**** *creator_sade *book_sade_justine1799 *style_prose *date_1799 CHAPITRE PREMIER INTRODUCTION - JUSTINE LANCÉE Le chef-d'œuvre de la philosophie serait de développer les moyens dont la fortune se sert pour parvenir aux fins qu'elle se propose sur l'homme et de tracer d'après cela quelques plans de conduite qui puissent faire connaître à ce malheureux individu bipède la manière dont il faut qu'il marche dans la carrière épineuse de la vie, afin de prévenir les caprices bizarres de cette fortune qu'on a nommée tour à tour Destin, Dieu, Providence, Fatalité, Hasard, toutes dénominations aussi vicieuses, aussi dénuées de bon sens les unes que les autres, et qui n'apportent à l'esprit que des idées vagues et purement subjectives. Si, pleins d'un respect vain, ridicule et superstitieux pour nos absurdes conventions sociales, il arrive malgré cela que nous n'ayons rencontré que des ronces, où les méchants ne cueillaient que des roses, les gens naturellement vicieux par système, par goût, ou par tempérament, ne calculeront-ils pas, avec assez de vraisemblance, qu'il vaut mieux s'abandonner au vice que d'y résister ? Ne diront-ils pas, avec quelque apparence de raison, que la vertu, quelque belle qu'elle soit, devient pourtant le plus mauvais parti qu'on puisse prendre, quand elle se trouve trop faible pour lutter contre le vice, et que, dans un siècle absolument corrompu, comme celui dans lequel nous vivons, le plus sûr est de faire comme les autres ? Un peu plus philosophes, si l'on veut, ne diront-ils pas, avec l'ange Jesrad de Zadig, qu'il n'y a aucun mal dont il ne naisse un bien, et qu'ils peuvent, d'après cela, se livrer au mal tant qu'ils voudront, puisqu'il n'est, dans le fait, qu'une des façons de faire le bien ? N'ajouteront-ils pas, avec quelque certitude, qu'il est indifférent au plan général, que tel ou tel soit bon ou méchant de préférence ; que si le malheur persécute la vertu, et que la prospérité accompagne le crime, les choses étant égales aux intentions de la nature, il vaut infiniment mieux prendre parti parmi les méchants qui prospèrent, que parmi les vertueux qui échouent ? C'est, nous ne le déguisons plus, pour appuyer ces systèmes, que nous allons donner au public l'histoire de la vertueuse Justine. Il est essentiel que les sots cessent d'encenser cette ridicule idole de la vertu, qui ne les a jusqu'ici payés que d'ingratitude, et que les gens d'esprit, communément livrés par principe aux écarts délicieux du vice et de la débauche, se rassurent en voyant les exemples frappants de bonheur et de prospérité qui les accompagnent presque inévitablement dans la route débordée qu'ils choisissent. Il est affreux sans doute d'avoir à peindre, d'une part, les malheurs effrayants dont le ciel accable la femme douce et sensible qui respecte le mieux la vertu ; d'une autre, l'influence des prospérités sur ceux qui tourmentent ou qui mortifient cette même femme. Mais l'homme de lettres, assez philosophe pour dire le vrai, surmonte ces désagréments ; et, cruel par nécessité, il arrache impitoyablement d'une main les superstitieuses parures dont la sottise embellit la vertu, et montre effrontément de l'autre, à l'homme ignorant que l'on trompait, le vice au milieu des charmes et des jouissances qui l'entourent et le suivent sans cesse. Tels sont les sentiments qui vont diriger nos travaux ; et c'est en raison de ces motifs, qu'unissant le langage le plus cynique aux systèmes les plus forts et les plus hardis, aux idées les plus immorales et les plus impies, nous allons, avec une courageuse audace, peindre le crime comme il est, c'est-à-dire, toujours triomphant et sublime, toujours content et fortuné et la vertu comme on la voit également, toujours maussade et toujours triste, toujours pédante et toujours malheureuse. Juliette et Justine, toutes deux filles d'un très riche banquier de Paris, furent élevées jusqu'à l'âge de quatorze et quinze ans dans l'une des plus célèbres abbayes de Paris. Là, aucuns conseils, aucuns livres, aucuns maîtres ne leur avaient été refusés ; et la morale, la religion, les talents semblaient, à l'envie l'un de l'autre, avoir formé ces jeunes personnes. A cette époque fatale pour la vertu des deux jeunes filles, tout leur manqua dans un seul jour. Une banqueroute affreuse précipita leur père dans une situation si cruelle, qu'il en périt de chagrin ; sa femme le suivit un mois après. Deux parents froids et éloignés délibérèrent sur ce qu'ils feraient des jeunes orphelines. Leur part d'une succession absorbée par les créances se montait à cent écus pour chacune. Personne ne se souciant de s'en charger, on leur ouvrit la porte du couvent, et on leur remit leur dot, en les laissant libres de devenir ce qu'elles voudraient. Juliette, vive, étourdie, fort jolie, méchante, espiègle, et l'aînée des deux, ne parut touchée que du plaisir de ne plus végéter dans un cloître sans réfléchir au cruel revers qui brisait ses chaînes. Justine, plus naïve, plus intéressante, âgée, comme nous l'avons dit, de quatorze ans, ayant reçu de la nature un caractère sombre et romantique, sentit bien mieux toute l'horreur de sa destinée ; douée d'une tendresse, d'une sensibilité surprenante, au lieu de l'art et de la finesse de son aînée, elle n'avait qu'une ingénuité, une candeur qui devait la faire tomber dans bien des pièges. Cette jeune fille, à tant de qualités, joignait la beauté de ces belles vierges de Raphaël. De grands yeux bruns pleins d'âme et d'intérêt, une peau douce et éblouissante, une taille souple et flexible, des formes arrondies et dessinées par les mains de l'Amour même, un organe enchanteur, la bouche charmante, et les plus beaux cheveux du monde : voilà l'esquisse de cette cadette délicieuse, dont les grâces enchanteresses et les traits délicats sont au-dessus de nos pinceaux. Que nos lecteurs se représentent tout ce que l'imagination peut créer de plus séduisant, et ils seront au-dessous de la réalité. On leur avait donné vingt-quatre heures à l'une et à l'autre pour quitter l'abbaye. Juliette voulut essuyer les pleurs de Justine. Vouant qu'elle ne réussissait pas, elle se mit à la gronder au lieu de la consoler. Elle lui reprocha sa sensibilité ; elle lui dit, avec une philosophie très an-dessus de son âge, et qui prouvait en elle les plus singuliers efforts de la nature, qu'il ne fallait s'affliger de rien dans ce monde-ci, qu'il était possible de trouver en soi des sensations physiques d'une assez piquante volupté pour éteindre toutes les affections morales dont le choc pouvait être douloureux ; que ce procédé devenait d'autant plus essentiel à mettre en pratique, que la véritable sagesse consistait infiniment plus à doubler la somme de ses plaisirs qu'à multiplier celle de ses peines ; qu'il n'y avait rien qu'on ne dût faire, en un mot, pour étouffer dans soi cette perfide sensibilité, dont les autres seuls profitaient, tandis qu'elle ne nous apportait à nous que des chagrins. - Tiens, dit-elle, en se jetant sur un lit, aux yeux de sa sœur, et se troussant jusqu'au-dessus du nombril, voilà comme je fais, Justine, quand j'ai du chagrin. Je me branle... je décharge... et cela me console. La sage et vertueuse Justine eut horreur de cette action ; elle détourna les yeux ; et Juliette, tout en secouant sa jolie petite motte, lui dit : - Justine, tu es une bête ; tu es plus belle que moi, mais tu ne seras jamais si heureuse. Poursuivant ensuite son opération la putain soupira ; et son jeune foutre, éjaculé sous les yeux baissés de la vertu, tarit la source des larmes que, sans cette opération elle eût peut-être versées comme sa sœur. - Tu es folle de t'inquiéter, poursuivit cette voluptueuse fille, en venant se rasseoir près de Justine ; avec la figure et l'âge que nous avons toutes les deux, il est impossible que nous mourions de faim. Elle lui cita, à cette occasion, la fille d'une de leurs voisines, qui, s'étant échappée de la maison paternelle, était aujourd'hui richement entretenue, et bien plus heureuse, sans doute, que si elle fût restée dans le sein de sa famille. - Il faut bien se garder de croire, ajouta-t-elle, que ce soit le mariage qui rende une jeune fille heureuse. Captivée sous la loi de l'hymen, elle a, avec beaucoup d'humeur à souffrir, une très légère dose de plaisir à attendre ; au lieu que, livrée au libertinage, elle peut toujours se garantir des mauvais procédés de l'amant, ou s'en consoler par le nombre. Justine frémit de ces discours. Elle dit qu'elle préférerait la mort à l'ignominie ; et, quelques nouvelles instances que pût lui faire sa sœur, elle refusa constamment de loger avec elle, dès qu'elle la vit déterminée à une conduite qui lui faisait horreur. Les deux jeunes filles se séparèrent donc, sans aucune promesse de se revoir, dès que leurs intentions étaient si différentes. Juliette, qui allait devenir une grande dame, consentirait-elle à recevoir une petite fille dont les inclinations vertueuses mais basses, seraient capables de la déshonorer ? Et, de son côté, Justine voudrait-elle risquer ses mœurs dans la société d'une créature perverse, qui allait devenir victime de la crapule et de la débauche publique ? Nous allons, avec la permission du lecteur quitter quelque temps cette petite libertine, pour ne nous attacher maintenant qu'à transmettre au public les anecdotes de la vie de notre pudibonde héroïne. On a beau dire : il faut un peu de vertu dans le monde ; et il est bien plus doux pour un biographe de peindre, dans le héros dont il transmet l'histoire, des traits de candeur et de bienfaisance, que de tenir sans cesse l'esprit fixé sur des débauches et des atrocités, comme sera obligé de le faire, sans doute, celui qui nous donne par suite de cet ouvrage-ci la très scandaleuse et très libertine histoire de l'impudique Juliette. Justine, caressée dès son enfance par la couturière de sa mère, croit que cette femme sera sensible à son malheur ; elle va la trouver, elle lui fait part de ses infortunes, elle lui demande de l'ouvrage... A peine la reconnaît-on ; elle est renvoyée durement. Ô ciel ! dit cette pauvre créature, faut-il que les premiers pas que je fais dans le monde soient déjà marqués par des chagrins !... Cette femme m'aimait autrefois, pourquoi me rejette-t-elle aujourd'hui ? Hélas ! c'est que je suis orpheline et pauvre, c'est que je n'ai plus de ressources sur la terre, et que l'on n'estime les gens qu'en raison des secours et des agréments que l'on s'imagine en recevoir. Justine en larmes va trouver son curé ; elle lui peint son état avec l'énergie de son âge. Elle était en petit fourreau blanc ; ses beaux cheveux négligemment repliés sous un grand mouchoir de Madras ; sa gorge à peine indiquée ne se distinguait presque pas sous la double gaze qui la dérobait à l'œil libertin ; sa jolie mine un peu pâle à cause des chagrins qui la dévoraient ; quelques larmes roulaient dans ses yeux, et leur prêtaient encore plus d'expression... Il était impossible d'être plus belle. - Vous me voyez, monsieur, dit-elle au saint ecclésiastique... oui, vous me voyez dans une position bien affligeante pour une jeune fille. J'ai perdu mon père et ma mère ; le ciel me les enlève dans l'âge où j'ai le plus besoin de leurs secours. Ils sont morts ruinés, monsieur ; je n'ai plus rien ; voilà tout ce qu'ils m'ont laissé, continua-t-elle, en montrant les douze louis, et pas un coin pour reposer ma pauvre tête ; vous aurez pitié de moi, n'est-ce pas, monsieur ? Vous êtes le ministre de la religion, et la religion est le foyer de toutes les vertus. Au nom de Dieu qu'elle enseigne et que j'adore de toutes les forces de mon âme, au nom de l'Être suprême dont vous êtes l'organe, dites-moi, comme un second père, ce qu'il faut que je fasse, ce qu'il faut que je devienne ? Le charitable prêtre répondit en lorgnant Justine, que la paroisse était bien CHARGÉE, qu'il était difficile qu'elle pût EMBRASSER de nouvelles aumônes : mais que si Justine voulait le servir, que si elle voulait FAIRE LE GROS OUVRAGE, il y aurait toujours dans sa cuisine un morceau de pain pour elle. Et comme en disant cela LE FAISEUR DE DIEUX lui avait tant soit peu pressé le jupon sur les fesses, comme pour se donner une légère idée de leur coupe, Justine, qui devina l'intention, le repoussa, en lui disant : - Monsieur, je ne vous demande ni l'aumône, ni une place de servante. Il y a trop peu de temps que je quitte un état au-dessus de celui qui peut faire désirer ces deux grâces, pour être réduite à les implorer ; je sollicite les conseils dont ma jeunesse et mes malheurs ont besoin, et vous voulez me les faire acheter trop cher. LE SERVITEUR DE CHRIST, honteux d'être dévoilé, se lève en colère ; il appelle sa nièce et sa servante : - Chassez-moi cette petite coquine, leur crie-t-il ; vous n'imagineriez pas ce qu'elle vient de me proposer... Tant de vices à cet âge !... et à un homme comme moi !... Qu'elle sorte... qu'elle sorte, ou je la fais arrêter dans l'instant !... Et la malheureuse Justine, repoussée, calomniée, insultée dès le premier jour qu'elle est condamnée à l'isolisme, entre dans une maison où elle voit un écriteau, loue un petit cabinet garni au cinquième, le paye d'avance, et s'y livre à des larmes d'autant plus amères, qu'elle est naturellement très sensible, et que sa fierté vient d'être cruellement compromise. Justine n'était pas au bout de toutes les petites duretés que devaient lui faire sentir ses désastres. Il y a une infinité de scélérats dans le monde, qui, loin de s'attendrir sur les malheurs d'une fille sage, ne cherchent qu'à les redoubler pour la mieux contraindre à servir des passions où son indigence la condamne. Mais de tous les désagréments qu'elle eut à essuyer dans les commencements de sa malheureuse histoire, nous ne citerons que celui qu'elle éprouva chez Dubourg, un des plus durs, comme l'un des plus riches traitants de la capitale. La femme chez qui Justine logeait, l'avait adressée chez lui comme chez quelqu'un dont le crédit et les richesses pouvaient le plus sûrement adoucir la rigueur de son sort. Après avoir attendu très longtemps dans l'antichambre, on introduisit à la fin Justine. M. Dubourg, gros, court, et insolent comme tous les financiers, sortait de son lit, entortillé d'une robe de chambre flottante qui cachait à peine son désordre. On s'apprêtait à le coiffer. Il fit retirer son monde ; et, s'adressant à la jeune fille : - Que me voulez-vous, mon enfant ? lui dit-il. - Monsieur, lui répondit notre petite niaise, toute confuse, je suis une pauvre orpheline à peine âgée de quatorze ans, et qui connais déjà toutes les nuances de l'infortune ; j'implore votre commisération ; ayez pitié de moi, je vous conjure. Et Justine, les larmes aux yeux, détaille avec intérêt au vieux scélérat les maux qu'elle endure, les difficultés qu'elle a de trouver une place... jusqu'à la répugnance qu'elle éprouve même à en prendre une, n'étant pas née pour cet état. Elle peint, en redoublant ses pleurs, l'effroi qu'elle a de l'avenir ; termine, en balbutiant, par l'espoir où elle est, qu'un homme aussi riche et aussi estimable que M. Dubourg lui procurera sans doute les moyens d'exister ; et tout cela avec cette éloquence du malheur, toujours rapide dans une âme sensible, toujours à charge à l'opulence. Dubourg était à peindre pendant ce récit. Commençant à s'échauffer pour cette jeune personne, il se branlotait d'une main sous sa robe de chambre, braquant de l'autre une lorgnette sur les attraits offerts à ses regards. En l'observant avec attention, on distinguait les gradations de la lubricité contourner graduellement les muscles de sa vieille figure, en raison du plus ou du moins de pathétique que mettait Justine à se plaindre. Ce Dubourg était un libertin très endurci, grand amateur de petites filles, et soudoyant de tous côtés des femmes en état de lui procurer de semblable gibier. Peu en état d'en jouir, Dubourg s'en tenait ordinairement avec elles à une fantaisie aussi brutale que singulière. Son unique passion consistait à voir pleurer les enfants qu'on lui procurait ; et, pour les amener là, il faut en convenir, personne au monde n'avait un si rare talent. Ce malheureux coquin avait tant de méchanceté, tant de taquinerie dans l'esprit, qu'il était impossible qu'une fille tînt aux mauvais propos dont il l'accablait. Les larmes coulaient en abondance, et Dubourg, heureux, joignait promptement quelques petits supplices matériels à la douleur morale qu'il venait d'exciter ; les pleurs coulaient alors avec plus de violence, et le barbare aux nues déchargeait, en couvrant de baisers le visage que ses procédés venaient d'inonder. - Avez-vous toujours été sage, dit Dubourg à Justine, pour en venir cette fois à son but ? - Hélas ! monsieur, répondit celle-ci, je ne serais ni aussi pauvre, ni aussi embarrassée, si j'avais voulu cesser de l'être. - Mais à quel titre alors prétendez-vous donc que des gens riches vous soulagent, si vous ne les servez en rien ? - Oh ! monsieur, je ne demande pas mieux que de rendre tous les services que la décence et ma jeunesse me permettent de remplir. - Je ne parle pas de servir, moi : vous n'êtes ni d'âge ni de tournure à cela ; je vous parle d'être utile aux plaisirs des hommes. Cette vertu, dont vous faites un si grand étalage, ne sert à rien dans le monde ; vous aurez beau fléchir aux pieds de ses autels, son vain encens ne vous nourrira point : la chose qui flatte le moins les hommes, celle dont ils font le moins de cas, celle qu'ils méprisent le plus souverainement, c'est la sagesse de votre sexe. On n'estime aujourd'hui, mon enfant, que ce qui rapporte ou ce qui délecte ; et de quel profit ou de quelle jouissance peut nous être la vertu des femmes ? Ce sont leurs désordres qui nous plaisent et qui nous amusent ; mais leur chasteté nous ennuie. Quand des gens de notre sorte donnent, ce n'est jamais que pour recevoir. Or, comment une petite fille comme vous, assez laide, assez bête d'ailleurs, peut-elle reconnaître ce qu'on fait pour elle, si ce n'est par l'abandon de son corps ? Allons, troussez-vous, si vous voulez que je vous donne de l'argent. Et Dubourg allongeait son bras pour saisir Justine et la placer entre ses jambes. Mais l'intéressante créature se retirant : - Oh ! monsieur, s'écria-t-elle en larmes, il n'y a donc plus ni probité ni bienfaisance chez les hommes ? - Ma foi, très peu, répond Dubourg, dont les mouvements masturbatifs redoublaient en raison des pleurs que faisaient couler ses propos, fort peu en vérité. On est revenu de cette manie d'obliger gratuitement les autres ; on a reconnu que les plaisirs de la bienfaisance n'étaient que les voluptés de l'orgueil ; et comme rien n'est aussi fragile, l'on a voulu des sensations plus réelles. On a vu, qu'avec un enfant comme vous, par exemple, il valait infiniment mieux retirer pour fruit de ses avances tous les plaisirs que peut offrir la luxure, que ceux très froids de la reconnaissance. La réputation d'un homme libéral, aumônier, généreux, ne vaut pas, même à l'instant où l'on en jouit le mieux, le plus léger plaisir des sens. - Ah ! monsieur, avec de pareils principes, il faut donc que l'infortuné périsse ! - Qu'importe ! Il y a plus d'individus qu'il ne faut dans le monde ; pourvu que la machine ait toujours la meure élasticité, que fait à l'État le plus ou le moins de bras qui la pressent ? - Mais croyez-vous que des enfants respectent leur père quand ils en sont maltraités ? - Que fait à un père l'amour des enfants qui le gênent ! - Il vaudrait donc mieux qu'on nous eût étouffés dès le berceau ? - Assurément. C'est l'usage dans beaucoup de pays ; c'était la coutume des Grecs ; c'est celle des Chinois. Là, les enfants malheureux s'exposent ou se mettent à mort. A quoi bon laisser vivre des créatures comme vous, qui, ne pouvant plus compter sur les secours de leurs parents, ou parce qu'ils en sont privés ou parce qu'ils n'en sont pas reconnus, ne servent plus dès lors qu'à surcharger l'État d'une denrée dont il regorge ? Les bâtards, les orphelins, les enfants mal constitués, devraient être condamnés à la mort dès leur naissance. Les premiers et les seconds, parce que, n'ayant plus personne qui veuille ou qui puisse prendre soin d'eux, ils souillent la société d'une lie qui ne peut que lui devenir funeste un jour ; et les troisièmes, parce qu'ils ne peuvent lui être d'aucune utilité. L'une et l'autre de ces classes sont à la société comme ces excroissances de chair, qui, se nourrissent du suc des membres sains, les dégradent et les affaiblissent ; ou, si vous l'aimez mieux, comme ces végétaux parasites, qui, se liant aux bonnes plantes, les détériorent et les rongent en s'adaptant leur substance nourricière. Abus criants que ces aumônes destinées à alimenter une telle écume... que ces maisons richement dotées, qu'on a l'extravagance de leur bâtir, comme si l'espèce des hommes était tellement rare... tellement précieuse, qu'il en fallût conserver jusqu'à la plus vile portion ; comme s'il n'y avait pas plus d'hommes, en un mot, qu'il n'en faut sur le globe, et comme s'il n'était pas plus nécessaire à la politique et à la nature, de détruire que de conserver. Et ici Dubourg, écartant la robe qui couvrait ses mouvements, fit voir à Justine qu'il commençait à tirer un assez bon parti du petit engin sec et noir que sa main secouait depuis si longtemps. - Allons, dit-il brusquement alors, allons, finissons des discours où tu n'entends rien, et cesse de te plaindre de la fortune, quand il ne tient qu'à toi d'y remédier. - A quel prix, juste ciel ! - Au plus médiocre, puisqu'il ne s'agit que de se trousser et de me faire voir à l'instant ce qui est sous tes jupes... Appas bien minces, sans doute, et que tu ne devrais pas autant faire valoir. Allons, foutre, décide-toi ; je bande ; je veux voir de la chair ; qu'on m'en montre à l'instant, ou je me fâche. - Mais, monsieur... - Absurde créature... imbécile putain, crois-tu que je te ferai plus de grâce qu'aux autres ! Et, se levant avec fureur, il barricade sa porte, et saute sur Justine, dont les pleurs coulaient avec abondance. Le libertin les baise... il dévore ces larmes précieuses qui devaient lui donner l'idée de celles de la rosée sur la feuille du lis ou de la rose ; puis, retroussant lui-même les jupes d'une main, il les entortille et les contient autour des bras de Justine, tandis que l'autre va pour la première fois souiller ce que la nature avait depuis longtemps formé de plus parfait. - Homme odieux, s'écrie Justine, en faisant alors un mouvement terrible pour s'échapper ; homme féroce, poursuit-elle, en déverrouillant la porte et se sauvant, puisse le ciel te punir un jour, comme tu le mérites, de ton exécrable endurcissement ! Tu n'es digne ni de ces richesses dont tu fais un aussi vil usage, ni de l'air même que tu ne respires que pour le corrompre par tes brutalités et tes scélératesses. Elle sort. La malheureuse, rentrée chez elle, n'a rien de plus pressé que de se plaindre à son hôtesse de la réception qu'on lui a faite chez l'homme où celle-ci l'avait envoyée. Mais quelle fut sa surprise de voir cette misérable l'accabler de reproches, au lieu de partager sa douleur. - Pauvre sotte, lui dit-elle en colère, imagines-tu que les hommes soient assez dupes pour faire l'aumône à de petites gueuses comme toi, sans exiger l'intérêt de leur argent ? M. Dubourg est trop bon d'avoir agi comme il l'a fait ; je veux que le diable m'emporte si à sa place je t'avais laissée sortir de chez moi sans m'être contentée. Mais, puisque tu ne veux pas profiter des secours que ma bienfaisance t'offrait, arrange-toi comme il te plaira. Tu me dois ; de l'argent tout à l'heure, ou demain la prison. - Madame, ayez pitié. - Oui, oui, pitié ; on meurt de faim avec de la pitié. Il te convient bien de faire la difficile. Sur cinq cents petites filles comme toi que j'ai procurées à cet honnête homme, depuis que je le connais, tu es la première qui m'ait joué un pareil tour... Quel déshonneur pour moi ! Cet homme si honnête dira que je ne sais pas mon métier, et il aura raison... Allons, allons, mademoiselle, il faut retourner chez Dubourg ; il faut le satisfaire ; il faut me rapporter de l'argent... Je le verrai, je le préviendrai, je raccommoderai, si je puis, vos sottises ; je lui ferai vos excuses ; mais songez à vous mieux conduire. Justine, seule, se plongea dans les réflexions les plus tristes... Non, se disait-elle en pleurant, non, je ne retournerai certainement pas chez ce libertin. Je ne suis pas encore dénuée de ressources ; mon argent me reste presque entier, et il me suffit pour vivre encore longtemps ; je trouverai peut-être jusque-là des âmes moins dures, des cœurs plus compatissants. Et, en prononçant ces paroles, le premier mouvement de Justine fut de compter son petit trésor. Elle ouvre la commode... Oh ! ciel ! elle est volée... Il ne lui reste que ce qu'elle a dans sa poche, arrivant à peine à six livres. Je suis perdue ! s'écria-t-elle. Ah ! je vois trop d'où le coup part. Cette créature indigne veut, en me privant de toutes mes ressources, me contraindre à me jeter dans le sein du crime ; mais... que dis-je ? Hélas ! poursuivait-elle en larmes, n'est-il donc pas trop vrai qu'il ne me reste plus d'autre moyen de prolonger ma vie ! et, dans le cruel état où je suis, ce malheureux ou quelque autre peut-être plus méchant encore, ne deviennent-ils pas les seuls êtres dont je puisse attendre quelques secours ? Justine au désespoir descend chez son hôtesse. - Madame, lui dit-elle, je suis volée ; c'est chez vous que s'est fait le coup ; c'est dans un meuble à vous que l'argent a été pris. Hélas ! c'est tout ce que je possédais ; c'était le reste infortuné de la succession de mon père ; privée de cette faible ressource, il ne me reste plus que la mort. Oh ! madame, rendez-le moi, je vous conjure... - Petite insolente, répond brusquement Mme Desroches, avant que de me porter pareilles plaintes, vous devriez connaître ma maison. Apprenez qu'elle est assez bien famée à la police, pour que, d'après le seul soupçon que vous venez de me témoigner je puisse à l'instant vous faire punir, si je voulais. - Soupçon, madame, je n'en ai aucun ; ce ne sont point des soupçons que je vous témoigne, ce sont des plaintes que je vous porte ; elles sont permises à l'infortune. Oh ! madame, que faut-il que je devienne, après avoir perdu cette unique ressource ? - Ma foi, vous deviendrez ce que vous voudrez, cela ne me regarde pas ; il y aurait des moyens de réparer, mais vous ne voulez pas en profiter. Et ce peu de mots acheva de porter le dernier trait de lumière sur un esprit aussi pénétrant que l'était celui de Justine. - Mais, madame, je puis servir, répondit cette infortunée toute en pleurs ; il n'est pas dit qu'il ne doive plus rester à la misère d'autre ressource que celle du crime. - Ma foi, c'est la seule bonne aujourd'hui. Que gagnerez-vous en service ? Dix écus par an : vous entretiendrez-vous avec cela ? Eh ! croyez-moi, ma mie, celles qui servent sont elles-mêmes obligées d'avoir recours au libertinage pour se soutenir ; j'en fournis tous les jours de cette espèce. Telle que vous me voyez, je suis, j'ose le dire, une des meilleures maquerelles de Paris ; il n'y a pas de jour où il ne me passe vingt-cinq à trente filles par les mains. Aussi, cela me rapporte... Dieu sait ! Je suis sûre qu'il n'y a pas une femme de mon état en France qui fasse aussi joliment ses affaires que moi. Tenez, continua-t-elle, en étalant aux yeux de cette infortunée cinq ou six cents louis, pour presque autant de bijoux, et la plus belle armoire de linge et de robes, ce n'est pourtant qu'à ce libertinage qui vous effraie que je dois tout cela. Sacredieu, ma fille, il n'y a que ce métier-là aujourd'hui ; allez, croyez-moi, franchissez le pas... Et puis, c'est un brave homme que Dubourg ; il ne vous dépucellera pas, au moins : il ne bande plus, comment voudriez-vous qu'il foutît ! Quelques petites claques sur le cul, quelques légers soufflets sur les joues. Et, si vous vous comportez bien avec lui, en moins de deux ans, avec l'âge et la figure que vous avez, si vous joignez à cela de la complaisance, vous mettront en état de rouler carrosse à Paris. - Je n'ai pas de vues si élevées, madame, répondit Justine. Ce n'est point une fortune que je veux, surtout s'il me la faut payer au prix de mon honneur. Je ne demande que la vie ; et j'offre à celui qui me la donnera tous les services qui pourront dépendre de mon âge, à côté de la reconnaissance la plus vive. Hélas ! madame, puisque vous êtes si riche, daignez compatir à mon sort. Je n'implore pas le prêt d'une aussi forte somme que celle que j'ai perdue chez vous ; donnez-moi seulement un louis, en attendant que je trouve une place ; je vous le rendrai, soyez-en bien sûre, je vous le rendrai sur le premier argent que je gagnerai. - Je ne te donnerai seulement pas deux sous, dit Mme Desroches, trop aise de voir sa victime où sa scélératesse venait de la réduire, non, pas deux sous. Je t'offre les moyens d'en gagner, profites-en, ou à l'hôpital. Précisément, M. Dubourg est un des administrateurs de cette maison ; il lui sera facile de t'y faire mettre. Bonjour, ma mie, poursuivit la cruelle Desroches, à une grande et jolie fille qui venait sans doute chercher quelque pratique chez elle ; et pour toi, ma fille, bonsoir... De l'argent demain, ou la prison. - Eh bien, madame, dit Justine en larme, voyez M. Dubourg. Je retournerai chez lui, puisque vous me répondez qu'il me respectera. Oui, j'y retournerai ; mon malheur m'en impose la loi. Mais, en fléchissant sous le coup du destin, souvenez-vous, madame, qu'il me restera du moins le droit de vous mépriser à jamais. - Impertinente créature, dit la Desroches en lui fermant la porte sur le dos, tu mériterais que je ne me mêlasse plus de ce qui te regarde. Mais ce n'est pas pour toi que je le fais ; ainsi, tes sentiments me sont égaux. Adieu. Il est inutile de peindre la nuit désolante que passa Justine. Vivement attachée à des principes de religion, de pudeur et de vertu, qu'elle avait, pour ainsi dire, sucés avec le lait, elle n'entrevoyait pas l'instant d'y renoncer, sans la plus déchirante affliction. Occupée des plus tristes pensées, repassant mille fois sans succès dans sa tête tous les moyens de se tirer d'embarras sans crime, le dernier parti qu'elle allait prendre était de se sauver furtivement de chez Mme Desroches, lorsque celle-ci vint frapper à sa porte. - Descends, Justine, lui dit-elle brusquement ; viens déjeuner avec une de mes amies, et rends-moi grâces de mon ambassade. J'ai réussi ; M. Dubourg, sous la promesse que je lui ai faite de ta soumission, consent à te revoir. - Mais, madame... - Allons, ne fais pas l'enfant ; le chocolat est prêt ; suis-moi. Justine descend. L'imprudence est la compagne du malheur ; Justine n'écoute que sa misère. Une très jolie femme, d'environ vingt-huit ans, était le tiers avec qui la Desroches faisait déjeuner Justine. Cette femme, pleine d'esprit, et de mœurs très corrompues, aussi riche qu'aimable, aussi adroite que belle, allait bientôt, comme on va le voir, devenir celle que Dubourg emploierait avec le plus de fruit pour achever de déterminer notre aimable enfant. On déjeune. - Voilà une charmante fille, dit Mme Delmonse, en vérité, je félicite bien sincèrement celui qui sera assez heureux pour la posséder. - Vous êtes bien bonne, madame, reprit tristement Justine. - Allons donc, mon cœur, ne rougissez pas ainsi ; la pudeur est un enfantillage qu'il faut écarter soigneusement dès qu'on atteint l'âge de raison. - Oh ! je vous supplie, madame, dit la Desroches, de former un peu cette petite fille ; elle se croit perdue parce que je lui rends le service de la procurer à un homme. - Ah ! bon Dieu, quelle extravagance ! reprit Mme Delmonse, Justine vous devez, au contraire, une reconnaissance infinie à celle qui vous y invite. Quelle fausse idée, chère fille, avez-vous donc de la sagesse ; et comment pouvez-vous croire qu'une jeune personne y manque en se livrant à ceux qui veulent d'elle ? La continence dans une femme est une vertu impraticable, mon enfant ; ne vous flattez jamais de l'atteindre. Lorsque les passions s'allumeront dans votre âme, vous verrez que cette manière d'être nous est impossible. Toujours en butte à la séduction, comment veut-on qu'une femme puisse résister aux attraits du plaisir perpétuellement offerts à ses sens ? Et comment lui faire un crime de succomber, quand tout ce qui l'environne sème des fleurs sur l'abîme et l'invite à s'y précipiter ? Ne vous y trompez pas, Justine, ce n'est pas la vertu que l'on exige de nous, ce n'est que son masque ; et, pourvu que nous sachions feindre, on ne nous demande rien de plus. Celle d'entre nous qui serait sage, avec le renom d'une coquine, serait infiniment moins heureuse que celle qui se livrerait à tous les excès de la débauche, en conservant la réputation d'une honnête femme ; car, encore une fois, ce n'est pas le sacrifice qu'on fait de ses sens à la vertu qui rend heureux ; sans doute il ne peut y avoir de félicité dans une telle contrainte. Ce qui conduit au vrai bonheur n'est donc que l'apparence de cette vertu où les préjugés ridicules de l'homme ont condamné notre sexe. Je pourrais me donner comme exemple à toi, Justine. Il y a quatorze ans que je suis mariée ; jamais je n'ai perdu la confiance de mon époux ; il protesterait de ma sagesse et de ma vertu sur sa propre vie ; et, jetée dans le libertinage dès les premières années de mon hymen, il n'existe pas dans Paris une femme plus corrompue que moi ; il n'y a pas de jours que je ne me prostitue à sept ou huit hommes, et souvent à trois à la fois ; il n'est pas une maquerelle qui ne me serve, pas un joli homme qui ne m'ait foutue : et mon époux te jurera, quand tu voudras, que Vesta fut moins pure. La retenue la plus entière, l'hypocrisie la plus scrupuleuse, beaucoup d'art... de fausseté : voilà les moyens qui me déguisent, voilà les ligaments du masque que la prudence place sur mon front ; et j'en impose à tout le monde. Je suis putain comme Messaline : on me croit sage comme Lucrèce ; athée comme Vanimi : on me croit dévote comme sainte Thérèse ; fausse comme Tibère : on me croit franche comme Socrate ; sobre comme Diogène : Apicius fut moins intempérant que moi. J'idolâtre, en un mot, tous les vices ; je déteste toutes les vertus ; et si tu consultais mon époux, si tu interrogeais ma famille, on te dirait : Delmonse est un ange : tandis que le prince des ténèbres lui-même fut enclin à moins de désordres. C'est la prostitution qui t'effraie ! Eh, mon enfant, quelle extravagance ! Examinons-la dans tous ses rapports, et voyons sous lequel on pourrait la croire dangereuse. Est-ce à elle-même qu'une jeune fille peut faire tort, étant libertine ? Non, sans doute ; car elle ne fait que céder aux plus doux mouvements de la nature, qui, certes, ne les lui suggérerait pas, s'ils devaient lui nuire. N'a-t-elle pas mis dans elle le désir de se prostituer à tous les hommes au nombre des premières nécessités de la vie ? et y a-t-il une seule femme qui puisse dire qu'elle n'éprouve pas le besoin de foutre, aussi impérieusement que ceux de boire et de manger ? Or, je te demande, Justine, comment la nature pourrait faire un crime à une femme de céder à des désirs qui composent la plus sublime partie de son existence ? Considérons-nous le libertinage d'un être de notre espèce, relativement à la société ? Certes, je crois qu'il est rare de trouver une action plus agréable au sexe qui partage avec nous le monde, que celle de la prostitution d'une jolie femme. Et où en serait-il, ce sexe, si toutes, entichées de faux systèmes de vertu que des imbéciles nous prêchent, s'obstinaient à ne jamais offrir que des refus aux désirs effrénés des hommes ? Réduits à se branler ou à s'enculer entre eux, il faudrait donc qu'ils renonçassent totalement à notre commerce ? Car, tu m'avoueras que le mariage ne saurait fixer : il est tout aussi impossible à un homme de s'en tenir à une seule femme, qu'à celle-ci de se contenter d'un seul homme. La nature déteste, abjure, contrarie tous ces dogmes de votre absurde civilisation ; et le tort de votre logique imbécile ne devient pas celui de ses lois : n'écoutons qu'elle, et nous ne serons jamais trompés. En un mot, Justine, crois-en quelqu'un qui a de l'expérience, de l'érudition, des principes, et sois persuadée que ce qu'une jeune fille peut faire de mieux et de plus raisonnable dans le monde, c'est de se prostituer à tous ceux qui veulent d'elle, en conservant, comme je viens de le dire, des dehors qui puissent imposer. Tu as grondé hier cette brave et honnête Desroches de l'intérêt qu'elle prenait à toi. Eh ! ma pauvre Justine, que ferions-nous sans ces serviables créatures ? Que d'obligations ne leur avons-nous pas des soins qu'elles veulent bien prendre de nos plaisirs ou de nos intérêts ? Est-il un métier au monde plus estimable et plus nécessaire que celui d'une maquerelle ? Cette honnête fonction fut estimée de tous les peuples ; toutes les nations la vénèrent. Les Grecs et les Romains lui érigèrent des temples ; le sage Caton maquerella sa femme ; Néron et Héliogabale retiraient un tribut des bordels qu'ils avaient au sein de leurs palais. Les éléments sont maquereaux ; la nature elle-même l'est à tous les instants. Ce talent bien exercé est, en un mot, le plus précieux... le plus cher à la société ; et les charitables gens qui l'exercent avec honneur devraient être encouragés par des récompenses. - Vous êtes bien honnête, madame, dit Desroches, toute glorieuse de voir prendre ainsi son parti. - Eh non, je dis ce que je pense, reprit Delmonse ; c'est mon cœur qui se peint ici ; et, après avoir fait l'éloge du métier en général, je féliciterai Justine du bonheur particulier qu'elle a de vous avoir rencontrée pour la conduire dans la carrière voluptueuse des plaisirs de la vie. Qu'elle se livre aveuglément à vos conseils, madame ; qu'elle n'écoute que vous ; et je lui garantis bientôt, à côté de la fortune la plus agréable, les plus délicats plaisirs de la vie. Cette séduisante conversation n'était pas finie qu'on frappa à la porte. - Ah ! dit Mme Desroches, en ouvrant, c'est le jeune homme que tu m'as demandé, Delmonse. Et aussitôt un superbe cavalier de cinq pieds dix pouces, fait comme Hercule et beau comme l'Amour, se présente dans le salon. - Il est charmant, dit notre libertine, en le considérant ; il ne s'agit plus que de savoir s'il sera aussi vigoureux que sa figure le promet. C'est qu'il y a longtemps que je ne me suis sentie si bien en train de foutre : vois mes yeux, Desroches, vois les flammes ardentes qu'ils exhalent. Ah sacre-dieu ! poursuivit la garce, en baisant le jeune homme avec effronterie ; sacrefoutredieu, je n'en puis plus. - Il fallait donc me prévenir, dit Desroches, je t'en aurais donné trois ou quatre. - Allons, voyons toujours celui-là. Et l'impudente, passant un de ses bras autour de ce jeune homme qu'elle n'avait vu de ses jours, déboutonne de l'autre main sa culotte, sans le moindre respect pour l'innocence et pour la pudeur qu'un tel cynisme scandalisait aussi vivement. - Madame, dit Justine toute rouge, permettez que je me retire. - Non, non, pardieu, dit Delmonse, non, non. Desroches, oblige-la de rester ; je veux lui donner une leçon de pratique, après lui en avoir donné une de théorie ; je veux qu'elle soit témoin de mes plaisirs, c'est l'unique moyen de lui en inspirer promptement le goût. Pour toi, Desroches, tu es un témoin nécessaire à mes orgies ; désirant te voir exercer ton métier jusqu'au bout, tu sais, ma bonne, que l'introduction du membre viril ne m'est vraiment agréable que quand elle est dirigée par tes mains ; tu me branles d'ailleurs si bien quand je fous, tu as tant de soin de mes hanches, de mon clitoris, de mon cul ! Ah ! Desroches, tu es la cheville ouvrière de mes plaisirs. Allons, allons, mettons-nous en train. Justine, asseyez-vous là devant nous, et ne nous perdez pas un moment de vue. - Oh ! quel supplice, madame, s'écrie l'orpheline en pleurant ; laissez-moi me retirer, je vous en conjure, et croyez-moi que le spectacle des horreurs que vous allez commettre ne me causera jamais que des dégoûts. Mais la Delmonse, entière dans ses désordres, et trouvant, avec assez de raison, que ses plaisirs gagnaient infiniment à scandaliser ainsi la vertu, s'oppose fortement à ce que Justine se retire, et la scène s'ouvre. Tous les détails de la plus piquante luxure sont offerts aux yeux de notre pudique enfant. A la place de Desroches elle est contrainte à saisir le vit monstrueux du jeune homme, qu'à peine ses deux petites mains peuvent empoigner, et à le présenter au con de la Delmonse, à l'y introduire, à se prêter, malgré ses répugnances, aux caresses de cette femme impure, qui, raffinant tous ses plaisirs, trouve un accroissement indicible à leur volupté, dans les baisers luxurieux qu'elle applique sur la bouche innocente de cette enfant, pendant que le vigoureux athlète la fait pâmer cinq fois de suite sous les prodigieux efforts de son vit. - Bougre-de-Dieu, dit la Messaline en se relevant de là comme une bacchante ; oh foutre-dieu, que j'ai eu de plaisir ! Sais-tu, Desroches, quelle serait maintenant mon envie ? Je veux faire dépuceler cette petite mijaurée par le monstrueux vit qui vient de me foutre. Que dis-tu du projet ? - Non, non, répondit celle-ci ; nous la tuerions ; et je n'y gagnerais pas. Cependant nos deux combattants reprennent leurs forces ; d'amples libations de vin de Champagne, quelques pâtisseries et des truffes les leur rendent bientôt. Delmonse se replace et défie son vainqueur. Justine, condamnée aux mêmes soins, est obligée de rengainer une seconde fois l'instrument. Il faut voir avec quelle peine... avec quelle répugnance elle exécute ce dont on la charge. La putain veut cette fois-ci qu'elle lui branle le clitoris. Desroches lui guide la main ; mais la gaucherie de l'écolière dégoûte bientôt la fougueuse Delmonse. - Secoue-moi, secoue-moi, Desroches, s'écrie-t-elle ; je m'aperçois que si la corruption de l'innocence flatte le moral, la débilité de ses moyens ne vaut rien au physique, surtout avec une libertine comme moi, qui fatiguerait dans ses transports dix mains comme celle de Sapho, et dix vits comme celui d'Hercule. Cette seconde séance terminée comme la première par d'amples sacrifices à Vénus, Delmonse se rajuste ; son fouteur sort ; et la Desroches, se hâtant de prendre un mantelet, fait des excuses à son amie sur ce que le rendez-vous qu'elle a pris avec Dubourg, l'empêche de lui tenir plus longtemps compagnie. - Desroches, dit ici Mme Delmonse, au bout de quelques minutes de réflexion, plus je suis foutue, plus je deviens libertine ; une action chez moi détermine une idée, et cette nouvelle idée une action différente. Laisse-moi t'accompagner chez Dubourg ; j'ai la plus extrême envie de voir tout ce que ce vieux coquin inventera pour se ranimer avec cette petite fille ; si mes soins lui sont nécessaires, je les lui donnerai ; tu sais que ce n'est pas la première fois que tu me procures de telles pratiques, et que sans vanité je les conduis au but tout aussi sûrement qu'une Agnès. Souvent ces vieux scélérats me préfèrent, tu le sais bien encore ; et l'art chez moi suppléant à la jeunesse, je les fais souvent décharger bien plus vite que ne le ferait Hébé même. - Ce que tu me demandes est possible, dit Desroches ; je connais assez mon Dubourg pour être bien sûre que je ne lui déplairai point en lui amenant une jolie femme de plus ; allons. Un fiacre arrive ; la modeste Justine, toujours effrayée, y monte la première, et l'on part. Dubourg était seul. Il attendait ces dames dans un état encore bien plus indécent que la veille : la brutalité, le libertinage, tous les caractères de la luxure la plus effrénée éclataient dans ses regards sournois. - Vous ne comptiez que sur une femme aujourd'hui, monsieur, lui dit la Desroches en entrant, eh bien, j'ai cru ne pas vous déplaire en vous en amenant deux ; l'une d'ailleurs ne se prêtant qu'avec beaucoup de peine à vos plaisirs, j'ai imaginé qu'il n'y aurait nul inconvénient de vous en conduire une seconde, pour encourager et contenir la première. - Et quelle est cette fille ? dit Dubourg sans se déranger, en jetant sur la Delmonse un coup d'œil mêlé de cynisme et d'indifférence. - Une jolie femme de mes amies, répondit la Desroches, dont l'excessive complaisance égale les charmes, et qui va nous devenir peut-être aussi utile dans les plaisirs que vous vous promettez pour le moment, que dans ceux que vous projetez pour la suite avec la belle et l'intéressante Justine. - Comment, dit Dubourg, tu crois qu'une séance ne terminera pas tout ceci ? - Il serait possible, reprit Desroches ; et c'est dans cette appréhension que j'ai cru que l'intervention de mon amie pourrait toujours devenir nécessaire. - Allons, nous verrons, dit Dubourg. Sortez, Desroches, sortez ; vous mettrez tout cela sur le mémoire. Comment sommes-nous ensemble ? - Mais, monsieur, dit Desroches, depuis trois mois que vous n'avez compté, il y a bien près de cent mille francs. - Cent mille francs ! juste ciel ! - Mais monsieur songe-t-il que je lui ai fourni plus de huit cents filles depuis cette époque ; elles sont toutes écrites... monsieur sait bien comme je pense, il sait bien que je serais fâchée de le tromper d'un sou. - Allons, allons, nous verrons tout cela ; sors, Desroches ; je sens que la nature me presse, l'ai besoin d'être seul avec ces deux femmes. Et vous, Justine, avant que votre protectrice ne s'en aille, remerciez-la de ce que je veux bien en sa faveur vous rendre un instant mes bontés. Vous devez sentir, petite fille, à quel point vous en êtes indigne d'après votre conduite d'hier ; et si vous opposez encore la plus légère résistance à mes désirs, deux hommes vous attendent dans mon antichambre, pour vous conduire en un lieu dont vous ne sortirez de vos jours. Ici Desroches sortit. - Ô monsieur ! dit Justine en pleurant, en se précipitant aux pieds de cet homme barbare, laissez-vous fléchir, je vous en conjure ; soyez assez généreux pour me secourir sans exiger de moi ce qui me coûte assez cher pour vous offrir plutôt ma vie que de m'y soumettre. Oui, reprit-elle avec l'élan de la plus profonde sensibilité, oui, j'aime mieux mourir mille fois que d'enfreindre les principes de morale et de vertu dont on a nourri mon enfance ; monsieur, monsieur, ne me contraignez pas, je vous en supplie. Pouvez-vous concevoir le bonheur au sein des dégoûts et des larmes ? Osez-vous soupçonner le plaisir où vous ne verrez que des répugnances ? Vous n'aurez pas plutôt consommé votre crime, que le spectacle de mon désespoir vous accablera de remords. Mais ce qui se passait empêcha la malheureuse de poursuivre. La Delmonse, en femme adroite, devinant sur le front de Dubourg les mouvements de son âme de fer, s'était agenouillée près de son fauteuil, et le branlait voluptueusement d'une main en le socratisant de l'autre, afin de le rendre insensible à la jérémiade. - Sacredieu, dit Dubourg, vigoureusement échauffé de l'épisode, et fourrageant déjà la complaisante Delmonse, oh foutredieu ! moi te faire grâce ! j'aimerais mieux t'étrangler, garce. Il se lève à ces mots comme un furieux ; et, faisant voir un petit vit sec et noir, il saisit sa proie avec brutalité, enlève impunément les voiles qui dérobent encore à ses yeux libertins ce dont il brûle de jouir. Tour à tour, il injurie, il flatte, il maltraite, il caresse. Ah ! quel tableau, grand Dieu ! Il semblait que la nature voulût, dans cette première circonstance de la vie de Justine, imprimer à jamais dans elle, par ce spectacle, toute l'horreur qu'elle devait avoir pour un genre de crime d'où devait naître l'affluence des maux dont elle était menacée. Justine nue fut jetée sur un lit ; et, pendant que la Delmonse l'y contient, le libertin Dubourg inventorie les appas de celle qui, dans ce moment critique, veut bien lui servir de maquerelle. - Attendez, dit la coquine ; je sens que mes jupes vous gênent ; je vais promptement vous livrer à nu l'objet qui, ce me semble, attire ici tous vos hommages ; c'est mon cul que vous voulez voir ; je connais... je respecte ce goût-là dans les gens de votre âge. Tenez, mon ami, le voilà ; il est un peu plus rempli que celui de cette enfant ; mais ce contraste vous amusera ; voulez-vous les voir tous deux l'un près de l'autre ? - Oui, sacredieu, dit Dubourg ; montez sur ses épaules pour la contenir, j'essayerai de l'enculer en vous baisant les fesses. - Ah ! je vois ce qu'il vous faut, libertin, dit Delmonse, en se huchant à cheval sur les reins de Justine, qu'elle fixe par ce moyen perfide aux luxures brutales de Dubourg. - Vraiment oui, c'est cela, répond le libertin en faisant précéder quelques claques assez bien appliquées et sur l'un et sur l'autre cul qu'on offre à ses passions ; oui, c'est cela ; voyons si je pourrai essayer du sodome. Le bougre tente ; mais ses feux trop ardents s'éteignent dans l'effervescence de l'entreprise. Le ciel venge Justine des outrages où le monstre veut la livrer ; et la perte des forces de ce libertin, avant le sacrifice, préserve cette malheureuse enfant d'en devenir la triste victime. Dubourg n'en devient que plus insolent. Il accuse Justine des torts de sa faiblesse ; il veut les réparer par de nouvelles injures et par des invectives encore plus mortifiantes ; il n'est rien qu'il ne dise, rien qu'il ne tente, rien que sa perfide imagination, la dureté de son caractère, la dépravation de ses mœurs ne lui fasse entreprendre. La maladresse de Justine l'impatiente ; elle est loin de vouloir agir, c'est beaucoup pour elle que de se prêter. Cependant rien ne réussit. La Delmonse elle-même, avec tout son art, ne parvient pas à rendre à la vie cet engin énervé par une abondante décharge ; elle a beau presser, secouer, sucer cet instrument mollet, rien ne lève. Dubourg lui-même a beau passer avec ces deux femmes de la tendresse à la rigueur, de l'esclavage à la tyrannie, de l'air de la décence aux excès les plus crapuleux ; tous les trois excédés ne réussissent pas même à faire retrouver à ce malheureux engin l'air majestueux qu'il faudrait pour entreprendre de nouvelles attaques. Dubourg y renonce ; il fait promettre à Justine de revenir le lendemain ; et, pour l'y mieux déterminer, il ne veut pas absolument lui donner un sou. On la remet entre les mains de la Desroches ; et la Delmonse reste chez Dubourg, qui, restauré par un excellent repas, se vengea bientôt sur cette jolie femme de l'impossibilité où la nature l'avait mis de consommer son crime avec la petite fille. Il en coûta quelques vexations mutuelles, beaucoup d'efforts d'un côté, de complaisance de l'autre ; mais le sacrifice se consomma, et le superbe cul de la Delmonse reçut l'offrande infructueusement destinée à celui bien plus frais de Justine. Celle-ci, de retour à la maison, certifia à son hôtesse que, dut-elle expirer de besoin, elle ne s'exposerait plus à pareille scène ; elle accabla de nouveaux reproches le scélérat capable d'abuser aussi cruellement de sa misère. Mais le crime heureux et triomphant se rit des imprécations de l'infortune ; ses succès l'enhardissent, et sa marche rapide s'accélère en raison des malédictions qu'il reçoit. Voilà les perfides exemples qui laissent l'homme en suspens entre le vice et la vertu, et qui le plus souvent ne le déterminent qu'au vice, parce qu'à ses yeux l'expérience y présente toujours le bonheur. **** *creator_sade *book_sade_justine1799 *style_prose *date_1799 CHAPITRE II NOUVEAUX OUTRAGES DIRIGÉS CONTRE LA VERTU DE JUSTINE - COMMENT LA MAIN DU CIEL LA RÉCOMPENSE DE SON INVIOLABLE ATTACHEMENT À SES DEVOIRS Avant que de poursuivre, il nous paraît essentiel de mettre nos lecteurs au fait. Les moins clairvoyants ont déjà présumé sans doute que le vol de l'infortunée Justine était bien certainement l'ouvrage de la Desroches ; mais ce dont ils ne sont peut-être pas convaincus, c'est de la part étonnante qu'avait Dubourg à cette scandaleuse affaire. C'était par les conseils de ce scélérat que la Desroches avait opéré. - Elle est à nous infailliblement, si nous lui enlevons toutes ses ressources, avait-il dit cruellement ; or, ce que je veux, c'est qu'elle soit à nous : donc il faut la réduire à l'aumône ; et, tel dur que pût être ce calcul, il était néanmoins infaillible. Dans le dîner que Dubourg avait fait avec Delmonse, il lui avait avoué cette petite horreur. La tête de celle-ci, fertile en tours de cette espèce, s'en était vivement allumée. Le résultat de la conspiration était que la Delmonse ferait l'impossible pour placer Justine chez elle pendant les trois mois que son mari devait encore être à la campagne ; que pendant cet intervalle Dubourg essaierait de nouvelles tentatives, favorisées par Delmonse ; et qu'enfin si rien ne réussissait, on en tirerait une vengeance éclatante, afin, disait Dubourg, que la vertu se trouve dans cette aventure, aussi molestée, aussi dégradée qu'elle doit toujours l'être, chaque fois qu'elle ose combattre le vice à visage découvert. Ce joli complot décidé, le millionnaire, ainsi que nous l'avons dit, le signa de son foutre au fond du beau cul de la Delmonse ; et, dès le lendemain, cette aimable amie travailla sans relâche à la réussite du projet. Assez méchante pour avoir pris grand plaisir à l'idée de perdre la malheureuse Justine, elle ne manqua pas de revenir le lendemain déjeuner chez Desroches. - Vous m'intéressâtes hier, mon enfant, dit l'hypocrite Delmonse à Justine, je ne croyais pas que l'on pût porter aussi loin la sagesse ; en vérité, vous êtes un ange arrivé tout exprès du ciel pour la conversion des humains. Je ne me suis, jusqu'à ce moment-ci, offerte à vos regards que comme une libertine, mais je dois en convenir, à vous seule est dû le changement subit qui vient de s'opérer en moi ; et c'est sur votre sein que je le jure, mon aimable modèle, vous ne me verrez plus que repentante et vertueuse. Ô Justine ! ô toi qui deviens si nécessaire à ma conversion ! voudrais-tu consentir à venir partager ma retraite ? Je t'aurais sous mes yeux ; et les grands exemples que je recevrai sans cesse de toi perfectionneront bientôt l'ouvrage de la réflexion. - Hélas ! madame, répondit Justine, je ne suis pas faite pour donner des exemples ; et si votre conversion est réelle, c'est à l'Être suprême que vous le devez et non pas à moi. Faible et fragile créature, je suis bien loin de ce qu'il faut pour devenir un modèle ; et c'est vous, madame, vous qui m'en servirez, si vous écoutez jusqu'au bout la voix du ciel qui tonne dans votre âme. Je vous remercie de l'asile que vous m'offrez ; tant que je pourrai vous être utile, madame, sans contrarier mes principes, ordonnez, je suis à vos ordres ; et ma reconnaissance et mes faibles services acquitteront, s'il se peut, vos bienfaits. La Desroches, prévenue par Delmonse, eut assez de sang-froid pour ne pas éclater à cette comédie ; elle félicita Justine de son bonheur. Ce que devait la jeune personne est aussitôt acquitté, et l'on part. Mme Delmonse occupait une maison délicieuse. Des valets, du train, des chevaux, les meubles les plus riches apprirent bientôt à Justine qu'elle était chez une des femmes les plus opulentes de Paris. -- Par reconnaissance pour de plus anciens domestiques, dit la Delmonse, dès qu'elle tint Justine, il ne m'est pas possible de vous élever sur-le-champ aux premiers emplois de ma maison ; mais vous y parviendrez, mon ange, et quelque subalterne que soit, en attendant, celui que je vous donne, croyez que je n'en aurai pas moins de considération pour vous. - Je ferai tout, madame, dit Justine ; trop heureuse de trouver au moins la vie et l'honneur de votre maison. - Vous serez ma fille de garde-robe, mon enfant, reprit la Delmonse ; tout ce qui tient à la propreté de cette partie vous regardera, et, si vous vous conduisez bien, avant un an je vous élève au poste de ma troisième femme. - Oh ! madame, répondit Justine confuse... je n'aurais pas cru... - Ah ! je le vois, de l'orgueil, Justine, sont-ce donc là les vertus que j'attendais de vous ? - Vous avez raison, madame, l'humilité doit être la première ; c'est celle au moins de mon état et de mes malheurs : ordonnez qu'on me mette au fait de mes devoirs, et soyez sûre de mon exactitude à les remplir. - Je vais vous y mettre moi-même, ma chère fille, répondit la Delmonse, en conduisant Justine dans deux cabinets pratiqués derrière la niche de glace du boudoir élégant de cette sybarite. Tenez, voilà les lieux dont le soin vous regarde. Celui-ci, continua-t-elle, en lui ouvrant un de ces deux cabinets, orné de bidets et de baignoires, celui-ci n'est que de propreté ; il ne s'agit que de vider et de remplir. Cet autre, continue Delmonse, en ouvrant le second, est d'un détail un peu moins honnête ; vous le voyez, c'est une chaise percée, voilà bien des lieux à l'anglaise, mais je préfère ce fauteuil ; vous devinez, ma fille, le soin que vous devez en avoir, ainsi que des autres vases en porcelaine, destinés à de plus minces soins. Il y a encore une chose dont il faut que je vous prévienne. C'est une délicatesse, je le sais, mais elle est devenue habitude chez moi, et je ne m'en priverai pas sans chagrin. - Et de quoi s'agit-il, madame ? - Il faut être toujours là quand j'opère, et... je vais te dire le reste à l'oreille, mon enfant ; car, quand on est vertueuse, on rougit de l'obligation où l'on est de faire de semblables aveux. Il faut, avec le coton que tu vois dans cette armoire de bois d'acajou, purifier... nettoyer les taches qu'entraînent nécessairement avec elles ces sales nécessités de la nature. - Moi-même, madame ! - Oui, mon enfant, toi-même. Celle qui t'a devancée faisait bien pis ; mais, toi, ma chère Justine, je te respecte ; tu es vertueuse, cela m'en impose. - Eh ! que faisait-elle donc, celle qui était avant moi ? - La même chose avec sa langue. - Ah ! madame. - Oui, je sens bien que c'est dur. Voilà où nous conduisent le luxe, la mollesse, et l'oubli de tous les devoirs sociaux. Quand on en est là, on s'accoutume à ne regarder tout ce qui nous entoure que comme des objets faits pour nous être asservis... Un grand nom, cent mille livres de rente, de la considération, du crédit : voilà ce qui nous mène à ces derniers degrés de la corruption réfléchie. Mais je me corrige, ma chère ; je me convertis, en honneur ; et ton sublime exemple va consolider le miracle. Vous serez nourrie, Justine ; vous mangerez avec mes femmes ; et vous gagnerez cent écus par an ; cela vous arrange-t-il ? - Hélas ! madame, dit Justine, l'infortune ne marchande jamais : tous les secours qui lui sont offerts conviennent. Mais sa reconnaissance se proportionne et à l'espèce des services qu'on lui rend, et à la manière dont ils sont rendus. - Oh ! vous serez contente de tout cela, Justine, je vous le promets, répondit Delmonse ; il n'y a que mes habitudes auxquelles je vous prie de ne pas me faire renoncer... Ah ! j'oubliais de vous montrer votre chambre ; elle tient à ces deux cabinets, absolument retranchée derrière eux ; c'est une espèce de forteresse... d'ailleurs jolie, un bon lit... ma sonnette en cas de besoin. Vous le voyez, je vous laisse chez vous, mon cœur, en me félicitant d'avoir pu faire quelque chose qui vous soit agréable. Justine ne fut pas plus tôt seule, que sa profonde sensibilité lui arracha des larmes. Eh quoi ! disait-elle, en voyant l'avilissement de son sort, cette femme, qui me retire, à ce qu'elle prétend, dans sa maison par estime pour ma vertu, se plaît pourtant à m'avilir au point de me destiner un emploi aussi bas que celui que sa fierté me propose ! Et pourquoi donc dès que tous les individus se ressemblent, faut-il qu'il y en ait de condamnés à rendre aux autres des services aussi humiliants que ceux-là ? Ô douce égalité de la nature ! ne régnerez-vous donc jamais chez les hommes ? On appelle Justine pour dîner ; elle fait connaissance avec ses trois compagnes, toutes trois jolies comme des anges. Le soir, elle commence ses honorables fonctions. D'abord la garde-robe, ensuite le bidet. Justine conduisait l'éponge, imbibait, lavait, nettoyait ; et tout cela dans un silence qui lui parut fort extraordinaire. Il semblait que la dignité de madame la comtesse Delmonse se fût compromise en conversant avec sa servante ; ou peut-être, et c'est ce que nous avons cru de préférence, madame Delmonse se taisait-elle pour ne pas compromettre le grand secret qui concernait sa chétive esclave. Cependant, l'observatrice et judicieuse orpheline ne fut pas longtemps sans s'apercevoir que les exemples de vertu qu'on lui avait assuré vouloir prendre d'elle n'avaient pas encore fait une sainte de sa respectable maîtresse. Profitant de l'absence de son mari, la coquine s'en donnait sans ménagement ; et les orgies qui se célébraient dans le voluptueux boudoir attenant aux deux pièces confiées aux soins de Justine la convainquirent bientôt du peu de sincérité de la conversion de cette femme. Une fois même, deux ou trois jeunes gens s'échappèrent dans ces cabinets de propreté, et insultèrent assez vivement Justine qui y procédait à ses fonctions. Elle se plaignit. A peine eut-on l'air de l'entendre ; et la vertueuse créature, en projetant de quitter bientôt cette maison, se détermina néanmoins par prudence à patienter quelque temps encore. Un jour elle crut entendre la voix de Dubourg ; elle prête l'oreille, et ne distingue rien. C'était lui ; mais les précautions étaient bien prises pour que tout ce qui se tramait contre elle fût toujours revêtu des voiles du plus incroyable mystère. Il y avait environ deux mois qu'elle menait dans cette maison une vie aussi tranquille qu'uniforme lorsque madame Delmonse, ne pouvant plus tenir aux feux de sa luxure, passa un soir dans sa garde-robe, fort échauffée de vin et de paillardise. - Justine, dit-elle d'un air un peu moins grave, la place de ma troisième femme sera bientôt vacante ; Suzanne qui l'occupe est devenue amoureuse de mon premier laquais ; je les marie. Mais, mon enfant, pour monter à cette place, j'exige de toi des complaisances bien différentes de celles qui viennent de constituer les bases de ton devoir. - Et de quoi s'agit-il, madame ? - Il faut que nous couchions ensemble, Justine ; il faut que tu me branles... - Oh ! madame, est-ce là cette vertu ?... - Comment ! tu n'es pas encore revenue de tes chimères ? - Chimères, madame ?... la vertu une chimère ! - Assurément, mon ange, il n'en est pas de plus méprisable. Les vertus, les religions, tout cela sont des freins populaires dont les philosophes se moquent et qu'ils se font un jeu d'enfreindre. Les seules lois de la nature sont nos passions ; et dès qu'elles contrarient la vertu, celle-ci n'a donc plus rien de réel. Un moment j'ai cru pouvoir vaincre le violent amour que tu m'inspires. Contente de t'avoir, je crus que ta présence adoucirait les maux que tes yeux faisaient à mon cœur ; et si je t'ai soumise aux emplois que tu exerces, c'est qu'ils me procuraient le plaisir de me montrer souvent nue devant toi. Mais ton insensibilité me révolte ; je ne puis plus imposer silence à mes passions, il faut qu'elles se satisfassent à tel prix que ce puisse être. Viens, suis-moi, fille céleste. Et Delmonse, malgré les résistances de Justine, l'entraîne dans son appartement. Il n'y eut rien alors que cette séductrice n'employât pour achever de corrompre la vertu de cette jeune personne : présents, promesses, discours flatteurs, tout fut mis en usage, mais en vain ; et les fermes résistances de Justine convainquirent Mme Delmonse que les préjugés de la vertu dans une jeune fille peuvent avoir assez de force pour résister à toutes les attaques du crime. De ce moment, la mégère ne se contient plus : la luxure se change aisément en fureur dans des âmes de cette trempe1. - Perfide créature, lui dit-elle au comble de la rage, je saurai t'arracher de force ce que tu refuses de bon gré à mes passions. Elle sonne. Deux de ses femmes paraissent ; elles étaient prévenues. Esclaves des fantaisies de leur maîtresse, elles étaient depuis longtemps accoutumées à les favoriser et à les servir. Presque nues comme elle et échevelées, ressemblantes toutes trois à des bacchantes, elles saisissent Justine, la déshabillent ; et pendant que les deux acolytes l'exposent aux caresses impures de leur luxurieuse patronne, celle-ci, agenouillée devant l'autel des plaisirs, effraie la pudeur, en chasse la vertu pour y substituer la débauche et le libertinage le plus recherché... Le croirait-on ?... l'infâme ; elle gamahuchait Justine en lui enfonçant un doigt dans le trou du cul. L'une des femmes était chargée de chatouiller le clitoris ; l'autre, les deux jolis petits tétons à peine éclos de cette fille enchanteresse. Mais la nature n'avait encore rien dit au cœur naïf de notre intéressante orpheline. Froide, insensible à toutes les entreprises essayées sur elle, elle ne répondait que par des soupirs et des larmes aux efforts multipliés de ces tribades. Les postures varient. L'impudente Delmonse se met à cheval sur la poitrine de cette belle enfant ; elle lui pose le con sur la bouche ; une de ses femmes la branle à la fois par devant et par derrière ; une seconde continue de polluer Justine, dont le beau visage est inondé deux fois de suite de jets multipliés de la semence impure de Delmonse, qui décharge, à ce qu'on prétend, comme un homme. Tout fait horreur à Justine ; rien ne l'émeut, tout lui répugne. Irritée de tant de résistance, la Delmonse se met dans une inconcevable fureur. Elle saisit Justine par les cheveux ; elle l'entraîne dans sa chambre, l'y enferme et la laisse jeûner plusieurs jours au pain et à l'eau. Cependant, jusqu'ici Mme Delmonse n'avait songé qu'à satisfaire sa passion ; elle avait presque perdu de vue ce dont elle était convenue avec Dubourg, qui, de son côté s'occupant de nouveaux plaisirs, paraissait oublier ceux-là. L'espoir de la vengeance ramène Delmonse à ses promesses ; elle jouit de l'idée délicieuse de trouver un ennemi de plus à cette infortunée ; et le récit de ce qui se passa va dévoiler les trames que ces scélérats employèrent. Le huitième jour, Delmonse rendit à Justine sa liberté. - Reprenez votre ouvrage, lui dit-elle gravement, et, si vous vous conduisez bien, je pourrai peut-être oublier vos torts. - Madame, répondit Justine, je désirerais bien qu'il vous plût de prendre quelqu'un à ma place. Je ne m'aperçois que trop que je n'ai pas ce qu'il faut pour vous plaire ; et j'aime mieux une condition moins lucrative, et qui ne me compromettra pas autant. - J'ai besoin de quinze jours pour cela, dit aigrement Mme Delmonse : faites votre service très exactement jusqu'à cette époque ; et, si vous êtes alors dans les mêmes intentions, je vous remplacerai. Justine accepte, et tout se calme. Environ cinq jours avant l'échéance de ce délai, Mme Delmonse, au moment de se coucher, ordonne à Justine de passer dans son appartement. - N'ayez pas peur, mademoiselle, lui dit-elle en la voyant émue, je n'ai pas envie de m'exposer une seconde fois à vos humiliations ; je suis plus faite aux préférences qu'aux refus. C'est pour mon service que je vous demande, et non pour autre chose. Justine entre. Mais quelle est sa surprise, quand elle voit Dubourg presque nu, au milieu des deux femmes de la Delmonse, empressées l'une et l'autre à servir les passions de ce libertin. Que devient-elle quand elle entend les portes se fermer, et que le ton, les discours, la physionomie de celle à qui elle a affaire ne lui présagent plus que des malheurs ? - Ô madame ! s'écrie-t-elle en tombant aux pieds de cette femme perfide, quel est donc le nouveau piège que vous me préparez ? Est-il possible qu'une maîtresse abuse aussi cruellement de l'impuissance et de la misère d'une malheureuse domestique ! Oh ! quelle horreur, grand Dieu ! et quel crime vous commettez envers toutes les lois divines et humaines. - Oh, nous allons bientôt, j'espère, nous souiller plus énergiquement, dit Dubourg en se relevant et collant ses lèvres impures sur la bouche délicate de Justine qui se retire avec dégoût... Oh ! oui, oui, poursuit ce monstre, nous allons nous livrer bientôt à d'autres crimes ; et j'espère qu'à la fin cette fière vertu ne trouvera plus de défense. En même temps Justine est saisie, dépouillée, et offerte à l'instant, toute nue, par les femmes de Delmonse, aux immodestes projets du financier. Dubourg, presque sûr, à ce qu'il prétend, de foutre au moins deux coups cette fois-ci, réserve pour le dernier celui des deux pucelages de Justine dont il fait le plus de cas, et c'est celui du con que l'on présente à ses premiers feux. Le scélérat s'avance ; c'est Delmonse elle-même qui le conduit, et qui, le glaive du paillard à la main, s'apprête à l'enfoncer au sein de la victime. Mais Dubourg, toujours partisan des détails, veut préluder par quelques-uns de ces petits supplices libidineux dont les jouissances ont tant d'empire sur ces sens engourdis. Idolâtre du cul le coquin veut le voir ; celui de Justine est si joli ! On le lui expose ; il le claque, refait placer, soufflette la victime, lui manie brutalement la motte, lui pince les tétons, s'égare sur les trois beautés qui l'entourent, L'une des femmes de Delmonse surtout, grande créature de dix-sept ans, faite à peindre, et belle comme un ange, parait l'échauffer incroyablement. Par malheur on le branle, et très adroitement, pendant qu'il prélude : hélas ! le même accident qu'à la première séance arrive encore à celle-ci. Dubourg n'a que le temps de se jeter sur Justine. Les voies bien imbibées lui sont présentées entrouvertes ; mais l'arme plie à mesure que s'en exhale la liqueur qui la tient en arrêt. Dubourg, dont la décharge est impétueuse, perd la tête en y procédant ; il n'a plus ni assez de présence d'esprit, ni assez de force pour enfiler droit. - Ah ! foutre-dieu, sacré nom d'un dieu, s'écrie-t-il, en accablant de soufflets et de coups de poing la pauvre Justine, et lui barbouillant le con de foutre, ah ! double foutredieu que j'abhorre, mon projet est manqué. - Ne t'effraie pas, Dubourg, dit Delmonse ; le Dieu ou le Diable qui protège cette petite garce ne sera pas toujours vainqueur : elle succombera. Répare tes forces, j'ai de quoi te les rendre ici. Elle lui frotte en même temps les couilles avec une liqueur dont elle connaît la vertu, lui fait servir un bouillon composé d'aromates et d'épices, dont l'effet est, dit-elle, assuré. De nouvelles provocations des trois femmes se joignent à ces stimulants ; il n'est rien que les coquines ne fassent, rien que leur lubricité n'invente, aucun goût qu'elles ne préviennent, aucune passion qu'elles n'échauffent ; tantôt victimes, et tantôt prêtresses, elles reçoivent actuellement ce qu'elles viennent de donner tout à l'heure ; et le joli corps de Justine toute nue, qu'on ne cesse d'offrir au paillard, les larmes, les lamentations, de cette belle fille, achèvent de donner à la scène tout le piquant qu'elle peut avoir. Dubourg bande ; il se rapproche de son objet. Comme c'est le con qu'il a voulu attaquer, on lui suppose les mêmes desseins, on le lui représente. - Eh ! non, non, donnez-moi le cul ! s'écrie-t-il ; c'est ce foutu con qui m'a porté malheur, je le déteste. Un pucelage m'a tenté ; mais on ne compose point avec la nature ; ne m'offrez que le cul, mes amies, c'est le cul seul que je veux foutre. Les charmantes petites fesses de Justine lui sont aussitôt montrées : le paillard débute par des baisers qui prouvent à quel point cette délicieuse partie du corps d'une femme a d'empire sur lui. Delmonse, pendant que ses deux acolytes écartent les fesses, continue de diriger l'instrument. Déjà les premières atteintes ont fait pousser un cri furieux à Justine ; mais le mouvement dérange l'attaque. Dubourg veut s'y représenter ; Justine effrayée se démène avec tant de violence et d'agilité, qu'elle échappe aux bras qui la captivent, et se précipite sous le lit en poussant d'affreux hurlements. Là, comme dans une forteresse ; notre héroïne retranchée proteste que ni prières ni menaces ne seront capables de la faire déguerpir, et qu'elle périra plutôt que de se rendre. Le féroce Dubourg la pointe à coups de canne. Plus leste qu'une anguille, Justine évite tout. - Il faut l'écraser, dit Dubourg ; il faut enfoncer le lit, et l'étouffer sous les matelas. Mais comme le paillard ne cesse de se faire branler en formant tous ces plans affreux, comme il manie de droite et de gauche tous les attraits qui lui sont offerts, la nature trompe une seconde fois son espoir criminel ; il n'a que le temps de se plonger dans le cul de la jolie fille de dix-sept ans, dont nous avons parlé tout à l'heure, où ses feux s'apaisent de manière à faire espérer à la triste Justine d'être tranquille au moins le reste de la nuit. Mais l'infortunée est toujours frémissante. Rien ne peut déterminer notre aimable enfant à quitter sa retraite, avant qu'elle ne soit certaine de celle de Dubourg. Alors elle gagne sa chambre en tremblant, et en renouvelant à sa maîtresse les plus vives insistances de la laisser sortir d'une maison où sa vertu se trouve à chaque instant aussi cruellement compromise. Delmonse furieuse ne répond que par des mépris. Justine, un peu rassurée par ses compagnes, reprend ses occupations, sans réfléchir qu'après les torts que ces scélérats ont à lui reprocher les vengeances les plus éclatantes doivent nécessairement s'amonceler sur sa tête. Mme Delmonse avait pour habitude, quand elle venait à sa garde-robe, de poser sur une chiffonnière une superbe montre enrichie de diamants ; dès qu'elle avait fini, elle la reprenait, l'oubliait quelquefois, et Justine, pour lors, la lui reportait aussitôt. Trois jours après l'événement que nous venons de raconter, la montre de Mme Delmonse s'égare, et cette fois-ci ne se retrouve plus. On interroge Justine, qui répond de son exactitude, et en donne pour preuve celle dont elle a fait profession jusqu'à ce moment-ci. Delmonse ne dit mot ; mais le lendemain au soir, à peine Justine, retirée dans sa chambre, vient-elle de se jeter sur sa couche inondée de larmes pour y goûter quelques instants de repos, qu'elle entend enfoncer sa porte... Juste ciel ! c'est sa maîtresse même, conduisant un commissaire... des archers. - Faites votre devoir, monsieur, dit-elle à l'homme de justice. Cette malheureuse a volé ma montre ; vous la trouverez sur elle ou dans sa chambre... - Moi, vous avoir volé, madame, dit Justine confondue, en se jetant en désordre au bas de son lit ; ah ! qui doit être plus pénétrée que vous de mon innocence et de ma probité ? Ici les yeux effrayés de Justine tombent machinalement sur l'un des quatre recors qui servent d'escorte au commissaire. Oh ! grand Dieu ! elle reconnaît Dubourg ; c'est lui, c'est cet insatiable libertin, qui, non content de l'exécration où sa scélératesse le livre, vient de porter la férocité au point de venir lui-même, sous ce déguisement, saisir, sur les traits renversés de sa malheureuse victime, toutes les progressions de la douleur et du désespoir où sa méchanceté la plonge ; raffinement exécrable, sans doute, mais dont l'effet devait être bien vif sur une âme aussi dépravée. - Je suis perdue, dit Justine en le reconnaissant. Elle veut parler ; mais la Delmonse fait tant de bruit que notre malheureuse orpheline n'est point entendue. Les perquisitions se continuent. La montre se retrouve. Dubourg, qui vient de la placer lui-même, la fait voir au commissaire, sous un matelas. Avec des preuves de cette force, il n'y a rien à répliquer. Justine est saisie. Dubourg dispute à ses confrères l'honneur de la garrotter lui-même. Des cordes grossières, appliquées par la main du vice, déchirent, blessent inhumainement les mains de la candeur et de l'innocence. On dit même que tout en agissant, le scélérat a l'audace de rapprocher de sa culotte ces mains qu'il enchaîne, de leur faire sentir tout l'effet que cette scène atroce produit sur ses sens émus. Sans pouvoir s'expliquer, enfin, Justine est jetée dans un fiacre. C'est Dubourg et son valet de chambre, déguisé sous le costume de l'un des autres soldats, qui l'accompagnent pour la consigner dans des cachots où ces monstres eussent bien mieux figuré eux-mêmes. Une fois dans la voiture avec son complice, on ne se figure pas les atrocités que Dubourg entreprend. Quelle défense offrira Justine ? elle est liée ; et ce qu'il y a de bien extraordinaire, c'est que Thémis assure elle-même, cette fois, les projets désastreux du crime. Le valet de chambre contient ; Justine est troussée, parcourue, baisée, fourragée partout. Mais le libertin, trop ému, ne reçoit heureusement point de la nature les forces nécessaires à consommer son crime ; et l'autel est encore une fois arrosé de l'hommage que trop d'ardeur empêche de s'épancher au sanctuaire. Le fiacre arrive ; on descend ; et notre innocente héroïne est écrouée comme voleuse, sans qu'il lui soit possible de faire entendre un seul mot pour sa justification. Le procès d'un infortuné, qui n'a ni crédit, ni protection, est promptement fait, dans un pays où l'on croit la vertu incompatible avec la misère... où le malheur est une preuve complète contre l'accusé. Là, une injuste prévention fait croire que celui qui a pu commettre le crime l'a commis ; les sentiments se mesurent à l'état où l'on trouve le coupable ; et sitôt que l'or ou des titres n'établissent pas sa pureté, l'impossibilité qu'il puisse être innocent devient alors démontrée2. Justine eut beau se défendre ; elle eut beau fournir les meilleurs moyens à l'avocat de forme qu'on lui donna pour un instant ; sa maîtresse l'accusait ; la montre s'était trouvée dans sa chambre : il était clair qu'elle l'avait volée. Lorsqu'elle voulut citer les séductions, les attentats dirigés contre son honneur ; la mascarade de Dubourg, ses entreprises pendant la conduite, on traita ses plaintes de récriminations : on lui dit que M. Dubourg et Mme Delmonse étaient depuis longtemps connus pour des gens intègres incapables de telles horreurs. Elle fut donc transférée à la conciergerie, où elle se vit au moment de payer de ses jours le refus de partager une horreur. Un nouveau délit pouvait seul la sauver. La Providence voulut que le crime servît au moins une fois d'égide à la vertu, qu'il la préservât de l'abîme où l'allaient engloutir la méchanceté des hommes et l'imbécillité des juges. Justine se permit quelques plaintes amères contre les coquins qui la perdaient aussi cruellement ; mais ces imprécations, loin d'attirer sur eux la colère du ciel, ne servirent qu'à leur porter bonheur. Delmonse hérita peu de jours après d'un oncle mort aux îles, qui lui laissa cinquante mille livres de rente ; et Dubourg obtint du gouvernement une régie générale, qui, dans le même mois, augmenta son revenu de quatre cent mille francs annuels. Il est donc vrai que la prospérité peut accompagner et couronner le crime, et qu'au milieu du désordre et de la corruption, tout ce que les hommes appellent le bonheur peut se répandre sur la vie. Que d'exemples de cette triste vérité il nous resta à offrir encore3 ! **** *creator_sade *book_sade_justine1799 *style_prose *date_1799 CHAPITRE III ÉVÈNEMENT QUI BRISE LES FERS DE JUSTINE - QUELLE EST LA SOCIÉTÉ QUI L'ENTRAÎNE - NOUVEAUX DANGERS QUE COURT SA PUDEUR - INFAMIES DONT ELLE EST TÉMOIN - COMMENT ET AVEC QUI ELLE ÉCHAPPE AUX SCÉLÉRATS AUXQUELS SON ÉTOILE L'ENCHAÎNAIT Justine avait pour voisine dans sa prison une femme d'environ trente-cinq ans, aussi célèbre par sa beauté, par son esprit, que par l'espèce et la multitude de ses forfaits. On la nommait Dubois ; et elle était, ainsi que Justine, à la veille de subir son jugement de mort. Le genre seul embarrassait les juges. S'étant souillée de tous les crimes imaginables, on se trouvait contraint, ou à inventer pour elle un supplice, ou à lui en faire subir un dont la loi excepte les femmes. Justine avait inspiré une sorte d'intérêt à cette créature, intérêt basé sur le crime, et qui pourtant délivra la vertu. Un soir, deux jours peut-être avant celui où toutes les deux devaient perdre la vie, la Dubois dit à Justine de ne point se coucher, et de se tenir avec elle, sans affectation, le plus près possible du guichet. « Entre sept et huit heures, poursuivit-elle, le feu prendra à la conciergerie : c'est l'ouvrage de mes soins. Beaucoup de gens seront brûlés, sans doute ; peu importe, Justine le sort des autres doit être toujours nul, dès qu'il s'agit de notre bien-être. Je ne connais pas, moi, ce fil de fraternité ridicule qu'établissent chez les hommes la faiblesse et la superstition. Soyons isolés, ma fille, comme nous a fait naître la nature : lui voyons-nous jamais lier un homme à un homme ? Si quelquefois nos besoins nous rapprochent, séparons-nous dès que nos intérêts l'exigent, parce que l'égoïsme est la première des lois de la nature, la plus juste, la plus sacrée, sans doute. N'apercevons jamais dans les autres que des individus faits pour nos passions ou pour nos caprices. Déguisons-nous, si nous sommes les plus faibles ; usons de tous nos droits comme les animaux, si nous sommes les plus forts. En un mot, au milieu du meurtre et de l'incendie, nous nous sauverons, quatre de mes camarades, toi et moi ; oui, nous nous sauverons, je te le promets. Que t'importe ce que le reste deviendra ! suis-nous. » Par un de ces caprices inexplicables du sort, sa main, qui venait de punir l'innocence dans notre héroïne, servit le crime dans sa protectrice. Le feu prit ; l'incendie fut horrible ; il y eut soixante personnes de brûlées. Mais Justine, la Dubois et ses complices se sauvèrent, et gagnèrent, dès la même nuit, la cabane d'un braconnier de la forêt de Bondy intime ami de la bande. - Te voilà libre, Justine, dit alors la Dubois ; tu peux maintenant choisir tel genre de vie qu'il te plaira. Mais si tu suis mes conseils, mon enfant, tu renonceras à ces pratiques de vertu, qui, comme tu vois, ne t'ont jamais réussi. Une délicatesse déplacée puisqu'il ne s'agissait que d'être foutue, et que tu ne dois pas douter, d'après les récits que tu m'as faits, que la Delmonse et Dubourg ne soient les agents de ta perte ; une délicatesse ridicule, dis-je, te conduit aux pieds de l'échafaud : un crime affreux m'en sauve. Regarde à quoi les bonnes actions servent dans le monde, et si c'est bien la peine de s'immoler pour elles. Tu es jeune et jolie, Justine : en deux ans je me charge de ta fortune. Mais n'imagine pas que je te conduise au sanctuaire de son temple par les sentiers de la sagesse : il faut, quand on veut faire ce chemin, entreprendre plus d'un métier, et servir plus d'une intrigue. Le vol, le meurtre, le pillage, l'incendie, le putanisme, la prostitution, la débauche ; voilà les vertus de notre état ; nous n'en admîmes jamais d'autres. Consulte-toi, chère fille, et donne-nous promptement ta réponse ; car il est peu de sûreté pour nous dans cette chaumière ; il faut que nous en partions avant le jour. - Oh ! madame, répondit Justine, je vous ai de grandes obligations ; je suis loin de vouloir m'y soustraire : vous m'avez sauvé la vie ; il est affreux pour moi que ce soit par un crime. Croyez que, s'il me l'eût fallu commettre, j'eusse préféré mille morts à la douleur d'y participer. Je sens tous les dangers que j'ai courus pour m'être abandonnée aux sentiments honnêtes qui resteront toujours dans mon cœur ; mais, quels que soient, madame, les dangers de la vertu je les préférerai sans cesse aux détestables faveurs qui accompagnent le crime. Il existe dans moi des principes de morale et religion, qui, grâce au ciel, ne m'abandonneront jamais. Si la main de Dieu me rend l'existence pénible, c'est pour m'en dédommager dans un monde meilleur. Cet espoir me console ; il adoucit mes chagrins ; il apaise mes plaintes ; il me fortifie dans la détresse, et me fait braver tous les maux qu'il plaira à la Providence de m'envoyer. Cette joie douce s'éteindrait aussitôt dans mon âme, si je venais à me souiller d'un crime ; et, avec la crainte des châtiments de ce monde, j'aurais le douloureux aspect des supplices de l'autre, qui ne me laisserait pas un instant de calme dans la vie. - Oh, foutre ! s'écria la Dubois , en fronçant le sourcil, voilà des systèmes absurdes qui te conduiront à l'hôpital. Laisse là ton infâme Dieu, ma fille. Sa justice céleste, ses châtiments ou ses récompenses, toutes ces platitudes-là ne sont bonnes que pour des imbéciles et tu as trop d'esprit pour y croire. Ô Justine ! la dureté des riches légitime la mauvaise conduite des pauvres. Que leurs trésors s'ouvrent à nos besoins, que l'humanité règne dans leur cœur, et les vertus pourront s'établir dans le nôtre. Mais tant que notre infortune, notre patience à la supporter, notre bonne foi et notre asservissement ne serviront qu'à doubler nos fers, nos crimes deviendront leur ouvrage. Eh ! nous serions bien dupes de nous les refuser, quand ils peuvent amoindrir le joug dont leur cruauté nous surcharge. La nature nous a créés tous égaux, Justine ; si les injustes rigueurs du sort se plaisent à déranger ce premier plan des lois générales, c'est à nous d'en corriger les caprices, et de réparer par notre adresse les usurpations du plus fort. J'aime à les entendre, ces gens riches, ces gens titrés, ces magistrats, ces prêtres ; j'aime à les voir nous prêcher la vertu. Il est bien difficile de se garantir du vol, quand on a trois fois plus qu'il ne faut pour vivre ! bien malaisé de ne jamais concevoir le meurtre, lorsque, entouré sans cesse de flatteurs, rien ne peut exciter à la vengeance ! bien pénible en vérité d'être tempérant et sobre, quand on est à chaque heure entouré des mets les plus succulents ! Ils ont bien du mal à être sincères, ces gens opulents et oisifs, quand il ne se présente pour eux aucun intérêt de mentir ; bien du mérite à ne pas désirer la femme des autres, quand tout ce que la lubricité peut avoir de plus vif, est sans cesse offert à leurs sens. Mais nous, Justine, nous que cette Providence barbare, que ce Dieu vain et ridicule, dont tu as la folie de faire ton idole, a condamnés à ramper dans l'humiliation, comme le serpent dans l'herbe ; nous, qu'on ne voit qu'avec dédain, parce que nous sommes pauvres ; qu'on tyrannise parce que nous sommes faibles ; nous dont les lèvres ne sont abreuvées que de fiel, et dont les pas ne pressent que des ronces ! tu veux que nous nous défendions du crime, quand sa main seule nous ouvre les portes de la vie, nous y maintient, nous y conserve, et nous empêche de la perdre ! tu veux que, perpétuellement soumis et dégradés, pendant que cette classe qui nous maîtrise a pour elle toutes les faveurs de la fortune, nous ne nous réservions que la peine, l'abattement et la douleur, que le besoin et que les larmes, que les flétrissures et l'échafaud ! Non, non, Justine, non, ou ce Dieu que tu as la bêtise de croire n'est fait que pour nos mépris ou ce ne sont point là ses volontés. Va, mon enfant, quand la nature nous place dans une situation où le mal nous devient nécessaire, et qu'elle nous laisse en même temps la faculté de l'exercer, c'est que le mal sert à ses lois comme le bien, et qu'elle gagne autant à l'un qu'à l'autre. L'état où elle nous a créés, c'est l'égalité. Celui qui dérange cet état, n'est pas plus coupable que celui qui cherche à le rétablir ; tous deux agissent d'après des impressions reçues ; tous deux doivent les suivre et jouir en paix. » L'éloquence de la Dubois était autrement rapide que celle de la Delmonse. A moyens égaux, la cause du crime est bien mieux défendue par celui qui le commet par besoin, que par celui qui ne s'y livre que par libertinage ; et Justine étourdie pensa devenir la victime des séductions de cette femme adroite. Mais une voix plus forte combattant dans son cœur, elle déclare à sa corruptrice qu'elle est décidée à ne se jamais rendre, que le crime lui fait horreur, et qu'elle préfère la mort la plus affreuse à l'horrible obligation de le commettre. - Eh bien, répondit la Dubois, deviens ce que tu voudras ; je t'abandonne à ton mauvais sort. Mais, si jamais tu te fais pendre, ce qui ne peut te fuir par la fatalité qui sauve le crime en immolant toujours la vertu, souviens-toi du moins de ne jamais parler de nous. » Pendant ce dialogue, les quatre compagnons de la Dubois buvaient avec le braconnier ; et comme le vin dispose ordinairement l'âme du malfaiteur à des excès plus grands, les scélérats n'apprirent pas plus tôt les résolutions de notre infortunée, qu'ils se décidèrent à faire d'elle une victime, ne pouvant en faire une complice. Leurs principes, leur profession (c'étaient des voleurs de grands chemins), leurs mœurs, l'état actuel de leur physique (on bande bien après trois mois de prison), le sombre réduit où ils étaient, l'épaisseur de la nuit, l'espèce de sécurité dans laquelle ils se trouvaient, leur ivresse, l'innocence de Justine, son âge, les attraits divins dont l'avait embellie la nature : tout les électrise, tout les encourage. Ils se lèvent de table ; tiennent conseil ; et le résultat est un ordre à Justine de se prêter sur-le-champ à satisfaire les désirs de chacun des quatre, ou de bonne grâce ou de force. Si elle se prostitue de bonne volonté, ils lui donneront chacun un écu pour la conduire où elle voudra. S'il leur faut employer la violence, la chose se fera de même. Mais pour que le secret soit gardé, ils la poignarderont après s'être satisfaits, et l'enterreront au pied d'un arbre. Il est inutile de peindre l'effet que cette cruelle délibération produisit sur l'âme de Justine ; nos lecteurs le comprennent aisément. Elle se jette aux genoux de la Dubois ; elle la conjure d'être une seconde fois sa protectrice. Mais la coquine ne fait que rire de ses larmes. - Triple-dieu ! lui dit-elle, te voilà bien malheureuse ; tu frémis de l'obligation d'être successivement foutue par quatre beaux garçons comme ceux-là ! Tiens, lui dit-elle en les lui présentant tour à tour, vois celui-ci : il s'appelle