-volonté pour les événements de la vie qui appartiennent a la volonté de bon plaisir. Avant que Dieu les décide l'âme se conforme par avance dans son abandon a l'événement futur quoiqu'inconnu. Dès qu'il arrive il n'est plus une volonté de bon plaisir, il devient une volonté de signe, car les volontés de Dieu ne nous sont pas moins signifiées par la décision de sa Providence, que par sa loi. Ainsi les volontés de bon plaisir et de signe qui méritent d'être soigneusement distinguées ne laissent pas de se réunir dans le cas précis ou les événements sont arrivés par la décision de la Providence. Et ce cas précis est celui ou il s'agit de vouloir. L'événement même en est la signification. C'est a l'égard de ces choses si certainement signifiées que saint François de Sales veut que l'âme indifférente ne mette point son amour des choses que Dieu veut, ainsi en la volonté de Dieu qui les veut. Dira-t-on qu'on doit vouloir moins parfaitement et d'une manière moins désintéressée les choses qui sont de la volonté signifiée que celles de la volonté de bon plaisir. Ce serait une opinion bien indécente. Quoi les parfaits voudront les événements non écrits sans intérêt propre, et ils seront obligé de vouloir avec intérêt propre les choses ou la volonté de Dieu est declarée dans l'écriture ! Les livres divins sont-ils écrits pour nous faire vouloir moins purement les choses qui y sont écrites que celles qui ne le sont pas ? Il est donc manifeste qu'il faut pour la perfection vouloir avec une égale pureté et un égal désintéressement les volontés de Dieu écrites et les volontés non écrites. Plus les choses que Dieu veut pour nous sont parfaites et convenables a sa gloire, plus nous devons les vouloir avec un désintéressement parfait pour sa gloire. Les parfaits doivent donc désirer avec un désintéressement encore plus parfait leur souverain bien, que les biens inférieurs qui sont renfermés dans les événements de la vie. La béatitude céleste mérite sans doute un amour plus parfait que le gain d'un procès, ou quelque consolation même spirituelle. De plus nous avons déjà remarqué ce qui est décisif qui est que nous ne pouvons vouloir distinctement les événements de la vie que quand ils sont arrivés. Alors la volonté de bon plaisir devient comme nous l'avons vu une volonté signifiée. C'est dans ce cas ou sommes obligés précisément de vouloir la chose que la distinction des deux volontés de Dieu est déjà cessée. L'unique différence réelle entre le salut et un événement de la vie, c'est que pour l'événement j'attends jusqu'à son arrivée la signification de la volonté de Dieu, jusques la je ne veux cet événement que d'une volonté générale. Cette volonté générale est pourtant réelle. La suspension ou indifférence n'est jamais non pas même alors une non-volonté absolue, car je veux par avance réellement ce qui arrivera, sans savoir précisément ce qui doit arriver. Pour le salut la signification en est toujours toute faite et invariable dans les écritures. À cet égard ma volonté n'est jamais et ne peut jamais être en aucune suspension. Elle reçoit à tout moment pour parler le langage de saint François de Sales le contrepoids qui lui vient de la volonté divine signifiée dans les ecritures, mais toutes les fois que l'âme indifférente veut distinctement un événement déjà arrivé, elle le veut d'une volonté aussi pleine que le salut, parce qu'alors ces 2 choses sont également de volonté signifiée, et toutes les fois qu'elle veut le salut, elle le veut d'une volonté aussi désintéressée pour la gloire de Dieu que le moindre événement de la vie. C'est pourquoi saint François de Sales parle ainsi. Il n'est pas seulement requis de ?nous reposer en la divine providence pour ce qui regarde les choses temporelles, mais beaucoup plus pour ce qui appartient il nôtre vie spirituelle et a notre perfection ailleurs il dit. Soit pour ce qui regarde l'intérieur, soit pour ce qui regarde l'extérieur, ne veuillez rien que ce que Dieu voudra pour vous. Enfin il dit dans un autre endroit : Je n'ai presque point de désirs, mais si j'étais à renaître je n'en aurais point du tout. Si Dieu venait à moi, j'irai aussi à lui : s'il ne vau lois pas venir à moi je me tiendrais là, et n'irais pas à lui. C'est-à-dire qu'il ne voulait point chercher Dieu avec empressement par des désirs intéressez pour sa perfection et pour son bonheur, sans cesser néanmoins de demeurer uni a lui par un amour fidèle, et de se désirer a soy même par principe de charité tous les biens promis. Je ne rapporte ici tous ces passages que pour montrer aux mystiques a quoi se doivent toujours réduire les expressions les plus fortes dont ils pourraient abuser en retranchant les désirs essentiels a la vie intérieure. Les autres Saints des derniers siècles, qui sont autorisés dans toute l'Église, ont beaucoup d'expressions semblables. Elles se réduisent toutes à dire qu'on n'a plus d'ordinaire aucun désir propre et intéressé ni sur le mérité, ni sur la perfection, ni sur la béatitude éternelle. Parler ainsi, c'est ne laisser aucune équivoque dans une matière si délicate on l'on n'en doit jamais souffrir ; c'est prévenir tous les abus qu'on pourrait faire de la chose la plus précieuse et la plus sainte qui soit sur la terre, je veux dire le pur amour ; c'est parler comme les Peres, comme les principaux Docteurs de l'École, et comme les saints mystiques. Enfin c'est parler conformément a notre oe proposition dont voici les termes. Tout chrétien en tout état quoique non à tout moment, est obligé de vouloir désirer et demander explicitement son salut éternel comme une chose que Dieu veut, et qu'il veut que nous voulions pour sa gloire. Voilà l'endroit ou nous avons voulu prévenir toutes les illusions d'un désintéressement excessif ; et ou nous avons pris soin de marquer avec la plus rigoureuse précaution en quoi consiste le désir du salut qui est essentiel dans tout état ou degré de vie intérieure. Si le désir du salut par le motif intéressé c'est a dire par le principe de cupidité soumise eut été nécessaire en tout état de perfection, et si l'état habituel d'amour désintéressé eut été une nouveauté dangereuse, il eut été capital de le décider en cet endroit : c'était précisément de quoi il s'agissait pour réprimer l'illusion. Nous aurions été inexcusables de n'établir pas clairement cette nécessité de désirer notre salut par le motif intéressé de cupidité soumise comme un devoir essentiel du christianisme. Nous aurions du dire. Tout chrétien en tout état quoique non à tout moment est obligé d'aimer Dieu par le motif de son propre intérêt, et par un amour de soi même différent de la charité. Il faut pour le salut même désirer le salut pour son propre intérêt. Si dans certains moments on aime Dieu par transport passager sans ce motif d'intérêt, et par simple abstraction momentanée, on est obligé néanmoins d'y revenir aussitôt après, parce qu'il n'y a jamais dans la condition de voyageur aucun état habituel d'amour désintéressé. Loin de faire cette décision qui eut etc essentielle et si elle eut été vraie, nous avons tout au contraire pris grand soin de l'éviter dans nos expressions. Nous nous sommes contentés d'exiger le désir du salut comme d'une chose que Dieu veut et qu'il veut que nous voulions pour sa gloire.Ce qui suppose qu'on peut en un certain état ne le vouloir d'ordinaire qu'en cette manière pleinement désintéressée et de pure conformité a l'ordre de Dieu tant sur le salut que sur la raison de le vouloir. Après avoir donné dans la 5e proposition cette idée du désir désintéressé du salut nous avons ajouté dans la 9e que la sainte indifférence ne s'étend point sur le salut et sur les choses qui y ont rapport. Eu effet le désintéressement de l'amour ne peut jamais nous rendre indifférents c'est a dire sans aucune volonté pour le salut considéré suivant cette idée, comme d'une chose que Dieu veut que nous voulions pour sa gloire. Ce qui est essentiel, c'est de ne dispenser jamais aucune âme sous prétexte de perfection de ce désir explicite du salut et de toutes les choses qui vont rapport, quoique le motif intéressé ou de cupidité soumise à l'égard de la béatitude ne soit de précepte pour aucun état, mais seulement proposé comme utile dans l'état moins parfait. V. Faux La sainte indifférence est une suspension absolue de volonté, une non-volonté entière, une exclusion de tout désir même désintéressé. Elle s'étend plus loin que le parfait désintéressement de l'amour. Elle ne veut point pour nous les biens éternels que la sainte Écriture nous enseigne que Dieu nous veut donner, et, qu'il veut