Brise-Barbe ; vingt-cinq ans, ma fille, et un membre... qu'on admirerait, sans celui de mon frère que voici : c'est Cœur-de-Fer, trente ans ; vois comme il est tourné ; et ce vit ! je gage que tes deux mains ne l'empoignent pas ; ce troisième est Sans-Quartier ; regarde ses moustaches ; vingt-six ans ; (puis bas), Justine, la veille de notre incarcération, il m'avait foutue onze coups dans une soirée. Oh ! pour le quatrième, tu m'avoueras que c'est un ange ; il est trop beau pour faire ce métier ; vingt et un ans ; nous l'appelons le Roué et il le sera ; avec les dispositions qu'il a pour le crime, un tel sort ne peut lui manquer ; mais c'est son vit Justine, c'est son vit qu'il faut que tu voies ; on ne se fait pas d'idée d'un engin de cette espèce ; vois comme c'est long, comme c'est gros, comme c'est dur ; cette tête, comme elle est vermeille ! Va, je t'assure que quand j'ai cela dans mes entrailles, je me crois mieux foutue que ne le fût jamais Messaline. Mais sais-tu, ma fille, qu'il y a dix mille femmes à Paris qui donneraient la moitié de leur or ou de leurs bijoux, pour être à ta place. Écoute, ajouta-t-elle pourtant, après un peu de réflexion, j'ai assez d'empire sûr ces drôles-là pour obtenir ta grâce, aux conditions que tu t'en rendras digne. - Hélas ! madame, que faut-il faire ? Ordonnez-moi, je suis toute prête. - Nous suivre, tuer, voler, empoisonner, massacrer , incendier, piller, ravager, comme nous ; à ce prix, je te sauve le reste. Ici Justine ne crut pas devoir balancer. En acceptant cette cruelle condition, elle courait, il est vrai, de nouveaux dangers, mais ils étaient moins pressants que ceux dont elle était subitement menacée. - Eh bien ! madame, j'irai partout, s'écria-t-elle, partout, je vous le promets ; sauvez-moi de la fureur de ces hommes, et je ne vous quitterai de la vie. - Enfants, dit la Dubois, cette fille est de la troupe ; je l'y reçois ; je vous prie de ne lui point faire de violence ; ne la dégoûtez pas du métier ; son âge et sa figure peuvent attirer des dupes dans nos filets ; servons-nous-en, et ne la sacrifions pas à nos plaisirs. Mais les passions ont un degré d'énergie dans l'homme, où rien ne peut les captiver : plus on essaie alors de leur faire entendre la voix de la raison, plus leur perversité comprime cette voix ; et presque toujours alors les moyens présentés pour éteindre l'embrasement ne servent qu'à lui donner plus d'activité. Les camarades de la Dubois se trouvaient dans ce malheureux cas. Tous les quatre, le vit à la main, n'attendaient que le sort qu'ils consultaient avec des dés, pour savoir auquel d'entre eux seraient destinés les prémices. Les coquins buvaient, jouaient et bandaient. Or, des refus ou des raisons pénètrent bien difficilement dans des âmes ainsi disposées. - Non, sacredieu, dit Brise-Barbe, il faut que la bougresse y passe ; il n'y a plus de moyens de la sauver. Ne dirait-on pas qu'il faut faire preuve de vertu pour être reçue dans une troupe de voleurs, et qu'il faut avoir son pucelage pour aller tuer sur les grands chemins ! Double bougre de dieu ! je veux foutre, s'écria Sans-Quartier, s'avançant vers Justine, le vit à la main et prêt à l'enfiler ; oui, foutu nom d'un dieu dont je me fous, je veux la foutre, ou l'égorger ; qu'elle choisisse. Douce et tremblante victime, notre malheureuse enfant frémissait ; à peine avait-elle la force de respirer : A genoux devant ces quatre bandits, ses faibles bras s'élevaient pour les implorer ; et le Dieu que profanaient leurs blasphèmes était saintement invoqué par elle. - Un moment, dit Cœur-de-Fer, qui, par sa qualité de frère de la Dubois avait l'honneur de commander la troupe, un moment, mes amis. Je bande comme vous ; vous le voyez, continua-t-il, en frappant de son vit sur la table, et cassant une noix avec ; comme vous, je veux décharger ; et je crois néanmoins qu'il est possible de se satisfaire en rendant tout le monde content. Puisque cette petite putain tient tant à la vertu, et que, comme le remarque fort sagement ma sœur, cette qualité différemment mise en action, pourra nous devenir nécessaire, laissons-lui son pucelage. Mais il faut que nous soyons apaisés ; les têtes n'y sont plus ; et, dans l'état où nous sommes, tu le vois ma sœur, nous vous égorgerions peut-être toutes les deux, si vous résistiez à nos projets. Les passions de l'homme sans frein sont terribles ; c'est un fleuve qui déborde, et qui ravage tous les environs, si on ne lui ouvre pas une issue. Tu dois te souvenir, Dubois, de nous avoir vus souvent massacrer des femmes qui nous résistaient ; et ce qu'il y a de fort particulier, tu as vu le résultat de ces crimes devenir le même que celui de la luxure, et notre foutre couler sur le sang, comme s'il eût coulé dans les cons. Ne nous arrête donc pas, je te le conseille ; contente-toi de nous diriger. Voici donc ce que je propose : Il faut que Justine se mette aussi nue que le jour qu'elle est venue au monde. J'exige qu'en cet état elle se prête tour à tour aux différents caprices luxurieux qu'il nous plaira de passer avec elle, pendant que la Dubois, apaisant nos ardeurs, fera brûler l'encens sur les autels dont cette extravagante nous refuse l'entrée. - Me mettre nue, s'écria Justine !... me déshabiller devant des hommes ! Oh ! juste ciel, qu'exigez-vous ? Et quand je serai livrée de cette manière à vos regards, qui me garantira de vos insultes ? - Mais, qui t'en garantit à présent, putain ? dit le Roué, en passant sa main sous les jupes de Justine, et lui collant ses lèvres sur la bouche. - Oui, foutredieu, qui t'en garantit ? dit Sans-Quartier en saisissant le revers de la médaille que palpait le Roué ; tu vois bien que tu es à nous ; tu vois bien que la soumission est le seul parti que tu aies à prendre ; obéis donc, ou tu es morte. - Allons, laissez-la, dit Cœur-de-Fer, en l'arrachant des mains de ses camarades ; laissez-la procéder tranquillement aux dispositions exigées. - Non, dit Justine, en se voyant libre, non, vous ferez de moi ce que vous voudrez, vous êtes les plus forts ; mais vous n'obtiendrez rien de bon gré. - Eh bien, garce, lui dit Cœur-de-Fer, en lui appliquant un soufflet qui la renverse sur le lit, ce sera donc nous qui te déshabillerons. Et, lui passant aussitôt ses jupes par-dessus la tête, il les fend, avec son couteau, d'une si horrible manière que l'on crut un moment que c'était le ventre de cette malheureuse que le coquin partageait en deux. En un instant le plus beau corps du monde fut une seconde fois exposé à tout ce que la luxure peut avoir de plus monstrueux. - Disposons-nous, dit Cœur-de-Fer. Ma sœur, étends-toi sur ce lit, que Brise-Barbe t'enconne. Justine, à califourchon sur Dubois, avancera son con vers la face de Brise-Barbe, et lui pissera dans la bouche ; je connais ses goûts. - Oh ! foutre, dit le paillard, en s'adaptant fort vite au con de la Dubois, je n'ai point de jouissance plus vive que celle-là, et je te remercie de l'idée. Il enconne, on pisse, il décharge, et Sans-Quartier se met à l'ouvrage. - Pendant que je foutrai ta sœur, dit-il au chef, contiens devant moi cette gueuse. On obéit. Il frappe à main ouverte, et d'une manière très nerveuse, tantôt les joues, tantôt le sein de Justine ; quelquefois il la baise sur la bouche et lui mord le bout de la langue ; dans d'autres moments, les deux fraises du sein de notre malheureuse enfant sont tellement froissées, qu'elle est prête à s'en évanouir. Elle souffre, elle demande grâce ; les larmes coulent de ses yeux, et n'enflamment que plus ardemment ce scélérat, qui, se sentant enfin près de sa décharge, tout en foutant, la prend à bras le corps, et la jette à dix pas de lui. C'est le tour du Roué. Il enconne Dubois. - Attends, dit Cœur-de-Fer, je vais t'enculer, mon fils ; nous mettrons cette gueuse au milieu de nous ; tu lui molesteras le ton, moi le cul. Et la malheureuse Justine, poussée, repoussée par ces deux brigands, ressemble au jeune saule battu par deux orages. Déjà cette mousse délicate qui cache le mont de Vénus est impitoyablement arrachée d'une part, pendant que de l'autre les deux plus jolies petites fesses qu'ait jamais créées la nature paraissent toutes meurtries des pinçons qu'impriment à plaisir, sur elles, les ongles crochus de Cœur-de-Fer ; lorsque les deux fouteurs, changeant lestement d'autel, substituent l'inceste à la sodomie, et deviennent, par cette inconstance lubrique, l'un le mari de sa sœur, l'autre l'amant de son beau-frère. Mais Justine n'y gagne pas. Cœur-de-Fer, mieux irrité, n'en devient que plus cruel. - Voyons à qui frappera le plus fort, dit-il en claquant les joues ; toi, frappe le cul, mon frère. Hélas ! c'est l'histoire du marteau sur l'enclume. Justine est si molestée, que des flots de sang lui sortent des narines. - Voilà ce que je voulais, dit Cœur-de-Fer, en mettant sa bouche au-dessous. Brise-Barbe, tu veux de l'urine, moi du sang. Il reçoit, il avale, il décharge ; son fouteur le suit de bien près ; la volupté les couronne tous deux ; et le calme renaît dans la troupe. - Dans tout ceci, dit la Dubois en se relevant, il me semble que c'est moi qui ai le plus gagné. - Oh ! tes marchés sont toujours comme cela, dit son frère ; c'est pour être foutue toi-même, que tu n'as pas voulu que nous dépucelions cette petite fille ; mais, patience, elle n'y perdra rien. Il fut question de se remettre en route ; et, dès la même nuit, la troupe gagna le Tremblai, avec l'intention de l'approcher des bois de Chantilly, où elle s'attendait à quelques bons coups. Rien n'égalait le désespoir de Justine. Nous la croyons maintenant suffisamment connue de nos lecteurs, pour être bien certain qu'il est inutile de leur peindre tout ce qui lui faisait éprouver l'obligation de suivre de tels gens ; et, si elle le fit, on s'imagine bien que ce ne fut qu'avec la ferme résolution de les quitter dès qu'elle le pourrait. Nos scélérats couchèrent aux environs de Louvres sous des meules de foin. L'intention de notre sage orpheline aurait été de se rapprocher de la Dubois, pour passer la nuit à ses côtés ; mais la coquine avait d'autres projets que celui de s'employer à défendre la vertu des autres. Trois bandits l'entourèrent ; et l'abominable créature se livra à tous les trois en même temps. Le quatrième s'approcha de Justine ; c'était Cœur-de-Fer. - Bel enfant, lui dit-il, j'espère que vous ne me refuserez pas au moins de passer la nuit près de vous. Et comme il s'aperçut de son extrême répugnance : « Ne craignez rien, lui dit-il nous causerons ; mais rien ne s'entreprendra que de votre gré. Ô Justine ! poursuit ce libertin, en la pressant entre ses bras, n'est-ce donc pas une grande folie que cette prétention où vous êtes de vous conserver pure avec nous ? dussions-nous même y consentir, cela pourrait-il s'arranger avec les intérêts de la troupe ? Il est inutile de vous le dissimuler, chère enfant, mais, quand nous habiterons les villes, ce n'est qu'aux pièges de vos charmes que nous comptons prendre des dupes. - Eh bien, monsieur, répondit Justine, puisqu'il est certain que je préférerais la mort à ces horreurs, de quelle utilité puis-je vous être, et pourquoi vous opposez-vous à ma fuite ? - Assurément, nous nous y opposons, mon ange, répondit Cœur-de-Fer ; vous devez servir nos intérêts ou nos plaisirs ; vos malheurs vous imposent ce jour, il faut le subir. Mais vous savez, Justine, qu'il n'y a rien qu'on ne puisse arranger dans ce monde : écoutez-moi donc, et faites vous-même votre sort. Consentez à vivre avec moi, chère fille ; consentez à m'appartenir en propre, et je vous épargne le triste rôle qui vous est destiné. - Moi, monsieur, devenir la maîtresse d'un... - Dites le mot, Justine, d'un coquin, n'est-ce pas ? Il est bien certain que je ne puis vous offrir d'autres titres ; car vous voyez bien que nous n'épousons pas, nous autres. L'ennemi juré de tous les freins n'est pas d'humeur à se lier jamais par aucun ; et plus ceux-là paraissent captiver les hommes ordinaires, plus des scélérats comme nous les détestent. Cependant, raisonnez un peu : dans l'indispensable nécessité où vous êtes de perdre ce qui vous est si cher, ne vaut-il pas mieux le sacrifier à un seul homme, qui deviendra dès lors votre soutien et votre protecteur, que de vous prostituer à tous ? - Mais, premièrement, pourquoi faut-il que je n'aie pas d'autre parti à prendre ? - Parce que nous vous tenons, ma fille, et que la raison du plus fort est toujours la meilleure. En vérité, poursuivit rapidement Cœur-de-Fer, n'est-ce pas une extravagance atroce que d'attacher, comme vous le faites, autant de prix à la plus futile des choses ? Comment une fille peut-elle être assez simple, pour croire que la vertu doive dépendre d'un peu plus ou d'un peu moins de largeur dans une des parties de son corps ? et qu'importe aux hommes et à Dieu que cette partie soit intacte ou flétrie ? Je dis plus ; c'est que l'intention de la nature étant que chaque individu remplisse ici-bas toutes les vues pour lesquelles il a été formé, et les femmes n'existant que pour servir de jouissances aux hommes, c'est visiblement l'outrager, que de résister ainsi à l'intention qu'elle a sur vous ; c'est vouloir être une créature inutile au monde, et par conséquent méprisable. Cette sagesse chimérique dont on a eu l'absurdité de vous faire une vertu dès l'enfance, et qui, bien loin d'être utile à la nature et à la société, outrage visiblement l'une et l'autre, n'est donc plus qu'un entêtement ridicule et véritablement répréhensible, dont une personne d'esprit comme vous ne devrait pas vouloir être coupable. N'importe, continuez de m'entendre, chère fille ; je vais vous prouver le désir que j'ai de vous plaire et de respecter votre faiblesse. Je ne toucherai point, Justine, à ce fantôme dont la possession fait tous vos délices. Une jolie fille comme vous a plus d'une faveur à donner ; et Vénus avec elle est fêtée dans bien plus d'un temple : je me contenterai du plus étroit. Vous le savez, ma chère, près du labyrinthe de Cypris, il est un antre obscur où vont se cacher les amours, pour nous séduire avec plus d'énergie : tel sera l'autel où je brûlerai l'encens. Là, pas le moindre inconvénient. Si les grossesses vous effraient, elles ne sauraient avoir lieu de cette manière ; votre jolie taille ne se déformera point ; ces prémices qui vous sont si douces, seront conservées sans atteinte ; et, quel que soit l'usage que vous en vouliez faire, vous pourrez les offrir pures. Rien ne peut trahir une fille de ce côté ; quelques rudes et multipliées que soient les attaques, dès que l'abeille a pompé le suc, le calice de la rose se referme au point de faire croire qu'il ne dût jamais s'entrouvrir. Il y a tout plein de filles qui ont joui dix ans de cette façon, et même avec plusieurs hommes, et qui ne se sont pas moins mariées comme toutes neuves après. Que de pères, que de frères ont ainsi abusé de leurs filles, de leurs sœurs, sans que celle-ci en soit devenue moins digne de sacrifier ainsi à l'hymen ! A combien de confesseurs cette même route n'a-t-elle pas servi, sans que les parents s'en doutassent ? C'est, en un mot, l'asile du mystère ; c'est là qu'il s'enchaîne aux amours par les liens de la sagesse. Faut-il vous dire plus, Justine ? si ce temple est le plus secret, il est en même temps le plus délicieux. On ne trouve que là ce qu'il faut au bonheur ; et cette vaste aisance du voisin est bien éloignée de valoir les attraits piquants d'un local où l'on ne pénètre qu'avec effort, où l'on n'est logé qu'avec peine, où l'on ne jouit qu'avec délices. Les femmes mêmes y gagnent ; et celles que la raison contraignit à ne frayer que cette route ne regrettèrent jamais l'autre. Essayez, Justine, essayez : livrez-moi votre divin petit cul, et nous serons tous deux contents. - Monsieur, répondit Justine, en se soustrayant de son mieux aux entreprises de ce libertin, d'autant plus dangereux qu'il réunissait l'esprit et la séduction à beaucoup de forces matérielles et à des mœurs très corrompues, oh ! monsieur, je n'ai nulle expérience des horreurs dont vous m'entretenez ; mais j'ai pourtant ouï dire que ce délit, que vous préconisez, outrage à la fois les femmes et la nature. La main du ciel le punit dans ce monde ; et les cinq villes de Sodome, Gomorrhe, etc., que Dieu fit périr dans les flammes, sont un exemple frappant du degré d'horreur que l'Éternel conçoit de cette action. La justice humaine a imité, autant qu'elle a pu, la punition de l'Être éternel ; et des bûchers consument des malheureux que ce vice entraîne. - Quelle innocence ! quel enfantillage ! reprit Cœur-de-Fer. Ô Justine, qui put vous inculquer de si sots préjugés ? Encore un peu d'attention, ma chère, et je vais rectifier vos idées. La perte de la semence destinée à propager l'espèce humaine, chère fille, est le seul crime qui puisse exister dans ce cas. Si cette semence est mise en nous aux seules fins de la propagation, je vous l'accorde, l'en détourner est alors une offense ; mais s'il est démontré qu'en plaçant cette semence dans nos reins, il s'en faille de beaucoup que la nature ait eu pour but de l'employer toute à la propagation, qu'importe, Justine, que, dans cette hypothèse, elle se perde dans le con, dans le cul, dans la bouche ou dans la main ? L'homme qui la détourne ne fait pas plus de mal que la nature qui ne l'emploie pas. Or, ces pertes de la nature, qu'il ne tient qu'à nous d'imiter, n'ont-elles pas lieu dans tout plein de circonstances ! La possibilité de les faire d'abord est une première preuve que ces distractions ne l'offensent point : il serait absolument contraire à ses lois et à sa sagesse de permettre ce qui l'offenserait. Une telle inconséquence nuirait à sa marche uniforme, troublerait ses plans, prouverait sa faiblesse et légitimerait nos offenses. Secondement, ces pertes sont cent et cent millions de fois par jour exécutées par elles-mêmes. Les pollutions nocturnes, l'inutilité de la semence quand la femme est grosse, son danger quand elle a ses règles, tout cela ne prouve-t-il pas que la nature approuve ces pertes, ou les autorise ; et que, fort peu sensible à ce qui peut résulter de l'écoulement de cette liqueur à laquelle nous avons la folie d'attacher tant de prix, elle nous en permet la perte avec la même indifférence qu'elle y procède chaque jour... qu'elle tolère la propagation, mais qu'il s'en faut bien qu'elle soit dans ses vues ; qu'elle veut bien que nous multipliions, mais que, ne gagnant pas plus à l'un de ces actes qu'à celui qui s'y oppose, le choix que nous pouvons faire lui est égal ; que nous laissant les maîtres de créer, de ne point créer ou de détruire, nous ne la contenterons, ni ne l'offenserons pas davantage, en prenant dans l'un ou l'autre de ces partis celui qui nous conviendra le mieux ; et que celui que nous choisirons, n'étant que le résultat de sa puissance ou de son action sur nous, il lui plaira toujours, et ne l'offensera jamais. Ah ! crois-le, ma chère Justine, la nature s'inquiète bien peu de ces minuties, dont nous avons l'extravagance de lui composer un culte ; et, se jouant de nos petites lois, de nos petites combinaisons, elle marche d'un pas rapide à son but, en prouvant chaque jour à ceux qui l'étudient qu'elle ne crée que pour détruire, et que la destruction, la première de toutes ses lois, puisqu'elle ne parviendrait à aucune création sans elle, lui plaît bien plus que la propagation, qu'une secte de philosophes grecs appelaient avec beaucoup de raison le résultat des meurtres. Sois donc bien persuadée, mon enfant, que, quel que soit le temple où l'on sacrifie, dès que la nature permet que l'encens s'y brûle, c'est que l'hommage ne l'offense pas ; que le refus de produire, les pertes de la semence qui sert à la production, l'extinction de cette sentence quand elle a germé, l'anéantissement de ce germe longtemps même après sa formation, la destruction de ce germe parvenu à sa plus extrême maturité, celle de tous les hommes, en un mot, oui, Justine, sois-en bien convaincue, tout cela sont des crimes imaginaires qui n'intéressent en rien la nature, et dont elle se joue, comme de nos autres institutions qui l'outragent au lieu de la servir. Tu me parles maintenant d'un Dieu qui punit autrefois ces voluptueuses erreurs sur de misérables bourgades d'Arabie que jamais aucun géographe ne connut. Ici d'abord, il faudrait commencer par adopter l'existence d'un Dieu, et c'est ce dont je suis bien loin, ma chère ; admettre ensuite que ce Dieu, que vous supposeriez le maître et le créateur de l'univers, ait pu s'abaisser au point d'aller vérifier si c'est dans un con ou dans un cul que les hommes introduisent leurs vits ; quelle petitesse ! quelle extravagance ! Eh ! non, Justine, il n'y a point de Dieu. Ce fut au sein de l'ignorance, des alarmes et des malheurs, que les mortels puisèrent leurs sombres et dégoûtantes notions sur la divinité. Que l'on examine toutes les religions, et l'on verra que les idées de ces agents puissants et imaginaires furent toujours associées à celles de la terreur. Nous tremblons aujourd'hui, parce que nos aïeux frémirent il y a plusieurs siècles. Si nous remontions à la source de nos craintes actuelles et des pensées lugubres qui s'élèvent dans notre esprit toutes les fois que nous entendons prononcer le nom de Dieu, nous les trouverions dans les déluges, les révolutions et les désastres qui ont détruit une partie du genre humain, et consterné les malheureux échappés au bouleversement de la terre. Si le Dieu des nations fût enfanté dans le sein des alarmes, ce fut encore dans celui de la douleur que chaque homme façonna la puissance inconnue qu'il se fit pour lui-même ; ce fut donc toujours dans l'atelier de la frayeur et de la tristesse, que l'homme malheureux créa le ridicule fantôme dont il fit son Dieu. Et qu'avons-nous besoin de ce moteur, quand l'étude réfléchie de la nature nous prouve que le mouvement perpétuel est la première de ses lois ? Si tout se meut par soi-même, de toute éternité, le souverain moteur que vous supposez n'a donc agi qu'un jour : or, quel culte légitime pourriez-vous rendre à un Dieu démontré inutile aujourd'hui ? Mais revenons, ô Justine ! cessez de croire que ce fut la main de ce vain fantôme qui détruisit les bourgades arabes dont vous me parlez. Situées sur un volcan, elles furent englouties, comme le furent depuis les villes voisines du Vésuve et de l'Etna, par un de ces phénomènes de la nature, dont les causes sont purement physiques, et qui ne concluent ni pour ni contre la conduite des hommes domiciliés dans ces villes dangereuses. La justice humaine a voulu, dites-vous, imiter celle de Dieu, mais je viens de vous démontrer d'abord que ce ne fut pas une justice de Dieu, mais un phénomène... un accident de la nature qui détruisit ces villes ; et, redevenant jurisconsulte après avoir été philosophe, je vous dirai, Justine, que cette loi qui condamnait autrefois au feu les gens entichés de ce goût, est une vieille ordonnance de saint Louis, lancée contre l'hérésie des Bulgares1 qui se livraient à cette passion. L'hérésie éteinte, par une impardonnable erreur on continua de poursuivre la morale de ce peuple, et de le punir du même supplice dirigé jadis contre l'opinion ; mais, bien revenu de cette extravagance, on se contente aujourd'hui d'une punition passagère ; et quand l'homme sera parvenu à ce degré de philosophie où notre siècle l'élève tous les jours, on retranchera même cette inutile correction, et l'on sentira que, nullement maîtres de nos goûts, nous ne sommes pas plus coupables en nous y livrant, quelque dépravés qu'ils puissent être, que nous ne le sommes d'être nés bancals ou bien faits. Cœur-de-Fer s'échauffait en exposant ces sages maximes. Couché à terre le long des reins de Justine, et précisément dans la position où il la désirait pour en jouir d'après ses goûts, il relevait insensiblement les jupes de notre héroïne, qui, moitié crainte, moitié séduction, n'osait encore opposer de défense. Le coquin ne se vit pas plus tôt maître de la place qu'il donna sur-le-champ l'essor au dard enflammé qui n'attendait que la vue de la brèche pour s'y engloutir. De sa main droite, le paillard dirigeait l'instrument, tandis que de la gauche il contenait et rapprochait fortement de lui la croupe de Justine, qui, presque séduite, se contentait, en cédant un peu, de sauver ce qui lui paraissait le plus essentiel, sans réfléchir aux périls qui l'environnaient, en permettant à un taureau de s'introduire dans la partie la plus étroite de son corps. - Oh foutre ! s'écria alors celui-ci, je la tiens ; et, d'une vigoureuse secousse, il effleure si cruellement le délicat petit trou qu'il veut perforer, que Justine, effrayée, pousse un cri, se relève et va se précipiter dans le groupe de la Dubois. - Qu'est-ceci ? s'écria la putain, qui venait de s'endormir, épuisée des sacrifices que trois hommes venaient de multiplier sur ses autels. - Hélas ! madame, c'est moi, répond la tremblante Justine... votre frère... il veut... - Oui, je veux foutre, s'écria Cœur-de-Fer en poursuivant sa victime, et la saisissant brusquement pour la ramener à lui ; je veux enculer cette petite fille, à quelque prix que ce puisse être. Et Justine reprise allait courir les plus grands dangers, si un bruit de voiture ne se fût aussitôt fait entendre sur le grand chemin. L'intrépide Cœur-de-Fer quitte aussitôt ses plaisirs pour ses devoirs ; il éveille ses gens, et vole à d'autres crimes. - Ah, bon, s'écrie la Dubois, réveillée et assise en écoutant avec attention, bon, voilà les cris : le coup est fait. Rien ne m'amuse comme ces signes certains de la victoire ; ils me prouvent que nos gens ont réussi, et je suis tranquille. - Mais, madame, dit notre belle aventurière, et les victimes ? - Qu'importe ; il faut qu'il y en ait sur la terre... Et celles qui périssent aux armées ?... - Ah ! ce sont pour des causes... - Infiniment moins importantes que celles-ci. Ce n'est pas pour vivre que des tyrans donnent à des généraux l'ordre d'écraser des nations : c'est par orgueil. Dirigés par nos besoins, nous n'attaquons les passants que dans la seule intention de vivre ; et cette loi, la plus impérieuse de toutes, légitime absolument nos actions. - Mais, madame, on travaille... on a un métier. - Eh bien, ma fille, c'est le nôtre, c'est celui que nous exerçons depuis notre enfance, c'est celui dans lequel nous avons été élevés ; et cette profession fut celle des premiers peuples de l'univers ; elle seule rétablit l'équilibre que dérangeait totalement l'inégalité des richesses. Le vol était en honneur dans toute la Grèce ; plusieurs peuples encore l'admettent, le favorisent, le récompensent comme une action hardie, prouvant à la fois le courage et l'adresse... comme une vertu, en un mot, essentielle à toute nation qui a de l'énergie... Et la Dubois, se livrant à son éloquence ordinaire, allait entamer sans doute une discussion suivie2, lorsque la troupe revint, amenant un prisonnier avec elle. - Voilà, dit Cœur-de-Fer, qui le conduisait, de quoi me dédommager des rigueurs de Justine. Et l'on aperçut alors au clair de la lune un jeune garçon de quinze ans, beau comme l'Amour. J'ai tué le père et la mère, dit ce scélérat ; j'ai violé la fille qui n'avait pas dix ans ; il est, ce me semble, bien juste que j'encule le fils. En disant cela, il tourne la meule de foin qui servait d'asile à la troupe. On entend des cris sourds... des gémissements promptement couverts par ceux de la lubricité de ce scélérat ; les premiers se changent bientôt en hurlements, qui prouvent que le prudent coquin, ne voulant laisser nulle trace de son crime, jouit à la fois, pour y parvenir, du double plaisir de foutre et d'assassiner l'objet de sa luxure. Il reparaît couvert de sang. - Allons, dit-il, calme-toi, Justine ; me voilà tranquille à présent ; sois-le de même jusqu'à ce que de nouveaux désirs viennent éveiller en moi de nouvelles horreurs. Décampons, mes amis, dit-il à la troupe ; nous avons tué six personnes ; les cadavres sont sur la route ; il se pourrait que dans peu d'heures il n'y eût plus ici de sûreté pour nous. Le butin se partage. Cœur-de-Fer veut que Justine ait son lot ; il se monte à vingt louis ; on la force de les prendre ; elle frémit de l'obligation de garder un tel argent ; cependant on presse, chacun se charge, et la troupe part. Le lendemain, les voleurs, se croyant en sûreté dans la forêt de Chantilly, se mirent à compter leur argent, pendant que l'on préparait leur souper, et n'évaluant qu'à deux cents louis la totalité de la prise : - En vérité, dit l'un d'eux, ce n'était pas la peine de commettre six meurtres pour une si petite somme. - Doucement, mes amis, répondit la Dubois, ce n'est pas pour la somme que, quand vous êtes partis, je vous ai moi-même exhortés à ne faire aucune grâce à ces voyageurs ; c'est pour notre unique sûreté. Ces crimes sont la faute des lois, et non pas la nôtre : tant que l'on punira les voleurs, ils assassineront pour ne pas être découverts. Où prenez-vous d'ailleurs, continua cette mégère, que deux cents louis ne valent pas six meurtres ? Il ne faut jamais apprécier les choses que par la relation qu'elles ont avec nos intérêts. La cessation de l'existence des êtres sacrifiés est nulle par rapport à nous. Assurément, nous ne donnerions pas une obole pour que ces individus fussent plutôt en vie que dans le tombeau ; conséquemment, si le plus petit intérêt s'offre à nous avec l'un de ces cas, nous devons, sans aucun remords, le déterminer de préférence en notre faveur ; car, dans une chose totalement indifférente, nous devons, si nous sommes sages et maîtres de cette chose, la faire indubitablement tourner du côté où elle nous est profitable, abstraction faite de tout ce que peut y perdre l'adversaire, parce qu'il n'y a aucune proportion raisonnable entre ce qui nous touche et ce qui touche les autres. Nous sentons l'un physiquement, l'autre n'arrive à nous que moralement ; et les sensations morales sont trompeuses ; il n'y a de vrai que les sensations matérielles. Ainsi, non seulement deux cents louis sont assez pour les six meurtres, mais trente sous même eussent suffi à les légitimer ; car ces trente sous nous eussent procuré une satisfaction qui, bien que légère, doit néanmoins nous affecter beaucoup plus vivement que n'eussent fait les dix meurtres qui ne nous affligent et ne nous touchent en quoi que ce puisse être, et de la lésion desquels il n'arrive même à nous qu'un chatouillement assez agréable, d'après la méchanceté naturelle des hommes, dont le premier mouvement, s'ils veulent l'étudier avec soin, est toujours une sorte de satisfaction du malheur et de l'infortune des autres. La faiblesse de nos organes, le défaut de réflexion, les maudits préjugés dans lesquels on nous a élevés, les vaines terreurs de la religion et des lois ; voilà ce qui arrête les sots dans la carrière du crime, voilà ce qui les empêche de s'immortaliser. Mais tout individu rempli de force et de vigueur, doué d'une âme énergique, qui, se préférant, comme il le doit, aux autres, saura peser leurs intérêts dans la balance des siens, se moquer de Dieu et des hommes, braver la mort et mépriser les lois, bien pénétré que c'est à lui seul qu'il doit tout rapporter, sentira que la multitude la plus étendue des lésions sur autrui, dont il ne doit physiquement rien ressentir, ne peut pas se mettre en compensation avec la plus légère des jouissances achetées par cet assemblage inouï de forfaits. La jouissance le flatte, elle est à lui ; l'effet du crime ne l'affecte pas, il est hors de lui. Or, je demande quel est l'homme raisonnable qui ne préférera pas ce qui le délecte à ce qui lui est étranger, et qui ne consentira pas à commettre cette chose légère, dont il ne ressent rien de fâcheux, pour se procurer celle dont il est agréablement ému ? - Oh ! madame, dit Justine à la Dubois, en lui demandant la permission de répondre, ne sentez-vous donc point que votre condamnation est écrite dans ce qui vient de vous échapper ? Ce ne serait tout au plus qu'à l'être assez puissant pour n'avoir rien à redouter des autres, que de tels principes pourraient convenir ; mais nous, perpétuellement proscrits de tous les honnêtes gens, condamnés par toutes les lois, devons-nous admettre des systèmes qui ne peuvent qu'aiguiser contre nous le glaive suspendu sur nos têtes ? Ne nous trouvassions-nous même pas dans cette triste position ; fussions-nous au centre de la société ; fussions-nous enfin où nous devrions être sans notre inconduite ou sans nos malheurs... pouvez-vous supporter, madame, que de telles maximes pussent nous convenir davantage ? Comment voulez-vous que ne périsse pas celui qui, par un aveugle égoïsme, voudra lutter seul contre la coalition des intérêts des autres ? La société n'est-elle pas autorisée à ne jamais souffrir dans son sein celui qui se déclare contre elle ? et l'individu qui s'isole peut-il lutter contre tous ? peut-il se flatter d'être heureux et tranquille, si n'acceptant pas le pacte social, il ne consent pas à céder un peu de son bonheur pour en assurer le reste ? La société ne se soutient que par des échanges perpétuels de bienfaits : voilà les bases qui la constituent, voilà les liens qui la cimentent. Tel qui, au lieu de ces bienfaits, n'offrira que des crimes, devant être craint dès lors, sera nécessairement attaqué, s'il est le plus fort ; sacrifié par le premier qu'il offensera, s'il est le plus faible ; mais détruit de toutes manières, par la raison puissante qui engage l'homme à assurer son repos, et à nuire à celui qui veut le troubler. Telle est la raison qui rend presque impossible la durée des associations criminelles ; n'opposant que des pointes acérées aux intérêts des autres, tous doivent se réunir promptement pour en émousser l'aiguillon... Même entre nous, madame, ajouta Justine, comment vous flatteriez-vous de maintenir la concorde, lorsque vous conseillerez à chacun de n'écouter que ses seuls intérêts ? aurez-vous, de ce moment-là, quelque chose de juste à objecter à celui de nous qui voudra poignarder les autres... qui le fera, pour réunir à lui seul toutes les parts ? Et quel plus bel éloge de la vertu, que la preuve de sa nécessité, même dans une société criminelle... que la certitude que cette société ne se soutiendrait pas un instant sans la vertu ? - Quels épouvantables sophismes ! dit Cœur-deFer. Ce n'est pas la vertu qui soutient les associations criminelles : c'est l'intérêt, c'est l'égoïsme. Il porte donc à faux, Justine, cet éloge de la vertu, que vous avez tiré d'une chimérique hypothèse. Ce n'est nullement par vertu que, me croyant, je le suppose, le plus fort de la troupe, je ne poignarde pas mes camarades pour les dépouiller ; c'est parce que, me trouvant seul alors, je me priverais des moyens qui peuvent assurer la fortune que j'attends de leurs secours. Ce motif est l'unique qui retienne également leurs bras vis-à-vis de moi. Or, ce motif, vous le voyez, Justine, il n'est qu'égoïste, il n'a pas le plus léger caractère de vertu. Celui qui veut lutter seul, dites-vous, contre les intérêts de la société, doit s'attendre à périr. Ne périra-t-il pas bien plus certainement, s'il n'a, pour y exister, que sa misère et l'abandon des autres ? Ce qu'on appelle l'intérêt de la société n'est que la masse des intérêts réunis ; mais ce n'est jamais qu'en cédant que cet intérêt particulier peut s'accorder et se lier aux intérêts généraux : or, que voulez-vous que cède celui qui n'a presque rien ? S'il le fait, vous m'avouerez qu'il a d'autant plus de tort, qu'il se trouve donner, dans ce cas, infiniment plus qu'il ne retire ; et, de ce moment, l'égalité du marché doit l'empêcher de le conclure. Pris dans cette position, ce qu'il y a de mieux à faire à un tel homme, n'est-il pas de se soustraire à cette société injuste, pour n'accorder de droits qu'à une société différente, qui, placée dans la même position que lui, ait pour intérêt de combattre, par la réunion de ses petits pouvoirs, la puissance plus étendue qui voulait obliger ce malheureux à céder le peu qu'il avait, pour ne rien retirer des autres ? Mais il naîtra, dites-vous, de là un état de guerre perpétuel. Soit : n'est-ce pas le seul qui nous convienne réellement ? n'est-ce pas celui pour lequel nous a tous créés la nature ? Les hommes naquirent isolés, envieux, cruels et despotes, voulant tout avoir et ne rien céder, et se battant sans cesse pour maintenir, ou leur ambition, ou leurs droits. Le législateur vint, et dit : « Cessez de vous déchirer ainsi ; en cédant un peu de part et d'autre, la tranquillité va renaître. » Je ne blâme point la proposition de ce pacte ; mais je soutiens qu'il existe deux sortes d'individus qui ne durent jamais s'y soumettre : ceux qui, se sentant les plus forts, n'avaient pas besoin de rien céder pour être heureux ; et ceux qui, étant les plus faibles, se trouvaient céder infiniment plus qu'on ne leur assurait. Cependant, la société n'est composée que d'êtres faibles et d'êtres forts. Or, si le pacte doit déplaire aux forts et aux faibles, il s'en fallait donc de beaucoup qu'il convînt à la société ; et l'état de guerre, qui existait avant, devait se trouver infiniment préférable, puisqu'il laissait à chacun le libre exercice de ses forces et de son industrie, dont il se trouvait privé par le pacte injuste d'une société enlevant toujours trop à l'un, et n'accordant jamais assez à l'autre. Donc l'être vraiment sage est celui qui, au hasard de reprendre l'état de guerre qui régnait avant le pacte, se déchaîne impérieusement contre ce pacte, le viole autant qu'il le peut, certain que ce qu'il retirera de ces lésions sera toujours supérieur à ce qu'il pourra perdre, s'il se trouve le plus faible ; car il l'était de même en respectant le pacte ; il peut devenir le plus fort en le violant ; et, si les lois le ramènent à la classe dont il a voulu sortir, le pis-aller est qu'il perdra la vie, ce qui est un malheur infiniment moins grand que celui d'exister dans l'opprobre et dans la misère. Voilà donc deux chances pour nous : ou le crime qui rend heureux, ou l'échafaud qui nous empêche d'être malheureux. Je le demande, y a-t-il à balancer ? et votre esprit, Justine, trouvera-t-il un raisonnement qui puisse combattre celui-là ? - Il y en a mille, monsieur, il y en a mille, reprit Justine avec vivacité. Mais cette vie, d'ailleurs, est-elle donc l'unique objet de l'homme ? y est-il autrement que comme dans un passage, dont chaque degré qu'il parcourt ne doit, s'il est raisonnable, le conduire qu'à cette éternelle félicité, prix assuré de la vertu ? Je suppose avec vous, ce qui pourtant est rare, ce qui choque bien sûrement toutes les lumières de la raison, mais qu'importe, je vous accorde un instant que le crime puisse rendre heureux ici-bas le scélérat qui s'y adonne ; vous imaginez-vous que la justice de ce Dieu, qui existe quoique vous le méconnaissiez, croyez-vous, dis-je, que cette justice éternelle n'attende pas ce malhonnête homme dans un autre monde pour venger celui-ci ?... Ah ! ne soutenez pas le contraire, monsieur, je vous en conjure ; c'est la seule consolation de l'infortune, ne la lui enlevez pas. Dès que les hommes nous délaissent, qui nous vengera, si ce n'est Dieu ? - Qui ? personne, Justine, personne absolument ; il n'est nullement nécessaire que l'infortune soit vengée. Elle l'espère, parce qu'elle le désire ; elle s'en flatte, parce qu'elle le veut. Cette idée gigantesque la console ; mais elle n'en est pas moins fausse. Il y a mieux. Il est essentiel que l'infortune souffre ; son humiliation, ses douleurs sont au rang des lois de la nature, et son existence est utile au plan général, comme celle de la prospérité qui l'écrase : telle est la vérité qui doit étouffer les remords dans l'âme du scélérat et du malfaiteur. Qu'ils ne se contraignent donc pas, qu'ils se livrent aveuglément à toutes les lésions dont les vues politiques de la nature suggèrent les idées en eux ; c'est la seule façon dont cette mère universelle sait nous rendre les agents de ses lois. Quand ses inspirations secrètes nous disposent au mal, c'est que le mal lui est nécessaire ; c'est qu'elle le veut ; c'est qu'elle en a besoin ; c'est que la somme des crimes étant incomplète... insuffisante aux lois de l'équilibre, seules lois dont elle soit régie, elle exige ceux-là de plus au complément de la balance. Qu'il ne s'effraie donc ni ne s'arrête, celui dont l'âme est portée au mal ; qu'il le commette sans crainte, dès qu'il a senti l'impulsion ; ce n'est qu'en y résistant qu'il outragerait la nature. Mais, puisque vous revenez encore une fois, Justine, sur les fantômes déifiques, et sur le culte que vous imaginez leur être dû, apprenez, jeune innocente, que cette religion sur laquelle vous vous appuyez follement sans cesse n'étant que le rapport de l'homme à Dieu, l'hommage que la créature croit devoir à son auteur s'anéantit aussitôt que l'existence de cet auteur est elle-même prouvée chimérique. Écoutez donc, une dernière fois, ce que j'ai à vous objecter sur cet article. Les premiers hommes, effrayés des phénomènes qui les frappèrent, durent croire nécessairement qu'un agent sublime et inconnu d'eux en avait dirigé la marche et l'influence : le caractère de la faiblesse est de supposer ou de craindre la force. L'esprit de l'homme, encore trop dans l'enfance pour trouver dans le sein de la nature les lois du mouvement, seuls ressorts de tout le mécanisme dont il s'étonnait, crut plus simple de supposer un moteur à cette nature, que de la croire motrice elle-même ; et, sans réfléchir qu'il aurait encore plus de peine à édifier, à définir ce maître gigantesque, à concilier avec les qualités qu'il lui prêtait tous les défauts que ses opérations nous démontrent ; qu'il aurait, dis-je, plus de peine à tout cela, qu'à trouver dans l'étude de la nature la cause de ce qui le surprenait, il s'étourdit, il s'aveugla au point d'admettre ce premier être, et de lui ériger des cultes. De ce moment, chaque nation s'en composa d'analogues à ses mœurs, à ses connaissances et à son climat. Il y eut bientôt sur la terre autant de religions que de peuples, autant de dieux que de familles. Sous toutes ces dégoûtantes idoles, il était cependant facile de reconnaître ce fantôme absurde, premier fruit de l'aveuglement humain ; le mime était différemment costumé, mais c'était toujours le même farceur ; on le servait par des simagrées différentes, mais c'était toujours le même culte. Or, que prouve cette unanimité, sinon l'égale bêtise de tous les hommes, et l'universalité de leur faiblesse ? S'ensuit-il de là que je doive imiter leur ineptie ! Si de plus profondes études, si un esprit plus mûr et plus réfléchi me contraint à reconnaître, à pénétrer les secrets de la nature, à me convaincre enfin, comme je vous le disais tout à l'heure, que, dès que le mouvement est en elle, le besoin du moteur devient nul ; dois-je dès lors, m'assoupissant comme vous sous le joug honteux de cette dégoûtante chimère, renoncer, pour lui être agréable, aux plus douces jouissances de la vie ? Non, Justine, non, je serais un extravagant, si je me comportais ainsi ; je serais un fou indigne de cette raison que la nature m'accorde pour démêler les pièges que l'imbécillité ou la fourberie des hommes me tendent chaque jour. Cesse de croire à ce Dieu fantastique, mon enfant ; il n'exista jamais. La nature se suffit à elle-même ; elle n'a nullement besoin d'un moteur ; ce moteur, gratuitement supposé, n'est qu'une décomposition de ses propres forces, n'est que ce que nous appelons dans l'école une pétition de principes. Un Dieu suppose une création, c'est-à-dire, un instant où il n'y eut rien, ou bien un instant où tout fut dans le chaos. Si l'un ou l'autre de ces états était un mal, pourquoi votre imbécile Dieu le laissa-t-il subsister ? Était-ce un bien ? pourquoi le changea-t-il ? Mais si tout est bien maintenant, votre Dieu n'a plus rien à faire ; or, s'il est inutile, peut-il être puissant ? et s'il n'est pas puissant, peut-il être Dieu ? peut-il mériter nos hommages ? Si la nature se meut perpétuellement, en un mot, à quoi sert le moteur ? et si le moteur agit sur la matière en la mouvant, comment n'est-il pas matière lui-même ? Concevez-vous l'effet de l'esprit sur la matière, et la matière mue par l'esprit, qui, lui-même, n'a point de mouvement ? Vous dites que votre Dieu est bon ; et cependant, selon vous, malgré son alliance avec les hommes, malgré le sang de son cher fils, venu pour se faire pendre en Judée, dans la seule vue de cimenter cette alliance, malgré tout cela, dis-je, il y aura encore les deux tiers et demi du genre humain de condamnés aux flammes éternelles, parce qu'ils n'auront pas reçu de lui la grâce qu'ils lui demandent pourtant tous les jours. Vous dites qu'il est juste, ce Dieu ! Est-il bien équitable de n'accorder la connaissance d'un culte qui lui plaît qu'à une trentième partie de l'univers, pendant qu'il abandonne le reste dans une ignorance qu'il punira du dernier supplice ? Que diriez-vous d'un homme qui serait juste à la manière de votre Dieu ? Il est tout-puissant, ajoutez-vous. Mais, en ce cas, le mal lui plaît donc, ; car il en existe sur la terre infiniment plus que de bien ; et cependant, il le laisse subsister. Il n'y a donc pas de milieu ici ; ou ce mal lui plaît, ou il n'a pas le pouvoir de s'y opposer ; et, dans l'un ou l'autre cas, je ne dois pas me repentir d'y être enclin ; car, s'il ne peut l'empêcher, certainement je ne puis être plus fort que lui ; et s'il lui plaît, je ne dois pas l'anéantir en moi. Il est immuable, dites-vous encore : et cependant je le vois changer cinq à six fois de peuples, de lois, de volontés, de sentiments. D'ailleurs l'immuabilité suppose l'impassibilité : or, un être impassible ne peut pas être vindicatif ; et vous prétendez pourtant que votre Dieu se venge. On frémit, en horreur, quand on voit la quantité de ridicules et d'inconséquences que vous prêtez à ce fantôme ; quand on examine à loisir toutes les qualités ridicules si contradictoires dont ses partisans sont obligés de le revêtir, pour en composer un être admissible, sans réfléchir que, plus ils le compliquent, plus ils le rendent inconcevable, et que, plus ils le justifient, plus ils l'avilissent. Vérifiez, Justine, vérifiez comme tous ses attributs se détruisent et s'absorbent mutuellement ; et vous reconnaîtrez que cet être exécrable, né de la crainte des uns, de la fourberie des autres, et de l'ignorance de tous, n'est qu'une platitude révoltante, qui ne mérite de nous, ni un instant de foi, ni un moment de respect ; une extravagance pitoyable, qui répugne à l'esprit, qui révolte le cœur, et qui n'est sortie des ténèbres que pour le tourment et l'humiliation des hommes. Exécrez cette chimère ; elle est épouvantable ; elle ne peut exister que dans l'étroite cervelle des imbéciles ou des frénétiques : il n'en est point de plus dangereuse au monde ; aucune qui doive être à la fois plus redoutée... plus abhorrée des humains. Que l'espoir ou la crainte d'un monde à venir, fruit de ces premiers mensonges, ne vous inquiète donc point, Justine ; cessez, surtout, de vouloir vous en composer des freins. Faible portion d'une matière vile et brute, à notre mort, c'est-à-dire à la réunion des éléments qui nous composent aux éléments de la masse générale, anéantis pour jamais, quelle qu'ait été notre conduite, nous passerons un instant dans le creuset de la nature, pour en rejaillir sous d'autres formes ; et cela sans qu'il y ait plus de prérogatives pour celui qui aura follement encensé la vertu toute sa vie, que pour celui qui se sera vautré dans les crimes les plus affreux, parce qu'il n'est rien dont la nature s'offense, et que tous les hommes, également sortis de son sein, et n'ayant agi, quand ils étaient sur terre, que d'après les impulsions de cette mère commune, retrouveront tous, après leur existence, et la même fin et le même sort. - Oh ! monsieur, répondit Justine, confondue de ces raisonnements, quoi, vous croyez que si, pendant qu'abusant hier de votre force pour violer et assassiner un malheureux enfant, un autre individu, près de là, se fût occupé de soulager l'infortune, ce dernier n'aurait pas mérité le ciel, pendant que vous vous rendiez digne de toute sa colère ? - Non, certes, il n'eût pas mérité davantage, Justine. Premièrement, parce qu'il n'existe ni peines ni récompenses à venir ; et, secondement, parce que l'homme bienfaisant, que vous venez de mettre en parallèle avec moi, n'ayant agi que d'après les mêmes impulsions de la nature, n'a pu se rendre, à ses regards, ni plus coupable, ni plus méritant. Diverses circonstances nous auraient déterminés l'un et l'autre ; divers organes, différentes combinaisons de ces organes auraient produit le crime en moi, et la vertu dans lui ; mais nous aurions agi tous deux, comme il convenait à la nature que nous agissions ; lui, en faisant une bonne œuvre, parce qu'elle était utile aux plans actuels de la nature ; moi, en commettant un crime, parce qu'il fallait un contre-poids dans la balance ; et que, si ce parfait équilibre n'existait pas, et que l'un ou l'autre de ces modes vint à l'emporter, le cours des astres serait interrompu, et le mouvement absolument détruit dans l'univers... qui, purement matériel et mécanique, ne peut se juger, se combiner, s'observer, que d'après des données mécaniques, toujours suffisantes à en découvrir les mystères. - Oh ! monsieur, dit Justine, ces systèmes sont épouvantables. - Oui, pour vous, qui craignez d'en devenir la victime, jamais pour moi qui suis le sacrificateur. - Et si la chance tourne ? - Alors je me soumettrai, sans changer d'opinion ; et la philosophie me consolera, parce qu'elle m'assure un néant éternel, et que je le préfère à l'incertitude des peines ou des récompenses que vos religions me proposent. Les premières me révoltent, elles me font horreur ; les secondes ne me touchent point. Il n'y a aucune espèce de proportion entre ces peines et ces récompenses : de ce moment elles sont ridicules ; et s'il est certain qu'elles soient telles, elles ne peuvent plus dès lors être l'ouvrage d'un Dieu. A l'exemple de quelques docteurs, ne pouvant concilier les tourments physiques de l'enfer avec la bienfaisance de leur Dieu, me direz-vous que mon unique tourment sera d'être privé de sa vue ? Et que m'importe ? Pourrai-je jamais être puni de ne point voir ce dont je n'ai nulle idée ? Mais il se présentera un moment à mes yeux pour me faire sentir tout le prix de sa perte. En ce cas, elle sera légère ; car il n'est pas dans la nature que je puisse jamais regretter la perte d'un être qui viendra de sang-froid me condamner à un tourment éternel pour des fautes finies : cette seule injustice me le fait prendre dans une telle haine, qu'assurément je ne le regretterai pas quand il aura prononcé son jugement. - Ah ! je le vois, monsieur, dit Justine, votre conversion est impossible. - Tu as raison, mon ange, ne l'entreprends pas, ce serait en vain ; laisse-moi bien plutôt travailler à la tienne ; et crois que tu auras cent fois plus de mérite à te corrompre à mon exemple, qu'à vouloir me sanctifier au tien... - Il faut la foutre, mon frère, dit la Dubois, et la bien foutre ; je ne vois que ce moyen pour la convertir : il est inouï comme une femme adopte vite les principes de celui qui la fout. L'élément du flambeau de la philosophie, c'est le foutre. Tous les principes de morale et de religion s'anéantissent bientôt devant les passions : réveille donc les siennes si tu veux l'éduquer avec fruit. Et Cœur-de-Fer, la prenant déjà dans ses bras, allait, je crois, mettre promptement en action les conseils de la Dubois, quand le bruit d'un homme à cheval se fit entendre auprès de la troupe. -- Aux armes ! s'écrie Cœur-de-Fer, en enfonçant de son mieux dans sa culotte le vit énorme dont il menaçait déjà, pour la seconde fois, les fesses de l'infortunée Justine ; aux armes ! mes amis, nous penserons après au plaisir. On vole ; et, au bout d'un instant, on amène un malheureux voyageur dans le bosquet où se trouvait le camp de nos bandits. Interrogé sur le motif qui le faisait voyager seul et si matin dans une route écartée, sur son âge, sur sa profession, le cavalier répondit qu'il se nommait Saint-Florent, l'un des premiers négociants de Lyon, qu'il avait trente-cinq ans, qu'il revenait de Flandre pour des affaires relatives à son commerce, qu'il avait peu d'argent sur lui, mais beaucoup de papiers ; il ajouta que son domestique l'avait quitté la veille, et que, pour éviter la chaleur, il marchait de grand matin, avec le projet d'arriver le même jour à Paris, où il conclurait une partie de ses affaires, pour repartir peu de jours après ; qu'au surplus, s'il suivait un sentier solitaire, il fallait apparemment qu'il se fût égaré, en s'endormant, sur son cheval ; et, cela dit, il demanda la vie, offrant lui-même tout ce qu'il possédait : On examine son portefeuille ; on compte son argent. La prise ne pouvait être meilleure. Saint-Florent avait près de quatre cent mille francs payables à vue sur la capitale, quelques bijoux, et environ cent louis comptant. - Ami, lui dit Cœur-de-Fer, en lui présentant le bout d'un pistolet sous le nez, vous comprenez qu'avec de telles richesses nous ne pouvons vous laisser la vie ; nous serions bientôt dénoncés. - Oh ! monsieur, s'écria Justine, en se précipitant aux pieds de ce brigand, je vous conjure de ne pas me donner, à ma réception dans votre troupe, l'horrible spectacle de la mort de ce malheureux ; laissez-lui la vie ; ne me refusez pas la première grâce que je vous demande. Et recourant tout de suite à une ruse assez singulière pour légitimer l'intérêt qu'elle paraissait prendre à cet homme : - Le nom que vient de se donner monsieur me fait croire que je lui appartiens d'assez près. Ne vous étonnez pas, dit-elle, en s'adressant au voyageur, de trouver une parente dans cette situation ; je vous expliquerai tout cela. A ce titre, poursuivit-elle avec chaleur, en implorant de nouveau Cœur-de-Fer, à ce titre, monsieur, accordez-moi la vie de cet infortuné ; je reconnaîtrai cette faveur par le dévouement le plus entier à tout ce qui pourra servir vos intérêts. - Vous savez à quelle condition je puis vous accorder la grâce que vous me demandez, Justine, répondit Cœur-de-Fer ; vous n'ignorez pas ce que j'exige de vous. - Eh bien ! monsieur, je ferai tout, s'écria-t-elle, en se précipitant entre ce malheureux et le voleur, toujours prêt à assassiner sa victime ; oui, oui, je consens à tout ; sauvez-le, je vous en supplie. - Viens donc, dit alors Cœur-de-Fer à Justine ; c'est sur l'heure même que je veux que tu accomplisses ta parole. Et, en disant cela, il l'entraîne avec le captif dans un taillis voisin. Il attache Saint-Florent à un arbre, et, faisant mettre Justine à quatre pattes au pied de ce même arbre, il la retrousse, et se prépare à consommer son crime, en tenant toujours le bout de son pistolet sous la gorge du pauvre voyageur, dont la vie dépend de la soumission de Justine, qui, confuse et tremblante, se prête, en frémissant et en embrassant les genoux du captif, à tout ce qu'il va plaire à son bourreau de lui faire éprouver. Mais un Dieu vint préserver encore une fois Justine des malheurs qui lui sont réservés ; et la nature, aux ordres de ce Dieu, quel qu'il soit, trompa si cruellement ici les désirs du brigand, que son fougueux engin mollit aux péristyles du temple, et que, quels que pussent être ses efforts, aucun ne réussit à lui redonner le degré d'énergie nécessaire à la consommation du forfait qu'il a projeté. - Oh ! double-dieu, s'écrie-t-il en fureur, je suis trop échauffé ; rien ne vient... ou, peut-être, est-ce mon indulgence qui me perd : je serais bien plus sûr de bander, si je tuais ce bougre-là. - Oh ! non, non, monsieur, dit Justine, en se retournant vers le voleur. - Ne bouge donc pas, putain, dit celui-ci, en lui appliquant deux ou trois coups de poing sur les épaules ; ce sont tes foutues simagrées qui me dérangent ; j'ai bien affaire de voir un visage, lorsque c'est un cul qu'il me faut. Et le paillard se remet en train. Mêmes obstacles ; la nature s'obstine à tromper ses désirs ; il y faut renoncer. - Allons, dit-il enfin, en prenant son parti, je vois bien que je suis excédé ce soir ; reposons-nous tous trois ; rentrons. Justine, dit-il, dès qu'il fut dans le cercle, souvenez-vous de votre promesse, si vous voulez que je tienne la mienne, et réfléchissez que je tuerai ce gueux-là, tout aussi bien demain qu'aujourd'hui. Enfants, poursuit-il en s'adressant à ses camarades, vous me répondez de l'un et de l'autre ; et vous, Justine, allez dormir auprès de ma sœur ; je vous appellerai quand il en sera temps ; songez surtout que la vie de ce faquin, si vous balancez, me vengera de votre fourberie. - Dormez, monsieur, dormez, dit Justine, et croyez que celle que vous avez remplie de reconnaissance, n'a d'autre empressement que de s'acquitter envers vous. Il s'en fallait pourtant bien que tel fût le projet de Justine ; et voici, sans doute, un de ces cas particuliers, où la vertu même a besoin de s'étayer du vice : il est donc quelquefois nécessaire, puisque même les meilleures actions ont si souvent besoin de lui. Justine imagina que si jamais la feinte dût lui être permise, ce devait être dans cette occasion. Se trompa-t-elle ? nous le présumons. La circonstance était délicate, cela est vrai ; le premier devoir de la probité est d'être inviolablement attaché à sa parole : et jamais une bonne action, payée par un crime ne saurait devenir une vertu. On lui assurait la vie d'un homme au prix de sa prostitution ; en ne consentant point, ou en trompant, elle compromettait les jours de cet homme ; or, je demande si elle ne faisait pas un beaucoup plus grand mal, en risquant ainsi les jours de ce malheureux, qu'en les assurant par sa complaisance. Justine décida la question en dévote ; nous aurions prononcé en moraliste. C'est à nos lecteurs à nous dire maintenant lequel vaut mieux en société, ou d'une religion qui nous fait, malgré tout, préférer nos intérêts à ceux des autres, ou d'une morale qui nous ordonne tous les sacrifices, dès qu'il s'agit d'être utile aux hommes. Quoi qu'il en soit, nos fripons, remplis d'une trop grande confiance, mangent, boivent et s'endorment, laissant leur prisonnier au milieu d'eux, et Justine en pleine liberté près de la Dubois, qui, ivre comme le reste de la troupe, ferma bientôt également les yeux. Saisissant alors avec vivacité le premier moment de sommeil de ces scélérats : - Monsieur, dit Justine au voyageur, la plus affreuse catastrophe m'a jetée parmi ces gens-ci ; je déteste, et eux, et l'instant fatal qui m'a conduite dans leur troupe. Je n'ai vraisemblablement pas l'honneur de vous appartenir, continua Justine, en disant le nom de son père, car voilà qui je suis, mais... - Quoi ! mademoiselle, interrompit Saint-Florent. Quoi ! c'est là votre nom ? - Oui. - Ah ! c'est donc le ciel qui vous a suggéré cette ruse... Vous ne vous êtes point trompée, Justine ; vous êtes ma nièce : ma première femme, celle que je perdis il y a cinq ans, était la sœur de votre père. Oh ! combien je me félicite de l'heureux hasard qui nous réunit ! Si j'avais connu vos malheurs, avec quel empressement je les aurais réparés ! - Monsieur, monsieur, répond Justine avec vivacité, que de motifs de me savoir gré à moi-même de ce que j'entreprends pour vous ; oh ! monsieur, profitons du moment où ces montres reposent, et sauvons-nous. Elle aperçoit, en disant cela, le portefeuille de son oncle, imprudemment laissé dans la poche de l'une des scélérats ; elle saute dessus, l'emporte... Partons, monsieur, dit-elle à Saint-Florent ; renonçons au reste ; nous ne l'enlèverions pas sans danger. Oh ! mon cher oncle, je me remets maintenant en vos mains ; prenez pitié de mon sort ; devenez le protecteur de mon innocence ; je me livre à vous ; sauvons-nous. On rendrait mal l'état dans lequel se trouvait Saint-Florent. L'agitation que produisait en lui la multitude des mouvements divers dont il était à la fois remué, cette reconnaissance très réelle et sur laquelle il n'en imposait nullement, cette gratitude qu'il devait jouer, au moins s'il ne la ressentait pas, tous ces sentiments l'agitaient au point qu'à peine il pouvait prononcer un seul mot. Eh quoi ! disent quelques-uns de nos lecteurs, cet homme n'était pas d'avance pénétré de la plus sincère amitié pour une telle bienfaitrice ; il pouvait penser à autre chose qu'à se prosterner à ses genoux !... Et bien, osons donc le confier ici tout bas : Saint-Florent, bien plus fait pour rester avec cette troupe infâme, que pour en être retiré par les mains mêmes de la vertu, n'était guère digne de tous les secours que lui procurait, avec tant de zèle, sa vertueuse et charmante nièce ; et nous craignons bien que la suite n'apprenne que, si Justine échappait à un danger en se débarrassant de la Dubois et de ses compagnons, ce n'était que pour tomber peut-être dans un plus réel, en se livrant à son cher oncle... Oh Dieu ! après d'aussi grands services !... Eh ! n'est-il pas des âmes assez dépravées pour n'être contenues par aucune espèce de frein, et pour qui la multiplicité des entraves ne devient qu'un attrait de plus ? Mais n'empiétons pas sur les événements : il suffit que l'on sache que Saint-Florent, tant soit peu libertin, et fort scélérat, n'avait pas vu, sans une très chatouilleuse émotion, et le mauvais exemple qu'il venait de recevoir, et la multitude d'attraits dont la nature semblait n'avoir embelli Justine que pour autoriser ces mauvais exemples, en allumant le désir du crime dans tous ceux qui devaient les voir. Les barrières franchies, nos deux fuyards pressent leurs pas sans se dire un mot, et l'aurore les retrouve bientôt hors de tous dangers, quoique toujours dans le milieu de la forêt. Ce fut alors, ce fut à l'instant où l'astre vint se réfléchir sur les traits enchanteurs de Justine, que le coquin qui la suivait s'embrasa de toutes les flammes de la lubricité la plus incestueuse. Un moment il la prit pour la déesse des fleurs, allant avec les premiers feux du soleil entrouvrir le calice des roses dont ses attraits étaient l'image ; quelquefois pour un rayon même du jour dont la nature embellissait le monde. Elle marchait avec rapidité ; les plus belles couleurs animaient son teint : ses beaux cheveux blonds flottaient en désordre ; rien ne déguisait sa taille souple et légère ; et sa belle tête se retournait de temps en temps avec grâce pour offrir au compagnon de sa fuite une physionomie enchanteresse, à la fois embellie par le calme, par l'espoir de la félicité, et par cette nuance, plus délicate encore, qu'empreint sur la figure d'une jeune personne honnête le bonheur d'une belle action. S'il est vrai que nos traits soient le fidèle miroir de notre âme, ceux de Saint-Florent ne devaient pas être contournés dans le même genre. D'horribles désirs bouleversaient son cœur ; d'affreux desseins germaient dans son esprit : mais il souriait en se déguisant ; et, jouant au mieux la reconnaissance, il n'entretenait notre héroïne que du plaisir d'avoir retrouvé une nièce malheureuse, dont sa fortune allait lui permettre de terminer à jamais les peines ; et son œil pénétrant et lascif achevait de deviner, sous les voiles de la pudeur dont Justine était entourée, l'entière collection des charmes dont il n'avait aperçu que de légers traits. Tel est l'état où tous deux entrèrent dans Luzarches. Une hôtellerie se présente... on s'y repose. **** *creator_sade *book_sade_justine1799 *style_prose *date_1799 CHAPITRE IV INGRATITUDE - SPECTACLE SINGULIER - RENCONTRE INTÉRESSANTE - UNE NOUVELLE PLACE - IRRÉLIGION - IMMORALITÉ - IMPIÉTÉ FILIALE - ÉTAT DU CŒUR DE JUSTINE Il y a des moments dans la vie où l'on se trouve fort riche, sans avoir pourtant de quoi vivre : c'était l'histoire de Saint-Florent. Il avait quatre cent mille francs dans son portefeuille, et pas un écu dans sa bourse. Cette réflexion l'avait arrêté avant que d'entrer dans l'auberge. - Tranquillisez-vous, mon oncle, lui dit Justine, en riant de son embarras, les voleurs que je quitte ne m'ont pas laissée sans argent. Voilà vingt louis ; prenez-les, je vous conjure, usez-en, donner le reste aux pauvres ; je ne voudrais, pour rien au monde, garder de l'or acquis par des meurtres. Saint-Florent, qui jouait la délicatesse, quoique bien loin pourtant de celle que lui supposait Justine, ne voulut accepter le don qu'on lui offrait que sous l'exacte condition que Justine recevrait, de son côté, pour cent mille francs de lettres de change, qu'il la contraignit de mettre dans sa poche. - Vous garderez cette somme, lui dit Saint-Florent ; elle est à vous, ma chère nièce ; c'est une bien faible récompense des grands services que vous m'avez rendus ; mais acceptez toujours cela, et croyez que je ne vous abandonnerai de ma vie. On dîna. Justine tomba bientôt, malgré elle, dans des rêveries... dans des inquiétudes qui altérèrent la sérénité de ses traits. Saint-Florent lui en demanda la raison. Sans s'expliquer davantage, elle voulut rendre l'argent. - Monsieur, dit-elle à son oncle, je n'ai point mérité une telle marque de reconnaissance ; et ma délicatesse ne me permet pas d'accepter un présent aussi considérable. Saint-Florent, plein d'esprit, ne manqua pas de raisons pour vaincre Justine ; et l'argent, malgré elle. fut remis dans sa poche, sans que les craintes de cette intéressante fille parussent diminuer un instant. Pour les dissiper, on se donnait l'air de ne les pas voir, Saint-Florent pria sa chère nièce de lui raconter ses aventures ; et celle-ci, l'ayant satisfait, termina son récit, en témoignant à son oncle l'inquiétude que lui donnait le projet de rentrer à Paris. - Eh bien, répondit le négociant, tout peut s'arranger. J'ai près d'ici une parente que nous irons voir : je vous présenterai à elle ; je la supplierai de vous garder jusqu'à ce que j'aie eu le temps d'arranger moi-même votre affaire. C'est la plus honnête femme du monde, et vous serez là comme chez une mère. Elle habite une campagne charmante près de Bondy. Il est de bonne heure... le plus beau temps possible ; êtes-vous en train de marcher ? - Oui, Monsieur. - Partons, Justine, partons. Ce qui peut vous peindre ma reconnaissance est un besoin si pressant de mon cœur, que tout retard à l'exécution devient un supplice pour moi. Justine, émue, se jette dans les bras de Saint-Florent. - Oh ! mon oncle, lui dit-elle en larmes, que votre âme est sensible et combien la mienne y répond ! Le monstre a la cruauté de voir la pudeur dans son sein exhaler les plus tendres expressions de la reconnaissance sur un cœur endurci par le crime, et qui ne palpite que de lubricité sous les douces caresses de l'innocence et de la vertu noyée de larmes. Une légère circonstance, que nous croyons ne devoir point oublier, afin de mettre nos lecteurs à même de mieux juger le personnage, eût dévoilé sans doute Saint-Florent aux yeux de sa nièce, si celle-ci, moins confiante, eût jeté sur son oncle un regard plus philosophique : mais la vertu paisible et douce est toujours loin de soupçonner le crime. Justine, au sortir de table, eût besoin de passer dans un cabinet d'aisance. Elle y entra, sans trop remarquer d'abord que Saint-Florent la suivait, et s'établissait lui-même dans une loge voisine, de laquelle, en montant, comme le fit Saint-Florent, sur le siège, on découvrait en plein tout ce qui se passait dans celle où s'était mise Justine, qui, ne se doutant de rien, s'offrit aux regards furtifs de ce libertin, dans cet état d'abandon et de nudité où l'on se met pour de tels besoins. Les plus belles fesses du monde furent donc une seconde fois offertes à Saint-Florent, qui acheva là de s'irriter et de comploter avec acharnement contre l'innocence et la pudeur de cette intéressante créature. Justine crut s'apercevoir de quelque chose. Elle rentra précipitamment, sans pouvoir s'empêcher de témoigner un peu de surprise. Saint-Florent se défendit : quelques caresses ramenèrent la confiance ; et l'on se mit en route. Il était environ quatre heures du soir. A cette petite scène près, Saint-Florent ne s'était pas encore démenti : même honnêteté, mêmes prévenances, même délicatesse ; eût-il été le père de Justine, elle ne se serait pas cru plus en sûreté ; tous ses soupçons se dissipaient. Notre infortunée ne savait pas que c'est l'usage quand le danger approche. Bientôt les ombres de la nuit commencent à répandre dans la forêt cette sorte de terreur religieuse, qui fait naître à la fois la crainte dans les âmes timides, le projet du crime dans les cœurs féroces. Nos voyageurs ne suivaient que des sentiers. Justine marchait la première. Elle se retourne pour demander à Saint-Florent si ces routes écartées sont réellement celles qu'il faut suivre... s'il croit enfin que l'on doive arriver bientôt. Ici l'égarement du libertin était à son comble : ses fougueuses passions venaient de briser tous les freins... Il faisait nuit. Le silence des bois, l'obscurité qui les enveloppait, tout irritait dans lui des désirs qu'il se voyait enfin le maître de satisfaire. Le paillard, en bandant, rappelait à son imagination lascive ce que le hasard ou ses supercheries lui avaient dévoilé de charmes dans cette délicieuse enfant. Il ne se contenait plus. - Allons, sacredieu, dit-il à sa nièce, c'est ici qu'il faut que je foute ; il y a trop longtemps que je bande pour toi, putain, il faut que je décharge. Il la saisit par les épaules, il lui fait perdre l'équilibre. La malheureuse jette un cri. - Ah ! garce, lui dit Saint-Florent, en fureur, n'espère pas que je te laisse la faculté de faire entendre tes plaintes. Et il achève de la renverser à terre, en lui appliquant sur la tête un vigoureux coup de canne, qui l'étend sans connaissance au pied d'un arbre. Les dieux furent sourds. On n'a pas d'idée de l'indifférence qu'ils ont pour les hommes, même quand ceux-ci veulent les outrager ; on eût dit que, loin de venger cet horrible attentat, ils redoublaient à plaisir les ombres de la nuit, comme pour mieux envelopper... pour favoriser davantage les odieuses entreprises du crime sur la pudeur et sur l'innocence. Saint-Florent, maître de Justine, la trousse... sort un vit monstrueux, enflammé de luxure et de rage, s'étend sur la victime, la presse de son poids, écarte les cuisses de cette malheureuse enfant sans défense, darde avec une inexprimable fureur son glaive aux bords de ces prémices délicats, qui, destinés à n'être que le prix des amours, paraissent repousser avec horreur les exécrables entreprises de la scélératesse et du crime. Il triomphe à la fin ; Justine est dépucelée. Oh ! quelle carrière le scélérat remplit ! C'est le tigre en courroux dépeçant la jeune brebis. Il lime, il pourfend, il blasphème ; le sang coule et rien ne l'arrête. Une impétueuse décharge apaise à la fin ses désirs, et le libertin, chancelant, s'éloigne, en regrettant qu'un crime, qui vient de lui donner autant de plaisir, ne puisse pas durer un siècle. A dix pas de là, ses sens se raniment. Il éprouve le remords singulier qui bouleverse l'âme du scélérat, s'imaginant n'avoir commis qu'à moitié le forfait qu'il pouvait étendre. Il se souvient qu'il a laissé dans les poches de Justine les cent mille francs qu'il lui avait remis ; il vient les lui voler. Mais Justine, assise sur ses poches, ne peut être fouillée sans qu'on la retourne. Ciel ! que de nouveaux charmes s'offrent, malgré l'obscurité, aux regards enflammés de l'incestueux Saint-Florent ! - Quoi ! dit-il, en considérant ce cul délicieux et frais qui le premier l'avait si vivement excité eh quoi ! j'ai pu négliger de tels appas ! Cette superbe fille a d'autres prémices que je n'ai pas osé cueillir ! Détestable pusillanimité ! Foutons, foutons ce cul divin, qui me donnera cent fois plus de plaisir que le con ; entrouvrons-le, déchirons-le, sacredieu, sans aucune pitié. Maître absolu d'exécuter tout ce qu'il veut sur un corps inanimé... sans défense, le coquin place sa victime dans l'attitude propice à ses perfides desseins. Considérant le trou mignon qu'il va perforer, sa méchanceté s'irrite de la disproportion ; il braque l'instrument, sans le mouiller : toutes ces précautions, nées de la peur ou de l'humanité, sont méconnues du crime et de la vraie luxure ; et pourquoi donc empêcher de souffrir l'objet dont la douleur augmente nos jouissances ! Le scélérat encule ; une demi-heure entière l'indigne se plaît à cet outrage ; il y serait peut-être encore, si la nature n'eût, en le comblant de ses faveurs, posé le terme à ses plaisirs. Le perfide s'éloigne à la fin, laissant la malheureuse victime de son libertinage à terre, sans ressources, sans honneur, et presque sans vie. Ô homme ! te voilà donc, quand tu n'écoutes que des passions ! Justine, revenue à elle, et reconnaissant l'horrible état dans lequel elle est, veut terminer ses jours. - Le monstre ! s'écrie-t-elle, que lui ai-je fait ? Par où ai-je mérité de sa part un aussi cruel traitement ? Je lui sauve la vie, je lui rends sa fortune ; il m'arrache ce que j'ai de plus cher : des tigres, au fond des plus sauvages forêts, n'eussent point osé de tels crimes... Quelques minutes d'abattement succédèrent à ces premiers élans de la douleur ; ses beaux yeux, remplis de larmes, se tournent machinalement vers le ciel ; son cœur s'élance aux pieds du maître que son infortune y suppose. Cette voûte pure et brillante, ce silence imposant de la nuit... cette image de la nature en paix, près du bouleversement de son âme égarée, tout répand une ténébreuse horreur autour d'elle, d'où naît bientôt le besoin de prier ; elle se précipite aux genoux de ce Dieu puissant, nié par la sagesse, et cru par le malheur. « Être saint et majestueux ! s'écrie-t-elle en pleurs, toi qui daignes en ce moment affreux remplir mon âme d'une joie céleste qui m'a sans doute empêchée d'attenter à mes jours, ô mon protecteur et mon guide ! j'aspire à tes bontés, j'implore ta clémence ; vois ma misère et mes tourments, ma résignation et mes vœux. Dieu puissant ! tu le sais, je suis innocente et faible, je suis trahie et maltraitée ; j'ai voulu faire le bien à ton exemple, et ta volonté m'en punit. Qu'elle s'accomplisse, ô mon Dieu ! tous ses effets sacrés me sont chers ; je les respecte, et cesse de m'en plaindre. Mais si je ne dois pourtant trouver ici-bas que des ronces, est-ce t'offenser, ô mon souverain maître ! que de supplier ta puissance de me rappeler vers toi, pour te prier sans trouble, pour t'adorer loin de ces hommes pervers, qui ne m'ont fait, hélas ! rencontrer que des maux, et dont les mains sanguinaires et perfides noient à plaisir mes tristes jours dans le torrent des larmes, et dans l'abîme des douleurs ? » La prière console le malheureux ; le ciel est sa chimère, il devient plus fort après l'avoir caressée. Difficilement néanmoins tirerait-on de cet effet physique quelques inductions en faveur d'un Dieu : l'état du malheur est celui du délire ; et les enfants de la folie peuvent-ils en imposer à la raison ? Justine se lève, se rajuste, et s'éloigne. De bien différentes idées nourrissaient l'esprit de Saint-Florent. Il existe des âmes dans le monde pour qui le crime a tant de charmes, qu'elles ne peuvent jamais s'en rassasier ; un premier délit n'est pour elles qu'une amorce de plus au second ; et leur satisfaction n'est complète, que quand la mesure est remplie. - Quel jolie pucelage je viens de cueillir, se disait ce traître, assis contre un arbre, à deux cents pas de l'arène où sa victime était immolée !... Quelle innocence ! quelle fraîcheur ! que de grâces et que de beautés !... comme elle m'embrasait !... comme elle irritait mes sens !... Je l'aurais étranglée, si elle eût été capable de m'opposer quelque résistance... Peut-être ai-je tort de lui laisser la vie... Si elle rencontre quelqu'un, elle se plaindra de moi... On peut m'atteindre, on peut me perdre. Qui ne sait jusqu'où peut aller la vengeance d'une fille irritée ?... Allons l'achever... Cette chétive créature de plus ou de moins dans l'univers n'y fera pas la plus légère altération ; c'est un ver que j'écrase en passant ; c'est un animal venimeux qui dirige vers moi son dard, et que j'empêche de me blesser ; il y a bien peu de mal à se débarrasser de ceux qui veulent nous nuire... retournons. Mais la malheureuse Justine, destinée par la main du ciel à parcourir toute entière la route épineuse de l'infortune, ne devait pas succomber si jeune. Saint-Florent s'emporte en ne la trouvant plus ; il l'appelle ; elle l'entend, elle fuit avec plus de force. Laissons ici ce scélérat se désespérer seul de n'avoir pas mieux réussi ; laissons-le reprendre son chemin ; peut-être le retrouverons-nous un jour. L'ordre des faits ne nous permet maintenant que de suivre le fil des aventures de notre intéressante Justine. - Le voilà encore, ce monstre, dit-elle en doublant sa marche ; que peut-il me vouloir ? ne m'a-t-il donc pas suffisamment outragée ? que lui reste-t-il à entreprendre ? Et elle s'enfonce dans un taillis pour se soustraire aux recherches d'un homme qui ne l'aurait rejointe que pour l'assassiner. Elle y passa le reste de la nuit dans des inquiétudes horribles. - Eh bien ! pensa-t-elle quand le jour paraît, il est donc vrai qu'il y a des créatures humaines que la nature ravale au même sort que celui des bêtes féroces ; cachées dans leur réduit, fuyant des hommes à leur exemple, quelle différence y a-t-il maintenant entre elles et moi ? Est-ce donc la peine de naître pour un sort aussi pitoyable ? Et des ruisseaux de larmes coulaient de ses beaux yeux, en se livrant à d'aussi cruelles réflexions. A peine les finissait-elle, qu'un bruit imprévu se fit entendre. - Oh ! Dieu, le voilà peut-être encore, le barbare, dit-elle en frémissant ; il me poursuit, il veut ma perte, il a conjuré contre mes jours ; je suis une fille perdue. Et, tout en se renfonçant dans le taillis qui la couvre, elle a pourtant le courage de prêter l'oreille. Deux hommes occasionnaient ce bruit. - Viens, mon ami, disait celui qui paraissait le maître, au jeune garçon qui le suivait, viens, nous serons à merveille ici. La cruelle et fatale présence d'une mère que j'abhorre, ne m'empêchera pas du moins, dans ce lieu sauvage, de goûter un moment avec toi des plaisirs qui me sont si doux. Ils s'approchent, en disant cela, se placent tellement en face de Justine, qu'aucun de leurs propos, aucun de leurs mouvements ne peut lui échapper. Alors le maître, qui parait âgé de vingt-quatre ans, déculotte l'autre, dont l'âge est de quatre lustres au plus, le branle, lui suce le vit, et le fait bander. La scène est longue... scandaleuse, remplie d'épisodes... entremêlée de luxures et de saletés bien faites pour scandaliser celle qui gémit encore d'outrages à peu près semblables. Mais quelles étaient ces infamies ? Nous voyons d'ici quelques lecteurs plus curieux de ces obscénités que des détails vertueux de l'intéressante Justine, nous supplier de leur dévoiler ces horreurs. Eh bien, nous leur dirons, pour les satisfaire, que le jeune maître, nullement effrayé du dard monstrueux dont on le menace, l'excite, le couvre de baisers, s'en saisit, s'en pénètre, se pâme en l'introduisant dans son cul. Enthousiasmé de ces sodomites caresses, le coquin se débat sous le vit qui le fout, regrettant qu'il ne soit pas plus gros encore ; il en brave les coups, les prévient, les repousse. Deux tendres et légitimes époux se caresseraient avec moins d'ardeur ; leurs bouches se pressent, leurs langues s'entrelacent, leurs soupirs se confondent ; et tous deux, enivrés de luxure, trouvent dans une mutuelle décharge le complément de leurs voluptueuses orgies. L'hommage se renouvelle, et, pour en rallumer l'encens, rien n'est épargné par celui qui l'exige : baisers, attouchements, pollutions, raffinements de la plus insigne débauche, tout s'emploie à dessein de renouveler des forces qui s'éteignent, et tout réussit à les ranimer cinq fois de suite, mais sans qu'aucun des deux changeât de rôle ; le jeune maître fut toujours femme ; et, quoiqu'il fit paraître un fort beau vit, que branlait le laquais, tout en le foutant, et qu'il pût par conséquent devenir homme à son tour, il n'eut pas même l'air d'en concevoir un instant le désir. S'il visita l'engin de son fouteur, s'il le branla, s'il le suça, ce fut pour l'exciter... pour le faire bander ; mais jamais nul projet d'agence n'eut même l'air d'entrer dans son plan. Oh ! que ce temps parut long à Justine ! et combien l'obligation de contempler le crime est déchirante pour la vertu. Enfin, rassasiés sans doute, les scandaleux acteurs de cette scène, se lèvent pour regagner le chemin qui doit les conduire chez eux lorsque le maître, s'approchant du buisson pour y déposer le foutre dont son cul vient d'être inondé, aperçoit, en se relevant, la pointe du mouchoir dont est enveloppée la tête de Justine. - Jasmin, dit-il à son valet... nous sommes trahis... nous sommes découverts... Une femme... un être impur a vu nos mystères... Approchons... sortons de là cette catin, et sachons la raison qui l'y place. Mais la tremblante Justine ne leur donne pas le temps de l'enlever de sa retraite ; elle s'en arrache aussitôt elle-même. Et, tombant aux pieds de ceux qui l'ont découverte : - Ô messieurs ! s'écrie-t-elle, en étendant les bras vers eux, daignez avoir pitié d'une malheureuse, dont le sort est plus à plaindre que vous ne le pensez ; il est bien peu de revers qui puissent égaler les miens. Que la situation où vous m'avez trouvée ne vous fasse naître aucun soupçon sur moi ; elle est la suite de la misère, bien plutôt que de mes torts. Loin d'augmenter les maux qui m'accablent, veuillez les diminuer, en me facilitant les moyens d'échapper aux fléaux qui me poursuivent. Monsieur de Bressac, c'était le nom du jeune homme entre les mains de qui tombait Justine, avec un grand fond de méchanceté et de libertinage, n'était pas pourvu d'une dose très abondante de commisération. Il n'est malheureusement que trop commun de voir la luxure éteindre la pitié dans le cœur de l'homme. Son effet ordinaire est d'endurcir, soit que la plus grande partie de ses écarts nécessite l'apathie de l'âme, soit que la secousse violente que cette passion imprime à la masse des nerfs, diminue la force de leur action, toujours est-il qu'un libertin est rarement un homme sensible1. Mais à cette dureté naturelle dans l'espèce de gens dont nous parlons, il se joignait encore dans Bressac un profond dégoût pour les femmes... une haine si invétérée pour tout ce qui caractérisait ce sexe, qu'il appelait infâme, que bien difficilement Justine fût parvenue à placer dans lui les sentiments dont elle avait intérêt de l'émouvoir. - Tourterelle des Bois, lui dit Bressac avec dureté, si tu cherches des dupes, adresse-toi mieux : ni mon ami, ni moi, ne touchons point de femmes ; elles nous font horreur, et nous les fuyons avec soin. Si c'est l'aumône que tu demandes, cherche des gens qui aiment les bonnes œuvres ; nous n'en faisons jamais que de mauvaises. Mais parle, misérable, as-tu vu ce qui s'est passé entre ce jeune homme et moi ? - Je vous ai vus causer sur l'herbe, dit la prudente Justine ; rien de plus, messieurs, je vous le jure. - Je veux le croire, dit Bressac, et cela pour ton bien. Si j'imaginais que tu eusses pu voir autre chose, tu ne sortirais jamais de ce buisson... Jasmin, il est de bonne heure, nous avons le temps d'ouïr les aventures de cette fille ; écoutons-les, et nous verrons après ce qu'il en faudra faire. Les jeunes gens s'asseyent ; Justine se met auprès d'eux, et leur raconte, avec son ingénuité ordinaire, tous les malheurs qui l'accablent depuis qu'elle est au monde. - Allons, Jasmin, dit Bressac, en se relevant, soyons justes une fois. L'équitable Thémis a condamné cette créature ; ne souffrons pas que les vues de la déesse soient aussi cruellement frustrées ; faisons subir à la délinquante l'arrêt de mort qu'elle aurait encouru. Ce petit meurtre, bien loin d'être un crime, ne deviendra qu'une réparation dans l'ordre moral : puisque nous avons le malheur de le déranger quelquefois, rétablissons-le courageusement quand l'occasion s'en présente... Et les cruels, ayant enlevé cette malheureuse de sa place, la traînent déjà vers le milieu du bois, riant de ses pleurs et de ses cris. - Déshabillons-la primitivement, dit Bressac, en faisant disparaître tous les voiles de la décence et de la pudeur, et sans que les attraits que l'opération lui découvre attendrissent un homme endurci à toutes les séductions d'un sexe qu'il méprise. Le vilain être qu'une femme, disait-il en la tournant et la retournant à terre avec son pied ; ô Jasmin ! le vilain animal. Puis, crachant dessus : Dis, mon mignon, jouirais-tu de cette bête ?... - Pas même en cul, dit le valet. - Eh bien ! voilà pourtant ce que les sots appellent leur divinité ; voilà ce que les imbéciles adorent... Vois, vois donc ce ventre percé... vois cet infâme con ; voilà le temple où l'absurdité sacrifie ; voilà l'atelier de la régénération humaine. Allons, point de pitié ; attachons cette coquine... Et la pauvre fille est à l'instant liée d'une corde que ces monstres ont formée de leurs cravates et de leurs mouchoirs : ils la placent alors entre quatre arbres, un membre fortement attaché à chacun ; et, dans cette cruelle attitude, qui laisse pencher son estomac sans soutien vers la terre, ses douleurs sont si vives, qu'une sœur froide découle de son front ; elle n'existe plus que par la violence du tourment ; elle expirerait, si l'on cessait de comprimer ses nerfs. Plus cette malheureuse souffre, et plus nos jeunes gens paraissent se divertir du spectacle. Ils la contemplent avec volupté ; ils saisissent avec empressement, sur son visage, chacune des contorsions que lui arrachent ses brûlantes angoisses, et modèlent leur affreuse joie sur le plus ou le moins de violence observée dans ces contorsions. - En voilà assez, dit Bressac ; je consens, pour cette fois, qu'elle en soit quitte pour la peur. - Justine, continua-t-il, en lâchant ses liens, et lui ordonnant de se rhabiller, soyez discrète, et suivez-nous ; si vous vous attachez à moi, vous n'aurez pas lieu de vous en repentir. Il faut une seconde femme à ma mère ; je vais vous présenter à elle ; et, sur la foi de vos récits, je lui répondrai de votre conduite. Mais si vous abusez de mes bontés, si vous trahissez ma confiance, ou que vous ne vous soumettiez pas à mes intentions, regardez ces quatre arbres, Justine ; examinez le terrain qu'ils ombragent et qui devait vous servir de sépulture ; souvenez-vous que ce funeste endroit n'est qu'à une lieue du château où je vous conduis et qu'à la plus légère faute, vous y serez aussitôt ramenée. La plus frivole apparence de bonheur est à l'infortuné, ce que la bienfaisante rosée du matin est à la fleur desséchée de la veille par les feux brûlants de l'astre du jour. Justine se jette en larmes aux genoux de celui qui paraît la protéger ; elle jure d'être soumise et de se bien conduire. Mais le barbare Bressac, aussi insensible à la joie qu'à la douleur de cette chère enfant, lui dit durement : Nous verrons... Et l'on marche. Jasmin et son maître causaient bas ensemble ; Justine les suivait humblement, sans dire un mot. Cinq quarts d'heure suffirent à les rendre au château de madame de Bressac, dont le luxe et la magnificence firent voir à Justine que, quel que pût être le poste qui lui fût destiné dans cette maison, il ne pouvait sûrement qu'être avantageux pour elle, si la main malfaisante qui ne cessait de la tourmenter ne venait encore troubler ici les apparences flatteuses qui paraissaient s'offrir à ses yeux. Une demi-heure après son arrivée, le jeune homme la présente à sa mère. Madame de Bressac était une femme de quarante-cinq ans, belle encore, honnête, sensible, mais d'une étonnante sévérité des mœurs. Orgueilleuse de n'avoir jamais fait un faux pas de sa vie, elle ne pardonnait pas une faiblesse aux autres : et, par ce rigorisme outré, loin d'attirer la tendresse de son fils, elle l'avait, pour ainsi dire, repoussé de son sein. Bressac avait bien des torts, nous en convenons ; mais où l'indulgence érigera-t-elle son temple, si ce n'est dans le cœur d'une mère ? Veuve depuis deux ans du père de ce jeune homme, madame de Bressac possédait cent mille écus de rente, qui, réunis à plus du double provenant de la fortune du père, assuraient un jour, comme on voit, près d'un million de revenu annuel au scélérat dont il s'agit. Malgré d'aussi grandes espérances, madame de Bressac donnait peu à son fils ; une pension de vingt-cinq mille francs pouvait-elle suffire à payer ses plaisirs ? Rien d'aussi cher que ce genre de volupté. Les hommes, on en convient, coûtent moins que les femmes. Mais les lubricités que l'on goûte avec eux, se renouvellent bien plus souvent ; on est bien plus foutu que l'on ne fout. Rien n'avait pu déterminer le jeune Bressac au service ; tout ce qui l'écartait de son libertinage était si insupportable à ses yeux, qu'il ne pouvait en adopter la chaîne. Madame de Bressac habitait, trois mois de l'année, cette terre où Justine la trouva ; elle passait le reste du temps à Paris. Mais, pendant cette campagne de trois mois, elle exigeait que son fils ne la quittât point. Quel supplice pour un homme abhorrant sa mère, et regardant comme perdus tous les moments qu'il passait éloigné d'une ville où se trouvait pour lui le centre des plaisirs ! Bressac ordonne à Justine de raconter à sa mère les choses dont elle lui avait fait part. Et dès qu'elle a fini : - Votre candeur et votre naïveté, lui dit cette femme respectable, ne me permettent pas de douter que vous ne soyez vraie ; je ne prendrai d'autres informations sur vous, que celle de savoir si vous êtes vraiment la fille de l'homme que vous m'indiquez. Si cela est, j'ai connu votre père, et ce sera pour moi une raison de plus de m'intéresser à vous. Quant à l'affaire de la Delmonse, je me charge de l'arranger, en deux