que nous désirions recevoir en nous et pour nous par le motif de sa gloire. Tout désir même le plus désintéressé du salut est imparfait. La perfection consiste à ne vouloir plus rien, à ne désirer plus non seulement les dons de Dieu, mais encore Dieu même, et à le laisser faire en nous ce qu'il lui plaise, sans que nous y mêlions de notre part aucune volonté réelle et positive. Parler ainsi, c'est confondre toutes les idées de la raison humaine ; c'est mettre une perfection chimérique dans une extinction absolue du Christianisme, et même île l'humanité. On ne peut trouver de termes assez odieux pour qualifier une extravagance si monstrueuse. Article VI. Vrai. La sainte indifférence, qui n'est que le désintéressement de l'amour loin d'exclure les désirs désintéressés est le principe réel et positif de tous les désirs désintéressés que la volonté de Dieu écrite nous commande, et de tons ceux que la grâce nous inspire. C'est ainsi que Daniel fut nommé l'homme des désirs. C'est ainsi que Psalmiste disait à Dieu. Tous mesdésirs sont devant vos yeux. Non seulement l'aine indifférente désire pleinement son salut, en tant qu'il est le bon plaisir de Dieu et son propre bien ; mais encore la persévérance, la correction de ses défauts, l'accroissement de l'amour par celui des grâces, et généralement sans aucune exception tous les biens spirituels, et même temporels qui sont, dans l'ordre de la providence, une préparation de moyens pour notre salut, et pour celui de nôtre prochain. La sainte indifférence admet, non seulement des désirs distincts et des demandes expresses, pour l'accomplissement de toutes les volontés de Dieu qui nous sont connues ; mais encore des désirs généraux pour toutes les volontés de Dieu que nous ne connaissons pas et qui regardent les événements de la vie. Parler ainsi, c'est parler suivant les vrais principes delà sainte indifférence, et conformément aux sentiments des Saints dont toutes les expressions, quand on les examine de prés par ce qui précédé et par ce qui suit, se réduisent sans peine à cette explication pure et saine dans la Foi. Article VI. Faux. La sainte indifférence n'admet aucun désir distinct, ni aucune demande formelle pour aucun bien ni spirituel ni temporel, quelque rapport qu'il ait ou à nôtre salut ou à celui de nôtre prochain. Il ne faut jamais admettre aucun des désirs pieux et édifiants auxquels nous nous pouvons trouver portez intérieurement. Tous les désirs et toutes les demandes faites par charité pour nous mêmes et qui tendent a nous faire recevoir le plus grand des biens sont des actes intéressez qui diminuent la perfection de l'état de pur amour. Parler ainsi, c'est s'opposer à la volonté de Dieu, sous prétexte de s'y conformer plus purement ; c'est violer la Loi de Dieu, qui nous commande des désirs, quoiqu'elle ne nous commande pas de les former d'une manière intéressée, inquiète ou toujours distincte. C'est éteindre le véritable amour par un raffinement insensé : c'est condamner avec blasphème les paroles de l'Écriture, et les prières de l'Église, qui sont pleines de demandes et de désirs. C'est s'excommunier soi-même et se mettre hors d'état de pouvoir ‘jamais prier ni de cœur ni de bouche dans l'assemblée des fidèles. C'est se refuser a soi-même l'amour de charité que nous ne nous devons pas moins qu'a nos frères. C'est par un vain et pernicieux raffinement d'amour violer le grand précepte de l'amour même. Article VII. Vrai. Il n'y a aucun état ni d'indifférence, ni d'aucune autre perfection connut- dans l'Église, qui donne aux âmes une inspiration miraculeuse ou extraordinaire. La perfection des voies intérieures ne consiste que dans une voie de pur amour qui aime Dieu sans aucun intérêt, et de pure foi, où l'on ne marche que dans les ténèbres, et sans autre lumière que celle de la Foi même qui est commune à tous les chrétiens. Cette obscurité de la pure Foi ne donne par elle-même aucune lumière extraordinaire. Ce n'est pas que Dieu, qui est le maître de ses dons, ne puisse y donner des extases, des visions, des révélations, des communications intérieures. Mais elles no sont point attachées à cette voie de pure foi, et les Saints nous apprennent, qu'il ne faut point alors s'arrêter volontairement à ces lumières extraordinaires, pour s'en faire un appui secret, mais les outre passer, comme dit le bien heureux Jean de la Croix, et demeurer dans la Foi la plus nue et la plus obscure. À plus forte raison faut-il se garder de supposer dans les voies dont nous parlons, aucune inspiration miraculeuse ou extraordinaire par laquelle les âmes indifférentes se conduisent elle- mêmes. Elles n'ont pour réglé que la loi de Dieu commune a tous les chrétiens, et que la grâce actuelle qui est toujours conforme à cette Loi. À l'égard des préceptes, elles doivent toujours présupposer sans hésiter ni raisonner, que Dieu n'abandonne personne s'il n'en a pas été abandonné auparavant ; et par conséquent, que la grâce toujours prévenante les inspire toujours pour l'accomplissement du précepte, dans le cas où il doit être accompli. Ainsi c'est à elles à coopérer de toutes les forces de leur volonté, pour ne manquer pas à la grâce par une transgression du précepte. Pour les cas où les conseils ne se tournent point en préceptes, elles doivent sans se gêner faire les actes ou de l'amour en général, ou de certaines vertus distinctes en particulier, suivant que l'attrait intérieur de la grâce les incline plùtost aux uns qu'aux autres en chaque occasion. Ce qui est certain, c'est que la grâce les prévient pour chaque bonne action, que cette grâce, qui est le souffle intérieur de l'esprit de Dieu, les inspire ainsi en chaque occasion : que cette inspiration n'est que celle qui est commune à tous les Justes, et qui ne les exempte jamais en rien de toute l'étendue de la loi de Dieu ; que cette inspiration est seulement plus forte et plus spéciale dans les âmes élevées au pur amour, que dans celles qui n'ont en partage que l'amour moins désintéressé : parce que Dieu se communique plus aux parfaits qu'aux imparfaits. Ainsi quand quelques saints mystiques ont admis dans la sainte indifférence les désirs inspirez, et ont rejeté tous les autres ; il faut bien se garder de croire qu'ils ayant voulu exclure les désirs et les autres actes commandés par la loi de Dieu, et n'admettre que ceux qui sont extraordinairement inspirez. Le cardinal Pierre d'Ailly qui était tout ensemble un grand théologien et un fervent contemplatif a dit-il est vrai que l'inspirationconsistedans la parole intérieure : car comme dit saint Augustin sur la genese a la lettre la sagesse de Dieu ne cesse de parler par une inspiration secrète a lacréatureintelligente l'épouse a l'expériencede ce langage quand elle dit. C'est la voix de mon bien aimé qui frappe a la porte. Et encore mon âme s'est fondue edès que le bien-aimé a parlé. Cette voix et ce langage du bien-aimé ne doivent être pris pour rien d'extérieur ni de sensible, mais pour quelque chose d'intérieur et de spirituel, car comme dit saint Grégoire Dieu parle intérieurement d'une manière silencieuse se faisant entendre par une expression insensible. « Loquitur Deus intrinsecus silenter, sonans invisibili lingua ». Mais cet auteur qui parle ainsi de l'inspiration intérieure des âmes élevées a la contemplation veut toujours 3 choses : 1° que cette inspiration ne soit que celle de la grâce dans la voie de la foi ; 2° qu'elle soit toujours réglée par l'obéissance : 3° qu'elle ne dispense jamais des désirs essentiels a l'espérance et aux autres vertus évangéliques. Blosius a dit aussi que l'âme voit et comprend clairement pour elle et pour les autres ce qu'il faut faire et ne faire pas. Il ajoute quedans le doute la chose a laquelle on est le plus souvent attiré est l'attrait de Dieu pourvu qu'elle ne soit pas contraire aux saintes lettres ni aux dogmes de l'église. Voilà lesexpériencesdes mystiques réduites a la doctrine dont les pasteurs sont les dépositaires. Mais comme Blosius craignait avec raison que des âmes indiscrètes n'abusassent de cette liberté, de l'esprit pour s'attacher a un attrait intérieur souvent imaginaire, il déclare que dans les choses importantes il faut consulter les personnes expérimentées à cause desartifices dudémonqui se transforme en ange de lumière. Le père Surin dont les ecrits ont été approuvés par M. de de Meanx parle à peu près de même, l'aine, dit-il retranche même les bons désirs, excepté les désirs particuliers que Dieu lui donne des choses qui sont de sa volonté… Quand il plaît a Dieu que l'aine fasse quelque chose, il lui donne un