visites. chez le chancelier, mon ami depuis des siècles ; cette créature, d'ailleurs, est une femme perdue de débauches et de réputation, et que je ferais enfermer si je voulais. Mais, réfléchissez bien, Justine, ajouta madame de Bressac, que ce que je vous promets ici n'est qu'au prix d'une conduite intacte. Ainsi, vous voyez que les effets de la reconnaissance que j'exige, tourneront toujours à votre profit. Justine se jette aux pieds de sa bienfaitrice ; elle assure qu'on aura lieu d'être contente d'elle ; et sur-le-champ on la met en possession de sa place. Au bout de trois jours, les informations faites par madame de Bressac arrivèrent ; on en fut content. Justine fut louée de sa franchise ; et toutes les idées du malheur s'évanouirent de son esprit, pour y faire place à l'espoir le plus doux. Mais il n'était pas écrit dans le ciel que cette chère fille dût jamais être heureuse, et si quelques instants de calme naissaient fortuitement pour elle, ce n'était que pour lui rendre plus amers ceux d'horreur qui devaient les suivre. A peine fut-on de retour à Paris, que madame de Bressac s'empressa de travailler pour sa femme de chambre. Les calomnies de la Delmonse furent reconnues ; mais on ne put l'atteindre. Partie depuis quelques jours pour aller recueillir en Amérique une riche succession qui venait de lui échoir, le ciel voulut qu'elle jouît de son crime en paix. Il y a tout plein d'occasions où son inconséquente équité ne s'appesantit que sur la vertu. Il ne faut pas oublier que nous ne publions ces faits que pour convaincre de cette vérité. Elle est triste ; mais il n'en est pas moins essentiel qu'elle soit dévoilée, afin que chacun puisse régler sur elle sa conduite dans les événements de la vie. A l'égard de l'incendie des prisons du palais, on se convainquit que, si Justine avait profité de cet événement, au moins n'y avait-elle participé en rien ; et sa procédure s'anéantit, lui assura-t-on, sans que les magistrats qui s'en mêlèrent crussent devoir y employer d'autres formalités. La pauvre fille n'en savait pas davantage. Pour peu qu'on ait acquis jusqu'à présent une connaissance assez étendue de l'âme de notre héroïne, on se figure aisément combien de pareils procédés, l'attachaient à madame de Bressac. Justine, jeune, faible et sensible, ouvrait avec plaisir son cœur aux sentiments de la reconnaissance. Follement persuadée qu'un bienfait doit lier celui qui le reçoit à celui de qui il émane, la pauvre fille épanchait à loisir dans le culte de ce sentiment puéril toute l'activité de son âme ingénue. Il s'en fallait bien que l'intention du jeune homme fût pourtant d'enchaîner Justine si fortement aux intérêts d'une mère qu'il ne pouvait souffrir. Mais nous croyons que c'est ici le cas de peindre ce nouveau personnage. Bressac réunissait aux charmes de la jeunesse la figure la plus séduisante. Si sa taille ou ses traits avaient quelques défauts c'était parce qu'ils se rapprochaient un peu de cette nonchalance... de cette mollesse qui n'appartenait qu'aux femmes ; il semblait qu'en lui prêtant les attributs de ce sexe, la nature lui en eût également inspiré les goûts. Quelle âme cependant était enveloppée sous ces appas féminins ! On y rencontrait tous les vices qui caractérisent celles des plus grands scélérats ; on ne porta jamais plus loin la méchanceté, la vengeance, la cruauté, l'athéisme, la débauche, l'oubli de tous les devoirs, et principalement de ceux dont les âmes moins énergiquement prononcées paraissent faire leurs délices. La première manie de cet homme singulier était de détester souverainement sa mère, et malheureusement cette haine, fondée en principe, s'étayait chez lui, et sur des raisonnements sans réplique, et sur l'intérêt puissant qu'il devait nécessairement avoir d'en être fort vite débarrassé. Madame de Bressac faisait tout pour ramener son fils dans les sentiers de la vertu ; mais elle y employait trop de rigueur. Il en résultait que le jeune homme, plus enflammé par les effets mêmes de cette sévérité, ne se livrait à ses goûts qu'avec une plus grande impétuosité, et que la pauvre dame ne recueillait de ses persécutions qu'une dose de haine infiniment plus forte. - Ne vous imaginez pas, disait un jour Bressac à Justine, que ce soit d'elle-même que ma mère agisse dans tout ce qui vous concerne. Croyez que si je ne la persécutais pas à tout instant, elle se rappellerait à peine les soins qu'elle vous a promis ; elle vous fait valoir tous ses pas, tandis qu'ils ne sont que mon ouvrage. Oui, Justine, à moi seul est due cette reconnaissance que vous prodiguez à ma mère ; et celle que j'exige de vous doit vous paraître d'autant plus désintéressée, que quelque jeune et jolie que vous puissiez être, vous savez bien que je ne prétends pas à vos faveurs ; non, chère fille, non ; doué du plus profond mépris pour tout ce qu'on peut obtenir d'une femme... pour son personnel même, les services que je vous demande sont d'un tout autre genre ; et quand vous serez bien convaincue de ce que j'ai fait pour votre tranquillité, j'espère que je trouverai dans votre âme tout ce que je suis en droit d'en attendre. Ces discours, souvent répétés, paraissaient si obscurs à Justine, qu'elle ne savait comment y répondre : elle le faisait pourtant, et peut-être avec trop de vivacité. Faut-il l'avouer ? Hélas ! oui ; déguiser les torts de Justine, serait tromper la confiance du lecteur, et mal répondre à l'intérêt que ses revers ont inspiré jusqu'à ce moment. Quels qu'eussent été les indignes procédés de Bressac pour elle, dès le premier jour qu'elle l'avait vu, il lui avait été impossible de se défendre d'un mouvement violent de tendresse pour lui. La reconnaissance augmentait dans son cœur cet involontaire penchant, auquel la fréquentation perpétuelle de l'objet chéri prêtait chaque jour de nouvelles forces ; et définitivement la pauvre Justine adorait ce scélérat malgré elle, avec la même ardeur qu'elle idolâtrait son Dieu, sa religion... la vertu. Elle avait fait mille réflexions sur la cruauté de cet homme, sur son éloignement pour les femmes, sur la dépravation de ses goûts, sur les distances morales qui les séparaient ; et rien, rien au monde ne pouvait éteindre cette passion naissante. Si Bressac lui eût demandé sa vie, s'il eût voulu son sang, Justine eût tout donné, tout répandu, désolée de ne pouvoir encore à son gré faire de plus grands sacrifices à l'unique objet de son cœur. Voilà l'amour, voilà pourquoi les Grecs le peignirent avec un bandeau. Mais Justine n'avait jamais parlé ; et l'ingrat Bressac était loin de démêler la cause des pleurs qu'elle versait journellement pour lui. Il était bien difficile pourtant qu'il ne se doutât pas du désir qu'elle avait de voler au-devant de tout ce qui pouvait lui plaire ; qu'il n'entrevît pas des prévenances assez fortes, assez aveugles pour servir même ses erreurs, autant que la décence pouvait le permettre, et le soin qu'elle avait de les déguiser toujours à sa mère. Justine par cette conduite si naturelle à un cœur séduit, avait mérité la confiance entière du jeune Bressac ; et tout ce qui venait de cet amant chéri paraissait d'un tel prix aux yeux de Justine, que bien souvent l'infortunée s'imaginait avoir obtenu de l'amour ce que lui accordait uniquement le libertinage... la méchanceté, ou, peut-être plus sûrement encore, le besoin dont il la croyait aux affreux projets de son cœur. Croirait-on qu'un jour il osa lui dire : - Parmi les jeunes gens que je débauche, Justine, il en est quelques-uns qui ne se livrent à moi que par complaisance ; ceux-là auraient besoin de voir à nu les attraits d'une jeune fille. Cette nécessité offense mon orgueil : j'aimerais bien mieux que cet état où je les désire ne fût dit qu'à moi. Cependant comme il m'est indispensable, je préférerais, mon ange, le devoir à toi qu'à toute autre. Je ne me douterais de rien ; tu les disposerais dans mon cabinet, et je ne les ferais passer dans ma chambre que quand ils seraient en état. - Oh ! monsieur, répondit Justine en larmes, pouvez-vous me proposer de pareilles choses ? et les horreurs où vous vous livrez... - Ah ! Justine, interrompit Bressac, peut-on jamais se corriger de ce penchant !... si tu pouvais en connaître les charmes ; si tu pouvais comprendre ce qu'on éprouve à la douce illusion de n'être plus qu'une femme ! Incroyable illusion de l'esprit : on abhorre ce sexe, et l'on veut l'imiter ! Ah ! qu'il est doux d'y réussir, qu'il est délicieux d'être la putain de tous ceux qui veulent de vous ; et portant sur ce point au dernier période le délire et la prostitution, d'être successivement, dans le même jour, la maîtresse d'un crocheteur, d'un valet, d'un soldat, d'un cocher ; d'en être tour à tour chéri, caressé, jalousé, menacé, battu ; tantôt victorieux dans leurs bras, et tantôt victime à leurs pieds, les attendrissant par des caresses, les ranimant par des excès. Eh ! non, non, Justine, tu ne comprends pas quel est ce plaisir pour une tête organisée comme la mienne. Mais, le moral à part, si tu te représentais quelles sont les titillations voluptueuses de ce divin goût, ce qu'il fait sentir... éprouver, il est impossible d'y tenir. C'est un chatouillement si vif... des mouvements de lubricité si piquants... un délire si complet... on perd l'esprit, on déraisonne ; mille baisers plus ardents les uns que les autres, n'expriment pas encore avec assez d'ardeur l'ivresse où nous plonge l'agent. Enlacé dans ses bras, les bouches collées l'une sur l'autre, nous voudrions que notre existence entière pût s'incorporer à la sienne ; nous ne voudrions faire avec lui qu'un seul être. Si nous osons nous plaindre, c'est d'être négligés ; nous voudrions que, plus robuste qu'Hercule, notre fouteur nous pénétrât, nous élargît ; que cette semence précieuse, élancée brûlante au fond de nos entrailles, fit, par sa chaleur et sa force, jaillir la nôtre dans ses mains ; nous voudrions n'être que foutre, quand il nous arrose du sien. Ne t'imagine pas que nous soyons faits comme les autres hommes ; c'est une construction toute différente : et cette membrane chatouilleuse tapissant l'intérieur de vos infâmes cons, le ciel, en nous créant, en orna les autels où nos céladons sacrifient. Nous sommes aussi certainement femmes là, que vous l'êtes à l'atelier de la régénération. Il n'est pas un de vos plaisirs qui ne nous soit connu, pas un dont nous ne sachions jouir. Mais nous avons de plus les nôtres ; et c'est cette réunion délicieuse qui fait de nous les hommes de la terre les plus sensibles à la volupté... les mieux créés pour la sentir. C'est cette réunion enchanteresse qui rend impossible la correction de nos goûts... qui ferait de nous des enthousiastes et des frénétiques, si l'on avait encore la stupidité de nous punir... qui nous fait adorer jusqu'à la mort, enfin, le dieu charmant qui nous enchaîne. Ainsi s'exprimait monsieur de Bressac, en préconisant ses désirs. Justine essayait-elle de lui parler de la respectable femme à laquelle il devait le jour, et des chagrins que de pareils désordres devaient lui donner, elle n'aperçoit plus dans ce jeune homme que du dépit, de l'humeur, et surtout beaucoup d'impatience de voir si longtemps en de telles mains des richesses qui, selon Bressac, auraient déjà dû lui appartenir ; elle n'y voyait plus que la haine la plus invétérée contre cette femme si honnête et si vertueuse ; la révolte la plus constatée contre tout ce que les sots appellent les sentiments de la nature, et qui, bien analysés, ne sont que de purs effets de l'habitude. Il est donc vrai que quand on est parvenu à transgresser aussi formellement dans ses goûts l'instinct de cette prétendue loi, la suite nécessaire de ce premier écart soit un penchant des plus violents à se précipiter bientôt dans mille autres. Quelquefois l'ardente Justine employait des moyens pieux. Souvent consolée par ceux-là, parce qu'il est du caractère de la faiblesse de se contenter toujours des chimères, elle essayait de faire passer leurs illusions dans l'âme de ce pervers. Mais Bressac, ennemi déclaré des mystères de la religion, frondeur opiniâtre de ses dogmes, antagoniste outré de son auteur, au lieu de se laisser dominer par les opinions de Justine, s'efforça bientôt de les subjuguer par les siennes. Il estimait assez l'esprit de cette jeune personne, pour désirer d'y porter le flambeau de la philosophie : il avait besoin d'ailleurs de détruire en elle tous les préjugés. Voici donc comment il combattit ceux du culte : - Toutes les religions partent d'un principe faux, Justine, lui disait-il un jour ; toutes supposent comme nécessaire l'admission d'un être créateur, dont l'existence est impossible. Rappelle-toi, sur cela, les préceptes sensés de ce certain Cœur-de-Fer, qui, dis-tu, avait comme moi travaillé ton esprit. Rien de plus sage que les principes de ce brigand ; je le vois comme un homme de beaucoup d'esprit ; et l'avilissement dans lequel on a la sottise de le tenir ne lui ôte pas le droit de bien raisonner. Si toutes les productions de la nature sont des effets résultatifs des lois qui la captivent ; si son action et sa réaction perpétuelles supposent le mouvement nécessaire à son essence, que devient le souverain maître que lui prêtent gratuitement ceux qui ont quelque intérêt à l'adopter ? Voilà ce que te disait ce sage instituteur, chère fille. Que sont donc les religions, d'après cela, sinon le frein dont la tyrannie du plus fort voulut captiver le plus faible ? Rempli de ce dessein, il osa dire à celui qu'il prétendait dominer, qu'un Dieu forgeait les fers dont sa cruauté l'entourait ; et celui-ci, abruti par sa misère, crut indistinctement tout ce que voulut l'autre. Les religions, nées de ces fourberies, peuvent-elles donc mériter quelque respect ? En est-il une seule qui ne porte l'emblème de l'imposture et de la stupidité ? Que vois-je dans toutes ? Des mystères qui font frémir la raison, des dogmes outrageant la nature, des cérémonies grotesques qui n'inspirent que la dérision et le dégoût. Mais si, de toutes, deux méritent plus particulièrement notre mépris et notre haine, ô Justine, ne sont-ce pas celles qui s'appuient sur ces deux romans imbéciles, connus sous le nom d'ancien et de nouveau testament ! Parcourons un moment cet assemblage ridicule d'impertinences, de mensonges et de balourdises, et voyons le cas qu'il en faut faire. Ce seront des questions que je te ferai ; tu y répondras, si tu peux. Comment d'abord faut-il que je m'y prenne pour prouver que les Juifs, brûlés à l'inquisition par milliers, furent pendant quatre mille ans les favoris de Dieu ? Comment, vous qui adorez leur loi, les faites-vous mourir parce qu'ils suivent leur loi ? Comment votre barbare et ridicule Dieu a-t-il été assez injuste, pour préférer au monde entier la petite horde juive, et quitter ensemble ce peuple favori, pour une autre caste infiniment plus petite et plus misérable ? Pourquoi ce Dieu-là a-t-il fait autrefois tant de miracles ? Et pourquoi n'en veut-il plus faire pour nous, quoique nous ayons remplacé ce peuple, en faveur duquel il en opérait de si charmants jadis ? Comment concilierez-vous la chronologie des Chinois, des Chaldéens, des Phéniciens, des Égyptiens avec celle des Juifs ? et comment accorderez-vous entre elles quarante manières différentes de supputer le temps chez les commentateurs ? Si je dis que Dieu dicte ce livre, ne me répondra-t-on pas qu'alors ce Dieu est donc un fier ignorant ? Ne le voilà-t-il pas tel encore quand j'avancerai qu'il dit que Moïse écrivit dans le désert au delà du Jourdain ? comment cela se fait-il, puisque Moïse ne passa jamais le Jourdain ? Le livre de Josué vous dit que Dieu fit graver le recueil des lois juives sur du mortier : or, tous les écrivains de ce temps vous apprennent qu'alors on ne gravait que sur la pierre et la brique. N'importe, admettons l'idée. Je demande comment, dans cette hypothèse, on a pu conserver ce recueil gravé sur du mortier, et comment un peuple, qui manquait de tout dans le désert, qui n'avait ni habits ni souliers, pouvait s'occuper de graver des lois ? Comment se trouve-t-il, dans un livre dicté par votre Dieu, des noms de villes qui n'existèrent jamais, des préceptes pour les lois que les Juifs avaient en horreur, et qui ne les gouvernaient pas encore... enfin une fourmilière de pareilles contradictions ? Votre Dieu est donc à la fois un imbécile et un inconséquent. J'aimerais autant n'en point avoir, que d'être réduit à en adorer un de cette tournure. Comment prenez-vous l'histoire burlesque de la côte d'Adam ? est-elle physique ou allégorique ? Comment Dieu créa-t-il la lumière avant le soleil ? Comment divisa-t-il la lumière des ténèbres, puisque les ténèbres ne sont autre chose que la privation de la lumière ? Comment fit-il le jour avant que le soleil fût fait ? Comment le firmament fut-il formé au milieu des eaux, puisqu'il n'y a point de firmament2 ? N'est-il pas clair que votre plat Dieu est aussi mauvais physicien que détestable géographe et ridicule chronologiste ? Voulez-vous une nouvelle preuve de sa sottise ? Avec quel dégoût ne lisez-vous pas, dans les livres qu'il dicte, que quatre fleuves, distants de mille lieues l'un de l'autre, prennent pourtant leur source dans le paradis terrestre ! Quelle est cette ridicule défense de manger du fruit d'un arbre dans un jardin dont on dispose ? Il y a bien de la méchanceté à Dieu de faire une pareille défense ; car il savait bien que l'homme succomberait : c'est donc un piège qu'il lui tendait. Quel vil coquin que votre Dieu ! je ne le voyais que comme un imbécile ; mais, en le suivant d'un peu près, je le trouve un bien grand scélérat. Comment trouvez-vous ce grand benêt d'Éternel qui vient se promener, tête-à-tête avec Adam, Ève et le serpent, tous les jours à midi, et cela, dans le pays où le soleil est alors dans sa plus grande activité ? Pourquoi, quelque temps après, cet original-là ne veut-il plus qu'on prenne l'air dans son parc, et met-il près de la porte, pour en empêcher, un bœuf3, l'épée flamboyante à la main ? Peut-on rien voir de plus plat et de plus ridicule que cette collection d'anecdotes ? De quelle manière m'expliquerez-vous l'histoire des anges qui baisent les filles de l'homme, et qui engendrent des géants ? Si tout cela est allégorique, c'est en vérité bien beau, et il y a un furieux effort de génie à avoir trouvé tout cela. Comment vous tirerez-vous à présent du déluge, qui, s'il ne dura que quarante jours, comme Dieu le dit, ne dut pourtant donner que dix-huit pouces d'eau sur la terre ? Comment m'expliquerez-vous les cataractes du ciel, les animaux arrivant des quatre parties du monde pour être enfermés dans un grand coffre, où il ne tiendront seulement pas, d'après les proportions que vos livres divins en donnent, ce que contient la ménagerie du grand seigneur ? Et comment la famille de Noé, qui n'était composée que de huit personnes, put-elle alimenter et soigner toutes ces créatures ! Ô puissant Dieu des Juifs ! je suis bien certain que parmi toutes ces bêtes, il n'y en avait pas une plus bornée que toi. Et la tour de Babel, comment vous en tirerez-vous ? Elle était sans doute beaucoup plus haute que les pyramides d'Égypte, puisque Dieu laissa subsister ces pyramides. La seule analogie que je trouve ici, c'est la confusion des langues avec les fabricateurs de votre Dieu ; il y a certes une grande ressemblance entre les gens qui ne s'entendent plus en formant un colosse matériel, et ceux qui déraisonnent en en édifiant un moral. Et le bon Abraham, qui, à l'âge de cent trente-cinq ans, fait passer Sara pour sa sœur, de peur qu'on ne la débauche, ne vous amusera-t-il pas un peu ? J'aime assez Abraham, moi, mais je le voudrais un peu moins menteur... plus soumis, et que quand Dieu veut que sa postérité se fasse circoncire, le pauvre Abraham ne s'y oppose pas. Ce qui me plaît infiniment, Justine, c'est le gaillard épisode des Sodomistes, qui veulent enculer des anges, et le bon Loth, qui aime mieux leur voir enculer ses filles, ce qui ne devait pas être la même chose aux yeux de gens aussi connaisseurs en cette partie, que les riverains du lac Asphaltite. Mais la question que vous allez résoudre sur-le-champ sans doute, c'est comment la statue de sel en laquelle fut changée la femme de Loth, put résister si longtemps à la pluie ? Comment justifierez-vous les bénédictions tombées sur Jacob, qui trompe Isaac son père, et qui vole Laban son beau-père ? Comment arrangerez-vous l'apparition de Dieu sur une échelle, et le duel de Jacob avec un ange ? Oh ! comme cela est joli ! comme cela est intéressant ! Mais dites-moi comment vous vous tirerez de la petite erreur de calcul de cent quatre-vingt-quinze ans, que l'on trouve en vérifiant le séjour des Juifs en Égypte ? Comment vous arrangerez le bain des filles de Pharaon dans le Nil, où jamais personne ne se baigne à cause des crocodiles ? Moïse ayant épousé la fille d'un idolâtre, comment Dieu, qui n'aimait pas les idolâtres, le prit-il néanmoins pour son prophète ? Comment les magiciens de Pharaon firent-ils les mêmes miracles que Moïse ? Comment Moïse, guidé par votre puissant Dieu, et se trouvant (suivant Dieu) à la tête de six cent trente mille combattants, s'enfuit-il avec son peuple, au lieu de s'emparer de l'Égypte, dont tous les premiers nés avaient été mis à mort par Dieu même ? Comment la cavalerie de Pharaon poursuivit-elle ce peuple dans un pays où jamais cavalerie ne put agir ? et comment d'ailleurs Pharaon avait-il une cavalerie, puisque, dans la cinquième plaie de l'Égypte, Dieu avait spirituellement fait périr tous les chevaux ? Comment un veau d'or put-il être formé dans huit jours ? et comment Moïse réduisit-il ce veau d'or en cendre ? Vous paraît-il encore bien naturel que vingt-trois mille hommes, dans le fond d'un désert, se laissent égorger par une seule tribu ? Et que penserez-vous de l'équité divine, quand vous verrez que Dieu ordonne à Moïse, qui a pour femme une Madianite, de tuer vingt-quatre mille hommes, parce qu'un seul d'entre eux a couché avec une Madianite ? Ces Hébreux, qu'on nous peint si féroces, n'étaient-ils pas néanmoins de bonnes gens de se laisser égorger ainsi pour les filles ? Mais, dites-moi, je vous prie, peut-on s'empêcher de rire, en voyant que Moïse trouve trente-deux mille pucelles dans le camp madianite, avec soixante et un mille ânes ? Il fallait au moins deux ânes par pucelle ; il n'y a pas d'honnête créature qui ne soit flattée, en pareil cas, d'en avoir un par devant, et l'autre par derrière. Mais Dieu, bête, ignorant, mauvais géographe, affreux chronologiste, détestable physicien, sera-t-il meilleur naturaliste ? Non vraiment ; car il nous assure qu'il ne faut pas manger du lièvre, parce qu'il rumine et qu'il n'a pas le pied fourchu ; tandis qu'il n'y a pas d'écolier de huitième qui ne sache que le lièvre a le pied fendu et qu'il ne rumine pas. Mais c'est quand il fait le législateur, votre sublime Dieu, qu'il devient réellement superbe. Y a-t-il rien de si sage, de si essentiel que de recommander aux maris de ne point coucher avec leurs femmes quand elles ont leurs règles, et de les punir de mort si cela leur arrive ; de prescrire la manière dont il faut se laver, se torcher le cul ?... En vérité, tout cela est du plus grand genre ; et s'il est aisé de reconnaître à tout la main de l'Éternel... il est assurément bien facile d'aimer un Éternel qui prescrit de si belles choses. Comment me prouverez-vous la nécessité d'un miracle pour passer le Jourdain, qui n'a pas quarante pieds de large ? Comment arrangerez-vous qu'il n'y ait que les murs de Jéricho qui puissent tomber au son de la trompette ? Comment excuserez-vous l'action de la putain Rahab qui trahit Jéricho sa patrie ? En quoi cette trahison était-elle nécessaire, puisqu'il suffisait d'un petit air de trompette pour se rendre maître de la ville ? Pourquoi faut-il maintenant que ce soit des flancs de cette putain Rahab que Dieu veuille que son cher fils tire son origine ? Pourquoi faut-il qu'enfant du crime et de la trahison, votre Jésus, sur le compte duquel nous allons bientôt revenir tire également son origine de l'inceste de Thamar et de Juda, et de l'adultère de David et de Bethsabée ? Oh ! comme les voies de Dieu sont incompréhensibles, et comme un être incompréhensible est aimable ? De quel œil verrez-vous Josué faire pendre trente et une personnes seulement, parce qu'il avait envie d'avoir leur bien ? Comment parlerez-vous de la bataille de Josué contre les Amorrhéens, pendant laquelle le Seigneur Dieu, toujours très humain, fait tomber pendant cinq heures de suite des quartiers de rochers sur les ennemis du peuple juif ? Comment concilierez-vous, avec la connaissance que vous avez maintenant des astres, l'ordre de Josué au soleil de s'arrêter, pendant que le soleil est fixe, et que c'est la terre qui tourne ? Eh ! vraiment, allez-vous me répondre, c'est que Dieu ne savait pas encore le progrès que nous ferions en astronomie. C'est un grand génie que votre Dieu ! Que penserez-vous de Jephté qui immole sa fille, et qui fait égorger quarante-deux mille Juifs, seulement parce que leur langue n'est pas assez déliée pour prononcer le mot SHIBOLET ? Pourquoi, dans votre nouvelle loi, me parlez-vous du dogme de l'enfer et de celui de l'immortalité de l'âme, tandis que l'ancienne, sur laquelle la nouvelle est calquée, ne dit pas un mot de ces dégoûtantes absurdités ? Comment adoucirez-vous l'immoralité du joli petit conte de ce Lévite venu sur son âne à Gaba, et que les gens de cette ville veulent enculer ? Le pauvre diable abandonne sa femme pour se tirer d'affaire ; mais, comme les femmes sont plus délicates que nous, la malheureuse meurt dans l'opération sodomite. Ah ! je vous en prie, dites-moi l'utilité de pareilles gentillesses dans un livre dicté par l'esprit de Dieu ? Mais ce que j'espère au moins que vous m'expliquerez, c'est le dix-neuvième verset du premier chapitre des Juges, par lequel il est dit que Dieu qui accompagne Juda, ne peut gagner une victoire, attendu que les ennemis ont des chariots armés de faux. Comment se peut-il qu'un Dieu qui arrête le soleil, qui change tant de fois le cours de la nature, ne puisse venir à bout de vaincre les ennemis de son peuple, parce qu'ils ont des chariots armés de faux ? Ne se pourrait-il pas que les Juifs, infiniment plus athées que nous le croyons, n'eussent jamais regardé leur Dieu que comme une Divinité locale et protectrice, qui tantôt était plus puissante que les dieux ennemis, et tantôt était subjuguée par eux ? Cette opinion n'est-elle pas prouvée par cette réponse de Jephté... « Vous possédez de droit ce que votre Dieu CHAMOS vous a donné, souffrez donc que nous jouissons des biens qu'ADONAI notre Dieu nous a donnés de même. » Maintenant je pourrais vous demander encore comment il se trouvait un si grand nombre de chariots armés de faux dans un pays si montagneux, qu'on ne pouvait y voyager qu'avec des ânes ? Vous devriez bien m'expliquer aussi comment il est possible que, dans un pays dénué de bois, Samson ait mis le feu aux moissons philistines, en attachant des flambeaux à la queue de trois cents renards, qui, communément, n'habitent que les bois ; comment il tua mille Philistins avec une mâchoire d'âne ; et comment il sortit d'une des dents de cette mâchoire une fontaine d'eau limpide. Convenez que soi-même il faut être un peu MÂCHOIRE D'ÂNE pour avoir inventé une telle fable, ou pour y croire. Je vous demande les mêmes éclaircissements sur le bonhomme Tobie, qui dormait les yeux ouverts, et qui fut aveuglé par une ordure d'hirondelle... sur l'ange qui descendit exprès de ce qu'on appelle l'empirée, pour aller chercher avec Tobie de l'argent que le Juif Gabel devait au père de ce Tobie... sur la femme de ce même Tobie, qui avait eu sept maris à qui le diable avait tordu le cou... et sur la manière de rendre la vue aux aveugles avec le fiel d'un poisson. Ces histoires sont vraiment curieuses ; et je ne connais rien de plus joli, après le roman du petit Poucet. Mais pourrais-je, sans votre secours, interpréter le texte sacré, qui dit que la belle Judith descendait de Siméon, fils de Ruben, quoique Siméon soit le frère de Ruben, suivant le même texte sacré, qui ne peut mentir ? J'aime beaucoup Esther, et je trouve Assuérus fort sensé d'épouser une Juive et de coucher six mois avec elle sans savoir qui elle est. Lorsque Saül fut déclaré roi, les Juifs étaient esclaves des Philistins, et l'on ne leur permettait aucune arme ; ils étaient même obligés d'aller chez les Philistins pour aiguiser leurs fers de ménage et d'agriculture. Comment se peut-il donc, d'après cela, que Saül, à la tête de trois cent mille combattants, dans un pays qui ne peut nourrir trente mille âmes, gagne cependant une mémorable victoire sur ces Philistins ! Votre David m'embarrasse au moins tout autant. Je vois avec peine, dans un tel scélérat, la tige de votre Dieu Jésus. Il est dur, pour un individu qui se mêle d'être Dieu, de ne tenir son origine que d'un assassin, d'un adultère, d'un ravisseur de femme, d'un vérolé, d'un coquin, en un mot, qui eût été roué vingt fois si nos lois d'Europe eussent pu l'atteindre. A l'égard de ses richesses et de celles de Salomon, vous conviendrez qu'elles paraissent difficiles à concilier avec la pauvreté du pays. On arrange difficilement que Salomon, comme dit votre texte sacré, ait eu quatre cent mille chevaux dans un pays où il n'y eut jamais que des ânes. Comment accorderez-vous, je vous prie, les magnifiques promesses des prophètes juifs avec le perpétuel esclavage de ce malheureux peuple, qui tantôt languit sous les Phéniciens, les Babyloniens, tantôt sous les Perses, sous les Syriens, sous les Romains, etc. ? Votre Ézéchiel me parait, ou un grand cochon ou un grand libertin, quand il mange de la merde ; et il me scandalise quand il dit à une fille : « Lorsque votre gorge s'est formée et que vous avez eu du poil, je me suis étendu sur vous, j'ai couvert votre nudité, je vous ai donné de superbes choses ; mais vous vous êtes bâti un bordel, vous vous êtes prostituée dans les places publiques ; vous avez désiré avec fureur de coucher avec ceux qui possèdent des membres d'âne, et qui éjaculent comme des chevaux. » Oh ! pudique Justine, tout cela, selon vous, est-il très-honnête ? un tel livre doit-il être nommé saint, et faire la pâture des jeunes filles ? L'histoire de votre Jonas, enfermé trois jours dans le ventre d'une baleine, n'est-elle pas tout aussi dégoûtante ! n'est-elle pas visiblement copiée d'après celle d'Hercule, également captif dans les flancs d'une pareille bête ; mais qui, plus adroit que votre prophète, eut l'esprit de manger sur le gril le foie de la baleine ? Faites-moi comprendre, je vous prie, les premiers versets du prophète Osée. Dieu lui ordonne expressément de prendre une putain et de lui faire des fils de putain. Le malheureux obéit. Dieu n'est pas encore content ; il veut qu'il prenne une femme qui ait fait son mari cocu. Le prophète obéit encore. Dites-moi, je vous prie, à quoi bon tout cela dans un livre saint ?... quel genre d'édification il revient aux fidèles croyants de ces révoltantes absurdités ? Mais c'est sur le nouveau testament que vos instructions me deviennent plus nécessaires. J'ai peur d'être embarrassé quand il faudra que j'accorde les deux généalogies de Jésus. On me dira que Mathieu donne Jacob pour père à Joseph, et que Luc le fait fils d'Élie. On me demandera comment l'un compte cinquante-six générations, et comment l'autre n'en compte que quarante-deux. Pourquoi enfin cet arbre généalogique est celui de Joseph, qui n'était pas le père de Jésus. Serez-vous de l'avis de saint Ambroise, qui dit que l'ange fit à Marie un enfant par l'oreille (Maria per aurem impraegnata est.) ? ou du jésuite Sanchès qui assure qu'elle déchargea pendant que l'ange la foutait ! Si j'ose parler d'après saint Luc, du dénombrement de toute la terre, ordonné par Auguste pendant que Cyrénius gouvernait la Judée, ce qui fut cause de la fuite en Égypte, on me rira au nez ; car il n'est personne qui ne sache qu'il n'y eut jamais de dénombrement dans l'empire, et que c'était Barus et non Cyrénius qui gouvernait pour lors en Syrie. Quand je parlerai, d'après Matthieu, de cette fuite en Égypte, on me dira que cette fuite est un roman, qu'aucun des autres évangélistes n'en parle ; et, si j'accorde alors que la sainte famille resta en Judée, on me soutiendra qu'elle a été en Égypte. Et croyez-vous que les astronomes ne se moqueront pas de moi, si je leur parle de l'étoile qui conduisit trois rois dans une étable ? Comment à la suite de ce conte, arrangerez-vous qu'Hérode, le plus despote des hommes, ait pu craindre un moment être supplanté par le bâtard d'une putain, venu au monde dans une étable ? Il est fâcheux qu'aucun historien ne vienne à l'appui de votre prétendu massacre des innocents ; il serait fort à désirer pour l'humanité, que ceux de la Saint-Barthélemy, de Mérindol, de Cabrières, etc., etc., fussent aussi douteux que celui-là. Mais ce que j'espère me voir expliquer par vous, c'est la manière charmante dont le diable emporte Dieu, et le perche sur une montagne, d'où l'on voyait toute la terre. Le diable, qui promet tous ces biens à Dieu, pourvu que Dieu adore le diable, pourra peut-être scandaliser beaucoup d'honnêtes gens pour lesquels je vous demande un mot de recommandation. Quand vous vous marierez, Justine, vous voudrez bien me dire de quelle manière Dieu, qui allait ainsi à la noce, s'y prenait pour changer l'eau en vin, en faveur de gens qui étaient déjà ivres. En mangeant des figues à votre déjeuner à la fin de juillet, vous voudrez bien me dire aussi pourquoi Dieu, ayant faim, cherche aussi des figues au mois de mars, quand ce n'est pas le temps des figues. Après ces éclaircissements, il m'échappera pourtant encore quelques bêtises. Il faudra que je dise, par exemple, que Dieu a été condamné à être pendu pour le péché originel. Si on me répond qu'il ne fut jamais question de péché originel ni dans l'ancien ni dans le nouveau testament, qu'il est seulement dit qu'Adam fut condamné à mourir le jour qu'il aurait mangé du fruit de l'arbre de la science, mais qu'il n'en mourut pas ; si on me traite de fou pour oser dire que Dieu a été pendu pour une pomme mangée quatre mille ans avant sa mort, je vous assure que la réponse m'embarrassera. Dirai-je, avec Luc que c'est du petit village de Béthanie que Jésus s'élança vers le ciel ; ou bien, avec Matthieu, que ce fut de la Galilée ? préférerai-je l'opinion d'un docteur, qui, pour tout concilier, prétend que Dieu avait un pied en Galilée et l'autre en Béthanie ? Instruisez-moi pourquoi le credo, qu'on appelle le symbole des apôtres, ne fut que du temps de Jérôme et de Rufin, quatre cents ans après les apôtres ? Dites-moi pourquoi les premiers pères de l'Église ne citent jamais que les évangiles appelés apocryphes ? n'est-ce pas une preuve évidente que les quatre canoniques n'étaient pas encore faits ? Et toutes ces fraudes, pièces où le mensonge et la fourberie sont obligés de recourir pour étayer vos absurdités chrétiennes, ne sera-ce pas avec un peu de peine que vous les légitimerez à mes yeux ? Dites-moi pourquoi Jésus n'ayant point institué sept sacrements, votre religion en admet pourtant sept ? Pourquoi Jésus n'ayant jamais parlé de la Trinité, vous adorez pourtant la Trinité ! En un mot, pourquoi votre Dieu réunissant autant de puissance, n'a pourtant pas celles de nous instruire de toutes ces vérités si essentielles à notre salut ? Abandonnons un instant tout ce qu'on dit de votre Christ ; jugeons-le sur ses paroles et sur ses actions, plus que sur les relations de ceux qui nous en parlent. Comment, je vous en prie, des hommes raisonnables peuvent-ils encore ajouter quelque croyance aux paroles obscures, aux prétendus miracles du vil instituteur de ce culte effrayant ? Existera-t-il jamais un bateleur plus fait pour l'indignation publique ? Qu'est-ce qu'un Juif lépreux, qui, né d'une catin et d'un soldat, dans le plus chétif coin de l'univers, ose se faire passer pour l'organe de celui qui, dit-on, a créé le monde ? Avec des prétentions si relevées, vous conviendrez, Justine, qu'il fallait au moins quelques titres ? Quels sont ceux de ce ridicule ambassadeur ? Que va-t-il faire pour prouver sa mission ? La terre va-t-elle changer de face ? Les fléaux qui l'affligent vont-ils s'anéantir ? Le soleil va-t-il l'éclairer nuit et jour ? Les vices ne la souilleront-ils plus ? N'allons-nous voir enfin régner que le bonheur ? Pas un mot : c'est par des tours de passe-passe, par des gambades et par des calembours4, que l'envoyé de Dieu s'annonce à l'univers ; c'est dans la société respectable de manœuvres, d'artisans et de filles publiques, que le ministre du ciel vient manifester sa grandeur ; c'est en buvant avec les uns, foutant avec les autres, que l'ami de Dieu, Dieu même, vient soumettre à ses lois le pécheur endurci ; c'est en n'inventant, pour ses farces, que ce qui peut satisfaire ou son luxe, ou sa gourmandise, que l'imposteur prouve sa mission. Quoi qu'il en soit, il fait fortune ; de plats coquins se joignent à ce fripon ; une secte se forme ; les dogmes de cette canaille parviennent à séduire quelques Juifs. Esclaves de la puissance romaine, ils devaient embrasser avec joie une religion qui, les dégageant de leur fers, ne les assouplissaient qu'au frein religieux. Leur motif se devine ; on arrête les séditieux ; leur chef périt, mais d'une manière trop douce, sans doute, pour son genre de crime, et, par un impardonnable défaut de politique, on laisse disperser les disciples de ce malotru, au lieu de les égorger avec lui. Le fanatisme s'empare des esprits ; des femmes crient, des fous se débattent, des imbéciles croient : et voilà le plus méprisables des êtres, le plus maladroit fripon, le plus lourd imposteur qui ait encore paru, le voilà Dieu, le voilà fils de Dieu, égal à son père ; voilà toutes ses rêveries consacrées, toutes ses paroles devenues des dogmes, et ses balourdises des mystères. Le sein de son fabuleux papa s'ouvre pour le recevoir ; et ce créateur, jadis simple, le voilà devenu triple, pour complaire à ce fils si digne de sa grandeur. Mais ce saint Dieu en restera-t-il là ? Non, sans doute ; c'est à de plus grandes faveurs que se prêtera sa puissance. A la volonté d'un prêtre, c'est-à-dire, d'un gredin couvert de mensonges et de crimes, ce grand Dieu, créateur de tout ce que nous voyons, s'abaissera jusqu'à descendre dix ou douze millions de fois par matinée dans un morceau de pâte, qui, devant être digéré par les fidèles, va se transmuer bientôt, au fond de leurs entrailles, dans les excréments les plus vils ; et cela, pour la satisfaction de ce tendre fils, inventeur odieux de cette impiété monstrueuse dans un souper de cabaret. Il l'a dit, il faut que cela soit ; il a dit : Ce pain que vous voyez sera ma chair, vous le digèrerez comme tel : or, je suis Dieu ; donc Dieu sera digéré par vous ; donc le créateur du ciel et de la terre se changera en merde, parce que je l'ai dit ; et l'homme mangera et chiera son Dieu, parce que ce Dieu est bon et qu'il est tout-puissant. Cependant les inepties s'étendent. On attribue leur accroissement à leur sublimité, à la puissance de celui qui les introduit, tandis que les causes les plus simples doublent leurs existences ; tandis que l'accroissement de l'erreur ne prouve jamais que des filous d'une part, et des imbéciles de l'autre. Elle arrive enfin sur le trône, cette infâme religion ; et c'est un empereur faible, cruel, ignorant, fanatique, qui, l'enveloppant du bandeau royal, en souille ainsi les deux bouts de la terre. Ô Justine ! de quel poids doivent être ces raisons sur un esprit examinateur et philosophe ! Le sage peut-il voir autre chose, dans ce ramas de fables épouvantables, que le fruit dégoûtant de l'imposture de quelques hommes et de la fausse crédulité d'un plus grand nombre ? Si Dieu avait voulu que nous eussions une religion quelconque et s'il était réellement puissant, ou, pour mieux dire, s'il y avait véritablement un Dieu, serait-ce par des moyens aussi absurdes qu'il nous eût fait part de ses ordres ? Serait-ce par l'organe d'un bandit méprisable qu'il nous eût montré comment il fallait le servir ? S'il est suprême, s'il est puissant, s'il est juste, s'il est bon, ce Dieu dont vous me parlez, sera-ce par des énigmes ou des farces qu'il voudra m'apprendre à le servir ou à le connaître ! Souverain moteur des astres et du cœur de l'homme, ne peut-il nous instruire en se servant des uns, ou nous parler en se gravant dans l'autre ? Qu'il imprime, un jour, en traits de feu, au centre du soleil, la loi qui peut lui plaire et qu'il veut nous donner : d'un bout de l'univers à l'autre, tous les hommes la lisant, la voyant à la fois, deviendront coupables s'ils ne la suivent pas alors ; aucune excuse ne pourra légitimer leur incrédulité. Mais n'indiquer ses désirs que dans un coin ignoré de l'Asie ; ne choisir, pour sectateur, que le peuple le plus fourbe et le plus visionnaire ; pour substitut, que le plus vil artisan, le plus absurde et le plus fripon ; embrouiller si bien la doctrine, qu'il est impossible de la comprendre ; en absorber la connaissance chez un petit nombre d'individus ; laisser les autres dans l'erreur, et les punir d'y être restés : eh non, Justine, non, non, toutes ces atrocités-là ne sont pas faites pour nous guider ; j'aimerais mieux mourir mille fois, que de les croire. Il n'y a point de Dieu, il n'y en eut jamais. Cet être chimérique n'exista que dans la tête des fous ; aucun être raisonnable ne pourra ni le définir, ni l'admettre ; et il n'y a qu'un sot qui puisse adopter une idée si prodigieusement contraire à la raison. Mais la nature, me direz-vous, est inconcevable sans un Dieu. Ah ! j'entends ; c'est-à-dire, que pour m'expliquer ce que vous comprenez fort peu, vous avez besoin d'une cause où vous ne comprenez rien du tout ; vous prétendez démêler ce qui est obscur, en redoublant l'épaisseur des voiles ; vous croyez briser un lien, en multipliant les entraves. Physiciens crédules et enthousiastes, pour nous prouver l'existence d'un Dieu, copiez des traités de botanique ; entrez, comme Fénelon, dans un détail minutieux des parties de l'homme ; élancez-vous dans les airs, pour admirer le cours des astres ; extasiez-vous devant des papillons, des insectes, des polypes, des atomes organisés, dans lesquels vous croyez trouver la grandeur de votre vain Dieu : toutes ces choses, vous aurez beau dire, ne démontreront jamais l'existence de cet être absurde et imaginaire ; elles prouveront seulement que vous n'avez pas les idées que vous devez avoir de l'immense variété des matières et des effets que peuvent produire des combinaisons diversifiées à l'infini, dont l'univers est l'assemblage ; elles prouveront que vous ignorez ce qu'est la nature, que vous n'avez aucune idée de ses forces, lorsque vous les jugez incapables de produire une foule de formes et d'êtres dont vos yeux, même armés de microscopes, ne voient jamais la moindre partie ; elles prouveront enfin que, faute de connaître les agents sensibles, vous trouverez plus court d'avoir recours à un mot sous lequel vous désignez un agent spirituel dont il vous sera toujours impossible d'avoir une idée sûre. On nous dit gravement qu'il n'y a point d'effet sans cause ; on nous répète à tout moment que le monde ne s'est pas fait lui-même. Mais l'univers est une cause, il n'est point un effet, il n'est point un ouvrage ; il n'a point été créé, il a toujours été ce que nous le voyons ; son existence est nécessaire ; il est sa cause lui-même. La nature, dont l'essence est visiblement d'agir et de produire, pour remplir ses fonctions, comme elle fait sous nos yeux, n'a pas besoin d'un moteur invisible, bien plus inconnu qu'elle-même. La matière se meut par sa propre énergie, par une suite nécessaire de son hétérogénéité ; la diversité des mouvements ou des façons d'agir constitue seule la diversité des matières ; nous ne distinguons les êtres les uns des autres que par la différence des impressions ou des mouvements qu'ils communiquent à nos organes. Quoi ! vous voyez que tout est en action dans la nature, et vous prétendez que la nature est sans énergie ! Vous croyez imbécilement que ce tout, agissant essentiellement, peut avoir besoin d'un moteur ? Et quel est-il donc, ce moteur ? Un esprit, c'est-à-dire un être nul. Persuadez-vous donc, au contraire, que la matière agit par elle-même et cessez de raisonner sur votre amour spirituel, qui n'a rien de ce qu'il faut pour la mettre en action. Revenez de vos incursions inutiles ; rentrez d'un monde imaginaire dans un monde réel ; tenez-vous-en aux causes secondes ; laissez aux théologiens leur cause première, dont la nature n'a nullement besoin pour produire tout ce que vous voyez. Oh ! Justine, comme j'abhorre, comme je déteste cette idée d'un Dieu ! comme elle choque ma raison et déplaît à mon cœur ! Quand l'athéisme voudra des martyrs, qu'il le dise, et mon sang est tout prêt. Détestons ces horreurs, chère fille ; que les outrages les mieux constatés cimentent le mépris qui leur est si bien dû. A peine avais-je les yeux ouverts que j'abhorrais ces rêveries grossières : je me fis dès lors une loi de les fouler aux pieds... un serment de n'y plus revenir. Imite-moi, si tu veux être heureuse ; déteste, abjure, profane, ainsi que moi, et l'objet odieux de ce culte effrayant, et ce culte lui-même, créé pour des chimères, fait, comme elles, pour être avili de tout ce qui prétend à la sagesse. Mais, vous disent à cela les sots, plus de morale, si vous n'avez plus de religion. Imbéciles ! quelle est-elle donc, cette morale que vous prêchez ? Je n'en connais qu'une, moi, mon enfant, celle de se rendre heureux, n'importe aux dépens de qui ; celle de ne se rien refuser de tout ce qui peut augmenter notre bonheur ici-bas, fallût-il même, pour y réussir, troubler, détruire, absorber absolument celui des autres. La nature, qui nous fit naître seuls, ne nous commande nulle part de ménager notre prochain : si nous le faisons, c'est par politique ; je dis plus, c'est par égoïsme. Nous ne nous nuisons point, de peur qu'on nous nuise ; mais celui qui sera assez fort pour pouvoir nuire sans craindre le retour, nuira beaucoup, s'il n'écoute que ses penchants, parce qu'il n'en est aucun de plus caractérisé, de plus violent dans l'homme que celui de faire du mal et de despotiser. Ces mouvements nous viennent de la nature ; la seule obligation de vivre en société les modifie. Mais cette nécessité où la civilisation nous met de nous contraindre n'érige pas cette contrainte en vertu ; elle n'empêche pas que la volupté la plus grande pour l'homme existe à en franchir toutes les lois. N'est-ce pas une ridiculité, je le demande, que d'oser dire qu'il faut aimer les autres hommes comme soi-même ? et ne reconnaît-on pas, à l'absurdité de ce commerce, toute la faiblesse d'un législateur fourbe et pauvre ? Eh ! que m'importe à moi le sort de mes semblables, pourvu que je me délecte ? En quoi tiens-je à cet individu, si ce n'est par les formes ? Or, je vous prie de me dire s'il faut que j'aime un être seulement parce qu'il existe, ou qu'il me ressemble, et que, sous ces uniques rapports, je le préfère subitement à moi. Si c'est là ce que vous appelez de la morale, en vérité, Justine, votre morale est bien ridicule ; et ce que je puis faire de mieux est, en l'assimilant à votre religion absurde, de la mépriser également. Il n'est qu'un motif qui puisse engager raisonnablement un homme à contraindre ses goûts, ses habitudes ou ses penchants, pour plaire à un autre homme. Je le répète, s'il le fait, c'est par faiblesse ou par égoïsme ; il ne le fera jamais, s'il est le plus fort. D'où je conclus que toutes les fois que la nature donnera plus de puissance ou plus de moyens à un autre qu'à moi, cet être fera très bien de me sacrifier à ses penchants, tout comme il peut être sûr que je ne le ménagerai pas, si c'est moi qui l'emporte, parce que, se rendre heureux, abstraction faite de toute considération de quelque espèce qu'on puisse la supposer, est, en un mot, la seule et unique loi que nous impose la nature. Je connais toute l'étendue de ce principe ; je sais jusqu'à quel point il peut conduire les hommes. Mais des hommes à qui je n'assigne d'autres barrières que celles de la nature, peuvent aller impunément à tout, et, s'ils sont vraiment raisonnables, ils ne mettront jamais à leurs actions d'autres bornes que leurs désirs, que leurs volontés, leurs passions. Ce qu'on nomme vertu est un être chimérique pour moi ; ce mode insignifiant et mobile, qui varie de climat en climat, ne m'inspire aucune grande idée. La vertu d'un peuple ne sera jamais que celle de son sol ou de ses législateurs ; celle de l'homme vraiment philosophe doit être la jouissance de ses désirs, ou le résultat de ses passions. Le mot crime, également arbitraire, ne m'en impose pas davantage. Il n'est, à mes yeux, de crime à rien, parce qu'il n'est aucune des actions que vous nommez criminelles, qui n'ait été jadis couronnée quelque part. Dès qu'aucune action ne peut être universellement regardée comme crime, l'existence du crime, purement géographique, devient absolument nulle, et l'homme qui s'abstient d'en commettre, quand il en a reçu le penchant de la nature, n'est qu'un sot qui s'aveugle à plaisir sur les premières impressions de cette nature, dont il méconnaît les principes. Ô Justine ! mon unique morale consiste à faire absolument tout ce qui me plait, à ne jamais rien refuser à mes désirs. Mes vertus sont vos vices, mes crimes vos bonnes actions ; ce qui vous semble honnête est vraiment détestable à mes yeux ; vos bonnes œuvres me font horreur. Et si je n'en suis pas encore, comme Cœur-de-Fer, au point d'aller assassiner sur les grands chemins, ce n'est pas que je n'en aie souvent conçu le désir ; ce n'est pas que, par unique volupté, je ne l'aie peut-être exécuté quelquefois ; mais c'est que je suis riche, Justine, et que je peux jouir et faire pour le moins autant de mal, sans me donner autant de peines, et sans courir autant de dangers. La sensible Justine réfutait mal des argument de cette force ; mais ses larmes coulaient en abondance. C'est la ressource du faible, en se voyant ravir la chimère qui le consolait. Il n'ose la rééditer aux yeux du philosophe qui la pulvérise ; mais il la regrette ; le vide l'effraie ; n'ayant pas, comme l'homme puissant, les doux plaisirs du despotisme, il frémit du rôle d'esclave, et le voit d'autant plus horrible que son tyran n'a plus de frein. Chaque jour Bressac employait à peu prés les mêmes armes pour tâcher de corrompre Justine ; mais il ne pouvait en venir à bout. Le pauvre tient à la vertu par besoin ; la fortune, en lui refusant les moyens du crime, lui ôte en même temps tout intérêt à secouer le joug qu'il ne verrait ravir à la société qu'aux dépens de sa triste existence. Voilà tout le secret de la vertueuse misère. Madame de Bressac, remplie de sagesse et de piété, n'ignorait pas que son fils légitimait, par des systèmes indestructibles, tous les vices dont il se souillait ; elle en répandait, des larmes bien amères dans le sein de la tendre Justine ; lui trouvant de l'esprit de la sensibilité, et cet âge naïf où la vertu séduit et trompe à la fois les hommes, elle aimait à lui confier ses chagrins. Il n'était pourtant plus de bornes aux mauvais procédés de son fils pour elle ; le comte était au point de ne plus se cacher. Non seulement il avait entouré sa mère de toute cette canaille servant à ses plaisirs ; mais il avait même porté l'insolence et le délire, au point de déclarer à cette femme respectable que si elle s'avisait encore de contrarier ses goûts, il la convaincrait des charmes dont ils étaient accompagnés, en s'y livrant à ses yeux mêmes. C'est où l'exactitude dont nous nous sommes fait une loi pèse horriblement à notre cœur vertueux. Mais il faut peindre ; nous avons promis d'être vrai ; toute dissimulation, toute gaze deviendrait une lésion faite à nos lecteurs, de qui l'estime nous est plus chère que tous les préjugés de la décence. Madame de Bressac, dont l'usage était de venir tous les ans faire ses pâques à la paroisse de sa terre, et parce qu'elle y était plus tranquille, et parce que le pasteur de ce village plaisait mieux à son âme douce et peut-être un peu timorée, madame de Bressac, disons-nous, venait d'arriver dans cette intention, et n'avait amené, pour ce voyage, que deux ou trois valets, et Justine. Mais son fils, peu sensible à ces considérations, et n'ayant pas le projet de s'ennuyer pendant que sa mère allait s'extasier devant un Dieu de pain, auquel il ne croyait guère, avait à peu près mené le même train qu'à tous les voyages : valets de chambre, laquais, coureurs, secrétaire, jockeys, tout, en un mot, ce qui servait ordinairement ses plaisirs. Ce peu d'égards donna de l'humeur à madame de Bressac. Elle osa représenter à son fils que, pour une course de huit jours, ce n'était pas la peine d'avoir tant de monde. Et, sur l'insouciance du jeune homme à d'aussi sages représentations, elle employa le ton d'autorité. - Écoute, dit Bressac à Justine, devenue très à contrecœur dans cette occasion l'organe des volontés de sa maîtresse, va dire à ma mère que le ton qu'elle prend avec moi me déplaît, qu'il est temps que je l'en corrige et que malgré les bonnes œuvres, les devoirs pieux dont elle s'est acquittée ce matin avec toi (car je sais qu'en dépit de ce que j'ai fait pour te persuader des ridicules de la religion chrétienne, il n'est pas de jour où tu n'en remplisses les infâmes devoirs), que malgré tout cela, dis-je, je vais dans un instant lui donner une petite leçon sous tes yeux, dont j'espère qu'elle profitera pour ne plus me faire de remontrances. - Oh ! monsieur. - Obéis, et ne t'avise jamais de répliquer quand c'est de moi que tu reçois des ordres. Le château se ferme ; deux gardes, laissés au dehors, ont ordre de dire à tous ceux qui se présenteront, que madame vient de retourner à Paris. Et Bressac remontant dans l'appartement de sa mère, avec son fidèle Jasmin, un autre de ses gens nommé Joseph, beau comme un ange, insolent comme le bourreau, et membré comme Hercule. - Madame, lui dit-il en entrant, il faut que je vous tienne enfin la parole que je vous ai donnée de vous faire juger par vous-même de l'excès des plaisirs qui me transportent quand je me livre à la bougrerie, afin que vous ne cherchiez plus à les traverser désormais. - En vérité, mon fils... - Taisez-vous, madame ; ne vous imaginez pas que cette qualité illusoire de mère vous laisse aucun droit sur moi. Ce n'est pas un titre à mes yeux que de vous être fait foutre pour me mettre au monde ; et ces liens absurdes de la nature n'ont aucune puissance sur des âmes, comme la mienne, Vous allez voir de quoi il s'agit, madame ; quand vous aurez jugé mes plaisirs, je suis persuadé que vous les respecterez, vous les trouverez trop piquants pour oser me les interdire ; et, pénétrée de votre injustice, vous préférerez, je l'espère, les doux effets de mes passions à ceux de votre ridicule autorité. Bressac, en disant cela, ferme portes et fenêtres ; puis, s'approchant du lit sur lequel sa mère venait de se jeter un instant pour se reposer des saintes fatigues du matin, il saisit brutalement la dame, ordonne à Joseph de la contenir sous ses yeux, et se fait enculer tout près d'elle par Jasmin. - Observez, madame, disait le scélérat, observez avec soin ces mouvements, je vous conjure, regardez l'extase où me plongent les élans vigoureux de mon fouteur ; voyez mon vit, comme il se dresse... Attendez, tout en vous contenant d'une main, Joseph peut me branler de l'autre et faire dégorger sur vos cuisses charnues le sperme que vont décider les haut-le-corps de mon amant ; vous serez mouillée de mon foutre, madame, vous en serez inondée ; cela vous rappellera l'heureux temps où mon très honoré père vous en barbouillait le nombril... Mais que vois-je, Justine ! tu te détournes ; place-toi comme ta maîtresse, et contiens-la comme Joseph. Il n'est pas aisé de peindre à la fois ce qu'éprouvaient ici nos différents personnages. L'infortunée Justine pleurait en obéissant ; madame de Bressac se dépitait ; Joseph, enflammé de libertinage, donnait l'essor à un vit monstrueux, qui n'attendait pour se nicher que de trouver une place vide ; Jasmin foutait comme un dieu ; et le méchant Bressac, en dévorant avec volupté les larmes de sa mère, paraissait prêt à la couvrir de foutre. - Un moment, dit-il, en se retirant, je crois qu'on peut ajouter ici quelques épisodes. Joseph, prends ces verges, et fais-moi le plaisir d'étriller ma mère devant moi ; ne la ménage pas, je t'en prie. Vous Justine, venez me branler, et dirigez bien à plomb mon foutre sur les fesses de votre patronne, en observant de ménager vos secousses, afin que les flots n'éjaculent qu'au moment où ce cul respectable sera suffisamment ensanglanté par les soins de mon cher Joseph, qui, j'espère n'épargnera pas madame, et la traitera d'autant plus rigoureusement, qu'il est essentiel de joindre un peu de macérations aux bonnes œuvres dont elle s'est sanctifiée ce matin. Hélas ! tout se dispose et s'exécute avec rigueur, Madame de Bressac a beau crier, le cruel Joseph la déchire ; elle est en sang ; et Jasmin, qui décharge avant celui qu'il sodomise, va fouetter à son tour la pauvre maman, pendant que Joseph vient enculer son maître, et que Justine, avec autant de pudeur que de maladresse, continue de le masturber de son mieux. - Monsieur ! oh ! monsieur, s'écrie madame de Bressac, vous me faites une insulte que je n'oublierai de la vie. - Je l'espère, madame ; mon intention est que vous vous souveniez de cette scène, afin que vous ne me mettiez plus à l'avenir dans le cas de la renouveler. Et en ce moment, comme le derrière de madame de Bressac se trouvait étonnamment écorché, que notre libertin, pressé par tout le sel de cette scène piquante, ne pouvait plus se contenir - Vos fesses !... vos fesses !... madame, s'écrie-t-il ; je sens qu'il est nécessaire de pousser encore les choses plus loin, et je prétends, en votre faveur, faire un effort unique. Ce cul très blanc et beaucoup plus beau que je ne l'aurais cru me détermine à une infidélité... mais il faut que je le fustige avant. Le scélérat prend les verges ; il déchire sa mère, pendant que l'on continue de le foutre ; puis, jetant les instruments de ce supplice, et s'engloutissant dans l'anus : - Oui, en vérité, madame, lui dit-il, oui, d'honneur, c'est un effort, c'est un pucelage. Oh ! foutre, qu'il est divin, d'enculer sa mère ! Approchez, Justine, approchez, puisque je suis en train d'outrager mon culte ! venez partagez l'offense, faites-moi manier vos fesses. Justine rougit ; mais comment résister à ce qu'on aime ? N'est-ce pas toujours une faveur que la pauvre fille en obtient ? Son cul mignon s'offre aux intempérances de tous ces libertins ; tous le palpent et l'admirent à l'envie. Elle est condamnée à poursuivre son opération masturbante ; il faut qu'elle branle la racine de ce vit niché dans le cul maternel, et de ses doigts délicats s'échappent enfin des torrents de sperme dans les entrailles de madame de Bressac qui s'évanouit à cette horreur. Le jeune homme sort sans s'inquiéter de l'état de la respectable femme qu'il vient d'outrager, et Justine s'enferme avec elle pour la consoler, s'il se peut. Nos lecteurs imaginent facilement ici que cette conduite faisait frémir notre malheureuse héroïne, et qu'elle tâchait d'en résoudre des motifs personnels pour étouffer dans son âme la terrible passion dont elle était travaillée ; mais l'amour est-il donc un mal dont on puisse guérir ? Tout ce qu'on cherche à lui opposer n'attise que plus vivement sa flamme ; le perfide Bressac ne paraissait jamais plus aimable aux yeux de cette pauvre fille, que quand sa raison avait réuni devant elle tout ce qui devait l'engager à le haïr. **** *creator_sade *book_sade_justine1799 *style_prose *date_1799 CHAPITRE V PROJET D'UN CRIME EXÉCRABLE - EFFORTS POUR LE PRÉVENIR - SOPHISMES DE CELUI QUI LE CONÇOIT - PRÉLIMINAIRES, EXÉCUTION DE CETTE HORREUR - JUSTINE S'ÉCHAPPE Il y avait deux ans que Justine était dans cette maison, toujours persécutée par les mêmes chagrins, toujours consolée par le même espoir, lorsque l'infâme Bressac, se croyant à la fin sûr d'elle, osa lui dévoiler ses perfides desseins. On était pour lors à la campagne, et Justine seule auprès de sa maîtresse, la première femme ayant obtenu de passer l'été à Paris pour quelques affaires de son mari. Un soir, peu après que cette belle fille fût retirée, tout à coup Bressac frappe à la porte et la prie de le laisser un instant causer avec elle : hélas ! tous ceux que lui accordait le cruel auteur de ses maux lui paraissaient trop précieux pour qu'elle osât en refuser aucun. Il entre, ferme avec soin la porte, et se jetant à ses côtés, dans un fauteuil : - Écoute-moi, Justine, lui dit-il, avec un peu d'embarras ; j'ai des choses de la plus grave conséquence à te dire ; jure-moi que tu n'en révéleras jamais rien. - Oh ! monsieur, pouvez-vous me croire capable d'abuser de votre confiance ? - Tu ne sais pas ce que tu risquerais si tu venais à me prouver que je me suis trompé en te l'accordant. - Le plus affreux de tous mes chagrins serait de l'avoir perdue, et je n'ai pas besoin de plus grandes menaces. - Ma chère, poursuivit Bressac, en saisissant les mains de Justine, cette mère que je déteste, eh bien ! je l'ai condamnée à mort... et c'est toi qui dois me servir... - Moi ! s'écria Justine, en reculant d'horreur... N'espérez pas.. Oh ! monsieur, avez-vous pu concevoir un semblable projet ! Non, non, disposez de ma vie s'il vous la faut ; mais n'imaginez jamais obtenir la complicité du crime affreux que vous avez conçu. - Écoute, Justine, poursuivit Bressac, en la ramenant avec douceur, je me suis bien douté de tes répugnances ; mais, comme tu as de l'esprit, je me suis flatté de les vaincre, de te prouver que ce crime qui te paraît si énorme, n'est au fond qu'une chose toute simple. Deux forfaits s'offrent ici, Justine, à tes yeux peu philosophiques : la destruction d'une créature qui nous ressemble, et le mal dont cette destruction s'augmente, selon toi, quand cette créature nous tient d'aussi près. A l'égard du crime de la destruction de son semblable, sois-en certaine, chère fille, ce crime est purement chimérique : le pouvoir de détruire n'est pas accordé à l'homme ; il a tout au plus celui de varier des formes, mais il n'a pas celui de les anéantir. Or, toute forme est égale aux yeux de la nature ; rien ne se perd dans le creuset immense où ses variations s'exécutent ; toutes les portions de matière qui y tombent en rejaillissent incessamment sous d'autres figures ; et, quels que soient nos procédés sur cela, aucun ne l'outrage sans doute, aucun ne saurait l'offenser. Nos destructions raniment son pouvoir ; elles entretiennent son énergie, mais aucune ne l'atténue ; elle n'est contrariée par aucune. Et qu'importe à sa main créatrice que cette masse de chair conformant aujourd'hui l'individu bipède, se produise demain sous la forme de mille insectes différents ! Osera-t-on dire que la construction de cet animal à deux pieds lui coûte plus que celle du vermisseau, et qu'elle doit y prendre un plus grand intérêt ? Si donc ce degré d'attachement, ou bien plutôt d'indifférence, est le même, que peut lui faire que, par le glaive d'un homme, un autre homme soit changé en mouche ou en herbe ? Quand on m'aura convaincu de la sublimité de notre espèce, quand on m'aura démontré qu'elle est tellement importante à la nature, que nécessairement ses lois s'irritent de cette transmutation, je pourrai croire alors que le meurtre est un crime ; mais quand l'étude la plus réfléchie m'aura prouvé que tout ce qui végète sur ce globe, le plus imparfait des ouvrages de la nature, est d'un égal prix à mes eux, je n'admettrai jamais que le changement d'un de ces êtres en mille autres, puisse en rien déranger ses vues. Je me dirai : Tous les animaux, toutes les plantes croissant, se nourrissant, se détruisant, se reproduisant par les mêmes moyens, ne recevant jamais une mort réelle, mais une simple variation dans ce qui les modifie, tous, dis-je, paraissant aujourd'hui sous une forme, et quelques années après sous une autre, peuvent, au gré de l'être qui veut les mouvoir, changer mille et mille fois dans un jour, sans qu'aucune loi de la nature en soit un instant affectée. Que dis-je ! sans que ce transmutateur ait produit autre chose qu'un bien, puisqu'en décomposant des individus dont les bases redeviennent nécessaires à la nature, il ne fait que lui rendre, par cette action improprement appelée criminelle, l'énergie créatrice dont le prive nécessairement celui qui, par une stupide indifférence, n'ose entreprendre aucun bouleversement. C'est le seul orgueil de l'homme qui érigea le meurtre en crime : cette vaine créature s'imaginant être la plus sublime du globe, se croyant la plus essentielle, partit de ce faux principe pour assurer que l'action qui la détruisait ne pouvait qu'être horrible ; mais sa vanité, sa démence ne change rien aux lois de la nature ; il n'y a point d'être qui n'éprouve au fond de son cœur le désir le plus véhément d'être défait de ceux qui le gênent, ou dont la mort peut lui être avantageuse ; et de ce désir à l'effet, Justine, imagines-tu que la différence soit bien grande ? Or, si ces impressions nous viennent de la nature, est-il présumable qu'elles l'irritent ? Nous inspirerait-elle ce qui la dégraderait ? Ah ! tranquillise-toi, chère fille : nous n'éprouvons rien qui ne lui serve. Tous les mouvements qu'elle place en nous sont les organes de ses lois ; les passions de l'homme ne sont que les moyens quelle emploie pour accélérer ses desseins. A-t-elle besoin d'individus ; elle nous inspire l'amour : voilà des créations. Les destructions lui deviennent-elles nécessaires ; elle place dans nos cœurs la vengeance, l'avarice, la luxure, l'ambition : voilà des meurtres. Mais elle a toujours travaillé pour elle, et nous sommes devenus, sans nous en douter, les débiles agents de ses moindres caprices. Tout dans l'univers est subordonné aux lois de la nature. Si d'un côté les éléments agissent sans aucun égard aux intérêts particuliers des hommes, de même les hommes sont livrés à leurs propres jugements dans les différents chocs de la matière et peuvent employés toutes les facultés dont ils sont doués, à pourvoir à leur conservation et à leur bonheur. Comment ose-t-on dire, d'après cela, qu'un homme qui se défait, ou de celui qui l'a outragé, ou de celui que ses passions condamnent, puisse encourir, par ce procédé, l'indignation de la nature, qui elle-même lui a suggéré ce mouvement ? Comment peut-on dire, qu'aveugle instrument des volontés de la nature, il puisse en usurper les droits ? Disons-nous qu'elle s'est réservé, d'une manière spéciale, celui de disposer de la vie des hommes, et qu'elle n'a pas soumis cet événement, ainsi que les autres, aux lois générales par lesquelles sa main règle l'univers ? La vie de l'homme, persuadons-nous le bien, dépend des mêmes lois que celle des animaux ; l'une et l'autre de ces existences sont soumises aux lois générales de la matière et du mouvement. Or, comment ose-t-on dire que l'homme peut disposer de la vie des bêtes et qu'il ne le peut de celle de son semblable ! Comment légitimer ces sophismes autrement que par les plus absurdes raisonnements de l'amour-propre et de l'orgueil ! Tous les animaux, abandonnés dans le monde à leur propre prudence, sont tous également, à leur tour, tantôt victimes et tantôt meurtriers ; ils ont tous également reçu de la nature le droit d'altérer les opérations de cette nature, autant que leur facultés peuvent le leur permettre. Rien n'existerait dans l'univers sans l'exercice absolu de ce droit : tous les mouvements, toutes les actions des hommes changent l'ordre de quelque portion de la matière, et détournent de leur cours usité les lois générales du mouvement. En rapprochant ces conséquences, nous trouverons donc que la vie de l'homme dépend des lois générales du mouvement et que ce n'est point outrager la nature que de troubler ou que d'altérer ces lois générales, en quelque manière que ce puisse être. Il est donc clair que, d'après cela, chaque homme a le droit de disposer de la vie de son semblable et d'user librement d'une puissance que lui a déléguée la nature. Il n'y a que les lois qui n'ont pas ce privilège, et cela, pour deux excellentes raisons. La première, parce que leurs motifs ne sont pas puisés dans l'égoïsme, la plus puissante et la plus légitime de toutes les excuses ; la seconde, parce qu'elles agissent toujours de sang-froid et de leur propre gré, au lieu que le meurtrier est toujours entraîné par ses passions, toujours l'aveugle instrument des volontés d'une nature qui le fait agir malgré lui. D'où il résulte que le spectacle de l'exécution d'un criminel n'offre à l'œil philosophique qui l'observe, que le crime, où les sots respectent la loi ; et, dans l'autre cas, que la justice, où ils n'aperçoivent que le forfait et l'infamie1. Ô Justine ! persuade-toi donc bien que la vie du plus sublime des hommes n'est pas à la nature d'une plus grande importance que celle d'une huître, et qu'elle nous est abandonnée tout de même. Si la nature s'était réservé le soin particulier de disposer de la vie des hommes, de manière que ce fût usurper son droit que d'oser en jouir comme elle, il serait aussi mal d'agir pour se conserver que pour se détruire, et l'action que je ferais en détournant la pierre prête à écraser mon voisin, deviendrait aussi criminelle que celle que je commettrais en lui enfonçant un poignard dans le sein ; de ce moment je troublerais les lois de la nature ; de ce moment je m'arrogerais ses droits, en prolongeant au-delà du terme une vie dont sa main puissante avait marqué les limites. Un cheveu, une mouche, un insecte suffit à détruire cet être puissant, dont la vie nous parait d'une si grande importance. Y a-t-il donc une absurdité à croire que nos passions puissent de même disposer légitimement d'une chose dépendante de causes si frivoles ? Ces passions ne sont-elles pas des agents de la nature, comme l'insecte qui tue l'homme, ou la plante qui l'empoisonne ? et ne sont-elles pas également dirigées par les mêmes volontés de la nature ? Eh quoi ! je ne serais pas coupable en arrêtant, si j'en avais le pouvoir, le cours du Nil ou du Danube, et je le serais en détournant quelques onces de sang de leurs canaux naturels ? Quelle imbécillité ! Il n'y a aucun être dans le monde qui ne tienne de la nature toute la puissance, toutes les facultés dont il jouit ; il n'en est aucun qui, par une action, quelque étendue qu'elle soit, quelque irrégulière qu'elle paraisse, puisse empiéter sur les plans de la nature, puisse troubler l'ordre de l'univers. Les opérations de ce scélérat sont l'ouvrage de la nature, comme la chaîne des événements qu'il croit déranger ; et quel que soit le principe qui le fasse agir, nous pouvons, par cette raison même, le regarder comme celui que la nature favorise davantage. Rien de ce qui met nos forces en activité ne saurait outrager celle de qui nous tenons ces forces, parce qu'il n'est ni présumable, ni possible, qu'elle nous en ait donné au-delà de ce qui peut la servir : certes, nous n'avons sûrement pas reçu d'elle la dose nécessaire à lui nuire. Quand l'individu que j'aurai désorganisé sera mort, les éléments qui le forment ne tiendront-ils pas toujours leur place dans l'univers et ne seront-ils pas tout aussi utiles dans la grande machine, que lorsqu'ils composaient l'être que j'ai détruit ? Que cet homme soit mort ou qu'il soit vivant, rien ne change dans l'univers, rien n'en est distrait. C'est donc un véritable blasphème que d'oser dire qu'une chétive créature comme nous puisse, en quoi que ce soit, troubler l'ordre du monde, ou usurper l'office de la nature ; c'est lui supposer un pouvoir qu'il serait impossible que lui transmit cette mère commune. L'homme est isolé dans le monde ; le fer qui le poignarde n'atteint matériellement que lui ; celui qui dirige ce fer ne trouble en rien les lois d'une société à laquelle la victime n'était liée que moralement. En convenant une minute, si vous le voulez, que l'obligation de faire le bien soit perpétuelle, elle doit nécessairement avoir quelque borne : le bien qui résultait pour la société de l'existence qu'il m'a plu de troubler, n'équivalait certainement pas aux maux que je ressentais de la prolongation des jours de cet homme ; pourquoi donc allongerai-je ses jours ; quand ils sont d'une si médiocre importance pour les autres, et d'un poids si funeste pour moi ? Je vais plus loin. Si le meurtre est un mal, il l'est dans tous les cas, dans toutes les suppositions ; alors les souverains, les nations qui exposent la vie des hommes pour leurs passions ou pour leurs intérêts, toutes ces mains, en un mot, qui dirigent sur lui des glaives homicides, sont toutes également criminelles, ou toutes également innocentes2. Si elles sont criminelles je puis l'être à leur exemple ; car la somme des passions et des intérêts d'une nation n'est que le résultat des intérêts et des passions particulières ; et il ne doit être permis à une nation de tout sacrifier à ses intérêts ou à ses passions, qu'autant qu'elle sera assez juste pour permettre que les individus qui la composent puissent, dans de pareils cas, faire des sacrifices égaux. Embrassons-nous la seconde branche de l'hypothèse ; toutes ces actions sont-elles innocentes ; que risquerai-je alors de m'en souiller toutes les fois que mon plaisir ou mon intérêt l'exigeront ? et de quel œil regarderai-je l'individu qui osera les trouver criminelles ? Eh ! non, non, Justine, la nature ne laisse pas dans nos mains la possibilité des crimes qui troubleraient son économie. Peut-il tomber sous le sens que le plus faible ait la puissance d'offenser le plus fort ? Que sommes-nous relativement à la matière ? Peut-elle, en nous créant, avoir placé dans nous ce qui serait capable de lui nuire ? Cette imbécile supposition s'accorde-t-elle avec la manière sublime et sûre dont nous la voyons parvenir à ses fins ? Ah ! si le meurtre n'était pas une des actions de l'homme qui remplisse le mieux ses intentions, permettrait-elle qu'il s'opérât ? L'homme ne serait-il pas impassible aux coups de l'homme ? Peut-elle s'offenser de voir l'homme faire à son semblable ce qu'elle lui fait elle-même tous les jours ? Puisqu'il est démontré qu'elle ne peut se reproduire que par des destructions, n'est-ce pas agir d'après ses vues que de les multiplier sans cesse ? n'est-ce pas lui être agréable, que de coopérer à ses plans ? Et sous ce rapport, l'homme qui se livrera le plus ardemment et le plus souvent au meurtre, ne sera-t-il pas celui qui la servira le mieux, puisqu'il deviendra celui qui remplira le plus énergiquement des desseins qu'elle manifeste à tous les instants ? La première et la plus belle qualité de la nature est le mouvement qui l'agite sans cesse ; mais ce mouvement n'est qu'une suite perpétuelle de crimes ; ce n'est que par des crimes qu'elle le conserve ; elle ne vit, elle ne s'entretient, elle ne se perpétue qu'à force de destructions. L'être qui en produira davantage, celui qui lui ressemblera le mieux, celui qui sera le plus parfait, sera donc infailliblement celui dont l'agitation la plus active deviendra la cause d'un plus grand nombre de crimes ; celui qui, sans aucun effroi, sans aucune retenue, sacrifiera indistinctement tout ce que son intérêt ou ses passions pourront lui présenter de victimes, de quelque genre ou de quelque nature que ce puisse être. Tandis, je le répète, que l'être inactif ou indolent, c'est-à-dire l'être vertueux, doit être à ses regards le moins parfait sans doute, puisqu'il ne tend qu'à l'apathie, qu'à la tranquillité, qui replongerait incessamment tout dans le chaos, si son ascendant l'emportait. Il faut que l'équilibre se conserve : il ne peut être que par des crimes. Les crimes servent donc la nature. S'ils la servent, si elle les exige, si elle les désire, peuvent-ils l'offenser ? Et qui peut l'être, si elle ne l'est pas ? Mais la créature que je détruis est ma mère. C'est donc sous ce second rapport que nous allons examiner le meurtre. On ne saurait douter assurément que la volupté attendue par la mère, dans l'acte conjugal, ne soit l'unique motif qui l'y détermine. Ce fait établi, je demande par où la reconnaissance peut naître dans le cœur du fruit de cet acte égoïste. La mère, en s'y livrant, a-t-elle alors travaillé pour elle ou pour son enfant ? Je ne crois pas qu'une telle chose puisse se mettre en question. Cependant l'enfant naît ; la mère le nourrit. Sera-ce dans cette seconde opération que nous découvrirons le motif du sentiment de reconnaissance que nous cherchons ? Assurément non. Si la mère rend ce service à son enfant, ne doutons point qu'elle n'y soit entraînée par le sentiment naturel qui la porte à se dégager d'une sécrétion, qui, sans cela, pourrait lui devenir dangereuse ; elle imite les femelles des bêtes que le lait tuerait comme elle, si, comme elles, ce procédé ne l'en dégageait aussitôt. Or, les unes et les autres peuvent-elles s'en dégager autrement qu'en le laissant sucer à l'animal qui le désire, et qu'un autre mouvement naturel rapproche également du sein ? Ainsi, ce n'est point un service que la mère rend à l'enfant quand elle le nourrit ; c'est, au contraire, celui-ci qui en rend un très grand à sa mère, obligée sans cela d'avoir recours à des moyens artificiels, qui la plongeraient bientôt au cercueil. Voici donc l'enfant né et nourri, sans que nous ayons encore découvert, ni dans l'une ni dans l'autre de ces opérations, aucun motif de reconnaissance envers celle qui lui donna le jour, et qui le lui conserve. Me parlerez-vous des soins qui suivent ceux de l'enfance ? Ah ! n'y voyez d'autres motifs que ceux de l'orgueil de la mère. Ici la nature muette ne lui commande pas plus qu'elle ne le fait aux autres femelles animales. Au-delà des soins nécessaires à la vie de l'enfant, et la santé de la mère, mécanisme qui n'est pas plus extraordinaire que celui du mariage de la vigne à l'ormeau ; au-delà de ces soins, dis-je, la nature ne dicte plus rien, et la mère peut abandonner l'enfant. Il s'élèvera et se fortifiera sans elle ; ses secours sont absolument superflus : ceux des animaux souffrent-ils dès qu'ils ont quitté le téton ? C'est par habitude, par vanité ; que les femmes prolongent ces soins ; et, loin d'être utiles à l'enfant, ils affaiblissent son instinct, ils le dégradent, ils lui font perdre son énergie ; on dirait qu'il a toujours besoin d'être conduit. Je vous demande maintenant si, parce que la mère continue de prendre des soins dont l'enfant peut se passer, et qui ne sont avantageux qu'à elle, cet enfant doit se tenir engagé par la reconnaissance. Quoi ! je devrais quelque chose à quelqu'un, parce que ce quelqu'un a fait pour moi ce dont je puis me passer à merveille, et ce dont lui seul a besoin ? Vous conviendrez qu'une telle façon de penser serait une affreuse extravagance. Voilà donc l'enfant parvenu à l'âge de puberté, sans que nous ayons encore aperçu dans lui le plus léger motif de gratitude pour sa mère ; que résultera-t-il de ses réflexions, s'il en fait alors ? Ose-t-on le dire : de l'éloignement, de la haine pour celle qui lui a donné le jour. Elle lui a transmis ses infirmités, les mauvaises qualités de son sang, ses vices, une existence, enfin, qu'il n'a reçue que pour être malheureux. Y a-t-il là, je vous le demande, de très grands motifs de reconnaissance, et n'en voyez-vous pas bien plutôt de la plus forte antipathie ? Il est donc clair que dans toutes les occasions de sa vie, où l'enfant sera le maître de disposer des jours de sa mère, il le pourra sans le plus petit scrupule, il le devra même décidément, parce qu'il ne peut que détester une telle femme ; que la vengeance est le fruit de la haine, et le meurtre, le moyen de la vengeance. Qu'il immole donc sans pitié cet individu auquel il s'imagine à tort devoir autant d'obligations ; qu'il déchire, sans aucun égard, ce sein qui l'a nourri ; il ne fera pas un mal plus grand que celui qu'il commettrait avec une autre créature, et plus léger, sans doute, s'il n'a pas avec cette autre créature autant de raisons de haine et d'éloignement qu'avec celle-ci. Les animaux marchandent-ils autant les êtres dont ils tiennent la vie ? Ils en jouissent, ils les immolent ; et la nature ne dit mot. Mesurez tous les autres prétendus devoirs de l'homme à celui-là ; toisez-les tous à ces réflexions ; et prononcez ensuite sur vos prétendus devoirs envers votre père, votre femme, votre époux, vos enfants, etc. Une fois bien pénétré de cette philosophie, vous verrez que vous êtes seul dans l'univers ; que tous les liens chimériques que vous vous êtes forgés sont l'ouvrage des hommes, qui, naturellement nés faibles, cherchent à s'étayer de ces liens. Un fils croit avoir besoin de son père ; le père, à son tour, s'imagine avoir besoin de son fils ; voilà le ciment de ces prétendus liens, de ces devoirs sacrés ; mais je défie qu'on les trouve dans la nature. Laisse donc là tes préjugés, Justine, et sers-moi ; ta fortune est faite. - Oh ! monsieur, répondit cette pauvre fille tout effrayée, cette indifférence que vous supposez dans la nature, n'est encore ici que le résultat des sophismes de votre esprit. Écoutez plutôt votre cœur, et vous entendrez comme il condamnera tous ces faux arguments du vice et du libertinage ; ce cœur, au tribunal duquel je vous renvoie, n'est-il donc pas le sanctuaire où cette nature que vous outragez, veut qu'on l'écoute et qu'on le respecte ? Si elle y grave la plus forte horreur pour le crime que vous méditez, m'accorderez-vous qu'il est condamnable ? Les passions, je le sais, vous aveuglent à présent ; mais aussitôt qu'elles se tairont, à quel point le remords vous rendra malheureux : plus est active votre sensibilité, plus l'aiguillon du repentir vous tourmentera. Oh ! monsieur, conservez, respectez les jours de cette tendre et précieuse amie ; ne la sacrifiez point, vous en péririez de désespoir. Chaque jour, à chaque instant, vous la verriez devant vos yeux, cette mère chérie qu'aurait plongée dans le tombeau votre aveugle fureur ; vous entendriez sa voix plaintive, prononcer encore ces doux noms qui faisaient la joie de votre enfance ; elle apparaîtrait dans vos veilles, elle vous tourmenterait dans vos songes, elle ouvrirait de ses doigts sanglants les blessures dont vous l'auriez déchirée. Pas un moment fortuné dès lors ne luirait pour vous sur la terre ; tous vos plaisirs seraient souillés, toutes vos idées se troubleraient ; une main céleste, dont vous méconnaissez le pouvoir, vengerait les jours que vous auriez détruits, en empoisonnant tous les vôtres. Et, sans avoir joui de vos forfaits, vous péririez du regret mortel d'avoir osé les accomplir. Justine était en larmes en prononçant ces derniers mots ; elle était à genoux aux pieds de cet homme féroce, qui l'écoutait avec un air mêlé de rage et de mépris ; elle le suppliait, par tout ce qu'il pouvait avoir de plus sacré, d'oublier un projet infâme qu'elle lui jurait de cacher toute sa vie. Mais elle ne connaissait pas le monstre auquel elle avait affaire ; elle ne savait pas, l'innocente créature, à quel point les passions étayent et fortifient le crime dans une âme telle que celle de Bressac ; elle ignorait que tout ce que la vertu, la sensibilité peuvent inspirer dans pareille circonstance, devient, dans le cœur du scélérat, comme autant d'aiguillons dont les piqûres acérées déterminent l'horreur projetée avec encore plus de violence. Le véritable libertin aime jusqu'au déshonneur, jusqu'aux flétrissures, jusqu'aux reproches que lui méritent ses exécrables procédés ; ce sont des jouissances pour son âme perverse. N'en a-t-on pas vu qui aimaient jusqu'aux supplices que la vengeance humaine leur préparait ? qui les subissaient avec joie ? qui regardaient l'échafaud comme un trône de gloire, où ils eussent été bien fâchés de ne pas périr avec le même courage qui les avait animés dans l'exécrable exercice de leurs forfaits et de leurs attentats ? Voilà l'homme au dernier degré de la corruption réfléchie ; voilà Bressac. Il se lève froidement. - Je vois bien, dit-il à Justine, que je m'étais trompé ; j'en suis plus fâché pour vous que pour moi ; n'importe, je trouverai d'autres moyens, et vous aurez beaucoup perdu sans que votre maîtresse y ait rien gagné. Une telle menace changea toutes les idées de Justine. En n'acceptant pas le crime qu'on lui proposait, elle risquait beaucoup pour son compte, et sa maîtresse périssait infailliblement ; en consentant à la complicité, elle se mettait à couvert du courroux de Bressac, et sauvait certainement la marquise. Cette réflexion, qui fut en elle l'ouvrage d'un instant, la détermine à tout accepter ; mais, comme un retour si prompt l'eût infailliblement fait soupçonner de fraude, elle ménagea quelque temps sa défaite, et mit Bressac dans le cas de lui répéter souvent ses maximes. Insensiblement, elle eut l'air de ne plus savoir que répondre. Bressac la croit convertie ; il se précipite dans ses bras. Quelle jouissance pour Justine, si ce mouvement eût eu la sagesse pour cause !... Mais il n'était plus temps ; l'horrible conduite de cet homme, ses desseins parricides, avaient anéanti tous les sentiments conçus par le faible cœur de cette pauvre fille ; et maintenant, calme, elle ne voyait plus dans l'ancienne idole de son cœur qu'un scélérat indigne d'y régner, même un seul instant. - Tu es la première femme que j'embrasse, lui dit Bressac en la pressant avec ardeur ; tu es délicieuse, mon enfant ; un rayon de philosophie a donc pénétré ton esprit ? Est-il possible que cette tête charmante soit si longtemps restée dans d'affreux préjugés !... Ô Justine ! le flambeau de la raison dissipe donc les ténèbres où la superstition te plongeait ; tu vois clair, tu conçois le néant des crimes, et les devoirs sacrés de l'intérêt personnel l'emportent à la fin sur les frivoles considérations de la vertu ; viens, tu es un ange, je ne sais à quoi il tient que tu ne me fasses à l'instant changer de goût. Effectivement, Bressac, animé bien plus par la certitude actuelle de son projet que par les attraits de Justine, la jette à plat ventre sur un lit, la trousse jusqu'au-dessus des reins, malgré ses défenses, et dit : - Oui, foutre, voilà le plus beau cul du monde, mais malheureusement un con se trouve là... quel obstacle invincible !... Et la recouvrant : - Viens, Justine, convenons de nos faits ; en t'écoutant, l'illusion se soutient, elle se détruit quand je te vois. Et, continuant de bander, d'obliger même Justine à presser son vit... à le balloter dans ses jolis doigts : - Ma courageuse amie, lui dit-il, tu empoisonneras donc ma mère ; je puis y compter. Tiens, voilà le venin subtil que tu jetteras dans l'eau de tilleul qu'elle prend chaque matin pour sa santé ; il est infaillible, et n'a nul goût ; j'en ai fait mille expériences... - Mille, monsieur ! - Oh ! oui, Justine ; je me sers souvent de ces moyens-là, ou pour me débarrasser de ceux qui me gênent, ou par unique lubricité. Je trouve qu'il est délicieux d'être traîtreusement ainsi le maître de la vie des autres ; et j'ai bien souvent fait des proscriptions, dans la seule vue d'amuser ma tête. Tu agiras donc, Justine... oui, tu agiras ; je te garantis toutes les suites, et je te donne pour récompense, un contrat pour deux mille écus de rente le jour même de l'exécution. Ces promesses furent signées sans expression de motifs. Bressac sonne ; un beau giton paraît. - Que voulez-vous, monsieur ? - Votre cul, mon enfant, Justine, déculottez-le, branlez mon vit, et conduisez-le au trou. Bressac, servi comme il le désire, fout son homme, et décharge en fureur. - Ô Justine ! dit-il en se retirant, ce n'est qu'à toi qu'est dû cet hommage. Tes autels ne pouvaient le recevoir, tu le sais ; mais ton acquiescement au forfait désiré a seul allumé l'encens ; il n'a donc brûlé que pour toi. Il arriva, sur ces entrefaites, quelque chose de trop singulier... de trop capable de dévoiler l'âme atroce du monstre dont nous entretenons nos lecteurs, pour ne pas interrompre une minute le récit qu'ils attendent de l'aventure où sa scélératesse vient d'engager notre héroïne. Le surlendemain du pacte criminel dont nous venons de parler, Bressac apprit qu'un oncle, sur la succession duquel il ne comptait nullement, venait de lui laisser cinquante mille écus de rente. Oh ciel ! se dit Justine en apprenant cette nouvelle, est-ce donc ainsi que la main de l'Être suprême punit le complot du forfait ?... Et, se repentant bientôt de ce blasphème envers la Providence, elle se jette à genoux, implore son pardon, et se flatte que cet événement inattendu va du moins changer les projets de Bressac. Quelle est son erreur ! - Oh ! ma chère Justine, s'écria-t-il, en accourant le même soir dans sa chambre, comme les prospérités pleuvent sur moi ! Je te l'ai dit souvent, l'idée d'un crime ou son exécution sont les plus sûrs moyens d'attirer le bonheur ; il n'en est plus que pour les scélérats. - Eh quoi ! monsieur, répondit Justine, cette fortune sur laquelle vous ne comptiez pas... la main qui vous la donne... oui, monsieur, madame m'a tout dit : sans elle votre oncle disposait ailleurs de son bien. Vous le savez il ne vous aimait pas ; ce n'est qu'à madame votre mère que vous devez cette dernière disposition ; elle seule l'a contraint à la signer... et votre ingratitude... - Tu me fais rire, interrompt Bressac. Que signifie donc cette reconnaissance que tu m'imposes ? en vérité rien n'est aussi plaisant. Eh quoi ! tu ne comprendras jamais, Justine, qu'on ne doit rien au bienfaiteur, puisqu'il s'est satisfait en obligeant ; et pourquoi donc faut-il que je récompense un individu quelconque du plaisir qu'il lui a plu de se faire à lui-même ? Et je différerais mes desseins pour rendre grâces à Mme de Bressac ? et j'attendrais le reste de ma fortune pour remercier Mme de Bressac du grand service qu'elle m'a rendu !... Oh ! Justine, que tu me connais mal ! Faut-il t'en dire plus : cette nouvelle mort est mon ouvrage ; j'essayai sur le frère le poison dont je veux trancher les jours de la sœur... Ose à présent exiger des délais... Eh ! non, non, Justine, hâtons-nous, loin de différer, demain, après-demain au plus tard, il me tarde déjà de compter un quartier de tes rentes, de te mettre en possession de l'acte qui te les assure. Justine frémit, mais cacha son trouble, et vit qu'avec un tel homme il était sage de reprendre ses résolutions de la veille. Il lui restait la voie de la dénonciation ; mais rien au monde n'aurait déterminé la sensible Justine à des moyens qui n'empêchent une première horreur qu'en en commettant une seconde. Elle se détermina donc à prévenir sa maîtresse ; de tous les partis possibles, celui-là parut le meilleur ; elle s'y livra. - Madame, lui dit-elle, le lendemain de sa dernière entrevue avec le jeune comte, j'ai quelque chose de la plus grande importance à vous révéler. Mais, à quel point que cela vous intéresse, je suis décidée au silence, si vous ne me donnez votre parole avant, de ne témoigner aucun ressentiment à votre fils ; vous agirez, madame, vous prendrez les meilleurs moyens, mais vous ne direz mot. Daignez me le promettre, ou je me tais. Mme de Bressac, qui crut qu'il ne s'agissait ici que de quelque extravagance ordinaire à son fils, s'engagea par le serment qu'exigeait Justine, et celle-ci révéla tout. - L'infâme ! s'écria cette malheureuse mère, qu'ai-je jamais fait que pour son bien ! Ah ! Justine, Justine, prouve-moi la vérité de ce projet ; mets-moi dans la situation de n'en pouvoir douter ; j'ai besoin de tout ce qui peut achever d'éteindre en moi les sentiments que mon cœur aveugle ose encore garder de ce monstre. Et alors Justine montra le paquet : il était difficile d'établir une meilleure preuve. Mme de Bressac, qui désirait toujours l'illusion, voulut faire des essais ; on en fit avaler sur-le-champ une légère dose à un chien, qui mourut au bout de deux heures, dans d'effroyables convulsions. Mme de Bressac ne pouvant plus douter, prit un parti ; elle ordonna à Justine de lui donner le reste du poison, et écrivit sur-le-champ à M. de Sonzeval, son parent, de se rendre en secret chez le ministre, d'y développer l'atrocité d'un fils dont elle était à la veille de devenir victime, de se munir d'une lettre de cachet, et d'accourir à sa terre la délivrer, le plus tôt possible, du monstre qui complotait aussi cruellement contre ses jours. Mais cet abominable crime devait se consommer ; il fallait encore cette fois-ci que, par une inconcevable permission du ciel, la vertu cédât aux efforts de la scélératesse. L'animal sur lequel on avait opéré découvrit tout. Bressac l'entendit hurler ; il demanda ce qu'on lui avait fait. Ceux auxquels il s'adressait, ignorant tout, ne répondirent rien de positif. De ce moment, ses soupçons s'accrurent ; il ne dit mot, mais il se troubla. Justine fit part de cet état à la marquise, qui s'en inquiéta davantage, sans pouvoir néanmoins imaginer autre chose que de presser le courrier, et de mieux cacher encore, s'il était possible, l'objet de sa mission. Elle dit à son fils qu'elle envoyait en diligence à Paris, prier M. de Sonzeval de se mettre à la tête de la succession de l'oncle dont on venait d'hériter, parce que, si personne ne paraissait sur-le-champ, il y aurait des procès à craindre. Elle ajouta qu'elle engageait ce parent à venir lui rendre compte de la négociation, afin qu'elle se décidât à partir elle-même avec son fils, si l'affaire l'exigeait. Mais Bressac, trop bon physionomiste pour ne pas démêler l'embarras qui régnait sur le visage de sa mère, pour ne pas observer un peu de confusion sur celui de Justine, se paya de tout, et ne crut rien. Sous le prétexte d'une chasse, il s'éloigne du château ; il attend le courrier dans un lieu où il doit nécessairement passer. Cet homme, bien plus à lui qu'à sa mère, ne fait aucune difficulté de lui remettre ses dépêches ; et Bressac, convaincu de la trahison de Justine, donne cent louis au courrier, avec ordre de ne jamais reparaître chez sa mère. Il revient, la rage dans le cœur ; renvoie tous les domestiques à Paris, et ne garde au château que Jasmin, Joseph et Justine. A la fureur qui régnait dans les yeux de ce scélérat, notre malheureuse orpheline pressentit bientôt tous les malheurs dont sa maîtresse et elle allaient être accablées. Cependant, Bressac ne perd point de temps. Les portes se ferment, tout se barricade, des gardes-chasse interdisent l'entrée à tout le monde. - Un grand crime vient de se commettre, dit Bressac ; il faut que j'en démêle les auteurs... Vous saurez tout, mes amis, quand j'aurai trouvé le coupable ; je ne garde à l'intérieur que les témoins avec celui que je soupçonne... Hélas ! il n'était pas commis, ce crime atroce ; mais le scélérat allait le consommer, il allait... Nous frémissons de la nécessité de transmettre ces faits odieux ; mais nous avons promis d'être exact, et nous le devons, aux dépens même de notre pudeur. - Exécrable créature, dit le jeune homme en abordant Justine, tu m'as trahi ; mais tu t'envelopperas toi-même dans les pièges que tu me préparais. Pourquoi me promettais-tu le service que je te demandais, dès que tu n'avais dessein que de me tromper ? et comment as-tu imaginé de servir la vertu en risquant la liberté, la vie peut-être de celui auquel tu devais le bonheur ? Nécessairement placée entre deux crimes, pourquoi as-tu choisi le plus abominable ? Il fallait refuser, putain ! oui, refuser, et ne pas accepter pour me trahir. Alors Bressac dit à Justine tout ce qu'il avait fait pour surprendre les dépêches de la marquise, et comment était né le soupçon qui l'avait engagé à les détourner. - Qu'as-tu fait, par ta fausseté, imbécile créature ? continue Bressac ; tu as risqué tes jours, sans sauver ceux de ta maîtresse ; car elle mourra de même, et ce sera sous tes yeux ; tu la suivras. Je te convaincrai, Justine, que la route de la vertu n'est pas constamment la meilleure, et qu'il y a des circonstances dans le monde où la complicité du crime est préférable à sa délation. Bressac revole de là chez sa mère. - Votre arrêt est porté, madame, lui dit ce monstre, il faut le subir. Peut-être auriez-vous mieux fait, connaissant mes desseins et ma haine pour vous, d'avaler tout simplement le breuvage : en évitant une mort douce, vous vous en êtes préparé une cruelle. Allons, madame, plus de délai. - Barbare, de quoi m'accuses-tu ? - Lisez votre lettre. - Dès que tu conspirais contre mes jours, ne devais-je me défendre de toi ? - Non, tu n'es plus qu'un être inutile sur la terre ; tes jours m'appartiennent, et les miens sont sacrés. - Oh ! scélérat, la passion t'aveugle. - Socrate avala sans résistance le poison qui lui est présenté ; on t'en a offert de ma part, pourquoi ne l'as-tu pas pris ? - Oh ! mon cher fils, comment peux-tu traiter avec tant de rigueur celle qui t'a porté dans son sein ? - Ce service est nul pour moi ; tu ne m'avais pas pour objet en travaillant à mon existence ; et le résultat d'un procédé qui n'a satisfait qu'un con, ne saurait avoir nul mérite à mes yeux. Suis-moi, suis-moi, et ne raisonnons plus. A ces mots, il la saisit, l'entraîne par les cheveux jusque dans un petit jardin planté de cyprès et entouré de hauts murs, asile impénétrable, et dans lequel, avec l'obscurité des tombeaux, régnait le silence affreux de la mort. Là, Justine, conduite par Jasmin et Joseph, attendait, en tremblant, le sort qui lui était réservé. Les premiers objets qui s'offrent aux yeux de Mme de Bressac, sont, d'un côté, un large trou, préparé pour la recevoir ; de l'autre, quatre dogues monstrueux, écumant de rage, et qu'on laissait jeûner, à cette intention, depuis la découverte du malheureux secret. Parvenu dans ce lieu d'horreur, Bressac lui-même trousse sa mère ; ses mains impures se portent avec lascivité sur les chastes attraits de cette respectable femme. Le sein qui l'allaita excite sa fureur ; il le pétrit dans ses doigts matricides. - Apporte, dit-il à l'un de ses dogues, en lui désignant un téton ; le chien s'élance, et ses dents, imprégnées de cette chair blanche et délicate, en font aussitôt jaillir le sang. Ici, reprend Bressac, en pinçant la motte et l'offrant au mâtin ; nouvelle morsure. Ils la déchireront, ils la dévoreront, je l'espère, continue le monstre ; attachons et voyons l'effet. - Quoi ! tu n'encules pas, dit Jasmin ; mets-lui donc ton vit dans le cul ; je lui ferai mordre les fesses, pendant que tu la sodomiseras. - La bonne idée, dit Bressac. Et le drôle s'exécute. Il encule sa mère, pendant que Jasmin, prenant des pincées sur le milieu des fesses, les offre alternativement au chien, qui les dévore aussitôt qu'il les voit. - Fais-lui déchirer encore les tétons pendant que je fous, dit Bressac au mignon, et que Joseph m'encule, en maniant Justine. Quel spectacle ! Éloigné de la vue des hommes, toi seul pouvais le voir, oh ! Grand Dieu ! Et tu ne tonnas point ! et ta foudre impuissante demeura suspendue ! ton insouciance sur les crimes des hommes est donc vraie, puisque ta colère était nulle en voyant consommer celui-là ! - Retirons-nous, je déchargerais, dit l'infâme, au bout d'une courte carrière, et lions cette garce à des arbres. Il la dépouille, et l'y attache lui-même, par le moyen d'une corde qui, prenant le long de ses reins, lui laisse les bras libres, et la possibilité d'avancer et de reculer dans un espace d'environ six pieds. - Les belles fesses, dit le scélérat, en retouchant le cul, déjà tout en sang, de sa malheureuse mère ! les superbes chairs ! l'excellent déjeuner pour mes chiens ! Ah ! garce, ce sont des chiens qui m'ont découvert, ce seront des chiens qui te puniront. Et, à la manière brutale dont il manie les cuisses, le sein et toutes les parties charnues de sa mère, il semble que ses mains meurtrières voudraient le disputer de rage à la dent acérée de ses dogues. - Allons, Jasmin, pique ces animaux ; toi, Joseph, encule Justine ; nous la ferons dévorer après. Il faut que cette fidèle domestique périsse de la même mort que sa chère maîtresse ; il faut qu'un même tombeau les réunisse... Tu vois comme il est profond, je l'ai fait creuser à dessein. Et la tremblante Justine pleurait, demandait grâce, et n'obtenait de ses bourreaux que des mépris et des éclats de rire. Les chiens, enfin, environnent la malheureuse Bressac ; excités par Jasmin, ils se jettent à la fois sur le corps sans défense de cette mère infortunée et la dévorent à belles dents. Elle a beau les repousser, elle a beau multiplier ses efforts pour éviter leurs dents cruelles, tous ses mouvements ne servent qu'à les animer davantage ; et des ruisseaux de sang inondent le gazon. Bressac encule Jasmin, pendant que Joseph sodomise Justine ; il se repaît des exécrations qu'il fait exécuter. Les cris de notre pauvre orpheline se mêlent à ceux de sa maîtresse ; peu faite au traitement qu'elle endure, il faut toutes les forces de Joseph pour l'y contenir. Ce duo de gémissements, de cris, détermine bientôt l'extase du jeune homme ; il fout, il excite les chiens, il encourage Joseph. Sa mère est prête d'expirer, Justine s'évanouit ; et l'extase la plus délicieuse vient combler la scélératesse du génie le plus extraordinaire qu'ait encore créé la nature. - Allons, dit Bressac, ramenons ces dindes ; il faut achever l'une et déterminer le sort de l'autre. On ramène Mme de Bressac dans son appartement ; on la jette sur son lit. Et son indigne fils, voyant qu'elle vit encore, arme d'un poignard la main de Justine, lui saisit le bras qui tient le fer, le conduit, en dépit de toutes les résistances de cette malheureuse, dans le cœur de la triste Bressac, qui expire en demandant à Dieu la grâce de son fils. - Tu vois le meurtre que tu viens de commettre, dit le barbare Bressac à Justine, presque sans connaissance, et mouillée du sang de sa maîtresse : tu le vois, peut-il exister au monde une plus effrayante action ? Tu en seras punie, il le faut, tu seras rouée vive, tu seras brûlée. Et la poussant dans une chambre voisine, il l'y enferme, en plaçant le poignard tout sanglant auprès d'elle. Il ouvre ensuite le château, joue la douleur et les larmes, dit qu'un monstre vient d'assassiner sa mère, qu'il a trouvé l'arme dans la chambre de cette scélérate, qu'il l'y tient enfermée, et qu'il réclame avec diligence tous les secours de la justice. Mais un Dieu protecteur sauve ici l'innocence. La mesure n'était pas remplie, et c'était par d'autres épreuves que la malheureuse Justine devait accomplir ses destins. Bressac, égaré, croit avoir bien fermé la porte ; elle ne l'est pas. Justine profite du moment où tout ce train est dans la cour du château ; elle sort rapidement, s'évade par les jardins, trouve la porte du parc entrouverte ; et la voilà dans la forêt. Entièrement livrée à sa douleur, Justine se jette au pied d'un arbre, et là, lui donnant le plus libre cours, elle fait retentir le bois de ses gémissements ; elle presse la terre de son malheureux corps, elle arrose l'herbe de ses larmes. - Ô mon Dieu ! s'écrie-t-elle, vous l'avez voulu ; il était écrit dans vos décrets éternels que l'innocence devint la proie du coupable ; disposez de moi, Seigneur ; je suis encore bien loin des maux que vous avez soufferts pour nous. Puissent ceux que j'endure en vous adorant, me rendre digne un jour des récompenses que vous promettez au faible, quand il vous a pour objet dans ses tribulations, et qu'il vous glorifie dans ses peines. La nuit tombait : Justine n'ose aller plus loin. Elle craint, en évitant un danger, de tomber dans un autre. Elle jette les yeux autour d'elle ; elle aperçoit le fatal buisson où elle avait couché deux ans auparavant, dans une situation tout aussi malheureuse ; elle s'y traîne ; et, s'étant mise à la même place, accablée d'inquiétude et de chagrins, elle y passe la plus cruelle nuit qu'il soit possible d'exprimer. Cependant, à peine le jour parut-il, que son inquiétude redoubla. Que de dangers n'y avait-il pas pour elle, en se trouvant encore dans la dépendance du château de Bressac ! Elle se lève ; elle fuit à grands pas, elle quitte la forêt, et, résolue de gagner, à tout hasard, la première habitation qui s'offrirait à elle, elle entre dans le bourg de Saint-Marcel, éloigné de Paris d'environ cinq lieues. Une superbe maison se présente à l'entrée du village. Elle s'informe : on lui dit que c'est une célèbre école, où les enfants des deux sexes viennent de plus de vingt lieues recevoir la meilleure éducation ; où le maître, homme très instruit dans toutes les sciences, et principalement dans celles de la médecine et celles de la chirurgie, donne lui-même à ses élèves, et tous les secours que le physique exige, et toute l'éducation la plus soignée. - Entrez, dit à Justine la personne qui l'instruisait ; si, comme je le suppose, vous cherchez une place, il y en a toujours de vacantes dans cette maison. M. Rodin, le maître du logis, se fera, j'en suis sûr, le plus grand plaisir de vous être utile ; c'est un parfait honnête homme, extrêmement aimé dans Saint-Marcel, et qui jouit de la considération générale. Justine ne balance point ; elle frappe. Et ce qu'elle vit, ce qu'elle entendit, ce qu'elle fit dans cette nouvelle maison, fera la matière du chapitre suivant. **** *creator_sade *book_sade_justine1799 *style_prose *date_1799 CHAPITRE VI CE QUE C'EST QUE LE NOUVEL ASILE OFFERT A NOTRE INFORTUNÉE - SORTE D'HOSPITALITÉ QU'ELLE REÇOIT - AVENTURE ÉPOUVANTABLE Notre héroïne avait dix-sept ans lorsqu'elle se présenta chez M. Rodin, maître de la pension de Saint-Marcel. Ses attraits, mieux développés, offraient encore plus de charmes ; toute sa personne avait, malgré ses chagrins, acquis un genre de perfection qui la rendait vraiment une des plus jolies filles qu'il fût possible de voir. - Mademoiselle, lui dit Rodin, en la recevant très honnêtement, vous me trompez sans doute, en vous présentant à moi comme domestique ; ce n'est ni avec une aussi jolie taille, ni avec une peau aussi belle, des yeux aussi brillants, des cheveux si superbes, une manière de s'exprimer aussi pure, ce n'est pas, sans doute, avec toutes ces grâces que l'on se trouve réduite à servir. Si bien traitée par la nature, vous ne sauriez être la victime du sort ; et je dois bien plutôt attendre des ordres de vous, qu'il ne m'appartient de vous en donner. - Oh ! monsieur, à quel degré pourtant je dois me plaindre de la fortune ! - Eh bien, c'est une injustice ; nous la réparerons, mademoiselle ; et, là-dessus, Justine encouragée, raconta ses malheurs à Rodin. - Voilà qui est affreux, dit l'adroit imposteur ; ce M. de Bressac est un monstre, connu depuis longtemps par ses excessives débauches, et je vous regarde comme très heureuse d'être sortie de ses mains. Mais, belle Justine, je persiste à vous dire que vous n'êtes pas créée pour servir : celle aux genoux de qui devrait être l'univers, celle qui pourrait l'enchaîner par ses yeux, ne doit exister que pour être libre. J'ai une fille qui vient d'atteindre sa quatorzième année, elle sera trop heureuse d'avoir une société comme la vôtre ; vous mangerez avec nous ; vous partagerez nos peines pour cette classe intéressante de l'humanité, que la France entière daigne confier à mes soins attentifs ; comme nous, vous contribuerez à l'œuvre méritoire de cultiver les talents de la jeunesse ; et, comme nous, vous travaillerez à la perfection de ses mœurs. Était-il au monde un rôle plus analogue au caractère doux, pieux et sensible de notre intéressante orpheline ? en était-il un qui dut lui convenir davantage ? Des larmes coulèrent de ses yeux ; elle pressa la main de son bienfaiteur, la couvrit des baisers de sa reconnaissance. Mais l'adroit Rodin se soustrait à des témoignages qu'il sent bien mériter aussi peu. On fait venir Rosalie ; Justine lui est présentée ; et les liens de la plus vive tendresse réunissent bientôt ces deux charmantes personnes. Avant que d'aller plus loin, nous devons, il semble, rendre compte des premiers devoirs que Justine crut nécessaire à remplir. Elle désirait avec ardeur savoir ce qui s'était passé au château de Bressac depuis l'époque de sa fuite. Elle jette les yeux pour cette commission sur une jeune paysanne vive, spirituelle, qui lui promet de prendre au plus tôt sous main toutes les informations capables de l'instruire. Malheureusement, Jeannette est soupçonnée ; on la questionne, elle se coupe, et la seule chose qu'elle a la prudence de taire, est le lieu de la retraite de celle qui l'envoie. - Eh bien ! gardez votre secret, dit Bressac ; mais, en quelque lieu que soit cette coquine, remettez-lui cette lettre, et dites-lui de prendre garde à elle. Jeannette effrayée revient en hâte, et voici la lettre qu'elle rend à Justine : « Une scélérate, capable d'avoir assassiné ma mère est bien hardie de renvoyer dans le même lieu où son crime s'est exécuté ! Ce qu'elle peut faire de plus sage est de cacher avec soin le lieu de sa retraite ; elle peut être sûre qu'on l'y troublera si on l'y découvre. Qu'elle s'abstienne d'une seconde mission ; on lui déclare qu'on ferait arrêter son ambassadrice. Au reste, il est bon qu'elle sache que l'affaire de la Conciergerie, qu'elle a crue terminée, ne l'est point ; le décret n'a pas été purgé. On la laissait ainsi sous le glaive pour voir comment elle se conduirait, avec le projet de ne s'intéresser à elle, qu'au cas elle en fût digne. Qu'elle juge donc, d'après l'état où elle est, de quel poids doit être en justice la seconde accusation bien plus grave qui vient d'être dirigée contre elle. » Justine pensa s'évanouir en voyant ce billet ; elle le porte à Rodin qui la rassure ; et la chère innocente revient questionner Jeannette. En se retirant, l'adroite commissionnaire avait donné le change ; et, dans la crainte d'être poursuivie, elle était entrée dans Paris ; elle y avait couché et en était sortie le lendemain à la peinte du jour. Tout d'ailleurs, était dans le trouble au château de Bressac ; les parents étaient là, la justice venait d'accourir ; et le fils, qui jouait la désolation, n'accusait que Justine du malheur arrivé. Plusieurs vols précédents, dont Bressac chargeait également la malheureuse Justine, jetaient du jour sur le second crime ; et, à moins que de l'avoir vu commettre, il devenait certain qu'on ne pouvait en soupçonner d'autres. Jasmin, Joseph avaient déposé ; on les croyait ; Justine devait frémir. Bressac devenait d'ailleurs, au moyen de cette nouvelle succession, beaucoup plus riche qu'on ne l'avait cru. Le coffre-fort, le portefeuille, le mobilier, les bijoux mettaient ce jeune homme, indépendamment des revenus, en possession de plus d'un million comptant. A travers sa douleur affectée, il avait, disait-on, bien de la peine à cacher sa joie ; et les parents, convoqués pour l'examen du cadavre, en déplorant le sort de la victime, avaient juré de la venger. Les morsures, un moment, avaient embarrassé l'artiste examinateur ; mais Bressac, en prouvant qu'un chien était resté par mégarde enfermé pendant vingt-quatre heures auprès du cadavre, avant qu'on eût eu le temps d'appeler les prêtres de Paris, avait par cet adroit mensonge dissipé la surprise du chirurgien. - Eh bien ! dit Justine, voilà donc encore une croix que la main du ciel me présente ! Par une inconcevable fatalité du destin, je serai suspectée, accusée, peut-être même punie d'un crime dont j'ai détesté jusqu'à l'idée ; et celui qui me l'a fait commettre, celui qui a guidé mon bras, celui qui seul est coupable du plus infâme matricide dont la terre ait été souillée ; celui-là, dis-je, est heureux, il est riche, il est comblé des bienfaits de la fortune ; et je n'ai pas, moi, dans le monde, un seul coin où je puisse me reposer en paix. Être suprême ! poursuivit-elle en larmes, je me soumets à tes desseins sur moi ; que ta volonté s'accomplisse, je ne suis née que pour la remplir... Et, pendant que l'intéressante créature fait de profondes réflexions sur la méchanceté des hommes et surtout sur celle des libertins assez dépravés pour sacrifier tout au plaisir d'éjaculer leur foutre un peu plus chaudement, nous allons donner au lecteur une idée succincte et du personnage chez lequel elle était, et des motifs de l'agréable réception qu'elle avait reçue. Rodin, maître du logis, était un homme de trente-six ans, brun, le sourcil épais, l'œil vif, l'air vigoureux, bandant fort dur, la taille haute, bien prise, l'air de la force et de la santé, mais en même temps du libertinage. Très au-dessus de son état, Rodin, n'exerçant la chirurgie que par goût, et l'institution que par raison de luxure, possédait, indépendamment des fruits de sa profession, environ vingt mille francs de rente. Une sœur belle comme un ange, et dont nous allons parler tout à l'heure, remplaçait près de lui, dans toute l'étendue du terme, l'aimable épouse que depuis près de dix ans lui avait enlevée la mort. Une très jolie gouvernante et Rosalie, sa fille, partageaient les faveurs de cet impudique. Essayons, s'il se peut, de peindre ces objets. Célestine, sœur de Rodin, âgée de trente ans, était grande, mince, bien faite ; les yeux les plus expressifs et la physionomie la plus lubrique qu'il fût possible de posséder ; brune très velue, le clitoris fort long, le cul coupé à la manière des hommes, peu de gorge, un tempérament excessif, beaucoup de méchanceté et de libertinage dans l'esprit ; ayant tous les goûts, mais principalement celui des femmes, et celui plus extraordinaire encore pour une femme, de n'aimer à se prêter aux hommes que de cette manière que les sots proscrivent, et dont la nature a fait si délicieusement le plus divin des écarts de l'amour1. Marthe était le nom de la gouvernante ; elle avait dix-neuf ans, une figure ronde et fraîche, de beaux yeux bleus, blanche comme un cygne, toutes les formes de la plus agréable proportion, et le plus beau cul qu'il fût possible de voir. Pour Rosalie, on peut dire avec vérité que c'était une de ces filles célestes que la nature offre très rarement à l'hommage des mortels. Atteignant à peine sa quatorzième année, Rosalie réunissait à tous des charmes les plus capables de faire sensation, une taille de nymphe, des yeux pleins du plus tendre intérêt, des traits mignons et piquants, la plus jolie bouche, de superbes cheveux châtains, tombant au bas de sa ceinture, la peau d'un éclat, une finesse... déjà la plus jolie gorge du monde et le plus beau cul... Ô divins amateurs de cette délicieuse partie ! il n'en est pas un de vous qui ne se fût enthousiasmé à l'aspect de ces fesses divines, pas un qui ne leur eût rendu le culte le plus saint ; il n'y avait peut-être que celles de Justine au monde qui pussent leur être comparées. M. Rodin, comme nous l'avons dit, tenait chez lui une pension des deux sexes. Il en avait obtenu le privilège du vivant de sa femme ; et sa sœur remplaçant la maîtresse du logis, les choses n'avaient point changé. Les élèves de Rodin étaient nombreux et choisis. Il y avait toujours chez lui deux cents pensionnaires, moitié filles et moitié garçons ; jamais il ne les prenait au-dessous de douze ans ; ils étaient toujours renvoyés à dix-sept. Rien n'était joli comme les élèves qu'il admettait. Si on lui en présentait un qui eût quelques défauts corporels ou de vilains traits, il était aussitôt rejeté sous vingt prétextes colorés de sophismes toujours indestructibles. Par ce moyen, ou le nombre de ses pensionnaires n'était pas complet, ou ce qu'il possédait était toujours charmant. Rodin donnait lui-même les leçons aux jeunes gens ; il leur enseignait les sciences et les arts, et Célestine, sa sœur, en faisait autant chez les filles ; aucun maître étranger n'entrait. Par ce moyen, tous les petits mystères lubriques de la maison, toutes les iniquités secrètes se concentraient dans l'intérieur. Dès que Justine vit clair, son esprit pénétrant ne put s'empêcher de se livrer à bien des réflexions. ; et l'intimité qu'on lui laissait avec Rosalie la mit bientôt à même de tout éclaircir avec elle. La charmante fille de Rodin ne fit d'abord que sourire aux questions de Justine ; et, ce procédé redoublant l'inquiétude de notre jeune aventurière, elle n'en pressa Rosalie de s'éclaircir qu'avec infiniment plus d'insistances. - Écoute, lui dit cette charmante fille, avec toute la candeur de son âge et toute la naïveté de son aimable caractère, écoute, Justine, je vais tout t'apprendre ; je vois que tu es incapable de trahir les secrets que j'ai à te révéler, et je ne veux plus en avoir pour toi. Assurément, ma chère amie, mon père, ainsi que tu l'observes fort bien, pourrait se passer du métier qu'il exerce ; et s'il tient à l'une et à l'autre de ces professions, deux motifs que je vais te développer en sont causes. Il exerce la chirurgie par goût, pour le seul plaisir de faire de nouvelles découvertes ; il les a tellement multipliées, il a donné sur cette partie des ouvrages si goûtés, qu'il passe pour le plus habile homme qu'il y ait maintenant en France ; il a travaillé quelques années à Paris, et c'est pour son agrément qu'il s'est retiré dans cette campagne ; le véritable chirurgien de Saint-Marcel est un nommé Rombeau qu'il a pris sous sa protection, et qu'il associe à ses expériences. Tu veux savoir, à présent, ce qui l'engage à tenir pension ? Le libertinage, ma chère, le seul libertinage, passion portée à l'extrême en lui. Mon père et ma tante, aussi débauchés l'un que l'autre, trouvent tous deux dans leurs écoliers mâles ou femelles des objets que la faiblesse et la dépendance soumettent à leur luxure ; et ils en profitent. Leurs goûts se ressemblent, leurs penchants sont les mêmes ; ils se servent si bien l'un et l'autre, qu'il n'est pas une fille que Rodin ne donne à sa sœur, et pas un garçon que celle-ci ne fournisse à son frère. - Et les suites de cette abominable intrigue, dit Justine, établissent sans doute entre eux l'inceste le plus effrayant ? - Plût au ciel qu'ils en restassent là ! dit Rosalie. - Dieu ! tu m'effraies. - Tu sauras tout, mon ange, reprit l'aimable fille de Rodin... oui, je t'apprendrai tout. Viens, suis-moi ; nous sommes à vendredi, c'est précisément un des jours où l'instituteur corrige les coupables ; telle est la source des plaisirs de Rodin ; c'est en infligeant ces tourments qu'il se délecte. Suis-moi, te dis-je, tu vas voir comment il opère. On peut tout observer du cabinet de ma chambre, voisin de ces expéditions ; rendons-nous-y sans bruit ; et garde-toi surtout de jamais ouvrir la bouche de tout ce que je te dis et de tout ce que je te fais voir. Il était important pour Justine de connaître les mœurs du nouveau personnage qui lui offrait un asile ; elle le sentit ; et, ne voulant rien négliger de tout ce qui pouvait les lui dévoiler, elle suit les pas de Rosalie, qui la place près d'une cloison assez mal jointe pour laisser, entre les planches qui la forment, un jour suffisant à distinguer et à entendre tout ce qui se dit et tout ce qui se fait dans la chambre voisine. Mlle Rodin et son frère y étaient déjà. Nous allons rendre le compte le plus exact de tout ce qu'ils se dirent, du moment où Justine put les entendre ; et, comme ils ne faisaient que d'entrer, vraisemblablement ils ne s'étaient pas encore dit grand-chose. - Qui fouettes-tu, mon frère ? dit la demoiselle. - Je voudrais que ce fût Justine. - Cette jolie fille t'échauffe terriblement la tête ? - Tu l'as vu, ma sœur ; je t'ai foutue cette nuit deux coups, et je ne déchargeais que pour elle... je lui crois le plus délicieux cul... tu n'imaginerais pas le désir que j'ai de le voir. - Il me semble que cela n'est pas difficile. - Plus que tu ne le penses... de la vertu, de la religion, des préjugés : voilà tous les monstres que J'ai à combattre. Si je ne prends pas la citadelle d'assaut, je n'en serais jamais le maître. - Oh ! pardieu, s'il ne faut que la violer, je te promets mon aide ; sois bien certain que nous en viendrons à bout, ou par séduction ou par force ; il faudra bien que la putain y passe. - Est-ce qu'elle ne t'inspire rien, ma sœur ? - Elle est charmante, mais je lui crois peu de tempérament ; et je ne m'étonne point qu'avec sa tournure elle échauffe plus facilement un homme qu'une femme. - Tu as raison ; mais elle m'irrite beaucoup, moi... Oh ! étonnamment. Et ici Rodin leva par derrière les jupons de sa sœur, et lui claqua les fesses assez fortement à plusieurs reprises. - Branle-moi, Célestine, lui dit-il ; mets-moi en train. Et notre homme, s'asseyant sur un fauteuil, place son vit mollet dans les mains de sa sœur, qui , en deux ou trois tours de main, lui rendit bientôt toute son énergie. Pendant ce temps, Rodin, tenant toujours les jupes de sa sœur relevées, exposait à ses yeux paillards les fesses de la libertine. Il les maniait, il les entrouvrait ; il était même facile de distinguer, par le genre de baisers dont il les accablait, à quel point ce trône de l'amour avait d'empire sur ses sens. - Prends des verges, dit Rodin en se relevant, et viens t'égayer sur mon cul ; il n'est point de cérémonies au monde qui me mette plus en train que celle-là. J'ai besoin d'y être ce matin ; mon imagination est très allumée et je sens que mes forces ne la soutiennent pas. Célestine ouvre une armoire, en tire une douzaine de poignées de verges, qu'elle étale sur une commode, et, choisissant la meilleure, elle vient en flageller son frère, qui se branle, qui s'extasie sous les coups qu'on lui porte, en s'écriant toujours à voix basse : - Ah ! Justine, si je te tenais... mais je te tiendrai, Justine, tu y passeras ; il ne sera pas dit que je t'ai donné l'hospitalité pour rien... je brûle de voir ton cul, je le verrai... je le fouetterai, je le fouetterai, ce beau cul, Justine ; tu ne sais pas ce que sont mes désirs, quand le libertinage les allume. Et Célestine, cessant un moment de flageller son frère, vint s'appuyer les mains sur les bras du fauteuil, les fesses en l'air, en le provoquant au combat ; mais Rodin, qui ne voulait qu'essayer ses forces, et non les perdre, se contente de quelques claques, de deux ou trois morsures, et prie sa sœur d'aller lui chercher tour à tour les enfants de l'un et de l'autre sexe que son destin est d'expédier. bras En ce moment de repos, Justine se jette dans les bras de son amie. - Oh ! Dieu, dit-elle, as-tu donc entendu la conjuration formée contre moi ? - Ah ! ma chère fille, s'écria Rosalie, je crains bien que tu ne t'en tires pas ; tu serais la seule qui serait sortie intacte de cette maison. - Je me sauverai, dit Justine. - Cela est impossible, reprit Rosalie : sa profession lui donne le droit de fermer ses portes ; cette maison est comme un couvent. Une évasion, en te faisant traiter de séductrice ou de voleuse, pourrait te conduire à Bicêtre. Prends patience, ma chère, c'est le plus court. Et le bruit que nos deux espions entendirent les obligea de se remettre au trou. Célestine amenait avec elle une jeune fille de quatorze ans, blonde et jolie comme l'Amour. La pauvre enfant, tout en larmes, trop malheureusement au fait de ce qui l'attend n'approche qu'en gémissant de son instituteur, ; elle se jette à ses pieds ; elle implore sa grâce. Mais Rodin, inflexible, allume, dans cette sévérité même, les premières étincelles de son plaisir, elles jaillissent déjà de son cœur par ses regards farouches. - Oh ! non, s'écrie-t-il, non, non, voilà trop de fois que cela vous arrive, Julie ; je me repens de mes bontés, elles n'ont servi qu'à vous plonger dans de nouvelles fautes ; la gravité de celle-ci, d'ailleurs, pourrait-elle me permettre la clémence, à supposer que je le voulusse ? - Gardez-vous-en, mon frère, s'écrie Célestine ; ce serait encourager cette fille au mal ; l'exemple en serait pernicieux dans la maison. Oubliez-vous donc que cette petite coquine a donné hier un billet à un garçon, en entrant dans la classe ?... - Je vous proteste que non, dit la charmante Agnès en larmes ; oh ! rien n'est plus faux, monsieur, croyez-moi... croyez-moi, j'en suis incapable. - Ne sois pas la dupe de ces reproches, dit promptement Rosalie à Justine ; toutes ces fautes sont imaginées à dessein de consolider ses prétextes : cette petite fille est un ange ; c'est parce qu'elle lui résiste, qu'il la traite avec dureté. Et, pendant ce temps, la sœur de Rodin, lâchant le cordon des jupes, les fait couler au bas des jambes, et, relevant la chemise de l'enfant autour des reins, expose aux yeux de son frère le petit corps le plus voluptueux qu'il fût possible de voir. Le paillard, pendant ce temps-là, saisit les mains de la jeune fille, les attache à l'anneau du pilier placé à ce dessein dans le milieu de la chambre de correction, s'empare d'une poignée de verges, prise cette fois au sein d'une cuve remplie de vinaigre, où elles acquièrent, par cette leçon, plus de verdeur et plus de piquant, met son vit entre les mains de sa sœur qui, agenouillée devant lui, le branle, pendant qu'il va opérer et se prépare à la plus rigoureuse... à la plus sanglante opération, Six coups, assez légèrement appuyés, sont les préliminaires de l'orage. Julie frémit... La malheureuse, elle n'a plus de défenses... plus d'autres que sa belle tête languissamment tournée vers son bourreau... de superbes cheveux en désordre, et des pleurs inondant le plus beau visage du monde, le plus doux, le plus intéressant. Rodin considère le tableau, il s'en embrase, sa bouche effleure celle de la victime ; il n'ose la baiser, il n'ose dévorer les pleurs dont sa férocité s'électrise ; une de ses mains, plus hardie, parcourt les fesses... Que de blancheur ! que de beauté ! ce sont des roses effeuillées sur des lis par la main même des grâces ! Quel est-il donc l'être assez dur pour condamner aux tourments des appas si frais, si mignons ? Quel monstre peut chercher le plaisir au sein des larmes et de la douleur ? Rodin contemple ; son œil égaré parcourt, ses mains osent profaner les fleurs que sa cruauté veut flétrir. Tantôt le libertin entrouvre, et tantôt il resserre ces attraits divins qui l'enchantent ; il les offre, sous toutes les formes, à son œil examinateur. Mais c'est à ceux-là seuls qu'il s'en tient ; quoique le vrai temple de l'amour soit à sa portée, Rodin, fidèle à son culte, n'y jette pas même ses regards ; il en craint jusqu'aux apparences. Si l'attitude les expose, il les déguise ; le plus léger écart troublerait son hommage, il ne veut pas qu'on le distraie. Enfin sa fureur n'a plus de bornes ; il l'exprime par des invectives ; il accable de sottises et de menaces cette pauvre petite malheureuse, tremblante sous les coups dont elle se voit prête à être déchirée. Rodin que l'on branle toujours, est aveuglé par le plaisir. - Allons, dit-il, préparez-vous, il faut souffrir. Et le cruel laissant, d'un bras vigoureux, tomber ses faisceaux d'aplomb sur toutes les parties qui lui sont offertes, en applique cette fois-ci vingt coups, qui changent bientôt en vermillon le tendre et divin incarnat de cette peau si fraîche. Julie pousse des cris, des pleurs coulent de ses beaux yeux, et se répandent en perles sur sa jolie gorge. Rodin n'en devient que plus furieux ; il porte brutalement ses mains sur les parties molestées, les touche, les comprime, semble les préparer à de nouveaux assauts. Rodin recommence, sa sœur l'excite. - Tu la ménages, lui crie cette mégère. - Eh non, non, dit Rodin, n'appuyant plus un seul coup qui ne soit précédé d'une invective, d'une menace ou d'un reproche. Le sang paraît. Rodin s'extasie ; il se délecte à contempler les preuves parlantes de sa férocité ; il ne peut plus se contenir ; son vit distille le foutre ; il s'approche de l'enfant, contenue par Célestine, qui fait voir à son frère le cul qu'il désire. Le bougre, en furieux, se présente à la brèche. - Fais-le entrer, dit-il tout bas à sa sœur. Et, du bout de la tête de l'énorme machine, il attaque légèrement le petit trognon de rose qui se présente à lui. Que ne donnerait-il pas pour aller plus avant ! mais il n'ose. Célestine le secoue de nouveau ; et le cruel, recommençant à frapper, achève d'entrouvrir, à force de cinglons, cet asile des grâces et de la volupté. Il ne sait plus où il en est ; son ivresse est au point qu'il perd l'usage de la raison. Il jure, il blasphème, il tempête. Tout ce qu'il voit de charmes est traité avec la même rigueur ; les reins, les cuisses, les fesses, ce qu'il peut saisir en-dessous du plus joli petit con vierge, tout se déchire, tout se flagelle en détail ; rien n'est soustrait à ses barbares coups. A la violence dont sa sœur le pollue, on dirait qu'elle pompe une citerne. Le scélérat s'arrête cependant ; il sent l'impossibilité de passer outre sans risquer de perdre des forces qui lui deviennent utiles pour de nouvelles opérations. - Rhabillez-vous, dit-il à Julie, en la détachant, et se rajustant lui-même ; et si pareille chose vous arrive encore, songez que vous n'en serez pas quitte pour si peu. Julie sort, et rentre dans sa classe. - Tu me branlais trop vite, dit Rodin à sa sœur, peu ne s'en est fallu que je ne déchargeasse ; il ne faut faire que plotter et me sucer de temps en temps. Elle est jolie cette petite fille, l'as-tu eue ? - Et quelle est celle qui ne m'a point passé par les mains ? - Mais tu ne t'attendris pas quand je les fouette. - Que m'importe le sort d'une putain qui m'a fait décharger ! je la déchirerais moi-même. Ah ! tu ne connais pas mon cœur ! il est encore plus féroce que le tien. Entre un instant dans mon cul, Rodin ; je brûle. Et, se remettant à la même place où elle s'était présentée avant la fustigation de Julie, elle relève ses jupes et présente ses fesses. Rodin s'y plonge sans préparation ; il la lime un demi-quart d'heure ; la coquine se branle, décharge, et, contente sans être apaisée, elle va chercher de nouvelles victimes. Celle qu'on présente cette fois-ci est une fille de l'âge de Justine ; elle lui ressemblerait même un peu, s'il était possible d'admettre que la nature eût pu refaire deux fois un aussi parfait modèle de grâces et de beautés. - Aimée, lui dit Rodin, il est singulier qu'à votre âge vous vous mettiez dans le cas d'être fouettée comme une enfant. - Mon âge et ma conduite ne devraient pas m'exposer à un tel affront, monsieur, répondit fièrement cette charmante fille : mais quand on est la plus faible, on a toujours tort. - Voilà une réponse bien insolente, mademoiselle, dit Célestine : je me flatte qu'elle n'excitera pas beaucoup d'indulgence dans l'âme de mon frère. - Elle en peut être sûre, dit Rodin, en dénouant les jupes avec brutalité. - Mais, monsieur, je ne croyais... Et le paillard, achevant de détacher promptement tous ce qui le gêne, met au jour le cul le plus frais, le plus appétissant qu'il eût encore vu. - Aimée, lui dit Rodin en la courbant sur un fauteuil, vous m'avez dit que vous souffriez cruellement d'hémorroïdes ; pendant que j'y suis, je vais examiner, et si vraiment ce mal paraissait de quelque importance, je vous traiterais avec plus de douceur. - Jamais, monsieur, répondit modestement Aimée, non, jamais je ne me suis plainte d'une telle chose... - N'importe, poursuivit Rodin, en continuant de courber, cela pourrait venir ; il est bon que j'observe. Et, comme Célestine aidait à la chose, la pauvre Aimée, sans pouvoir s'en défendre, fut bientôt mise à quatre pattes. Et voilà Rodin examinant, parcourant, maniant tout à l'aise les plus belles chairs, les plus divins attraits. - Non, vraiment, il n'y a rien de ce que je croyais, dit Rodin, tout cela est en bon état ; allons, nous pouvons châtier. Les mains se saisissent, on les attache, et la belle Aimée reste en proie aux scélératesses de ces monstres. - Commence-la, ma sœur, dit Rodin ; je veux voir si la pitié ne te fera pas enfreindre ton devoir. Célestine prend les verges ; son frère examine en face : il veut jouir des contorsions que la frayeur arrache : il n'ose se branler, il est vu ; mais sa main frotte la cuisse sur laquelle repose l'engin tout dressé. L'opération commence ; et Mlle Rodin, tout aussi cruelle que son frère, frappe pour le moins avec autant de force. Cependant, celui-ci, qui veut tout voir, tout saisir, passe auprès de sa sœur, pour mieux juger de l'effet des coups sur les belles masses qu'ils ensanglantent. Ne pouvant plus se contenir, il se saisit d'une nouvelle poignée, éloigne sa sœur et flagelle avec une telle violence, que le sang paraît aussitôt. La pauvre infortunée ne souffle pas : on ne se doutait de ses douleurs que par un mouvement convulsif de ses deux fesses qui s'entrouvraient quand on ne frappait point et se resserraient à l'approche du coup. Même tentative à celle-ci qu'à l'autre. Rodin se présente au combat ; Aimée le devine et resserre le cul. Rodin de rage lui assène un coup de poing dans les reins qui la fait aussitôt courber. Il se représente ; mais Aimée se relève et par ce mouvement le fait reglisser encore. - Tout cela, monsieur, dit-elle à la fin, ne me paraît pas tenir à la pénitence que vous avez dessein de m'infliger ; je vous supplie donc de finir. Rodin furieux refouette de nouveau ; et deux cents coups de fouet, appliqués d'un bras sûr, calment à peine sa colère où le plongent les refus qu'il éprouve. Son engin furieux semble menacer le ciel ; Célestine veut le saisir et le diriger vers l'inattaquable forteresse. - Non, dit Rodin, qu'on l'éloigne de mes yeux... Emmenez, emmenez cette fille rebelle ; je veux qu'elle soit huit jours enfermée au pain et à l'eau, pour lui apprendre à me manquer. Aimée sort en baissant les yeux, et le féroce instituteur demande un garçon. Celui que Célestine amène est un écolier de quinze ans, plus beau que l'Amour même. Rodin le gronde. Plus à l'aise avec lui, sans doute, il le cajole, il le baise, en le sermonnant. - Vous avez mérité d'être puni, lui dit-il, et vous allez l'être. A ces mots, la culotte est à bas. Mais tout l'intéresse ici ; rien n'est exclu ; les voiles se relèvent ; tout se palpe indistinctement : le cul, le vit, les couilles, le ventre, les cuisses, la bouche, tout se baise, tout se dévore. Rodin menace, il cajole, il invective, il flatte : il est dans ce désordre délicieux de la luxure, où les passions n'écoutent plus que leur organe, où le voluptueux ne se plaint que de l'impossibilité dans laquelle il est de ne pouvoir multiplier ses outrages. Ses doigts obscènes cherchent à faire naître dans ce jeune garçon les mêmes sentiments de lubricité qu'il en reçoit ; il le branle. - Eh bien, dit le satyre en voyant ses succès, vous voilà pourtant dans cet état impur que je vous ai si sévèrement défendu ; je gage qu'avec deux mouvement de plus tout partirait sur moi. Trop sûr des titillations qu'il produit, le libertin s'avance pour en recueillir l'hommage, et sa bouche est le temple offert à ce divin encens ; ses mains en excitent les jets, il les attire, il les dévore, lui-même est tout prêt d'éclater ; mais il veut en venir au but. - Ah ! je vais vous punir, dit-il en se relevant, les lèvres encore inondées du foutre qu'il avale, oui, fripon, je vais vous punir. Il prend les mains du jeune homme ; il les captive ; s'offre en entier l'autel où il veut sacrifier sa fureur, il l'entrouvre, ses baisers le parcourent, sa langue s'y enfonce, elle s'y perd. Rodin, ivre d'amour et de férocité, remêle encore les expressions et les sentiments de tous deux. - Ah ! petit fripon, s'écrie-t-il, il faut que je me venge de l'impression que tu me fais. Les verges se prennent ; Célestine suce son frère, celui-ci fouette. Plus excité sans doute qu'avec la vestale, ses coups deviennent plus forts et bien plus nombreux. L'enfant pleure ; Rodin s'extasie. Mais de nouveaux plaisirs l'appellent. On détache l'écolier ; d'autres surviennent. Une petite fille de douze ans, belle comme le jour, succède au garçon ; à celle-ci un écolier de seize, suivi d'une fille de quatorze. Rodin, toujours servi, toujours aidé par sa sœur, en fustige soixante dans sa matinée, trente-cinq filles et vingt-cinq garçons. Le dernier est un Adonis de quinze ans, d'une figure vraiment enchanteresse. Rodin n'y tient plus ; en venant de le mettre en sang, il veut le foutre ; sa sœur aide à ce viol affreux ; elle contient le patient aux désirs effrénés de son frère. Rodin encule, il sacre, il pourfend, il déchire et darde bientôt au fond du cul de ce bel ange les jets écumeux de sa flamme. On console l'enfant ; il est excorié ; on lui donne des bonbons, il se tait. Et voilà comme ce libertin abusait de la confiance que l'on avait en lui ; voilà comme il trompait les parents, qui, ne voyant que les progrès vraiment rapides de cette école, fermaient imbécilement les yeux sur les dangers dont elle était remplie. - Ô ciel ! dit Justine, quand ces orgies furent terminées, comment ose-t-on se livrer à de tels excès ? Comment peut-on trouver des plaisirs dans les tourments que l'on inflige ? - Ah ! tu ne sais pas tout, répondit Rosalie. Écoute, lui dit-elle en repassant dans sa chambre ; ce que tu as vu a pu te faire comprendre que, lorsque mon père trouve quelques facilités dans les jeunes filles, il agit avec elles de la même manière qu'il vient de traiter ce jeune garçon. Les filles, au moyen de cette précaution ne sont point déshonorées, poursuivit Rosalie : point de grossesse à craindre ; et rien dès lors ne peut les empêcher de trouver des époux. Il n'y a point d'années où il ne jouisse ainsi de plus de la moitié des garçons ou des filles. Ô Justine, poursuivit cette chère enfant en se précipitant dans les bras de son amie, et moi-même, j'ai été victime de son libertinage ; à sept ans il m'avait violée, et presque tous les jours depuis... - Mais, interrompit Justine, depuis que tu as atteint un âge plus mûr, la religion t'offrait un recours ; que ne consultais-tu un directeur ? - Hélas ! ignores-tu donc, reprit vivement Rosalie, qu'il étouffe dans nous toutes les semences de la religion, à mesure qu'il nous pervertit et qu'il nous en défend tous les actes. D'ailleurs, j'ignore ma religion ; à peine m'en a-t-il instruite. Le peu qu'il m'a dit sur ces matières n'a jamais été que dans la crainte que mon ignorance ne trahît son impiété ; mais je n'ai jamais été à confesse, je n'ai jamais fait ma première communion. Il jette un si grand ridicule sur toutes ces choses, il en absorbe si bien dans nous jusqu'aux moindres idées, qu'il éloigne à jamais de ces devoirs celles dont il a joui ; ou, si elles sont contraintes à les remplir, à cause de leur famille, c'est avec une tiédeur, une indifférence, un mépris tel qu'il ne redoute rien de leurs indiscrétions avec les confesseurs. Quelquefois il réunit les jeunes personnes de l'un et de l'autre sexe dont il est sûr ; et là, il leur fait des conférences dont le but est d'anéantir totalement en elles tous les germes de religion et toutes les semences de la vertu. Mais il en est qui ne participent jamais à ces faveurs, soit à cause de leur trop de faiblesse, ou de leur ridicule attachement aux préjugés dont leur famille les empoisonne. - Que de prudence ! dit Justine. - Il en faut, répondu Rosalie, pour maintenir le calme qu'il veut goûter au milieu des orages qui doivent nécessairement s'élever sans cesse sur l'atmosphère d'une route semblable ; et c'est à cette politique étonnante qu'est due la tranquillité dont il jouit depuis dix ans. - Viens, dit Rosalie quelques jours après cette scène, viens juger par tes propres yeux de tout ce qu'entreprend mon père avec sa sœur, avec moi, sa gouvernante et quelques-uns de ses favoris. Ces horreurs, je l'espère, te convaincront de ce que je t'ai dit : elles te prouveront ce que doit souffrir une fille honnête comme moi, à laquelle la nature semble avoir donné de l'horreur pour tout ce à quoi son devoir la soumet. - Son devoir ! jamais ; dis son malheur. - Hélas ! le cruel me compose des devoirs de mes malheurs, et je serais perdue si je résistais. Pressons-nous, poursuivit Rosalie, voilà la classe qui se ferme ; c'est l'heure où, échauffé des préliminaires, il va venir se dédommager de la contrainte que lui impose quelquefois sa prudence. Remets-toi où je t'avais placée l'autre jour et tes yeux vont tout découvrir. Pour peindre à nos lecteurs la scène libidineuse dont Justine fut témoin, il faut d'abord leur indiquer les acteurs. Ces personnages étaient Marthe, gouvernante de Rodin, âgée, comme nous l'avons dit, de dix-neuf ans, et jolie comme un ange ; Célestine, sœur du même ; Rosalie, sa fille ; un jeune écolier de seize ans, nommé Fierval ; et sa sœur, âgée de quinze ans, que l'on appelait Léonore ; couple enchanteur qui semblait se disputer de grâces de figure, de taille et d'agréments. Tous deux se ressemblaient beaucoup, tous deux s'aimaient, et l'on va voir jusqu'à quel degré notre lubrique instituteur favorisait cette incestueuse passion. - Nous voilà tranquilles, dit Rodin en fermant soigneusement toutes les portes ; ne nous occupons que de paillardises ; les fustigations de ce matin m'ont mis dans un état... Vous le voyez, dit-il en mettant sur la table un vit dur et bandant qui paraissait déjà menacer tous les culs... Oui, tous les culs ; il faut que nos lecteurs se familiarisent ici avec l'idée de ne voir fêter à Rodin que cet unique temple ; soit prédilection, soit sagesse, le bon Rodin s'interdisait toute autre jouissance, et ce n'est que dans celle-ci que nous allons le voir s'escrimer. - Viens, cher petit ange, dit-il à Fierval en lui dardant sa langue dans la bouche ; viens que je commence par toi, tu sais que je t'idolâtre. Léonore, venez déculotter votre frère ; vous savez que ce soin vous regarde ; que ce soient vos mains qui présentent à mes baisers le sublime cul de ce bel enfant... A merveille ! voilà précisément ce que je veux... Et le coquin baisait, palpait, entrouvrait, suçait le plus joli derrière qu'on pût imaginer. Ma sœur, poursuivit Rodin, pendant que je gamahuche ce beau jeune homme, agenouille-toi devant lui et suce-le ; toi, Marthe, viens trousser Léonore ; je veux baiser son cul près de celui de son frère ; cette réunion m'excitera... oui, voilà ce que c'est. Mais il manque quelque chose au tableau. Rosalie, trousse Marthe et place-toi de façon à ce que je puisse manier à la fois vos deux culs. Un instant le tableau reste fixe. Mais Rodin avait trop de désirs, trop d'imagination, pour ne pas le varier promptement. Voilà comment le second s'arrange : Sa sœur, agenouillée devant lui, suce son vit ; Léonore et Fierval se placent par échelons en face de sa bouche, en telle sorte qu'il puisse baiser à la fois et celle du jeune homme et le trou du cul de la sœur ; de droite et de gauche il manie les fesses de Marthe et de Rosalie. - Essayons autre chose, dit-il encore au bout d'un instant ; il faut que je fouette ; ce plaisir est inouï pour moi, je ne puis m'en rassasier. Léonore, voyons votre beau cul ; les baisers dont je viens de le couvrir n'ont fait qu'irriter en moi le désir de le traiter avec fureur ; mais je voudrais que votre frère commençât l'opération. Placé derrière lui, les verges à la main je le traiterai durement, s'il a le malheur de vous ménager. L'attitude s'arrange ; mais Rodin, pendant qu'il opère, veut que sa sœur le branle sur les fesses de sa fille et que Marthe le fouette. Qui le croirait ! Fierval, digne élève de Rodin, n'annonce aucune envie de ménager sa sœur ; excité par les coups qu'il reçoit lui-même, le petit libertin la frappe à tour de bras. - Allons, mon ami, dit Rodin, fous ta sœur, encule-la ; rien n'est délicieux comme de foutre un cul qu'on vient de fouetter ; viens, que je conduise, que je devienne le premier agent de ton voluptueux inceste. Et, le saisissant par le vit, il l'attire près du derrière de Léonore, mouille lui-même avec sa bouche, et le vit du jeune homme et le cul de la victime, les unit, leur apprend à se baiser en se foutant de cette manière, place la main du jeune homme au clitoris de la patiente et se dispose alors à sodomiser lui-même le fouteur. - Monte sur les reins de Fierval, dit-il à Rosalie ; je gamahucherai ton cul en foutant celui de cet Amour ; Marthe, continue de me fouetter et que ma sœur remplisse ma main de ses belles fesses. - Oh, foutre ! quelle jouissance ! s'écrie le paillard en la savourant ; en peut-il être de plus délicieuse !... Oui sans doute il en est, reprend-il ; Rosalie, tu vas me le prouver. Dérangeons tout cela ; c'est ma fille que je veux foutre. - Inconstant, lui dit Célestine tu n'es satisfait de rien, - Eh ! ma sœur, l'est-on jamais avec une tête aussi dépravée que la mienne ? Mais est-ce à toi de te surprendre ! et la plus lubrique des filles doit-elle donc s'étonner de quelques caprices libertins ? Attendez, dit le paillard, avant que de former le groupe qui me coûtera sûrement du sperme, papillonnons encore une minute. Placez-vous tous à genoux, appuyés contre ce canapé, de manière à ce que Léonore m'offre un cul, Fierval une bouche, ma sœur un cul, Marthe une bouche. Rosalie, tenant mon engin, me conduira d'autel en autel et j'offrirai mon hommage à chacun. Aussitôt qu'elle m'aura niché, elle s'élancera sur le sofa, s'accroupira sur mon visage et me fera baiser, comme malgré moi, ses fesses et le trou mignon de son cul... - Ah ! petite coquine, dit-il à Rosalie, quand il fut au bout de la file, c'est-à-dire dans la bouche de Marthe, ah ! petite gueuse, vous allez être punie de l'indécence que vous venez de commettre... Faire baiser votre cul à celui dont vous tenez le jour ! osez lui en toucher le nez ! impudente créature !... Je vais vous faire voir si l'on se moque ainsi de son père. Et il la saisit, tout en se faisant sucer par Marthe ; il la fouette, il la déchire avec un martinet armé de camions. Rien n'est épargné ; la malheureuse est en sang, depuis le milieu des reins jusqu'au bas des cuisses. Les branches de son cruel instrument ne s'impriment nulle part, que ses lèvres ne s'y collent aussitôt ; et l'intérieur de l'autel, et la bouche de la victime, tout, excepté le devant, tout est dévoré de suçons. Bientôt, sans varier l'attitude, se contentant de se la rendre plus propice, Rodin pénètre dans l'asile étroit des plaisirs. Le scélérat encule sa fille ; Fierval le sodomise ; la perspective est le délicieux cul de Léonore, que Rodin couvre de baisers ; à droite et à gauche, sous ses mains, les culs de sa gouvernante et de sa sœur. Que pouvait-il désirer davantage ? Il touche, il baise, il pourfend, il déchire ; on l'encule, mille suçons plus chauds les uns que les autres expriment son ardeur sur ce qu'on offre à sa luxure. La bombe éclate, c'est le cul de sa fille qu'il inonde de foutre ; et le libertin, enivré, ose goûter les plus doux plaisirs au sein de l'inceste et de l'infamie. Un moment de repos succède à ces orgies. On entoure Rodin, on le caresse ; l'une s'efforce à le rendre à la vie par la chaleur de ses baisers lascifs ; celle-ci presse son vit, le décalotte et le secoue légèrement, pendant qu'une troisième chatouille le trou de son cul et qu'une quatrième offre son beau derrière à toutes les caresses qu'il lui plaît d'inventer ; le jeune Fierval lui fait sucer son vit. Tant de soins raniment bientôt notre moribond. Marthe qui le branlait, en montrant l'état du patient, félicite chacun de ses succès. - Vous voulez me tuer à force de plaisirs, dit Rodin ; et bien, j'y consens ; il est doux d'expirer ainsi. Célestine, fous sous mes veux, je t'en prie, avec le jeune Fierval ; et que Léonore, sa sœur, agenouillée entre tes jambes, suce ton clitoris ; pendant ce temps-là, Rosalie et Marthe me branleront, l'une le cul, l'autre le vit, en face de l'opération, et sois sûr que ton foutre aura bientôt déterminé le mien. Mais Rodin augurait beaucoup trop de ses forces ; sa sœur avait déjà déchargé six fois, avant que le triste vit de Rodin eût seulement acquis le quart de consistance nécessaire à l'éjaculation qu'il projette. - Venez, dit-il, venez tous me sucer les uns après les autres ; pendant qu'une de vos bouches comprimera mon vit, qu'une autre s'adapte sur mes lèvres, qu'une troisième gamahuche mon cul ; afin que je sois chatouillé par des langues aux endroits les plus lascifs de mon corps et que ce ne soit qu'à des langues que mon éjaculation soit due. Le projet était bien senti ; mais Rodin n'en avait pas calculé la durée. On fut une heure à le mordiller, à le pressurer, à le sucer dans tous les sens, lorsque la nature revêche le comble enfin de ses faveurs ; il décharge dans la bouche de sa fille, ayant celle de Léonore sur la sienne, celle de Fierval au trou de son cul, et sous ses mains, de droite et de gauche, les fesses de sa sœur et de Marthe. - S'il est quelque chose de délicieux dans le monde, dit Rodin dès qu'il fut tranquille, assurément c'est le libertinage. Où trouver une passion qui tienne tous nos sens dans un chatouillement plus lascif ! Est-il rien sur la terre qui rende plus heureux ? C'est le libertinage qui brise les hochets de l'enfance ; c'est lui qui allume le flambeau de la raison, qui donne de l'énergie à l'homme. Et si cela est, ne doit-il pas induire de là que c'est pour ce seul plaisir que l'a créé la nature ? Qu'il mette tous les autres en parallèle avec celui-ci, il verra quelle différence : il sentira s'il en est un seul qui l'embrase avec autant d'ardeur. Son empire est tel sur une âme qu'aussitôt qu'elle en est remplie elle ne peut plus penser à autre chose. Examinez un homme vraiment libertin, vous le verrez toujours occupé ou de ce qu'il a fait, ou de ce qu'il projette de faire. Dans une parfaite insouciance sur tout ce qui ne tient pas à ses plaisirs, vous le verrez pensif, concentré dans lui-même et comme s'il craignait de donner accès à un mouvement qui pût le distraire une minute des libidineuses idées qui l'enflamment ; on dirait qu'une fois enchaîné au culte de ce dieu, il lui devient absolument impossible d'être ému par quoi que ce puisse être et que rien n'est capable de distraire son âme de la délicieuse passion qui la captive. C'est donc à elle seule que nous devons tout sacrifier ; il ne doit être qu'elle seule de respectable à nos yeux. Méprisons souverainement tout ce qui s'en éloigne ou la combat ; et, pour mieux lui prouver notre hommage, plongeons-nous aveuglément dans tous les écarts de ses vices ; que rien ne soit sacré pour nous que ce qui la caractérise ou la sert ; ne sentons, n'existons, ne respirons que pour elle ; il n'y a que les sots qui la trouvent dangereuse. Eh ! comment pourrait jamais l'être un raffinement de jouissance ? Le libertinage est-il autre chose ? Non, sans doute. Eh bien, comment ce qu'il y a de meilleur peut-il avoir des inconvénients ? Je dis plus, ces inconvénients même, existassent-ils, ne seraient-ils pas préférables encore à tous les dangers de la tempérance... à tout l'ennui de la sagesse ? L'état d'inertie de l'homme sobre n'est pas l'image du sommeil de la mort ? L'homme froid et indifférent est le repos de la nature, à quoi sert-il dans l'univers ? que met-il en mouvement ? qu'exécute-t-il ? à quoi son pédantisme est-il bon ? S'il est nul, n'est-il pas condamnable ? et n'est-il pas dès lors à charge de la société ? Si la tempérance et la sobriété dominaient malheureusement dans le monde, tout y languirait, tout y végéterait ; il n'y aurait plus ni mouvement ni force, et tout retomberait dans le chaos. Voilà ce que nos moralistes ne veulent point comprendre, parce qu'étayant sans cesse leurs principes sur les bases religieuses, ils ne peuvent concevoir un état au-delà des plans de leur divinité, et que ce monstre de l'imagination échauffée des hommes ne peut jamais entrer pour rien dans les calculs de la philosophie. Mais une chose bien singulière, c'est que les freins que l'homme oppose au libertinage ne sont que les aiguillons du libertinage même : la pudeur, le premier de ces freins, n'est-elle pas un des stimulants les plus actifs de cette passion ? elle est essentielle à la luxure. On est fâché qu'un autre sache nos fantaisies ; il semble qu'elles ne devraient être entendues que de nous, et que tout ce qui n'est pas nous ne devrait pas avoir l'esprit de les comprendre. Tel fut le premier motif qui fit jeter des gazes sur les actions impures ; on ne voulut pas faire devant tout le monde ce qu'il ne paraissait pas que tout le monde dût savoir ; mais le rideau ne fut tiré que pour redoubler ses excès. Ne doutons pas qu'il n'y eût moins de libertins, si le cynisme était à la mode. On ne se cache que parce qu'on veut sortir de la règle ordinaire ; et le premier qui, dans l'enfance des sociétés, fit passer sa maîtresse derrière un buisson, fut le plus libertin de la peuplade. Corrompons-nous donc, mes enfants ; souillons-nous donc de toutes les impuretés possibles ; foutons sans règle et sans mesure ; lâchons la bride à tous nos penchants ; chérissons nos goûts ; et soyons certains que, plus nous nous livrerons à la débauche des sens, et plus nous approcherons du bonheur dont la lubricité couronnera toujours ceux qui la chérissent et la servent. Ici le jeune Fierval témoigna le désir de foutre Rosalie ; il était près d'elle, il la baisait, il la maniait. - Encule donc, imbécile, lui dit Rodin ; ne semble-t-il pas que tu craignes de céder à tes désirs ! Sont-ce donc là les fruits du sermon que je viens de te faire. Viens sodomiser ma fille dans mes bras, je vais la tenir : j'aime l'idée d'être son maquereau. Ma sœur, branle-lui le cul pendant qu'il fout ma fille ; et toi, Marthe, fais-lui baiser ton joli derrière ; il faut environner de plaisirs ce joli petit ange, il faut l'en rassasier. Et Rosalie, soumise, fut encore obligée de soutenir cet assaut... elle dont la vertu composait l'existence ! elle qui, consultée, n'eût voulu pour bonheur qu'un couvent et qu'un Dieu ! Fierval ne fut pas long ; aussi vivement excité, le petit libertin déchargea bientôt. Rodin, qui, en tenant sa fille sur ses genoux, avait pris plaisir à lui sucer la bouche pendant l'opération, voulut aussi sucer le vit du jeune homme au sortir du cul de sa fille. Il en exprima jusqu'à la dernière goutte de foutre ; et ces épisodes l'ayant fait rebander, il encule Léonore et sa fille alternativement ; il baise le cul de Fierval ; Célestine et Marthe le fouettent tour à tour ; et c'est dans le derrière de sa fille qu'il décharge, en étrillant à tour de bras les délicieuses fesses de Léonore. Le brave instituteur va se mettre à table après de tels exploits ; et Justine, affligée, honteuse de tout ce qu'elle a vu, s'écrie, en se repliant sur la pureté de sa conscience : Ô mon Dieu ! ne suis-je donc née que pour vivre au milieu du crime et de l'infamie ? et serait-ce pour exercer ma patience que votre équité me condamne à de si cruelles épreuves ? Sans l'extrême amitié qu'elle portait à sa jeune compagne, on ne doit pas douter que Justine ne se fut évadée sur-le-champ. Mais, pleine de cette force que donne la vertu, elle aspirait à l'honneur d'arracher Rosalie au libertinage. Cet espoir la déterminait à la patience, lorsque Rodin, las d'en avoir autant, se décide à savoir ce qu'il doit attendre de sa nouvelle acquisition. Il y avait environ quinze jours que notre héroïne était dans cette maison, lorsque Rodin, enflammé du désir que nous venons de peindre, se présente un matin chez elle. Après quelques instants de conversation générale, Rodin fit parler ses désirs. Peu accoutumé aux préliminaires d'un sentiment dont le coquin n'éprouve que le besoin physique, il saisit Justine à brasse-corps et veut la culbuter sur un lit. - Laissez-moi, monsieur, dit cette vertueuse fille, laissez-moi ou j'appelle toute la maison en témoignage de l'horreur que vous me proposez. Et à quel titre, je vous prie, prétendez-vous faire de moi la victime de votre brutalité ? est-ce parce que vous m'avez reçue chez vous ? Mais je m'y rends utile, j'y gagne ma vie ; et quand je m'y conduis bien j'y dois être à l'abri de vos insultes. Souvenez-vous qu'il ne sera jamais rien dans le monde qui puisse m'y soumettre ; ma reconnaissance vous est due, mais je ne l'acquitterai pas au prix de mon honneur. Rodin, confondu d'une résistance à laquelle il ne s'attendait point avec une fille tellement dénuée de ressources, et que d'après l'injustice ordinaire aux hommes, il ne devait pas supposer si sauvage, Rodin, dis-je, regarda Justine avec attention. - Mon cœur, lui dit-il au bout d'un instant, c'est assez mal à propos que tu fais la vestale avec moi ; j'avais, ce me semble, quelque droit à des complaisances de ta part. N'importe, ne me quitte pas pour cette bagatelle ; je suis bien aise d'avoir une fille sage dans ma maison : celles qui m'entourent le sont si peu ! Puisque tu affiches tant de vertu dans ce cas-ci, tu en montreras, j'espère, dans tous : mes intérêts y gagneront. Ma fille t'aime, elle me supplie de t'engager à ne nous jamais quitter ; reste donc près de nous, je t'y invite. - Monsieur, répondit Justine, je n'y serai pas heureuse ; on ne m'y verra pas sans jalousie, et je serai bientôt contrainte à vous quitter. - Ne l'appréhende pas, dit Rodin, ne crains nul effet de la jalousie de ma sœur ou de ma gouvernante ; celle-ci te sera toujours subordonnée, et je sais que ma sœur t'aime. Sois donc sûre que ma protection et ma confiance te seront toujours accordées ; mais, pour continuer d'en être digne, il est bon que tu saches qu'une discrétion à toute épreuve est la première qualité que j'exige de toi. Il se passe ici beaucoup de choses qui contrarieront tes principes ; il faut tout voir et tout entendre, sans te permettre même une réflexion... Oh ! oui, oui, Justine, poursuivit chaleureusement Rodin, à ces conditions ne me quitte jamais ; au sein des vices multipliés où m'emporte un tempérament de feu, un cœur très gangrené, j'aurai du moins la consolation de posséder un être vertueux près de moi, et dans les bras duquel je me jetterai comme aux pieds d'un Dieu, quand je serai rassasié de mes débauches. Eh bien ! pensa Justine en ce moment, la vertu est donc nécessaire, elle est donc indispensable à l'homme, puisque le vicieux lui-même est obligé de se rassurer par elle. Et notre aimable fille, se rappelant alors les instances que Rosalie lui avait faites pour ne la point quitter, croyant reconnaître quelques bons principes dans Rodin, s'engagea décidément avec lui. - Justine, lui dit Rodin, c'est bien décidément auprès de ma fille que je vais te placer à présent ; tu n'auras rien à démêler avec mes autres femmes et je te donne quatre cents livres d'appointements. Une telle place devenait une fortune dans la position de notre malheureuse orpheline. Enflammée du désir de ramener Rosalie au bien, et peut-être même son père, si elle acquérait quelque empire sur lui, elle ne se repentit point de ce qu'elle venait de faire. Rodin la présente à sa fille. - Rosalie, lui dit-il, je n'avais jusqu'à ce moment qu'un désir vague de lier éternellement Justine à toi ; cette intention fait aujourd'hui le charme et la consolation de ma vie ; daigne accepter ce présent de ma main. Les deux jeunes filles s'embrassent, et voilà Justine installée. Il ne se passa pas huit jours sans que cette sage et vertueuse fille ne commençât à travailler aux conversions qu'elle désirait ; mais l'endurcissement de Rodin rompait toutes ses mesures. - Ne crois pas, répondit-il un jour aux sages conseils de cette vertueuse créature, que l'espèce d'hommage que j'offre à la vertu, dans toi, soit une preuve, ou que j'estime la vertu, ou que j'aie envie de la préférer au vice ; non, Justine, ne l'imagine pas, tu t'abuserais. Ceux qui, partant de mon procédé pour toi, soutiendraient, d'après lui, qu'il prouve, ou l'importance, ou la nécessité de la vertu, tomberaient dans une grande erreur ! et je serais bien fâché que tu crusses que telle est ma façon de penser. La masure qui me sert d'abri à la chasse, quand les rayons trop ardents du soleil dardent d'aplomb sur mon individu, n'est assurément pas un monument utile ; sa nécessité n'est bien sûrement que de circonstance. Je m'expose à une sorte de danger, je trouve quelque chose qui m'en garantit, je m'en sers. Mais ce quelque chose est-il moins inutile ? en doit-il être moins méprisable ? Dans une société totalement vicieuse, la vertu ne servirait à rien : nos associations n'étant pas de ce genre, il faut absolument ou jouer la vertu ou s'en servir, afin d'être moins redouté de ceux qui la suivent. Que personne ne l'adopte, elle deviendra inutile. Je n'ai donc pas tort, quand je soutiens que sa nécessité n'est que d'opinion ou de circonstance. La vertu, ne nous y trompons pas, n'est pas d'un prix incontestable ; elle n'est qu'une manière de se conduire, qui varie suivant chaque climat, et qui, par conséquent, n'a rien de plus réel que les modes usitées dans telle province, et inadoptées dans d'autres. Il n'y a que ce qui est utile à tous les âges, à tous les peuples, à tous les pays, qui soit réellement bon ; ce qui n'a pas une utilité démontrée, et ce qui change perpétuellement, ne saurait prétendre à un caractère de bonté. Voilà d'où vient que les théistes, en établissant une chimère, mirent l'immuabilité au rang des perfections de leur Dieu. Mais la vertu est absolument privée de ce caractère. Non seulement il y a des vertus de religion, de mode, de circonstance, de tempérament, de climat, mais il y en a aussi de gouvernement. Les vertus d'une révolution, par exemple, sont bien éloignées d'être celles d'un gouvernement tranquille. Brutus, le plus grand des hommes en république, eût été roué dans une monarchie ; Labarre, exécuté sous Louis XV, eût peut-être mérité des couronnes quelques années plus tard. En général, il n'est pas deux peuples sur la surface de la terre qui soient vertueux de la même façon ; donc la vertu n'a rien de réel, rien de bon intrinsèquement, et ne mérite en rien notre culte. Il faut s'en servir comme d'étaie, adopter hypocritement celle du pays où l'on vit, afin que ceux qui la pratiquent par goût, ou qui doivent la révérer par état, vous laissent en repos ; et afin aussi que cette vertu respectée, où vous êtes, vous garantisse, par sa prépondérance de convention, des attentats de ceux qui professent le vice. Mais, encore une fois, tout cela est de circonstance, et rien de tout cela n'assigne un mérite réel à la vertu. Il est telle vertu... d'ailleurs impossible à certains hommes. Recommandez la chasteté à un libertin, la tempérance à un ivrogne, la bienfaisance à un homme féroce ; la nature, plus forte que vos recommandations et vos lois, rompra tous les freins que vous voudrez imposer ; et vous serez forcée de convenir qu'une vertu qui contrarie ou qui combat les passions, ne peut être que très dangereuse. Ce sera assurément, chez les hommes que je viens de citer, les vices opposés à ces vertus qui deviendront préférables, puisque ce seront les seuls modes, les seules manières d'être qui s'arrangeront le mieux à leur physique ou à leurs organes. Il y aura donc, dans cette hypothèse, des vices très utiles. Or, comment la vertu le serait-elle, s'il est démontré que ses contraires puissent l'être ? On vous dit à cela : la vertu est utile aux autres, et, sous ce rapport, elle est bonne ; car, s'il est reçu de ne faire que ce qui est bon aux autres, à mon tour je ne recevrai que du bien. Prenons-y bien garde, ce raisonnement n'est qu'un sophisme. Pour le peu de bien que je reçois des autres, en raison de ce qu'ils pratiquent la vertu, par l'obligation de la pratiquer à mon tour, je fais un million de sacrifices qui ne me dédommagent nullement ; recevant moins que je ne donne, je fais donc un mauvais marché ; j'éprouve beaucoup plus de mal des privations que j'endure pour être vertueux, que je ne reçois de bien de ceux qui le sont. Le pacte n'étant point égal, je ne dois donc pas m'y soumettre ; et sûr, étant vertueux, de ne pas faire aux autres autant de bien que je recevrai de peine, en me contraignant à l'être, ne vaudra-t-il donc pas mieux que je renonce à leur procurer un bonheur qui doit me coûter autant de mal ? Reste maintenant le tort que je peux faire aux autres étant vicieux, et le mal que je recevrai à mon tour, si tout le monde me ressemble. En admettant une entière circulation de vices, je risque assurément, j'en conviens ; mais le chagrin éprouvé par ce que je risque est compensé par le plaisir de ce que je fais risquer aux autres. Dès lors, tout le monde est à peu près également heureux ; ce qui n'est pas, et ce qui ne saurait être, dans une société où les uns sont bons et les autres méchants, parce qu'il résulte de ce mélange des pièges perpétuels, qui n'existent point dans l'autre cas. Dans la société mélangée, tous les intérêts sont divers ; voilà la source d'une infinité de malheurs : dans l'association totalement vicieuse tous les intérêts sont égaux ; chaque individu qui la compose est doué des mêmes goûts, des mêmes penchants, tous marchent au même but, tous sont heureux. Mais, vous disent les sots, le mal ne rend point heureux ; non, quand on est convenu d'encenser le bien. Mais, méprisez, avilissez ce que vous appelez le bien ; ne révérez plus ce que vous avez la bêtise d'appeler le mal, et tous les hommes auront du plaisir à le commettre, non point parce qu'il sera permis (ce serait souvent une raison pour en diminuer l'attrait), mais c'est que les lois ne le punissent plus, et qu'elles diminuent, par la crainte qu'elles inspirent, le plaisir qu'a placé la nature au crime. Je suppose une société où il sera convenu que l'inceste (adoptons ce délit moral comme tout autre), que l'inceste, dis-je, soit un crime. Ceux qui s'y livreront seront malheureux, parce que l'opinion, les lois, le culte, tout viendra glacer leurs plaisirs ; ceux qui désireront de commettre ce mal, ou qui ne l'oseront d'après ces freins, seront également malheureux : ainsi la loi qui proscrira l'inceste n'aura fait que des infortunés. Que, dans la société voisine, l'inceste ne soit pas un crime ; ceux qui ne le désireront pas ne seront point malheureux, et ceux qui le désireront seront heureux ; donc, la société qui aura permis cette action conviendra mieux aux hommes que celle qui aura érigé cette même action en crime. Il en est de même de toutes les autres choses maladroitement considérées comme criminelles. En les observant sous ce point de vue, vous faites une foule de malheureux ; en les permettant, personne ne se plaint : car celui qui aime cette chose quelconque s'y livre en paix ; et celui qui ne s'en soucie pas, ou reste dans une sorte d'indifférence qui n'est nullement douloureuse, ou se dédommage de la lésion qu'il a pu recevoir par une foule d'autres lésions dont il grève à son tour ceux qu'il n'aime pas. Donc tout le monde, dans une société criminelle, se trouve ou très content, ou dans un état d'insouciance qui n'a rien de pénible : par conséquent, rien de bon, rien de respectable, rien de fait pour rendre heureux dans ce qu'on appelle la vertu. Que ceux qui la suivent ne s'enorgueillissent donc pas de cette sorte d'hommage que le genre de constitution de nos sociétés nous force à lui rendre : c'est une affaire purement de circonstance. Mais, dans le fait, ce culte est ridicule, il est chimérique ; et la vertu qui l'obtient un instant n'en est pas pour cela plus belle. Le vice, au contraire, est rempli d'agréments ; dans sa seule pratique est tout le bonheur de la vie ; lui seul enflamme, échauffe les passions ; et celui qui a pris comme moi l'habitude d'y vivre, n'a même plus la faculté d'adopter une autre carrière. Je sais que les préjugés le combattent, que l'opinion en triomphe quelquefois ; mais y a-t-il rien de plus méprisable au monde que les préjugés, et rien qui mérite d'être bravé comme l'opinion ? L'opinion, a dit Voltaire, est la reine du monde : n'est-ce pas avouer qu'elle n'a, comme les reines, qu'une puissance de convention, qu'une arbitraire autorité ? Et que me fait à moi l'opinion des hommes ! que m'importe ce qu'ils pensent de mon individu ! pourvu que je trouve le bonheur dans les principes que je me suis faits. De deux choses l'une : ou ils me cachent cette opinion, de ce moment elle ne me fait aucun mal ; ou ils me la témoignent, et j'éprouve dès lors une jouissance de plus. Oui sans doute, une jouissance ; le mépris des sots en est une pour le philosophe ; il est délicieux de braver l'opinion publique ; et le comble de la sagesse, sans doute, est de la réduire au silence. On nous vante l'estime générale : et que gagne-t-on, je vous prie, à être estimé des autres ? Ce sentiment coûte à l'homme ; il offense l'orgueil : j'aimerai quelquefois celui que je méprise, jamais celui que je révère ; ce dernier aura toujours un grand nombre d'ennemis, quand on prendra à peine garde à l'autre. Ne balançons donc point entre deux modes, dont l'un, la vertu, ne conduit qu'à l'inaction la plus stupide et la plus monotone, et l'autre, le vice, à tout ce que l'homme peut espérer de plus délicieux sur la terre. Telle était la logique infernale des malheureuses passions de Rodin. L'éloquence douce et naturelle de Justine n'en pouvait saper les sophismes. Mais Rosalie, plus douce et moins corrompue, Rosalie détestant les horreurs auxquelles on la soumettait, se livrait plus facilement aux conseils prudents de son amie. Cette sage directrice désirait avec ardeur faire remplir à son élève les premiers devoirs de la religion. Il aurait fallu, pour cela, mettre un prêtre dans la confidence ; et Rodin n'en voulait aucun dans sa maison : il les détestait tous aussi cordialement que le culte qu'ils professaient ; pour rien au monde il n'en eût souffert un près de sa fille. Conduire cette jeune personne à un confesseur était également impossible : Rodin ne laissait jamais sortir Rosalie sans qu'elle fût accompagnée. Il fallait donc attendre que quelque occasion se présentât ; et, pendant ce délai, Justine instruisait toujours son élève ; en lui donnant le goût des vertus, elle lui inspirait celui de la religion ; elle lui en expliquait les dogmes, elle lui en dévoilait les mystères, et liait tellement ces deux sentiments dans son jeune cœur qu'elle les rendait indispensables au bonheur de sa vie. - Ô mademoiselle ! lui disait-elle un jour, en recueillant les larmes de sa componction, l'homme peut-il s'aveugler au point de croire qu'il ne soit pas destiné à une meilleure fin ? Ne suffit-il pas qu'il ait été doué du pouvoir et de la faculté de connaître son Dieu, pour s'assurer que ces dons ne lui ont été accordés que pour remplir les devoirs qu'ils imposent ? Or, qu'y a-t-il au monde de plus capable de plaire à l'Éternel, si ce n'est la vertu dont lui-même est l'exemple ? Le créateur de tant de merveilles peut-il avoir d'autres lois que le bien ? et nos cœurs pourraient-ils lui plaire, si la bonté, la bienfaisance et la sagesse n'en étaient pas les premiers éléments ? Il me semble, poursuivait la crédule orpheline, qu'avec les âmes sensibles il ne faudrait jamais employer d'autres motifs d'amour envers cet Être suprême, que ceux qu'inspire la reconnaissance. N'est-ce pas une faveur que de nous avoir fait jouir des beautés de cet univers ? et ne lui devons-nous pas quelque gratitude pour un tel bienfait ? Mais une raison, plus forte encore, établit, constate la chaîne universelle de nos devoirs : pourquoi refuserions-nous de remplir ceux qu'exige sa loi, puisque ce sont les mêmes que ceux qui consolident notre bonheur avec les hommes ? N'est-il pas doux de sentir qu'on se rend agréable à l'Être suprême, rien qu'en se livrant aux vertus qui doivent contribuer à notre félicité sur la terre ; et que les moyens qui nous rendent propres à vivre avec nos semblables sont les mêmes que ceux qui nous donnent, après cette vie, l'assurance de renaître au sein de l'Éternel ? Ah ! Rosalie, comme ils s'aveuglent ceux qui voudraient nous ravir cet espoir ! Séduits, trompés par leurs misérables passions, ils aiment mieux nier les vérités éternelles que d'abandonner ce qui les rend indignes ; ils aiment mieux dire : on nous abuse, que d'avouer qu'ils s'abusent eux-mêmes. L'idée des pertes qu'ils se prépareraient ainsi troublerait leurs affreuses voluptés ; il leur parait moins terrible d'anéantir l'espoir du ciel que de s'assujettir à ce qui doit le leur acquérir. Mais quand ces tyranniques passions s'affaiblissent en eux, quand le voile se déchire, quand rien ne balance plus, dans leur cœur corrompu, cette voix impérieuse du Dieu que méconnaissait leur délire, quel il doit être, ô Rosalie ! le cruel retour sur eux-mêmes, et combien le remords qui l'accompagne doit leur faire payer cher l'instant d'erreur qui les aveuglait ! Voilà l'état où il faut juger l'homme pour régler sa propre conduite. Ce n'est ni dans l'ivresse, ni dans le transport d'une fièvre ardente, que nous devons croire à ce qu'il dit ; c'est lorsque sa raison, calmée, jouissant de toute son énergie, cherche la vérité, la soupçonne et la voit. Nous le désirons de nous-mêmes alors, cet Être saint, autrefois méconnu ; nous l'implorons, il nous console ; nous le prions, il nous écoute. Et pourquoi le nierions-nous ? pourquoi le méconnaîtrions-nous, cet objet si nécessaire au bonheur ? pourquoi préférerions-nous de dire, avec l'homme égaré : il n'est point de Dieu, tandis que le cœur de l'homme raisonnable nous offre à tout instant des preuves de l'existence de cet être divin ? Vaut-il donc mieux rêver avec les fous, que de penser juste avec les sages ? Tout découle néanmoins de ce premier principe : dès qu'il existe un Dieu, ce Dieu mérite notre culte ; et la première base de ce culte est incontestablement la vertu. De ces premières vérités Justine déduisait facilement les autres ; et Rosalie, déiste, était bientôt chrétienne. Mais quel moyen de joindre un peu de pratique à la théorie ? Rosalie, contrainte d'obéir à son père, ne pouvait tout au plus que montrer du dégoût à porter la chaîne qu'il lui imposait ; et, avec un homme comme Rodin, cela ne pouvait-il pas devenir dangereux ? Il était intraitable ; aucun des systèmes pieux et moraux de Justine ne tenait contre lui. Mais si elle ne réussissait pas à le convaincre, au moins ne l'ébranlait-il pas. Pendant que Justine cherchait à convertir la fille de la maison où elle était, Rodin ne perdait pas l'espoir de faire, à son tour, une prosélyte de Justine. Au nombre d'une infinité de petits pièges tendus pour se procurer le plaisir d'examiner les corps de ceux des pensionnaires que Rodin voulait connaître avant que de séduire, ou dont il voulait simplement se procurer la vue, sentant l'impossibilité d'aller plus loin avec ces sujets-là, il y avait un cabinet d'aisance très élégant, et dont on ne donnait la clef qu'aux individus dont on voulait dérober les charmes. Le siège de ce cabinet d'aisance était pratiqué de manière que, quand la personne qui s'y plaçait était assise, tout son postérieur se trouvait à la vue, à la portée de Rodin, commodément assis dans un cabinet contigu. L'enfant se doutait-il de quelque chose, se levait-il pour regarder ; une trappe à ressort se fermait soudain sans le moindre bruit, et l'opérant, tranquille, se replaçait en paix. La trappe se rouvrait alors ; et Rodin, le nez près du cul, le voyait chier tout à l'aise. Ce qu'il avait dérobé lui plaisait-il, on était bientôt condamné au fouet, et du fouet à la sodomie. On imagine bien que la clef de ce cabinet magique fut bientôt confiée à Justine, et que notre paillard, électrisé de ce qu'il surprit chez cette aimable enfant, complota bientôt contre ses charmes, d'une manière plus certaine et plus décidée qu'il ne l'avait fait jusqu'alors. - Oh Dieu ! ma sœur, s'écria-t-il en revoyant Célestine au retour de l'une de ces expéditions, oh ! juste ciel ! tu n'as pas d'idée des divins appas de cette fille ; non, il n'est rien ici qui la vaille ; il n'est pas un seul cul qui ressemble au sien... Justine me tourne la tête... elle me met hors de moi... il faut que je l'aie, ma sœur ; il faut que j'en jouisse, à tel prix que ce puisse être. Essaie, tente, promets, séduis ; mais triomphe, ou la rage, remplaçant dans mon cœur le sentiment que Justine y fait naître, me portera peut-être à des excès... dont tu sais que je suis capable, quand les difficultés me maîtrisent. Célestine mit tout en usage ; quinze jours entiers s'employèrent à ces séductions, sans que la sirène en recueillit d'autres certitudes que celle de voir avorter tous ses plans. - Certes, disait-elle un jour à Justine, tu es bien dupe de préférer au bonheur certain qui t'attend le système idéal de sagesse que nourrit ton extravagance. Comment, avec l'esprit que je te connais, peux-tu imaginer que cette pureté de mœurs dont tu fais ici tant d'étalage, puisse jamais être bonne à quelque chose ? Quel gré crois-tu que te sauront les hommes de te conserver pure avec eux ? Cette fierté, qui étonne un moment, en blessant celle des autres, finit bientôt par n'obtenir d'eux que des mépris ; et tu auras passé l'âge de plaire, sans tirer le moindre parti des dons précieux que t'a prodigués la nature ; tu l'outrages, en négligeant ses dons ; et quel mal crois-tu donc faire, en prêtant ton corps à celui qui le désire ? Ce mouvement, dans lui, n'est-il pas celui de la nature ? Tu l'offenses en n'y cédant pas ; tu t'opposes au véritable but de cette mère sage, qui, destinant aux plaisirs des hommes les attraits qu'elle plaça dans toi, doit te punir tôt ou tard de l'opposition que ta vertu met à ses desseins. Cette chasteté ridicule, à laquelle tu attaches un si grand mérite, n'est donc plus, comme tu le vois, qu'une criminelle résistance aux intentions qu'elle a sur toi. Ah ! crois-moi, mon ange, les hommes ne nous estiment qu'en raison des plaisirs qu'ils reçoivent de nous ; si nous les refusons, ils nous délaissent ; et, repliés sur nous-mêmes, alors, il ne nous reste plus pour jouissance que le petit orgueil d'avoir résisté. De tels triomphes valent-ils ceux que je t'offre ?... Oh ! mon enfant, est-il rien de plus doux que les voluptés sensuelles ? est-il rien qui délecte aussi puissamment tout notre être... qui donne des jouissances aussi vives... aussi prolongées !... Ah ! oui, oui, mon ange, n'en doute pas ; un instant au sein de l'amour vaut mieux que mille ans de vertu. Cède Justine, cède ; ta vanité en sera satisfaite également. Rodin te préfère à tout ce qui est ici. Cette douce victoire de l'amour-propre ne vaut-elle pas tous les sacrifices faits à la vertu ? et, couronnée par la main des grâces, ne seras-tu pas plus heureuse en cédant aux plaisirs, qu'en résistant à la nature ? Qu'elle est imbécile, celle qui croit s'élever au-dessus des autres par la sotte pratique des bonnes mœurs ! Que lui arrive-t-il après des siècles de privation ? tout le monde oublie les vertus par lesquelles elle croyait s'immortaliser ; et les hommes, partagés en deux classes sur ce qui la concerne, offrent une moitié d'individus qui la méprise, près d'une seconde partie qui se refuse à l'admission de sa sagesse ; mais pas un être en sa faveur, pas un qui lui sache gré de ce qu'elle n'a fait que pour elle seule... Me parles-tu du contentement de soi-même ? Ah ! Justine, quelle triste jouissance ! et que celle qui ne se rend heureuse que par de telles chimères est au-dessous de l'être charmant qui ne trouve sa félicité que dans le sein du libertinage. Goûte, goûte un instant ces plaisirs contre lesquels tes préjugés se révoltent et tu ne voudras plus exister que pour eux seuls. Mon frère t'adore ; il fera tout pour toi ; oublies-tu ce qu'il a déjà fait ? le premier devoir d'une âme sensible n'est-il pas la reconnaissance ? tu y manques, à ce devoir sacré tu y manques, Justine, en résistant à ton bienfaiteur. Mais rien ne persuadait cette fille angélique, et, trouvant dans son honnête cœur des armes pour repousser de telles séductions, elle persistait à n'offrir à ses hôtes que de la résistance et des refus, lorsque ce