désir paisible qui ne prejudicio point a cette indifférence… C'est une connaissance expérimentale que l'âme a que N. S. s'unit a elle qui réveille toutes ses pensées au besoin et lui suggéré les images et formes, quand il faut opérer discourir ou agir pour sa gloire. Mais toutes ces choses ne supposent point une inspiration miraculeuse, ni différente de celle que tous les chrétiens reconnaissent dans la grâce prévenante, l'état de pure foi ne peut jamais donner par lui-même que cette inspiration de la grâce qui ne nous rend ni infaillibles, ni impeccables, ni assurez dans nôtre voie, ni indépendants de la conduite de nos supérieurs. Reconnoitre dans un certain degré d'oraison ou de perfection une inspiration évidente ce serait détruire l'état de pure foi. Reconnoitre cette inspiration comme supérieure aux règles communes et a l'obéissance ce serait blasphémer contre la loi, et en même temps élever au-dessus d'elle une inspiration fanatique. Les désirs et les autres actes inspirés dont ces saints Mystiques ont voulu parler sont ceux que la Loi commande, ou ceux que les conseils approuvent, et qui sont formez dans une âme indifférente ou désintéressée, par l'inspiration de la grâce toujours provenante, sans qu'il s'y môle d'ordinaire aucun empressement intéressé de l'âme pour prévenir la grâce. Ainsi tout se réduit à la lettre de la Loi, et à la grâce provenante du pur amour, à laquelle l'aine coopéré ans le prévenir. Parler ainsi, c'est expliquer le vrai sens des bons Mystiques ; c'est lever toutes les équivoques qui peuvent séduire les uns et scandaliser les autres ; c'est precautionner les âmes contre tout ce qui est suspect d'illusion ; c'est conserver la forme des paroles saines, comme saint Paul le recommande. Article VII. Faux Les âmes établies dans la sainte indifférence, ne connaissent plus aucun désir même désintéressé que la Loi de Dieu les oblige à former. Elles rejettent comme intéressez tous les désirs qui tendent a obtenir de Dieu nôtre perfection ou notre béatitude. Elles ne doivent plus désirer que les choses qu'une inspiration miraculeuse ou extraordinaire les porte a désirer sans dépendance de la Loi ; elles sont s'il est permis de parler ainsi agis ou mues de Dieu et instruites par lui sur chaque chose, de maniéré que Dieu seul désire en elles et pour elles ; sans qu'elles aient aucun besoin d'y coopérer par leur libre arbitre. Leur sainte indifférence qui contient éminemment tous les désirs, les dispense d'on former jamais aucun. Leur inspiration est leur seule règle. Parler ainsi, c'est éluder tous les préceptes et tous les conseils sous prétexte de les accomplir d'une façon plus éminente ; c'est établir dans l'Église un acte de fanatiques impies ; c'est oublier que Jésus Christ est venu sur la terre, non pour dispenser de la Loi ni pour en diminuer l'autorité, mais au contraire pour l'accomplir et pour la perfectionner : en sorte que le Ciel et la terre passeront avant que les paroles du Sauveur prononcées pour confirmer la Loi puissent passer. Enfin c'est contredire grossièrement tous les bons mystiques, et renverser de fond en comble tout leur système de pure foi qui est manifestement incompatible avec toute inspiration miraculeuse ou extraordinaire qu'une âme suivrait volontairement comme sa règle et sou appuie pour se dispenser d'accomplir la Loi. Article VIII. Vrai La sainte indifférence qui n'est jamais que le désintéressement de l'amour, devient dans les plus extrêmes épreuves ce que les saints mystiques ont nommé abandon ; c'est-à-dire que l'âme désintéressée s'abandonne totalement et sans réserve à Dieu pour tout ce qui regarde son intérêt propre ; mais elle ne renonce jamais ni à l'amour, ni à aucune des choses qui intéressent la gloire et le bon plaisir du bien-aimé. Cet abandon n'est que l'abnégation la plus parfaite ou le renoncement le plus entier de soi-même que Jésus Christ propose dans l'Évangile a ses disciples, comme ce qui reste a faire après qu'on aura tout quitté au dehors. Cette abnégation de nous-même n'est que pour l'intérêt propre ou cupidité soumise, et ne doit jamais empêcher l'amour désintéressé que nous nous devons à nous-mêmes comme au prochain pour l'amour de Dieu. Les épreuves extrêmes où cet abandon doit être exercé, sont les tentations par lesquelles Dieu jaloux veut purifier l'amour, en ne lui faisant voir d'une manière sensible, et réfléchie pour sa consolation aucune ressource ni aucune espérance pour son intérêt propre, même éternel. Ces épreuves sont représentées par un très grand nombre de saints comme un purgatoire terrible, qui peut exempter du Purgatoire de l'autre vie les âmes qui le souffrent avec une entière fidélité. On peut voir ce qu'en ont dit saint François d'Assise dans son grand cantique d'amour de charité, la bienheureuse Angele de Foligny, Sainte-Catherine de Gênes, le bienheureux Jean de lu Croix, saint François de Sales et un grand nombre d'antres saints. II n'appartient, comme le cardinal Bona l'assure, qu'a des insensés et à des impiesde refuserdecroire ces choses sublimesetsecrètes, et delesmépriser comme fausses, quoiqu'elles ne soient pasclaires, lors qu'elles sont attestées pardeshommes d'une vertutrès vénérable, qui parlent sur leur propreexpériencedeceque Dieu fait dansles cœurs.Ces épreuves ne sont que pour un temps. Plus les aines y sont fidèles à la grâce pour se laisser purifier de tout intérêt propre par l'amour jaloux, plus ces épreuves sont courtes. C'est d'ordinaire la résistance secrète des âmes à la grâce sous de beaux prétextes, c'est leur effort intéressé et empressé pour retenir les appuis sensibles dont Dieu veut les priver, qui rend leurs épreuves si longues et si douloureuses : car Dieu ne fait point souffrir sa créature pour la faire souffrir. Ce n'est que pour la purifier et pour vaincre ses résistances, ou pour augmenter sa perfection. Les tentations qui purifient l'amour de tout intérêt propre, ne ressemblent point aux autres tentations communes. Les Directeurs expérimentez peuvent les discerner à des marques certaines. Mais rien n'est si dangereux que de prendre les tentations communes des commençants pour les épreuves qui vont a l'entière purification de l'amour dans les âmes les plus éminentes. C'est la source de toute illusion : C'est ce qui fait tomber dans des vices affreux des âmes trompées. Il ne faut supposer ces épreuves extrêmes que dans un très petit nombre d'aines très pures et très mortifiées, en qui la chair est depuis longtemps très soumise à l'esprit, et qui ont pratiqué solidement toutes les vertus évangeliques. Il faut que ce soit des âmes humbles et ingénues, jusques à être toutes prête à faire une confession publique de leurs misères. Il faut qu'elles soient dociles, jusqu'à n'hésiter jamais volontairement sur aucune des choses dures et humiliantes qu'on peut leur commander. Il faut qu'elles ne soient attachées à aucune consolation ni à aucune liberté ; qu'elles soient détachées de tout, et même de la voie qui leur apprend ce détachement ; c'est-à-dire qu'elles soient disposées à toutes les pratiques qu'on voudra leur imposer ; qu'elles ne tiennent ni à leur genre d'oraison, ni à leurs expériences, ni à leurs lectures, ni aux personnes qu'elles ont consulté autrefois avec confiance. Il faut avoir éprouvé que leurs tentations sont d'une nature différente des tentations communes en ce que le vrai moyen de les apaiser est de n'y vouloir point trouver un appui aperçu pour le propre intérêt. Parler ainsi, c'est répéter mot à mot les expériences des saints qu'ils ont raconté eux-mêmes. C'est en même temps prévenir les inconvénients très dangereux, où l'on pourrait tomber par crédulité, si l'on admettoit trop facilement dans la pratique ces épreuves qui sont très rares ; parce qu'il y a très peu d'âmes qui soient arrivées à cette perfection, où il n'y ait plus d' ordinaire à purifier, que les restes de cet iuterest propre ou de cette cupidité soumise et mêlée avec l'amour divin. En parlant de cette dernière purification je ne prétends pas exclure celle des fautes vénielles dont nous parlerons expressément dans la suite et qui est toujours nécessaire dans les états les plus parfaits du pèlerinage de cette vie. VIII. Faux Les épreuves intérieures ôtent pour toujours les grâces sensibles et les grâces aperçues. Elles suppriment pour toujours les actes distincts de l'amour et des vertus. Elles mettent une âme dans une impuissance réelle et absolue de s'ouvrir à ses supérieurs, ou de leur obéir par la pratique essentielle de l'Évangile. Elles ne peuvent être discernées d'avec les tentations