libertin, persuadé du peu de succès de ses premières démarches, se décide enfin à l'exécution d'une ruse infernale, dont il n'y avait au monde qu'une tête comme la sienne qui pût avoir conçu le projet. Aidé d'un trou qu'il avait pratiqué dans l'une des cloisons qui entouraient la chambre de Justine, il avait remarqué que, dans les grandes chaleurs, cette chère fille aimait à coucher toute nue. Elle se déshabillait dès qu'elle se croyait bien enfermée, et se jetait imprudemment de cette manière sur son lit, pour y reposer plus au frais. Rodin fit promptement et mystérieusement exécuter une trappe, au moyen de laquelle le lit de Justine pouvait s'enlever dans la chambre qui était au-dessus. Il s'empare de cette chambre ; et, une belle nuit, dès qu'il croit sa victime dans les bras du sommeil, la trappe joue ; et voilà notre infortunée toute nue, et sans la plus légère défense, au pouvoir de ce scélérat, bien fermé, bien barricadé dans la chambre où il croit enfin réussir. - Ah ! je te tiens, coquine, s'écrie-t-il en se jetant sur sa proie ; tu ne m'échapperas plus maintenant. Et le paillard, en disant cela, éclairé par six bougies, placées avec intention dans cette chambre, jouit à la fois, et du plaisir de considérer le corps sublime de la jeune innocente, et de la volupté plus grande encore de le couvrir de ses baisers. Nous n'avons pas besoin de peindre son état. On se représente aisément celui d'un libertin qui possède enfin ce qu'il désire, après l'avoir attendu des siècles. Mais, quelque vigueur que cet état lui prête, il n'en acquiert aucune supériorité sur Justine. Plus forte de sa vertu que Rodin ne l'est de son crime, elle s'élance ; légère et souple comme une anguille, elle se glisse, échappe au bras qui la retient, ouvre une fenêtre et crie au secours. On ne songe pas à tout, quand on combine une mauvaise action ; aveuglé par les délices que sa jouissance nous promet, on néglige presque toujours les soins les plus importants. Rodin ne s'était pas souvenu que cette maudite fenêtre donnait précisément sur le dortoir des jeunes filles et que l'esclandre que faisait Justine allait peut-être le perdre pour la vie. - Arrête, malheureuse, arrête, lui crie-t-il ; sors, je vais t'ouvrir ; ne dis mot ; au nom du ciel, ne me perds pas ! - Eh bien, ouvrez-moi la porte, dit Justine ; je cesserai de crier, dès que je la verrai ouverte. Il fallut obéir, la prudence l'exigeait. Justine sort ; et le crime, encore une fois repoussé par l'énergie de la vertu, ne retire de ses entreprises que le regret de les avoir aussi mal exécutées. C'était bien ici le cas de quitter la maison de Rodin ; et Justine eût sans doute profité de la circonstance, si elle ne se fût pas trouvée positivement alors dans la crise la plus importante de la conversion de Rosalie. Mais il faut, avant que de développer l'événement affreux produit par ce projet, remonter aux premières démarches de Justine pour en opérer le succès. Cette fille, plus libre de sortir que Rosalie, avait trouvé le moyen de confier à un jeune prêtre de la paroisse tout le plan inventé par elle, pour initier son amie aux grands mystères d'une religion dont on lui cachait les trésors. L'abbé Delne, passionné serviteur du Christ, avait saisi avec empressement la sainte et sublime idée de faire rentrer au giron de l'Église une douce brebis qu'on en voulait distraire. Depuis trois semaines, par l'entremise de Justine, Delne avait avec Rosalie des conférences pieuses ; et c'était dans la chambre même de Rosalie que se tenaient ces conciliabules. La fille de Rodin suffisamment instruite, pleine du plus ardent désir de s'approcher d'un sacrement dont on lui déguisait la grandeur, devait s'échapper un matin, à la pointe du jour, pour voler promptement à l'église, s'acquitter d'un si saint devoir et rentrer ensuite mystérieusement. Tout promettait le plus entier succès, et Rosalie, arrachée au libertinage de son père, devait éclater ensuite, et se faire obtenir un couvent ; lorsque cette fois-ci le ciel ne permit pas, comme dans la scène précédente, que la vertu triomphât du vice. Une imprudence perdit tout ; et le crime rentra dans ses droits. Justine ordinairement n'assistait pas à ces mystiques exhortations. Elle faisait le guet ; et son rôle était d'avertir si Rodin venait à paraître. Se croyant tous les trois au port, on se négligea cette fois. Justine est appelée chez Rosalie ; on l'invite à partager l'extase où sa compagne va se plonger ; et nos trois anges s'élançaient de concert vers la voûte du ciel, lorsque Rodin, plus rapproché des objets terrestres, et tout naturellement dévoré du désir d'enculer sa fille, la cherchait le vit à la main. Il entre dans sa chambre, croyant la trouver au lit. Dieu ! quelle est sa surprise de la voir aux genoux d'un prêtre, et le crucifix à la main ? Un moment Rodin croit rêver ; tour à tour il avance et recule d'effroi : enfin, il appelle à lui. - Ma sœur, dit-il à Célestine qui s'avance avec Marthe, vous voyez comme on me trahit. Justine, il m'est aisé de voir à qui je dois le plan de cette séduction infâme : retirez-vous, je ne vous en veux point ; mes sentiments pour vous sont tels, qu'eussiez-vous attenté à mes jours, je crois que je vous pardonnerais encore. Mais pour toi, scélérat, dit-il en saisissant l'ecclésiastique au collet, pour toi, suborneur atroce, indigne satellite d'une religion que j'abhorre, tu ne sortiras pas d'ici, sois-en sûr, aussi facilement que tu y es entré : un cachot va me répondre de toi ; je t'apprendrai à venir souiller de ton souffle impur les principes de philosophie que je répands dans cette maison. Sortez, Rosalie ; allez chez votre tante, et n'en sortez pas sans mes ordres. Rodin entraîne alors l'abbé, tout interdit ; et, aidé de sa sœur et de sa gouvernante, il le plonge dans un caveau de sa maison, où jamais le jour n'avait pénétré. Il revient de là chercher Rosalie, pour l'enfermer dans un autre cachot. Rodin sort ; il parcourt le village. - On vient d'enlever ma fille, dit-il à tout le monde, et je soupçonne l'abbé Delne... On vole chez lui : l'abbé ne s'y trouve point. - Voilà mon malheur éclairci, dit Rodin ; je n'avais que des soupçons : d'affreuses vérités m'éclairent... C'est ma faute ; j'avais vu commencer cette intrigue ; que ne la troublai-je dès les premiers jours. Tout le monde donna dans le piège ; et dès qu'au moyen de cette ruse Rodin se voit maître de son homme, il n'ouvre sa prison que pour la changer en tombeau ; et, par un raffinement bien digne d'un tel monstre, sitôt que Delne a rendu l'âme, son corps est cloué sur les murs du cachot ; et c'est dans ce cercueil que le barbare Rodin vient replacer sa fille... - Je veux que ton séducteur soit toujours sous tes yeux, lui dit-il, jusqu'à ce que ton sang ait lavé ton crime. Tel était l'état des choses, lorsque Justine, à laquelle Rodin n'avait encore rien dit, se croyant à couvert de tout, en raison de l'amour qu'elle inspirait à ce barbare, entreprit l'impossible pour découvrir le sort de son amie, bien sûre que, si elle la trouvait, elle saurait aussi ce que Delne était devenu. Profitant de tous les moments où elle croyait n'être pas surveillée, elle parcourt les plus secrets recoins de la maison. Elle croit entendre quelques gémissements au fond d'une cour très obscure ; elle s'approche... un tas de bois paraît boucher une porte étroite et reculée ; elle avance en écartant tous les obstacles... de nouvelles plaintes se font entendre... - Ô Justine ! est-ce toi ? - Oui, chère et tendre amie, s'écrie-t-elle, en reconnaissant la voix de Rosalie ; oui, c'est Justine que le ciel t'envoie pour te secourir. Et les questions multipliées de cette tendre fille laissent à peine à celle de Rosalie le temps de répondre. Ce fut alors que Justine apprit, et l'horrible situation où était Rosalie, et le meurtre commis par son père en la personne du pauvre abbé Delne, mais dont Rosalie ignorait les détails ; la seule chose dont elle paraissait sûre, c'est que Rodin avait eu pour complices, et sa sœur et sa gouvernante, et que la victime, sans doute, avait beaucoup souffert, s'il en fallait juger par ses cris et par les coups de couteau dont son cadavre paraissait percé. - C'est mon tour. ajouta Rosalie : hier soir mon père entra dans ma prison, suivi de Rombeau, le chirurgien de ce village, et dont je t'ai déjà dit les liaisons avec Rodin ; tous deux se sont permis des horreurs avec moi. Mon père a voulu (ce qui jamais ne lui avait passé par la tête), il a exigé que je servisse aux passions effrénées de son confrère ; mon père même me tenait pendant cette affreuse scène... Ensuite il leur est échappé des propos qui ne me laissent plus douter de mon malheureux sort. Ô Justine ! je suis perdue, si tu ne parviens pas à me délivrer ; tout, ma chère amie, tout me prouve que ces monstres vont me faire servir à quelques-unes de leurs expériences. - Oh ciel ! dit Justine, en interrompant la fille de Rodin, est-ce que pareille chose leur est déjà arrivée ? - J'ai de fortes raisons pour le croire. Quand ils tiennent ici des jeunes personnes de l'un ou de l'autre sexe, qui n'ont ni père ni mère... - Eh bien ? Tu me fais trembler... - Elles disparaissent sans qu'il soit possible de savoir ce qu'elles sont devenues. Il n'y a pas un mois qu'une jeune fille de quatorze ans, belle comme le jour, disparut ainsi ; et je me souviens très bien que ce jour-là j'entendis des cris étouffés dans le cabinet de mon père ; le lendemain on dit qu'elle s'était sauvée. Quelque temps après, un jeune orphelin de quinze ans s'éclipsa de même, et on n'en a pas reparlé davantage. Je frémis, en un mot, ma chère, si tu ne réussis pas à me tirer promptement de ce cachot. Justine demanda à son amie si elle savait où l'on mettait les clefs de cette cave. Rosalie l'ignorait ; elle ne croyait pourtant pas que l'on eût l'habitude de les emporter. Justine les cherche, mais en vain ; et l'heure de reparaître arriva, sans qu'elle pût donner à cette chère enfant d'autres secours que des consolations, quelques espérances et des pleurs. Rosalie fit jurer à Justine qu'elle viendrait la voir le lendemain ; et celle-ci le lui promit, en l'assurant même que, si à cette époque elle n'avait rien découvert de satisfaisant sur ce qui la regardait, elle irait sur-le-champ porter ses plaintes en justice, pour soustraire cette malheureuse, à tel prix que ce pût être, au sort affreux qui la menaçait. Justine remonte. Rombeau, ce soir-là, soupait avec Rodin. Déterminée à tout pour éclaircir le sort de son amie, elle se cache dans un cabinet à issue particulière, et tenant à la chambre où soupaient ces deux scélérats. Là, leur conversation la convainquit bientôt, et des forfaits déjà commis, et de ceux que devait redouter encore son infortunée Rosalie. - Je suis désespéré, dit Rodin à son confrère, de ne t'avoir pas associé à ma vengeance. Oh ! mon ami, tu ne saurais imaginer les plaisirs que j'ai recueillis du sacrifice offert à cette passion chérie de mon âme. - Il est certain qu'un plus sensible était difficile à te faire... Ta fille à ses genoux !... Le scélérat ! il aurait bientôt passé de ses exhortations mystiques à des entretiens plus flatteurs : il ne voulait qu'enfiler ta fille ; tu peux, je crois, en être bien certain. - Je crois que je lui aurais plutôt pardonné cette injure, que celle de lui gâter l'esprit. L'infâme ! il l'aurait confessée, communiée ; il aurait perdu cette créature. - Que tu dois te savoir de gré d'avoir coupé net à tout cela ! Et qu'elle mort lui as-tu fait subir ? - Oh ! c'est une scène unique. Marthe et ma sœur m'aidaient. J'ai fait exécuter devant lui vingt postures plus lubriques les unes que les autres. Elles l'ont sucé, branlé ; je l'ai fait épuiser avant que de l'envoyer dans l'autre monde ; et je te réponds que si les furies s'en emparent, elles auront de la peine à le faire bander. - Et enfin ? - Je l'ai fait crucifier. J'ai voulu que le valet expirât de la même mort que son maître ; et pendant les quatre heures qu'il a langui sur cette croix, il n'est pas de supplice que je ne lui aie fait éprouver. Je l'y ai foutu ; je l'y ai fouetté ; je lui ai vingt fois enfoncé mon couteau dans le corps. Oh ! combien j'aurais voulu que tu me servisses dans cette délicieuse opération ! Mais tu n'y étais pas et j'étais pressé : on ne vit pas tant qu'un ennemi respire. - Et ta coupable fille, n'y passera-t-elle donc pas ? Songe, Rodin, songe à quel point un pareil sujet peut être utile à l'anatomie ; jamais elle ne sera à son dernier degré de perfection, que l'examen des vaisseaux ne soit fait sur un enfant de quatorze ou quinze ans, expiré d'une mort cruelle. Ce n'est que de cette contraction que nous pourrons obtenir une analyse complète d'une partie aussi intéressante. Il en est de même de la membrane qui assure la virginité ; il faut nécessairement une jeune fille pour cet examen. Qu'observe-t-on dans l'âge de la puberté ? Rien, les menstrues déchirent l'hymen ; et toutes les recherches deviennent inexactes. L'âge de ta fille est précisément celui qu'il nous faut ; elle n'est pas réglée ; nous ne l'avons vue que par derrière ; de telles attaques n'endommagent nullement cette membrane, et nous l'étudierons tout à l'aise. J'espère que tu te détermineras. - Sacredieu ! je le suis, reprit Rodin. Il est odieux que de futiles considérations arrêtent ainsi le progrès des sciences. Les grands hommes se sont-ils laissé captiver par d'aussi méprisables liens ? Tous nos maîtres en l'art d'Hippocrate ont fait des expériences dans les hôpitaux. Mon instituteur en chirurgie disséquait tous les ans des créatures vivantes de l'un et l'autre sexe ; et nous n'avons tous deux rectifié les bévues de nos prédécesseurs, que par de semblables opérations. Pour une douzaine de sacrifices. nous avons sauvé la vie à plus de deux mille individus ; et je demande si l'on doit jamais balancer en tel cas. Tous les artistes ont pensé de même. Quand Michel-Ange voulut rendre un Christ au naturel, se fit-il un cas de conscience de crucifier un jeune homme et de le copier dans les angoisses ? La sublime Madeleine en pleurs du Guide, fut prise sur une belle fille que les élèves de ce grand homme avaient flagellée à outrance ; tout le monde sait qu'elle en mourut. Mais quand il s'agit des progrès de notre art, de quelle nécessité ne doivent pas être ces mêmes moyens ! et combien y a-t-il un moindre mal à se le permettre ? Le meurtre opéré par les lois est-il d'une autre espèce ? et l'objet de ces lois qu'on trouve si sages, n'est-il pas le sacrifice d'un pour en sauver mille ? On nous devrait, au contraire, des récompenses, quand nous sommes assez courageux pour vaincre ainsi la nature au profit de l'humanité. - Oh ! la victoire n'est pas bien grande, dit Rombeau ; je ne te conseille pas de t'en faire un mérite aux yeux de ceux qui connaissent le chatouillement excessif que produisent ces sortes d'actions. - Je ne te cache pas qu'elles m'aiguillonnent infiniment. En général, toutes les douleurs, que je produis sur les autres, soit en opérant, soit en flagellant, soit en disséquant sur le cru2 mettent les animaux spermatiques dans une telle discordance en moi, qu'il en résulte un prurit manifeste, et une érection involontaire, laquelle, sans me toucher, me conduit plus ou moins vite à l'éjaculation, en raison du degré de souffrance imprimé sur le sujet. Tu te rappelles m'avoir vu décharger, sans que personne ne me touchât, la dernière fois que nous opérâmes ensemble sur ce jeune garçon dont j'ouvris le flanc gauche pour observer les palpitations du cœur. Quand j'en fus à couper les ligaments qui captivent ce viscère, et que j'enlevais par conséquent la vie au sujet, tu te souviens que mon foutre partit malgré moi, et que tu fus obligé de m'achever ; tu te rappelles de même que les dernières gouttes de sperme n'étaient pas élancées du canal, que je rebandais encore. Au reste, ne nous chicanons pas ; j'ai assez de preuves, mon cher, du rapport de tes goûts aux miens, pour que nous n'ayons aucune querelle à nous chercher mutuellement sur cet objet. - Je l'avoue, dit Rombeau, j'éprouve les mêmes mouvements, et je ne conçois point par quelle inexplicable contradiction la mystérieuse nature inspire tous les jours à l'homme le goût de la destruction de ses œuvres. - Je l'entends parfaitement, moi, dit Rodin ; ces portions de matière, désorganisées et jetées par nous dans le creuset de ses œuvres, lui donnent le plaisir de recréer sous d'autres formes ; et si la jouissance de la nature est la création, celle de l'homme qui détruit doit infiniment flatter la nature. Or, elle ne réussit à ses créations que par des destructions. Il faut donc étonnamment détruire des hommes pour lui composer la voluptueuse jouissance d'en créer. - Aussi, le meurtre est un plaisir. - Je dis plus ; il est un devoir ; il est un des moyens dont la nature se sert pour parvenir aux fins qu'elle se propose sur nous. Et n'eût-il pas même un but important, comme celui qu'il acquiert par nos expériences, ne fût-il commis que par le seul effet des passions, il serait toujours une bonne œuvre ; car ces passions, n'en doute pas, mon ami, ne sont placées par la nature dans nous, que pour adoucir les répugnances que ses volontés nous inspireraient sans cela. Ne dût-il donc s'agir que de ma seule fantaisie, je regarderais la chose comme toute simple ; à plus forte raison quand elle devient nécessaire à un art aussi utile aux hommes, quand elle peut fournir d'aussi grandes lumières. Dès lors, ce meurtre devient la plus belle, la plus sage de toutes les actions, et ce ne serait qu'à se la refuser qu'il pourrait exister du crime. C'est le prix ridicule que nous attachons à cette vie, qui nous fait éternellement déraisonner sur le genre d'action qui engage un homme à se délivrer de son semblable. Croyant que l'existence est le plus grand des biens, nous nous imaginons stupidement faire un crime, en soustrayant ceux qui en jouissent. Mais la cessation de cette existence, ou du moins ce qui la suit, n'est pas plus un mal que la vie n'est un bien ; ou plutôt, si rien ne meurt, si rien ne se détruit, si rien ne se perd dans la nature, si toutes les parties décomposées d'un corps quelconque n'attendent que la dissolution pour reparaître aussitôt sous des formes nouvelles, quelle indifférence n'y aura-t-il pas dans l'action du meurtre ? et qu'il serait imbécile l'être qui oserait y trouver un crime ! - A la bonne heure, dit Rombeau. Mais faut-il te l'avouer ? En raison des liens qui t'enchaînent à cette créature, je craignais que tu ne balançasses. - Et quelle puissance t'imagines-tu que le titre de fille puisse jamais avoir sur mon cœur ? Sois donc persuadé, mon ami, que je regarde un peu de foutre éclos du même œil (au poids près) que celui qu'une putain fait éjaculer de mon vit ; je n'ai jamais fait plus de cas de l'un que de l'autre. On est le maître de reprendre ce qu'on a donné ; jamais le droit de disposer de ses enfants ne fut contesté chez aucun peuple. Les Perses, les Mèdes, les Arméniens, les Grecs en jouissaient dans la plus extrême latitude ; les lois de Lycurgue, le modèle des législateurs, non seulement laissaient aux pères tous droits sur leurs enfants, mais condamnaient même à la mort ceux que les parents ne voulaient pas nourrir ou qui se trouvaient mal conformés. Une grande partie des sauvages tuent leurs enfants aussitôt qu'ils naissent. Presque toutes les femmes de l'Asie, de l'Afrique et de l'Amérique se font avorter sans encourir de blâme. Cook retrouva cet usage dans toutes les îles de la mer du Sud. Romulus permit l'infanticide ; la loi des douze tables le tolère de même ; et, jusqu'à Constantin, les Romains exposaient ou tuaient impunément leurs enfants. Aristote conseille ce prétendu crime ; la secte des stoïciens le regardait comme louable. Il est encore très en usage en Chine ; chaque jour on trouve, et dans les rues et sur les canaux de Pékin, plus de dix mille individus immolés ou abandonnés par leurs parents, et quel que soit l'âge d'un enfant dans ce sage empire, un père, pour s'en débarrasser, n'a besoin que de le mettre entre les mains d'un juge. D'après les lois des Parthes, on tuait son fils, sa fille, sa sœur, son frère, sans encourir la moindre peine. César trouva cette coutume généralement établie dans les Gaules. Plusieurs passages du Pentateuque prouvent qu'il était permis de tuer ses enfants chez le peuple de Dieu ; et Dieu lui-même enfin l'exigea d'Abraham. L'on crut longtemps, dit un célèbre moderne, que la prospérité des empires dépendait de l'esclavage des enfants ; cette opinion était fondée sur les principes de la plus saine raison. Eh quoi ! un gouvernement quelconque se croira autorisé à sacrifier vingt ou trente mille de ses sujets dans un jour, pour sa propre cause ; et un père ne pourra, lorsqu'il le jugera convenable, devenir le maître de la vie de ses enfants ? Quelle absurdité ! Quelle inconséquence ! et quelle faiblesse dans ceux qui sont contenus par de telles chaînes ! L'autorité du père sur ses enfants, la seule réelle, la seule qui ait servi de base ou de modèle à toutes les autres, nous est dictée par la voix de la nature même ; et l'étude réfléchie de ses opérations nous en offre à l'instant des exemples. Le tzar Pierre ne doutait nullement de ce droit et il en usa. Il adressa une déclaration publique à tous les ordres de son empire, par laquelle il disait que, d'après les lois divines et humaines, un père avait le droit absolu de juger ses enfants à mort, sans appel et sans prendre l'avis de qui que ce fût. Il n'y a que dans notre France barbare où une fausse et ridicule pitié crut devoir enchaîner ce droit. Non, poursuivit Rodin avec chaleur, non, mon ami, je ne comprendrai jamais qu'un père qui voulût bien donner la vie, ne soit pas libre de donner la mort ; je n'entendrai jamais que l'être qu'il a créé ne lui appartienne pas ; il ne peut exister au monde une propriété plus sacrée ; or, si cette propriété est bien établie, la possibilité d'en disposer à son gré en devient une suite nécessaire. Combien de races parmi les animaux nous donnent l'exemple de l'infanticide. Combien en est-il qui, comme le lapin, n'ont pas de plus grand plaisir que celui de dévorer leurs enfants ! Je vais plus loin, mon ami ; je suis affirmativement convaincu qu'une des meilleures actions qu'un père ou qu'une mère puisse faire consiste à se débarrasser de ses enfants ; nous n'avons point de plus grands ennemis dans le monde. Et n'est-il donc pas bien fait, d'après cela, de s'en délivrer avant qu'ils soient en âge de nous nuire ? La propagation est d'ailleurs infiniment trop nombreuse en Europe ; elle excède infiniment ses moyens de subsistance : le meurtre de ses enfants est donc encore une excellente action, considérée sous ce nouveau point de vue. Qui pourrait donc me retenir ? l'humanité ? Ô mon ami, je ne connais pas, je l'avoue, une plus fausse vertu. L'humanité, je le prouverai quand on voudra, n'est qu'une manière d'être, qui, prise dans le sens que les moralistes lui donnent, bouleverserait bientôt l'univers3. - Ah ! dit Rombeau, plein d'enthousiasme pour d'aussi effrayantes maximes, je t'approuve, mon cher ; ta sagesse m'enchante, mais ton indifférence m'étonne : je te croyais amoureux de ta fille. - Moi, mon cher, amoureux d'une femme !... Ah ! Rombeau, je me supposais mieux connu de toi, de toi qui connais si parfaitement mes goûts, de toi qui dois être si pénétré de l'horreur que m'inspire un sexe dont je me sers par libertinage, et jamais par penchant. Le goût prodigieux que j'ai pour les culs, l'ivresse où me met un derrière, m'oblige à fêter indistinctement tous les êtres en qui je suppose de la supériorité dans cette partie ; et c'est pour multiplier mes hommages que je ne mets jamais de distinction, ni entre les âges, ni entre les sexes. N'as-tu pas la preuve de ce que je dis, Rombeau ? et, malgré tes quarante-cinq ans, la sublimité de tes fesses ne m'engage-t-elle pas, tu le sais, à t'enculer de temps en temps ? Voilà du libertinage, mais de l'amour, jamais. Ce sentiment pusillanime fut toujours inconnu de mon cœur. Il y a mieux : c'est que pour peu qu'une jeune fille ou qu'un jeune garçon ait malheureusement nourri mon illusion trop longtemps, le dégoût s'annonce avec énergie ; et je n'ai jamais connu qu'un moyen d'y satisfaire délicieusement, c'est de tuer, mon ami, de tuer, il n'y a que cela ; c'est, j'en conviens, le dernier plaisir que peut nous donner un objet de luxure, mais c'est bien aussi le meilleur. Il y a sept ans que ma fille sert à mes plaisirs ; il est temps qu'elle paie la cessation de mon ivresse par celle de son existence... Et Rodin, qui bandait fort dur, mit en ce moment son vit entre les mains de son ami, qui ne tarda pas à lui faire empoigner le sien. - Il me semble, dit Rombeau, que nous sommes fort en état de remplir les intentions conçues. - Oui, voilà des vits très en l'air, dit Rodin ; lève-toi donc, que je manie ton cul, je ne m'en rassasie jamais. Et le paillard, déculottant son ami, se met à lui palper, à lui claquer, à lui mordre les fesses un quart d'heure. Rombeau le rend à son camarade ; et les deux vilains se mettent dans une telle posture, qu'ils peuvent à la fois se branler le vit, en se gamahuchant le trou du cul. Rodin n'y tient pas ; il courbe son camarade sur un canapé, et lui plante le vit dans le derrière jusqu'aux couilles, en le polluant à pleines mains. - Si tu étais, dit-il, aussi sûr que moi de ne pas décharger (car il faut réserver ses forces), oui, si tu étais aussi ferme que je vais l'être, quoiqu'en te foutant, je t'enverrais chercher quelqu'un pour te mettre en train, et, après une heure d'épouvantables paillardises, nous irions prendre la victime. - Je te réponds de moi, dit Rombeau, il n'y a personne au monde qui soit plus maître de son foutre. - Eh bien ! qui veux-tu ? - Des garçons... Et ici Rodin, ayant décidé son ami, sonna sa gouvernante, qui vint aussitôt prendre ses ordres Justine ne croit pas devoir rester plus longtemps ; si elle a tant tardé, c'est pour éclaircir le sort de Rosalie. Il ne lui est que trop dévoilé maintenant ; il n'est plus question que de la secourir. Notre héroïne y vole, résolue de périr, ou de délivrer son amie. - Infortunée ! lui crie-t-elle, pas un moment à perdre... Les monstres !... tu n'avais que trop raison... c'est pour ce soir... ils vont venir. Et, en prononçant ces mots entrecoupés, la trop compatissante Justine fait l'impossible pour enfoncer la porte. Une de ses secousses fait tomber quelque chose ; elle y porte la main, c'est la clef ; elle la ramasse, elle se hâte d'ouvrir, elle embrasse son amie, la presse de fuir, lui répond de suivre ses pas. Un moment Rosalie veut faire voir à Justine l'horreur du cachot qu'elle habite, le cadavre dont il est tapissé. Ce malheureux retard fait perdre tout le succès de l'entreprise. Le temps se perd. Rosalie, qui s'en aperçoit, s'élance à la fin. Juste ciel ! il était encore dit que la vertu devait succomber, et que les sentiments de la plus juste et de la plus tendre commisération allaient être durement punis. Rodin et Rombeau, éclairés par la gouvernante, tous trois dans un désordre suffisant à prouver le genre des actions où ils viennent de se livrer, paraissent tout à coup. Rodin saisit sa fille au moment où elle franchit le seuil de la porte, au-delà duquel elle n'avait plus que quelques pas à faire pour se trouver libre. - Où vas-tu ? s'écrie ce père furieux en arrêtant Rosalie, pendant que Rombeau s'empare de Justine. Ah, ah ! continua-t-il en regardant celle-ci, c'est cette putain qui favorise la fuite... Scélérate, ajouta-t-il en sacrant, voilà donc l'effet de vos grands principes de vertu !... Enlever une fille à son père ! Et voilà la récompense des bontés que j'ai eues de ne t'avoir pas poignardée, l'autre jour, quand je vis, par tes soins, ma fille aux pieds d'un prêtre ! - J'ai dû faire tout ce que j'ai fait, répond fermement Justine. Quand un père est assez barbare pour vouloir assassiner sa fille, il n'est rien qu'on ne doive entreprendre pour prévenir un pareil forfait. - Bon ! dit Rodin, de l'espionnage et de la séduction : tous les vices les plus dangereux dans une domestique. Montons, montons ; il est très important de juger cette affaire. Et Rosalie, suivie de Justine, toutes deux traînées par ces scélérats, regagnent l'intérieur de la maison. Célestine, qu'elles y trouvent, presque nue, les reçoit en les accablant d'injures. Marthe ferme soigneusement toutes les portes, revient se mettre au rang des actrices. Et la plus effrayante, la plus abominable, la plus cruelle des scènes se prépare. Essayons de la peindre. Au défaut de l'énergie dont elle serait susceptible, sous d'autres pinceaux que les nôtres, mettons-y du moins de la vérité. - Commençons par boire, dit Rodin ; je n'aime pas à me mettre en semblable besogne, sans avoir la tête un peu prise. Gomme la table est encore dressée, il n'est question que de faire sauter des bouchons ; et six bouteilles du meilleur champagne sont avalées dans un quart d'heure. - Donnez-en six autres, dit Rodin à sa sœur ; nous les expédierons en travaillant. Ah ! mademoiselle Justine, dit le scélérat, en se rapprochant de cette chère fille tout en larmes, et ne prévoyant que trop le sort qui l'attend, c'est donc ainsi que vous débauchez les filles de chez leur père, vous qui jouez si bien la vestale... Crois-tu, Rombeau, que j'ai fait l'impossible pour avoir cette fille-là, et que je n'ai pu réussir. Mais nous la tenons, sacredieu, nous la tenons, je lui défie maintenant de nous échapper. Et vous, petite putain, continue-t-il, en attirant sa fille à lui, et lui appliquant un soufflet à tour de bras, vous vous laissez donc séduire par cette coquine ?... Rombeau, il faut les disséquer toutes deux : nous ferons sur ma fille les expériences de l'hymen, celles des battements du cœur sur Justine. - Je ferai tout ce qu'on voudra de cette poulette, dit Rombeau, à moitié ivre, en venant manier brutalement la gorge de Justine. Il y a longtemps que la garce m'échauffe la cervelle. Depuis que je te la connais, je me suis déjà branlé deux ou trois fois en sa faveur. Et, tout en discourant, Rombeau travaille à faire disparaître les gazes qui gênent leur luxure. Ces deux pauvres enfants furent bientôt dans l'état le plus complet de nudité ; mais comme on connaissait Rosalie, c'est sur le beau corps de notre aventurière que tous les regards se dirigent. Célestine s'approche. Et, la saisissant dans ses bras : - Oh ! foutre, la belle fille, s'écrie-t-elle. - Eh bien ! branlez-vous, dit Rodin. Rombeau, amusons-nous de ce spectacle préliminaire ; j'aime assez à contraindre une fille qui pleure à décharger malgré elle. Mlle Rodin emporte Justine, en larmes, sur un canapé ; et, pendant qu'elle la pollue avec tout l'art possible, Rodin, agenouillé devant les fesses de cette belle fille, que sa sœur avait soin de lui présenter, accablait ce beau cul des plus ardents baisers. Rombeau, placé devant le couple, escroquait des suçons à Justine, pendant que Marthe pétrissait le cul de son maître, qui, de l'une de ses mains, traitait assez brutalement celui de sa fille. Célestine triomphe ; la gueuse y met tant d'adresse et tant d'énergie, que le plaisir l'emporte sur la douleur, et que notre innocente décharge... - La putain a donné du foutre, dit Rombeau, je m'en suis aperçu au resserrement de son anus ; je le léchais pendant ce temps-là... - Oui, il y a eu du foutre, dit Mlle Rodin, j'en ai les doigts mouillés. Et la garce les suce ; en baisant Justine sur la bouche. - Mon enfant, dit Rodin à cette charmante fille, je suis fort content de ce que vous venez de faire ; croyez-moi, continuez d'être de la plus extrême complaisance avec nous ; peut-être regagnerez-vous, par ce procédé, ce que vous ont fait perdre vos sottises. Ah ! tripledieu ! comme elle est belle dans ce mélange de plaisir et de douleur ! - Oh ! monsieur, qu'exigez-vous donc de moi ? dit Justine. - Rien que nous ne puissions obtenir de force, et rien qui, je vous le répète, n'adoucisse votre sort, si vous nous l'accordez de bonne grâce. Par exemple, à présent nous voulons que vous branliez ma sœur avec la langue. Elle va se poster de manière à vous offrir à la fois son con et son cul ; Rosalie lèchera le cul et vous le con. Il fallut obéir ; y avait-il moyen de résister à des demandes si faciles à changer en ordres ! Le tableau s'arrange. Rodin, pour en compléter l'ordonnance, s'étend à la droite de sa sœur ; Rombeau, à gauche. Ils sont arrangés de façon que leurs vits soient à la portée de la bouche de Justine, et leurs culs à celle de la langue de Rosalie, qui toutes deux reçoivent l'injonction de les gamahucher et de les sucer, en même temps que Célestine. Marthe parcourt les rangs ; elle patine les couilles ; elle veille à ce que les bouches travaillent alternativement les parties qui leur sont confiées, et montre ses belles fesses tous à tour à chacun des deux libertins. Rosalie, plus au fait, se soumet avec une résignation plus entière, à des horreurs qui répugnent à Justine, et que, comme elle néanmoins, elle n'exécute qu'en gémissant. Ces préambules électrisent nos paillards. - Rombeau, dit Rodin, enculons Justine ; tu n'imagines pas à quel point la supériorité de ses fesses embrase ma tête. Il n'y a peut-être pas en France un homme qui ait autant vu de culs que moi ; je te jure, mon ami, qu'il ne m'en est jamais tombé sous la main de plus beaux, de mieux coupés, de plus blancs, de plus fermes, de plus appétissants que celui de cette petite garce-là. Et chacun de ces éloges se gravait en baisers de feu sur l'idole fêtée. Justine, entendant son arrêt, se jette aux pieds de ses bourreaux. C'est avec les accents les plus énergiques de la douleur et du désespoir que la malheureuse implore sa grâce. - Oh ! prenez ma vie, leur dit-elle, et laissez-moi l'honneur. - Mais tu ne seras coupable de rien, dit Rombeau : nous allons te violer. - Sans doute, dit Rodin, de ce moment, plus de péché sur ta conscience ; ce sera la force qui t'aura tout ravi. Et l'infâme, en consolant Justine de cette cruelle manière, la plaçait déjà sur un canapé. - Le beau cul ! poursuivait-il en l'examinant. Tiens, Rombeau, prends cette poignée, ne frappe que la fesse gauche, moi la droite ; celui des deux qui fera paraître la première goutte de sang aura l'honneur de la sodomiser avant l'autre. Rosalie, venez ici, mettez-vous à genoux devant Rombeau ; sucez-lui le vit, pendant qu'il flagelle ; vous, Marthe, sucez le mien. Justine était couchée dans les bras de Célestine, qui la branlait en dessous pour lui faire oublier ses peines ; mais Rodin, s'en étant aperçu, réprimanda sa sœur. - Laisse-la donc souffrir, dit-il durement : ce ne sont pas des plaisirs que nous voulons qu'elle ressente, ce sont des douleurs ; et tu troubles, tu changes absolument l'esprit de nos projets, en dérangeant l'état de son physique. Les coups se donnent ; chacun devait en distribuer cinquante. Ceux de Rombeau furent vigoureux ; mais Rodin, plus habitué à cet exercice, fit jaillir le sang au trentième, et n'en finit pas moins la reprise. - Allons, dit-il, tu vois que c'est à moi. - Oui, dit Rombeau ; mais prends garde de décharger ; songe au besoin que nous avons de nos forces ; à ta place, je me contenterais de quelques détails, et je me réserverais pour la grande expédition. - Eh ! non, non, foutredieu, dit Rodin, en écartant les fesses de Justine et y présentant son hochet plus dur qu'une barre de fer ; non, non, il ne pourrait exister aucune considération dans le monde qui pût m'empêcher d'enculer cette belle créature ; . il y a trop longtemps que je la désire, il faut qu'elle y passe, elle y passera, la putain. Et déjà la tête du fougueux instrument ébréchait le trou délicat et mignon de notre infortunée, qui, n'ayant jamais été attaqué qu'une fois, avait repris toute sa fraîcheur et toute sa délicatesse. Un cri terrible, suivi d'un mouvement violent, dérange un instant Rodin, qui, trop accoutumé à ce genre d'attaque pour se laisser ainsi désarçonner, saisit fortement les reins de la jeune fille, pousse avec violence, et disparaît jusqu'aux couillons, dans ce cul frais et voluptueux. - Ah ! bougre de dieu ! s'écrie-t-il, m'y voilà ; je défie Dieu ou ses foutus agents de m'empêcher de la sodomiser à présent : elle est foutue, la garce... Oh ! mon ami, le beau cul... il est d'un chaud... d'un étroit... Et sans les précautions de Célestine pour s'opposer aux cris de la patiente, on les aurait entendus d'une lieue. - Rombeau, dit Rodin, encule ma fille sous mes yeux, et place-toi de manière à ce que je puisse manier ton cul pendant que tu foutras ; Marthe nous étrillera tous les deux. - Attends, dit Rombeau, dérange-toi un instant ; c'est le plaisir d'une seconde attaque que je te prépare. Voici ce que je désire : il faut placer ces deux demoiselles l'une sur l'autre ; Justine va se mettre à quatre pattes, les reins en l'air ; j'établirai ta fille sur cette base ; les deux trous seront opposés, et nous les sonderons tous deux, en passant alternativement de l'une à l'autre. Marthe, comme tu le disais tout à l'heure, nous fustigera pendant l'opération ; et ta sœur fixera l'attitude... - De par tous les foutus Dieux du christianisme, rien n'est bon comme cette manière de foutre, dit Rodin, dès qu'il en eut tâté ; mais nous pourrions faire mieux, ce me semble : mettons ma sœur et Marthe dans la même posture, cela doublera la somme de nos jouissances. Une heure entière nos paillards s'amusent à sonder ainsi ces quatre culs ; ils les tournaient avec une telle rapidité, qu'on les eût pris pour les ailes d'un moulin à vent. Ils en laissèrent le nom à cette attitude, que nous conseillons à tout libertin d'essayer. Ils s'en lassent enfin. Rien n'est inconstant comme la luxure ; avide de jouissances, elle s'imagine toujours que ce qu'elle conçoit vaut mieux que ce qu'elle quitte, et ce n'est jamais qu'au-delà des bornes qu'elle suppose la volupté. L'irritation de nos deux libertins devint telle, qu'on voyait des flammes sortir de leurs yeux ; leurs engins, collés sur le ventre, paraissaient menacer le ciel. Rodin, spécialement acharné sur Justine, semblait conjurer sa perte ; il la baisait, la pinçait, la claquait. Incroyable mélange de caresses et d'invectives, de délicatesse et d'horreur ! le coquin avait l'air de ne savoir qu'inventer pour fêter et dégrader tour à tour la divinité de sa luxure. Pudique de notre naturel, nous rougirions de dévoiler les obscénités où il se livra. - Eh bien ! dit-il enfin à Justine, tu vois, ma chère, qu'il y a pourtant toujours quelque chose à gagner avec les bougres ; ton honneur est intact : des libertins moins vertueux l'eussent impitoyablement flétri, nous le respectons. Ne crains point que Rombeau ni moi concevions seulement le désir d'y porter atteinte ; mais ce cul, ce beau cul. mon ange, il sera souvent perforé : il est si frais, si bien coupé, si joli... Et le coquin le branlait en disant cela, il le baisait, il y introduisait quelquefois son vit. Enfin, les grands coups se portèrent. Rodin saisit sa fille ; il lui lance des regards furieux ; l'arrêt de cette infortunée est écrit dans ses yeux barbares. - Oh ! mon père, s'écrie la malheureuse en pleurs, qu'ai-je donc fait pour mériter un tel sort ?... - Ce que tu as fait, dit Rodin, peux-tu le demander ? tes crimes ne sont-ils donc pas assez noirs ? tu as voulu connaître un Dieu, putain, comme s'il en devait exister d'autres pour toi que mes voluptés et mon vit. Et il le lui faisait baiser en disant cela ; il lui en frottait le visage, ainsi que de son derrière, duquel il semblait flétrir voluptueusement les roses de ce teint d'albâtre. Il la souffletait, il l'invectivait, en blasphémant comme un scélérat. Et Rombeau, voyant tout cela, se branlait sur les fesses de Justine, en encourageant son ami. Enfin, la pauvre fille de Rodin est assise sur un petit rond étroit, élevé de deux pieds, sur lequel porte sa croupe seule. Quatre cordes descendaient du plafond ; on y attache les membres de Rosalie dans le plus grand écartement possible. Rodin établit sa sœur entre les cuisses de la victime, et les fesses tournées vers lui. Marthe devait servir l'opération ; et Rombeau, bien en face, devait enculer Justine. L'infernal Rombeau, voyant que la tête de Rosalie penche et n'est soutenue par rien, imagine de l'appuyer sur ses fesses, de manière qu'à chaque coup de reins qu'il donnera en enculant Justine, il fasse rebondir cette tête sur son cul, comme une balle sur une raquette. Cette idée divertit infiniment le cruel Rodin, qui, pendant ce temps, apprête bien d'autres supplices à sa malheureuse fille. Le vilain encule sa sœur : il semble que ce ne soit qu'au sein de l'inceste et de la sodomie qu'il veuille arriver à l'infanticide. Marthe lui remet un scalpel, et il l'instrumente. On juge des cris de la victime. Mais les précautions sont prises de manière à ce qu'il n'en puisse rien résulter de fâcheux. Cependant Rombeau veut voir opérer son confrère ; il emporte sa fouteuse avec lui, et vient se placer tout près de l'opération. Le bas-ventre s'ouvre. Rodin, tout en foutant, taille, déchire, détache, et dépose dans une assiette, sous les yeux de son confrère et la matrice et l'hymen, et tout ce qui s'ensuit. Les scélérats déculent pour faire leurs opérations. Rosalie, languissante, lève des yeux éteints vers son père, et semble lui reprocher sa barbarie. Mais la voix de la pitié pénètre-t-elle dans une âme semblable ! Le féroce Rodin met son vit dans la blessure, il aime à s'inonder de sang. Rombeau l'excite. Marthe et Célestine éclatent de rire. La seule Justine ose donner des secours et des larmes à sa trop malheureuse amie. On lui reproche cette commisération ; on s'y oppose, on maltraite celle qui s'y livre. Rodin, pour la punir, l'oblige à sucer le vit tout barbouillé du sang de celle qu'elle pleure ; puis, la faisant contenir, la tête courbée sur la plaie, il la fustige en cet horrible état. On le fouette lui-même. Il n'y tient plus, tant de férocités l'entraînent ; il n'a que le temps de se replonger dans le cul de Justine, qu'on étend, par ses ordres, sur le chevalet de Rosalie, en telle sorte que da tête de celle-ci est entre les jambes de notre héroïne, et que la sienne est appuyée contre la plaie vaste et sanglante que son fer infanticide vient de faire. Il décharge ; Rombeau l'imite dans le cul de Célestine, en baisant les fesses de Marthe ; et nos deux scélérats épuisés retombent langoureusement sur des fauteuils. Cependant Rosalie vit encore. Justine ose prier pour elle. - Imbécile lui dit Rodin, tu vois bien qu'elle n'en peut revenir. - Oh, monsieur ! dit Justine égarée, peut-être qu'avec des soins... La malheureuse, que vous avait-elle fait ? - Rétablissons promptement dans nous l'irritation spermatique, dit Rombeau en maniant assez grossièrement des tétons de Marthe, car ces deux putains m'étourdissent, l'une par ses cris, l'autre par ses supplications. - Eh bien ! dit Rodin, buvons ces six bouteilles de champagne, et que Marthe et Célestine nous branlent, tout en les sablant. On opère. - Et que ferons-nous après ? dit Rombeau, que les secousses de Marthe et les rasades de champagne commencent à faire bander... - Ce que nous ferons ?... le voici, dit Rodin. Nous attacherons Justine sur le cadavre de son amie ; tu m'enculeras en la disséquant toute vive ; et moi, placé vers la bouche de ma fille, je recueillerai, branlé par ma sœur, les derniers soupirs de notre victime... - Non, dit Rombeau, il me vient une tout autre idée pour punir ta Justine. Le plaisir de tuer une femme est bientôt passé ; elle n'éprouve plus rien dès qu'elle est morte ; les délices de la faire souffrir disparaissent avec sa vie, il n'en reste plus que le souvenir. Faisons mieux, poursuit Rombeau, en mettant un fer au feu, punissons-la mille fois davantage que si nous lui dérobions la vie ; marquons-la, flétrissons-la ; cet avilissement, joint à toutes les mauvaises affaires qu'elle a sur le corps, la fera pendre, ou mourir de faim ; elle souffrira du moins jusqu'au dernier moment de sa vie ; et notre luxure, infiniment plus prolongée, en deviendra plus délicieuse : il dit ; Rodin s'empare de Justine ; et l'abominable Rombeau lui applique derrière l'épaule le fer ardent dont on marque les voleurs. - Qu'elle ose paraître à présent, dit ce monstre ; qu'elle l'essaie ; et, en montrant cette lettre ignominieuse, nous légitimerons suffisamment les raisons qui l'auront fait renvoyer avec tant de mystère et de promptitude. - Soit, dit Rodin ; mais il faut s'en rassasier avant : nous rebandons ; livrons-nous avec elle à quelques dernières horreurs. Une énorme poignée de verges tombe sous les mains du barbare. - Prends-la sur tes épaules, continue ce monstre, je vais la fouetter sur ton dos ; et de temps en temps je laisserai retomber les coups sur tes fesses ; que ma sœur te suce pendant ce temps-là ; Marthe me rendra les coups que je vous porterai à tous deux ; et le supplice de Justine finira par une enculade. On exécute. Rodin ne ménage pas ; et le sang qui coule des fesses de notre héroïne retombant en perles sur celles de Rombeau, lui cause un inexprimable chatouillement. - A mon tour, dit ce coquin-ci, mais je veux qu'en la prenant sur tes reins, elle y soit différemment postée. C'est son con que je veux flageller ; ce sont ses cuisses, son ventre, sa motte, toutes ces horribles attenances d'un devant que j'abhorre. - Oh ! double foutu dieu ! s'écrie Rodin, pourquoi cette idée ne m'est-elle pas venue ? je suis désespéré que tu l'aies plus tôt conçue que moi. Cette nouvelle lubricité s'exécute ; toutes les parties antérieures de notre héroïne sont cruellement lacérées ; le cul de Rodin l'est aussi. Marthe, en ce moment, lui suce le vit ; Justine est enfin placée sur un canapé ; et les deux amis, chacun fustigé l'un par Marthe, l'autre par Célestine, laissent au fond du cul de l'orpheline les dernières preuves de leur détestable luxure. Ici Rosalie, que ces scélérats avaient continué d'exposer à leurs regards pour s'exciter par cet affreux spectacle, tourne ses yeux mourants vers Justine, et rend l'âme. Les monstres l'entourent, ils l'observent encore d'un œil féroce, ils la touchent, ils la manient ; et le féroce Rodin plante avec volupté ses dents au milieu des chairs encore palpitantes du triste résultat de ses anciennes amours. Son cadavre est enfin jeté dans un trou du jardin, où reposaient sans doute bien d'autres victimes de la scélératesse de Rodin ; et Justine rhabillée est reconduite aux bords de la forêt, où on l'abandonne à son mauvais sort, en lui laissant entrevoir le danger d'une récrimination, si elle ose l'entreprendre dans le funeste état où elle se trouve. **** *creator_sade *book_sade_justine1799 *style_prose *date_1799 CHAPITRE VII SUITE DE LA MALHEUREUSE ÉTOILE DE JUSTINE - RECONNAISSANCE - COMMENT L'ÊTRE SUPRÊME LA DÉDOMMAGE DE SES PROJETS PIEUX Une autre créature que la tremblante Justine se fût très peu souciée de cette menace ; dès qu'il lui était possible de prouver que le traitement qu'elle venait de souffrir n'était l'ouvrage d'aucuns tribunaux, qu'avait-elle à craindre ? mais sa faiblesse, sa timidité naturelle, le poids de ses malheurs, tout l'étourdit, tout l'effraya ; elle ne pensa plus qu'à fuir. A cela près de cette marque flétrissante... de quelques vestiges de verges qui, grâce à la pureté de son sang disparurent bientôt... de quelques attaques sodomistes qui, dirigées par des membres ordinaires, ne la déformaient nullement ; à tout cela près, disons-nous, notre héroïne, âgée de dix-huit ans, lorsqu'elle sortit de chez Rodin, y ayant d'ailleurs été bien soignée, bien nourrie, n'avait encore rien perdu, ni de ses forces, ni de sa fraîcheur, elle entrait dans cet âge heureux où il semble que la nature fasse un dernier effort pour embellir celle que sa main destine aux plaisirs des hommes. Sa taille était mieux prononcée, ses cheveux plus épais, plus longs, sa peau plus fraîche, plus appétissante ; et sa gorge très ménagée par des gens peu friands de cette partie, avait acquis plus d'embonpoint et de rondeur. C'était donc une très belle fille que Justine, une créature bien capable d'allumer, chez des libertins, les plus violents désirs... les plus irréguliers... les plus lascifs. Ainsi, plus irritée, plus affligée, que physiquement maltraitée, Justine se mit en marche dès le même soir : mais, se guidant mal, et ne demandant rien, elle ne fit que tourner autour de Paris, et le quatrième jour de son voyage elle ne se trouvait encore qu'à Lieur-saint. Sachant que cette route pouvait la conduire vers les provinces méridionales, elle résolut de la suivre, et de gagner ainsi, comme elle le pourrait, ces pays éloignés, persuadée que le repos et la paix, qui lui étaient si cruellement refusés dans sa patrie, l'attendaient peut-être au bout de la France : fatale erreur ! Que de chagrins il lui restait à dévorer encore ! Quelles qu'eussent été ses peines, son innocence lui restait au moins jusque-là. Uniquement victime des attentats de deux ou trois libertins, elle pouvait (puisque jamais rien ne s'était passé de son gré) se ranger encore dans la classe des honnêtes filles ; elle n'avait rien à se reprocher ; son cœur était pur. Elle en devint trop glorieuse, et sa présomption fut punie. Elle avait toute sa fortune avec elle, c'est-à-dire près de 500 livres, somme résultative de ce qu'elle avait gagné chez Bressac et chez Rodin. Elle se félicitait d'avoir au moins pu conserver ces secours, et se flattait qu'avec de la frugalité, de la tempérance et de l'économie, cet argent lui suffirait au moins jusqu'à ce qu'elle fût en situation de pouvoir trouver quelque place. Sa terrible marque ne paraissait point ; elle imaginait pouvoir la déguiser toujours, et que cet accident ne l'empêcherait pas de gagner sa vie. Pleine d'espoir et de courage, elle poursuivit sa route jusqu'à Sens, où elle se reposa quelques jours. Peut-être aurait-elle trouvé quelque chose dans cette ville ; mais, pénétrée de la nécessité de s'éloigner, elle se remit en marche avec le dessein de chercher fortune en Dauphiné. Elle avait entendu beaucoup parler de ce pays, elle croyait y trouver le bonheur. Nous allons voir de quel genre était celui que le destin lui réservait. Sur le soir de la première journée, c'est-à-dire, à environ six ou sept lieues de Sens, Justine, s'étant écartée du chemin pour satisfaire à quelques besoins de la nature, ne put s'empêcher de s'asseoir un moment au bord d'un vaste étang, dont les entours lui parurent d'une fraîcheur délicieuse. La nuit commençait à étendre ses voiles sur le flambeau de l'univers ; et notre héroïne, sachant qu'il n'y avait qu'une très légère distance du lieu où elle était à celui où elle devait passer la nuit, ne se pressait pas d'interrompre les réflexions solitaires et douces que lui inspirait le site agreste où elle reposait, lorsqu'elle entendit tout à coup une masse assez volumineuse tomber dans l'eau, à dix pas d'elle. Elle tourne les yeux, et s'aperçoit que cette masse est élancée du milieu d'un buisson épais, au pied duquel flottent les eaux de l'étang, et que, par leur position respective, ni elle, ni l'agent de l'action qui venait d'être commise, ne pouvaient s'entrevoir. Son second mouvement se porte avec rapidité sur la masse tombée ; elle croit entendre des cris ; elle s'aperçoit que cette masse ne s'enfonce pas tout d'un coup, mais qu'elle est pourtant prête à disparaître. Ne doutant pas qu'une créature humaine ne fût renfermée dans l'espèce de panier qu'elle distingue, elle n'écoute que le premier mouvement de la nature. Sans prendre garde aux dangers qu'elle court, elle se précipite dans l'étang, est assez heureuse pour ne pas perdre pied, et pour saisir la manne flottante que le vent dirige de son côté. Elle revient sur ses pas, attirant après elle ce précieux fardeau ; elle se hâte de le développer : grand Dieu ! c'est un enfant... une charmante petite fille de dix-huit mois, nue, garrottée, que son bourreau, sans doute, croyait ensevelir avec son crime dans les eaux de cet étang. Justine se hâte de briser les liens ; elle fait respirer cet enfant, dont les petites mains timides s'élèvent vers sa bienfaitrice, comme pour la remercier de ses soins, et l'en récompenser par tout ce que la nature permet d'expression à sa reconnaissance. La sensible Justine embrasse cette charmante infortunée. - Pauvre petite, lui dit-elle, tu n'es venue au monde que comme la malheureuse Justine, pour en connaître les douleurs et jamais les plaisirs ! Peut-être la mort eût-elle été un bien pour toi ! je te rends peut-être un mauvais service, en te retirant du sein de l'oubli pour te replacer sur le théâtre du désespoir et des revers ! Eh bien ! je réparerai cette faute en ne t'abandonnant jamais ; nous cueillerons ensemble toutes les épines de la vie : foulées par toutes deux, elles nous paraîtront peut-être moins aiguës, et, devenues plus fortes par notre union, nous les émousserons avec moins de peine. Bonté du ciel, je te remercie du présent que tu me fais ; c'est un objet sacré sur lequel ma sensibilité s'exercera sans cesse. Assez heureuse pour lui avoir sauvé la vie, je prendrai soin de ses jours, de son éducation, de ses mœurs ; elle ne me quittera plus ; je travaillerai pour la nourrir : plus jeune que moi, elle me le rendra dans la vieillesse ; c'est une amie, c'est un secours que la main de l'Éternel m'envoie. Par quelles actions de grâces pourrai-je lui peindre toute ma reconnaissance ? - C'est moi qui vais m'en charger, putain, dit un homme à voix de Stentor, en saisissant la malheureuse Justine au collet, et la renversant sur le gazon ; oui, c'est moi qui vais te punir, pour t'apprendre à te mêler de ce qui ne te regarde pas : et l'inconnu, se remparant aussitôt de la petite fille, la rentre dans son panier, l'y attache, et la replonge au milieu des eaux... Le sort que vient d'éprouver cette enfant, tu le mériterais, garce, continue ce sauvage ; et je ne balancerai pas à te le faire ressentir, si je ne m'apercevais à ta tournure, qu'en te réservant à de plus cruels fléaux, tu me procureras peut-être de plus grands plaisirs. Suis-moi, sans dire un mot ; ce poignard que tu vois levé sur ton sein s'y plonge au premier mouvement qui t'échappe. Nous renonçons à peindre ici la surprise, la frayeur, tous les différents mouvements qui agitèrent l'âme de Justine. N'osant répondre, elle se lève en tremblant, et suit son bourreau. Après deux grandes heures de marche, on arrive enfin dans un château, situé au fond d'un large vallon, environné de hautes futaies, donnant à cette habitation l'air du monde le plus sombre et le plus sauvage. La porte de cette maison était tellement masquée par des massifs de bois et de charmilles, qu'il était impossible de la deviner. Ce fut là que Justine, guidée par le maître même du lieu, pénétra sur les dix heures du soir. Pendant que, placée tout de suite dans une chambre où on la verrouille avec soin, cette pauvre créature cherche à trouver un peu de repos au milieu des nouvelles horreurs qui l'environnent, développons ce qu'il faut qu'on sache de cette aventure, pour y prendre un peu d'intérêt. M. de Bandole, homme fort riche et jadis de robe, était le seigneur du château, dans lequel lui-même venait d'introduire Justine. Retiré du monde dès l'époque où il avait hérité de son père, Bandole, depuis plus de quinze ans, se livrait dans cette solitaire habitation, aux goûts bizarres qu'il avait reçus de la nature ; et certes, ces goûts, que nous allons peindre, effraieront sans doute nos lecteurs. Peu d'hommes avaient un tempérament plus vigoureux que Bandole ; quoiqu'âgé de quarante ans, il foutait encore régulièrement ses quatre coups par jour, et dans sa jeunesse il avait été jusqu'à dix. Grand, mince, d'un tempérament bilieux et sec, possédant un vit noir et mutin de neuf pouces de long sur six de tour, velu sur tout son corps comme un ours ; Bandole, tel que nous venons de l'esquisser, n'aimait les femmes que pour en jouir ; en était-il rassasié, il était impossible de les mépriser davantage. Ce qu'il y avait de très singulier, c'est qu'il ne s'en servait jamais que pour leur faire des enfants, et que jamais il ne manquait son coup ; mais, c'est l'usage qu'il faisait de ce fruit qui sans doute était plus extraordinaire encore : on l'élevait jusqu'à dix-huit mois ; les avait-il atteints, le funeste étang, où nous venons de le voir plonger un de ses fruits, devenait le cercueil universel de tous. Pour la satisfaction de cette bizarre manie, Bandole avait trente filles enfermées dans son château, de l'âge de dix-huit à vingt-cinq ans, et toutes de la plus grande beauté ; quatre vieilles femmes étaient chargées de la tenue de ce sérail ; une cuisinière et deux filles de cuisine achevaient de composer toute la maison de ce libertin. Grand ennemi du faste et de la somptuosité, absolument dans les principes d'Épicure, notre singulier personnage prétendait que, pour conserver longtemps sa vigueur, il fallait manger peu, ne boire que de l'eau, et que, pour qu'une femme devint promptement féconde, il fallait de même qu'elle ne prît qu'une nourriture saine et légère ; en conséquence, jamais Bandole ne faisait qu'un repas composé de quelques végétaux, et ses femmes deux, où jamais il n'était servi que des légumes et des fruits. Il est certain qu'avec ce régime Bandole jouissait de la meilleure santé, et ses femmes d'une étonnante fraîcheur ; elles pondaient comme des poules, et il n'y avait pas d'année que chacune d'elles ne lui donnât au moins un enfant. Voici d'ailleurs quels étaient les procédés de ce paillard : Dans un boudoir, préparé à cet effet, se trouvait une machine sur laquelle la femme, mollement étendue et vigoureusement garrottée, présentait à ce libertin le temple de Vénus au dernier degré d'écartement possible ; il enfilait, on ne bougeait pas : cette clause, d'après Bandole, était la plus essentielle à la consommation de l'acte ; et ce n'était que pour l'obtenir plus sûrement, qu'il exigeait des liens : trois ou quatre fois dans la journée la même femme était replacée sur la machine, ensuite tenue dans son lit neuf jours la tête basse et les pieds très haut. Soit que les moyens de Bandole fussent bons, soit que son sperme eût une véritable vertu prolifique ; toujours est-il certain qu'il n'en manquait guère : au bout de neuf mois l'enfant paraissait ; on le soignait pendant dix-huit ; on le noyait enfin. Et c'était (cette circonstance est digne de remarque), c'était toujours Bandole lui-même qui terminait cette opération, seul procédé dont il obtenait l'érection nécessaire à procréer de nouvelles victimes. A chaque couche on réformait celle des femmes qui venait de produire : en telle sorte qu'une sultane n'était jamais gardée qu'en cas de stérilité ; ce qui les plaçait nécessairement dans l'affreuse alternative, ou de passer là leur vie, ou de faire un enfant avec ce monstre. Et comme elles ignoraient d'ailleurs exactement ce qu'on faisait de leur progéniture, Bandole ne voyait aucune difficulté à leur rendre leur liberté entière ; on les ramenait dans le même lieu où elles avait été prises, avec mille écus de dédommagement. Mais notre homme, surpris cette fois par Justine, avec le projet de la soumettre à ses plaisirs ordinaires, n'avait pourtant, quelque quantité d'enfants qu'elle pût lui donner, nulle envie de lui rendre une liberté dont elle eût pu abuser pour la trahir. A l'égard des imprudences intérieures, comme ces femmes étaient toutes enfermées séparément, et qu'elles ne se communiquaient jamais entre elles, Justine, en subissant le même sort, se trouvait hors d'état de rien révéler. Il n'y avait de danger qu'à sa délivrance ; et Bandole était bien fermement résolu à ne la lui accorder jamais. Nous nous flattons, au reste, qu'on doit s'imaginer facilement que la manière de procéder à l'acte de jouissance, dans un tel homme, devait se ressentir un peu de la férocité de ses goûts : ne cherchant absolument que son unique satisfaction, de ses jours Bandole n'avait ressenti les feux de l'amour. Une des vieilles garrottait sur la machine celle qui devait passer ce jour-là ; on l'avertissait, il ouvrait la porte du cabinet, se branlait un moment en face du con, invectivait la femme, jurait, haletait, enconnait, poussait de très grands cris pendant la jouissance, et finissait par beugler comme un taureau à l'instant de l'éjaculation. Il sortait de là sans jeter seulement un regard sur la femme, et recommençait ainsi trois ou quatre fois dans les vingt-quatre heures, toujours avec la même. Le lendemain, une autre succédait, et ainsi de suite. Quant aux épisodes, ils se ressemblaient également : un grand flegme, une jouissance fort longue, des cris, des blasphèmes et du foutre ; c'était toujours la même chose. Voilà donc l'homme qui allait cueillir une rose... un peu flétrie, on s'en souvient, au moyen des cruelles tentatives de Saint-Florent ; mais bien rafraîchie, bien refermée par l'effet d'une aussi longue abstinence, ce qui sous plus d'un rapport, pouvait encore donner à cette jolie fleur toute la physionomie d'un pucelage. Bandole faisait grand cas de cette manière d'être dans une fille ; ses agents avaient pour principale consigne de les amener toujours vierges : on n'était point reçu sans cette clause. D'ailleurs, Bandole ne voyait absolument qui que ce fût. La vie la plus solitaire et la plus retirée était celle qui lui convenait. Quelques livres et des promenades, voilà les seules diversions par lesquelles il entrecoupait ses luxures. De l'esprit, un caractère ferme et prononcé, aucuns préjugés, point de religion, nuls principes, étonnamment despote au fond de son sérail, sans pudeur, sans humanité, préconisant ses vices ; tel était Bandole et son repaire ; tel était le tombeau que la main du ciel préparait à Justine, pour la récompenser d'avoir voulu sauver une des victimes de ce scélérat. Quinze jours entiers s'écoulèrent sans que notre malheureuse entendit parler de son persécuteur : une des vieilles lui apportait la nourriture de la maison ; Justine la questionnait, et celle-ci, répondant froidement : - Vous aurez bientôt l'honneur de voir monsieur ; vous serez instruite alors. - Mais, ma bonne, pourquoi suis-je ici ? - Pour les plaisirs de monsieur. - Oh ! juste ciel ! comment, il voudra me forcer à des choses... dont la seule idée me fait horreur ? - Vous ferez comme les autres, et vous ne serez pas plus à plaindre qu'elles. - Les autres ? Comment, il y en a d'autres ici ? - Assurément, vous n'êtes pas la seule ; allons, allons, du courage, de la patience : et la porte se refermait. Le seizième jour enfin, on avertit Justine de se tenir prête pour une cérémonie préalable, sur laquelle on ne l'avait nullement prévenue. Les portes s'ouvrent avec fracas ; Bandole, suivi d'une vieille, entre dans la chambre : Faites-moi voir le con, dit-il à la matrone ; et Justine sans pouvoir s'en défendre, est aussitôt saisie et troussée. - Ah ! ah ! dit Bandole avec négligence, n'est-ce pas celle qui doit mourir ici... celle qui s'est avisée de me surprendre ? - Oui, répond-on. - Puisque c'est ainsi, je n'ai pas besoin de grands ménagements avec elle... Le pucelage y est-il ? Alors la vieille, le nez affublé de lunettes, se courbe pour examiner. - Cela a été attaqué, dit-elle au bout d'un instant ; mais il y a de l'étroit, de la fraîcheur... il y a de quoi donner du plaisir. - Écartez... que je voie à mon tour, dit Bandole... et le vilain, agenouillé devant le con ouvert, y fourre à la fois ses doigts, son nez et sa langue. Tâtez-lui les reins, dit-il à la vieille en se relevant, et dites-moi si vous supposez que la ponte pourra se faire avec succès. - Oui, dit la vieille en palpant, le sujet est bien constitué ; je vous réponds d'un excellent produit dans neuf mois. - Oh ! ciel ! s'écria Justine, quand je serais une bête de somme, on ne m'analyserait pas avec plus de mépris ; et qu'ai-je donc fait, Monsieur, pour mériter l'outrage que vous me destinez ? où sont les titres de votre autorité sur moi ? - Les voilà, dit Bandole, en montrant son vit ; je bande et je veux foutre. - Cette affreuse logique des passions s'allie-t-elle à l'humanité ? - Et qu'est-ce que l'humanité, ma fille, je vous prie ? - La vertu qui vous assurera des secours si jamais vous devenez malheureux vous-même. - On ne l'est jamais avec cinq cent mille livres de rente, quand on y joint mes principes et ma santé. - On l'est toujours, quand on fait le malheur des autres. - Voilà une créature qui raisonne, dit Bandole, en remettant sa culotte ; le peu d'habitude où je suis d'en trouver de cette espèce, me fait désirer de jaser avec elle : retirez-vous, continua-t-il, en s'adressant à la vieille : et l'on s'assit de part et d'autre. - Où prends-tu, je te prie, mon enfant, poursuivit Bandole, qu'aussitôt que la nature m'a créé le plus fort, et par mon physique, et par mon moral, je n'aie pas reçu d'elle, avec ces premiers dons, le pouvoir de traiter mes inférieurs d'après les seules règles de ma volonté ? - Ces présents dont vous vous targuez, ne devraient être pour vous que des motifs de plus d'honorer la vertu et de soulager l'infortune ; vous en êtes indigne, dès que vous ne les employez pas à cet usage. - A mon tour, je dirai, chère fille, que cette manière de raisonner est loin de mon cœur. Pour que je puisse faire de ton existence le même cas que je fais de la mienne, il faudrait que je trouvasse dans cette existence étrangère, des relations qui s'enchaînassent à moi aussi intimement que mes goûts ou que mes passions... Cela est-il ? Je dis plus, cela peut-il être ? Ne pouvant donc envisager ton existence que comme absolument étrangère, ou, si tu l'aimes mieux, comme passive, l'estime que j'aurai pour toi ne pourra jamais être qque relative, ou, pour m'explquer plus clairement, qu'une estime proportionnée au degré d'utilité que je recevrai de toi ; or, cette utilité, du moment que je suis le plus fort, ne peut plus consister que dans les actes d'esclavage les mieux constatés de ta part. Alors seulement nous aurons tous deux parfaitement rempli les rôles pour lesquels nous a créés la nature ; moi, lorsque je t'assouplis à mes passions, de quelque genre ou de quelque nature que ce puisse être ; toi, lorsque tu en subis les effets. Tes définitions de l'humanité, Justine, ne sont le fruit que des sophismes du faible : l'humanité bien entendue ne consiste pas à donner tous ses soins aux autres ; mais à se conserver, soi, à se délecter aux dépens de qui que ce puisse être. Ne confondons jamais la civilisation avec l'humanité : celle-ci est fille de la nature ; scrutons-la sans préjugés, nous ne nous tromperons jamais sur sa voix : l'autre est l'ouvrage des hommes et, par conséquent, de toutes les passions et de tous les intérêts réunis. Jamais la nature ne nous inspire que ce qui peut lui plaire ou lui être utile : toutes les fois qu'en éprouvant un de ses désirs nous nous sentons arrêtés par quelque chose, soyons bien sûrs que la barrière est élevée par la main des hommes. Pourquoi respecterions-nous ce frein ? Si nous nous dégradons jusque-là, n'en accusons que la crainte ou que notre faiblesse ; ne nous en prenons jamais à notre raison... tout se franchit quand on l'écoute. Serait-il donc vraisemblable que la nature pût établir à la fois dans nous, et le désir d'une action quelconque, et la possibilité que cette action pût outrager celle qui nous en donne l'envie ? Rien d'aussi bizarre que mes goûts, tu le vois Justine : je n'aime point les femmes ; leur jouissance est la chose du monde la plus insipide pour moi ; mais le plaisir de les engrosser, et de flétrir après le fruit que j'ai fait germer dans leurs seins, est une action délicieuse ; il n'en serait point, sans doute, qui me rendît plus coupable aux yeux de mes semblables : eh bien, sera-ce une raison pour moi de m'en corriger ? Non, sans doute : et que m'importe l'estime ou l'opinion des hommes, de quel poids peuvent être ces chimères, près de mes goûts ou de mes passions ? Ce que je perds avec eux. et le résultat de leur égoïsme ; ce que je leur préfère, sont les plus douces jouissances de la vie. - Les plus douces, monsieur ! - Oui, les plus douces, Justine ; elles ne sont jamais plus délicieuses, que quand elles s'écartent le plus des usages reçus et des mœurs habituelles ; ce n'est qu'à la destruction de toutes ces digues, que consiste la plus suprême volupté. - Mais, monsieur, elles deviennent des crimes. - Mot vide de sens ma chère ; il n'y a point de crime dans la nature : les hommes y croient, cela est tout simple, ils ont dû caractériser de délit tout ce qui troublait leur tranquillité : ainsi l'ouvrage qu'un homme se permet sur un autre, peut véritablement exister individuellement parlant... jamais aux yeux de la nature... Et ici Bandole répéta, avec quelques expressions différentes, tout ce que Rodin avait dit sur le néant du délit de l'infanticide ; il lui prouva, pour le moins avec autant d'énergie, qu'il n'y avait aucune espèce de mal à disposer du fruit qu'on avait planté, et que nous n'avions sur aucune propriété des droits mieux fondés que sur celle-là. - L'intention de la nature est remplie, dès que la femme est enceinte, poursuivit Bandole ; mais il lui est égal que le fruit mûrisse où qu'il soit cueilli dans sa verdeur. - Oh ! monsieur, vous ne tirerez jamais de justes comparaisons de la chose inanimée à l'être possédant une âme. - Une âme ? dit Bandole, en éclatant de rire ; ah ! dis-moi, je t'en prie, ma chère, ce que tu entends par cette expression. - Elle me donne l'idée du principe vivifiant et éternel, sublime et grande émanation de la Divinité, qui nous rapproche d'elle, qui nous unit à elle, et qui, par la perfection de son essence, nous distingue de tous les animaux. Et ici Bandole, ayant éclaté de rire une seconde fois, dit à Justine : - Écoute, mon enfant ; je m'aperçois que tu as quelque mérite, et je veux bien consentir à t'éclairer, un peu d'attention, et suis-moi. Il n'est rien d'aussi absurde, sans doute, que le système des gens qui s'acharnent à dire que l'âme est une substance différente du corps ; leur erreur vient de l'orgueil qu'ils mettent à supposer que cet organe intérieur a le pouvoir de tirer des idées de son propre fonds. Séduits par cette première illusion, quelques-uns d'entre eux ont porté l'extravagance au point de croire que nous apportons en naissant des idées innées. D'après cette ridicule hypothèse, ils ont fait de la partie qu'ils ont nommée ÂME une substance isolée, et lui ont accordé le droit imaginaire de penser abstractivement de la matière dont elle émane uniquement. Ces opinions monstrueuses ne se justifiaient qu'en disant que les idées sont les seuls objets de la pensée, comme s'il n'était pas prouvé qu'elles ne peuvent nous venir que des objets extérieurs, qui, en agissant sur nos sens, ont modifié notre cerveau. Chaque idée sans doute est un effet ; mais, quelque difficile qu'il soit de remonter à sa cause, pouvons-nous supposer qu'elle ne soit pas due à une cause ? Si nous ne pouvons acquérir d'idées que par des substances matérielles, comment pouvons-nous supposer que la cause de nos idées puisse être immatérielle ? Oser soutenir que nous pouvons avoir des idées sans les sens, serait aussi absurde que de dire qu'un aveugle de naissance pourrait avoir une idée des couleurs. Eh ! non, Justine, non ; ne croyons pas que notre âme puisse agir d'elle-même ou sans cause, dans aucun des instants de notre vie : absolument liée aux éléments matériels qui composent notre existence, entièrement dépendante d'eux, toujours soumise aux impressions des êtres qui agissent en nous nécessairement, et d'après leurs propriétés, les mouvements secrets de ce principe, vulgairement appelé ÂME, sont dus à des causes cachées au-dedans de nous-mêmes. Nous croyons que cette âme se meut, parce que nous ne voyons pas les ressorts qui la remuent, ou parce que nous supposons ces mobiles incapables de produire les effets que nous admirons. La source de nos erreurs vient de ce que nous regardons notre corps comme de la matière brute et inerte, tandis que ce corps est une machine sensible, qui a nécessairement la conscience momentanée de l'impression qu'il reçoit, et la conscience du moi par le souvenir des impressions successivement éprouvées. Retiens-le, Justine : ce n'est jamais que par nos sens que les êtres nous sont connus, ou produisent des idées en nous ; ce n'est qu'en conséquence des mouvements imprimés à notre corps que notre cerveau se modifie ou que notre âme pense, veut et agit. Notre esprit pourrait-il donc s'exercer sur autre chose que ce qu'il connaît ? et peut-il connaître autre chose que ce qu'il a senti ? Tout nous prouve, de la manière la plus convaincante, que l'âme agit et se meut d'après les mêmes lois que celles des autres êtres de la nature : qu'elle ne peut être distinguée du corps ; qu'elle naît, s'accroît, se modifie dans les mêmes progressions que lui et que, par conséquent, elle périt avec lui. Toujours dépendante du corps, vous la voyez passer par les mêmes gradations : inepte dans l'enfance, vigoureuse dans l'âge mûr, glacée dans la vieillesse, sa raison ou son délire, ses vertus ou ses vices, ne sont jamais que le résultat des objets extérieurs et de leurs effets sur les organes matériels. Comment, avec d'aussi fortes preuves de l'identité de l'âme avec le corps, a-t-on jamais pu s'imaginer que cette portion d'un même individu jouissait de l'immortalité, pendant que l'autre périssait. Les imbéciles, après avoir fait de cette âme qu'ils fabriquaient à leur guise un être simple, inétendu, dépourvu de parties, absolument différent, en un mot, de tout ce que nous connaissons, prétendirent qu'elle n'était point sujette aux lois que nous trouvons dans tous les êtres dont l'expérience nous montre la décomposition perpétuelle ; ils partirent de ces faux principes pour se persuader que le monde avait aussi une âme spirituelle, universelle, et ils donnèrent le nom de Dieu à cette nouvelle chimère dont celle de leur corps devenait une émanation. De là, les religions, et toutes les fables absurdes qui en découlèrent, tous les systèmes gigantesques et fabuleux qui devaient nécessairement résulter de cette première extravagance : de là, les idées romanesques de peines, des récompenses après cette vie : absurdité la plus révoltante de toutes ; car, si l'âme humaine était une émanation de l'âme universelle, c'est-à-dire, du Dieu de l'univers ; comment pouvait-elle mériter ou démériter ? comment, perpétuellement enchaînée à l'être dont elle émanait, pouvait-elle être libre ? et, d'après cela punie ou récompensée comme telle ? Que les sectateurs de l'imbécile système de l'immortalité de l'âme n'aillent pas nous donner son universalité pour preuve de sa réalité. Rien n'est aussi simple que la prodigieuse étendue de cette opinion : elle contient le fort, elle console le faible ; en fallait-il plus pour la propager ? Partout les hommes se ressemblent, et partout avec les mêmes faiblesses ils doivent avoir les mêmes erreurs. La nature ayant inspiré à tous les hommes le plus vif amour pour leur existence, l'éternité de cette existence devient un désir nécessaire ; ce désir se convertit bien en certitude, et plus promptement encore en dogme. Il était facile de présumer que des hommes ainsi disposés devaient écouter avidement tout ce que leur annonçait ce système. Mais le désir d'une chimère peut-il jamais devenir la preuve incontestable de la réalité de cette chimère ? Nous désirons de même la vie éternelle des corps ; et, cependant, ce désir est frustré : pourquoi celui de la vie de notre âme ne le serait-il pas de même ? Les réflexions les plus simples sur la nature de cette âme devraient nous convaincre que l'idée de son immortalité n'est qu'une illusion. Qu'est-ce, en effet, que cette âme, sinon le principe de la sensibilité ? qu'est-ce que penser, jouir, souffrir, sinon sentir ? qu'est-ce que la vie, sinon l'assemblage de ces différents mouvements propres à être organisés ? Ainsi dès que le corps cesse de vivre, la sensibilité ne peut plus s'exercer ; il ne peut plus y avoir d'idées, ni, par conséquent, de pensées : les idées ne peuvent donc nous venir que des sens ; or, comment veut-on qu'une fois privés de ces sens, nous ayons encore des idées ? Puisqu'on fait de l'âme un être séparé du corps animal, pourquoi n'a-t-on pas fait de la vie un être distingué du corps vivant ? la vie est la somme des mouvements de tout le corps ; le sentiment et la pensée font une partie de ces mouvements : ainsi dans l'homme mort ces mouvements cesseront comme tous les autres. Et par quel raisonnement, en effet, prétendrait-on nous prouver que cette âme, qui ne peut sentir, penser, vouloir, agir, qu'à l'aide de ses organes puisse avoir de la douleur ou du plaisir, ou même avoir la conscience de son existence, lorsque les organes qui l'en avertissaient seront décomposés ? N'est-il pas évident que l'âme dépend de l'arrangement des parties du corps, et de l'ordre suivant lequel ces parties concourent à faire leurs fonctions ? Ainsi, la structure organique une fois détruite, nous ne pouvons douter que l'âme ne le soit aussi. Ne voyons-nous pas, durant tout le cours de notre vie, que cette âme est altérée, dérangée, troublée par tous les changements qu'éprouvent nos organes ? et l'on a l'extravagance d'imaginer qu'il faut que cette âme agisse, pense, subsiste, lorsque ces mêmes organes auront entièrement disparu ! quelle absurdité ! L'être organisé peut se comparer à une horloge qui, brisée une fois, n'est plus propre aux usages auxquels elle était destinée. Dire que l'âme sentira, pensera, jouira, souffrira après la mort du corps, c'est prétendre qu'une horloge, cassée en mille pièces, peut continuer à marquer les heures. Ceux qui nous disent que notre âme peut subsister, nonobstant la destruction du corps, soutiennent évidemment que la modification d'un corps pourra se conserver, après que le sujet en aura été détruit. Ô mon enfant ! persuade-toi donc bien qu'après ta mort tes yeux ne verront plus, tes oreilles n'entendront plus ; du fond de ton cercueil, tu ne seras plus le témoin de ces scènes que ton imagination te représente aujourd'hui sous des couleurs si noires ; tu ne prendras plus de part à ce qui se passera dans le monde ; tu ne seras pas plus occupée de ce qu'on fera de tes cendres, que tu ne pouvais l'être, la veille de ta naissance, de la sorte d'organes que tu allais recevoir de la nature. Mourir, c'est cesser de penser, de sentir, de jouir, de souffrir : tes idées périront avec toi ; tes peines et tes plaisirs ne te suivront point dans la tombe : envisage donc la mort d'un œil paisible, non pour alimenter tes craintes et ta mélancolie, mais pour t'accoutumer à la voir d'un œil calme, et pour te rassurer contre les fausses terreurs que les ennemis de ton repos travaillent à t'inspirer. - Oh ! monsieur, dit Justine, combien ces idées sont tristes ! celles que j'ai reçues dans mon éducation ne sont-elles pas plus consolantes ? - Mais la philosophie, Justine, n'est point l'art de consoler les faibles ; elle n'a d'autre but que de donner de la justesse à l'esprit, et d'en déraciner les préjugés. Je ne suis point consolant, moi, Justine ; je suis vrai. Si j'avais envie de te consoler, je te dirais, par exemple, qu'ainsi qu'aux autres femmes de mon sérail, les portes te seront ouvertes aussitôt que tu m'auras fait un enfant. Je ne te le dis pas, parce que je ne veux point te tromper ; tu tiens mon secret, ce malheur-là t'assure une éternelle captivité. Regarde-toi donc ma chère, comme déjà dans le cercueil que je te peignais tout à l'heure ; tu ne reverras jamais le seuil de la porte par laquelle tu es entrée. - Oh ! monsieur. - Justine, je bande, descendons ; c'est assez raisonner ; je veux foutre. La vieille est rappelée ; Justine conduite au cabinet destiné à ces sortes de sacrifices, on garrotte notre malheureuse fille sur le siège banal, et la matrone se retire. - Méprisable créature ! dit alors le vieux faune avec brutalité, vous voyez ce qu'on gagne à vouloir faire une bonne action ; j'ai toujours vu que la vertu s'enveloppait dans ses propres pièges, et qu'elle était sans cesse la dupe du vice. Vous n'aviez qu'à laisser noyer cet enfant je n'aurais seulement pas pris garde à vous. - Oh ! monsieur... moi laisser commettre un crime aussi épouvantable ! -Tais-toi, putain : je te l'ai déjà démontré ; y a-t-il quelque chose dont nous soyons plus maîtres que du morceau de foutre que nous avons pétri ? Allons coquine, donne-m'en un, et je l'expédierai devant toi. - Au nom du ciel, monsieur, faites-moi grâce ; aussitôt que votre passion sera satisfaite, je ne serai plus pour vous d'aucune utilité ; vous me mépriserez, vous m'abandonnerez ; et, si vous vouliez m'employer à autre chose dans votre maison, je serais bien sûre de pouvoir vous y rendre de bien grands services. - Et quels services ? disait Bandole, tout en palpant avec grossièreté la motte et le sein de Justine. Une garce comme vous n'est bonne qu'à être foutue ; et c'est à cet unique objet que je vais vous employer : la seule différence que je ferai de vous aux autres, sera de vous maltraiter infiniment davantage, parce que les autres sortent, et que vous êtes ici pour votre vie ; et Bandole, suffisamment échauffé, se met à l'ouvrage. Mais Bandole, comme tous les philosophes... comme tous les gens d'esprit, avait des manies préliminaires. Celle d'un homme qui aime le con, est de le baiser : notre libertin faisait plus ; il le suçait, il mordait le clitoris, et se divertissait infiniment à épiler une motte avec ses dents. Ces préludes acquéraient plus ou moins de violence, en raison de la fraîcheur ou de la beauté de l'objet offert ; et comme Bandole n'en recevait pas souvent d'aussi joli que Justine, il se livra. Le pauvre petit con de notre infortunée fut vigoureusement mordu ; ses belles cuisses reçurent aussi l'empreinte des dents de ce libertin, qui, bien décidé à l'opération, allait y procéder enfin tout de bon, lorsqu'on vint lui annoncer précipitamment qu'une des femmes du sérail allait enfanter. C'était l'usage : dès que la ponte avait lieu, on avertissait le sultan, qui, dans pareil cas, se conduisait de manière que nous allons détailler. - Vous auriez bien pu attendre un instant, dit-il d'abord à la vieille qui l'interrompait, j'allais foutre... N'importe : vos ordres sont de m'avertir ; vous les exécutez, je n'ai rien à dire. Détachez cette fille, elle me suivra ; destinée à vous remplacer un jour, je veux qu'elle apprenne à me servir. Justine, la vieille et Bandole se transportent donc dans la cellule de celle qui était sur le point d'accoucher. C'était une jeune fille de dix-neuf ans, belle comme le jour, déjà dans les crises de la première douleur. Bandole et la vieille la saisissent, la placent sur une machine différente de celle où on les attachait pour être foutues, mais pour le moins aussi incommode. Là, la victime, étendue sur une planche en bascule, avait le chef et les pieds fort bas ; ses reins seuls étaient élevés : son accouchement ainsi ne pouvait être que très périlleux ; et cette circonstance n'était pas une de celles qui flattaient le moins notre libertin. A peine cette belle fille fut-elle assise sur ce lit de misère, qu'elle commença à jeter les hauts cris. - Ah ! dit Bandole en la palpant, l'accouchement sera difficile, je le vois ; je suis bien aise, Justine, de cette occasion pour te faire admirer mon adresse. Afin de s'assurer encore mieux de l'état de la patiente, il lui enfonce un doigt dans la matrice : - Cela est certain, elle souffrira, dit-il avec joie ; c'est par les pieds que veut se dégager l'enfant ; nous serons obligés d'avoir recours à des moyens terribles. Puis, au bout d'un instant, voyant que les mêmes symptômes se prolongent... - Allons, poursuit-il, il n'y a plus d'autre moyen ; il faut que la mère périsse, si je veux sauver l'enfant ; et comme celui-ci peut encore me donner un très grand plaisir, et que l'autre ne me sert plus à rien, je serais un fou de balancer... Et la malheureuse entendait son arrêt ; le brutal ne prenait aucune précaution pour lui en déguiser l'horreur. - Je n'ai plus de ressources que dans l'opération césarienne, continua-t-il, et j'y vais procéder. Il développe, prépare tous ses instruments, et se met en devoir d'inciser le flanc : l'ouverture faite, il veut saisir l'enfant, il y parvient ; la mère expire ; mais l'embryon n'arrive qu'en morceaux. - Certes, monsieur, dit la vieille, vous avez fait là une belle opération. - Elle est manquée, dit Bandole, c'est ta faute ; pourquoi diable viens-tu me chercher quand je bande ; tu sais bien que je ne puis rien faire quand je suis aveuglé par le foutre ; en voilà la preuve. N'importe : branle-moi, Justine... oui, dirige les flots de mon sperme sur les restes sanglants de ces victimes. Justine, effrayée... couverte de pleurs, obéit en tremblant : en deux secousses la bombe éclate ; il semblait que le paillard n'eût jamais été plus délicieusement chatouillé ; et la mère et l'enfant sont inondés des preuves parlantes de sa vigueur. Le calme renaît ; il se retire. - Qu'on enterre tout cela, dit-il à la vieille, et qu'on me mette cette fille-là en lieu sûr ; plus elle sait mes secrets, plus je la crains ; je n'ai plus de ménagements à garder avec elle ; c'est donc dans les prisons que je veux qu'elle soit mise : et l'ordre est exécuté. Ces prisons étaient des tourelles élevées où l'air était fort pur, mais où l'on était grillé de toutes parts, et desquelles il était impossible de s'évader. Verrouillée là, et abandonnée à elle-même, la sensible Justine commença à former quelques réflexions sur son sort. - Ô Dieu ! s'écria-t-elle, pourquoi donc faut-il que je sois aussi cruellement maltraitée, quand je n'ai eu d'autre sort que celui de m'être opposée à un crime ! que d'exemples, quoique bien jeune encore, je reçois de cette funeste fatalité de mon étoile ! Un instant d'abrutissement succéda. Justine était immobile ; à peine respirait-elle ; on eût dit que toutes les facultés de sa cruelle existence étaient enchaînées par la douleur : quelques larmes involontaires coulaient de ses beaux yeux ; et une violente palpitation de cœur devenait la seule preuve de ses liens à la vie. Plusieurs jours se passèrent ainsi, sans que cette malheureuse reçut aucune consolation, sans que qui que ce fût pénétrât dans sa chambre, que les vieilles chargées de la nourrir. Enfin, Bandole reparut un soir. - Mon enfant, dit-il à cette infortunée, je viens te prévenir que c'est après-demain, sans faute, que je t'accorde les honneurs de ma couche... et sur un mouvement affreux de Justine : Quoi ! cette nouvelle ne te comble pas de plaisir ? - Elle me fait horreur. Oh ! monsieur, croyez-vous que des femmes puissent vous aimer ? - M'aimer ! répondit Bandole, je serais au désespoir qu'une femme s'en avisât : l'homme qui veut jouir délicieusement ne recherchera jamais le cœur d'une femme ; avec de tels procédés, on ne deviendrait que son esclave et, par conséquent, très malheureux. Une femme n'est vraiment délicieuse à foutre que quand elle vous déteste cordialement ; et l'homme qui voudra connaître tout le piquant d'une jouissance, ne doit rien négliger pour imprimer à la femme qu'il fout le plus de motifs de haine qu'il lui sera possible. Crois-tu que les Asiatiques, si experts en volupté, ne savent pas bien ce qu'ils font, quand ils enferment leurs femmes ? N'imagine pas, Justine, que la jalousie influence en rien leur manière d'agir à cet égard. Serait-il présumable qu'un homme qui a cinq ou six femmes puisse les aimer toutes, au point d'en être jaloux ? ce n'est point pour cela qu'il les enferme : le seul motif qui le détermine à cette clôture, est qu'il y gagne par là le moyen de les vexer plus à l'aise ; désir qui naît en lui de la certitude où il est qu'une femme aigrie, tourmentée, qu'une femme qui déteste l'homme qui doit avoir affaire à elle, devient nécessairement pour lui la plus délicieuse des jouissances. - Il y a bien peu de délicatesse à cela. - Et que fait la délicatesse en amour ? Ajoute-t-elle un chatouillement de plus au plaisir ? Non, sans doute : au contraire, elle en diminue les sensations, en contraignant l'homme à des sacrifices matériels en faveur du moral ; sacrifices toujours faits aux dépens de la volupté. La délicatesse est la chimère de l'amour ; la jouissance en est l'élément. Tous les amants délicats sont de mauvais fouteurs, Justine ; ils croient dédommager une femme en belles paroles, de ce dont ils la privent en effet. Pour moi, je l'avoue, si j'étais de votre sexe, j'aimerais mieux être molestée et bien foutue, que de m'entendre dire tous les jours des choses délicieuses par un bande-à-l'aise1. Allons, Justine, prends ton parti ; le rôle du plus faible est de céder : si les circonstances viennent à changer, peut-être deviendras-tu la maîtresse à ton tour ; alors je t'obéirai. Bandole sortit, et laissa la pauvre Justine dans l'attente du plus affreux outrage que sa pudeur pût redouter. Elle y réfléchissait, appuyée sur sa fenêtre, ne pouvant se déterminer à se mettre au lit, lorsqu'elle crut entendre du bruit dans les broussailles qui environnaient sa tour ; elle écoute. - Ouvrez, lui crie-t-on, et n'ayez pas peur ; on a des choses importantes à vous dire. Justine avance la tête, elle prête l'oreille ; tout ce qui ressemble au soulagement est si précieux dans la cruelle situation où elle est ! on lui répète les mêmes choses. Dieu ! qu'elle est sa surprise en reconnaissant la voix de Cœur-de-Fer, ce célèbre capitaine de voleurs, avec lequel elle était sortie de la conciergerie. - Malheureux, lui dit-elle, que cherchez-vous dans les abords de cette affreuse maison ? - Nous venons en arracher une femme qui nous intéresse ; c'est notre unique but : Bandole est un scélérat comme nous ; d'après cela, ses goûts, ses propriétés, ses