communes. On peut, dans cet état, se cacher à ses supérieurs, se soustraire au joug de l'obéissance, et chercher dans des livres ou dans des personnes sans autorité le soulagement et la lumière dont on a besoin, quoique les supérieurs le défendent. Le Directeur peut supposer qu'on est dans ces épreuves, sans avoir auparavant éprouvé à fond l'état d'une âme sur la sincérité, sur la docilité, sur la mortification, sur l'humilité. Il peut d'abord appliquer cette âme à purifier son amour de tout intérêt propre dans la tentation, sans lui faire faire aucun acte intéressé pour résister à la tentation qui la presse. Parler ainsi, c'est empoisonner les âmes ; c'est leur ôter les armes de la Foi nécessaires pour résister à l'ennemi de notre salut ; c'est confondre toutes les voies de Dieu ; c'est enseigner la rébellion et l'hypocrisie aux enfants de l'Église. Article IX. Vrai Une âme qui dans ces épreuves extrêmes s'abandonne à Dieu, n'est jamais abandonnée par lui. Si elle demande dans le transport de sa douleur à être délivrée, Dieu 11e refuse de l'exaucer qu'à cause qu'il veut perfectionner sa forme dans l'infirmité, et que sa grâce lui suffit. Elle ne perd en cet état ni le pouvoir véritable et complet dans le genre de pouvoir pour accomplir réellement les préceptes, ni celui de suivre les plus parfaits conseils suivant sa vocation et son degré présent de perfection, ni les actes réels et intérieurs de son libre arbitre pour cet accomplissement. Elle ne perd ni la grâce prévenante, ni la Foi explicite, ni l'espérance en tant qu'elle est un désir et une attente désintéressée des promesses, ni l'amour de Dieu, ni la haine extrême du péché même véniel, ni la certitude intime et momentanée qui est nécessaire pour la droiture de la conscience. Elle ne perd que le goût sensible du bien, que la ferveur consolante et affectueuse, que les actes empressez et intéressez des vertus, que la certitude qui vient après coup et par réflexion intéressée pour se rendre à soi même un témoignage consolant de sa fidélité ces actes directs, et qui échappent aux réflexions de l'âme, mais qui sont très réels et qui conservent en elle toutes les vertus sans tache, sont comme j'ay déjà dit, l'opération que saint François de Sales met dans la pointe de l'esprit, ou dans la cime de l'âme. Alors les vertus concentrées dans les actes les plus intimes de l'aine sont comme les plantes pendant 1 hiver. Elles ne fleurissent pas au-dehors. Mais elles conservent sous la glace et dans la neige une racine profonde et une nourriture secrète qui prépare pour la belle saison des fruits abondants. Cet état de trouble et d'obscurcissement qui n'est que pour un temps, n'est pas même dans toute sa durée sans intervalles paisibles, où certaines lueurs de grâces très sensibles sont comme des éclairs dans une profonde nuit d'orage, qui ne laissent aucune trace après eux. Parler ainsi, c'est parler également suivant le dogme catholique, et suivant les expériences des saints mystiques. IX. Faux Dans ces épreuves extrêmes, une âme sans avoir été auparavant infidèle à la grâce, perd le vrai et plein François de Sales a nommé la pointe de l'esprit, ou la cime de l'âme. Cet état… pouvoir de persévérer dans son état : elle tombe dans une impuissance réelle d'accomplir les préceptes dans les cas où les préceptes pressent. Elle cesse d'avoir la Foi explicite dans les cas où la Foi doit agir explicitement ; elle cesse d'espérer, c'est a dire d'attendre et de désirer, même d'une manière désintéressée, l'effet des promesses en elle ; elle n'a plus l'amour de Dieu ni perceptible ni imperceptible ; elle n'a plus la haine du péché ; elle en perd non seulement l'horreur sensible et refléchie, mais encore la haine la plus directe et la plus intime. Elle n'a plus aucune certitude intime et momentanée qui puisse conserver la droiture de sa conscience au moment où elle agit. Tous les actes des vertus essentiels à la vie intérieure cessent même dans leur opération la plus directe et la moins reflechie, qui est selon le langage des saints Mystiques, dans la pointe ‘de l'esprit et la cime de l'âme. Le directeur expérimenté ne peut plus juger de l'arbre par les fruits. Il ne peut plus discerner dans cette âme les vertus convenables a son état et a son degré de perfection.Parler ainsi, c'est anéantir la piété chrétienne sous prétexte de la perfectionner. C'est faire des épreuves destinées à purifier l'amour, un naufrage universel de la Foi et de toutes les vertus chrétiennes : C'est dire ce que les fidèles nourris des paroles de la Foi ne doivent jamais entendre sans boucher leurs oreilles. Article X. Vrai Il y a deux cas très différents ou une âme peut produire des actes d'un désintéressement formel et explicite sur l'éternité. Le premier est un cas ordinaire ou l'âme parfaite ne ressent ni peine ni trouble. Le second ne regarde que les extrêmes épreuves. Dans le premier, l'âme désintéressée aime tellement Dieu qu'elle n'a pas besoin d'y être excitée par le motif de la récompense. C'est cet état que saint Clement d'Alexandrie dépeint lorsqu'il dit : Celui qui est parfait pratique le bien, mais ce n'est point à cause de son utilité… étant établi dans l'habitude constante de faire le bien non à cause de la gloire que les philosophes appellent bonne renommée, ni pour la récompense qui vient des hommes ou de Dieu celui qui est véritablement bon et établi dans cette habitude imite la nature du bien, c'est-à-dire qu'il se communique et qu'il agit selon sa nature sans autre pente que celle de bien faire.L'ouvrage du gnostique (ou contemplatif) dit encore que ce père ne consiste pas a s'abstenir du mal, car ce n'est la que le fondement d'un plus grand progrès ni a agir par l'espérance de la récompense promise suivant qu'il est écrit. Voici le Seigneur et la récompense est devant sa face pour rendre a chacun selon ses œuvres.Faire le bien uniquement par amour, c'est le partage du gnostique, il ne lui faut point d'autre motif de sa contemplation que sa contemplation même. Celui qui est gnostique par cette science ne la choisit point pour vouloir être sauvé. En cet état on espère. Mais ce n'est plus l'espérance qui anime et qui soutienne la charité. C'est la charité qui prévient, qui commande et qui anime l'espérance, et on aimerait autant quand même on n'espérerait plus. De la viennent les suppositions impossibles d'un état de fidélité a Dieu sans récompense dans l'autre vie qui sont si fréquentes dans saint Clement et dans les autres pères. De la vient que saint Grégoire de Naz., et saint Chrysostome avec toute son école suivie de saint Thomas et des plus célébrés théologiens des derniers siècles, ont assuré que Saint Paul avait voulu préférer le salut éternel de ses frères selon la chair au sien propre. Saint Gregoire de Nysse va jusqu'a dire que le juste parfait méprisé la récompense même de peur de paraitre l'aimer plus que celui de qui elle vient. Saint Chrysostome dit : Les aines bonnes et généreuses regardent la beauté divine sans aucun autre motif d'être récompensées, que si quelqu'un est trop faible qu'il jette aussi les yeux sur la récompense, Saint Ambroise dit : Celui qui suit Jésus-Christ n'est point mené par la récompense a la perfection, mais au contraire, c'est par la perfection qu'il est consommé pour la récompense. Les imitateurs de Jésus-Christ sont bons non par espérance, mais par amour de la vertu. Il dit ailleurs que les cœurs rétrécis soient invitez par les promesses et élevez par la récompense qu'ils espèrent, l'âme véritablement bonne sans songer a la récompense céleste remporte le fruit d'une double gloire. Saint Augustin qui veut que nous aimions Dieu pour lui seul et nous uniquement pour lui, de même que le prochain dit que la règle de l'amitié est d'aimer gratuitement. À combien plus forte raison, continue t'il, doit-on aimer Dieu sans intérêt puisque c'est lui qui nous fait aimer ainsi les hommes. Ce père suivant ce principe de pur amour parle ailleurs de l'éternelle paix que nous désirons comme notre délivrance, et il assure que si nous n'avions plus aucune espérance, nous devrions demeurer dans la souffrance du combat, plutôt que de nous laisser dominer par les vices en ne leur résistant pas. Si quod absit illius tanti boni spes nulla esset malle debuimus in illius conflectationismolestiaquam viliorum in nos dominationem, non eisresistendo permittere. Environ le temps de la mort de ce père, un homme d'Adrumete, nommé Victorien, répondit aux Vandales qui le persecutoient pour la foi : Quand même il n'y aurait point d'autre vie que la vie présente et que nous n'espérerions pas l'éternelle qui est véritable, je ne voudrais point pour une gloire temporelle et courte me rendre ingrat a mon créateur qui m'a donné la foi. Saint Anselme, après avoir fait la supposition impossible comme les autres afin d'exprimer le désintéressement du parfait amour, dit a Dieu : Pour celui a qui cette parole ne plait pas. Seigneur donnez lui de se renoncer, afin qu'il puisse comprendre cette parole. Saint Bernard assure que le seul enfant n'est ni ébranlé par la crainte ni attiré par le désir, mais soutenu par l'esprit d'amour. Le pur amour, dit-il ailleurs, n'est point mercenaire, il ne tire point de force de l'espérance et le découragement ne lui fait aucun tort. Telle est l'épouse, car en quelque endroit qu'elle soit, c'est ainsi qu'elle est. Il fait dire a l'enfant de Dieu : Je ne cherche point le salut pour éviter la peine ou pour régner dans le ciel, mais pour vous louer éternellement. Tons les contemplatifs des derniers siècles ont fait ces mêmes suppositions impossibles pour exprimer un désintéressement, non seulement possible, mais actuel et ordinaire en eux ; les âmes de la 6e demeure, dit sainte Therese, voudront que le Seigneur vit qu'elles ne le servent point par le motif de la récompense. Ainsi, elles ne pensent jamais a la gloire qu'elles doivent recevoir comme a un motif qui doive les fortifier et les encourager dans le service de Dieu. C'est encore dans le même esprit de désintéressement que saint François de Sales dit que l'âme indifférente aimerait mieux l'enfer avec la volonté de Dieu que le Paradis sans sa volonté. Il marque ailleurs en ces termes le principe qui produit celte disposition : la très profonde obéissance d'amour n'a pas besoin d'être excitée par menace ou récompense ni par aucune loi, ou par quelque commandement, car elle prévient tout cela. Pour mieux entendre ces suppositions que tant de saints ont faites pour montrer que leur amour était indépendant du motif de la récompense éternelle, il faut faire attention aux choses que je vais tacher d'expliquer. Les promesses sur la vie éternelle sont purement gratuites. La grâce ne nous est jamais duo ; autrement elle ne serait plus grâce. Dieu lie nous doit jamais en rigueur ni la persévérance à la mort, ni la vie éternelle après la mort corporelle. Il ne doit pas même absolument et de droit rigoureux a nôtre âme de la taire exister aprez cette vie, quoiqu'il n'y ait aucune créature qui puisse détruire l'aine et qu'elle n'ait en soi aucun principe de destruction, Dieu pourrait néanmoins la laisser retomber dans le néant : Autrement il ne serait pas libre sur la durée de sa créature, et elle deviendrait un être nécessaire. Mais quoique Dieu ne nous doive jamais rien en rigueur, il a voulu nous donner des droits fondez sur des promesses purement gratuites et sur l'ordre qu'il lui a plû d'établir. Par ses promesses il s'est donné comme suprême béatitude à l'âme qui lui est fidèle avec persévérance. Il est donc vrai en ce sens que toute supposition qui va à se croire exclus de la vie éternelle en aimant Dieu est impossible, parce que Dieu est fidèle de ses promesses : Il ne veut point la mort du pécheur, mais qu'il vive et se convertisse. Par là il est constant que tous les Sacrifices que les âmes les plus désintéressées font d'ordinaire sur leur béatitude éternelle sont purement conditionnels. Un dit : mon Dieu, si par impossible vous me vouliez condamner aux peines éternelles de l'Enfer sans perdre vôtre amour, je ne vous eu aimerais pas moins. Voilà le premier cas qui est impossible à cause des promesses et dont la supposition se peut faire tous les jours hors des teints d'espérance. Mais voici le second cas qui ne regarde que les épreuves les plus extrêmes, et ou l'âme ne regarde point comme impossible la supposition qu'elle fait. Elle s'imagine qu'elle a comblé la mesure de ses péchez et qu'elle est inévitablement réprouvée. Le sacrifice qu'elle fait alors n'est plus dans une forme conditionnelle comme celui du premier cas. Mais il ne peut jamais néanmoins être tout à fait absolu : 1° parce qu'il ne regarde pas le salut,mais le seul intérêt propre dans le salut ou le contentement de la cupidité subordonnée ; 2° parce que ce sacrifice est joint avec la foi, avec l'espérance actuelle du salut, avec le désir actuel et formel du salut, comme d'une chose que Dieu veut qu'on veuille pour sa gloire ; 3° parce que ce sacrifice n'est fondé que sur une persuasion purement apparente de l'imagination seule et d'une supposition que lame sait dans le fond de sa conscience être impossible. Elle désire, elle attend alors plus que jamais l'effet des promesses. Elle en fait des actes réels, mais directs et non aperçus. La persuasion de sa perte n'est point réelle parce quelle n'est pas le fond intime de sa conscience c'est une espèce d'illusion passagère que Dieu permet pour tirer d'elle un consentement ou acquiescement simple a sa volonté, cet acquiescement ne renferme qu' un amour pur et sans aucun reste du motif intéressé ou de cupidité subordonnée pour la béatitude. Alors une aine peut être tellement persuadée de la réprobation par cette persuasion apparente et imaginaire qu'elle ne peut la vaincre par aucun effort direct. C'est ainsi que saint François de Sales se trouva dans l'Église de Saint-Etienne des Grecs. Une âme dans ce trouble s'imagine voir qu'elle est contraire à Dieu par ses infidélités passées et par sou endurcissement présent, qui lui paraissent combler la mesure pour sa réprobation. Elle prend ses mauvaises inclinations pour des volontés délibérées, et elle ne voit point les actes réels de son amour ni de ses vertus, qui par leur extrême simplicité échappent à ses réflexions et qui sont même obscurcis par le trouble d'une imagination émue. Elle devient à ses propres yeux couverts de la lèpre du péché, quoiqu'apparent et non réel. Elle ne peut se supporter. Elle est scandalisée de ceux qui veulent l'apaiser et lui ôter cette espèce de persuasion. Si on lui représente le dogme précis de la Foi sur la volonté de Dieu de sauver tous les hommes, et sur la croyance où nous devons être qu'il veut sauver chacun de nous en particulier, cette vérité ne peut lui rendre le calme. Cette âme ne doute point de la bonne volonté de Dieu, mais elle croit la sienne mauvaise, parce qu'elle ne voit eu soi par réflexion que le mal apparent qui est extérieur et sensible, et que le bien qui est toujours réel et intime est dérobé à ses veux par la jalousie de Dieu. Dans ce trouble involontaire et que l'on doit toujours tacher de vaincre jusqu'a ce qu'on éprouve que l'âme ne peut s'en délivrer par aucun effort, rien ne peut la rassurer ni lui découvrir au fond d'elle même ce que Dieu prend plaisir à lui cacher. Elle voit la colère de Dieu enflée et suspendue sur sa teste comme les vagues de la nier, toute preste à la submerger : c'est alors que l'âme est divisée d'avec elle même, elle expire sur la croix avec Jésus- Christ, en disant : O Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné ? Dans cette impression involontaire de désespoir, elle fait le sacrifice en quelque manière absolu de son intérêt propre pour l'éternité, comme je viens de l'expliquer, parce que le cas impossible lui parait possible et actuellement réel, dans le trouble et l'obscurcissement où elle se trouve. Encore une fois il n'est pas question de raisonner avec elle, car elle est incapable de tout raisonnement. Il ne s'agit que d'une persuasion qui n'est ni intime ni réelle, mais seulement apparente. Elle tient de la nature de celle de toutes les âmes scrupuleuses dans les épreuves de la vie, suivant qu'elles sont plus ou moins dans le scrupule elles sont aussi plus ou moins dans le trouble et dans la persuasion apparente dont je parle. Si une âme scrupuleuse ne voyait en aucune façon sa droiture, elle ne serait plus droite et elle opérerait intérieurement sans aucune droiture de conscience. D'un autre côté si elle pouvait trouver par réflexion la droiture, elle ne serait plus dans le scrupule. Il faut donc qu'elle soit actuellement tout ensemble d'un côté dans une conscience intime de sa droiture, de l'autre dans une impuissance de réfléchir sur sa droiture pour s'en rendre témoignage. Voilà ce qu'on ne peut s'empêcher de dire de tous les scrupuleux, et c'est précisément à quoi je borne ce que je dis des âmes qui sont dans les plus extrêmes épreuves. Le trouble de leur imagination ne leur représente qu'un mal faux et apparent pendant qu'elle obscurcit le bien véritable. Mais la persuasion du mal n'est jamais réellement dans l'entendement. Autrement