plaisirs, tout sera respecté ; mais il nous faut la femme que ses émissaires nous ravirent il y a un mois, et il nous la faut pour l'immoler, parce qu'elle nous a trahi de la plus cruelle façon. - Hélas ! monsieur, dit Justine, n'ai-je pas à peu près les mêmes reproches à me faire ? et quand je serai dans vos mains, ne me devrez-vous pas autant de rigueur ? - Ne le crains pas, dit Cœur-de-Fer ; fais-nous avoir celle qu'il nous faut, et nous te jurons sûreté, protection et secours. - Oh ! juste ciel ! vous voulez que je vous livre une infortunée pour lui donner la mort ! - Elle la recevra de même où elle est. - Non, elles sortent quand il en est las. - Eh bien si tu ne nous sers point, nous pénétrerons de même, et tu deviendras notre première victime. - Allons, dit Justine, qui vit bien qu'en se tirant du péril où elle était, elle parviendrait toujours (qu'on lui tînt parole ou non) à s'échapper des nouveaux pièges qui lui seraient tendus, et que, quant à la femme que sa démarche allait livrer, elle ferait tant qu'elle en obtiendrait la grâce, allons, me voilà prête à vous servir ; fournissez-m'en les moyens, et j'espère que nous réussirons. - Avez-vous une corde ? - Non. - Coupez vos draps, formez-en une bande, et descendez-nous-la. Justine exécute. - Tirez, lui dit-on. Une lime et une échelle de soie étaient au bout de la corde : un billet s'y présente ; elle y lit ces mots : « Servez-vous de cette lime pour couper vos barreaux ; attachez l'échelle que voici à ceux qui resteront ; coulez-vous ensuite demain, sans crainte, entre deux ou trois heures du matin, nous y serons. Vous nous montrerez la porte de cette maison magique ; vous recevrez de nous une récompense, et la permission d'aller où vous voudrez, sans ressouvenir ni rancune. » Justine voulut encore faire quelques observations ; on n'y était plus. Ses réflexions furent bientôt faites ; nous venons de dire ce qui les appuyait. Entièrement décidée, elle lime ses barreaux attache son échelle, et attend l'heure prescrite avec un incroyable empressement ; une pendule la lui fait entendre. Justine monte sur sa fenêtre, et se laisse légèrement glisser le long de l'échelle ; souple, légère et adroite, elle est bientôt aux pieds de la tour. - Oh ! Justine, reconnais-moi, lui dit Cœur-de-Fer, en la serrant dans ses bras... reconnais un homme qui n'a jamais cessé de t'adorer, et que tu as traité bien durement... Délicieuse créature ! comme te voilà grande et belle maintenant ! Eh bien, seras-tu toujours aussi cruelle ? - Oh ! monsieur, pressons-nous ; le jour va paraître, et nous serions perdus, si l'on nous apercevait ici... - Mais pourras-tu retrouver cette porte ? - Oui, si vous jurez une chose. - Et quoi ? - La vie de la malheureuse que vous voulez immoler, et ma liberté sitôt que vous aurez touché le seuil de cette porte. - Ta liberté est sûre, dit le voleur, mais le premier point est impossible. - Ah ! dans quel cruel embarras vous me mettez ! Pourquoi suis-je descendue ? - Le jour va paraître, Justine, tu l'observais toi-même tout à l'heure ; il ne faut donc pas perdre une minute... Et Justine, tremblante, avança. - Voilà un peuplier qui me guide, dit-elle, je passai dessous pour entrer ; la porte en doit être voisine. Cœur-de-Fer et ses gens saisissent cette indication, et aperçoivent enfin une porte... Ils y conduisent Justine. - Est-ce là ? lui demandent-ils. - Une petite porte verte ? - Oui, la voilà. - Oh ! monsieur, renvoyez-moi maintenant. - Cela doit être, dit Cœur-de-Fer ; nous te tiendrons la parole que nous t'avons donnée ; voilà dix louis ; embrasse-moi, chère fille. Je pourrais exiger de toi des faveurs... si longtemps attendues... je pourrais te punir d'une grande faute commise envers la troupe ; mais cette faute, bien inférieure à celle dont nous allons nous venger, dans l'instant, a son excuse dans ta vertu ; l'intérêt seul fut le motif de l'autre. Tout brigands que nous sommes, ces profondes considérations établissent de grandes différences dans le traitement. Pars, Justine ; mais ta compagne va être immolée... Adieu ; tâche de devenir plus heureuse que tu ne me parais l'avoir été jusqu'à ce moment-ci, et souviens-toi que tu auras toujours des amis dans Cœur-de-Fer et dans sa troupe. - Eh bien, dit Justine en s'éloignant, voilà-t-il encore un caprice du ciel bien inexplicable ? Je veux sauver un enfant de la rage d'un monstre, ce scélérat m'enferme et veut me violer. Je livre une de mes compagnes à la fureur d'un autre anthropophage... cette détestable action... cette trahison abhorrée... qui me couvrira de remords toute ma vie, me vaut la liberté, de l'argent, et la fin de mes craintes. Justice divine, manifeste-toi donc à mes yeux d'une manière moins incompréhensible, ou je vais tomber dans des doutes qui t'outrageront peut-être ; et la malheureuse s'éloigne. Le jour luit ; elle se reconnaît, elle voit le funeste étang, et près de là l'hospice où elle devait aller reposer trois mois auparavant ; elle s'y arrête, elle y déjeune, et reprend la route d'Auxerre, dont elle repart le 7 août, toujours dans la ferme résolution de gagner le Dauphiné, où son imagination romanesque lui faisait constamment espérer le bonheur. Elle avait fait environ deux lieues ; la chaleur commençait à l'incommoder, elle monte sur une petite éminence couverte d'un bouquet de bois peu éloigné de la route, avec le dessein de s'y rafraîchir et d'y sommeiller une couple d'heures, à moins de frais que dans une auberge, et plus en sûreté qu'au bord du grand chemin ; elle s'établit au pied d'un chêne, et, après un déjeuner frugal, elle se livre aux douceurs du sommeil. L'infortunée en avait joui avec assez de calme, lorsque ses yeux se rouvrant à la lumière, elle se plut à considérer le paysage agréable qui se dessinait devant elle : du milieu d'une forêt qui s'étendait vers la droite, elle crut apercevoir, dans le lointain, un petit clocher s'élever modestement vers les nues. Aimable solitude, se dit-elle, que ton séjour me fait envie, tu dois être la demeure de quelques douces et vertueuses recluses qui ne s'occupent que de Dieu... que de leurs devoirs ; ou peut-être, ô solitude heureuse ! tu sers d'asile à quelques saints ermites, uniquement consacrés à la religion, éloignés de cette société pernicieuse où le crime, veillant sans cesse autour de l'innocence, la dégrade et l'anéantit. Ah ! toutes les vertus doivent habiter là, j'en suis sûre ; et quand la perversité de l'homme les exile de dessus la terre, c'est là, c'est dans cette retraite paisible qu'elles vont s'ensevelir au sein des êtres fortunés qui les chérissent et qui les cultivent chaque jour. Cette vue échauffait d'autant plus vivement l'imagination de Justine, que les sentiments de la plus ardente piété ne l'avaient abandonnée dans aucune circonstance de sa vie : méprisant les sophismes d'une fausse philosophie ; les croyant tous émanés du libertinage, bien plus que d'une intime persuasion ; elle leur opposait sa conscience et son cœur, et trouvait, au moyen de l'un et de l'autre, tout ce qu'il fallait pour y répondre. Souvent contrainte par ses malheurs de négliger les devoirs de sa religion, elle réparait ce tort avec empressement dès qu'elle en avait les moyens. Pleine des idées que nous venons de lui voir, elle interroge, sur l'habitation qui s'offre à elle, une jeune fille de seize à dix-sept ans, qu'elle aperçoit gardant des moutons ; elle lui demande quel est ce couvent. - C'est une abbaye de bénédictins, lui répond la bergère, occupée par six religieux dont rien n'égale la piété, la continence et les mœurs : on y va, poursuit la jeune fille, une fois par an en pèlerinage, près d'une vierge miraculeuse dont les gens pieux obtiennent tout ce qu'ils veulent ; allez-y, mademoiselle, allez-y, vous n'en reviendrez pas sans vous sentir meilleure. Singulièrement émue de cette réponse, Justine conçoit aussitôt le désir le plus véhément d'aller implorer quelque secours aux pieds de cette sainte mère de Dieu. Je la verrai, s'écrie-t-elle avec componction, je l'adorerai celle à qui l'Être suprême accorda la grâce d'enfanter un Dieu ; je me prosternerai aux pieds de cette source de pureté, de virginité, de candeur et de modestie. Ah ! volons ; chaque instant de retard est un crime dont ma religion s'effarouche. Justine voulait que son institutrice la suivit ; elle l'en prie, lui offre même de l'argent, mais sans rien obtenir : la jeune fille objecte des occupations qui lui laissent à peine le temps de vaquer à ses devoirs. - Eh bien ! dit Justine, j'irai donc seule ; indiquez-moi la route. On la lui montre ; on l'assure qu'elle a plus de temps qu'il ne lui en faut pour arriver de bonne heure ; on lui certifie que le supérieur de cette maison, le plus respectable et le plus saint des hommes, la recevra parfaitement bien, qu'il lui donnera tous les secours qui lui seront nécessaires. Il se nomme Dom Sévérino, ajoute-t-on, il est italien ; proche parent du pape, qui le comble de bienfaits ; il est doux, honnête, serviable, âgé de cinquante-cinq ans, dont il a passé les deux tiers en France. Et, toutes ces indications reçues, Justine s'achemine vers la sainte retraite que l'Éternel paraît lui assurer d'aussi douces consolations. A peine est-elle descendue de l'éminence sur laquelle elle était montée qu'elle n'aperçut plus le clocher. N'ayant plus pour guide que la forêt, elle commence a croire que l'éloignement, dont elle a oublié de s'informer, est bien autre que l'estimation qu'elle en a faite : mais rien ne la décourage ; elle parvient au bord du bois ; et, voyant qu'il lui reste encore assez de jour, elle se détermine à s'y enfoncer, ne cessant de croire qu'elle pût arriver avant la nuit. Cependant, nulle trace humaine ne se présente à ses yeux : pas une maison, et pour tout chemin un sentier hérissé de broussailles, et qui paraissent ne devoir servir qu'à des bêtes fauves. Elle avait déjà fait au moins cinq lieues sans rien voir qui lui annonçât ce qu'elle cherchait, lorsque, l'astre ayant absolument cessé d'éclairer l'univers, il lui semble ouïr le son d'une cloche : l'espoir remit, elle écoute, elle marche vers le bruit ; elle se hâte, pénètre enfin dans un taillis obscur, qui, par un sentier bien plus étroit que celui qu'elle avait suivi jusqu'alors, la conduit à la fin au couvent de Sainte-Marie-des-Bois. C'est ainsi que se nommait cette habitation. Si Justine avait cru les abords du château de Bandole d'un agreste effrayant, certes elle dut trouver ceux de cette abbaye bien plus sauvages encore. La plus prochaine habitation était à six lieues de celle-ci, et des bois immenses semblaient la dérober aux regards des hommes : elle était située dans une large et profonde vallée, que des chênes antiques environnaient de toutes parts ; telle était la raison qui avait fait perdre à Justine le clocher de vue, dès qu'elle s'était trouvée dans la plaine. Après avoir descendu près de trois quarts d'heure, notre héroïne arrive enfin près d'une cahute, située sous le porche de l'église : elle sonne ; un vieux frère paraît. - Que voulez-vous ? dit-il brusquement. - Ne peut-on parler au supérieur ? - Qu'avez-vous à lui dire ? - Un saint devoir m'amène, m'est-il permis de le remplir ? je serai remise de toutes les fatigues que j'ai essuyées pour parvenir en cette solitude, si je peux me jeter aux pieds de la miraculeuse vierge dont on y conserve l'image. Le frère ouvre et pénètre seul ; mais, comme il est tard et que les pères soupent, il ne revient pas d'une demi-heure. - Tenez, dit-il en reparaissant, suivi d'un religieux, voilà Dom Clément, l'économe ; il vient voir si ce que vous désirez vaut la peine d'interrompre le supérieur. Clément, dont le nom peignait on ne saurait moins la figure, était un homme de quarante-cinq ans, d'une grosseur énorme, d'une taille gigantesque ; le sourcil noir et épais ; la barbe fort rude ; le regard sombre, farouche, méchant, sournois, ne s'exprimant qu'avec des mots durs élancés par un organe rauque ; une vraie figure de satyre... Il fit trembler Justine ; et, sans qu'il lui fût possible de s'en défendre, le souvenir de ses anciens malheurs vint s'offrir en traits de sang à sa mémoire troublée... - Que voulez-vous ? lui dit le moine, du ton le plus rébarbatif : est-ce là l'heure de venir dans une église ? Vous avez bien l'air d'une aventurière ; votre âge, votre désordre, votre tournure, le moment où vous paraissez ici, tout cela n'annonce rien de trop bon ! quoi qu'il en soi, parlez, que voulez-vous ? - Saint homme, répondit Justine ; mon désordre est l'effet de la fatigue que j'ai éprouvée pour me rendre ici. A l'égard de l'heure, j'avais cru qu'il était toujours temps de se présenter dans la maison de Dieu : j'accours de bien loin pour m'y rendre, pleine de ferveur et de dévotion. Je demande à me confesser s'il est possible ; et, quand l'intérieur de ma conscience vous sera connu, vous jugerez si je suis digne ou non de me prosterner aux pieds de la sainte image. - Mais ce n'est pas l'heure de se confesser, dit le moine, en se radoucissant, vous ne le pouvez que demain matin ; où coucherez-vous, en attendant ? nous n'avons point d'hospice ; et Clément, à ces mots, quitte brusquement notre voyageuse, en lui disant qu'il va rendre compte au supérieur. Quelques temps après, l'église s'ouvre ; le supérieur, Dom Sévérino, s'avance lui-même, et invite Justine à entrer dans le temple dont les portes se verrouillent aussitôt sur elle. Dom Sévérino, duquel il est bon de donner une idée tout de suite, était un homme de cinquante-cinq ans, d'une belle physionomie, l'air frais encore, taillé en homme vigoureux, membré comme Hercule, et tout cela sans dureté ; une sorte d'élégance et de moelleux régnait même dans son ensemble, et faisait voir qu'il avait dû posséder dans sa jeunesse tous les attraits qui forment un bel homme. Il avait les plus beaux yeux du monde, de la noblesse dans les traits, le ton le plus honnête et le plus séducteur : un peu d'accent faisait reconnaître sa patrie ; mais ne donnait à son langage que plus d'agrément et de grâce. Justine, il en faut convenir, avait besoin de l'aimable extérieur de ce second moine, pour revenir de toute la frayeur qui lui avait causée le premier. - Ma chère fille, dit gracieusement Sévérino, quoique l'heure soit indue, et que nous ne soyons point dans l'usage de recevoir si tard, j'entendrai pourtant votre confession, et nous aviserons après au moyen de vous faire passer décemment la nuit, jusqu'au moment où vous pourrez demain saluer la sainte image qui vous attire ici. Alors arriva dans l'église, par le chœur, un jeune garçon de quinze ans, de la plus jolie figure du monde, et vêtu d'une manière si indécente que Justine en eût conçu quelque soupçon, si elle l'eut observé. Mais, tout occupée de son examen de conscience, entièrement recueillie en elle-même, elle ne prit garde à rien. Le jeune enfant alluma des cierges, et vint, sans que Justine s'en aperçut encore, se placer dans le même fauteuil que devait occuper le supérieur, en confessant notre pénitente. Justine se met de l'autre côté ; cette position l'empêche de voir ce qui se passe dans la partie où se trouve Dom Sévérino ; et, pleine de confiance, elle débite ses peccadilles, que le supérieur écoute, en caressant le jeune enfant niché près de lui, en lui maniant les fesses, en lui livrant son vit, que le Ganymède branle, patine, secoue, suce, le tout au gré du moine, qui lui indique de ses mains les différentes manières dont il doit coopérer à l'embrasement que les récits naïfs de Justine vont produire sur son genre nerveux. Notre pieuse aventurière avoue ses fautes avec une candeur... une ingénuité, qui, comme on l'imagine aisément, allume bientôt tous les sens du libertin qui l'écoute. Elle lui fait part de ses malheurs... elle lui dévoile jusqu'à la marque flétrissante que lui imprima le barbare Rombeau. Le moine prête à tout la plus grande attention ; il fait même répéter à Justine plusieurs épisodes, qu'il écoute avec l'air de la pitié et de l'intérêt, tandis que la curiosité la plus libidineuse, la paillardise la plus effrénée guident seules ses interrogations. Cependant, si Justine eût été moins aveuglée, aux mouvements du père, à ses soupirs entrecoupés, au bruit assez violent qu'il fit en courbant le jeune homme pour l'enculer, assurément elle eût cessé d'être dupe ; mais l'enthousiasme religieux est une passion qui trouble l'esprit comme toutes les autres ; la malheureuse ne prit garde à rien. Sévérino, qui foutait, s'appesantit sur les détails ; Justine répondit à tout avec innocence. Il porta la hardiesse au point de lui demander, crûment, s'il était vrai que les différents hommes avec qui elle avait eu affaire, ne l'eussent jamais enconnée, et combien de fois en tout elle avait été enculée ; si les vits qui l'avaient foutue de cette manière étaient gros ; s'ils avaient déchargé dans le cul. A ces indécentes questions Justine se contenta de répondre naïvement, que ce dernier crime n'avait été commis sur elle que trois ou quatre fois en tout. - Vraiment, dit Sévérino, ivre de luxure, et qui continuait de foutre le plus joli cul du monde ; vraiment, mon ange, je vous demande cela, parce que vous m'avez l'air d'avoir les plus belles fesses possibles, et que ces criminels attraits séduisent beaucoup de libertins. Il faut y prendre garde, continuait-il en balbutiant : un joli derrière est la pomme dont le serpent tenta Ève ; c'est la route de perdition ; et vous voyez que ceux qui l'ont frayée avec vous sont au rang des plus grands scélérats que vous ayez connus. Ce crime perdit Sodome et Gomorrhe, mon enfant, vous le savez ; il est puni partout de la peine du feu ; il n'en est point qui irrite autant la bonté et la justice de l'Éternel ; il n'en est aucun dont une fille sage doive se garantir avec autant de soin. Et, dites-moi, n'éprouvâtes-vous aucune sensation voluptueuse pendant cette perfide introduction ? - La première fois, mon père ? Comment cela se serait-il pu, puisque j'étais évanouie ? - Et les autres ? - Détestant, abhorrant toutes ces horreurs, il aurait été bien difficile que j'y pusse prendre la moindre part. Enfin, les principales questions du moine, toujours enculant le bardache, portèrent sur les points suivants : 1� S'il était bien vrai qu'elle fût orpheline et née à Paris ; 2� S'il était certain qu'elle n'eût plus ni parents, ni ami, ni protection, ni personne, en un mot, à qui elle pût écrire ; 3� Si elle n'avait confié qu'à la bergère, qui lui avait parlé du couvent, le dessein qu'elle avait d'y venir, et si elle ne lui avait point donné de rendez-vous au retour ; 4� Si elle ne craignait pas d'avoir été suivie, et si elle était bien sûre que personne ne l'eût vue entrer au couvent. Ensuite, Sévérino, s'informant avec soin de l'âge et de la tournure de la petite bergère, fit quelques reproches à Justine de ne l'avoir point amenée. - Vous doubliez, lui dit-il, le mérite de votre bonne action, en vous associant une compagne ; elle nous eût édifiés comme vous, et nous l'aurions reçue comme vous. Ces pieuses dissertations terminées, le moine décula son giton ; et se retirant, le vit très en l'air et les passions très en feu : - Mon enfant, dit-il à Justine, il faut maintenant recevoir la pénitence due à vos péchés, et ce ne peut être que dans le plus parfait état d'humiliation que je puis vous imposer cette peine. Passons dans le sanctuaire ; les deux cierges vont être apportés près de l'image miraculeuse ; elle sera dévoilée devant vous : vous l'imiterez, Justine ; vous vous dépouillerez comme elle ; et vous sentirez que cette complète nudité que j'exige de vous laquelle serait peut-être un crime aux yeux des hommes, ne devient aux nôtres qu'un moyen de justification de plus. Alors le jeune garçon sort en désordre du confessionnal, prend les cierges, les pose sur l'autel, y grimpe, et dévoile l'image. Justine, éblouie par les illusions de son ardente piété, n'entend rien, ne voit rien, et se prosterne ; mais Sévérino, la relevant avec dureté, lui dit : - Non, vous n'aurez ce droit-là que quand nous serez nue ; il faut ici l'humiliation la plus grande... la plus complète. - Oh ! mon père, pardon : et, dans l'instant, la pieuse Justine n'offre plus que les beautés de la nature aux yeux libertins de son cafard. A peine a-t-il aperçu ce beau corps, qu'il hennit de lubricité : il le tourne et le retourne de toutes parts ; et, sous le prétexte d'examiner la place flétrissante, le coquin observe en détail la superbe chute de reins et les délicieuses fesses de Justine. - Allons, lui dit-il, agenouillez-vous maintenant, si vous voulez faire votre prière, et ne vous inquiétez point de ce qui se passera pendant que vous serez en oraison : songez, ma fille, que si je m'aperçois que votre esprit ne soit pas entièrement dégagé de la matière ; que si je crois voir qu'il tienne encore aux choses mondaines, et qu'il n'appartienne pas entièrement à Dieu ; songez, dis-je, que, réglant alors ma pénitence sur vos nouveaux torts, elle sera funeste et sanglante ; oubliez-vous donc, et laissez-vous faire. De ce moment, le paillard n'écoute plus que sa passion : sentant bien que l'état où est Justine, et la position dans laquelle il la tient, le dispense de toute précaution, il se place derrière elle, ayant son giton auprès de lui ; et, pendant que celui-ci le chatouille et le branle, le moine promène luxurieusement ses mains sur les fesses qui lui sont offertes, en y laissant, de temps en temps, avec ses ongles, des preuves sanglantes de ses cruelles caresses. Justine, immobile, fermement persuadée que tout ce qu'on lui fait n'a d'autre but que de la conduire pas à pas vers la perfection céleste, souffre tout avec une indicible résignation ; pas une plainte... pas un mouvement ne lui échappe ; son esprit était tellement élevé vers les choses célestes, que le bourreau l'eût déchiré, sans qu'elle eût seulement osé s'en plaindre2. Encouragé par un tel engourdissement de la part de sa pénitente, le moine devint plus entreprenant : couvrant de sa main étendue les deux belles fesses de cet ange, il la laissa ensuite retomber avec vigueur, et lui appliqua ainsi une douzaine de claques, si violentes, que les voûtes de l'église en retentirent, et que les reins de la faible victime se plièrent comme le lis que l'aquilon agite. Alors il repasse devant elle ; et, n'observant plus de mesure, il lui laissa voir un engin menaçant le ciel, plus que suffisant à déchirer le bandeau, si celui de la superstition pouvait l'être ; il lui touche la gorge, le scélérat la baise ; s'enhardissant de plus en plus, il ose imprimer ses lèvres impies sur celles où reposaient la vertu, la candeur et la vérité. Douces émotions des âmes sensibles ! Vous disparûtes à cet attentat. Ici Justine voulut se soustraire. - Laissez donc, lui dit durement le moine en feu ; ne vous ai-je pas dit que votre salut dépendait de votre entière résignation, et que ce qui paraissait souillure chez les autres hommes, n'était que pureté, chasteté, dévotion, chez nous ! Contenant d'une main la tête de la victime, il lui glisse en disant cela sa langue dans la bouche, et la presse tellement, qu'il lui est impossible de ne pas sentir le vit du moine polluer sa motte ; mais l'Italien, comme effrayé de cette infidélité à son culte de choix, se replace aussitôt par derrière, appuie enfin le baiser le plus ardent... le plus chaud sur ces fesses enluminées des vigoureuses claques dont il les a meurtries, les écarte, darde sa langue au trou mignon, savoure la volupté sous tous les aspects, se gorge de lubricité ténébreuses, toujours branlé par son giton, qui ne l'a pas quitté depuis le commencement de cet acte scandaleux, et qui est au moment de le faire décharger, lorsque s'apercevant que, sans manquer à ses confrères, il lui devient impossible d'aller plus avant, il dit à Justine de se relever... de le suivre, et que le reste de la pénitence s'achèvera dans l'intérieur... - Faut-il rester nue, mon père ? dit Justine un peu inquiète. - Assurément, répond le supérieur ; y a-t-il plus de danger à être nue dans la maison que dans l'église ? Votre pénitence ne pouvant s'achever ici, il faut bien que je vous conduise aux seuls lieux où nous la puissions terminer. - Je vous suis, mon père. Et le jeune homme, éteignant les cierges, emporte les habits. Justine n'était plus éclairée que par une petite bougie, portée par Sévérino qui marchait devant, et le giton derrière : c'est dans cet ordre qu'elle pénètre dans la sacristie. Une porte, cachée dans la menuiserie, s'ouvre au moyen d'un secret ; un boyau noir et obscur se présente, on s'y introduit, la porte se referme. - Ô mon père, dit ici Justine toute tremblante, où me menez-vous donc ? - Dans un lieu sûr, dit le moine... dans un endroit dont il est vraisemblable que tu ne sortiras pas de sitôt. - Grand Dieu ! dit Justine en voulant rétrograder... - Marchons, marchons, dit fermement le supérieur en la mettant en avant de lui pour la faire passer la première... oh, foutre ! il n'est plus temps de reculer ; et tu vas bientôt te convaincre, ma fille, que si tu ne trouves pas de grands plaisirs dans le local où je te mène, au moins y apprendras-tu promptement l'art de servir les nôtres. Ces terribles paroles firent tressaillir Justine ; une sueur froide s'empara d'elle ; son imagination effrayée lui fit voir la mort balançant la faux sur sa tête ; ses genoux fléchissent, elle est prête à tomber. - Bougresse, lui dit le moine en lui donnant un vigoureux coup de genoux dans les reins, pour la relever, allons marche et n'essaie ici ni plaintes, ni résistance, tout serait inutile. Ces mots cruels raniment notre infortunée ; elle sent qu'elle est perdue si elle faiblit : - Ô juste Dieu ! dit-elle en se relevant, faut-il donc que je sois toujours la victime de ma candeur, et que le saint désir de m'approcher de ce que la religion a de plus respectable, soit encore au moment d'être puni comme un forfait ! Cependant la marche se poursuit ; on était environ au milieu du long boyau qu'il fallait parcourir, lorsque le moine souffla la lumière. Dès lors aucun ménagement : plus Sévérino s'aperçoit du redoublement de frayeur que son procédé donne à Justine, moins il ménage et les propos et les actions ; c'est en lui pinçant ou lui piquant les fesses, que son conducteur la fait avancer. - Cours donc, coquine, lui disait-il, veux-tu que je t'encule et que je t'apporte au bout de mon vit ! Et, en prononçant ces paroles, il lui faisait sentir combien est aiguisé le dard dont il la menace. Tout à coup, Justine, qui n'avait que ses mains pour se guider, frappe contre une herse garnie de pointes de fer, auxquelles sa main droite s'écorche ; elle jette un cri... Un bruit sourd se fait entendre ; la barrière s'ouvre. - Prends garde, dit le moine ; saisis le garde-fou, tu es sur un pont, le moindre faux pas te précipiterait dans un abîme, duquel aucun effort ne saurait te tirer. Au bas, notre héroïne trouve un escalier tournant et, au bout de trente marches, une échelle sur le haut de laquelle on l'oblige de monter. Un moment, durant cette ascension, le nez du moine se trouve au cul de Justine ; le coquin baise et mord ce qu'il trouve ; une trappe se présente enfin : - Pousse avec ta tête, dit le supérieur : des reflets de lumière viennent aussitôt frapper les yeux de Justine ; des mains la soulèvent ; des éclats de rire se font entendre ; et voilà l'infortunée et ses guides dans une salle charmante et magnifiquement éclairée, où paraissent à table cinq moines, dix filles et cinq garçons, dans le plus grand désordre, et servis par six femmes nues. Ce spectacle fait frémir Justine ; elle veut encore fuir ; il n'est plus temps, la trappe est refermée. - Mes amis, dit Sévérino en entrant, permettez-moi de vous présenter un véritable phénomène. Voici une Lucrèce qui porte à la fois sur ses épaules la marque du crime, et dans le cœur toute la naïveté d'une vierge. D'ailleurs, vous le voyez, une superbe fille. Examinez cette taille, la blancheur de cette peau, la fermeté de cette gorge, la sublimité de ces cuisses, la rondeur de ce cul, la beauté de ces cheveux, le délicieux ensemble de ces traits, le feu divin de ces regards. J'espère que, quoique celle-ci ne soit pas absolument neuve, vous avouerez pourtant qu'il en est bien peu dans le sérail qui réunissent autant de beautés. - Sacredieu, dit Clément, je ne l'avais vue qu'habillée ; j'en avais rendu compte ; mais, par le nom d'un bougre de Dieu dont je me fous, je ne la croyais pas si jolie. On fait asseoir Justine dans un coin, sans s'informer si elle a besoin de quelque chose ou non, et le souper se continue. Ici nous devons des excuses au lecteur, sur la nécessité où nous sommes d'interrompre un instant le fil de la narration, pour lui peindre les différents personnages avec lesquels nous allons le faire vivre. Quel intérêt, sans cette précaution, pourrait-il prendre à nos récits ! **** *creator_sade *book_sade_justine1799 *style_prose *date_1799 CHAPITRE VIII PORTRAITS - DÉTAILS - INSTALLATION On connaît Sévérino, on devine ses goûts. Il réunissait tous ceux qu'inspire l'amour des culs : sa dépravation en ce genre était telle, qu'il n'avait jamais goûté d'autres plaisirs. Et quelle inconséquence pourtant dans les opérations de la nature, puisqu'avec la bizarre fantaisie de ne choisir que des sentiers, ce monstre était pourvu de facultés tellement gigantesques, que les routes mêmes les plus battues lui eussent encore paru trop étroites. Pour Clément, son esquisse est déjà faite. Que l'on joigne, à l'extérieur que nous avons peint, de la férocité, de la taquinerie, la fourberie la plus dangereuse, de l'intempérance en tous points, l'esprit satirique et mordant, athée, corrompu, scélérat ; et l'on aura de ce libertin la plus complète image. A l'égard de ses goûts, ils caractérisaient son esprit, et prenaient leur source dans son cœur ; sa barbare figure en était l'emblème. Clément, usé, ne pouvait plus foutre ; idolâtre autrefois des culs, il lui devenait maintenant impossible de leur offrir d'autre hommage que des traitements semblables à toutes les passions émanées de cette âme féroce. Pincer, battre, piquer, brûler, fustiger, infliger à une femme, en un mot, tous les supplices possibles, et les recevoir à son tour ; tels étaient ses amusements de choix ; plaisirs si fatigants pour le malheureux objet de son intempérance, que rarement il sortait d'avec lui sans être excédé ou cruellement déchiré. Il n'était pas une seule des tristes victimes de cette maison qui n'eût préféré je ne sais quelle pénitence, à l'horrible nécessité de satisfaire les indignes plaisirs de ce débauché, qui, très long dans les détails, ennuyait souvent encore plus qu'il n'excédait ; et, de toutes les créatures qu'il employait, la plus à plaindre, sans doute, était celle qui, pendant qu'il agissait sur d'autres, était obligée de le branler, pour en exprimer deux ou trois gouttes de sperme, qu'il ne perdait qu'en se vengeant par des atrocités du vol physique qu'on avait, disait-il, l'air de lui faire. Antonin, le troisième acteur de ces voluptueuses orgies, était âgé de quarante ans, petit, mince, très vigoureux, aussi redoutablement organisé que Sévérino, et presque aussi méchant que Clément, enthousiaste des plaisirs de ses confrères, mais s'y livrant dans des intentions différentes. Si Clément, dans cette barbare manie, n'avait pour but que de vexer, que de tyranniser une femme sans s'en amuser autrement, Antonin, jouissant d'elle dans toute la simplicité de la nature, ne la flagellait, ni la tourmentait que pour lui donner plus de chaleur et plus d'énergie ; l'un, en un mot, était brutal par goût, et l'autre par raffinement. Antonin réunissait à cette fantaisie quelques caprices analogues à ses goûts ; il aimait passionnément à gamahucher une femme, à la faire pisser dans sa bouche, et bien d'autres petites infamies dont nos lecteurs verront les détails à mesure qu'ils parcourront ces mémoires. Ambroise avait quarante-deux ans ; c'était un petit homme, trapu, fort gros, dont l'humble engin se distinguait à peine ; d'un libertinage excessif, passionné pour les jeunes garçons, et n'aimant dans une fille que ce qui la rapprochait de ce sexe. Son goût favori, après s'être fait mettre le cul en sang, à force de coups de verges, était de se faire chier dans la bouche pendant que l'on continuait de l'étriller ; il avalait l'étron, tout en foutant le cul qui venait de le pondre : les Grâces même n'en fussent pas venues à bout sans cet épisode ; tant il est vrai que la vraie volupté ne gît que dans l'imagination, et qu'elle n'est délicieusement nourrie que des monstres qu'enfante ce mode capricieux de notre esprit. Sylvestre foutait en con, et réunissait à ce plaisir simple deux ou trois manies bien étonnantes ; la première consistait à vouloir absolument que la femme qu'il foutait chiât pendant l'opération ; la seconde, plus scandaleuse pour le tympan de l'oreille, et plus fatigante pour la femme, consistait à jeter les hauts cris pendant qu'il déchargeait, et à ne procéder à cette opération qu'en donnant vingt soufflets au malheureux objet de sa jouissance, dont il avait encore, par-dessus tout cela, le soin de barbouiller le visage avec l'étron déposé dans sa main. Sylvestre avait cinquante ans ; mal fait, d'une figure hideuse ; mais de l'esprit, de la méchanceté comme ses confrères : aucun ne manquait de ces qualités, qu'ils regardaient comme les premières bases de leurs libidineuses associations. Jérôme, le plus âgé de ces six solitaires, avait soixante ans ; mais, s'il était le plus vieux, il était aussi le plus libertin. Tous les goûts, toutes les passions, tous les crimes se trouvaient réunis dans l'âme de ce moine ; il joignait aux caprices des autres, des irrégularités bien plus bizarres encore, et des circonstances bien plus libidineuses : toutes les routes de Vénus, tous les sexes, d'ailleurs, lui étaient indifférents : mais ses forces commençant à faiblir, il préférait, depuis quelques années, celle qui, n'exigeant rien de l'agent, laissait au patient le soin d'éveiller les sensations et d'exciter l'émission de la semence : la bouche était son temple favori ; et, pendant qu'on le suçait, il se faisait fouetter à tour de bras. La suite nous offrira des détails que nos lecteurs aimeront mieux voir en action qu'en récit. Le caractère de Jérôme était, d'ailleurs, tout aussi méchant, tout aussi sournois que celui de ses confrères, et tout aussi zélé partisan qu'eux de l'antiphysique ; il aimait, ainsi qu'eux, à se faire foutre et à sodomiser des garçons, lorsque, préparé par leur bouche, il avait retrouvé, dans ce restaurant, les secours nécessaires à l'entreprise. Sous quelque forme enfin que le vice pût se montrer, il était sûr de trouver dans cette infernale maison, ou des sectateurs, ou des temples. Des fonds prodigieux étaient réservés pour ménager à l'ordre des bénédictins cette retraite obscène, existant depuis plus d'un siècle, et toujours remplie par les six religieux les plus riches, les plus avancés dans l'ordre, de la meilleure naissance, et d'un libertinage assez important, pour exiger d'être enseveli dans ce repaire obscur dont le secret ne sortait plus. Continuons de peindre à grands traits : Justine se repose ; les moines soupent ; nous avons le temps de finir quelques tableaux faits pour jeter du jour sur les importants détails que nous devons tracer de cette bizarre habitation du crime et de la débauche. Il y avait deux sérails dans la maison : l'un de dix-huit garçons, l'autre de trente filles ; ce qui leur formait à chacun une division de cinq filles et trois garçons. Une seule femme était à la tête de tout cela : on la nommait Victorine ; et, comme ses talents, ses occupations méritent quelques détails, nous lui conserverons un article à part. Une grande salle était destinée à chacun de ces sérails. Voici quelles en étaient les divisions particulières : Ces salles étaient rondes ; une table à manger occupait le milieu : les cellules garnissaient le pourtour ; chaque sujet couchait seul ; et sa cellule était composée de deux cabinets : son lit était dans l'un, son bidet et sa chaise percée dans l'autre. Les dix-huit garçons étaient divisés en trois classes de six individus chacune : les deux premières s'appelaient classes des gitons ; la troisième, classe des agents. La première classe des gitons renfermait six sujets de sept à douze ans ; ils avaient le gris de lin pour couleur, et pour costume une matelote. Dans la seconde on voyait six jeunes gens de douze à dix-huit ans, habillés à la grecque, couleur pourpre. Dans la classe des agents se remarquaient six sujets de dix-neuf à vingt-cinq ans ; cette classe était vêtue de fraques à l'européenne, couleur mordorée. Les cinq classes de filles se distinguaient ensuite, et étaient composées de la manière suivante : On appelait la première les pucelles, quoiqu'il n'y en eût pas une seule ; on y voyait six sujets de six à douze ans ; elles étaient vêtues en fourreaux blancs. La seconde division en comprenait six de douze à dix-huit ; on les appelait les vestales, elles étaient vêtues en novice de couvent. La troisième était remplie par six beautés de dix-huit à vingt-quatre ans, que l'on appelait les sodomistes, à cause de la supériorité de leurs fesses ; elles étaient vêtues à la grecque. La quatrième donnait six superbes femmes de vingt-cinq à trente ans ; on les appelait les fessées, relativement à l'esprit de leur emploi : elles avaient un costume à la turque. Six duègnes formaient la cinquième classe ; on les y admettait depuis trente ans jusqu'à quarante ; et même au-dessus : elles étaient vêtues à l'espagnole. On n'observait aucun ordre pour la composition des sujets qui devaient assister aux soupers. Lorsque Justine sera installée, nous verrons son institutrice achever les détails dont nous ne donnons préalablement ici que ce qui est nécessaire à l'intelligence de la première scène. Reprenons-en le fil. Les seize filles qui composaient les assistantes de ce premier souper, dont dix à table, et les six autres servant, étaient toutes seize si distantes par l'âge, qu'il serait impossible de les peindre en masse. Commençons par les six acolytes ; nous parlerons ensuite des dix conviées. Ces six servantes n'étaient pas d'une caste différente que les autres filles ; cet emploi se remplissait tour à tour ; toutes y passaient à leur rang. Nous verrons bientôt Justine recevoir ces explications. Le service, cette fois-ci, était fait par les créatures que nous allons peindre. La première avait à peine dix ans, un minois chiffonné, de jolis traits, une peau très fine et fort blanche, un petit cul à peine indiqué, l'air humilié de son sort, craintive et tremblante. La seconde avait quinze ans ; même embarras dans la contenance, l'air de la pudeur avilie, mais une figure enchanteresse, beaucoup d'intérêt dans l'ensemble, peu de gorge, un derrière rond et fort bien coupé. La troisième avait vingt ans ; faite à peindre la plus belle gorge et les plus belles fesses du monde, de superbes cheveux blonds, des traits fins, réguliers et doux, un peu moins timide que les deux premières. La quatrième avait vingt-cinq ans ; c'était une des plus belles femmes qu'il fût possible de voir ; de la candeur, de l'honnêteté, de la décence dans le maintien, et toutes les vertus d'une âme douce, la plus belle carnation qu'on pût voir, des hanches et une croupe qui auraient pu servir de modèle. La cinquième était une fille de trente ans ; enceinte de sept mois, l'air langoureux et souffrant, de beaux yeux pleins d'intérêt, un air de vierge. La sixième avait trente-deux ans ; brune ; fort vive, de beaux yeux, mais ayant perdu toute décence, toute retenue, toute pudeur, le cul médiocre et fort brun, beaucoup de poil, même au trou du cul. Les conviés et les jeunes garçons entremêlaient les moines à table. Nous connaissons déjà l'un de ces jeunes garçons ; il ne nous reste plus qu'à parler des autres. Le premier n'avait que huit ans ; c'était la figure de l'Amour même ; le petit fripon était nu entre Ambroise et Jérôme, qui, tous deux, le baisaient, le branlaient, lui maniaient les fesses, à l'envie l'un de l'autre. Le second avait treize ans ; joli comme un ange, l'air doux et fin, de beaux yeux, il était nu de la ceinture en bas, son cul blanc et mignon faisait plaisir à voir. Le troisième avait seize ans ; fait à peindre, une figure enchanteresse, et déjà le plus joli vit du monde. Le quatrième et le cinquième étaient tous deux pris dans la classe des agents ; l'un avait vingt-deux ans, l'autre vingt-cinq ; tous deux grands et bien faits, de superbes cheveux et de monstrueux vits ; il était impossible d'empoigner celui du dernier, il avait au moins sept pouces de circonférence sur dix de long. La première des dix filles conviées, prise dans la classe des pucelles, avait huit ans ; c'était une petite rose flétrie, avant que la saison ne dût l'entrouvrir, peut-être cela serait-il devenu joli ; mais, fanée par le libertinage, que pouvait-on attendre d'un tel sujet ? A quel point ne faut-il pas avoir porté la débauche et le délire des passions pour outrager ainsi la nature ! La seconde atteignait à peine son deuxième lustre ; fort jolie ; il y avait deux ans qu'elle n'était plus vierge d'aucun côté, et cette infamie était l'ouvrage de Jérôme. La troisième, la quatrième et la cinquième étaient sœurs ; la cadette avait treize ans, la seconde quatorze, l'aînée quinze. On les appelait les trois Grâces : il était véritablement impossible de rien voir de plus frais, de plus mignon, de plus intéressant. Toutes les trois se ressemblaient : mêmes yeux, romantiques et bleus ; même chevelure blonde, même intérêt dans l'ensemble, même coupe de fesses ; et, quoique celles de la plus jeune ne fussent pas encore bien formées, en confrontant ce qu'elle offrait d'appas en ce genre, avec ceux que possédaient également ses deux sœurs, il était facile de voir que ce serait bientôt un chef-d'œuvre. La sixième avait dix-huit ans ; c'était une des plus belles créatures qu'il y eût au monde, un vrai modèle d'artiste, elle passait pour avoir le plus beau cul du sérail. La septième, pour le moins aussi bien faite, n'avait pourtant pas une aussi jolie figure, mais un peu plus d'embonpoint ; elle avait dix-neuf ans, et la gorge de Vénus même. La huitième avait vingt-six ans ; elle était grosse de huit mois ; fort blanche, de très beaux yeux, des cheveux superbes, mais l'air languissante... accablée. La neuvième était une fille de trente ans, grosse comme une tour, grande à proportion ; de beaux traits, mais des formes trop colossales et trop dégradées par l'embonpoint : celle-là était toute nue, ainsi que les servantes, lorsque Justine entra ; il était facile de distinguer qu'aucune partie de son corps n'était exempte des marques imprimées par la brutalité des scélérats dont sa mauvaise étoile faisait servir les passions. La dixième était une femme de quarante ans, fanée, ridée, mais belle encore ; l'air du plus grand libertinage ; son cul flétri respirait la luxure ; l'entrée en était large et d'un brun-rouge ; ainsi que la moitié des moines, elle était déjà saoule, quand Justine parut. Poursuivons maintenant l'histoire de la réception de notre héroïne dans ce local impur. - Il me semble, dit Sylvestre, que nous devrions faire un peu plus de fête à cette belle fille, ne pas la laisser languir ainsi dans un coin, et lui décerner au moins les honneurs d'une nouvelle arrivée. - J'aurais fait plus vite cette réflexion, dit Sévérino, si je ne vous eusse pas tous vus si crapuleusement vautrés dans les sales plaisirs... mais vous sortir de là... le moyen ? C'est pourtant, vous en conviendrez, faire bien peu de cas de ma jolie découverte, que la recevoir avec autant d'indifférence. - Perfides effets de la satiété, dit Ambroise, voilà où l'abondance conduit. - Je ne m'aperçois point de cette abondance, dit Jérôme ; je suis si las de tout ce qui m'entoure, que je n'éprouve jamais que des besoins, il n'y a pas ici le quart des objets nécessités par ma luxure. - Il a raison, dit Clément en s'avançant vers Justine, et, la saisissant par le cou, pour glisser dans sa bouche de rose la plus impure des langues. - Oui, foutre, il a raison, dit Antonin en venant saluer notre héroïne de même. Et les voilà tous deux à la langotter un quart d'heure, pendant que Jérôme, à genoux devant les fesses, darde sa langue au trou mignon ; que Sylvestre en fait autant au clitoris, en branlant le vit de Sévérino fortuitement rencontré par ses doigts et, dans moins de deux minutes, notre chère enfant se trouve si bien entourée, qu'elle n'a même plus la possibilité de se défendre. C'est un beau lis au milieu d'une troupe de frelons, suçant, pompant, dérobant de toutes parts le suc précieux de la fleur. Justine fait cependant ce qu'elle peut pour se soustraire à des infamies qui la révoltent ; mais on lui persuade que toutes ces résistances ne sont que des simagrées inutiles, et que ce qu'elle a de mieux à faire, est d'imiter avec respect la subordination de ses compagnes. - Que l'on me prête un instant d'attention, dit Sévérino : rangez-vous tous autour de moi, et que cette nouvelle débarquée, à qui j'adresse la parole, m'écoute à genoux avec vénération. « Esclaves de nos fantaisies, dit le moine, toi que le hasard place en nos mains, ne lis-tu pas dans cet arrêt du sort ce que l'avenir te présage ? Rien n'est ici l'œuvre du hasard, tout est arrangé par les lois de la nature ; et, sitôt que, par une suite de ces lois, tu tombes dans nos mains, c'est qu'il est clair que la nature veut que tu nous serves. Remplis donc ta destinée avec résignation : songe que la plus légère résistance à nos caprices, de quelque genre qu'ils soient, peut te valoir la mort : jette les yeux sur les compagnes qui t'entourent ; ils n'en est pas une seule qui soit venue de bonne volonté dans cette maison ; la force et la ruse nous les ont amenées toutes. Toutes ont voulu comme toi montrer des résistances, et toutes ont promptement reconnu l'inutilité de cet absurde projet, quand elles ont vu que les défenses qu'elles pouvaient opposer ne pouvaient les conduire qu'aux plus affreux traitements. Justine, continua le supérieur, en lui montrant des disciplines, des verges, des férules, des scalpels, des tenailles, des stylets et autres instruments de supplices, oh ! Justine, il est bon que vous le sachiez, voilà les moyens séducteurs que nous employons avec les filles rebelles ; et ils nous les soumettent sur-le-champ : voyez si vous avez envie de vous en convaincre. Aurez-vous recours aux réclamations ? A qui les adresserez-vous ? Qui recevra vos plaintes, dans un lieu qui ne sera jamais rempli pour vous que de délateurs, de juges et de bourreaux ? Implorerez-vous la justice ? Nous n'en connaissons d'autre que celle de nos voluptés... Les lois ? Nous n'admettons que celles de nos passions... L'humanité ? Notre unique plaisir et d'en violer tous les principes... La religion ? Elle est sans frein à nos regards ; notre mépris pour elle s'accroît en raison de ce que nous la voyons de plus près... Des parents, des amis ? Il n'y a rien de tout cela dans ces lieux ; vous n'y trouverez que de l'égoïsme, de la cruauté, de la débauche et de l'athéisme : la soumission la plus entière est donc votre unique lot ; et cette parfaite résignation contraint à bien des choses ici. Les sept despotes auxquels vous avez affaire, parmi lesquels il faut comprendre la directrice, dont les ordres ou les fantaisies doivent être aussi sacrés pour vous que les nôtres ; ces sept despotes, dis-je, sont sujets chaque jour à de terribles caprices, et la plus faible résistance à ces actes arbitraires, de force ou de tyrannie, entraîne inexorablement après elle d'affreux supplices, ou la mort. Serait-ce dans la fuite que vous espéreriez votre salut ? Oh ! Justine, ce dernier moyen est aussi nul que les autres : jetez les yeux sur l'asile impénétrable où vous êtes ; jamais aucun mortel ne parut dans ces murs ; le couvent serait pris, fouillé, brûlé, que cette retraite demeurerait encore inconnue. C'est un pavillon isolé, enterré, qu'environnent de toutes parts six enceintes de dix pieds chacune d'épaisseur ; et vous vous trouvez là, ma chère, au milieu de six scélérats, qui n'ont pas envie de vous épargner, et que vos instances, vos larmes, vos propos, vos génuflexions ou vos cris n'enflammeront que davantage. A qui donc aurez-vous recours ? A qui vous adresserez-vous ? Sera-ce au Dieu que vous veniez implorer avec zèle, et qui, pour vous récompenser de tant de ferveur, ne vous précipite qu'un peu plus sûrement dans le piège... à cette méprisable et dégoûtante chimère, que nous outrageons nous-mêmes chaque jour en insultant à ses vaines lois ? Vous le concevez donc, Justine ; il n'est aucun pouvoir, de quelque nature qu'on le suppose, qui réussisse à vous enlever d'ici ; et il n'existe dans la classe des choses possibles, ni dans celle des miracles, aucun moyen qui puisse réussir à vous soustraire de nos mains... qui puisse vous empêcher de devenir, dans tous les sens et de toutes les manières, la proie des affreuses luxures... le plastron des excès libidineux auxquels nous allons nous abandonner tous les six avec vous. Avance donc coquine, offre ton corps à nos caprices, prête-le tout entier aux horreurs dont nous allons le souiller, ou les traitements les plus barbares vont te prouver les risques qu'une misérable comme toi court à nous désobéir. Un tel discours, comme on l'imagine aisément, fut applaudi de tous les moines ; Clément trouva plaisant de claquer les fesses de Justine, pour l'applaudir avec plus d'énergie. Ce fut alors que la malheureuse sentit l'horreur de sa situation. Elle se précipite aux pieds de Dom Sévérino, et met en usage toute l'éloquence d'une âme au désespoir, pour le supplier de ne pas abuser du triste état où elle se trouve : les pleurs les plus amers et les plus abondants viennent inonder les genoux du moine ; et tout ce que cette infortunée suppose du plus fort et du plus pathétique, elle l'emploie pour toucher ce monstre. A quoi tout cela servait-il ? Devait-elle ignorer que les larmes ont un attrait de plus aux yeux des libertins ? Devait-elle douter que tout ce qu'elle entreprenait pour toucher ces barbares ne pouvait réussir qu'à les mieux enflammer ? - Allons, dit le supérieur, en la repoussant avec brutalité, commençons, mes amis : faisons subir à cette garce toutes nos formules de réception, et qu'il ne lui soit pas fait grâce d'une seule. Un cercle se forme ; il est composé de six moines, environnés chacun de deux filles et d'un garçon ; Justine est placée au centre, et voici les différentes passions qu'elle subit en faisant les trois tournées d'usage, auxquelles ses compagnes avaient été soumises de même, lorsqu'elles avaient fait leur entrée dans la maison. Sévérino est le premier ; près de lui est la fille de quinze ans, celle de trente-deux et le petit garçon de seize. Clément vient ensuite ; il a près de lui la fille de vingt ans, celle de vingt-cinq et le jeune garçon de treize. Antonin suit ; il est entouré de la fille de quatorze ans, de celle de dix-huit et du ganymède de huit. Ambroise est au milieu de la fille de dix ans, de celle de dix-neuf et du fouteur de vingt-deux. Sylvestre, avec le fouteur de vingt-cinq ans, a près de lui la fille de trente et celle de quarante. Jérôme a le giton de quinze ans, le même que nous avons vu à l'église ; pendant la confessions de Justine, la fille de treize et celle de huit. Justine est conduite dans le cercle par la femme grosse de vingt-six ans : elle la présente à chacun des moines ; toutes deux sont nues. Elle arrive à Sévérino, qui maniait les fesses de la fille de quinze ans, que le petit bardache branlait, il contraignait, pendant ce temps-là, l'autre fille de trente ans1 à sucer le vit du jeune homme : le moine s'en fait faire autant par Justine, en lui gamahuchant le trou du cul. Elle passe à Clément, qui s'amusait à claquer les fesses de la fille de vingt-cinq ans, à pincer celle de la fille de vingt, et à se faire branler par son bardache : Justine offre son cul ; Clément le baise, et sent les aisselles. Notre héroïne approche Antonin, qui branlait ses deux filles, et que son giton socratisait ; il suce le clitoris de Justine. Elle passe à Ambroise, il foutait le bardache, et branlait avec ses doigts un cul de chaque main : Justine lui frotte le visage avec son cul. Sylvestre, au milieu de la seconde fille de trente ans et de celle de quarante, patinant brutalement le cul de celle-ci et le con de l'autre et se faisant enculer par son fouteur, baise Justine, langue en bouche, langue en con et langue en cul. Jérôme, branlé par le giton de quinze ans, a un doigt dans le cul de la fille de sept, un dans le con de la fille de treize ; il met son vit dans la bouche de Justine. On recommence les tournées. A celle-ci tous les moines se faisaient sucer par les garçons, pendant que les filles, sur des tabourets, au-dessus de leurs têtes, leur posaient les fesses sur le nez : Sévérino entrouvre les fesses de Justine et la fait péter dans sa bouche. Clément lui enfonce un doigt dans le cul et la secoue un quart d'heure ainsi. Antonin lui fait sentir son vit au bord du con, et le retire promptement. Ambroise l'encule, et sort au bout de deux ou trois secousses. Sylvestre l'enconne un instant, et lui trouve un air de pucelage assez décidé. Jérôme met, pour déterminer son foutre aussitôt, alternativement son vit au cul, au con et dans la bouche. On procède à la troisième tournée. A celle-ci tous les moines foutent. Sévérino encule la fille de quinze ans, qui gémit sous les efforts redoublés de son vit ; le garçon de seize le fout, et il claque fortement les fesses de la fille de trente-deux ; quand Justine se présente, il lui mord le cul. Clément fout en bouche le petit garçon de treize ans ; la fille de vingt-cinq le fouette ; et il a sous les yeux le derrière de celle de vingt, il ordonne à Justine de lécher le trou de son cul, de le baiser tout de suite, en sortant de là, sur la bouche ; et il lui applique deux soufflets. Antonin fout le petit con de la fille de quatorze ans ; il claque le cul du giton de huit ; et la fille de dix-huit ; lui fait lécher son con : il mord jusqu'au sang le téton gauche de Justine, en lui appliquant six claques sur le cul, dont les traces ne s'effacèrent de trois jours. Il donne alors un si vigoureux coup de reins, qu'on croit qu'il va pourfendre sa fouteuse ; la pauvre enfant jette un cri : Antonin, qui ne veut pas décharger, déconne aussitôt ; il blesse la petite fille, son vit est couvert de sang ; pour la consoler, il la fouette. On poursuit. Ambroise encule la fille de dix ans ; il se fait foutre par le garçon de dix-neuf et manie les fesses de la fille de vingt-deux ; il donne vingt-cinq coups de fouet à Justine, sans se déranger. Sylvestre enconne la femme de quarante ans en levrette ; elle lui chie, pendant ce temps-là, sur la racine du vit ; le jeune homme de vingt-cinq ans le fout, et il baise, suce, l'intérieur du con de la fille de trente, renversée à quatre pattes en arrière, au-dessus de lui, les cuisses très écartées. Il se jette comme un chien enragé sur le con de Justine, quand on l'approche de lui, et le mord jusqu'au sang. Le coquin décharge en jetant les hauts cris ; mais il change lestement de temple, et c'est dans le cul de la doyenne que le vilain perd son foutre. Jérôme fout en cul la petite fille de huit ans ; il suce le vit du giton de quinze, et s'amuse à donner des chiquenaudes sur le nez de la fille de treize : il pince si fortement les tétons de Justine qu'elle jette un cri terrible ; le coquin, pour la faire taire, lui sangle cinq ou six coups de poing si vigoureusement dans les flancs, qu'elle vomit tout ce qu'elle a dans le ventre. - Allons, dit Sévérino qui ne se contient plus, et dont le vit, irrité, semble menacer les voûtes, passons à des choses plus sérieuses ; foutons-la vigoureusement. Il dit, courbe Justine sur un sofa, les reins en l'air ; deux filles la tiennent : le supérieur, son braquemart énorme à la main, s'avance, et le présente au trou mignon ; il pousse sans mouiller, il fait brèche ; quelque énorme qu'il soit, il pénètre : alléché par d'aussi heureux préliminaires, il redouble, il est au fond. Justine crie ; que lui importe ! Le bougre est heureux. S'embarrasse-t-on des douleurs d'autrui au sein de la lubricité ! On encule l'Italien ; quatre femmes nues l'entourent de tous côtés ; l'image qu'il adore se reproduit en mille différentes manières sous ses yeux libertins, il décharge. Clément s'avance ; il est armé de verges ; ses perfides desseins éclatent dans ses yeux. - C'est moi qui vais vous venger, dit-il à Sévérino ; je vais corriger la putain de ses résistances à vos plaisirs. Il n'a pas besoin que personne tienne la victime ; un de ses bras l'enlace et la comprime sur un genou qui, repoussant le ventre, lui expose plus à découvert le superbe cul qu'il veut flageller. D'abord il essaie ses coups ; il semble qu'il n'ait dessein que de préluder ; bientôt, enflammé de luxure, échauffé des épisodes obscènes dont on l'entoure, le cruel frappe autant qu'il a de forces : rien n'est exempt de sa férocité ; depuis le milieu des reins jusqu'au gras des jambes, tout est parcouru par ce traître : osant mêler l'amour à ces moments d'effroi, sa bouche se colle sur celle de Justine, et veut respirer les soupirs qu'arrache la douleur ; des larmes coulent, il les dévore. Tour à tour, il baise et menace ; mais il continue de frapper. Pendant qu'il opère, la jolie fille de dix-huit ans lui suce le vit, un fouteur l'encule. Plus on lui donne de plaisir, plus les coups qu'il porte ont de violence ; la malheureuse Justine est prête à être déchirée, que rien n'annonce encore la fin de ses tourments. On a beau s'épuiser de toutes parts... étaler sous ses yeux les plus mignons attraits, le bande-à-l'aise est nul : une nouvelle cruauté le décide ; la sublime gorge de Justine est à sa portée ; elle l'irrite, il y porte la bouche ; l'anthropophage la mord ; et cet excès détermine la crise ; le foutre échappe, d'effroyables blasphèmes en ont caractérisé les jets ; et le moine, énervé, l'abandonne à Jérôme. - Je ne serai pas pour votre vertu, plus dangereux que Clément, dit le libertin, en caressant les fesses ensanglantées de cette pauvre fille, mais je veux baiser ces blessures ; je suis si digne d'en faire autant, que je leur dois un peu d'honneur. Clément, tu seras surpassé ; je veux étriller le voisin. Il retourne, expose bien à sa portée le ventre poli et la motte délicieusement ombragée de notre charmante orpheline ; et le barbare déchire tout cela à coups de martinet : puis, la faisant mettre à genoux devant lui, il se colle à elle dans cette posture, et sa fougueuse passion s'assouvit, en se faisant sucer. Pendant qu'il agit ainsi, la grosse femme le fouette ; celle de trente ans lui chie sur le nez ; celles de quatorze et de quinze lui en font autant sur les mains. Voilà les excès où la satiété conduit Jérôme : quoi qu'il en soit, il est heureux à force d'impuretés ; et la bouche de Justine reçoit enfin, au bout d'une demi-heure, avec une répugnance facile à deviner, le dégoûtant hommage de ce vilain faune. Antonin paraît, ses armes sont braquées. Il se servirait volontiers des épisodes de Clément : la fustigation active lui plaît bien autant qu'à ce moine ; mais, comme il est pressé, comme son vit énorme écume de luxure, l'état de dégradation où il voit les choses lui suffit ; il examine ces délicieux vestiges, il en jouit ; et, laissant Justine à plat-ventre, il pétrit rudement les deux fesses, pendant qu'une des filles le branle et présente le vit au vagin ; le libertin pousse : l'assaut quoique aussi violent que celui de Sévérino, fait dans un sentier moins étroit, n'est pourtant pas si rude à soutenir. Le vigoureux athlète saisit les deux hanches et, suppléant aux mouvements que Justine ne peut faire, il la secoue sur lui avec vivacité : on dirait, aux efforts redoublés de cet Hercule, que, non content d'être maître de la place, il veut la réduire en poudre. D'aussi cruelles attaques font succomber Justine ; mais, sans s'inquiéter pour ses peines, le cruel vainqueur ne pense qu'aux plaisirs qu'il goûte. Tout l'environne, tout l'excite, tout concourt à ses voluptés : en face de lui, exhaussée sur ses reins, la fille de vingt ans lui fait sucer son con ; celle de quarante, à genoux, le visage entre ses fesses, lui gamahuche le cul ; et le coquin branle d'une main le vit d'un garçon de treize ans, de l'autre le clitoris de la fille de seize : il n'est pas un de ses sens qui ne soit chatouillé, pas un qui ne concoure à la perfection de son délire ; il y touche ; mais la sage Justine n'éprouve que de la douleur. Le scélérat parvient seul au plaisir : ses élans, ses cris, tout l'annonce ; et la pudique créature est inondée, malgré elle, des preuves d'une flamme qu'elle n'allume qu'en sixième. Ambroise la prend au sortir de là. Ce n'est qu'un cul qu'il faut à sa rage : heureusement que son vit n'est pas effrayant, il est au fond dans une minute ; mais l'inconstant n'y reste pas ; il sort, il se renfonce, se retire pour se rengloutir de nouveau ; et, dans chaque intervalle, sa bouche sollicite un étron, qu'on lui donne à la fin. - Ah ! sacredieu, s'écrie-t-il dès qu'il le tient, voilà tout ce qu'il fallait à mon foutre. Il se replace, on le sodomise : quatre beaux culs, deux mâles et deux femelles, se rangent autour de lui ; tous pètent, chient, vessent ; on lui en fait dans le nez, sur le visage, dans la bouche ; on en emplit ses mains ; et l'impudique, au comble de ses vœux, perd son foutre, en invectivant celle dont il reçoit pourtant toute sa volupté. Sylvestre arrive. Il fout un con qui lui a déjà coûté du sperme ; mais il veut sucer un vit pendant ce temps-là ; et la liqueur qu'il pompe de ce vit, il la rend dans la bouche de celle dont il jouit. On le fout, il branle à droite la fille de dix-huit ans ; à gauche, il manie le cul de celle de quatorze ; et, singulièrement excité par le joli con de Justine, par ce con presque vierge, et que rend toujours pur la vertu sans tache de cette malheureuse fille, le coquin décharge encore une fois en poussant des cris que l'on entendrait d'une lieue, sans les précautions du local. Cependant, Sévérino pense enfin qu'il est possible que cette infortunée ait besoin de quelque chose : on lui présente un verre de vin d'Espagne ; mais, peu sensible à ces attentions intéressées, elle se livre au chagrin violent qui déchire son âme. Quelle situation, en effet, pour une fille qui mettait toute sa gloire et toute sa félicité dans sa vertu ! Qui ne se consolait des maux de la fortune que par la joie d'être toujours sage ! Justine, accablée, ne put tenir à l'horrible idée de se voir aussi cruellement flétrie par ceux même de qui naturellement elle devait attendre le plus de secours : ses larmes coulent en abondance ; ses cris plaintifs font retentir la voûte ; elle se roule à terre, elle meurtrit son sein, elle arrache ses cheveux, invoque ses bourreaux, leur demande la mort. Le croira-t-on ? Oui, ceux qui connaissent l'âme des libertins ne se surprendront d'aucun de ces mouvements bizarres. Ce spectacle affreux irrite ces monstres. - Oh ! foutre, dit Sévérino, jamais plus belle scène ne s'offrit à mes yeux ; voyez l'état où elle se met : il est inouï ce qu'obtiennent de moi les douleurs féminines ! Reprenons cette garce ; et, pour lui apprendre à hurler de la sorte, il ne faut plus la ménager. Il dit et, s'approchant, les verges à la main, il fouette Justine à tour de bras. Quel excès de férocité ! Se pouvait-il que ces monstres le portassent au point de choisir l'instant d'une crise de douleur morale aussi violente que celle qu'éprouvait leur victime, pour lui en faire subir une physique aussi barbare ! Un giton suce Sévérino pendant qu'il opère ; une fille le fouette. Après cent coups, Clément paraît, il en applique le même nombre ; on le fout pendant qu'il flagelle ; la plus jeune des filles le branle. Antonin suit, et fouette le devant ; il frappe depuis le nombril jusqu'au-dessous de la motte ; il est socratisé par une femme, branlé par une autre. Ambroise, que gamahuche en cul la fille de quinze ans, et que suce le giton de huit, reprend le cul pour en rouvrir les plaies ; il ne s'arrête qu'à cent soixante. Sylvestre, au nez duquel deux femmes chient, veut fouetter pendant ce temps-là, le dos, les reins et le bas des cuisses. Jérôme, dont la femme de quarante ans pique les fesses avec une aiguille d'or, et que branle la fille de quatorze ans, condamne tout et n'épargne rien. - Mettons-nous tous les six sur elle, dit Sévérino, en s'introduisant dans le cul. - J'y consens, dit Antonin, en prenant le con. - Soit fait ainsi qu'il est requis, dit Clément en foutant la bouche. - Elle nous branlera chacun d'une main, disent à la fois Ambroise et Sylvestre. - Et qu'aurai-je donc, moi, dit Jérôme ? - Les tétons... ils sont superbes, dit Sévérino. - Je ne les aime pas, répond le libertin. - Eh bien, prend le cul, dit le supérieur, en se nichant entre les deux seins. Tout s'arrange ; la malheureuse fait la chouette aux six moines, et les accessoires se disposent. Au-dessus de Jérôme qui sodomise, se placent artistement les culs des trois jolies petites sœurs ; il peut les baiser en foutant. A la portée du visage d'Antonin, qui enconne, se présentent, entrouverts, trois autres jolis cons. Ambroise, que l'on branle, le rend de chaque main aux deux gitons de seize et de dix-huit. Sylvestre, également pollué, patine les fesses de la grosse fille de trente-cinq ans, et dirige sur les fesses de cette fille de dix-neuf les flots de foutre que Justine va faire jaillir. Clément, qui fout la bouche, mordille, en s'amusant, un petit con imberbe, et les fesses, à peine indiquées, d'un bardache. On place à la portée de Sévérino, qui fout les tétons, ceux de la femme grosse, qu'il traite un peu durement, et les fesses d'une autre sultane, que le cruel pique avec une épingle. Rien n'est lubrique à voir comme les mouvements convulsifs de ce groupe, composé de vingt-une personnes : tout ce qui reste l'entoure avec soin, et chacun semble prêter aux six principaux acteurs tout ce qu'il croit l'exciter davantage. Cependant, Justine supporte tout, le poids entier est sur elle seule. Sévérino donne le signal, les cinq autres le suivent de près ; et voilà, pour la troisième fois, notre malheureuse héroïne indignement souillée des preuves de la dégoûtante luxure de ces insignes coquins. - C'en est assez pour une réception, dit le supérieur en venant examiner Justine ; il faut lui faire voir maintenant que ses compagnes ne sont pas mieux traitées qu'elle. En conséquence, on la place sur un tronçon de colonne dressé dans un bout de la salle et sur lequel on pouvait à peine s'asseoir ; ses jambes pendaient, elle n'avait rien ni pour s'appuyer, ni pour se soutenir, et ce siège était assez élevé pour qu'elle pût se casser un membre, si elle en tombait : tel est le trône où l'on place la reine du jour ; et là, on lui recommande de fixer avidement ses yeux sur les moindres détails des scandaleuses orgies qui vont se célébrer près d'elle. La première scène fut une fustigation générale. Les seize filles, et même celle qui était grosse furent attachées à une machine fort ingénieuse : là, liées tout de leur long, on faisait au moyen d'un ressort, écarter leurs jambes et leurs cuisses à volonté et courber la partie supérieure de leur corps jusqu'à terre. Les y plaçait-on sur le ventre ; alors, leurs reins et leurs fesses se trouvaient à une prodigieuse élévation, et la peau si tendue, tellement dilatée, qu'en moins de dix coups de verges, le sang coulait à gros bouillons ; étaient-elles placées sur le dos ; le ventre, a son tour, bombait au point de se crever ; et comme par le moyen d'un autre ressort, les cuisses, ainsi que nous venons de le dire, s'écartaient prodigieusement, il en résultait que la motte et le vagin s'offraient dans un tel point d'élévation et d'élargissure, qu'on eût dit qu'ils allaient se fendre. A peine la machine fut-elle apportée, que Jérôme et Clément proposèrent d'y mettre Justine. Sévérino, qui trouvait à cette infortunée le plus beau cul du monde, et qui voulait s'en amuser quelque temps, représente qu'elle en avait assez pour le premier jour ; qu'il fallait la laisser reposer, et... Mais Jérôme interrompt ; il dévore des yeux cette intéressante créature ; son caractère féroce ne lui permet pas de mettre aucune borne à ses désirs ; il combat la tolérance de Sévérino. - Est-ce donc pour se reposer qu'une putain est ici ? dit Jérôme en fureur : en voulons-nous faire des dames ou des poupées de toilette ? Jusqu'à quand souffrirons-nous que l'on nous parle toujours d'humanité au sein du crime et de la luxure ? Une fille, n'eût-elle été ici qu'une heure, dût-elle crever dans la seconde, des peines ou des tourments infligés par nous, elle aurait accompli son sort et nous n'aurions rien à nous reprocher. Est-ce donc pour autre chose que pour satisfaire nos passions que ces garces-là habitent parmi nous ? Y entrent-elles pour un temps fixe ? Bannissons ces fausses retenues, et que nos yeux soient toujours ouverts sur la plus sage des lois que nous nous sommes imposée nous-mêmes. J'ouvre le livre, et je lis : « Un des membres de la société désirât-il, pour sa simple satisfaction, la mort de tous les sujets composant les différents sérails de la maison, il sera défendu à aucun de ses confrères de lui résister, et tous, d'un commun accord, s'empresseront de favoriser ses désirs. » - Je vais plus loin que Jérôme, dit Clément entre deux filles, dont l'une le polluait par devant, l'autre par derrière ; je demande que la nouvelle arrivée soit, dès ce soir, soumise aux tortures du dernier supplice ; elle m'irrite au point que je puis plus la voir sans comploter contre ses jours, et je demande sa mort à l'instant. Je connais nos lois comme Jérôme, dit Sévérino flegmatiquement ; mais, en citant l'article qui favorise ses désirs, il a oublié celui qui peut les contraindre. J'ouvre le livre au même article, et j'y vois ensuite de ce qu'il vous a lu : « On n'observera néanmoins de ne procéder au jugement du sujet discrédité qu'à la majorité des voix ; il en sera de même pour le supplice par lequel le sujet périra. » - Eh bien ! dit Jérôme, que l'on mette donc sur-le-champ ma proposition aux voix, et que la victime, pendant la discussion, soit, suivant l'usage, étendue sur un chevalet, les fesses tournées devant ses juges. Justine est aussitôt garrottée : ses frayeurs et ses angoisses sont telles, qu'elle entend à peine ce qu'on prononce. Des sujets de luxure entourent chaque moine, chacun est au milieu de deux filles et d'un garçon : ce n'est qu'ainsi qu'il peut prononcer ; il faut qu'il bande avant que de donner sa voix : la doyenne des filles vérifie ; tout est en l'air. Après un instant de silence, le supérieur met aux opinions les jours de la malheureuse Justine ; mais Jérôme et Clément sont les seuls qui opinent pour la mort ; les quatre autres sont d'avis de s'amuser encore quelque temps de cette fille. Elle est donc remise à sa place ; et, pour faire aussitôt diversion, Sévérino attache lui-même sur l'infernale machine la fille de dix-huit ans, celle qui sans doute pouvait passer pour la plus belle de la maison. Elle y est mise sur le ventre ; on la courbe, et ses belles fesses paraissent dans toute leur sublimité. Voici comme sa flagellation s'arrange ; ce que nos lecteurs vont voir pratiquer pour celle-ci, sera de même mis en usage pour les autres : chaque moine doit fustiger à son tour ; près de la victime est une très jeune fille munie de tous les instruments nécessaires à l'opération ; elle les présente au fouetteur qui choisit, à son gré, celui qui lui plaît le mieux, et qui, quelquefois, les emploie tous ; une autre fille, prise dans la classe des plus forte, fouette le moine pendant qu'il opère ; et l'un des jeunes garçons, agenouillé devant lui, le suce. Celle qui doit succéder à la fustigée est contrainte à demeurer à genoux, les mains jointes, dans l'attitude de la douleur et de l'humiliation ; bien en face du fouetteur, elle lui demande grâce, elle l'implore, elle pleure ; et, pendant ce temps, un des moines, placés près de l'agent, l'exhorte à l'inhumanité la plus barbare, et lui représente que les plus grands dangers peuvent naître de sa commisération mal entendue. Toutes les filles, même les plus jeunes, et celles qui sont grosses, toutes sont impitoyablement fouettées d'après ces principes : chaque moine en expédie seize, tant par-devant que par-derrière. Presque toutes sont retournées ; ce qui les désole d'autant plus, que la flagellation antérieure leur paraît avec raison bien plus douloureuse que l'autre ; et, en effet, comme ces scélérats recherchaient attentivement ce qui pouvait le mieux tourmenter ces malheureuses, ils avaient soin, en fustigeant les devants, de faire pénétrer dans l'intérieur du vagin les nœuds de la discipline dont ils se servaient alors, de manière à exciter dans cette délicate parties des douleurs excessivement vives ; et plus la victime se plaignait en ce moment cruel, plus elle criait, plus les libertins triomphaient, mieux ils bandaient, mieux ils se délectaient. Pas un pourtant ne déchargea, tant ils étaient accoutumés au vice, tant ils étaient blasés sur les scènes les plus fortes et les plus luxurieuses. Celle-ci finie, la femme de quarante ans et la grosse femme de trente furent se placer sur un canapé : deux filles allaient tour à tour se mettre dans leurs bras ; et elles les contenaient : alors les moines venaient faire subir à l'une ou l'autre de ces deux patientes un supplice de choix. Près de chaque victime étaient deux gitons : dès que la pénitence était imposée, le bourreau venait se réfugier à son choix, dans celui de ces quatre culs qui lui convenait le mieux ; les trois autres s'offraient à ses baisers ; on les enculait pendant ce temps-là, et deux filles se plaçaient sous leurs mains ; une autre plus âgée ne devait pas quitter les flancs du moine qui agissait, afin de le servir dans ses opérations, et principalement dans l'acte sodomite, où son devoir alors était d'humecter le vit avec sa bouche, et de l'enfoncer elle-même dans le cul présenté. Sévérino commence : c'est la plus jeune qu'on offre à sa passion. Le scélérat lui pince les fesses d'une si terrible force, qu'elles sont toutes noires au sortir de ses mains : il se réfugie dans le cul d'un bardache ; on l'encule, il baise, et touche indistinctement tort ce qui se présente à lui ; cul, con, gorge, tout est égal à sa luxure : l'homme passionné n'y regarde pas de si près ; il veut perdre son foutre ; pour y réussir, tout est bon ; et le supérieur y parvient. Clément le suit : c'est la jolie fille de quinze ans qu'on livre à ses fureurs. Le scélérat se sert d'une poignée d'épines ; il en frotte vigoureusement tout le corps de cette malheureuse, et mouille ensuite avec du vinaigre les ampoules qu'il vient d'élever : il se jette sur un giton ; mais ne bandant pas assez pour le foutre, il s'en fait sucer ; et le coquin décharge, en imprimant ses dents avec rage sur les fesses de la femme grosse que sa luxure a désirée. Antonin paraît : c'est cette belle fille de dix-huit ans qui va servir sa rage. Le drôle aime les cons, il est vrai ; mais cela ne l'empêche pas de vexer, de tourmenter celui de cette charmante créature, et cela, d'une manière effrayante ; on n'imagine pas à quel point il se permet d'outrager cette intéressante partie ; c'est à coups d'épingles ; il le larde en se branlant ; et quand cette atroce barbarie l'a suffisamment excité, quand il bande ferme, il se réfugie dans le con d'une des plus petites filles qu'on a fait remplacer le bardache, et décharge en gamahuchant celui qu'il vient d'outrager ; tout cela pendant qu'on le fout. Ambroise arrive : le monstre ! il a voulu pour patiente la même fille qui vient de servir à son confrère, et c'est à grands coups de poing qu'il la pelote ; il les appuie avec une si brande raideur et une telle promptitude qu'elle tombe à ses pieds évanouie : il encule le giton de treize ans, on le fout, il baise des culs, et son foutre s'élance. Sylvestre vient : la fille de vingt ans va lui servir ; ses fesses sont déjà présentées ; qu'elles sont belles ! Est-il possible d'être assez barbare pour outrager ainsi ce que la nature forma de plus parfait ! Écoutez, dit Sylvestre à sa victime : je ne vous déguiserai pas que la vexation que je vous prépare est affreuse ; mais il ne tient qu'à vous de vous y soustraire : faites-moi dans l'instant un étron superbe, et vous échapperez au reste. L'infâme ! il savait bien que la chose était impossible ; il n'ignorait pas que cette charmante fille venait de donner à Jérôme, il n'y avait qu'un instant, ce qu'il sollicitait avec tant d'ardeur. La pauvre fille expose l'impossibilité physique où elle est d'accorder ce qu'on exige. J'en suis fâché, répond Sylvestre ; et, s'emparant d'une tenaille le barbare arrache en cinq ou six endroits la peau des cuisses et des fesses, avec une telle violence, que le sang coule à chaque plaie. Un con est là ; il s'y engloutit : sa fouteuse, instruite et qui s'est réservée, ne manque pas de lui chier sur le vit pendant qu'il l'enconne ; deux autres étrons lui sont lancés par des culs masculins ; on le fout et le coquin décharge, en blasphémant son Dieu. Il n'y avait plus que Jérôme ; il arrive : c'est sur la fille de treize ans qu'il va s'exercer. Le paillard ne se sert que de ses dents ; mais chaque morsure laisse une trace dont le sang jaillit aussitôt. Je la dévorerais dans l'état où je suis, dit le bougre en fureur ; je la mangerais toute vive ; il y a longtemps que j'ai envie de dévorer une femme et de sucer son sang. Jérôme bandait comme un diable ; il se jette sur le cul du bardache de seize ans, l'enfile, mord tout ce qui se présente à lui, et décharge pendant qu'on le fouette. Les moines boivent et reprennent des forces, tandis que la malheureuse Justine, sur sa sellette, est prête à s'évanouir. La fille de quinze ans veut la plaindre ; elle est condamnée à trois cents coups de fouet, qui lui sont à l'instant distribués par les six moines ; son cul distille le sang. - Point de pitié, point de commisération, dit Sylvestre ; l'humanité est la mort du plaisir : c'est pour souffrir que ces garces-là sont ici, et il faut que leur destinée soit remplie dans la plus extrême étendue. S'il est constant que des libertins tels que nous ne doivent retirer leur principale jouissance que de l'excès des douleurs où ils plongent les objets destinés à la luxure, ne m'avouera-t-on pas dès lors que c'est manquer décidément le but que de parler de commisération ? Et qu'importe qu'une putain souffre, quand des gens comme nous bandent ! Les femmes, spécialement créées pour nos plaisirs, doivent uniquement les satisfaire en quelque sens et sous quelque rapport que ce puisse être : si elles s'y refusent, il faut les tuer comme des êtres inutiles, comme des animaux dangereux ; car il n'y a pas de milieu alors, toutes celles qui ne serviront pas nos voluptés y nuiront ; de ce moment, elles sont nos ennemies ; or, ce qu'on doit faire de plus sage, dans tous les temps et dans tous les lieux, est de se débarrasser de ses ennemis. - Sylvestre, dit Jérôme, il me paraît que tu oublies les principes de la charité chrétienne. - J'abhorre, reprit Sylvestre, tout ce qui est chrétien ; un ramas de turpitudes semblables est-il fait pour obtenir le moindre ascendant sur la raison d'un homme d'esprit ? Cette infâme religion, faite pour les mendiants, devait les favoriser et mettre d'après cela l'humanité au rang de ses vertus ; mais, sacre-dieu, mes bons amis, nous qui nageons dans toutes les voluptés de la terre, quel besoin avons-nous d'être bienfaisants ? Cette bassesse n'est permise qu'à celui qui craint de manquer ; il croit devoir rendre service à ceux dont il appréhende d'avoir besoin quelque jour : nous qui n'avons jamais besoin de personne, éteignons cette faiblesse dans nos cœurs, et n'y laissons pénétrer que la luxure, la cruauté, et tous les vices qui doivent naître de ces deux-là ou les étayer. - Quoi ! Sylvestre, dit Sévérino, tu crois qu'il faut décidément tuer ses ennemis ? - Sans exception, reprend Sylvestre ; il ne doit y avoir ni ruse, ni violence, ni trahison, ni fourberie, qu'on ne doive employer pour y réussir, et la raison de cela est bien simple ; n'est-il pas vrai que cet ennemi me tuerait s'il le pouvait ? - Assurément. - Pourquoi donc lui faire grâce ? La mort que je lui donne n'est plus un outrage, elle est une justice ; je lui épargne un crime ; je me mets absolument à la place des lois ; et, en tuant cet ennemi, je remplis positivement le même acte de justice qu'elles ; donc, je ne saurais jamais être coupable. Je dis plus : je n'attendrai jamais, si j'ai la force en main, que mes ennemis soient bien prononcés, pour les tuer ; je me déferai d'eux sur le plus léger soupçon sur la délation la plus vague, sur la plus futile apparence ; car il n'est pas temps de dissiper l'orage quand il est formé ; je manque de sagesse, si je ne l'ai pas prévenu. Il y a une vérité terrible à prononcer ici ; mais qui, comme vérité, cependant doit être mise au jour ; c'est qu'une seule goutte de notre sang vaut mieux que tous les ruisseaux de sang que les autres peuvent verser ; et d'après cela il n'y a jamais à balancer, quand pour conserver cette goutte nous en ferions couler des torrents. Il est inouï ce qu'on reçoit de toutes les données de l'égoïsme et, malheureusement pour les philanthropes, l'égoïsme est la plus sainte et la plus sûre des lois de la nature. On aura beau me dire que c'est un vice ; tant que je sentirai ses conseils se graver et tourner au fond de mon âme, je me rendrai à ce mouvement, et je repousserai vos erreurs. La plupart des élans de la nature étant funeste à la société, il est tout simple qu'elle en ait fait des crimes : mais les lois sociales ont tous les hommes pour objet ; et celles de la nature sont individuelles, et par conséquent préférables : car la loi faite par les hommes pour tous les hommes peut être erronée, et celle inspirée par la nature, au cœur de chaque être individuellement, est décidément une loi certaine. Mes principes sont durs, je le sais ; leur conséquence dangereuse : mais qu'importe ! pourvu qu'ils soient justes. Je suis l'homme de la nature, avant que d'être celui de la société ; et je dois respecter et suivre les lois de la nature, avant que d'écouter celles de la société : les premières sont des lois infaillibles, les autres me tromperont souvent. D'après ces principes, si les lois de la nature m'obligent à me soustraire à celles de la société, si elles me conseillent de les braver ou de m'en moquer, assurément je le ferai sans cesse, en prenant toutes les précautions qu'exigera ma sûreté ; parce que toutes les institutions humaines, basée sur des intérêts où je ne suis associé que pour un sur plusieurs milliards, ne doivent jamais l'emporter sur ce qui m'est personnel. - Pour appuyer l'excellent système de Sylvestre, dit Ambroise, je ne vois qu'une chose ; c'est de considérer l'homme naturel, de l'isoler de la masse sociale où l'ont nécessairement placé ses besoins. - Si ces besoins l'y ont mis dit Sévérino, il faut donc, pour l'intérêt même de ses besoins, qu'il en remplisse les lois. - Précisément, voilà le sophisme, reprend Ambroise : voilà ce qui vous a fait faire des lois et des lois ridicules. Ce ne fut que par faiblesse que l'homme se rapprocha de la société, par l'espoir d'y trouver plus facilement ses besoins ; mais si cette société ne les lui accorde qu'à des conditions onéreuses, ne fera-t-il pas bien mieux de se les procurer lui-même que de les acheter si cher ? ne fera-t-il pas plus sagement de chercher sa vie dans les bois que de la mendier dans les villes, aux tristes conditions d'étouffer ces penchants... de les sacrifier à des intérêts généraux, dont il ne retire jamais que des chagrins. - Ambroise, dit Sévérino, tu me parais comme Sylvestre, bien ennemi des conventions sociales et des institutions humaines. - Je les abhorre, dit Ambroise ; elles entravent notre liberté, elles atténuent notre énergie, elles dégradent notre âme, elles ont fait de l'espèce humaine un vil troupeau d'esclaves que le premier intrigant mène ou bon lui semble. - Que de crimes, dit Sévérino, régneraient sur la terre sans institutions et sans maîtres ! - Voilà ce qui s'appelle le raisonnement d'un esclave, répond Ambroise : qu'est-ce qu'un crime ? - L'action contraire aux intérêts de la société. - Et que sont les intérêts de la société ? - La masse de tous les intérêts individuels. - Mais si je vous prouve qu'il s'en faut bien que les intérêts de la société soient le résultat des intérêts individuels, et que ce que vous considérez comme intérêts sociaux n'est, au contraire, que le produit des sacrifices particuliers, m'avouerez-vous qu'en reprenant mes droits, quoique je ne le puisse que par ce que vous appelez un crime, je ferais pourtant fort bien de commettre ce crime, puisqu'il rétablit la balance, et qu'il me rend la portion d'énergie que je n'avais cédée à vos intentions sociales qu'au prix d'un bonheur qu'elle me refuse. Cette hypothèse admise, qu'appellerez-vous donc un crime, à présent ? Eh ! non, non, il n'est point de crime : il est quelques infractions au pacte social ; mais je dois mépriser ce pacte, dès que les mouvements de mon cœur m'avertissent qu'il ne peut contribuer au bonheur de ma vie ; je dois chérir tout ce qui l'outrage, dès que ce n'est qu'au sein des insultes que le vrai bonheur naît pour moi. - Voilà, certes, dit Antonin qui mangeait et buvait comme un ogre, oui, voilà une conversation bien immorale. - Et qu'appelez-vous morale, s'il vous plaît ? dit Ambroise. - Le mode, dit Sévérino, qui doit conduire les hommes dans le sentier de la vertu. - Mais, reprit Ambroise, si la vertu est elle-même une chimère comme le crime, que deviendra le mode qui doit guider les hommes dans le sentier de cette chimère ? Mettez-vous donc dans l'esprit qu'il n'y a pas plus de vertu que de crime ; que l'une et l'autre de ces manières d'être ne sont que locales et géographiques ; qu'il n'y a rien de constant sur elles, et qu'il est absurde de se laisser guider par ces abominables illusions. La plus saine morale est celle de nos penchants ; livrons-nous aveuglément à tout ce qu'ils inspirent, et nous ne serons jamais dans l'erreur. - Tu crois donc qu'il n'en est aucun de mauvais ? dit Jérôme. - Je crois qu'il n'en est aucun qu'on puisse vaincre ; c'est assez vous dire que je les crois tous bons ; car, ou la nature ne saurait ce qu'elle ferait, ou elle n'a placé dans nous que les penchants nécessaires à ses intentions sur nous. - Ainsi, poursuivit Jérôme, les âmes perverses de Tibère et de Néron étaient dans la nature. - Assurément ; et leurs crimes ont servi la nature, parce qu'il n'est pas un seul crime qui ne la serve, pas un seul dont elle n'ait besoin. Ces systèmes sont si démontrés, dit Clément, que je ne conçois pas comment on y revient encore. - Leur dépravation m'amuse, dit Sévérino ; voilà pourquoi j'ai contrarié les pré-orateurs ; c'est pour leur donner occasion de mieux développer leur esprit. - Nous te rendons assez de justice, dit Ambroise, pour être bien sûrs que tu ne joues ici que le rôle d'un controversiste, et que les sentiments que j'ai mis au jour sont autant dans ton âme que dans la mienne. - J'espère qu'aucun de vous n'en doute, dit Sévérino ; peut-être même les porté-je plus loin : j'en suis au point de désirer un crime assez étendu pour satisfaire amplement toutes mes passions ; et dans la classe de ceux que je connais, à peine trouvé-je à ces passions qui me dévorent un aliment qui les apaise ; tout est au-dessous de mes pensées, et rien ne satisfait mes désirs. - Il y a des siècles que je suis au même point, dit Jérôme, et plus de vingt ans que je ne bande qu'à l'idée d'un crime supérieur à tout ce que l'homme peut faire dans le monde ; et malheureusement je ne le trouve point : tout ce que nous faisons ici n'est que l'image de ce que nous voudrions pouvoir faire ; et l'impossibilité d'outrager la nature est, selon moi, le plus grand supplice de l'homme. - Vous bandez Jérôme ? dit Sévérino. - Pas un mot, mes amis ; voyez mon vit, comme il est flasque. Ah ! que je bande ou que je ne bande pas, j'ai toujours le même appétit du mal, toujours un égal désir d'en faire, et j'en ai plus exécuté de sang-froid que je n'en ai commis dans le délire. - Ainsi, dit Sévérino, vous n'avez donc pris cet habit religieux que pour tromper les hommes ? -- Assurément, répondit Jérôme ; c'est le manteau de l'hypocrisie, le seul dont il soit nécessaire de se revêtir sans cesse. Le premier de tous les arts est de tromper ; il n'en est pas de plus utile sur la terre : ce n'est pas la vertu qui est bonne aux hommes, c'est son apparence ; on ne demande que cela dans la société ; les hommes ne vivent pas assez ensemble pour avoir vraiment besoin de la vertu ; l'enveloppe suffit à qui n'approfondit jamais. - Et voilà tout d'un coup de nouveaux vices ; car il en est mille qui naissent de l'hypocrisie. - Raison de plus pour que nous devions l'aimer, dit Jérôme. Je vous avoue que dans ma jeunesse, je ne foutais jamais de si bon cœur que quand l'objet tombait dans mes pièges à force de ruse et d'hypocrisie : il faudra que je vous raconte quelque jour l'histoire de ma vie. - Nous brûlons de l'entendre, dirent à la fois Ambroise et Clément. - Vous verrez là, reprit Jérôme, si je me suis jamais lassé du crime. - Eh ! le peut-on dit Sylvestre ? est-il rien qui remue l'âme avec autant d'empire ? rien qui, comme le crime, chatouille les sens avec plus d'énergie ? - Oh ! mes amis, que n'en pouvons-nous commettre à tous les instants du jour ! Patience, patience, dit Sévérino