il faudrait dire que toutes les âmes les plus innocentes qui sont dans le scrupule perdent la foi l'amour de Dieu et leur droiture pendant leur trouble, car ces choses sont incompatibles avec une réelle persuasion du contraire. Cette persuasion est donc seulement apparente, c'est a dire de pure imagination pendant que l'entendement dans ses actes directs ne cesse point de croire et d'espérer. En cet état l'amène perd donc qu'une certaine espérance sensible pour son propre intérêt, mais elle ne perd jamais dans la partie supérieure, c'est a dire, dans ses actes directs et intimes, l'espérance parfaite qui est le désir et l'attente désintéressée des promesses. Elle aime Dieu plus purement que jamais. Loin de consentir positivement à le haïr, elle ne consent pas même indirectement à cesser un seul instant de l'aimer, ni à diminuer en rien son amour, ni à mettre jamais à l'accroissement de cet amour aucune borne volontaire, ni à commettre aucune faute même vénielle. Un Directeur peut alors laisser faire à cette âme un acquiescement simple à la perte de ;on intérêt propre, et à la condamnation juste où elle croit être de la part de Dieu pour la peine éternelle, ce qui d'ordinaire sert à la mettre en paix et à calmer la tentation, que Dieu n'a permise que pour cet effet, je veux dire, pour la purification de l'Amour. Mais il doit jamais ni lui conseiller ni lui permettre de croire positivement par une persuasion libre et volontaire qu'elle est réprouvée et qu'elle ne doit plus désirer promesses par un désir désintéressé. Il doit encore moins la laisser consentir à haïr Dieu, ou à cesser de l'aimer ou à violer sa Loi, même par les fautes les plus vénielles. Tout ceci est conforme a la 33e de nos propositions de voici les termes : on peut aussi inspirer aux âmes peinées et vraiment humbles une soumission et consentement a la volonté de Dieu quand même pur une très fausse supposition au lieu des biens éternels qu'il promis aux âmes justes, il les tiendrait par son bon plaisir dans des tourments éternels sans néanmoins qu'elles soient privées de sa grâce et de son amour qui est un acte d'abandon parfait et d'amour pur pratique par des saints et qui le peut être utilement ai une grâce particulière de Dieu par les âmes vraiment parfaites sans déroger a l'obligation des autres actes ci-dessus marquez qui sont essentiels au Christianisme. Inspirer ce consentement aux peinées, c'est sans doute les porter a ce consentement pour calmer leur peine. Pour moi je me contente qu'on le leur laisse faire. Il faut bien qu'on suppose que cet acte servira calmer leur peine puisqu'il peut être pratiqué utilement dans ce cas de peine et de trouble. Un tel consentement ne peut être inspiré qu'aux âmes vraiment parfaites. On ferait très mal de l'inspirer sans cette nécessité. C'est pourquoi je crois qu'il ne faut recourir a ce remède que quand tous les autres sont inutiles et que le trouble parait invincible par tout autre moyen. On ne doit donc inspirer ce consentement qu'aux aines qu'on a éprouvées longtemps et qu'on reconnait clans une véritable perfection bien différente de la perfection commune des chrétiens. Puisque c'est un amour pur et un abandon parfait ce consentement on acquiescement ne peut être qu'excellent et très méritoire quand il est fait dans l'occasion convenable. Il est manifeste que ce sacrifice ne peut servir qu'a purifier l'amour, et par conséquent qu'a en retrancher le mélangé de la cupidité soumise. Car pourquoi serait-il utile a l'âme do consentir a souffrir les tourments éternels en la place des biens éternels qui lui sont promis, si ce n'était pour achever de la détacher de tout intérêt propre et de toutes les restes do la cupidité soumise sur la félicité éternelle ? Dieu qui permet que ce trouble arrive ou par les illusions du tentateur ou par l'infirmité de l'homme en veut tirer sans doute un grand fruit pour cet homme racine. Le fruit que Dieu en veut tirer est un amour pur c'est-a-dire sans mélangé, et un abandon parfait c'est a dire sans réserve sur l'intérêt propre, quoique l'âme ne doive jamais alors cesser de désirer par un amour de charité pour soi la persévérance dans l'amour avec la consommation do l'amour même qui est la vraie béatitude. Parler ainsi c'est parler suivant l'expérience des saints avec toute la précaution nécessaire pour conserver le dogme de la foi et pour n'exposer jamais les ames a aucune illusion Article X. Faux L'âme qui est dans les épreuves peut croire d'une persuasion intime, libre et volontaire, contre le dogme de la Foi, que Dieu l'a abandonné sans être abandonné par elle ; ou qu'il n'y a plus de miséricorde pour elle, quoiqu'elle la désire sincèrement ; on qu'elle peut consentir à haïr Dieu, parce que Dieu veut qu'elle le haïsse ; ou qu'elle peut consentira n'aimer plus Dieu, parce qu'il ne veut plus être aimé par elle ; ou qu'elle peut borner volontairement son amour, parce que Dieu veut qu'elle le borne ; ou qu'elle peut violer sa Loi, parce que Dieu veut qu'elle la viole. En cet état une aine n'a plus aucune foi, ni aucune espérance ou désir désintéressé des promesses, ni aucun amour réel et intime de Dieu, ni aucune haine même implicite du mal qui est le péché, ni aucune coopération réelle à la grâce, ni aucune marque extérieure par ou l'on puisse reconnaitre sa droiture et sa perfection comme l'arbre par les fruits. Mais elle est sans action, sans volonté, sans intérêt non plus pour Dieu que pour soi, sans actes des vertus ni réfléchis ni directs.Parler ainsi, c'est blasphémer ce qu'on ignore et se corrompre dans ce qu'on sait ; c'est faire succomber les âmes à la tentation sous prétexte de les y purifier : c'est réduire tout le christianisme à un désespoir impie et stupide : c'est même contredire grossièrement tous les bons. Mystiques, qui assurent que les âmes de cet état montrent un amour très vif pour Dieu par le regret de l'avoir perdu, et une horreur infinie du mal par l'impatience avec laquelle elles supportent souvent ceux qui veulent les consoler et les rassurer. Article XI. Vrai. Dieu n'abandonne jamais le Juste sans en avoir été abandonné. Il est le bien infini qui ne cherche qu'à se communiquer. Plus on le reçoit, plus il se donne. C'est d'ordinaire nôtre résistance qui resserre ou qui retarde ses dons. La différence essentielle de la Loi nouvelle et de l'ancienne, c'est que l'ancienne par elle-même ne menait l'homme à rien de parfait ; qu'elle montrait le bien sans donner de quoi le faire, et le mal sans donner de quoi l'éviter ; an lieu que la nouvelle est la Loi de grâce qui donne le vouloir et le faire, et qui ne commande que ce qu'elle donne le véritable pouvoir d'accomplir. Comme ceux qui observaient fidèlement la Loi ancienne avoient la promesse de ne voir point la diminution de leurs biens temporels : Inquirentesautem Dominum nonminuentur omni bono. Dans la loi nouvelle, les âmes fidèles a leur grâce ne souffriront jamais aussi aucune diminution dans leur grâce toujours prévenante, qui est le véritable bien de la Loi chrétienne. Ainsi chaque âme, pour être pleinement fidèle à Dieu, ne peut rien faire de solide ni de méritoire que de suivre sans cesse la grâce, sans avoir besoin de la prévenir par empressement. Vouloir la prévenir, c'est vouloir se donner par avance dans un moment les dispositions qu'elle ne donne pas encore, ou qu'elle ne rend pas tout à fait sensibles dans ce moment-là. Pour bien entendre cette vérité et pour provenir toute équivoque il faut distinguer deux choses par rapport a la grâce, d'un côté je suppose avec le Concile de Trente que la grâce ne manque jamais au Juste qui n'a pas manqué le premier à Dieu. D'un autre côté je suppose avec toute l'Église que la grâce ne nous donne point à la fois en chaque moment toutes les différentes dispositions de la vie intérieure, mais qu'elle nous les distribué, pour ainsi dire, successivement, tantôt l'une, tantôt l'autre, suivant que ces dispositions conviennent aux devoirs de nôtre état, et aux desseins de Dieu pour nôtre avancement. Si on regai de la grâce en général et comme ne manquant jamais au Juste qui n'a point manqué à Dieu, il faut conclure qu'on ne doit et qu'on ne peut jamais prévenir la grâce pour aucun bien réel. On ne peut rien faire de bon sans elle, et on n'a jamais besoin de l'attendre puisqu'il la faut toujours supposer prévenante pour toutes nos bonnes actions ; dans le cas du précepte il la faut toujours supposer présente et prévenante pour son accomplissement. Hors du cas du précepte, il la faut encore supposer prévenante tantôt pour l'exercice de l'amour eu