en continuant son personnage de controversiste, il viendra un temps où la religion tournera dans vos cœurs où les idées d'Être suprême et du culte qui lui est dû, absorbant toutes les illusions du libertinage, vous contraindront à rendre à ce Dieu saint tous les mouvements d'un cœur dont vous avez laissé le crime s'emparer. - Mon ami, dit Ambroise, la religion n'a d'empire que sur l'esprit de ceux qui ne peuvent rien expliquer sans elle ; c'est le nec plus ultra de l'ignorance : mais, à nos yeux philosophes, la religion n'est qu'une fable absurde uniquement faite pour nos mépris : et quelles notions nous donne-t-elle, en effet, cette religion sublime ? je voudrais bien qu'on me l'expliquât. Plus on l'examine, et plus l'on voit que ses chimères théologiques ne sont propres qu'à embrouiller toutes nos idées : métamorphosant tout en mystères, cette fantastique religion nous donne, pour cause de ce que nous ne comprenons pas, quelque chose que nous comprenons encore moins. Est-ce donc expliquer la nature que d'en attribuer les phénomènes à des agents inconnus, à des puissances invisibles, à des causes immatérielles ? L'esprit humain est-il bien satisfait, quand on lui dit de se rendre raison de ce qu'il n'entend pas, par l'idée plus incompréhensible encore d'un Dieu qui n'exista jamais ? La nature divine, à laquelle on ne conçoit rien, et qui répugne au bon sens et à la raison, peut-elle faire concevoir la nature de l'homme, que l'on trouve déjà si difficile à expliquer ? Demandez à un chrétien, c'est-à-dire à un imbécile parce qu'il n'appartient qu'à un imbécile d'être chrétien ; demandez-lui, dis-je, quelle est l'origine du monde ; il vous répondra que c'est Dieu qui a créé l'univers : demandez-lui maintenant ce que c'est que Dieu, il n'en sait rien ; ce que c'est que créer, il n'en a nulle idée ; quelle est la cause des pestes, des famines, des guerres, des sécheresses, des inondations, des tremblements de terre, il vous dira que c'est la colère de Dieu : demandez-lui quels remèdes il faut employer à tant de maux ; il vous dira des prières, des sacrifices, des processions, des offrandes, des cérémonies. Mais pourquoi le ciel est-il en courroux ? c'est que les hommes sont méchants : pourquoi les hommes sont-ils méchants ? c'est que leur nature est corrompue : quelle est la cause de cette corruption ? c'est, vous disent-ils, parce que le premier homme, séduit par la première femme, a mangé une pomme, à laquelle son Dieu lui avait défendu de toucher : qui est-ce qui engagea cette femme à faire une telle sottise ? c'est le diable : mais qui a créé le diable ? c'est Dieu : pourquoi Dieu a-t-il créé le diable, destiné à pervertir le genre humain ? on l'ignore ; c'est un mystère caché dans le sein de la Divinité, qui elle-même est un mystère. Poursuivrez-vous ? demanderez-vous à cet animal quel est le principe caché des actions et des mouvements du cœur humain ? il vous répondra que c'est l'âme : et qu'est-ce que l'âme ? c'est un esprit : qu'est-ce qu'un esprit ? c'est une substance, qui n'a ni forme, ni couleur, ni étendue, ni partie : comment une telle substance peut-elle se concevoir ? comment peut-elle mouvoir un corps ? on n'en sait rien, c'est un mystère : les bêtes ont-elles des âmes ? non : et pourquoi donc les voyons-nous agir, sentir, penser absolument comme des hommes ? Ici ils se taisent, parce qu'ils ne savent que dire. Et la raison de cela est simple : s'ils prêtent une âme aux hommes, c'est par l'intérêt qu'ils ont à en faire ce qu'ils veulent, au moyen de l'empire qu'ils s'arrogent sur ces âmes ; au lieu qu'ils n'ont pas le même intérêt avec celles des bêtes, et qu'un docteur en théologie serait trop humilié de la nécessité où l'on serait alors d'assimiler son âme à celle d'un cochon. Voilà pourtant les solutions puériles que l'on est obligé d'enfanter pour expliquer les problèmes du monde physique et moral. - Mais, si tous les hommes étaient philosophes, dit Sévérino, nous n'aurions pas le plaisir de l'être seuls ; et c'est un grand plaisir que de faire schisme, une grande volupté que de ne pas penser comme tout le monde. - Aussi mon opinion est-elle bien, dit Ambroise, qu'il ne faut jamais arracher le bandeau des yeux du peuple ; il faut qu'il croupisse dans ses préjugés, cela est essentiel. Où seraient les victimes de notre scélératesse, si tous les hommes étaient criminels ! Ne cessons jamais de tenir le peuple sous le joug de l'erreur et du mensonge : étayons-nous sans cesse du sceptre des tyrans ; protégeons les trônes, ils protégeront l'église ; et le despotisme, enfant de cette union, maintiendra nos droits dans le monde. Les hommes ne se mènent qu'avec la verge de fer : je voudrais que tous les souverains (et en vérité ils y gagneraient) donnassent plus d'extension à notre autorité, qu'il n'y eût pas un seul de leurs états où l'inquisition ne fût en vigueur. Voyez comme elle lie en Espagne le peuple au souverain ; jamais ses chaînes ne seront aussi tendues que dans les pays où ce tribunal auguste se chargea de les river. On se plaint qu'il est sanguinaire : eh, qu'importe ! ne vaut-il pas mieux n'avoir que douze millions de sujets soumis, que vingt-quatre qui ne le sont pas ? Ce n'est point par la multitude de ses sujets qu'un prince est vraiment grand, c'est par l'étendue de sa puissance sur eux, c'est par l'extrême soumission des individus sur lesquels il règne ; et jamais cette subordination n'aura lieu qu'au moyen du tribunal inquisitoire, qui, veillant à la sûreté du prince et à la splendeur de son empire, immolera chaque jour tous ceux qui menaceraient l'un ou l'autre. Eh qu'importe le sang qu'il en coûte pour cimenter les droits du souverain ! si ces droits se perdent, le peuple retombe dans une anarchie dont les guerres civiles sont les suites ; et ce sang, que vous avez mal à propos ménagé, ne coule-t-il pas alors avec plus d'abondance ? - Je crois, dit Sylvestre, que ces bons dominicains doivent trouver dans leurs vexations inquisitoriales de biens délicieux aliments à leur lubricité. - N'en doutez pas, dit Sévérino ; j'ai vécu sept ans en Espagne ; j'étais fort lié avec l'inquisiteur actuel. Il n'y a pas, me disait-il un jour, de despote asiatique, dont le harem vaille mes cachots ; femmes, filles, jeunes garçons, j'ai tous les sexes, tous les genres, tous les âges, toutes les nations ; d'un geste tout est à mes pieds ; mes eunuques sont mes guichetiers, la mort est ma maquerelle ; on n'imagine pas ce que me rapportent les craintes qu'elle inspire. - Ah ! foutre, il n'y a que cela, dit Jérôme, qui recommençait à bander, et qui en conséquence venait de s'emparer de la fille de dix-huit ans, oh ! non, il n'y a de délicieux au monde que les jouissances despotiques ; il faut violenter l'objet que l'on désire ; plus de plaisirs, dès qu'il se rend. Et, cette voluptueuse idée enflammant nos interlocuteurs, on s'aperçut que le souper allait finir par des bacchanales. - Je voudrais que nous nous amusassions un peu de ces femmes grosses, dit Antonin, qui les avait mises toutes deux dans l'état où on les voyait. Et, la proposition ayant été accueillie, on avance, au milieu de la chambre, un piédestal haut de dix pieds, sur lequel ces deux malheureuses2, liées dos à dos, pouvaient à peine poser une jambe ; tous les environs, dans un diamètre de trois pieds, sont jonchés d'épines et de ronces à dix pouces de hauteur ; obligées de ne se tenir que sur un pied, on leur donne une gaule pliante à la main pour les soutenir, ; il est aisé de voir d'un côté l'intérêt qu'elles ont de ne pas choir, de l'autre l'impossibilité de maintenir la position. C'est de cette cruelle alternative que naissent les plaisirs des moines. Ils entourent le piédestal : environnés eux-mêmes d'objets de luxure, il n'en est pas un d'eux qui n'ait au moins trois sujets près de lui, qui les excitent diversement pendant ce spectacle. Quoique enceintes, ces malheureuses restent plus d'un quart d'heure en attitude. Celle de trente ans, grosse de huit mois, perd ses forces, la première ; elle chancelle, entraîne bientôt sa camarade dans sa chute : toutes deux jettent les hauts cris, en tombant sur les ronces aiguës qui les reçoivent. Nos scélérats, pleins de vin et de luxure, se précipitent comme des furieux sur elles : les uns les battent, les autres les frottent avec les épines qui les couvrent, ceux-ci sodomisent, ceux-là enconnent, tous jouissent, lorsque de violentes mouches, éprouvées par la fille de trente ans, avertissent l'assemblée que la malheureuse va se débarrasser de son fardeau. Tout secours lui est constamment refusé : la nature se soulage elle-même ; mais c'est un cadavre qu'elle met au jour... un malheureux cadavre qui lui-même coûte la vie à sa mère. Ici l'exaltation des têtes est à son comble : tous les moines déchargent à la fois ; tous inondent simultanément ou des cons, ou des culs, ou des bouches ; il coule des ruisseaux de foutre ; d'affreux blasphèmes font retentir les voûtes ; et le calme renaît à la fin. Les morts s'emportent d'un côté, de l'autre les victimes rentrent au sérail ; et le supérieur, restant seul avec Justine et celle des filles de vingt-cinq ans, qui se nommait Omphale, et dont on a tracé plus haut le portrait, dit à notre héroïne : - Vous venez de voir, mon enfant, que je vous ai sauvé la vie ; vous étiez condamnée sans moi : suivez cette fille, elle vous installera, elle vous mettra au fait de vos devoirs ; et souvenez-vous bien surtout que c'est par la soumission la plus entière, par la résignation la plus étendue, que vous m'empêcherez de me repentir de ce que je viens de faire pour vous. Voyons votre cul. L'humble et douce Justine se retourne en tremblant. - Ce sont vos fesses qui vous ont sauvée, poursuit le moine, j'en idolâtre la tournure : songez à exciter et à ménager à propos les désirs qu'elles m'inspireront : car l'indifférence aurait autant d'inconvénient pour vous que la satiété, et je vous punirais autant pour ne me rien inspirer, que pour m'avoir fait trop sentir. - Quels écueils, ô mon père ! soyez plus grand et plus généreux ; daignez me rendre la liberté, que vous m'avez si injustement ravie, je vous bénirai le reste de mes jours. - Ces bénédictions-là, ma chère fille, reprit le moine, ne contribueraient en rien à mon bonheur ; et le plaisir de vous enchaîner à ma luxure ici augmente infiniment ce bonheur ! Et Sévérino, servi par Omphale, introduisait son vit, tout en parlant, dans le trou du cul de Justine ; après quelques allées et venues, il se retira. - Je la mènerais, dès ce soir, coucher avec moi, dit-il à Omphale, si des prémices masculins ne m'attendaient pas cette nuit ; mais ce sera pour l'un de ces jours : instruisez-la, ma fille, et retirez-vous. Le supérieur disparut ; et nos deux sultanes rentrèrent au sérail, dont les portes d'airain se refermèrent aussitôt sur elles. Justine, trop lasse, trop absorbée, ne vit rien, n'entendit rien ce premier soir ; elle ne pensa qu'à prendre un peu de repos ; et son institutrice, fatiguée elle-même, fut loin de s'opposer à ce sujet. Le lendemain, Justine, en ouvrant les yeux, se trouve dans une de ces cellules que nous avons déjà peintes. Elle se lève, examine la grandeur du local, et compte les chambres, qui, comme la sienne, environnent cette salle, dont le milieu était occupé par une table ronde, à laquelle pouvaient se placer trente couverts. Le plus grand silence régnait encore quand Justine se leva. Elle parcourut tout, et vit que cette grande pièce n'était éclairée que par une fenêtre fort haute, environnée d'un triple grillage. Les cellules n'étaient point fermées, chaque fille pouvait passer ou dans la salle, ou chez sa compagne, à l'heure qu'elle voulait ; mais elle ne pouvait pas non plus s'enfermer dans sa chambre. Le nom des filles était gravé au-dessus de chaque porte ; ce fut par ce moyen que Justine trouva Omphale ; et le premier mouvement qui lui échappa fut de se jeter, en larmes, dans le sein de cette charmante fille, dont l'air timide et doux lui faisait croire, avec raison, que l'âme sensible pourrait la comprendre. - Oh ! chère amie, lui dit-elle en s'asseyant sur son lit, je ne puis revenir ni des exécrations que j'ai souffertes, ni de celles dont on m'a rendue témoin. Si quelquefois, hélas ! mon imagination s'égarait sur les plaisirs de la jouissance, je les croyais purs comme le Dieu qui les inspire aux hommes : donnés par lui pour leur servir de consolation, je les supposais nés de l'amour et de la délicatesse ; j'étais bien loin de croire qu'à l'exemple des bêtes féroces ils ne pussent jouir qu'en faisant souffrir leurs compagnes. Ô grand Dieu ! continuait-elle, en poussant un profond soupir, il est donc bien certain maintenant qu'aucun acte de vertu n'émanera de mon cœur, qu'il ne soit aussitôt suivi d'une peine ! Eh ! quel mal faisais-je, grand Dieu ! en désirant de venir accomplir, dans ce couvent, quelques devoirs de religion ? offensais-je le ciel en voulant le prier ? Incompréhensibles décrets de la Providence, daignez donc, continua-t-elle, vous expliquer à moi, si vous ne voulez pas que mon cœur se révolte. Des flots de larmes, que Justine répandit dans le sein d'Omphale, suivirent ces plaintes amères ; et cette tendre compagne, la pressant dans ses bras, l'exhorta au courage et à la patience. - Ô Justine ! lui dit-elle avec aménité, j'ai pleuré, comme toi, dans les premiers jours, et maintenant l'habitude est prise ; tu t'y accoutumeras, comme j'ai fait. Les commencements sont terribles : ce n'est pas seulement la nécessité d'assouvir les passions de ces libertins qui fait le supplice de notre vie ; c'est la perte de notre liberté ; c'est la manière cruelle dont on nous gouverne dans cette exécrable prison ; c'est la mort qui plane à tout instant sur nos têtes. Les malheureux se consolent en en voyant d'autres auprès d'eux. Quelques cuisantes que fussent les douleurs de Justine, elle se calma, pour prier sa compagne de la mettre au fait des chagrins et des tourments auxquels elle devait s'attendre. - Un moment, dit Omphale, il est un premier devoir à rendre dont nous ne pouvons nous écarter. Il faut que je te présente à Victorine ; c'est la directrice des sérails, et qui jouit ici, s'il est possible, d'une plus grande autorité que les moines mêmes ; c'est d'elle que nous dépendons. Instruite de ton arrivée dès hier soir, elle trouverait très mauvais que ton premier soin, aujourd'hui, ne fût pas de l'aller visiter : va mettre un peu plus d'ordre à ta toilette, et reviens me prendre ; je me lève, et vais la prévenir. Justine, effrayée de cette nouvelle obligation, exécute pourtant ce qu'on lui recommande ; et, après quelques soins, elle revient trouver son amie. La demi-toilette qu'elle venait de faire, l'air abattu, intéressant, que lui donnaient ses chagrins et ses fatigues, tout prêtait à cette charmante fille un degré d'intérêt si puissant qu'il était impossible de la regarder sans être ému, et que, quel que fût le sexe dont elle dût fixer les yeux, elle était toujours sûre d'en recevoir les plus certains hommages. Profitons du moment où Omphale met Justine au fait du caractère et de la figure de cette directrice, pour la peindre nous-mêmes au lecteur. Victorine était une grande fille de trente-huit ans, brune, sèche, des yeux noirs, très ardents, de beaux cheveux, de belles dents, un nez à la romaine, une physionomie méchante, la voix forte, l'air et le caractère durs ; beaucoup d'esprit, très cruelle, très immorale, extrêmement corrompue, fort impie, singulièrement orgueilleuse de sa place, et la remplissant avec autant de despotisme que de tyrannie. Nous allons voir incessamment, par les relations d'Omphale à Justine, combien les sujets du sérail dépendaient d'elle, et quel puissant empire elle pouvait exercer sur eux. Victorine possédait à la fois et tous les goûts et tous les vices ; fouteuse, tribade, sodomiste, elle aimait tout, elle se livrait à tout ; et réunissant à ces défauts ceux de la gourmandise, de l'ivrognerie, du mensonge, de la calomnie, de la méchanceté et de la plus complète dépravation, cette femme, d'après ce que l'on voit, était un véritable monstre, dont il ne pouvait résulter que des horreurs. Il y avait huit ans que cette mégère était à la tète de tout, et qu'elle demeurait volontairement dans le couvent. Elle seule avait la permission d'en sortir, quand l'exigeaient les affaires de la maison ; mais, comme elle était sous le glaive de la justice, et signalée dans toute la France, elle profitait fort peu de cet agrément ; et, pour sa propre sûreté, elle ne se souciait pas de s'écarter beaucoup d'un logis dans lequel tout lui assurait une impunité qu'elle eût difficilement trouvée ailleurs. L'appartement de Victorine, composé d'une salle à manger, d'une chambre à coucher et de deux cabinets, tenait le milieu entre le sérail des garçons et celui des filles ; elle communiquait, avec la même facilité, dans l'un et dans l'autre, et les avait tous deux également sous sa surveillance. Nos deux odalisques se présentent à sa porte. - Madame, dit Omphale, voici la nouvelle venue ; le révérend père supérieur l'a remise en mes mains pour être instruite, et je n'ai pas voulu rien lui dire avant que d'avoir eu l'honneur de vous la présenter. Victorine allait déjeuner. Sur sa table était une dinde aux truffes, entre un pâté de Périgueux et une mortadelle de Boulogne, qu'entouraient six bouteilles de vin de Champagne, et point de pain ; elle n'en mangeait jamais3. - Voyons, dit-elle à Omphale, fais approcher de moi cette fille... Comment donc, mais elle est jolie... extrêmement jolie ; voilà les plus beaux yeux et la plus délicieuse bouche que j'aie vus depuis longtemps... Cette taille, comme elle est bien prise ! Venez me baiser, mon cœur ; et la tribade appuya, sur les lèvres de rose du plus bel enfant de l'Amour, le baiser le plus ardent et le plus impudique. Encore une fois, dit-elle, et fournissez-moi plus de langue ; enfoncez-la le plus avant possible : vous voyez comme je darde la mienne ; c'est comme cela qu'on se goûte. Justine obéit : le moyen de résister à l'être dont notre sort dépend ! et le baiser le plus lascif et le plus prolongé devient le résultat de sa complaisance. - Omphale, poursuivit la directrice, cette jeune fille me plaît ; je la branlerai ; non pas à présent, car je suis rendue, je viens de foutre comme une garce ; et après avoir passé la nuit avec quatre garçons du sérail, pour me raccommoder, j'ai branlé deux filles ce matin. Loge-là dans la classe des vestales ; c'est celle où son âge la place ; mets-là au fait, et ramène-la moi ce soir : si elle n'est pas du souper, je coucherai avec elle ; sinon, ce sera pour demain : trousse-la pourtant, je veux voir comme elle est faite. Et Omphale ayant exécuté l'ordre, ayant tourné et retourné sa camarade sous tous les sens, Victorine palpa, baisa, gamahucha, et parut fort contente. - Elle est blanche et bien faite, dit-elle ; cela doit décharger comme un ange. Adieu ; il faut que je déjeune : je verrai cela ce soir. - Madame, dit respectueusement Omphale, ma compagne ne se retirera pas sans avoir obtenu l'honneur de vous donner le baiser que vous avez coutume d'accorder aux novices. - Ah ! est-ce qu'elle veut baiser mon cul ? dit l'impudique créature. - Et le reste, madame ; et le reste. - Allons, je le veux bien. Et la vilaine, se troussant, d'abord par derrière, jusqu'au-dessus des reins, expose à la bouche fraîche de notre héroïne le cul le plus libertin, le plus impur et le plus flétri qu'il fût possible de voir... que Justine, guidée par Omphale, baisa respectueusement sur les fesses, ensuite au trou. - De la langue donc, de la langue, dit brutalement Victorine. Et notre pauvre fille, obligée d'en faire sentir les chatouillements, exécuta ce qu'on désirait quoique avec la plus extrême répugnance. La directrice se troussa par devant ; mais, se tenant assise, elle se contenta d'écarter les cuisses : Dieu ! quel gouffre elle offrit aux hommages de Justine... cloaque d'autant plus dégoûtant, qu'il était encore barbouillé du foutre dont la gueuse s'était fait arroser toute la nuit. Ici, la novice oubliait une seconde fois la cérémonie de la langue ; et sans Omphale, qui lui fit signe, elle allait s'exposer encore aux reproches de l'insatiable Messaline. Enfin, ces dégoûtantes cérémonies faites, Justine et Omphale se retirèrent, en recevant l'ordre de revenir le soir, si Justine n'est pas du souper, ou le lendemain matin, si elle en est. Les deux amies passèrent dans la cellule de Justine ; et ce fut là qu'Omphale donna à sa nouvelle compagne les intéressants détails que nous allons transmettre au lecteur. - Tu vois d'abord, ma chère amie, lui dit-elle avant que de s'enfermer ensemble, que toutes les cellules sont égales ; toutes ont une garde-robe, dans laquelle sont une toilette, un bidet ; une chaise percée ; et, dans la pièce où l'on couche, toutes ont également un petit lit d'indienne en tombeau, un sofa une chaise, un fauteuil, une commode, une glace au-dessus, une table de nuit et une chiffonnière. Il n'y a pas la moindre différence entre les cellules des garçons et les nôtres : les lits sont bons ; deux matelas et un sommier, deux couvertures d'hiver, une d'été, un couvre-pied, des draps tous les quinze jours ; mais point de feu ; ce grand poêle échauffe tout, et c'est là que nous nous réunissons : tu vois que les fenêtres sont inaccessibles ; à peine peut-on s'élever jusqu'à leur hauteur ; y parvient-on, de triples grillages en interceptent jusqu'à l'air. Trois portes de fer closent l'entrée du sérail du côté de la salle du festin ; et celle qui communique chez Victorine est également bien fermée la nuit. - Il me semble, dit Justine, que tous les noms ne sont pas au-dessus des portes ; pourquoi cette différence ? - On enlève les noms de celles qui n'existent plus, dit Omphale ; et, comme il en manque deux aujourd'hui, voilà pourquoi quelques cellules sont sans étiquettes. - Et que sont devenues ces deux ? dit Justine. - Ne le devines-tu pas ? dit Omphale : ne te rappelles-tu donc pas le sort de cette malheureuse femme grosse d'hier au soir ? - Oh ! ciel, tu me fais frémir. Mais, une vacance dans la plus jeune classe. - Eh ! qu'importe, la nature ou la raison parlent-elles au cœur de ces scélérats ? Mais prends patience, Justine, et laisse-moi mettre un peu d'ordre à mes détails. Avant que de commencer, jette un coup d'œil sur la grande salle ; voilà nos compagnes qui se réunissent pour le déjeuner ; examine un instant l'ensemble ; nous rentrerons dans ta cellule après, et nous y poursuivrons nos récits. Justine accepte : toutes ses compagnes l'entourent ; et elle voit là réunies sous ses yeux vingt-huit filles, plus belles que l'on ne saurait peut-être en trouver en Europe. A la sollicitation d'Omphale, et pour que Justine pût mieux examiner les grâces qui l'environnaient, toutes se rangèrent par classe : Justine et son institutrice les parcoururent ; et voici les objets qui frappèrent le plus notre héroïne : Elle remarqua d'abord, dans la classe des pucelles, une petite fille de dix ans, que l'Amour même paraissait avoir pris le soin d'embellir. Une fille de dix-sept ans la frappa singulièrement dans la classe des vestales : elle avait une figure ovale, un peu triste, mais pleine d'intérêt, pâle, une santé délicate, le son de voix tendre, une véritable héroïne de roman. Dans la classe des sodomistes, les yeux de Justine se fixèrent sur une charmante fille de vingt ans, faite comme Vénus ; une blancheur éblouissante, la physionomie douce, ouverte, riante de superbes cheveux, la bouche un peu grande mais admirablement bien meublée, et de très beaux cheveux châtains. Enfin, dans celle des fessées, ce fut avec un véritable intérêt qu'elle vit une femme de vingt-huit ans, vrai modèle de taille et de beauté, et dont la fraîcheur eût fait honte à celle de Flore elle-même. Une femme de quarante ans la surprit dans la classe des duègnes, tant à cause de la régularité de ses traits, que de la fermeté de ses chairs et du brillant de ses yeux. Nous nous contentons d'esquisser ici ce qui surprit davantage Justine ; s'il nous fallait peindre tout ce que cette collection offrait de délicieux, il ne serait pas une seule de ces séduisantes créatures, dont nous ne dussions parler en particulier. Ses yeux en furent éblouis ; et certes, tout autre qu'elle eût été bien flattée des compliments qu'on lui prodiguait, même au milieu de ces jolies personnes. Cet examen fait, les deux amies se renfermèrent ; et ce qu'on va lire dans le chapitre suivant sont les explications que Justine reçut de son institutrice. **** *creator_sade *book_sade_justine1799 *style_prose *date_1799 CHAPITRE IX SUITE DE DÉTAILS - LOIS, MŒURS, USAGES DE LA MAISON OÙ JUSTINE SE TROUVE - L'instruction que j'ai à te donner, dit Omphale, doit être renfermée sous quatre principaux articles : nous traiterons dans le premier de tout ce qui concerne la maison ; nous placerons dans le second ce qui regarde la tenue des filles, leurs devoirs, leurs punitions, leur nourriture ; le troisième article t'instruira de l'arrangement des plaisirs de ces moines, de la manière dont les filles ou les garçons servent leurs voluptés ; le quatrième te développera l'histoire des réformes et des changements. Je te parlerai peu, Justine, des abords de cette affreuse maison ; on me les a fait voir éclairés, afin que je puisse en donner l'idée à celles que l'on me charge d'instruire, et les convaincre mieux de toute l'impossibilité de l'évasion. Hier, Sévérino t'en expliqua une partie ; il ne te trompa point. L'église et le pavillon qui y tient forment ce qu'on appelle le couvent ; mais tu ignores comment est situé le corps de logis que nous habitons, comment on y parvient, le voici : Au fond de la sacristie est une porte masquée par la boiserie, qu'un ressort ouvre. Cette porte sert d'entrée à un boyau aussi obscur que long, des sinuosités duquel la frayeur en entrant t'empêcha sans doute de t'apercevoir. D'abord, ce boyau descend, parce qu'il faut qu'il passe sous un fossé de trente pieds de profondeur ; c'est là que se présente un pont sur lequel tu peux te souvenir d'avoir passé. Le couloir remonte ensuite, et ne règne plus qu'à six pieds sous le sol ; c'est ainsi qu'il arrive au souterrain de notre pavillon dans un espace d'environ deux cents toises ; et c'est, ainsi que tu l'as vu, par une trappe qu'on arrive au dehors dans la salle à manger. Six enceintes de houx et d'épine, de trois pieds d'épaisseur, s'opposent à ce qu'il soit possible d'apercevoir ce logement-ci, fût-on même monté sur le clocher de l'église. La raison de cela est simple : le pavillon du sérail n'a pas cinquante pieds de haut ; et les six haies qui l'environnent en ont partout plus de soixante. De quelque part qu'on observe cette partie, elle ne peut donc être prise que pour un taillis de la forêt, et jamais pour une habitation. Ce pavillon-ci, ma chère, vulgairement appelé le sérail, n'a eu en tout que des souterrains, un plain-pied, un entresol, et un premier étage : la voûte qui couvre le dessus de cet édifice est garnie dans toute sa superficie d'une cuvette de plomb très épaisse, dans laquelle sont plantés différents arbustes toujours verts, qui se mariant avec les haies qui nous entourent, en donnent au total un air de massif encore plus réel. Les souterrains forment un grand salon au milieu, et douze cabinets autour : six de ces cabinets servent de caves : les six autres, de cachots pour les sujets de l'un ou l'autre sexe qui ont mérité cette punition ; et ces cas sont si fréquents qu'il n'y a jamais de place vide. Cette peine est horrible ; tous les accessoires de la plus extrême rigueur l'accompagnent ; l'humidité du local y est d'abord insupportable ; on y est toujours enfermé nu, et l'on n'y a que du pain et de l'eau. - Oh ! Dieu, s'écria Justine ; ces scélérats ont la cruauté, l'impudeur d'enfermer nu dans un endroit aussi malsain ? - Absolument ; on ne nous y accorde seulement pas une couverture, pas un vase pour les besoins ; s'ils voient que l'on cherche un coin pour les y déposer, on est battu ; ils vous forcent de les remettre un peu par-ci un peu par-là dans le milieu de la chambre, et ce n'est que là qu'il vous est permis d'y vaquer. - Quelle recherche de saletés et de barbarie ! - Oh ! toutes celles du despotisme et de la luxure sont inouïes dans ces cachots ; on y place avec vous des rats, des lézards, des crapauds, des serpents. Plusieurs d'entre nous sont mortes, rien que pour avoir habité ces cloaques huit jours : au reste, on n'y est jamais moins de cinq, et très souvent des mois entiers. Nous y reviendrons. Au-dessus de ces souterrains se trouve la salle des soupers, où se célèbrent toujours les orgies dont tu fus témoin hier. Douze cabinets entourent de même cette salle : six servent de boudoir aux moines ; c'est là qu'ils s'enferment lorsqu'ils veulent isoler leurs plaisirs... les soustraire aux yeux de la société... Ces pièces, ornées par les mains du luxe et de la volupté, renferment tout ce qui peut servir aux supplices. Des six autres cabinets, il en est deux où jamais aucun sujet du sérail n'entre ; nous en ignorons absolument l'usage ; deux autres servent à serrer tous les comestibles ; l'avant-dernier est un office, le dernier une cuisine. On trouve douze chambres à l'entresol, dont six ont de jolis cabinets ; ce sont celles des moines ; dans les six autres, sont deux frères servants, dont l'un est geôlier des femmes, l'autre geôlier des hommes ; une cuisinière, une femme de charge, une fille de cuisine ; et le chirurgien, ayant autour de lui tout ce qui peut servir à des premiers besoins. Une particularité fort extraordinaire, c'est que tous ces personnages, excepté le cuisinier et le chirurgien, sont muets : quels secours attendre, quelles consolations recevoir de pareils gens ! ils ne s'arrêtent d'ailleurs jamais avec nous, et il nous est défendu, sous les peines les plus sévères, de leur parler ou de leur faire le moindre signe. Le dessus de ces entresols forme les deux sérails ; ils se ressemblent parfaitement l'un et l'autre. Tu as suffisamment pu juger les clôtures, pour concevoir qu'à supposer même que l'on rompît les barreaux de nos croisées, et que l'on descendît par les fenêtres, on serait encore loin de pouvoir s'évader, puisqu'il resterait à franchir les haies vives, l'épaisse muraille qui forme une septième enceinte autour d'elles, et le large fossé qui environne le tout. Ces obstacles fussent-ils vaincus, où retomberait-on ? dans la cour du couvent, qui, soigneusement fermée elle-même, n'offrirait pas encore une sortie bien sûre. Un moyen d'évasion, moins périlleux peut-être, serait, je l'avoue, de trouver dans la salle à manger la bouche du couloir qui y rend ; mais, indépendamment de ce qu'elle est impossible à découvrir, c'est qu'il ne nous est jamais permis d'être seules dans cette pièce-là. Pénétrât-on même dans le boyau, on ne s'en tirerait pas encore : il est coupé en plus de vingt endroits par des grilles de fer, dont eux seuls ont la clef, et garni de pièges, où se prendraient infailliblement ceux qui, comme eux, ne connaîtraient pas le local. Il faut donc renoncer a l'évasion, ma chère ; elle est impossible : ah ! crois que, si elle pouvait s'entreprendre, il y a longtemps que j'aurais fui la première cet épouvantable séjour. Mais cela ne se peut ; la mort seule rompt ici nos liens : et de là naît cette impudence, cette cruauté, cette tyrannie, dont les monstres usent avec nous. Rien ne les embrase, rien ne leur monte l'imagination, comme l'impunité que leur promet cette inabordable retraite. Bien sûrs de n'avoir jamais pour témoins de leurs excès que les victimes qui les assouvissent ; bien certains que jamais leurs écarts ne seront révélés, ils les portent aux plus odieuses extrémités. Délivrés du frein des lois, ayant brisé ceux de la religion, méconnaissant ceux des remords, n'admettant ni Dieu ni diable, il n'est aucune atrocité qu'ils ne se permettent, et, dans cette cruelle apathie, leurs abominables passions se trouvent d'autant plus voluptueusement chatouillées que rien, disent-ils, ne les enflamme comme la solitude et le silence, comme la faiblesse d'une part, et le despotisme de l'autre. Les moines couchent régulièrement toutes les nuits dans ce pavillon ; ils s'y rendent à cinq heures du soir, et retournent au couvent le lendemain sur les neuf heures, excepté un qui passe tour à tour ici la journée ; on l'appelle le régent de fonction. Nous verrons bientôt son emploi. A l'égard des servants, ils ne bougent jamais, la directrice a dans sa chambre une sonnette qui communique dans la leur ; et, dès qu'elle les avertit, soit pour ses besoins, ou les nôtres, ils accourent. Les moines apportent eux-mêmes, en venant au sérail, les provisions de chaque jour ; ils les remettent aux personnes chargées de préparer les aliments, et on les emploie d'après leurs ordres : il y a une excellente fontaine dans les souterrains, et de délicieux vins dans les caves. Passons au second article : Ce qui tient à la tenue des filles, à leur nourriture, leur punition, etc. Notre nombre est toujours fixé à trente ; sitôt qu'il se décomplète, on travaille bien vite à le remplacer. Tu vois que nous sommes divisées par classe, et toujours sous le costume annexé à la division dont nous sommes membres. La journée ne se passera pas sans que tu ne reçoives l'habit de celle où tu entres. Nous sommes obligées de nous coiffer nous-mêmes, ou mutuellement. Les modèles nous sont donnés ; ils varient tous les deux mois ; chaque classe a son modèle à part. L'autorité de la directrice sur nous est sans bornes ; lui désobéir est un crime dont la punition s'inflige aussitôt : elle est chargée du soin de nous inspecter, avant que nous ne nous rendions aux orgies ; et si les choses ne sont pas dans l'état prescrit par les moines dans la liste des filles invitées, Victorine nous impose une punition sur le champ. - Éclaircis-moi cette clause, dit Justine, je ne l'entends pas bien. - Chaque matin, répondit Omphale, on porte à Victorine la liste des filles conviées au souper ; à côté du nom de cette fille est l'état où on la désire, à peu près de cette manière : Julie ne se lavera point. Rose aura envie de chier. Adelaïde pétera. Alphonsine aura le cul merdeux. Le bidet le plus parfumé sera fait à Aurore, etc., etc., etc. Si ces ordres ne sont pas remplis, et qu'à l'examen Victorine ne vous suppose pas dans l'état désiré, on vous inflige une punition ; voilà ce que j'ai voulu dire. - Mais, objecta Justine en rougissant, comment peut-on savoir si une femme a, ou non, l'envie de satisfaire à ses gros besoins ? - Très facilement, reprit Omphale : Victorine vous enfonce un doigt dans le cul ; et si elle ne touche pas l'étron, la punition est ordonnée sur-le-champ. - Quelles horreurs ! dit Justine. Continue, je te prie ; elles sont si nouvelles, que leur détail est vraiment curieux. - Les fautes que nous pouvons commettre, poursuivit Omphale, sont de plusieurs sortes, chacune a sa punition particulière, dont le tarif est affiché dans les deux chambres. Le régent de fonction, celui qui vient, comme je te l'expliquerai tout à l'heure, nous signifier les ordres, nommer les filles du souper visiter les habitations et recevoir les plaintes de Victorine, est celui qui distribue à la fois, ou la punition infligée par la directrice, ou celle qu'il établit lui-même. Voici le tableau de ces punitions, à la suite du crime qui les attire. ART. I. Ne pas être levé le matin aux heures prescrites, lesquelles sont sept heures en été, et neuf en hiver. - Cinquante coups de fouet. II. Si, malgré l'examen de Victorine, l'on ne remplit pas aux soupers les obligations imposées, la mise, la tenue ordonnée ainsi qu'il vient d'être dit tout à l'heure. - Deux cents coups de fouet. III. Présenter, ou par malentendu, ou par quelque cause que ce puisse être, une partie du corps, dans l'acte du plaisir, contraire à celle qui est désirée. Obligée d'être trois jours toute nue dans la maison, quelque temps qu'il fasse. IV. Être mal vêtue, mal coiffée ; défaut de tenue, en un mot, dans l'intérieur du sérail. - Vingt piqûres d'épingle sur telle partie du corps qu'il plaît au régent. V. Ne point avertir quand on a ses règles. - Les règles supprimées sur le champ avec de l'eau glacée. VI. Le jour où le chirurgien a constaté votre grossesse. - Cent coups de nerfs de bœuf, indifféremment appliqués sur tout le corps, si l'on n'a pas envie de garder l'enfant. Aucune peine, s'il plaît à la société de conserver cette mère enceinte, pour de plus grands supplices. VII. Négligences, refus, impossibilité de satisfaire aux propositions luxurieuses. Et combien de fois leur infernale méchanceté vous prend-elle en défaut sur cela, sans que vous ayez le plus petit tort ! combien de fois l'un d'eux demande-t-il subitement ce qu'il sait bien que l'on vient d'accorder à l'autre, et ce qui ne peut se refaire tout de suite ! cependant ces fautes sont punies par - Quatre cents coups de verges sur les fesses seulement. VIII. Défaut de conduite dans la chambre, ou désobéissance à la directrice. - Six heures toute nue dans une cage de fer garnie de pointes en dedans, et dans laquelle vous courez le risque de vous déchirer au moindre mouvement. IX. L'air du mécontentement, l'apparence même des pleurs, du chagrin, du retour à la religion. Cinquante coups de fouet sur le sein ; et, s'il s'est agi de religion, on vous force à profaner la chose qui semblait avoir attiré vos respects. X. Si un membre de la société vous choisit pour goûter avec vous les dernières crises du plaisir, sans en pouvoir venir à bout ; qu'il y ait de votre faute ou de la sienne. Et l'on sent que l'arbitraire doit exister dans ce paragraphe de leur code barbare. - Liée comme une boule, et suspendue en manière de lustre au plafond, toute nue, pendant six heures. Que l'on s'évanouisse ou non dans cette affreuse attitude, vous n'êtes jamais relâchée un moment plus tôt. XI. La récidive de cette faute, que l'on regarde comme une des plus graves. Et combien y en a-t-il qui se refusent exprès à l'éjaculation, pour se procurer le plaisir barbare de vous imposer cette peine ; car alors c'est la partie lésée qui devient elle-même juge et bourreau ! - On vous enfonce deux énormes godemichés, l'un dans le con, l'autre dans le cul ; ensuite on comprime fortement en vous ces corps étrangers, avec des bandes ; puis on vous lie en boule, comme dans la punition précédente, mais dans le milieu d'un fagot d'épines, dont les pointes, lorsque vous êtes suspendue au plafond, font distiller le sang dans la chambre. Communément, l'ordonnateur se met dessous, et y reste, avec d'autres objets, jusqu'au dénouement de son plaisir. XII. Le plus petit air de répugnance aux propositions de la société, de quelque nature qu'elles puissent être. Et l'on n'imagine pas à quel point il en est de cruelles et de dégoûtantes. - Pendue une demi-heure par les pieds. Une rébellion, une révolte. - Peine de mort pour celle qui l'a commencée. Six mois de cachot, toute nue, où l'on est fouettée au sang deux fois par jour, à chacune de celles qui ont suivi les errements de la cabaleuse. XIII. Si l'insurrection n'a eu pour base que des conseils ou des propos, et qu'elle n'ait entraîné aucune suite. - Celle qui a occasionné ce mouvement, soit par ses propos, soit par ses conseils, sera brûlée, avec un fer chaud, en dix-huit endroits de son corps, au choix du régent du jour ; les autres en un seul endroit. XIV. Projet de suicide, refus de se nourrir comme il convient, ou abandon de soi-même, au point d'en tomber malade. - On s'informe du sujet de cet extrême mécontentement ; l'on redouble ce sujet avec le plus de barbarie possible ; et provisoirement un mois de cachot, enfermé avec l'espèce d'animal dont vous avez le plus de frayeur ; ensuite, pendant un autre mois, vous êtes condamnée à vous tenir à genoux tout le temps du souper des moines. XV. Manque de respect aux moines dans d'autres occasions que celles du plaisir. - La fraise de chaque téton piquée au sang avec une aiguille d'acier brûlante. XVI. Même faute dans la crise lubrique. - Enchaînée six mois au cachot nue, et simplement nourrie de pain noir et d'eau salée ; le fouet quatre fois par jour, deux fois par derrière, les deux autres fois par devant. La mort, en cas de récidive. XVII. Projet d'évasion. Si elle n'a pas eu lieu. Un an au cachot, traitée comme ci-dessus. XVIII. Si vous êtes prise en essayant de vous sauver. - Peine de mort. XIX. Si vous en avez entraîné d'autres avec vous. - Les séduites périssent du genre de mort le plus doux, et la séductrice par le plus cruel. XX. Rébellion envers Victorine. - Elle ordonne elle-même la punition, et le régent du jour la fait subir devant elle. XXI. Refus de se prêter aux fantaisies libidineuses de cette femme. - Même peine que si la faute était commise avec un moine. Voyez l'article XII. XXII. Se faire avorter soi-même. - Cinq cents coups de fouet sur le ventre, autant avec un martinet à pointes aiguës d'acier, que l'on dirige dans l'intérieur de la matrice, et ceux qui aiment à faire des enfants ne vous quittent pas que vous ne soyez redevenue grosse. Les moines emploient ordinairement six genres de mort avec les coupables, et ce sont toujours leurs mains qui les exécutent. Le plus doux, selon eux, est celui d'être rôtie toute vive, ou à la broche, ou sur un gril. Le second est d'être bouillie : ils vous enferment dans une grande marmite grillée en dessus, et vous cuisez à petit feu. Le troisième supplice est d'être rompue et exposée vive sur une roue. Le quatrième est d'être écartelée. Le cinquième, coupée en petits morceaux, et très lentement, par une machine faite exprès. Et le sixième, de périr sous les verges. Ils mettent bien d'autres supplices en usage ; mais ces six-là sont ceux annexés au châtiment des crimes commis. - Tu viens d'entendre quels sont ces crimes, ma chère compagne, poursuivit Omphale, et tu viens d'en voir la punition. Nous pouvons d'ailleurs, faire tout ce qu'il nous plaît : coucher ensemble, nous quereller, nous battre, nous porter aux derniers excès de l'ivrognerie et de la gourmandise, jurer, blasphémer, mentir, calomnier, nous livrer au vol ; et au meurtre même, si nous le voulons ; tout cela ne sont que des misères pour lesquelles nous n'éprouvons aucun reproche, et quelquefois même des éloges. Il y a six mois que la femme de quarante ans, dont l'extrême beauté t'a frappée, tua à coups de couteau une très jolie fille de seize ans, dont elle était à la fois amoureuse et jalouse. Les moines s'amusèrent du délit ; et, pendant plus d'un mois, cette impudente et belle créature ne parut aux soupers que couronnée de roses ; on la destine à remplacer Victorine un jour. C'est par le crime qu'on réussit ici ; lui seul plaît à ces bêtes farouches, lui seul nous fait respecter. Victorine est la maîtresse de nous épargner une infinité de désagréments, soit en faisant de nous de bons rapports, soit en déguisant les mauvais : mais malheureusement cette protection ne s'achète que par des complaisances, souvent plus fâcheuses que les peines garanties par elle. Ce n'est qu'en satisfaisant tous ses goûts qu'on parvient à l'intéresser : si on la refuse, elle multiplie, sans raison, la somme de vos torts ; et les moines, qu'elle sert par cette conduite, ne l'en estiment que davantage. Elle est exempte de toutes peines, et l'impunité la plus entière lui est assurée : on est certain qu'elle n'agira jamais contre l'intérêt des moines, dont elle partage trop sincèrement et les goûts, et les mœurs pour leur déplaire en quoi que ce puisse être. Ce n'est pas, au reste, que ces libertins aient besoin de toutes ces formalités pour sévir contre nous ; mais ils sont bien aises d'avoir des prétextes. Cet air de nature ajoute à leur volupté ; elle s'en accroît. La justice a donc quelques charmes, puisque ceux qui la révèrent le moins sont ceux qui, dans leurs désordres, cherchent à s'en rapprocher le plus1. Nous avons chacune une petite provision de linge : en entrant ici, on nous donne tout par demi-douzaines, et l'on renouvelle chaque année ; mais il faut rendre ce que nous apportons : il ne nous est pas permis d'en garder la moindre chose. Notre nourriture est fort bonne, et toujours en très grande abondance. S'ils ne recueillaient de là des branches certaines de volupté, peut-être cet article n'irait-il pas aussi bien ; mais comme leur libertinage y gagne, ils ne négligent rien pour nous gorger de nourriture. Ceux qui aiment à nous fouetter, nous ont plus dodues, plus grasses ; et ceux qui ne jouissent qu'en nous voyant satisfaire aux plus sales besoins de la nature, sont assurés d'une plus ample récolte. En conséquence, nous sommes servies quatre fois le jour. L'heure du déjeuner est à neuf heures précises ; on y sert des volailles au riz, des pâtisseries, des jambons, des fruits, des crèmes, etc. A une heure on dîne ; et la table, contenant trente couverts, est magnifiquement servie. A cinq heures et demie le goûter ; des fruits l'été, des confitures l'hiver. Le souper, étant le repas des moines, est servi encore avec plus de profusion et de délicatesse ; celles de nous qui y assistent sont sûres d'y faire la plus grande chair du monde, sans pour cela que le service des salles y perde la moindre chose. Nous avons, hommes et femmes, quel que soit l'âge, chacun deux bouteilles de vin par jour, dont une de blanc, pour les déjeuners et les goûters, une demi-bouteille de liqueur et du café. Celles qui ne consomment pas ces objets peuvent en faire part à leurs camarades : il y en a parmi nous de très intempérantes ; il y en a qui mangent et s'enivrent toute la journée ; jamais de tels excès ne sont réprimandés ; il en est également à qui ces quatre repas ne suffisent pas ; elles peuvent faire demander ce qu'elles veulent, on le leur apporte à l'instant. On est obligé de manger à table ; si l'on persistait à ne le vouloir pas, cette faute rentrerait dans l'article des rebellions, envers la directrice, et serait punie conformément à l'article vingtième. Victorine préside aux repas, ; mais elle est servie chez elle, séparément : sa table est de huit couverts, matin et soir ; elle y admet qui elle veut de l'un ou de l'autre sérail ; souvent des moines lui, tiennent compagnie, et règlent en ce cas le choix des conviés ; des orgies se célèbrent alors dans ce local, et l'on regarde comme une faveur d'y être admis. Jamais les sujets invités aux soupers des moines ne sont pris d'une seule classe : on les mêle toujours ; et leur nombre varie perpétuellement ; mais il est bien rarement au-dessous de douze, et beaucoup plus souvent au-dessus. Sur cela, il y a toujours six servantes, dont l'emploi, comme tu l'as vu, est de servir toutes nues les moines à table. Le nombre des gitons invités est toujours en raison de celui des filles, un pour deux femmes, et cela, par la raison qu'ayant plus de peine à se les procurer comme il les leur faut, ils les ménagent un peu plus. D'ailleurs, ils les aiment mieux, et c'est par raffinement qu'ils en usent moins. Le régime de leur sérail est pourtant tout aussi sévère que celui du nôtre ; ils leur font subir les mêmes genres de punition ; le tableau de leurs fautes est égal ; et, quand ils veulent une victime, ils la prennent là comme chez nous. Il est inutile de te dire que jamais personne ne nous visite ; aucun étranger, sous quelque prétexte que ce puisse être, n'est introduit dans ce pavillon. Si nous tombons malades, le seul frère chirurgien nous soigne ; et si nous mourons, c'est sans aucun secours religieux ; on nous jette dans des trous pratiqués entre les intervalles des haies ; et, par une insigne cruauté, si la maladie devient trop grave, ou qu'on en craigne la contagion, au lieu de nous transporter dans une infirmerie, on nous arrache de nos lits, et l'on nous enterre toutes vivantes, parce que, disent ces monstres, il vaut mieux en faire mourir une, que d'en exposer trente, et de courir nous-mêmes les dangers de l'épidémie ; depuis treize ans que je suis ici, j'ai vu plus de vingt exemples de cette férocité : ils en usent de même pour les garçons ; mais ils sont pourtant un peu mieux soignés. En général, tout cela dépend du plus ou du moins d'intérêt que le malade inspire au régent de fonction, chargé de ces sortes de visites : pour peu que le sujet lui déplaise, il fait un signe au chirurgien, qui délivre aussitôt un certificat d'épidémie ; et le malheureux individu a deux pieds de terre sur le nez une heure après. Passons à l'arrangement des plaisirs de ces libertins, et à tous les détails de cette partie. Nous nous levons, comme je te l'ai dit, à sept heures en été, à neuf en hiver : mais nous nous couchons plus ou moins tard, en raison du besoin que les moines ont de nous, et des soupers où nous assistons. Aussitôt que nous sommes levées, le régent de fonction vient faire sa visite. Il s'assoit dans un grand fauteuil ; et là, chacune de nous est obligée d'aller, l'une après l'autre, se placer devant lui, les jupes troussées du côté qu'il aime : il touche, il baise, il examine. Et quand toutes ont rempli ce devoir, la directrice approche ; elle fait son rapport ; les punitions s'imposent ; celles qui doivent se subir sur-le-champ, s'exécutent aussitôt dans l'appartement de la directrice et par les mains du régent. On procède aux autres dans les assemblées du soir, ou l'on fait descendre dans les prisons, si cas le requiert. Est-il question de la peine de mort ? La coupable est à l'instant garrottée, jetée dans un cachot ; et c'est à l'heure des orgies que se fait son exécution : mais dans ce cas il arrive quelque chose d'assez singulier. Dès que le sujet est condamné, le régent qui lui-même vient de prononcer la sentence, d'après la loi qu'il met sous les yeux de l'individu coupable, passe sur-le-champ chez la directrice avec l'accusé, et en jouit toujours une bonne heure avant que de le faire descendre en prison. « Il n'y a pas, disent ces scélérats, de jouissance pareille à celle d'un être condamné à mort » ; et c'est surtout pour son juge ou son bourreau, que cette jouissance est sans prix. Combien d'après cela, de condamnations arbitraires, puisque des plaisirs aussi vifs doivent en être les résultats ! Nous assistons quelquefois, mais en petit nombre, à ces funèbres jouissances. La victime, revêtue d'un crêpe noir, y est toujours en larmes ou évanouie ; et c'est dans l'horrible situation de cet individu, que ces scélérats trouvent le complément barbare de leur affreux délire. Leurs propos sont horribles alors, leurs voluptés semblables à celles des tigres ; ils insultent aux malheurs de l'objet qu'ils persécutent ; ils nous les donnent pour exemples, nous menacent d'un traitement pareil, et n'atteignent communément les dernières crises de la lubricité, qu'au sein de l'exécration et de l'infamie. Quelques jours avant ton arrivée, je fus témoin d'une de ces scènes : il s'agissait d'une fille de dix-sept ans, belle comme Vénus. Jérôme était régent de fonction. Au rapport de la directrice, cette malheureuse fille fut accusée d'avoir voulu se sauver ; elle nia le fait : Victorine conduisit Jérôme dans la cellule ; on trouva deux barreaux de cassés. Clémentine, c'était le nom de cette délicieuse créature, continua de nier ; on ne l'écouta point ; la loi était contre elle ; on lui lut le dix-huitième article, qui la condamnait à mort : elle protesta de son innocence ; et, certes, elle n'en imposait pas. C'était un tour affreux que lui jouait Jérôme, d'accord avec la directrice : elle était détestée de tous deux ; tous deux avaient juré sa perte ; ils avaient eux-mêmes scié les barreaux ; et l'infortunée mourut victime de leur insigne méchanceté. Je fus admise avec un jeune homme à la cérémonie de cette dernière jouissance, dont je viens de parler : on n'imagine pas les horreurs que Jérôme se permit avec cette pauvre fille, tout ce qu'il lui fit faire, tout ce qu'il exigea d'elle ; assez forte pour conserver son sang-froid, elle n'en eut que plus à souffrir. Jérôme, en la sodomisant, lui disait : « Je sais bien que tu es innocente ; mais je bandais aux délices de te sacrifier, et je vais décharger à l'exécution. » Ensuite, il lui demandait de quel genre de mort elle voulait finir : « Ton crime exige le plus affreux, mais je puis le changer pour un moindre ; choisis, putain, choisis - Le plus prompt ! s'écriait Clémentine. - Eh bien ! ce sera donc le plus lent, répondait le moine en écumant ; oui, le plus lent... et le plus horrible ; et ce sera moi qui te le donnerai. » Ensuite, il encula le jeune homme. J'étais obligée de lécher à genoux le trou du cul de ce libertin, qui, pendant ce temps-là, enfonçait sa langue dans la bouche de la victime, en respirant, disait-il, avec délices, les soupirs du dégoût, de la frayeur et du désespoir. Il termina son opération dans la bouche de Clémentine, pendant que le jeune homme l'enculait, et qu'il s'amusait à me souffleter de toutes ses forces, et à jurer comme un démoniaque. Les punitions accomplies, le régent donne la liste des conviés à la directrice : elle y voit le nom des femmes désirées, et l'état dans lequel on les veut ; ses mesures se prennent en conséquence. Malgré les luxures épisodiques où le régent vient de se livrer, il est rare qu'il sorte de la salle sans une scène lubrique à laquelle il emploie toujours douze ou quinze filles, et quelquefois jusqu'à vingt. La directrice conduit ces actes libidineux, et la plus entière soumission, de notre part, y règne. Il passe de là dans le sérail des garçons, où s'exécutent les mêmes choses. Il arrive souvent qu'un moine désire une fille dans son lit, avant l'heure du déjeuner. Le frère geôlier apporte une carte où est écrit le nom de celle qu'on veut : le régent l'occupât-il même alors, il faut qu'elle parte. Elle revient, quand on la renvoie ; et le geôlier qui la raccompagne, remet, dans le cas du mécontentement, un billet cacheté pour la directrice, afin que la punition de la délinquante soit sur-le-champ inscrite au registre, qui doit être présenté le lendemain au régent de fonction. Les visites faites, les déjeuners se servent. De ce moment, jusqu'au soir, nous ne sommes plus interrompues que par les demandes particulières qui peuvent être faites mais elles sont rares, parce que les moines qui dînent au couvent y passent ordinairement la journée. A sept heures du soir, en été, à six en hiver, le frère geôlier vient chercher celles qui sont du souper ; il les conduit et les ramène lui-même, en observant de laisser pour la nuit celles que les moines ont fait inscrire à cet effet ; alors, celles-là se retirent dans les chambres de ceux qui les ont voulues, seulement accompagnées des filles de garde. - Des filles de garde ! interrompit Justine ; quel est donc ce nouvel emploi ? - Le voici, répondit Omphale. Tous les premiers des mois, chaque moine adopte deux filles, qui doivent, pendant cet intervalle, lui tenir lieu, et de servante, et de plastron à ses sales désirs ; il ne peut ni les changer dans le cours du mois, ni leur faire faire deux mois de suite. Rien n'est aussi dur, aussi sale. aussi cruel, que les corvées de ce service ; et je ne sais comment tu t'y accoutumeras. - Hélas ! répondit Justine, je suis faite à la peine, il n'y a qu'aux horreurs que je ne puis m'habituer. - Aussitôt que cinq heures sonnent, poursuivit Omphale, les filles de garde, conduites par le geôlier, descendent nues près du moine qu'elles servent, et ne le quittent plus jusqu'au lendemain, à l'heure où il repasse au couvent ; elles le reprennent, dès qu'il revient au sérail. Elles emploient le peu d'heures que leur service leur laisse, à manger et à se reposer ; car il faut qu'elles veillent toute la nuit auprès de leur maître ; elles sont là pour servir aveuglément tous les caprices de ce libertin : que dis-je ! tous ses besoins ; il n'a point d'autre vase pour les satisfaire que la bouche ou les tétons de ces malheureuses qui perpétuellement collées près de leur despote, doivent endurer, soit de nuit, soit de jour, tout ce qu'il lui plaît d'infliger de plus barbare, de plus obscène, de plus ignominieux ; soufflets, fustigations, vexations, mauvais propos, jouissances, de quelque nature qu'elles puissent être, il faut qu'elles s'offrent à tout, qu'elles se réjouissent et se glorifient de tout. La plus légère répugnance est aussitôt punie de la peine portée à l'article douzième, à laquelle on ajoute deux cents coups de fouet, afin de leur faire voir que, dans cet emploi de fille de garde, elles sont obligées à plus de soumission et de condescendance encore que dans le reste des devoirs journaliers de leur état. Dans toutes les scènes de luxure, ce sont ces filles qui aident aux plaisirs, qui les soignent et qui approprient tout ce qui a pu être souillé. Un moine l'est-il en venant de jouir d'une fille ou d'un garçon ; c'est à la bouche de ses filles de garde à réparer le désordre : veut-il être préalablement excité ; c'est le soin de ces malheureuses : elles l'accompagnent en tous lieux, l'habillent, le déshabillent ; le servent, en un mot, dans tous les instants ; ont toujours tort, et sont toujours battues. Aux soupers, leur place est, ou derrière la chaise de leur maître, ou, comme un chien, à ses pieds, sous la table, ou à genoux entre ses cuisses, l'excitant de la bouche : quelquefois, elles lui servent de siège ; ils s'asseyent dessus leur visage ; ou bien, étendues sur la table à manger, on leur enfonce des bougies dans le derrière, et elles tiennent lieu de flambeaux. D'autres fois, pendant la souper, les moines les placent toutes les douze dans les attitudes les plus bizarres et les plus luxurieuses, mais en même temps les plus gênantes : si elles perdent l'équilibre, elles risquent, ou de tomber, comme tu l'as vu, sur des épines étalées près de là, ou dans des cuves d'eau bouillante, qu'on a soin d'y placer ; souvent le cruel résultat de ces chutes est de s'estropier, de se tuer, de se brûler, de se rompre les membres ; et pendant tout cela les monstres se réjouissent, font débauche, s'enivrent à loisir de mets délicieux, de vins délicats, et des plus piquantes luxures. - Oh ! ciel, dit Justine en frémissant d'horreur, peut-on porter plus loin le délire et la dépravation ? Peut-on se livrer à de tels excès ? - Il n'y a rien que n'entreprennent des hommes sans frein, dit Omphale, une fois qu'on ne respecte plus la religion, qu'on s'est accoutumé à braver les lois de la nature, et à vaincre les remords de sa conscience, il n'est plus d'horreurs qui ne s'entreprennent ; ce sont, ma chère, de cruelles vérités, dont la fréquentation de ces hommes perfides ne cesse de me convaincre chaque jour. - Quel enfer ! - Écoute, mon enfant, tu es encore loin de savoir tout. L'état de grossesse, révéré dans le monde, est presque une certitude de réprobation parmi ces infâmes : j'ai déjà touché cette corde dans le sixième article des punitions. Cet état ne dispense, ni des peines encourues par les délits dont je t'ai tracé le tableau, ni des gardes. Il est, au contraire, un véhicule aux peines, aux humiliations, aux chagrins. C'est, comme tu sais, à force de coups, qu'ils font avorter celle dont ils ne se soucient pas de garder le fruit ; et, s'ils le recueillent, c'est pour en jouir : ce que je te dis ici doit te suffire pour t'engager à te préserver de cet état le plus qu'il te sera possible. - Mais le peut-on ? - Sans doute, il est de certaines éponges... mais si Antonin s'en aperçoit, on n'échappe point à son courroux ; le plus sûr est d'étouffer le mouvement de la nature, en démontant l'imagination ; avec de pareils monstres, le procédé n'est pas difficile. Aucun moine que le régent de fonction et le supérieur n'a le droit d'entrer dans les sérails ; mais, comme ce poste de régent est hebdomadaire, chacun jouit à son tour de ce droit vraiment despotique : rentre-t-il dans la classe des autres, il reprend le privilège tout aussi agréable de faire demander dans sa chambre tel nombre de filles ou de garçons que bon lui semble pour s'en amuser dans son appartement : c'est à la directrice que cette demande s'établit ; et, comme nous l'avons déjà dit, si les sujets sont au sérail, elle ne peut les refuser sous aucun prétexte que ce puisse être ; la maladie n'est même pas une raison ; et l'on voit souvent ces barbares faire demander une malheureuse avec la fièvre, en venant d'être médicamentée, saignée, clystérisée, etc. ; elle a beau dire, il faut qu'elle marche, aucune objection n'est entendue, aucune ne peut la préserver d'obéir. Bien souvent ce n'est que par méchanceté, que par taquinerie qu'ils font demander un sujet ; ils savent bien, ou qu'ils ne désirent vraiment pas la jouissance de ce sujet, ou qu'il est hors d'état de leur servir, mais ils sont bien aises d'exercer leur autorité... de maintenir la subordination. D'autres fois c'est que réellement ils veulent s'en servir ; alors, ils lui font ce qu'ils veulent, et le gardent tout le temps qu'ils leur plaît. Le sujet demandé descend nu ou habillé ; ils n'ont sur tout cela d'autres règles que leurs fantaisies. Tous sont égaux ici : le supérieur n'a au-dessus des autres que le droit d'entrer au sérail pour les affaires qui concernent l'habillement, la tenue, la police, etc. On le reçoit, quand il paraît, avec les mêmes honneurs que le régent de fonction. Au reste, il y a dans cette maison des attenantes et des parentés dont on ne se doute pas, et qu'il est bon de t'expliquer ; mais ces éclaircissements ; rentrant dans le quatrième article, c'est-à-dire, dans celui de nos recrues, de nos réformes et de nos changements, je vais l'entamer pour y renfermer ce détail. Tu n'ignores pas, Justine, que les six moines réfugiés dans cet asile sont à la tête de leur ordre, et distingués tous six autant par leur fortune que par leur naissance. Indépendamment des fonds considérables faits par l'ordre des bénédictins pour l'entretien de cette voluptueuse retraite, ou tous ont espoir de passer à leur tour, ceux qui y sont ajoutent encore à ces fonds une partie considérable de leurs biens. Ces objets réunis s'élèvent à plus de 500 mille francs par an, absolument consacrés aux dépenses libidineuses de cette maison. Ils ont quatre hommes et quatre femmes de confiance, uniquement chargés de toujours tenir les deux sérails au complet, et qui, dans cette intention, ne cessent de parcourir toute la France. Jamais le sujet présenté ne doit être ni au-dessous de six ans, ni au-dessus de seize ; il doit être exempt de défauts, et doué, autant qu'il est possible, de tous les charmes et de toutes les grâces que peuvent lui prêter la nature et l'éducation ; mais il faut principalement qu'il soit d'une naissance distinguée ; ces libertins tiennent beaucoup à cette clause : ces rapts, exécutés au loin, et toujours bien payés, n'entraînent aucun inconvénient ; et n'en résulte jamais aucune suite fâcheuse. Ils ne tiennent pas absolument aux prémices ; une fille déjà séduite, un garçon flétri, ou femme mariée, tout cela leur plaît également ; mais il faut que le rapt soit constaté : cette circonstance les irrite ; ils veulent être certains que leurs crimes coûtent des pleurs ; ils ne voudraient pas d'un sujet qui se rendrait à eux volontairement. Si tu ne t'étais pas prodigieusement défendue, Justine, s'ils n'eussent pas reconnu un fond réel de vertu dans toi et, par conséquent, la certitude d'un crime, ils ne t'eussent pas gardée vingt-quatre heures. Tout ce que tu vois ici est de la meilleure naissance : moi, ma bonne amie, je suis née du comte de Villebrune, devant, comme fille unique, posséder un jour 80 mille livres de rente. Je fus enlevée à douze ans, dans le sein de ma bonne, qui me ramenait d'une campagne de mon père, dans le couvent où j'étais élevée. On attaqua la voiture, on m'arracha, et ma gouvernante fut assassinée. Amenée en poste ici, je fus flétrie dès le même soir. Toutes mes compagnes sont dans le même cas : des comtes, des ducs, des marquis, d'opulents banquiers, de riches commerçants, des magistrats célèbres, sont les pères de tout ce que tu vois. Il n'en est pas une qui ne puisse prouver les plus belles alliances, et pas une qui, malgré cela, ne soit traitée avec la dernière ignominie. Mais ces malhonnêtes gens ne s'en tiennent pas là ; ils ont voulu déshonorer le sein même de leur propre famille : la jeune personne de vingt-six ans, l'une de nos plus belles sans doute, est la fille de Clément ; celle de neuf ans est nièce de Jérôme ; la plus jolie des filles de seize est nièce d'Antonin. Sévérino a eu de même plusieurs enfants dans cette maison ; mais le scélérat les a tous sacrifiés, aucun n'existe aujourd'hui. Ambroise a un garçon dans le sérail que lui-même a dépucelé, mais qui, fluet et délicat, n'annonce rien de bien sublime. Dès qu'un sujet de l'un ou l'autre sexe est arrivé dans ce cloaque impur, si le nombre fixé est complet, on réforme aussitôt un individu du sexe dont est le sujet amené. Mais si c'est un remplacement, et que le nombre soit incomplet, on ne réforme rien. Et cette malheureuse réforme, chère fille, lorsqu'elle a lieu, devient le complément de nos douleurs. L'infortunée dont on a prononcé l'arrêt descend la veille de sa mort... - De sa mort ! interrompit Justine effrayée. - Oui, de sa mort, ma chère amie ; cette réforme est un arrêt de mort, et celles qui ont subi ce jugement ne revoient le jour de leur vie. Elle descend donc dans un des cachots dont je t'ai parlé, et reste là vingt-quatre heures, nue, mais parfaitement nourrie. Le souper où elle doit être immolée se fait dans la salle de ces souterrains, que l'on décore pour ce jour-là de la plus lugubre manière. Six femmes, choisies sur les plus belles, six hommes à la grosseur du membre, et toujours la directrice, sont les seuls admis à ces sanguinaires orgies. Une heure après le souper, la victime paraît, couronnée de cyprès. Son genre de supplice se met aux voix : le secrétaire lit la liste d'une certaine quantité de tourments ; ceux qui paraissent flatter davantage se discutent. Le choix fait, la victime est placée sur un piédestal, en face de la table où l'on soupe, et, sitôt après le repas, le supplice commence ; il dure quelquefois jusqu'au jour. Les filles de garde n'assistent point à ces orgies ; trois des six femmes choisies les remplacent ; et les infamies se portent à leur comble. Mais qu'ai-je besoin d'appuyer sur ces détails ? Tes yeux, ô ma douce amie ! ne t'en convaincront que trop tôt. - Juste ciel ! s'écria Justine, le meurtre, le plus exécrable des crimes, serait-il donc pour eux comme pour ce célèbre maréchal de Retz2, une sorte de jouissance, dont la cruauté, irritant à la fois leurs nerfs et leur perfide imagination, plongeât leurs sens dans une ivresse plus vive ! Accoutumés à ne jouir que par la douleur, à ne se délecter que par des tourments et par des supplices, serait-il donc possible qu'ils s'égarassent au point de croire qu'en redoublant, qu'en améliorant la première cause du délire, on dût inévitablement le rendre plus parfait, et qu'alors, sans principes comme sans foi, sans mœurs comme sans vertu, les coquins, abusant du malheur où nous plongent leurs premiers forfaits, se satisfissent par des seconds qui nous coûtassent la vie ? - N'en doute pas, répondit Omphale : ils nous égorgent, ils nous supplicient, parce que le crime les irrite. Écoute-les raisonner là-dessus, et tu verras avec quel art ils érigent toutes leurs turpitudes en systèmes. - Et ces réformes se font-elles souvent ? - Il périt un sujet ici, soit de l'une ou de l'autre classe, régulièrement tous les quinze jours. Rien, au surplus, ne légitime cette réforme : l'âge, le changement des traits, rien n'y fait ; le caprice est leur seule règle. Ils réformeront aujourd'hui celle qu'ils ont hier le plus caressée ; et garderont vingt ans celle dont ils paraissent le plus rassasiés. J'en suis la preuve, ma chère : il y a treize ans que je suis ici, il n'est presque pas une orgie dont je ne sois ; je suis sans cesse le plastron de toutes leurs débauches ; ils doivent être excédés de moi : par quels attraits les fixerais-je, fanée comme je le suis par leurs infâmes luxures ? Et, cependant, ils me conservent, tandis que je leur ai vu réformer des créatures délicieuses au bout de huit jours. Celle qui fut immolée dernièrement n'avait pas seize ans, belle comme l'Amour, à peine ici depuis six mois ; mais elle devint grosse, et c'est un tort qu'ils ne pardonnent pas. L'avant-dernière fut sacrifiée au moment même où elle ressentait les premières douleurs de l'enfantement. - Mais celles, dit Justine, qui périssent accidentellement dans les parties, comme hier au soir à souper, font-elles nombre dans les réformées ? - Point du tout, répondit Omphale, ce sont des événements imprévus qui ne comptent point, et qui n'empêchent pas le sacrifice quindécimaire. - Et ces accidents-là sont-ils fréquents ? poursuivit Justine. - Non, dit Omphale, ils se contentent de ce qu'ils se sont eux-mêmes prescrit, et, excepté des cas extraordinaires ou de fortes raisons, ils s'en tiennent à la loi qu'ils ont faite. N'imagine pas que la plus régulière conduite, et que la plus extrême soumission puisse nous faire échapper au sort qui nous attend ; j'en ai vu qui volaient au devant de tous leurs désirs, qui les prévenaient avec le plus grand soin, et qui partaient au bout de six mois, d'autres, maussades et fantasques, végétaient ici des années : il est donc inutile de prescrire à nos arrivantes un genre quelconque de conduite ; la fantaisie, l'unique volonté de ces monstres, brisent tous les freins et devient éternellement la loi de leurs détestables actions. Lorsqu'une femme doit être réformée, et je sais que c'est la même chose chez les hommes, elle en est prévenue le matin, jamais plus tôt. Le régent de fonction paraît à l'heure ordinaire, et dit, je le suppose : « Omphale, vos maîtres vous réforment ; je viendrai vous chercher ce soir. » Puis, il continue sa besogne : mais, à l'examen, la réformée ne s'offre plus à lui. Est-il parti, elle embrasse ses compagnes ; et, d'après son humeur ou son caractère, ou elle s'étourdit avec elles, ou elle va déplorer son sort au fond de sa cellule : mais point de cris, point de marques de désespoir ; elle serait hachée en morceaux dans l'instant, si on lui entendait faire le moindre train. L'heure sonne, le moine paraît, et la victime est aussitôt engloutie dans la ténébreuse prison qui lui sert d'asile jusqu'au lendemain. Dans les vingt-quatre heures qu'elle y passe, elle y est souvent visitée. Par un raffinement inconcevable de barbarie, les scélérats se plaisent d'aller en jouir là, et d'aggraver l'horreur de sa position, en la lui offrant sous le plus effrayant aspect. Il est alors permis à tous les moines d'aller faire préalablement souffrir à la victime tout ce que dicte leur imagination ; d'où il résulte qu'elle ne paraît souvent au lieu de son supplice que déjà violemment outragée et, quelquefois, à demi-morte. Sous aucun prétexte que ce soit, ils ne peuvent ni retarder, ni avancer sa dernière heure, ni parler de sa grâce ; leurs lois, toujours en action pour le mal, sont sans énergie pour le bien. Enfin, l'instant arrive, et l'exécution se fait. Je n'appuie point sur des détails qui ne seront que trop offerts à tes yeux. Le souper, d'ailleurs. est à peu près le même ; toujours excellent : mais il ne s'y boit que des vins étrangers, des liqueurs, et en bien plus grande abondance. Ils ne sortent jamais de ces repas sans être dans l'ivresse ; et l'on s'en retire beaucoup plus tard. L'histoire des réceptions emporte d'autres formalités dont tu seras également témoin, et qu'il est inutile de te détailler. Y en eût-il plusieurs arrivées à la fois, on en reçoit jamais qu'une ; et c'est dans les soupers ordinaires que se font les cérémonies à peu près semblables à celle dont tu fus toi-même la victime en entrant ici. - Et les moines, dit Justine, varient-ils aussi ? - Non, répondit Omphale, il y a dix ans que le plus nouveau est ici ; c'est Ambroise. Les autres y sont depuis quinze, vingt et vingt-cinq : il y en a vingt-six que Sévérino y est. Ce supérieur, né en Italie, est proche parent du pape, avec lequel il est fort bien3. Ce n'est que depuis lui que les prétendus miracles de la vierge assurent la réputation du couvent, et empêchent les médisants d'observer de trop près ce qui se passe ici. Mais la maison était montée comme tu la vois quand il y arriva ; il y a plus de cent ans qu'elle existe sur le même pied ; et tous les supérieurs qui y sont venus ont conservé des privilèges et des arrangements aussi nécessaires à leurs plaisirs. Sévérino, l'homme le plus libertin de son siècle, ne s'y est fait placer que pour y mener une vie analogue à ses goûts ; et son intention est d'y maintenir l'ordre que tu y vois aussi longtemps que cela sera possible. Nous sommes du diocèse d'Auxerre ; mais que l'évêque soit instruit ou non, jamais nous ne le voyons paraître. Personne, en général, n'approche de cet asile que vers le temps de la fête, qui est celle de la Notre-Dame d'août : il ne paraît pas, excepté cela, six personnes par an dans cette maison. Si quelque étranger se présente, le supérieur a soin de le bien recevoir ; il en impose par des apparences de religion et d'austérité. On s'en retourne content ; on fait l'éloge du monastère ; et l'impunité de ces scélérats s'établit ainsi sur la sottise du peuple et sur la crédulité des dévots, inébranlable base de la superstition. - Indépendamment des meurtres horribles dont tu viens de me dévoiler les circonstances, arrive-t-il quelquefois, dit Justine, que ces scélérats demandent un sujet pour l'exécuter dans leurs chambres ? - Non, dit Omphale, ils ne peuvent guère exercer qu'ensemble le droit de vie et de mort qu'ils se sont arrogé sur nous. S'ils veulent le mettre individuellement en action, c'est alors sur leurs filles de garde qu'ils l'exercent : celles-là, sans doute, peuvent être sacrifiées à tout moment du jour et de la nuit ; leur malheureux destin ne dépend absolument que du caprice de ces monstres, et pour la faute la plus légère, il arrive souvent qu'elles sont immolées par ces barbares. Cependant, cet affreux goût du meurtre vient les embraser aussi quelquefois dans les secrètes orgies qui se célèbrent chez la directrice. Ils consignent alors vingt-cinq louis pour le sujet proscrit, et ils l'exécutent. Cette masse est destinée aux remplacements ; et, dès qu'ils y contribuent de cette façon, ils acquièrent le droit de tout faire. - Perpétuellement sous le glaive, dit Justine, il n'est donc aucun instant où nos jours ne soient menacés ? - Oh ! pas un seul ; il n'est aucune de nous qui, en le levant le matin, puisse répondre de coucher dans son lit le soir. - Quel sort ! - Il est affreux, sans doute, mais on devient courageuse avec la perpétuelle obligation de s'armer ; et, malgré la faux de la mort, journellement suspendue sur nos têtes, tu n'en verras pas moins la gaieté, l'intempérance universellement régner parmi nous. - Voilà ce qui s'appelle des grâces d'état, dit Justine ; pour moi, je te déclare que je ne cesserai jamais et de pleurer et de frémir. Mais achève mon instruction, je t'en prie ; et dis-moi si les moines peuvent quelquefois sortir des sujets du couvent. - Cela ne leur arrive jamais, dit Omphale ; on ne respire plus l'air de la liberté une fois engloutie dans cette maison. De ce moment, aucun espoir ne nous est permis ; il ne s'agit que d'attendre un peu plus... un peu moins de temps, mais notre sort est toujours le même. - Depuis que tu es ici, poursuivit Justine, tu as dû voir de furieux changements ? - Je n'en ai que douze au-dessus de moi ; excepté cela j'ai vu renouveler plusieurs fois toute la maison. - Et tu y as perdu beaucoup d'amies ? - De bien chères ! - Oh ! que de douleurs ! Moi qui voudrais t'aimer, l'oserai-je, s'il faut nous séparer si tôt. Et ces deux tendres amies, s'élançant dans les bras l'une de l'autre, arrosèrent un instant leurs seins des larmes de la douleur, de l'inquiétude et du désespoir. Cette scène attendrissante finissait à peine, que le régent de fonction parut avec la directrice : c'était Antonin. Toutes les femmes, suivant l'usage, se rangèrent sur deux haies. Il jeta un coup d'œil indifférent sur l'ensemble, compta les sujets, puis s'assit. Alors toutes furent l'une après l'autre relever leurs jupes devant lui, d'un côté jusqu'au-dessus du nombril, de l'autre jusqu'au-dessus des reins. Antonin reçut cet hommage avec l'apathie de la satiété ; puis, regardant Justine, il lui demanda brutalement comment elle se trouvait ; ne la voyant répondre que par ses larmes : - Elle s'y fera, dit-il en riant ; il n'y a pas de maison en France, où l'on forme mieux une fille que dans celle-ci. Il prit la liste des coupables que lui présentait la directrice ; puis, s'adressant encore à Justine, il la fit frémir ; tout ce qui paraissait devoir la soumettre à ces libertins était pour elle un arrêt de mort. Il la fit asseoir sur le bord d'un canapé ; et, dès qu'elle y fut, il lui fit découvrir la gorge par Victorine. et ordonna à une autre fille de relever les jupes jusqu'au nombril. Il s'approche, écarte les cuisses qu'on lui présente ; et s'assoit bien en face de ce con entrouvert. Une autre créature d'environ vingt ans vient se placer sur Justine, dans la même attitude ; en sorte que c'est un nouveau con qui s'offre au paillard, au lieu du visage de Justine, et que s'il jouit de celle-ci, il aura les attraits de l'autre à hauteur de sa bouche. Une troisième fille, prise dans la classe des duègnes, vient de sa main exciter le régent ; et une quatrième, entièrement nue, sortie de la classe des vestales, lui montre avec le doigt, sur le corps de Justine, l'endroit où doit s'engloutir le membre qu'on pollue. Cette dernière fille excite également Justine ; elle la branle ; et ce qu'elle lui fait, Antonin l'imite avec deux jolies filles de quinze ans, placées sous chacune de ses mains, que deux autres filles de treize baisent sur la bouche, pour les animer. On n'imagine pas les mauvais propos, les jurements, les discours obscènes par lesquels ce débauché s'enflamme ; il est enfin dans l'état qu'il désire ; le paillard bande : une nouvelle fille le saisit par l'engin ; c'est une des vieilles ; elle mène à Justine, dans le con de laquelle il s'introduit avec autant de précipitation que de brutalité. - Ah ! sacredieu, dit-il, m'y voilà... me voilà dans ce con que je brûlais de foutre ; je vais l'arroser de mon sperme ; je veux qu'elle soit grosse de ce coup-ci. Tout le suit, tout cherche à doubler son extase, tout travaille à l'électriser : découvrant ses fesses bien à nu, Omphale, qui s'en empare, n'omet rien pour le mieux irriter ; frottements, baisers, pollutions, tout s'emploie : tant de moyens, infructueux longtemps, réussissent pourtant à la fin. On n'a pas d'idée de la vitesse avec laquelle les cons varient, et sous les doigts, et sous les baisers de ce libertin. La crise approche ; le paillard, dont l'usage est de pousser alors des cris effroyables, en jette qui font retentir la voûte ; tout l'environne, tout le sert ; la directrice remplace Omphale dans le soin d'irriter l'anus, elle le socratise de ses cinq doigts ; et c'est le clitoris d'une des plus jolies que le moine suce en ce moment. Il parvient enfin au délire, dans le sein des épisodes les plus bizarres et les plus dépravés. - Allons, dit-il à l'une de ses filles de garde, à genoux... suce-moi le vit. On n'y laisse aucune souillure ; et le vilain s'en va tout grondant. Ces sortes de groupes s'exécutaient souvent. Il était de règle que quand un moine jouissait de telle façon que ce pût être, plusieurs filles l'entourassent alors, afin d'embraser ses sens de toutes parts, et que la volupté pût s'introduire en lui plus sûrement par chacun de ses pores. On apporte à déjeuner : Justine ne voulait pas se mettre à table ; la directrice, d'un ton brusque, lui ordonna de s'y placer ; elle se mit au rang des filles de sa classe, et ne mangea que pour avoir l'air d'obéir. On avait à peine fini, que le supérieur entra : on le reçut avec les mêmes cérémonies que venait de l'être Antonin, à la différence que les sultanes se gardèrent bien de se trousser par devant ; elles n'exposèrent que leurs culs aux regards exercés de l'ultramontain. L'examen fait, il se leva. - Il faut bien penser à la vêtir, dit-il en fixant Justine. Puis, ouvrant une armoire placée dans la grande salle, il en tira quelques vêtements, de la forme et de la couleur annexée à la classe où Justine entrait. - Essayez cela, lui dit-il en les lui jetant, et rendez sur-le-champ ce qui vous appartient. Notre triste orpheline exécute, après avoir eu la précaution d'ôter son argent et de le placer dans ses cheveux. A chaque vêtement qu'elle enlève, les yeux de Sévérino se portent à l'instant sur l'attrait découvert : à peine est-elle nue que le supérieur la saisit, et la couche à plat ventre sur le bord d'un sofa. Justine veut demander grâce ; on ne l'écoute point, six femmes nues environnent les deux combattants, et présentent au moine l'autel qui l'enflamme. On ne voit que des culs en l'air ; sa main les presse, sa bouche s'y colle, ses regards les dévorent. Justine est sodomisée : plus de vingt culs s'élancent avec rapidité, tour à tour, et sous les baisers, et sous les attouchements du paillard ; sa langue et ses doigts pénètrent indifféremment dans tous ; il décharge, et poursuit son opération avec le calme heureux que donne le crime. Justine, vêtue en novice, reparaît plus belle aux yeux de son bourreau : il lui ordonne de le suivre dans les diverses opérations qui lui restent à faire au sérail. Vers la fin de sa tournée, une des filles de la classe des sodomistes le tente. - Faites-la trousser, dit-il à Victorine. La directrice s'en empare. C'est une grande fille de dix-neuf ans, belle comme le jour. Le plus beau cul du monde, le plus blanc, le mieux coupé, est bientôt offert aux désirs de ce libertin, qui veut être branlé par Justine : la malheureuse obéit avec gaucherie ; ses compagnes l'instruisent ; ses mains parviennent enfin à faire guinder le membre que venait d'émousser son cul : on lui dit qu'il faut que ce soit elle qui le présente au trou qu'on va perforer : elle obéit ; l'engin pénètre, le moine fout ; mais ce n'est que le cul de Justine qu'il veut baiser pendant l'opération ; les autres sultanes ne l'entourent que pour la perspective : ses yeux s'enflamment : on croit qu'il va terminer l'aventure ; il la finit effectivement, mais c'est sans atteindre le but. - En voilà assez, dit-il en se retirant ; j'ai de la besogne ce soir. Justine, continue-t-il, je suis fort content de votre cul, je le foutrai souvent ; soyez docile, prévenante, soumise ; c'est le seul moyen de vous conserver longtemps dans ces lieux. Et le libertin sortit, emmenant avec lui deux filles de trente ans, qu'il menait déjeuner chez la directrice, et qui, par des ordres envoyés le matin, ne s'étaient point mises à table avec nous. - Que va-t-il faire de ces créatures ? dit Justine à Omphale. - Il va s'enivrer avec elles. Ce sont des libertines de profession, aussi dépravées que lui, et qui, depuis vingt ans dans la maison, ont enfin adopté les mœurs et les coutumes de ces scélérats ; tu les verras revenir saoules et couvertes des coups que ce monstre leur aura appliqués dans son ivresse. - Et jouira-t-il encore ? poursuivit Justine. - Vraisemblablement, au sortir du déjeuner, il passera dans le sérail des hommes ; et, là, quelques victimes lui seront encore présentées ; et, bien sûrement, lui-même, s'offrant comme une femme, recevra l'hommage de cinq ou six garçons. - Oh ! quel homme ! - Tu ne vois encore rien ; il faut vivre avec eux depuis aussi longtemps que moi, pour être en état de les apprécier. La journée se passa sans événements. Justine n'était pas du souper. - Allons, lui dit Omphale, il faut passer chez Victorine ; tu te rappelles les engagements que tu as pris ; n'y manquons pas, puisque tu es libre. - Ah ! c'est vous, dit la directrice en voyant entrer Justine. - Oui, madame, répondit Omphale ; elle se souvient que vous l'avez désirée pour ce soir ; elle accourt à vos ordres. - C'est bon, dit Victorine ; tu resteras aussi, Omphale. Je bande pour toi, ma bonne, continua la tribade, en langottant cette jolie fille ; je vais faire venir deux garçons ; nous souperons tous cinq, et nous nous en donnerons. Au simple son d'une cloche, deux charmants fouteurs, de vingt à vingt-deux ans, parurent ; et Victorine, après les avoir baisés un quart d'heure chacun, les avoir branlés, sucés, langottés, leur dit : - Augustin, et vous, Narcisse, voilà deux jolies filles que je vous livre ; arrangez avec elles des tableaux assez lascifs pour me sortir de la léthargie dans laquelle je suis depuis quelques jours. Les deux ardents fouteurs ne se le font pas dire deux fois : le plus jeune s'empare de Justine, l'autre d'Omphale ; et, par leur art, en moins d'une demi-heure, cinq à six différentes attitudes sont offertes aux yeux de la tribade, qui, s'abandonnant par degrés, à mesure que le spectacle l'échauffe davantage, finit par se mêler aux combattants : les courses deviennent plus sérieuses ; tout se dirige sur Victorine, tout travaille à doubler son extase. La putain, nue, également , foutue par devant et par derrière, joint à cette douce manière de jouir l'épisode délicieux de gamahucher à la fois le trou du cul d'Omphale et le con de Justine. - Attendez, dit-elle, un moment ; et, s'affublant d'un godemiché : Je suis lasse d'être patiente, je veux agir. La garce enconne Justine ; elle oblige le plus âgé des garçons à l'enculer pendant ce temps-là ; et, voulant imiter ce désordre, elle place elle-même dans son cul le vit qui reste, pendant qu'Omphale est contrainte à venir se branler le con sur sa bouche. - La belle fille ! s'écrie la directrice, en parlant de Justine ; comme je la fous avec plaisir ! Oh ! sacredieu, que ne suis-je un homme ! Baise-moi, mon petit ange, baise-moi, putain, je vais décharger... Et l'indifférente Justine se prête avec docilité, sans qu'il lui soit possible pourtant d'étouffer ses remords, ou de dissimuler ses chagrins. Cependant Victorine, usée, ne tient point parole ; la nature, défaillante en elle, lui refuse ses dons... au moins pour ce moment-là ; et ce n'est qu'en imaginant de nouvelles paillardises, qu'elle la contraint à se rendre. L'infâme retourne Justine ; elle l'encule, pendant qu'on la sodomise elle-même. Rien ne venant encore, elle encule un garçon et gamahuche Justine, qu'Omphale branle sur le clitoris, pour hâter l'émission d'un sperme qui va combler Victorine de plaisir, et peut-être décider le sien : tel est l'écart qui réussit. Justine décharge malgré elle ; Victorine la suce, en s'agitant comme une bacchante sur les reins du jeune homme dont elle jouit, pendant que l'autre garçon lui place alternativement son vit et dans le con, et dans le cul ; et la putain, entourée de plaisirs, perd son foutre, avec des cris, des blasphèmes et des convulsions bien dignes d'une libertine comme elle. On se mit à table. Tout du long du souper, Victorine ne voulut manger que des morceaux broyés par les dents d'ivoire de notre héroïne : Omphale la branlait pendant qu'elle dévorait. J'aime à mêler ces deux plaisirs, disait-elle ; je n'en connais pas qui s'accordent mieux ; et, versant à Justine de grandes rasades de vin de Champagne, elle cherchait à arracher de l'égarement de cette fille ce qu'elle sentait bien ne pouvoir obtenir de sa raison. Mais Justine ne se troubla jamais, et Victorine, voyant qu'elle ne répondait pas mieux après le souper qu'avant, à toutes les attaques qui lui étaient portées, la renvoya coucher avec humeur, en lui annonçant que de tels procédés ne contribueraient pas à lui rendre sa captivité bien douce. - Eh bien ; madame, dit-elle en se retirant, je souffrirai : je suis née pour la douleur ; je remplirai ma carrière aussi longtemps qu'il plaira au ciel de me laisser languir dans le monde ; mais au moins je ne l'offenserai pas : cette consolante idée rendra mes peines moins amères. La directrice garda, pour sa nuit, Omphale et les deux jeunes gens. Justine apprit le lendemain à quelles horreurs elle eût été contrainte, si elle n'eut pas été renvoyée. - Il a fallu que je les souffrisse à ta place, dit Omphale ; mais heureusement que l'habitude m'assouplit maintenant sans peine à mes devoirs, et il m'est resté le plaisir de t'avoir évité des ignominies. Le jour suivant était la veille de celui où l'on devait prescrire une réforme. Antonin paraît ; les mêmes cérémonies s'exécutent ; Justine tremblait : la manière décente et sévère dont elle s'était conduite chez la directrice ne pouvait-elle pas faire tomber sur elle le choix terrible de cette réforme ? Elle avait irrité cette femme ; elle en connaissait le crédit ; que n'avait-elle pas à redouter ? L'indifférence d'Antonin la rassura cependant ; à peine jeta-t-il les yeux sur elle. Les cérémonies terminées, Antonin nomme Iris : c'était une superbe femme de quarante ans, depuis trente-deux dans la maison. - Place-toi, lui dit Antonin, il faut que je te sonde le con. Que l'on me branle et m'y fasse entrer, poursuit l'infâme satyre. Tout s'empresse ; le vilain s'engloutit. - Allons, garce, dit-il en foutant, ce sont des adieux que je te fais. Et comme il vit que tout le monde frémissait, et que sa malheureuse victime était prête à s'évanouir : - Est-ce que tu ne m'entends pas, putain, lui dit-il, en lui appliquant deux vigoureux soufflets, et continuant toujours de la foutre ; dis, n'entends-tu donc pas que la société te réforme... que je te viens chercher, et qu'après-demain tu n'existeras plus ? Si je t'enconne avant, double putain, c'est pour que tu emportes mon foutre en enfer, et que les Furies, t'en voyant inondée, s'en barbouillent le con tout un jour : je les foutrais elles-mêmes, si je les tenais. Allons, décharge donc, garce ; il me semble que je prépare assez bien tes