général, tantôt pour celui des vertus distinctes selon nôtre vocation. En un mot, comme la grâce ne nous laisse jamais, pendant que nous lui sommes fidèles, sans un secours plus ou moins perceptible, mais toujours réel pour nous préserver d'un vide intérieur et d'une oisiveté a craindre, nous n'avons jamais besoin d'attendre la prévention de la grâce. Mais, d'un autre côté, si on regarde la grâce comme nous donnant successivement les différentes dispositions convenables a nôtre vocation et a nôtre avancement, il faut prendre garde de n'anticiper point par une impatience et un empressement indiscret sur les opérations que la grâce ne fait point en nous et n'y doit pas faire en certains moments, et qu'elle réserve pour d'autres moments plus convenables. Dieu a ses moments pour chaque chose, et au lieu de nous assujettir patiemment aux arrangements de sa grâce, nous voudrions le faire entrer dans les nôtres. La nature inquiète et empressée voudrait se donner à la fois tous les plus saints désirs et tous les actes les plus distincts pour se consoler par la vue et par le sentiment de ces pratiques. On voudrait contempler comme les Chérubins, quand il ne s'agit que de souffrir un délaissement sensible. On voudrait être toujours fervent, toujours occupé d'un amour vif, d'une foi explicite, d'une abondance de vertus distinctes, quoique la grâce ne demande de nous en certains moments qu'un amour presque insensible et obscurci par les nuages des tentations. On voudrait a toute heure s'exciter pour faire certains sacrifices et pour vaincre certaines tentations dont les cas sont eloignez et n'arriveront peut-être jamais. On veut trouver en soi à point nommé la volonté pleine et formelle de tous ces sacrifices dont il ne s'agit pas, et que la grâce ne doit pas donner hors de l'occasion. On s'inquiète, on se trouble, on se tourmente pour sentir ce qu'on ne sent pas. En voulant se donner ce que la grâce ne donne ni ne demande, alors on se distrait pour les choses qu'elle inspire actuellement, et on manque l'occasion d'y coopérer. Plus on veut tirer de son cœur ce que la grâce n'y met pas et n'y doit pas mettre alors, plus on se désseiche, on se distrait, et on se dissipe par ces efforts superflus. Ainsi ce contretemps a l'égard de l'attrait de la grâce nuit a notre progrès au lieu de le faciliter. Ce n'est pas un péché, car ce n'est qu'un empressement naturel que beaucoup d'auteurs ont nommé vertueux parce qu'il se meule avec le principe de vertu surnaturelle et qu'il a pour objet des choses vertueuses. C'est l'inquiétude de Marthe qui est louable puisqu'elle ne s'agite que pour le service du fils (le Dieu, mais qui est moins parfaite que l'amour paisible et efficace de Marie. Il est vrai qu'on doit faire deux choses pour empocher l'illusion. La première est de supposer toujours qu'en aucun état on n'est impeccable et, par conséquent, que la grâce pourrait se retirer de nous, si nous lui manquions. Nous ne savons même jamais si ce cas n'est point effectivement arrivé. Mais, dans ce doute, l'unique ressource qui nous reste est de coopérer de toutes nos forces et sans trouble a la grâce du moment présent quelle qu'elle puisse être. Car c'est la tout ce que nous pouvons et que Dieu demande de nous. Tout ce que nous y ajouterions d'inquiétude et de trouble ne serait point une véritable fidélité a la grâce, ni par conséquent un acte utile pour attirer le secours de Dieu. La seconde chose à observer, c'est qu'il faut toujours se préparer à recevoir la grâce et l'attirer en soi, mais on ne doit le faire que par la coopération à la grâce même. La fidèle coopération a la grâce du moment présent, est la plus efficace préparation pour recevoir et pour attirer la grâce du moment qui doit suivre. Si on examine la chose de près, il est donc évident que tout se réduit à une coopération fidèle de pleine volonté et de toutes les forces de l'âme a la grâce de chaque moment. Tout ce qu'on pourrait ajouter à cette coopération bien prise dans toute son étendu, ne serait qu'un zèle indiscret et précipité, qu'un effort empressé et inquiet d'une âme intéressée pour elle-même ; qu'une excitation à contretemps qui troublerait, qui affaiblirait, qui retarderait l'opération de la grâce, au lieu de la faciliter et de la rendre plus parfaite. C'est comme si un homme mené par un autre dont il devrait suivre toutes les impulsions, voulait sans cesse provenir ses impulsions et se retourner à tout moment pour mesurer l'espace qu'il auroit parcouru : ce mouvement inquiet et mal concerté avec le principal moteur, ne ferait qu'embarrasser et retarder la course de ces deux hommes. Il en est de même du Juste dans la main de Dieu qui le meut sans cesse par sa grâce. Toute excitation empressée et inquiétée qui provient quelque grâce particulière de peur de n'agir pas assez ; toute excitation empressée hors du cas du précepte pour se donner par un excès de précaution intéressée les dispositions que la grâce n'inspire point dans ces moments-là, parce qu'elle en inspire d'autres moins consolantes et moins perceptibles ; toute excitation empressée et inquiétée pour se donner comme par secousses marquées un mouvement plus aperçu et dont on puisse se rendre aussitôt un témoignage intéressé, sont des excitations défectueuses pour les âmes appelées au désintéressement paisible du parfait amour. Cette action inquiétée et empressée est ce que les bons Mystiques ont nommé activité, qui n'a rien de commun avec l'action, ou avec les actes réels, mais paisibles qui sont essentiels pour coopérer à la grâce. Quand ils disent qu'il ne faut plus s'exciter ni faire d'efforts, ils ne veulent retrancher que cette excitation inquiétée et empressée, par laquelle on voudrait prévenir certaines grâces, on en rappeler à contretemps les impressions sensibles après qu'elles sont passées ou y coopérer d'une manière plus sensible et plus marquée qu'elles ne le demandent de nous. En ce sens l'excitation ou activité doit effectivement être retranchée. Mais si on entend par l'excitation une coopération de la pleine volonté et de toutes les forces de l'âme à la grâce de chaque moment ; il faut conclure qu'il est de Foi qu'on doit s'exciter en chaque moment pour remplir toute sa grâce. Cette coopération pour être désintéressée n'en est pas moins sincère : pour être paisible, elle n'en est pas moins efficace et de la pleine volonté : pour être sans empressement, elle n'en est pas moins douloureuse par rapport à la concupiscence qu'elle surmonte. Ce n'est point une activité, mais c'est une action qui consiste dans des actes très réels et très méritoires. C'est ainsi que les âmes appelées au pur amour résistent aux tentations des dernières épreuves. Elles combattent jusqu'au sang contre le péché ; mais ce combat est d'ordinaire paisible, parce que l'esprit du Seigneur est dans la paix. Elles résistent en présence de Dieu qui est leur force. Elles résistent dans un état de foi et d'amour, qui est un état d'oraison. Celles qui ont encore besoin des motifs intéressez de crainte et d'espérance, doivent y recourir même avec quelque empressement naturel, plutôt que de s'exposera succomber. Celles qui trouvent dans une expérience constante et reconnue par de bons Directeurs, que leur force est dans le silence amoureux, et que leur paix est dans l'amertume la plus amère, peuvent continuer à vaincre ainsi la tentation ; et il ne faut pas les troubler, car elles souffrent assez d'ailleurs. Mais si par une infidélité secrète ces âmes venaient à déchoir soudainement de leur état, ou bien si le silence paisible et amoureux était soustrait par quelque variation passagère, ou par quelque épreuve nouvelle de Dieu, elles seraient obligées de recourir aux motifs les plus intéressés, plutôt que de s'exposer il violer la Loi dans l'excès de la tentation. Parler ainsi, c'est parler suivant larégieEvangelique, sans affaiblir en rien ni lesexpériencesni les maximes de tous les bons Mystiques. C'est parler suivant la 12e de nos propositions dont voici les termes.Par les actes d'obligation ci-dessus marquez on ne doit pas entendre toujours des actes méthodiques et arranges, encore moins des actes réduits en formules et sous certaines paroles, ou des actes inquiets et empressez , mais des actes sincèrement formez dans le cœur avec toute la sainte douceur et tranquillité qu'inspire l'esprit de Dieu. Article XI. Faux L'activité que les Saints veulent qu'on retranche, est l'action même de la volonté. Elle ne doit plus faire d'actes distincts : elle n'a plus besoin de coopérer à la grâce de toutes ses forces, ni de résister positivement et pleinement à la concupiscence, ni de faire aucune action intérieure ou extérieure qui lui soit pénible. Il lui suffit de laisser faire à Dieu en elle celles qui coulent comme de source,et pour lesquelles elle n'a aucune répugnance même naturelle. Elle n'a plus besoin de se préparer par le bon usage d'une grâce à une autre plus grande qui la doit suivre et qui est liée avec cette première. Elle n'a qu'a attendre la grâce et qu'à demeurer oisive dans celte attente jusqu'il ce qu'elle sente l'attrait distinct d'une grâce nouvelle. Elle ne doit point supposer que la grâce la prévient toujours dans le cas du précepte, et même dans celui du conseil. Elle ne doit se mettre en état de correspondre a la grâce que quand elle en déjà un attrait marqué. Hors de la elle n'a qu'a se laisser aller sans examen à toutes les pentes qu'elle trouve en soi sans se les donner. Il ne lui faut plus aucun travail, aucune violence, aucune contrainte de la nature. Elle n'a qu'à demeurer sans volonté et neutre entre le bien et le mal, même dans les plus extrêmes tentations. Parler ainsi, c'est parler le langage du tentateur : c'est enseigner aux aines à se tendre elles-mêmes des pièges : c'est leur inspirer une indolence dans le mal qui est le comble de l'hypocrisie : c'est les engagera un consentement à tous les vices, qui n'en est pas moins réels pour être indirect et tacite. Article XII. Vrai Les âmes attirées au pur amour peuvent être aussi désintéressées pour elles-mêmes que pour leur prochain, parce qu'elles ne voient et ne désirent en elles non plus que dans le prochain le plus inconnu, que la gloire de Dieu, son bon plaisir, et l'accomplissement de ses promesses. En ce sens, ces âmes sont comme étrangères à elles- mêmes : et elles ne s'aiment plus d'ordinaire que comme elles aiment le reste des créatures dans l'ordre de la pure charité. C'est ainsi qu'Adam innocent se serait aimé lui même uniquement pour l'amour de Dieu. L'abnégation de soi-même et la haine de nôtre âme recommandées dans l'Évangile, ne sont pas une haine absolue de nôtre âme image de Dieu. Car l'ouvrage de Dieu est bon, et il faut l'aimer pour l'amour de lui. Mais nous corrompons cet ouvrage par le péché, et il faut nous haïr dans notre corruption. La perfection du pur amour consiste donc à ne nous aimer plus que pour lui seul. La vigilance des âmes les plus désintéressées ne doit jamais être réglée sur leur désintéressement. Dieu qui les appelle à être détachées d'elles-mêmes comme de leur prochain, veut en même temps qu'elles soient plus vigilantes sur elles-mêmes dont elles sont chargées et responsables, que sur leur prochain dont Dieu ne les charge pas. Il faut même qu'elles veillent sur ce qu'elles font tous les jours par rapport au prochain dont la providence leur a confié la conduite. Un bon Pasteur veille sur l'âme de son prochain sans aucun intérêt. Il n'aime que Dieu en lui. Il ne le perd jamais de vue. Il le console, il le corrige, il le supporte. C'est ainsi qu'il faut se supporter soi-même sans se flatter, et se reprendre sans se jeter dans le découragement. Il faut être charitablement avec soi comme avec un autre ; ne s'oublier que pour retrancher les dépits et les délicatesses de l'amour propre ; ne s'oublier que pour ne vouloir pins se plaire à soi même ; ne s'oublier tout au plus que pour retrancher les réflexions inquiétées et intéressées quand on est entièrement dans la grâce du pur amour. Mais il n'est jamais permis de s'oublier, jusqu'a cesser de veiller sur soi comme on veillerait sur son prochain si on en étoit le Pasteur. Il faut même ajouter qu'on n'est jamais si chargé de son prochain qu'on l'est de soi-même, parce qu'on ne peut point régler toutes les volontés intérieures d'autrui comme les siennes propres. D'où il s'ensuit qu'on doit toujours veiller incomparablement plus sur soi que le meilleur Pasteur ne peut veiller sur son troupeau. On ne doit jamais s'oublier pour retrancher les réflexions même les plus intéressées, si on est encore dans la voie de l'amour intéressé. Enfin, on ne doit jamais s'oublier jusqu'à rejeter toutes sortes de réflexions comme des choses imparfaites : car les réflexions n'ont rien d'imparfait en elles même, et elles ne deviennent si souvent nuisibles à tant d'âmes, qu'à cause que les âmes malades de l'amour propre ne se regardent guère elles-mêmes que pour s'impatienter ou pour s'attendrir dans cette vue. D'ailleurs, Dieu inspire souvent par sa grâce aux aines les plus avancées des réflexions très utiles ou sur ses desseins en elles, ou sur ses miséricordes passées qu'il leur fait chanter, ou sur leurs dispositions dont elles doivent rendre compte à leurs Directeurs. Mais enfin l'amour désintéressé veille, agit, et résisté à la tentation encore plus que l'amour intéressé ne veille, n'agit, et ne résiste. L'unique différence est que la vigilance du pur amour est simple et paisible, au lieu que celle de l'amour intéressé qui est moins parfait a toujours quelque reste d'empressement et d'inquiétude, parce qu'il n'y a que le parfait amour qui chasse la crainte avec toutes ses suites. Parler ainsi, c'est parler d'une manière correcte qui ne doit être suspecte à personne et suivre le langage des Saints. Article XII. Faux Une âme pleinement désintéressée sur elle-même ne se désire plus le souverain bien, et ne s'aime plus même pour l'amour de Dieu. Elle se hait d'une haine absolue comme supposant que l'ouvrage du Createur n'est pas bon, et elle pousse jusques là l'abandon ou renoncement. Elle porte la haine de soi jusqu'à vouloir d'une volonté délibérée sa perte et sa réprobation éternelle. Elle rejette la grâce et la miséricorde. Elle ne veut que justice et vengeance. Elle devient tellement étrangère à elle même, qu'elle n'y prend plus aucune part ni pour le bien à faire ni pour le mal à fuir. Elle est indifférente d'une indifférence absolue a l'égard d'elle-même et du souverain bien qu'elle lui prépare ce bien ne la touche plus parce qu'elle ne s'aime plus même par charité comme le prochain. Elle ne veut que s'oublier en tout, et que se perdre sans cesse de vue. Elle ne se contente pas de s'oublier par rapport à son propre intérêt : elle veut encore s'oublier par rapport à la correction de ses défauts, et à l'accomplissement de la Loi de Dieu pour l'intérêt de sa pure gloire. Elle ne compte plus d'être chargée d'elle même, ni de veiller même d'une vigilance simple, paisible, et désintéressée sur ses propres volontés. Elle rejette toute réflexion comme imparfaite, parce qu'il n'y a que les vues purement directes et non réfléchies qui soient dignes de Dieu.Parler ainsi, c'est contre dire les expériences des Saints, dont toute la vie la plus intérieure a été remplie de réflexions très utiles faites par l'impression de la grâce ; puisqu'ils ont connu après coup les grâces passées, et les misères dont Dieu les a délivrés ; qu'enfin ils ont rendu compte d'un très grand nombre de choses qui s'étaient passées en eux. C'est faire de l'abnégation de soi même une haine impie de nôtre âme qui la suppose mauvaise par sa nature suivant le principe des Manichéens, on qui renverse l'ordre, en haïssant ou en n'aimant pas ce qui est bon et ce que Dieu aime en tant qu'il est son ouvrage. C'est anéantir toute vigilance, toute fidélité à la grâce, toute attention à faire régner Dieu en nous, tout bon usage de nôtre liberté. En un mot c'est le comble de l'impiété et de l'irréligion. Article XIII. Vrai Il y a une grande différence entre les actes simples et directs et les actes réfléchis. Toutes les fois qu'on agit avec une conscience droite, il y a en nous une certitude intime que nous allons droit : autrement nous agirons dans le doute si nous ferions bien ou mal, et nous ne serions pas dans la bonne foi. Mais cette certitude, intime consiste souvent dans des actes si simples, si directs, si rapides, si momentanés, si dénués de toute réflexion que l'âme qui sait bien qu'elle les fait dans le moment où elle les fait, n'en retrouve plus dans la suite aucune trace distincte et durable. De là vient que si elle veut revenir par réflexion sur ce qu'elle a fait, elle tombe dans le doute ; elle ne croit plus avoir fait ce qu'elle devait, elle se trouble par scrupule, et elle se scandalise même de l'indulgence des Supérieurs quand ils veulent la rassurer sur ce qui s'est passe. Ainsi Dieu lui donne dans l'instant de l'action par des actes directs toute la certitude nécessaire pour la droiture de la conscience : et il lui dérobe aussitôt par sa jalousie la facilité de retrouver par réflexion et après coup cotte certitude