sens à l'ivresse où je les désire... Mais Iris n'entendait plus rien ; absolument évanouie, elle n'avait plus ni chaleur, ni mouvement. Tel est l'état où le paillard se livre avec elle au dernier plaisir. Il lui mord les tétons en déchargeant, dans l'espoir de la rendre à la vie : c'est en vain ; on a beau faire, rien ne réussit ; et c'est dans cet état de stupeur et d'abattement, c'est en venant de jouir d'elle, que le barbare a la cruauté de la faire jeter dans les cachots, où elle va filer les dernières heures de sa vie. Justine passa la plus cruelle journée : cette affreuse scène ne lui sortait pas de l'esprit. Elle frémissait d'être du souper qui devait accompagner ces sanglantes orgies. Heureusement qu'on la crut trop novice encore pour l'admettre dans une partie ou la pudeur et l'humanité n'eussent pas été de saison ; elle fut simplement commandée pour aller ce même soir passer la nuit chez Clément. - Oh ! Dieu, s'écria-t-elle, il faudra que je satisfasse les passions de ce monstre qui ne m'abordera que couvert du sang de ma malheureuse compagne ; qui, rassasié d'horreurs et d'infamies, ne m'approchera que le crime dans le cœur et le blasphème à la bouche !... Est-il un sort plus affreux que le mien ? Cependant, il faut partir : le geôlier vient la prendre et l'enferme dans la cellule de Clément, où, pendant qu'elle attend ce scélérat, de nouvelles pensées plus affreuses encore viennent de nouveau troubler son imagination. Sur les trois heures du matin, Clément arrive, suivi de ses deux filles de garde, venues le prendre au sortir du souper, où l'on sait qu'elles n'assistaient pas quand il s'agissait d'une orgie de réforme. L'une de ces filles se nommait Armande ; elle était blonde, d'une charmante physionomie, atteignant à peine sa vingt-sixième année, et nièce de Clément ; l'autre s'appelait Lucinde ; de l'embonpoint, de belles chairs, de la blancheur, et vingt-huit ans. Instruite de ses devoirs, Justine se jette à genoux, dès qu'elle entend le moine. Il vient à elle, la considère dans cette humiliante posture puis lui ordonne de se relever, et de le baiser sur la bouche. Clément savoure ce baiser, et lui donne toute l'expression, toute l'étendue qu'il est possible de concevoir. Pendant ce temps, les deux acolytes, par son ordre, déshabillent Justine en détail. Quand la partie des reins aux talons est à découvert, elles se pressent de l'exposer à Clément, et de lui offrir le côté chéri de ses goûts. Le moine examine, touche ; puis, s'asseyant dans un fauteuil, il ordonne à Justine de lui présenter à baiser ce cul divin dont il s'enthousiasme : sa nièce est à genoux, elle lui suce le vit... un vit molasse, excédé des plaisirs de la soirée, et qui, sans beaucoup d'art, ne reviendra pas de sitôt, à la vie. Lucinde, un peu de côté, coule une de ses mains sous les fesses du moine, et le socratise amplement. Le libertin place sa langue au sanctuaire du temple qu'on lui offre, et l'introduit le plus avant qu'il peut. Ses mains crochues molestent les mêmes attraits chez Armande et Lucinde ; il leur presse et pince le cul à l'une et à l'autre, avec toute la paillardise imaginable. Mais, toujours occupé de Justine, dont le derrière est sans cesse à portée de sa bouche, il lui ordonne d'y péter ; Justine obéit, et s'aperçoit bientôt du merveilleux effet de cette intempérance. Le moine, mieux excité, devient plus ardent ; il mord subitement en six endroits les fesses de Justine, qui pousse un cri et se jette en avant. Clément, dérangé, s'avance à elle, la colère dans les yeux : - Sais-tu bien, s'écrie-t-il, ce que tu risques par une telle insubordination ? La malheureuse s'excuse ; mais le féroce animal, la saisissant par son corset, le lui arrache avec sa chemise, empoigne la gorge avec brutalité, et l'invective en la comprimant. Les filles de garde déshabillent Justine, et les voilà tous les quatre nus. Armande occupe un instant son oncle : ce que c'est que la force du sang ! il lui applique, avec les mains, des claques furieuses sur les fesses, il la baise à la bouche, lui mord la langue et les lèvres : elle crie ; la douleur arrache de cette fille des larmes involontaires ; il la fait monter sur une chaise, lui baise le cul, la fait péter. C'est le tour de Lucinde ; elle est traitée de même. Justine le branle pendant qu'il opère ; il mord cruellement le cul qu'on lui présente, et ses dents s'impriment en plusieurs endroits dans les chairs de cette belle fille ; se retournant avec brusquerie vers Justine, qui, selon lui, le branle fort mal : - Oh ! putain, lui dit-il, comme tu vas souffrir. Il n'a pas besoin de l'annoncer ; ses yeux ne le disent que trop. - Vous allez être fustigée partout, lui dit-il ; oui, même sur ce sein d'albâtre, même sur ces deux boutons de rose, que je froisse avec tant de plaisir. Et notre malheureuse patiente n'osait rien dire, de peur d'irriter encore plus son bourreau, mais la sueur couvrait son front, et ses yeux, malgré elle, se remplissaient de pleurs. Il la retourne, la fait agenouiller sur le dos d'une chaise, dont ses mains doivent tenir le dossier sans le quitter ; sous les peines les plus sévères. La voyant là, bien à sa portée, il ordonne à ses filles de garde de lui apporter des verges ; on lui en présente plusieurs poignées ; il s'empare des plus minces... des plus flexibles, et débute par une vingtaine de coups sur les épaules et sur le haut des reins ; puis, quittant Justine une minute, il place Armande et Lucinde à environ six pieds d'elle, de droite et de gauche, et positivement dans la même attitude ; il leur déclare qu'il va les fouetter toutes trois, et que la première qui lâchera le dossier de la chaise... qui poussera un cri, ou versera une larme, sera sur-le-champ soumise à tel supplice que bon semblera à la rage de ce scélérat. Armande et Lucinde reçoivent sur le dos le même nombre de coups qu'il vient de donner à Justine ; il baise cette dernière, et sur la bouche, et sur toutes les parties qu'il a molestées ; puis, levant ses verges : - Tiens-toi bien, coquine, lui dit-il ; tu vas être traitée comme la dernière des misérables. Justine reçoit à ces mots cent coups de suite, appliqués du bras le plus nerveux, et qui meurtrissent toute la partie du dos, jusqu'à la chute des reins inclusivement ; il vole aux deux autres, et les traite de même. Les malheureuses ne prononçaient pas une parole ; leurs physionomies seules peignaient le cruel état de leur âme, et l'on n'entendait d'elles que quelques gémissements sourds et contenus. A quelque point que fussent enflammées les passions du moine, on n'en apercevait pourtant aucun signe encore ; il se branlait par intervalle, mais rien ne dressait. - Oh ! foutre, disait-il, j'ai trop déchargé au supplice de cette garce que nous avons martyrisée cette nuit ; je lui ai fait des choses uniques, mais qui m'ont épuisé ; je ne banderai jamais, c'est fini ; et, se rapprochant de Justine, qui occupait le milieu du tableau, il considère ses deux fesses sublimes, dont la blancheur eût fait honte au lis, et qui, encore intactes, allaient bientôt endurer leur part du mauvais traitement ; il les manie, il ne peut s'empêcher de les entrouvrir, de les chatouiller, de les baiser mille fois encore. - Allons, dit-il, du courage. Une grêle épouvantable de coups tombe à l'instant sur ces deux fesses, et les meurtrit jusqu'aux cuisses. Excessivement animé des bonds, des haut-le-corps, des grincements, des contorsions que la douleur arrache à cette infortunée, les examinant, les saisissant avec délices, Clément vient en exprimer, sur la bouche de la patiente, les sensations dont il est agité. - Cette putain me plaît, s'écrie-t-il, je n'en ai jamais fustigé qui m'ait donné plus de plaisir ; et il passe à Lucinde, dont les charmantes fesses sont traitées de la même manière ; de Lucinde, il vient à Armande, qu'il fouette avec une égale barbarie ; il reste la partie inférieure, depuis le haut des cuisses jusqu'aux mollets, et le paillard, sur toutes les trois, frappe bientôt ces parties avec la même ardeur. - Allons, dit-il en retournant Justine, changeons de main, et visitons ceci. Il lui donne une cinquantaine de coups, depuis le milieu du ventre jusqu'au bas des cuisses, puis, les lui faisant écarter, il frappe rudement dans l'intérieur de l'antre, qu'elle lui ouvre par son attitude. - Oh ! sacredieu, s'écrie-t-il, en voyant le con bien à sa portée, voilà l'oiseau que je vais plumer. Quelques cinglons ayant, par les précautions qu'il emploie, pénétré fort avant, Justine jette des cris. - Ah ! ah ! dit l'anthropophage, j'ai donc trouvé l'endroit sensible, nous le visiterons bientôt un peu mieux. Cependant, Armande et Lucinde sont mises dans la même posture ; et ses verges atteignent également les parties les plus délicates de leurs corps ; mais, soit habitude, soit courage, soit la crainte d'encourir de plus rudes traitements, l'on n'aperçoit d'elles que des frémissements et quelques contorsions involontaires. Il ne les quitte qu'en sang. Il y avait pourtant un peu de changement dans l'état physique de ce libertin ; et, quoique les choses eussent encore bien peu de consistance, à force de secousses, le maudit instrument commençait à guinder. - Mettez-vous à genoux, dit le moine à Justine, je vais vous fouetter sur la gorge. - Sur la gorge, mon père ? - Oui, sur ces deux masses horribles, qui me répugnent... que je déteste, et qui ne m'inspirèrent jamais que la cruauté ; et il les serrait, il les comprimait violemment en disant cela. - Oh ! mon père, dit Justine en pleurant, cette partie est si délicate ! vous me ferez mourir ! - Que m'importe ! pourvu que je me satisfasse, et il débute par cinq ou six coups, que Justine pare avec les mains. Furieux de cette défense, Clément saisit les bras de Justine, et les lui attache derrière le dos, en lui ordonnant de se taire... de ne pas prononcer une seule parole. La malheureuse n'a plus que ses larmes... que les mouvements de sa physionomie, pour implorer sa grâce ; mais un pareil scélérat, et surtout quand il bande, est-il sensible à la pitié ? Il appuie fortement une douzaine de coups sur les deux seins de cette pauvre fille, que rien ne garantit plus. D'affreux cinglons s'impriment aussitôt en traits de sang ; l'excès de la douleur arrache à Justine des pleurs, qui, retombant en perles sur ce sein déchiré, rendent cette délicieuse fille mille fois plus intéressante encore. Le fripon baise ses larmes, les lèche, les mêle, avec sa langue, aux gouttes de sang que verse sa férocité, revient à sa bouche... aux yeux mouillés, qu'il suce avec paillardise. Armande succède ; ses mains se lient ; elle offre un sein d'albâtre et de la plus belle rondeur. Clément fait semblant de le baiser, mais c'est pour le mordre ; il frappe enfin, et ces belles chairs, si blanches, si potelées, ne présentent bientôt plus aux yeux de leur bourreau que des meurtrissures et des traces de sang. Lucinde, traitée de la même manière, ne soutient pas avec le même courage ; les coups de verges lui ayant déchiré le mamelon, elle s'évanouit... - Ah ! foutre ; dit le moine irrité, voilà ce que je voulais. Cependant, le besoin qu'il a de la victime l'emporte sur le plaisir qu'il aurait de la contempler longtemps dans cette crise. Au moyen de quelques sels, elle retrouve bientôt l'usage de ses sens. - Allons, dit-il, je vais vous fouetter toutes à la fois, et chacune sur des parties différentes. Il laisse Justine à genoux, place Armande sur elle, les jambes écartées, en telle sorte que sa bouche se trouve à la hauteur du con d'Armande, et sa gorge entre les cuisses de celle-ci, précisément au bas de son derrière, il fait asseoir Lucinde sur les reins d'Armande, également les jambes écartées, et lui présentant le con, bien en plein, précisément à fleur des deux fesses de celle sur laquelle elle est huchée. Par ce moyen, le paillard peut, comme il le dit, fustiger à la fois la motte, les fesses et les tétons des trois plus belles femmes qu'il soit possible de voir. Clément ne tient point au coup d'œil enchanteur de cette délicieuse attitude : le coquin frappe à tour de bras tous les attraits qui lui sont présentés : culs, cons, tétons, tout est impitoyablement flagellé, tout est mis en sang. Le moine bande enfin, et n'en devient que plus furieux. Il ouvre une armoire où se trouvent plusieurs martinets ; il en sort un à pointes d'acier, si tranchantes, qu'on ne le touche pas sans risquer de se déchirer : - Tiens, Justine, dit-il, en montrant cet outil ; vois comme il est délicieux de fouetter avec cela... tu le sentiras, tu l'éprouveras, coquine ; mais, pour l'instant, je veux bien n'employer que celui-ci. Il était de cordes de boyau, nouées ; il avait douze branches, au bas de chacune était un nœud plus fort que les autres, et de la grosseur d'une noisette. - Allons, ma nièce, la cavalcade... la cavalcade, dit-il à Armande. Aussitôt, la posture se rompt. Les deux filles de garde, qui savent de quoi il s'agit, se mettent à quatre pattes au milieu de la chambre, les reins élevés le plus possible ; elles disent à Justine de les imiter ; la malheureuse le fait : le moine monte sur Armande ; et, les voyant alors tous trois, bien à sa portée, il leur lance des coups furieux sur les appâts qu'elles présentent. Comme, par cette posture, elles offrent, dans le plus grand écart possible, cette délicate partie qui les distingue des hommes, le barbare y dirige ses coups ; les branches longues et flexibles du fouet dont il se sert, pénétrant dans l'intérieur avec plus de facilité que les verges, y laissent des traces profondes de sa rage : tantôt il frappe sur l'une, tantôt ses coups se lancent sur l'autre. Aussi bon cavalier que fustigateur intrépide, il change plusieurs fois de monture, en observant de frapper aussi bien, aussi fortement celles qui sont sous sa main, que celle sur les reins de laquelle il est. Les malheureuses sont excédées ; les titillations de leurs douleurs sont si vives, qu'il leur devient presque impossible de les supporter. - Levez-vous, leur dit-il alors en reprenant ses verges ; oui, levez-vous, et craignez-moi. Ses yeux étincellent, il écume. Également menacées sur tout le corps, ces pauvres filles l'évitent ; elles courent, comme des égarées, dans toutes les parties de la chambre : il les suit ; frappant indifféremment sur toutes trois, le scélérat les met en sang ; il les rencogne à la fin dans la ruelle du lit. Là, plus aucun mesure ; les coups redoublent, et s'appliquent avec si peu d'égards et tant de furie, que leur visage même en est offensé ; un cinglon porte dans l'œil d'Armande, elle jette un cri le sang coule. Cette dernière atrocité détermine l'extase ; et, pendant que les fesses et les tétons des deux autres sont cruellement déchirés, l'infâme arrose de foutre la tête et les cheveux de sa malheureuse nièce, que les douleurs obligent à se rouler à terre, en poussant d'effroyables cris. - Couchons-nous, dit froidement le moine, en voilà beaucoup trop pour vous, n'est-ce pas, mesdemoiselles ? et certainement pas assez pour moi. On ne se lasse point de cette manie, quoiqu'elle ne soit qu'une imparfaite image de ce qu'on voudrait réellement faire. Ah ! chères filles, vous ne savez pas jusqu'où nous entraîne cette dépravation, l'ivresse où elle nous jette, la commotion violente qui résulte dans le fluide électrique, de l'irritation produite par la douleur sur l'objet qui sert nos passions, comme on est chatouillé de ses maux ! Le désir de les accroître, voilà l'écueil, je le sais ; mais, cet écueil est-il à craindre pour qui se moque de tout, pour qui n'a plus ni foi, ni loi, ni religion, pour qui foule aux pieds tous les principes ? Quoique l'esprit de Clément fût encore dans l'enthousiasme, voyant néanmoins ses sens plus calmes, Justine osa répondre à ce qu'il venait de dire, et lui reprocher la dépravation de ses goûts. La manière dont ce libertin les justifia nous a paru digne de tenir place dans ces mémoires. **** *creator_sade *book_sade_justine1799 *style_prose *date_1799 CHAPITRE X DISSERTATION PHILOSOPHIQUE - SUITE DES AVENTURES DU COUVENT - La chose du monde la plus ridicule, ma chère Justine, dit Clément, est de vouloir disputer sur les goûts de l'homme, les contrarier, les blâmer, ou les punir, s'ils ne sont pas conformes, soit aux lois du pays qu'on habite, soit aux conventions sociales. Eh quoi ! les hommes ne comprendront jamais qu'il n'est aucuns goûts, quelque bizarres, quelque criminels même qu'on puisse les supposer, qui ne soient le résultat de la sorte d'organisation que nous avons reçue de la nature. Cela posé, je demande de quel droit un homme ose exiger d'un autre, ou de réformer ses goûts, ou de les modérer sur l'ordre social ? de quel droit même les lois, qui ne sont faites que pour le bonheur de l'homme, oseront-elles sévir contre celui qui ne peut se corriger ; ou qui n'y parviendrait qu'aux dépens de ce bonheur que doivent lui conserver les lois ? Mais désirât-on même de changer de goûts, le peut-on ? Est-il en nous de nous refaire ? Pouvons-nous devenir autres que nous ne sommes ? L'exigeriez-vous d'un individu contrefait ? Et cette inconformité de nos goûts est-elle autre chose, au moral, que ne l'est au physique l'imperfection de l'homme contrefait ? Entrons dans quelques détails ; l'esprit que je te reconnais, Justine, te met à portée de les entendre. Deux irrégularités, je le vois, t'ont déjà frappée parmi nous : tu t'étonnes de, la sensation piquante, éprouvée par quelques-uns de nos confrères pour des choses vulgairement reconnues fétides ou impures ; et tu te surprends de même que nos facultés voluptueuses puissent être ébranlées par des actions qui, selon toi, ne portent que l'emblème de la férocité. Analysons l'un et l'autre de ces goûts ; et tâchons, s'il se peut, de te convaincre qu'il n'est rien au monde de plus simple que les plaisirs qui en résultent. Il est, prétends-tu, singulier que des choses sales et crapuleuses puissent produire dans nos sens l'irritation essentielle au complément de leur délire ; mais, avant que de s'étonner de cela il faudrait sentir, chère fille, que les objets n'ont de prix à nos yeux que celui qu'y met notre imagination : il est donc très possible, d'après cette vérité constante, que non seulement les choses les plus bizarres, mais même les plus viles et les plus affreuses, puissent nous affecter très sensiblement. L'imagination de l'homme est une faculté de son esprit, où, par l'organe de ses sens, vont se peindre, se modifier les objets, et former ensuite ces pensées, en raison du premier aperçu de ses objets ; mais cette imagination résultative elle-même de l'espèce d'organisation dont est doué l'homme, n'adopte les objets reçus que de telle ou telle manière, et ne crée ensuite les pensées que d'après les effets produits par le choc des objets aperçus. Qu'une comparaison facilite à tes yeux ce que j'expose. N'as-tu pas vu, Justine, des miroirs de formes différentes ; quelques-uns qui diminuent les objets, d'autres qui les grossissent, ceux-ci qui les rendent affreux, ceux-là qui leur prêtent des charmes ? T'imagines-tu maintenant que si chacune de ces glaces unissait la faculté créatrice à la faculté objective, elle ne donnerait pas du même homme qui se serait regardé dans elle, un portrait tout à fait différent ; et ce portrait ne serait-il pas en raison de la manière dont elle aurait aperçu l'objet. Si aux deux facultés que nous venons de prêter à cette glace, elle joignait maintenant celle de la sensibilité, n'aurait-elle pas pour cet homme, vu par elle de telle ou telle manière, l'espèce de sentiment qu'il lui serait possible de concevoir pour la sorte d'être qu'elle aurait aperçu ? La glace qui l'aurait vu affreux, le haïrait ; celle qui l'aurait vu beau, l'aimerait ; et ce serait pourtant toujours le même individu. Telle est l'imagination de l'homme, Justine ; le même objet s'y représente sous autant de formes qu'elle a de différents modes ; et, d'après l'effet reçu de cette imagination par l'objet, quel qu'il soit, elle se détermine à l'aimer ou à le haïr : si le choc de l'objet aperçu la frappe d'une manière agréable, elle l'aime, elle le préfère, bien que cet objet n'ait en lui aucun agrément réel ; et si cet objet, quoique d'un prix certain aux yeux d'un autre, n'a frappé l'imagination dont il s'agit, que d'une manière désagréable, elle s'en éloignera, parce qu'aucun de nos sentiments ne se forme, ne se réalise qu'en raison du produit des différents objets sur l'imagination. Rien d'étonnant, d'après cela, que ce qui plaît vivement aux uns, puisse déplaire aux autres ; et, réversiblement, que la chose la plus extraordinaire et la plus monstrueuse trouve des sectateurs... L'homme contrefait trouve aussi des miroirs qui le rendent beau. Or, si nous avouons que la jouissance des sens soit toujours dépendante de l'imagination, toujours réglée par l'imagination, il ne faudra pas s'étonner des variations nombreuses que l'imagination suggérera dans ces jouissances, de la multitude infinie des goûts et de passions différentes qu'enfanteront les divers écarts de cette imagination ; ces goûts, quoique luxurieux, ne devront pas frapper davantage que ceux d'un genre simple. Il n'y a aucune raison pour trouver une fantaisie de table moins extraordinaire qu'une fantaisie de lit ; et, dans l'un et l'autre genre, il n'est pas plus étonnant d'idolâtrer une chose que le commun des hommes trouve détestable, qu'il ne l'est d'en aimer une généralement reconnue pour bonne. L'humanité prouve de la conformité dans les organes, mais rien en faveur de la chose aimée. Les trois quarts de l'univers peuvent trouver délicieuse l'odeur d'une rose, sans que cela puisse servir de preuve, ni pour condamner le quart qui pourrait la trouver mauvaise, ni pour démontrer que cette odeur soit véritablement agréable. Si donc il existe des êtres dans le monde dont les goûts choquent tous les préjugés admis, dont les fantaisies blessent tous les principes de la société, dont les caprices outragent les lois, et morales et religieuses ; des êtres qui vous paraissent, en un mot, des scélérats et des monstres, par le seul penchant qu'ils éprouvent au crime, bien qu'ils n'aient à le commettre aucun autre intérêt que leur plaisir ; non seulement il ne faut pas s'étonner d'eux, non seulement il ne faut ni les sermonner, ni les punir, mais il faut leur être utile, il faut les contenter, anéantir tous les freins qui les gênent, et leur donner, si vous voulez être juste, tous les moyens de se satisfaire sans risque, parce qu'il n'a pas plus dépendu d'eux d'avoir ce goût bizarre, qu'il n'a dépendu de vous d'être spirituel ou bête, d'être bien fait ou d'être bossu. C'est dans le sein de la mère que se fabriquent les organes, qui doivent nous rendre susceptibles de telle ou telle fantaisie ; les premiers objets présentés, les premiers discours entendus, achèvent de déterminer le ressort : les goûts se forment, les habitudes se prennent, et rien au monde ne peut plus les détruire. L'éducation a beau faire, elle ne change plus rien : et celui qui doit être un scélérat le devient tout aussi sûrement, quelque bonne que soit l'éducation qui lui a été donnée, que vole infailliblement à la vertu celui dont les organes se trouvent disposés au bien, quoique l'instituteur l'ait manqué : tous deux ont agi d'après leur organisation, d'après les impressions qu'ils avaient reçues de la nature ; et l'un n'est pas plus digne de punition, que l'autre ne l'est de récompense. Ce qu'il y a de bien singulier, c'est que tant qu'il n'est question que de choses futiles, nous ne nous étonnons pas de la différence des goûts ; mais sitôt qu'il s'agit de luxure, voilà tout en rumeur. Les femmes, toujours surveillantes à leurs droits, les femmes, que leur faiblesse et leur peu de valeur engagent à ne rien perdre, frémissent à chaque instant qu'on ne leur enlève quelque chose, et si malheureusement on met en usage, en s'amusant d'elles, quelques procédés qui choquent leur culte, voilà des crimes dignes de l'échafaud ! Quelle inconséquence ! Quelle atrocité ! Le plaisir des sens doit-il donc rendre un homme meilleur que les autres plaisirs de la vie ! Le temple de la génération, en un mot, doit-il mieux fixer nos penchants ; plus sûrement éveiller nos désirs, que la partie du corps, ou la plus contraire, ou la plus éloignée de lui, que l'émanation de ce corps la plus fétide ou la plus dégoûtante ? Il ne doit pas, ce me semble, paraître plus étonnant de voir un homme porter la singularité dans les plaisirs du libertinage, qu'il ne doit l'être de la lui voir employer dans les autres fonctions de la vie : encore une fois, dans l'un ou dans l'autre cas, sa singularité est le résultat de ses organes. Est-ce sa faute, si ce qui vous affecte est nul pour lui, et s'il n'est ému que de ce qui vous répugne ? Quel est l'homme qui ne réformerait pas à l'instant ses goûts, ses affections, ses penchants, sur le plan général, et qui n'aimerait pas mieux être comme tout le monde, que de se singulariser, s'il en était le maître ? Il y a l'intolérance la plus stupide et la plus barbare à vouloir sévir contre un tel homme ; il n'est pas plus coupable envers la société, quels que soient ses égarements, que ne l'est comme je viens de le dire, celui qui serait venu au monde borgne ou boiteux ! Et il est aussi injuste de le punir ou de se moquer de celui-ci, qu'il le serait d'affliger l'autre ou de le persifler. L'homme doué de goûts singuliers est un malade ; c'est, si vous le voulez, une femme à vapeurs hystériques : nous est-il jamais venu dans l'idée de punir ou de contrarier l'un ou l'autre ? Soyons également justes pour l'homme dont les caprices nous surprennent ; parfaitement semblable au malade ou à la vaporeuse, il est comme eux à plaindre et non pas à blâmer : tel est au moral l'excuse des gens dont il s'agit ; on la trouverait au physique avec la même facilité sans doute ; et quand l'anatomie sera perfectionnée, on démontrera facilement par elle le rapport de l'organisation de l'homme aux goûts qui l'auront affecté ? Pédants, guichetiers, législateurs, racaille tonsurée, bourreaux, que ferez-vous, quand nous en serons là ? Que deviendront vos lois, votre morale, votre religion, vos potences, vos paradis, vos dieux et votre enfer, quand il sera démontré que tel ou tel cours de liqueurs, telle sorte de fibres, tel degré d'âcreté dans le sang ou dans les esprits animaux, suffisent à faire d'un homme l'objet de vos peines ou de vos récompenses ? Poursuivons : les goûts cruels t'étonnent. Quel est l'objet de l'homme qui jouit ? N'est-il pas de donner à ses sens toute l'irritation dont ils sont susceptibles, afin d'arriver mieux et plus chaudement à la dernière crise ?... crise précieuse qui caractérise la jouissance de bonne ou de mauvaise, en raison du plus ou moins d'activité dont s'est trouvée cette crise ? Or, n'est-ce pas un sophisme insoutenable que d'oser dire qu'il est nécessaire pour l'améliorer qu'elle soit partagée de la femme ? N'est-il donc pas visible que la femme ne peut rien partager avec nous sans nous prendre, et que ce qu'elle dérobe doit nécessairement être à nos dépens ? Et de quelle nécessité est-il donc, je le demande, qu'une femme jouisse quand nous jouissons ? Y a-t-il dans ce procédé un autre sentiment que l'orgueil qui puisse être flatté ? Eh ! ne trouvons-nous pas, d'une manière bien plus piquante, la sensation de ce sentiment orgueilleux, en forçant au contraire avec dureté cette femme à s'abstenir de la jouissance, afin que nous jouissions seuls, afin qu'entièrement à nous, rien ne l'empêche de s'occuper de nos seuls plaisirs ? La tyrannie ne flatte-t-elle pas l'orgueil d'une manière bien plus vive que la bienfaisance ? Celui qui impose n'est-il pas bien plus sûrement le maître que celui qui partage ? Mais, comment put-il venir dans la tête d'un homme raisonnable que la délicatesse eût quelque prix en jouissance ? Il est absurde de vouloir soutenir qu'elle y soit nécessaire ; elle n'ajoute jamais rien au plaisir des sens ; je dis plus, elle y nuit : c'est une chose très différente que d'aimer ou que de jouir ; la preuve en est qu'on aime tous les jours sans jouir, et qu'on jouit encore plus souvent sans aimer. Tout ce qu'on mêle de délicatesse dans les voluptés dont il s'agit ne peut être donné à la jouissance de la femme qu'aux dépens de celle de l'homme, et tant que celui-ci s'occupe de faire jouir ; assurément, il ne jouit pas, ou sa jouissance n'est plus qu'intellectuelle, c'est-à-dire chimérique et bien inférieure à celle des sens. Non, Justine, non, je ne cesserai de le répéter, il est parfaitement inutile qu'une jouissance soit partagée pour être vive et pour rendre cette sorte de plaisir aussi piquante qu'elle est susceptible de l'être : il est, au contraire, très essentiel que l'homme ne jouisse qu'aux dépens de la femme ; qu'il prenne d'elle (quelque sensation qu'elle en éprouve) tout ce qui peut donner de l'accroissement à la volupté dont il veut jouir, sans le plus léger égard aux effets qui peuvent en résulter pour la femme ; car ces égards le troubleront : ou il voudra que la femme partage, alors, il ne jouit plus, ou il craindra qu'elle ne souffre, et le voilà dérangé. Si l'égoïsme est la première loi de la nature, c'est, bien sûrement, plus qu'ailleurs, dans les plaisirs de la lubricité que cette céleste mère désire qu'il soit notre unique mobile : c'est un très petit malheur que, pour l'accroissement de la volupté de l'homme, il lui faille ou négliger ou troubler celle de la femme ; car, si ce trouble lui fait gagner quelque chose, ce que perd l'objet qui le sert ne le touche en rien, il doit lui être indifférent que cet objet soit heureux ou malheureux : pourvu que lui soit délecté ; il n'y a véritablement nulle sorte de rapports entre cet objet et lui. Il serait donc fou de s'occuper des sensations de cet objet, aux dépens des siennes : absolument imbécile, si pour modifier ces sensations étrangères il renonçait à l'amélioration des siennes : cela posé, si l'individu dont il est question est malheureusement organisé, de manière à n'être ému qu'en produisant, dans l'objet qui lui sert, de douloureuses sensations, vous avouerez qu'il doit s'y livrer sans remords, puisqu'il est là pour jouir, abstraction faite de tout ce qui peut en résulter pour cet objet. Nous y reviendrons. Continuons de marcher par ordre. Les jouissances isolées ont donc des charmes ; elles peuvent donc en avoir plus que toutes autres. Eh ! s'il n'en était pas ainsi, comment jouiraient tant de vieillards, tant de gens ou contrefaits ou pleins de défaut ? Ils sont bien sûrs qu'on ne les aime pas, bien certains qu'il est impossible qu'on partage ce qu'ils éprouvent ; en ont-ils moins de voluptés ? Désirent-ils seulement l'illusion ? Entièrement égoïstes dans leurs plaisirs, vous ne les voyez occupés que d'en prendre, tout sacrifier pour en recevoir, et ne soupçonner jamais, dans l'objet qui les sert, d'autres propriétés que des propriétés passives. Il n'est donc nullement nécessaire de donner des plaisirs pour en recevoir : la situation heureuse ou malheureuse de la victime de notre débauche est donc absolument égale à la satisfaction de nos sens ; il n'est nullement question de l'état où peut être son cœur et son esprit : cet objet, absolument passif, peut indifféremment se plaire ou souffrir à ce que vous lui faites, vous aimer ou vous détester ; toutes ces considérations sont nulles, dès qu'il ne s'agit que des sens. Les femmes, j'en conviens, peuvent établir des maximes contraires ; mais les femmes, qui ne sont que les machines de la volupté. ; qui ne doivent en être que les plastrons, sont récusables toutes les fois qu'il faut établir un système réel sur la nature des plaisirs que l'on peut goûter, en se servant de leurs corps. Y a-t-il un seul homme raisonnable qui soit envieux de faire partager sa jouissance à des putains publiques ? Et n'y a-t-il pas des millions d'hommes qui prennent pourtant de grands plaisirs avec ces créatures ? Ce sont donc autant d'individus persuadés de ce que j'établis ; qui le mettent en pratique, sans s'en douter, et qui blâment stupidement ceux qui légitiment leurs actions par de bons principes ; et cela, parce que l'univers est plein de statues organisées, qui vont, qui viennent, qui agissent, qui mangent, qui digèrent, sans jamais se rendre compte de rien. Les plaisirs isolés, démontrés aussi délicieux que les autres, et beaucoup plus assurément, il devient donc tout simple alors que cette jouissance, goûtée indépendamment de l'objet qui nous sert, soit non seulement très éloignée de ce qui peut lui être agréable, mais se trouve même contraire à ses plaisirs. Je vais plus loin : elle peut devenir une douleur imposée, une vexation, un supplice, sans qu'il y ait rien d'extraordinaire, sans qu'il en résulte autre chose qu'un accroissement de plaisir bien plus sûr pour le despote qui tourmente ou qui vexe. Essayons de le démontrer. L'émotion de la volupté, n'est autre, sur notre âme, qu'une espèce de vibration produite au moyen des secousses que l'imagination, enflammée par le souvenir d'un objet lubrique, fait éprouver à nos sens, ou au moyen de la présence de cet objet, ou mieux encore par l'irritation que ressent cet objet dans le genre qui nous émeut le plus fortement ; ainsi notre volupté, ce chatouillement inexprimable qui nous transporte au plus haut point de bonheur physique où puisse arriver l'homme, ne nous électrisera que par deux causes ; soit en apercevant réellement ou fictivement, dans l'objet qui nous sert, l'espèce de beauté qui nous flatte le plus, soit en voyant éprouver à cet objet la plus forte sensation possible. Or, il n'est aucune sorte de sensation qui soit plus active... plus incisive que celle de la douleur : ses impressions sont sûres ; elles ne trompent point comme celles du plaisir, perpétuellement jouées par les femmes, et presque jamais ressenties par elles. Que d'amour-propre d'ailleurs, que de jeunesse, de force, de santé, ne faut-il pas pour être certain de produire dans une femme cette douteuse et peu satisfaisante impression du plaisir ? Celle de la douleur, au contraire, n'exige pas la moindre chose : plus un homme a de défauts, plus il est vieux, moins il est aimable, mieux il réussira. A l'égard du but, il sera bien plus sûrement atteint, puisque nous établissons qu'on ne le touche, qu'on n'irrite jamais mieux ses sens, que lorsqu'on a produit, dans l'objet qui nous sert, la plus grande impression possible, n'importe par quelle voie. Celui qui fera donc naître dans une femme l'impression la plus tumultueuse, celui qui l'effraiera davantage, qui la tourmentera le plus rigoureusement, qui, en un mot, bouleversera le mieux toute son organisation, aura donc décidément réussi à se procurer la plus grande dose de volupté possible ; parce que le choc résultatif des impressions étrangères sur nous, devant être en raison de l'impression produite, sera nécessairement plus actif, si cette impression des autres a été pénible, que si elle n'a été que douce et moelleuse. D'après cela, le voluptueux égoïste, persuadé que ses plaisirs ne seront vifs qu'autant qu'ils seront entiers, imposera donc, quand il en sera le maître, la plus forte dose possible de douleur à l'objet qui lui sert, bien certain que ce qu'il retirera de volupté ne sera qu'en raison de la plus vive impression qu'il aura produite. - Ces systèmes sont épouvantables, mon père, dit Justine ; ils conduisent à des goûts cruels, à d'exécrables fantaisies. - Et qu'importe ! répondit le barbare ; encore une fois, sommes-nous les maîtres de nos goûts ? Ne devons-nous pas céder à l'empire de ceux que nous avons reçu de la nature, comme la tête orgueilleuse du chêne plie sous l'orage qui le ballote ? Si la nature était offensée de ces goûts, elle ne les inspirerait pas ; il est impossible que nous puissions recevoir d'elle un sentiment fait pour l'outrager ; et, dans cette extrême certitude, nous pouvons nous livrer à nos passions, de quelque genre, de quelque violence qu'elle puisse être, bien assurés que tous les inconvénients qu'entraîne leur choc, ne sont que des desseins de la nature, dont nous sommes les organes involontaires : et que nous font les suites de ces passions ! Lorsqu'on veut se délecter par une action quelconque, il ne s'agit nullement des suites. - Je ne vous parle pas des suites, interrompit vivement Justine ; il est question des résultats : assurément, si vous êtes le plus fort, et que, par d'atroces principes de cruauté, vous n'aimiez à jouir que par la douleur, dans la vue d'augmenter ses sensations, vous arriverez insensiblement à les produire, sur l'objet qui vous sert, au degré de violence capable de lui ravir le jour. - Soit : c'est-à-dire que, par des goûts donnés par la nature, j'aurai servi les desseins de la nature, qui, n'opérant ses créations que par des destructions, ne m'inspire jamais l'idée de celle-ci, que quand elle a besoin des autres ; c'est-à-dire que, d'une portion de matière oblongue, j'en aurai formé trois ou quatre mille rondes ou carrées. Voilà toute l'histoire du meurtre : oh ! Justine, est-il donc un crime ? Peut-on nommer ainsi ce qui sert autant la nature ? L'homme a-t-il le pouvoir de commettre des crimes ? Et, lorsque, préférant son bonheur à celui des autres, il renverse ou détruit tout ce qu'il trouve dans son passage, a-t-il fait autre chose que servir la nature, dont les premières et plus sûres inspirations lui dictent de se rendre heureux, n'importe aux dépens de qui ? Le système de l'amour du prochain est une chimère que nous devons au christianisme, et non pas à la nature. Le sectateur du Nazaréen, tourmenté, malheureux et, par conséquent, dans un état de faiblesse qui devait faire crier à la tolérance... à l'humanité, dut nécessairement établir ce rapport fabuleux d'un être à un autre ; il préservait sa vie en le faisant réussir. Mais le philosophe n'admet pas ces rapports gigantesques ; ne voyant, ne considérant que lui seul dans l'univers, c'est à lui seul qu'il rapporte tout ; s'il ménage ou caresse un instant les autres, ce n'est jamais que relativement au profit qu'il croit en tirer : n'a-t-il plus besoin d'eux, prédomine-t-il par sa force, il abjure alors à jamais tous ces beaux systèmes d'humanité, de bienfaisance, auxquels il ne se soumettait que par politique ; il ne craint plus de ramener à lui tout ce qui l'entoure ; et, quelque chose que puisse coûter ses jouissances aux autres ; il les assouvit sans examen comme sans remords. - Mais l'homme dont vous parlez est un monstre ! - L'homme que je peins est dans la nature. - C'est une bête féroce. - Eh bien ! le tigre, le léopard, dont cet homme est, si tu veux, l'image, n'est-il pas comme lui créé par la nature et créé pour remplir les intentions de la nature ? Le loup qui dévore l'agneau accomplit les vues de cette mère commune, comme le malfaiteur qui détruit l'objet de sa vengeance ou de sa lubricité. - Oh ! vous aurez beau dire, mon père, je n'admettrai jamais cette lubricité destructive. - Parce que tu crains d'en devenir l'objet : voilà l'égoïsme. Changeons de rôle, et tu le concevras. Interroge l'agneau, il n'entendra pas non plus que le loup puisse le dévorer ; demande au loup à quoi sert l'agneau : A me nourrir, répondra-t-il. Des loups qui mangent des agneaux, des agneaux dévorés par des loups ; le fort qui sacrifie le faible, le faible la victime du fort : voilà la nature, voilà ses vues, voilà ses plans ; une action et une réaction perpétuelle, une foule de vices et de vertus, un parfait équilibre, en un mot, résultant de l'égalité du bien et du mal sur la terre, équilibre essentiel au maintien des astres, à la végétation, et sans lequel tout serait à l'instant détruit. Ô Justine, elle serait bien étonnée cette nature, si elle pouvait un instant raisonner avec nous, et que nous lui disions que ces crimes qui la servent, que ces forfaits qu'elle exige et qu'elle nous inspire, sont punis par des lois ; qu'on nous assure être l'image des siennes. Imbécile, répondrait-elle à celui qui lui parlerait ainsi, engendre, calomnie, détruis ; fous en cul, en con ; vole, pille, viole, incendie, martyrise ; assassine ton père, ta mère, tes enfants ; commets sans peur tous les crimes que bon te semblera : ces prétendues infamies me plaisent, elles sont nécessaires à mes vues sur toi, et je les veux, puisque je te les inspire. Tu ne pourrais pas les commettre, si elles m'outrageaient. Il t'appartient bien de régler ce qui m'irrite ou ce qui me délecte ! Apprends que tu n'as rien dans toi qui ne m'appartienne, rien que je n'y aie placé, pour des raisons qu'il ne te convient pas d'approfondir ; que la plus abominable de tes actions n'est, comme la plus vertueuse d'un autre, qu'une des façons de me servir ; que j'estime autant celui qui détruit que celui qui procrée, et que tous les deux me servent, quoique par des procédés différents. Ne te contiens donc point ; nargue tes lois, tes conventions sociales et tes dieux ; n'écoute que moi seul ; et crois que, s'il existe un crime à mes regards, c'est l'opposition que tu mets à ce que je t'inspire, par ta résistance ou par tes sophismes. - Oh ! juste ciel ! s'écria Justine, vous me faites frémir : s'il n'y avait pas des crimes contre la nature, d'où nous viendrait donc cette résistance invincible que nous éprouvons pour certains délits ? - Cette répugnance n'est pas dictée par la nature, répondit vivement notre philosophe ; elle n'a sa source que dans le défaut d'habitude. N'en est-il pas de même pour certains mets ! Quoique excellents n'y répugnons-nous pas seulement par défaut d'habitude ? Oserait-on dire, d'après cela, que ces mets ne sont pas bons ? Tâchons de nous vaincre, et nous conviendrons bientôt de leur saveur. Nous répugnons, aux médicaments, quoi qu'ils nous soient pourtant salutaires. Accoutumons-nous de même à ce qu'on appelle improprement le crime ; nous n'y trouverions bientôt que des charmes. Cette répugnance momentanée est bien plutôt une adresse, une coquetterie de la nature, qu'un avertissement que la chose l'outrage ; elle nous prépare ainsi les plaisirs du triomphe, elle en augmente ceux de l'action même. Il y a mieux, Justine, il y a mieux ; c'est que plus l'action nous semble épouvantable, plus elle contrarie nos usages et nos mœurs, plus elle brise de freins, plus elle blesse ce que nous croyons être des lois de la nature, et plus au contraire elle est utile à cette nature. Ce n'est jamais que par des crimes qu'elle rentre dans les droits que la vertu lui ravit sans cesse. Si le crime est léger, en différant moins de la vertu, il établira plus lentement l'équilibre indispensable à la nature ; mais, plus il est capital, plus il semble effrayant, plus il a d'étendue, mieux il égalise les poids, plus il balance l'empire de la vertu qui détruirait tout sans cela. Qu'il cesse donc de s'effrayer celui qui médite un forfait, ou celui qui vient de le commettre ; plus son crime aura d'étendue, mieux il aura servi la nature. Ô Justine ! Archimède travaillait à une machine qui pourrait enlever le monde ; qu'un mécanicien en trouve une qui le pulvérise, celui-là seul aura bien mérité de la nature, puisque la main de la nature brûle de recommencer un ouvrage... manqué par elle dès le premier jet. - Oh ! mon père, avec de tels principes... - On est un scélérat, n'est-il pas vrai, ma chère ? Mais le scélérat est toujours l'homme de la nature, et le vertueux ne l'est que par circonstance. - Hélas ! monsieur, poursuivit en pleurant notre infortunée, je n'ai pas assez d'esprit pour combattre vos sophismes ; mais l'effet qu'ils produisent sur mon cœur... sur un cœur neuf, ouvrage aussi certainement formé par la nature que peut l'être votre dépravation, cet effet, dis-je, suffit à me prouver que votre philosophie est aussi mauvaise que dangereuse. - Dangereuse, soit, répondit Clément ; mauvaise, non : car tout ce qui est dangereux n'est point mauvais ; il y a des choses très utiles qui sort dangereuses : les serpents, les venins, la poudre à canon, tout cela est fort dangereux, et cependant d'un très grand usage : traite ma morale de même, mais ne l'avilis pas. L'abus des meilleures choses peut devenir dangereux ; mais ici l'abus même est un bien et plus un homme sage mettra mes systèmes en pratique, plus je lui garantis le bonheur, parce que le bonheur n'est que dans ce qui agite, et qu'il n'y a que le crime qui agite : la vertu, qui n'est qu'un état d'inaction et de repos, ne peut jamais conduire au bonheur. A ces mots, Clément s'endormit. - Il va bientôt se réveiller, dirent Armande et Lucinde à Justine, et ce sera comme un furieux, la nature n'endort ses sens que pour leur prêter, après un peu de repos, une bien plus grande énergie. Encore une scène, et nous serons tranquilles jusqu'à demain. - Et pourquoi ne profiteriez-vous pas de ce temps pour dormir aussi ? dit Justine à ses compagnes. - Tu le peux, toi, ma chère, répondit Armande tu n'es point de garde : place-toi, nue, près de lui, les fesses le plus près possible de son visage, et dors, il ne te dira mot : mais notre devoir nous oblige, ma compagne et moi, de veiller ; il serait homme à nous égorger, s'il nous surprenait endormies, personne ne l'en blâmerait ; c'est la loi du sérail, ils n'en connaissent point d'autres. - Oh ciel ! dit Justine, comment, même au sein du sommeil, ce scélérat veut que ce qui l'environne soit dans un état de souffrance ? - Oui, répondit Lucinde ; c'est la barbarie de cette idée qui lui procure le réveil furieux que tu vas lui voir : il est, sur cela, comme ces écrivains pervers, dont la corruption est si pernicieuse, si active, qu'ils n'ont pour but, en imprimant leurs affreux systèmes, que d'étendre au-delà de leur vie la somme de leurs crimes : ils n'en peuvent plus faire ; mais leurs maudits écrits en feront commettre ; et cette douce idée, qu'ils emportent au tombeau, les console de l'obligation où les met la mort de renoncer au mal. Et les deux gardiennes de Clément se remirent à battre doucement l'estrade autour du lit de leur patron. Justine s'endormit dans un fauteuil, le plus loin qu'elle put de ce monstre. Au bout de deux heures, il se réveilla effectivement dans une agitation prodigieuse. Furieux de ne point trouver Justine près de lui, il l'appelle et, la saisissant avec violence : - Pourquoi n'es-tu point là, putain ? lui dit-il ; ne t'a-t-on pas dit que c'était là, ta place ? Ne t'a-t-on pas dit qu'à mon réveil, il me fallait un cul sous le nez ? Ses yeux étincelaient, sa respiration était vive et pressée ; il prononçait des mots sans suite, qui n'étaient autres que des blasphèmes ou des paroles consacrées au libertinage. Il appelle ses gardiennes : il demande des verges et, attachant les trois femmes ventre contre ventre, il les fouette ainsi toutes trois jusqu'à ce qu'il en ait usé sur leurs corps une demi-douzaine de poignées : il bande ; il les détache. Il s'agit maintenant de le sucer : l'une, Armande, doit le faire décharger dans sa bouche ; Lucinde doit mordiller sa langue et pomper sa salive ; et Justine doit lui gamahucher l'anus. Vaincu par des sensations si voluptueuses, le libertin s'égare, et perd, avec les flots embrasés de sa semence, et son ardeur, et ses désirs. Mais les trois femmes se ressentent de la crise ; il a l'air de les molester toutes trois au moment de sa décharge : celle qui pompe a le téton droit toute meurtri ; celle qui lui baise la bouche a la langue presque coupée en deux ; et il s'est si vigoureusement appuyé sur le visage de Justine, qui lui suce le cul, qu'il lui a presque écrasé la figure ; des flots de sang lui sortent par le nez. Tout fut calme le reste de la nuit. En se levant, le moine se contenta de se faire flageller lui-même : les trois femmes y épuisèrent leurs forces. Il les examina, vérifia soigneusement les vestiges de sa cruauté ; et, comme il allait dire sa messe, elles rentrèrent au sérail. La directrice ne put s'empêcher de désirer Justine dans l'état de souillure et d'irritation où elle la supposait : elle lui fit dire de passer chez elle ; Justine ne peut s'en défendre. On allait servir le déjeuner ; une fille de la classe des duègnes, âgée de quarante ans, était avec la maîtresse du logis : c'était la célèbre Honorine. On se rappelle que cette femme énergique, aussi belle que vicieuse, avait commis un meurtre dans la maison, sans qu'il en fût rien résulté de fâcheux pour elle, les moines étant dans l'usage de ne jamais punir les crimes dont ils faisaient eux-mêmes leurs plus chères délices. Très amoureuse de notre héroïne, elle désirait en jouir pour le moins avec autant d'ardeur que la directrice, et toutes deux ne s'étaient réunies qu'à dessein de se satisfaire. La plus aveugle soumission fut donc prescrite à cette infortunée. Les deux tribades s'en emparent ; et, en renchérissant l'une sur l'autre par leurs propos et par leurs actions, elles mettent cette pauvre fille à même de se convaincre que des femmes, à pareille époque, perdant bientôt toute la retenue de leur sexe, ne peuvent, à l'exemple de leurs tyrans, devenir qu'obscènes ou cruelles. Le croirait-on ? Honorine avait tous les goûts d'un homme, elle se faisait fouetter, enculer ; elle aimait la merde et les pets ; et la douce Justine fut obligée de se prêter à tous ces caprices avec la même résignation que si elle eût été dans la cellule d'un moine, ou à l'un de leurs soupers. On n'a pas d'idée de la quantité des luxures qui se célébrèrent dans ces secrètes orgies, dont Justine sortit plus fatiguée que si elle eût tenu tête à dix libertins. Un peu plus contente d'elle, la directrice la renvoya, moins en colère ; et Justine s'aperçut bientôt qu'il valait mieux se rendre digne de l'estime de cette sultane favorite, que de mériter son indignation. Deux nuits après, elle coucha chez Jérôme. Elle y était seule, avec les deux filles de garde, Olympe et Eléonore ; la première de neuf ans, l'autre de treize. Quatre gitons de douze à quinze ans, et trois fouteurs de vingt à vingt-cinq complétaient les sujets destinés à cette infâme scène : - Tu vois cette enfant, dit le vieux scélérat en montrant Olympe à Justine ; eh bien, mon cœur, tu ne saurais jamais croire par combien de liens elle m'est attachée. J'ai fait un enfant à ma cousine germaine ; j'ai foutu cet enfant, qui était ma nièce, et de cette nièce j'ai eu celle-ci, qui se trouve donc ma petite-nièce, ma fille et ma petite-fille, puisqu'elle est fille de ma fille. Allons, Olympe, venez baiser le cul de votre papa ; et le vilain expose le derrière le plus flétri, les fesses les plus martyrisées qui pussent jamais se trouver dans la culotte d'un libertin. La pauvre enfant obéit ; l'infâme lui pète au nez, et la scène commence. Jérôme s'étendait sur un banc très étroit ; à cheval sur lui s'établissaient, les fesses tournées vers son visage, alternativement, un petit garçon et une petite fille : un des grands garçons devait fouetter le jeune sujet par-dessus le visage de Jérôme, en sorte que ses yeux fussent absolument fixés sur le cul flagellé, et que les coups dirigés sur ce cul lui passassent par-dessus le visage, sans l'effleurer : Justine devait le sucer pendant ce temps-là et il branlait un vit de chaque main sur les tétons de Justine. C'était jusqu'au sang que devait s'administrer la fustigation, il fallait que les gouttes arrosassent sa bouche : et c'était de le lécher ainsi que s'enflammait sa lubricité. En moins d'une heure son gosier fut inondé ; il se jette sur Justine, et l'étrille alors de sa main avec tant de force et de rapidité, qu'elle en fut marquée plus de huit jours. Échauffé de ces préliminaires, il saisit sa petite fille, et l'encule pendant qu'on le fout, et qu'il étrille un cul de chaque main. Mais les passions usées de ce vieux faune ne se déterminaient pas pour si peu ; il leur fallait indispensablement une secousse dont la plus atroce méchanceté fût la base. L'histoire de la vie de ce monstre, que nous entendrons bientôt de sa bouche achèvera de nous convaincre que le physique, absolument soumis au moral, chez lui, ne s'embrasait jamais qu'aux plus chatouilleuses irritations de la tête. - Éléonore, dit-il à la jolie petite fille de treize ans, compagne de la sienne, il a été trouvé hier au matin, par le régent de fonction, la preuve la plus certaine d'un complot formé par vous et deux autres de vos compagnes, dont l'objet était de mettre le feu aux salles du sérail : ne m'attachant point à vous démontrer l'absurdité de ce projet, mon enfant, à vous représenter que, tout étant voûté dans cette maison, il vous deviendrait impossible de réussir ; je me contenterai de vous annoncer que ces preuves étant constantes, et maintenant déposées chez le supérieur. la société s'en est rapportée à moi du soin de punir un tel délit, et que j'ai décidé que la mort la plus cruelle pouvait seule en purger les traces. On m'a chargé de prescrire le supplice ; c'est cette nuit même qu'il faut qu'il s'exécute. Et le libertin maniait, baisotait sa petite-fille, tout en jetant ainsi dans son âme la plus effroyable terreur : Justine le branlait ; et il bandait fort dur. - Oh ! mon père, dit enfin Éléonore, en se précipitant aux pieds du moine, je vous proteste qu'on vous en impose. - Je ne vous demande pas si cela est vrai ; j'en suis au point de ne pouvoir douter ; il ne s'agit nullement de vous défendre ici sur des faits avérés ; il ne faut que donner le nom de vos complices, ou je vais vous faire subir la question extraordinaire ; et je me flatte que nous obtiendrons de vous ; alors, dans les supplices, ce que vous refusez de bonne grâce. Et comme Éléonore persista dans la négative, Jérôme lui annonça qu'il allait procéder à l'interrogatoire suppliciaire. On passe, à cet effet, dans un cabinet où tout ce qui peut servir à la plus affreuse torture est préparé avec le plus grand soin. Toute la compagnie suit le moine : Justine l'y conduit, en le menant par le vit. Il bande, il sacre, il blasphème ; ses yeux ressemblant à deux fournaises ; sa bouche écume : il est effrayant. Éléonore est étendue par lui sur un chevalet, dont les ressorts lui tendant les bras et les jambes, au point de les lui disloquer : elle ne nomme personne. Le supplice change. Tout son corps est frotté de lard : on l'expose ainsi devant un feu terrible. Pendant qu'elle y grésille, Jérôme, sodomisé par les trois fouteurs, ne cesse de tenir Justine enculée : même silence ; et la malheureuse victime est retirée à moitié rôtie. - Allons, dit Jérôme, qu'aidaient avec délices les trois fouteurs dans ses sanguinaires opérations, il faut essayer autre chose. La victime est placée, suspendue par des cordes, entre deux plaques d'acier, garnies de pointes, qui se resserrent l'une sur l'autre, ou s'écartent à volonté. Ce n'est d'abord qu'avec la plus extrême modération que l'on use de ce terrible moyen : mais quand Jérôme voit qu'il n'arrache rien à l'accusée, les plaques se rapprochent avec une telle violence, que la pauvre fille, transpercée à la fois dans mille endroits de son corps, jette des cris qui s'entendraient d'une lieue. - Je vais donc la condamner sur-le-champ, dit le moine barbare, puisqu'elle ne veut rien avouer. A ces mots, il quitte Justine, s'engloutit dans le cul de sa petite fille. On le fout, on le patine, on l'entoure de culs : celui de notre héroïque est sur sa bouche, il le dévore ; et, plaçant la victime devant lui, il veut qu'elle soit sodomisée sous ses yeux, et mise assez près de lui pour que de ses deux mains il puisse lui pincer, lui molester les tétons à l'aise. Deux jeunes gens, le poignard levé, menacent le cœur d'Éléonore, - Vous frapperez quand je le dirai, s'écrie le moine en fureur ; faites-la languir longtemps sous le glaive : c'est ainsi que j'aime à tenir les femmes ; je voudrais les voir toutes sous le même poignard, et que le ressort en fût dans mes mains. Cet horrible propos détermine l'extase ; le foutre part ; et le monstre, étourdi de toutes les voluptés dont on l'environne, ne se souvient plus de donner l'ordre. Sa malheureuse victime se trouve sauvée par l'art de ses compagnons d'infortune ; et Jérôme, au sein du sommeil, dans les bras de Justine, ne pense plus qu'à réparer des forces que l'habitude de les perdre diminueront bientôt au point de ne les plus retrouver. Il se réveilla pourtant au bout de trois heures ; et, se rappelant son heureux oubli, il accuse Justine d'en être la cause ; il va, dit-il, lui faire subir le supplice qu'il préparait à Éléonore. Il l'encule en disant cela, un fouteur le pénètre ; il baise le cul d'un des gitons ; il ordonne aux filles de garde de se fouetter mutuellement sous ses yeux. Voyant qu'elles n'y vont pas avec assez d'énergie, il leur lance un de ses fouteurs, qui les met en sang ; et le vilain décharge encore une fois, en disant qu'il va tout tuer. Peu après, Justine coucha chez Ambroise. On se rappelle le caractère de ce moine féroce, et son effrayante tournure, ses goûts, crapuleux et sodomites. On n'imagine pas à quel point notre aventurière en fut la victime : le seul plaisir de ce scélérat fut de la faire fouetter et sodomiser toute une nuit sous ses yeux ; et, quand elle avait le foutre dans le cul, elle était obligée de venir le lui rendre dans la bouche. Il enculait un garçon, et on le fouettait pendant ce temps-là. Quand il fut près du dénouement, il s'empara des fesses de Justine, puis, armé d'une aiguille d'or, il les lui larda comme une pomme qu'on veut cuire, jusqu'à ce qu'elles fussent couvertes de sang. - Oh quelle école ! dit Justine, en rentrant ; où mon triste sort m'a-t-il donc conduite ? Et comme je voudrais me voir dehors de ce cloaque impur, quel que soit le destin qui m'attende. - Il serait possible que tu fusses bientôt satisfaite, répondit Omphale, à qui Justine adressait ses plaintes : nous touchons à l'époque de la fête ; rarement cette circonstance a lieu, sans qu'il n'en coûte des victimes, vu qu'il se fait alors de grands remplacements : ou ils séduisent quelques jeunes filles par le moyen de la confession, ou ils en escamotent, s'ils le peuvent, ou enfin les recruteuses arrivent ; c'est l'époque où elles affluent avec abondance. Tout autant de nouveaux sujets qui supposent toujours des réformes. Elle arriva cette fameuse fête. Pourra-t-on jamais croire à quelle impiété monstrueuse se portèrent les moines à cet événement ! Ils imaginèrent qu'un miracle visible doublerait l'éclat de leur réputation : en conséquence, ils revêtirent une jeune fille de douze ans, nommée Florette, de tous les ornements de la vierge ; par d'invisibles cordons, ils la lièrent au mur de la niche, et lui ordonnèrent de lever tout d'un coup les bras avec componction vers le ciel, quand on élevait l'hostie. Comme cette petite créature était menacée des plus cruels châtiments, si elle disait un seul mot, ou venait à manquer son rôle, elle s'en acquitta à merveille, et la fraude eut tout le succès qu'on pouvait en attendre. Le peuple cria au miracle, laissa de riches offrandes à la vierge, et s'en retourna plus convaincu que jamais de l'efficacité des grâces de cette putain céleste. Nos libertins voulurent, pour doubler leurs impiétés, que Florette parût aux orgies du soir dans les mêmes vêtements qui lui avaient attiré tant d'hommages, et chacun d'eux enflamma ses lubriques désirs à la soumettre sous ce costume aux plus exécrables caprices. Irrités de ce premier crime, les sacrilèges ne s'en tiennent pas là : ils font déshabiller cette petite fille, la couchent à plat-ventre sur une grande table, allument des cierges, placent un crucifix sur les reins de l'enfant, et consomment sur ses fesses le plus absurde des mystères du christianisme. La pieuse Justine s'évanouit à ce spectacle ; il lui fut impossible de le soutenir : Jérôme dit que pour l'accoutumer à ces saintes orgies, il fallait aussi lui dire une messe sur le derrière. L'avis passe à l'unanimité. Justine remplace Florette. C'est Jérôme qui officie ; deux bardaches nus lui servent d'acolytes, dix ou douze culs l'environnent, la farce infâme s'accomplit ; et, dès que l'hostie est devenue Dieu, Ambroise la saisit des mains de son confrère, la place au fondement de Justine, et voilà nos moines tour à tour pilant, enfonçant de leurs vits écumeux l'abominable Dieu du christianisme, qu'ils blasphèment, qu'ils injurient, et qu'ils couvrent de foutre au fond du plus joli des culs, en mourant de plaisir1. On retira Justine sans mouvement ; l'obligation de servir de tels désordres, l'avait privée de sa raison, il fallut la porter dans cellule, où elle pleura longtemps le crime, à ses yeux exécrable, où on l'avait employée sans son consentement. Quel gré ne sut-elle pas à la nature de l'avoir privée du pouvoir d'assister plus longtemps à cette affreuse cérémonie, lorsqu'elle apprit, le lendemain, que les têtes s'étant échauffées on avait rhabillé Florette en vierge, on l'avait conduite au couvent, et qu'après l'avoir replacée dans sa niche, les six moines, nus et moitié ivres, s'étaient divertis, avec plusieurs filles, à supplicier, sur l'autel même, cette malheureuse créature, qui, leur donnant l'idée de la mère d'un Dieu qu'ils détestaient, fut traitée si cruellement, qu'il ne restait plus, vers le matin, le plus léger vestige de ses membres. Cependant, la fête avait effectivement amené bien des recrues. Trois jeunes filles nouvelles, et jolies comme des anges, vinrent remplacer celles qui manquaient ; et l'on pensait à de nouvelles réformes, lorsque Sévérino entra un jour dans la salle, en qualité de régent de fonction. Il paraissait très enflammé, une sorte d'égarement se peignait dans ses yeux. On se met en haie ; il examine, place une douzaine de femmes dans son attitude chérie, et s'arrête particulièrement à Omphale, troussée jusque au-dessus des reins, et penchée sur un canapé. Il l'examine longtemps dans cette posture, en se faisant branler par la directrice ; il baise le cul que lui présente cette charmante créature, fait voir qu'il est en état de foutre, et ne fout pas. La faisant ensuite relever, il lance sur elle des regards où se peignent à la fois la luxure et la méchanceté, puis, lui appliquant à tour de reins un vigoureux coup de pied dans le derrière, il l'envoie tomber à vingt pas de lui. - La société te réforme, putain, lui dit-il ; elle est lasse de toi ; sois prête à l'entrée de la nuit, et je viendrai moi-même te conduire au tombeau. Omphale s'évanouit ; cette syncope allume sa fureur ; il ne peut passer auprès d'elle sans se sentir vivement excité : - Qu'on me la présente ! s'écrie-t-il. La victime, aussitôt replacée, offre au perfide Sévérino le plus beau des culs ; il s'y introduit en blasphémant ; douze fessiers l'entourent aussitôt ; c'est à qui préviendra, à qui flattera le mieux ses désirs ; on imagine pas ce qu'on obtient de la crainte. Au milieu de sa course, le cruel moine se rappelle que Justine est l'amie intime de celle qu'il tourmente ; il exige qu'elle vienne se placer sur les épaules d'Omphale, en lui présentant l'anus à lécher. - Eh bien ! se plaisait-il de dire à notre malheureuse orpheline, elle te devance ; elle va chez Pluton préparer ton logement ; tranquillise-toi, Justine, sèche tes larmes, tu la suivras de près, la privation sera courte : elle doit mourir écartelée ; eh bien, tu mourras de même, je te le promets ; vois quelle est ma délicatesse... jusqu'où vont mes bontés pour toi ! Et le coquin limait toujours ; mais il ne veut rien perdre, on le voit ; et, après quelques claques sur les fesses de Justine et d'Omphale, dont les empreintes se caractérisèrent en trait d'un rouge foncé, il se retire en menaçant, en injuriant toutes les femmes, et en les assurant toutes que leur tour n'est pas éloigné et que la société délibère aujourd'hui de les faire toutes à l'avenir périr au moins par demi-douzaine. Il entre de là chez Victorine, où deux petites filles de dix à douze ans l'attendent pour lui dérober, à force d'art et de prévenances, un sperme dont les bouillonnements intérieurs deviennent si nuisibles aux individus malheureux qui peuplent cet asile. Dès qu'il est dehors, Omphale ouvre les yeux ; elle se jette en pleurs dans les bras de Justine : - Oh ! chère amie, lui crie-t-elle en larmes, il faut donc nous quitter pour jamais. Et la scène de douleur que produisit cette cruelle séparation, fut d'une telle énergie, que nous en supprimerons les détails au lecteur, pour ménager sa sensibilité. L'heure sonne, Sévérino paraît ; les deux amies s'embrassent encore, elles s'arrachent ; et Justine se précipite sur son lit au désespoir. Quelques jours après, Justine coucha chez Sylvestre. On se rappelle que ce moine voulait qu'une femme lai chiât dans la main pendant qu'il l'enconnait. Justine oublia la recommandation qui lui avait été faite à cet égard ; et quand, au fort de son plaisir, le paillard demanda de la merde, il devint impossible de le satisfaire. Sylvestre, furieux, déconne ; il fait saisir Justine par ses deux filles de garde, dont l'une était cette Honorine, que nous venons de voir aux prises avec elle, et qui n'était point du tout fâchée de trouver une occasion de tourmenter une créature dont elle s'était rassasiée. Justine est condamnée à la peine de quatre cents coups de fouet, portée par le septième article du règlement ; et, quand il lui a mis les fesses en sang, le moine la renconne. Honorine va chier, puisque Justine ne le peut. L'autre fille de garde, jeune poulette de quinze ans, est enfilée peu après : elle chie. Accoutumée à ce saint devoir, elle n'a garde d'y manquer. Sylvestre les fout ; les soufflette toutes trois ; mais ce n'est que dans le con de Justine qu'il veut décharger : il est aisé de voir qu'elle seule l'occupe avec le plus d'empire. La dernière fois qu'il en jouit, c'est en levrette ; il examine, en l'enconnant ainsi, la marque dont elle est flétrie. - Que j'aime ce signe ! s'écrie-t-il : mais je l'aimerais mieux l'ouvrage de la justice que celui du libertinage ; imprimé par la main du bourreau, je banderais bien mieux en le baisant. - Insigne fripon, lui dit Honorine qui connaissait mieux que personne le ton et les propos qui pouvaient plaire à ce libertin, comment se peut-il que l'infamie puisse délecter ? - C'est que rien n'est délicieux comme l'infamie, dit Sylvestre en se retirant, et s'asseyant pour pérorer entre la fille de quinze ans et Justine. Si la luxure est par elle-même une chose vilaine, conviendras-tu, Honorine, que tout ce qu'on pourra y ajouter d'infâme, n'y sera adopté qu'en lui prêtant du sel, non seulement alors il faudra que tous les épisodes deviennent autant et plus infâmes que le principal, mais il faudra aussi que l'acte infâme soit exercé sur une personne infâme, souillée, perdue d'honneur... de réputation : et voilà ce qui fait que les libertins préfèrent les gueuses aux honnêtes femmes ; ils trouvent avec elle un piquant que la pudeur et la vertu leur refusent. - J'aurais cru qu'il était délicieux d'outrager l'un et l'autre. - Oui, quand on le peut parce qu'alors la teinte d'infamie qu'on imprime devient votre ouvrage, et qu'il est délicieux d'avoir contribué à l'avilissement d'un individu quelconque, mais, comme la vertu et la pudeur se refusent aux outrages projetés contre elles, et qu'à moins d'être le plus fort, il devient difficile de les atteindre, l'homme dissolu se rejette avec délices sur ce qui lui ressemble ; il aime à mesurer la corruption des autres à la sienne, à l'y mêler, à l'y alimenter, à doubler ses moyens de dégradation de la masse de ceux des autres, et à se gangrener, à se putréfier, pour ainsi dire, avec eux. Le plus grand chagrin qu'il pût m'arriver, serait de voir justifier mes écarts. Si je perdais la certitude de faire mal quand je me livre à mes excès, j'émousserais la houppe nerveuse de mes sensations libertines, je serais la moitié moins heureux ; que serait une jouissance que le vice n'accompagnerait pas ? - Ah ! dit Justine, ne comptez-vous donc pour rien celles de la nature, et sont-elles souillées celles-là ? - Mais toutes les jouissances sont dans la nature, reprit Sylvestre, la plus simple comme la plus criminelle : sa voix nous indique de boire quand nous avons soif, comme de foutre lorsque nous bandons ; de soulager un malheureux, si notre organisation flexible et délicate nous y porte ; comme de l'outrager, si plus d'énergie dans le caractère nous conseille d'abuser de lui. Tout est à la nature, rien à nous : elle nous suggère à la fois le penchant au crime et l'amour des vertus ; mais, comme elle nous donne en même temps des récits médiocres et d'autres d'une saveur exquise, elle nous agite de même plus voluptueusement pour le crime que pour la vertu, parce qu'elle a toujours un beaucoup plus grand besoin de crime que de vertu ; et que l'homme unique agent de ses caprices lui obéit perpétuellement sans qu'il s'en doute. - D'après cela, dit Honorine, tous les moyens sont donc bons pour améliorer une jouissance en sens pervers ou criminel ? - Tous, assurément, tous ; il n'en est pas un seul qui doive être négligé ; et c'est à l'homme vraiment voluptueux, à rechercher avec soin tous les moyens de perversité possible dont il puisse accroître sa jouissance ; il ne doit s'en refuser aucun ; il est coupable envers la nature s'il s'impose sur cela le moindre frein. - Si tous les hommes pensaient comme cela, dit Justine, la société deviendrait un bois où chacun n'aurait pour but que d'égorger celui qui le gênerait. - Et qui doute, reprit le moine, que le meurtre ne soit une des lois la plus précieuse de la nature ? Quel est son but quand elle crée ? N'est-ce pas de voir bientôt détruire son ouvrage ? Si la destruction est une de ses lois, celui qui détruit lui obéit donc ! Et tu vois quelle masse de crimes s'élève de cet argument. - Voilà, dit Honorine, qui justifie toutes vos méchancetés envers nous. - Assurément, ma chère, répondit Sylvestre, parce que je regarde la méchanceté comme le ressort le plus certain de tous les crimes. C'est par méchanceté qu'on en invente, par elle qu'on en exécute : l'homme patient et bon est une négation de la nature ; il n'y a d'actif que le méchant ; et il n'y a de délicieux dans le monde que les fruits de la méchanceté : la vertu laisse l'âme en repos ; le crime seul l'agace, l'irrite, la sort de son assiette, et le fait jouir. - Ainsi la trahison et la calomnie, les deux plus violents, les deux plus dangereux résultats de la méchanceté, deviendront des délices pour vous ? - Je regarderai toujours comme tel tout ce qui acheminera la ruine, le déshonneur, l'avilissement ou la perte totale du prochain, puisque ces outrages sont les seuls qui me délectent véritablement, et que le mal que je fais ou que je vois arriver aux autres, est pour moi le chemin le plus sûr d'arriver au bien. - Ainsi donc, de sang-froid, vous trahiriez l'ami le plus fidèle, vous calomnieriez le parent le plus cher ? - Avec plus de plaisir que des individus qui ne me seraient liés par aucune chaîne, parce que le mal alors serait plus grand, et que plus il est capital, plus la sensation qui en résulte pour nous devient délicate et fine. Mais il y a de l'art, des principes, une sorte de théorie nécessaire dans la science de la trahison, ainsi que dans celle de la calomnie, dont il est nécessaire de ne point s'écarter, si l'on veut recueillir en paix leurs fruits délicieux : trahir ou calomnier un homme, par exemple, pour en servir un autre, ne doit rien apporter de plus à la félicité du méchant ; et, s'il fait un heureux en immolant une victime, il se trouve le soir absolument dans le même état que s'il n'eut point agi du tout, et n'a, d'après cela, nullement servi sa méchanceté. Il faut donc que ses coups, dirigés avec une arme tranchante des deux côtés, portent également sur plusieurs individus sans jamais en favoriser aucun : et voilà les écueils de ces deux sciences, en voilà les difficultés et les principes dont, en les pratiquant l'une et l'autre, je ne me suis écarté de la vie. - Mais, dit Justine, comment avec de telles maximes ne vous dévorez-vous pas entre vous ? - Parce que la solidité de notre association devient utile à sa conservation, et que, pour son maintien, nous préférons quelques sacrifices dont tous les moyens que nous avons ici de faire le mal savent nous dédommager amplement. Ne t'imagine pas que nous nous chérissions beaucoup pour cela ; nous nous voyons tous les jours de trop près pour nous aimer : mais nous sommes obligés d'être ensemble ; et nous nous y maintenons par politique, à peu près comme les voleurs dont la sûreté de l'association n'a d'autres bases que le vice et la nécessité de l'exercer. - Eh bien ! mon père, dit Justine, j'oserais répondre qu'au milieu de cette insigne dépravation, il vous serait impossible de ne pas encore respecter la vertu. - Je te proteste, mon enfant, dit le moine, que je la tins toute ma vie dans le mépris le plus profond ; que de mes jours je n'en exerçai le plus petit acte ; et que mes plus souveraines jouissances ne consistèrent jamais que dans la multiplicité des outrages que je lui portais. Mais je bande, il faut que je finisse de foutre ; rapporte à mes yeux ce dos qui m'échauffait si puissamment tout à l'heure. Et le paillard, renconnant Justine en levrette, se remit à baiser la marque qui semblait lui faire autant de plaisir. De temps en temps, il sentait et respirait les aisselles ; ce qui paraissait être un des plus délicieux épisodes de ces sales lubricités : quelquefois Honorine et sa compagne lui exposaient leurs cons bien ouvert et le paillard, toujours enconnant Justine, y fourrait son nez et sa langue, jusqu'à ce qu'il eût obtenu, de l'un ou de l'autre, un peu de sperme ou de pissat ; mais rien n'avançait. - Ce n'est pas tout cela qu'il me faut, dit Sylvestre ; je comptais sur un vagin plein d'ordinaires, et je n'en ai pas. Honorine, vole m'en chercher un sur-le-champ au sérail. Et, pendant que l'ordre s'exécute, le moine, déconnant Justine, se met à la gamahucher. - Pisse-moi donc dans la bouche petite putain, s'écrie-t-il ; ne vois-tu donc pas bien que c'est ce que je te demande depuis une heure ? Justine obéit. On branlait fortement le moine ; et peut-être allait-il décharger, lorsque Honorine rentra avec une femme de trente ans, dont la chemise ensanglantée annonçait à Sylvestre qu'elle était dans l'état désiré. Hipolyte, c'était le nom de la sultane, est bientôt inventoriée ; ce ne sont pas des règles, c'est une perte. - Oh ! foutre, dit le moine en feu, voilà bien ce qu'il me faut ; je vais te foutre, putain, mais tu chieras... de la merde et des règles ! Oh ! doubledieu, quelle affreuse décharge je vais faire ! Sylvestre enconne ; bientôt son vit ressemble au bras d'un boucher. Satisfait, d'une part, il l'est bientôt de l'autre ; on lui remplit les mains de merde, il s'en barbouille le visage ; et, déconnant Hipolyte, il oblige Justine à sucer son vit plein de sang ; il faut obéir : de la bouche de cette belle enfant il se replongea bientôt dans sa matrice. Exposant alors sous ses yeux le con enluminé d'Hipolyte, il le suce avec ardeur en foutant ; pendant qu'Honorine place ses fesses à côté du vagin qui le délecte, et que son autre fille de garde le fouette à tour de bras. La crise le saisit ; il hurle comme un diable en la goûtant ; et le vilain, ivre de luxure et d'infamie, s'endort enfin avec tranquillité. Le lendemain, Justine se trouva du souper ; il s'agissait d'une réception. Les seules classes des pucelles, des vestales et des sodomistes, avaient fourni le douze superbes créatures qui avaient obtenu cet honneur. Dès en entrant, Justine aperçut la récipiendaire. - Voilà celle que la société vous donne pour camarade, mesdemoiselles, dit Sévérino en arrachant du buste de cette fille les voiles dont elle était couverte, et présentant à l'assemblée une jeune personne de quinze ans, de la figure la plus agréable et la plus intéressante. Ses beaux yeux, humides de pleurs, étaient l'image de son âme sensible ; sa taille était souple et légère ; sa peau d'une blancheur éblouissante ; les plus beaux cheveux du monde ; et quelque chose de si séduisant dans l'ensemble, qu'il devenait impossible de la voir sans se sentir invinciblement entraîné vers elle. On la nommait Octavie. Fille de la plus grande naissance, elle avait été enlevée dans sa voiture avec sa gouvernante, deux femmes de chambre et trois laquais, lorsqu'elle allait épouser à Paris l'un des plus grands seigneurs de France : sa suite avait été massacrée par les agents des moines de Sainte-Marie-des-Bois. On l'avait jetée dans un cabriolet, simplement escortée d'un homme à cheval et de la femme qui la présentait ; puis on l'avait conduite dans cet effrayant repaire sans qu'il lui eût été possible d'en savoir davantage. Personne ne lui avait encore dit un mot ; nos six libertins, en extase devant autant de charmes, n'avaient la force que de les admirer : l'empire de la beauté contraint naturellement au respect ; le scélérat le plus corrompu lui rend, malgré son cœur, une espèce de culte qu'il n'enfreint jamais sans remords ; mais des monstres tels que ceux dont il s'agit ici ne languissent pas longtemps sous de tels freins. - Allons, sacredieu, lui dit insolemment le supérieur en l'attirant vers le fauteuil sur lequel il était assis, allons, faites-nous promptement voir si le reste de vos charmes répond à ceux que la nature a placés avec tant de profusion sur votre physionomie. Et, comme cette belle fille se troublait, comme elle rougissait et qu'elle cherchait à fuir, Sévérino la saisissant à travers le corps : - Comprends donc, petite garce, lui dit-il avec impudence, que tu n'es plus maîtresse ici, et que ton seul lot est la soumission ; allons, nue. Et le libertin, à ces mots, lui glisse une main sous ses jupes en la contenant de l'autre. Clément s'approche ; il relève jusqu'au-dessus des reins les vêtements d'Octavie, et fait voir, au moyen de cette manœuvre, le cul le plus frais, le plus blanc, le plus arrondi que, depuis bien longtemps, eût frappé les yeux de ces paillards. Tous s'approchent, tous entourent ce trône de volupté, tous le comblent d'éloges, tous se pressent pour le toucher et l'accabler de caresses, en convenant à l'unanimité qu'ils ne virent jamais rien d'aussi régulier, d'aussi beau, d'aussi parfaitement accompli. Cependant la modeste Octavie peu faite à de tels outrages, répand des larmes et se défend. - Déshabillons donc, doubledieu, dit Antonin ; peut-on juger une fille couverte de vêtements ? Il aide à Sévérino : tous travaillent ; l'un arrache un fichu, l'autre une jupe : Octavie ressemble à la jeune biche qu'entoure une meute de chiens ; en un instant ses voluptueux attraits paraissent nus à tous les yeux. Il n'y eut sans doute jamais de grâces plus touchantes, jamais des formes plus heureuses. Oh ! juste ciel ! tant de beautés, tant de fraîcheur, tant d'innocence et de délicatesse devaient-elles devenir la proie de ces barbares ! Octavie, honteuse, ne sait où fuir pour dérober ses charmes ; en quelque coin qu'elle se réfugie, elle trouve des yeux libertins qui la dévorent, des mains brutales qui la souillent. Le cercle se ferme ; on la ramène au centre ; et chaque moine a près de lui quatre femmes qui l'excitent en sens différents. Octavie se présente à chacun. Antonin n'a pas la force de résister ; on le suçait, on lui branlait le cul ; il tenait les fesses de Justine d'une main, le con d'une vestale de l'autre : il baise Octavie sur la bouche, quitte le con qu'il tient pour empoigner celui de la novice. Le mouvement est si brutal, que la jeune personne jette un cri ; Antonin redouble de violence, et son foutre échappe malgré lui ; c'est une charmante femme de vingt ans qui l'avale. Octavie passe à Jérôme : on lui piquait les fesses avec une aiguille ; deux jolies filles le branlaient, l'une par devant, l'autre par derrière, pendant qu'une quatrième, âgée de seize ans, lui pétait dans la bouche. - Que de blancheur et que de grâces ! dit-il en touchant Octavie ; ô divin enfant ! quel beau cul ! Il le compare un moment à celui qui lui pète au nez, l'un des plus délicieux du sérail. - En vérité, dit-il, je suis incertain ; puis, imprimant sa bouche sur les attraits que ses yeux confrontent : Octavie, s'écrie-t-il, tu auras la pomme ; il ne tient qu'à toi ; donne-moi le fruit précieux de cet arbre adoré de mon cœur ; oh ! oui, oui, chiez toutes deux, et j'assure à jamais le prix de la beauté à qui m'aura servi le plus tôt. Octavie, confondue, ne peut concevoir un tel ordre : sa pudeur motive son refus, l'autre souscrit : Jérôme bande ; les fesses d'Octavie sont vigoureusement mordues, et la novice passe à d'autres outrages. Ambroise enculait une pucelle de quinze ans, on lui chiait dans la bouche, il maniait deux culs ; Octavie l'approche sans qu'il se dérange. - Donne-moi ta langue putain, lui dit-il. Cette bouche, souillée d'horreurs, ose s'imprimer sur celle d'Hébée même. - Oh ! foutre, s'écrie-t-il, en mordant cette langue fraîche et voluptueuse, j'avais bien à faire que cette petite garce vint ici pour me coûter du foutre. Et le vilain l'élance, en jurant, dans le joli cul qu'il perfore. Octavie vient au supérieur ; il était assis sur les tétons d'une charmante fille de dix-huit ans, qui lui mordillait les reins, et dont il épilait le con ; deux culs pétaient devant son nez ; la quatrième femme, âgée de dix-sept ans et belle comme le jour, lui piquait les couilles, en lui branlant le vit. Le paillard saisit Octavie ; vingt claques sur les fesses lui sont vigoureusement appliquées ; et la tournée se poursuit. C'est devant Sylvestre que la jeune débutante arrive. Cette fois, le libertin léchait trois cons placés devant lui ; la quatrième femme le suçait ; le joli vagin d'Octavie s'élève au-dessus des trois que parcourt sa langue ; et le moine, en fureur, laisse, en perdant son foutre, la sanglante impression de ses dents sur la motte à peine ombragée d'Octavie. Clément sodomise une Agnès de douze ans, que l'énormité de son vit fait pleurer ; on lui pince les fesses et l'on chie sur son nez. - Oh ! foutre, s'écrie-t-il, que j'aime la vertu près du vice ! Il se précipite comme un furieux sur les jolies fesses qu'octavie présente par son ordre. - Chie, lui dit-il, ou je mords. La tremblante Octavie voit bien que l'obéissance devient son seul lot ; mais sa profonde soumission ne lui sauve pas la peine dont elle est menacée : et, malgré le plus bel étron, ses charmantes petites fesses sont mordues... pincées... mises en sang. - Allons, dit Sévérino, il est temps de passer à des choses plus sérieuses ; moi, je n'ai point perdu de foutre, je vous avertis, messieurs, que je ne peux plus attendre. Il s'empare de cette infortunée, la couche à plat ventre sur un sofa. Ne s'en remportant pas encore suffisamment à ses forces, il appelle Clément à son aide : Octavie pleure et n'est pas écoutée ; le feu brille dans les regards du moine impudique : maître de la place, on dirait qu'il n'en considère les avenues que pour l'attaquer plus sûrement ; aucunes ruses, aucuns préparatifs ne s'emploient ; cueillerait-il les roses avec tant de charmes, s'il en écartait les épines ? Ce sont les fesses de Justine que le paillard veut pour perspective. - Par ce moyen, dit-il, je vais jouir des deux plus beaux culs de la salle. Quelque énorme disproportion qui se trouve entre la conquête et l'assaillant, celui-ci n'entreprend pas moins le combat : un cri perçant annonce la victoire, mais rien n'apitoie l'ennemi ; plus la captive implore sa grâce, plus on la presse avec vigueur ; et la malheureuse a beau se débattre, elle est enculée jusqu'aux couilles. - Jamais victoire ne fut plus difficile, dit le moine en se retirant ; j'ai cru que, pour la première fois, j'allais échouer près du port. Ah ! que d'étroit ! que de chaleur ! Sylvestre, poursuit le supérieur, n'es-tu pas régent de fonction ? - Oui. - Tu marqueras Justine pour quatre cents coups de fouets ; elle n'a pas pété quand je lui ai dit. - Il faut que je ramène Octavie au sexe que tu viens de souiller, dit Antonin, la saisissant dans la même posture ; il est plus d'une brèche au rempart. Et, s'approchant, avec fierté, en un instant le pucelage est pris ; de nouvelles clameurs se font entendre. - Dieu soit loué, dit le malhonnête homme ; j'aurais douté de mes succès sans les gémissements de la victime ; mais mon triomphe est assuré, car voilà du sang et des pleurs. - En vérité, dit Clément, s'avançant le martinet au point, je ne dérangerai pas cette noble attitude, elle favorise trop mes désirs. Deux filles contiennent Octavie ; l'une d'elles, à califourchon sur les reins, offre le plus beau derrière aux regards du flagellateur ! L'autre, un peu de côté, le présente de même. Clément observe, il touche ; la novice, effrayée, l'implore, et ne l'attendrit pas. - Oh ! sacredieu, dit le moine exalté, que deux filles fouettent déjà, pendant qu'il considère l'autel où de pareils coups vont se porter ; oh ! mes amis, comment ne pas fouetter l'écolière qui nous montre un aussi beau cul ! L'air retentit aussitôt du sifflement des cordes et du bruit sourd de leurs cinglons et sur l'un et sur l'autre cul, les cris d'Octavie s'y mêlent, les blasphèmes du moine y répondent. Quelle scène pour ces libertins, livrés, au milieu de treize filles, à mille obscénités différentes ! Ils applaudissent, ils encouragent. Cependant, la peau d'Octavie change de couleur, les teintes de l'incarnat le plus vif se joignent à l'éclat des lis ; mais ce qui divertirait peut-être un instant l'Amour, si la modération dirigeait le sacrifice, devient, à force de rigueur, un crime envers les lois. Cette idée, qui n'échappe point à Clément, prête des forces à ses perfidies ; plus la jeune élève se plaint, plus éclate la sévérité du maître ; depuis le milieu des reins, jusqu'au bas des cuisses, tout est traité de la même manière ; et c'est enfin sur les vestiges sanglants de ces barbares plaisirs que des filles lui font dégorger son foutre. - Je serai moins sauvage que cela, dit Jérôme en prenant la belle et s'adaptant à ses lèvres de corail ; voilà le temple où je vais sacrifier, et dans cette bouche enchanteresse... Taisons-nous ; c'est le reptile impur flétrissant une rose : la comparaison a tout peint. - Pour moi, j'enconne, dit Sylvestre, en levant en l'air les cuisses de la jeune fille, et la fixant sur le croupion ; je veux que ce vit mutin lui perce les entrailles ; j'aime assez un pucelage à moitié pris ; cet air de désordre m'amuse ; je le préfère à des prémices. Deux jeunes cons s'offrent à ses baisers ; il veut qu'ils pissent sur le nez de sa fouteuse, et qu'une petite fille de douze ans, sur ses reins, pique ses fesses d'une épingle, en se donnant sur lui des saccades qui concourent à ses mouvements. L'extase le saisit ; le vilain entre en fureur, et dépose au con vierge de la plus belle et de la plus innocente des filles, le sperme le plus impur qu'on eût vu fermenter dans la braguette d'un moine. - Et moi, j'encule, dit Ambroise ; mais là, oui, c'est de là, c'est dans la même posture que je vais la prendre : qu'on me fustige, et qu'on se rapporte à moi sur le dénouement. Hélas ! qu'on m'entoure le cul, je vous en supplie ; il est affreux. Le visage de la victime, que le coquin a bien à sa portée, est souffleté par lui, à l'instant de la crise, d'une si vigoureuse manière, que le sang coule des deux narines ; et c'est presque évanouie qu'on retire l'enfant de ses mains. On se met à table : jamais repas n'avait été plus gai ; jamais plus complètes orgies ; tout était nu autour des moines ; on les branlait, on les baisait, on les suçait, on les chatouillait, on les pinçait, lorsque Sévérino, s'apercevant que les têtes allaient s'électriser outre mesure, et que le but proposé des plaisirs s'éloignerait peut-être au lieu de s'atteindre, proposa, pour tempérer l'ardeur dans laquelle il voyait tout le monde, d'engager Jérôme à raconter l'histoire de sa vie, dont il avait promis le récit depuis si longtemps. - Je le veux bien, dit le moine, qui, près de la débutante, s'occupait, depuis un quart d'heure, à la langotter ; cela retardera l'effusion de mon sperme, dont je ne pourrais bientôt plus restreindre les écluses. Préparez-vous donc, mes amis, à entendre l'un des récits les plus obscènes qui, depuis bien longtemps, ait souillé vos oreilles. **** *creator_sade *book_sade_justine1799 *style_prose *date_1799 CHAPITRE XI HISTOIRE DE JÉRÔME Les premières actions de mon enfance annoncèrent, à ceux qui se connaissent en hommes, que je devais être un des plus grands scélérats qui eût encore existé sur le sol français. J'avais reçu de la nature des inclinations si perverses ; cette nature âpre s'exprimait en moi d'une manière si contraire à tous les principes de la morale, qu'il fallait nécessairement établir, en me voyant, ou que j'étais un monstre né pour déshonorer cette mère commune du genre humain, ou qu'elle avait eu quelque motif en me créant ainsi, puisque sa main seule avait inculqué dans moi le malheureux penchant aux vices infâmes dont je donnais journellement de si frappants exemples. Nous sommes de Lyon. Mon père y exerçait le commerce avec un succès assez grand pour nous laisser un jour une fortune plus que suffisante à notre existence, lorsque la mort vint l'enlever, pendant que j'étais encore au berceau. Ma mère, qui m'adorait, et qui prenait de mon éducation des soins inimaginables, m'éleva avec une sœur, née un an après moi, dans la même semaine de la mort de mon père : on la nommait Sophie ; et, quand elle eut atteint l'âge de treize ans, époque où je vais lui faire jouer un rôle sur la scène de mes aventures, on pouvait dire, avec vérité, que c'était la plus jolie fille de Lyon. Tant d'attraits ne tardèrent pas à me faire sentir que tous les prétendus freins de la nature s'évanouissent quand on bande, et qu'elle n'en connaît plus d'autres alors que ceux qui, réunissant les deux sexes, les invitent à jouir ensemble de tous les plaisirs de l'amour et de la débauche : ces derniers, plus piquants sur mon cœur que ceux d'un sentiment qui ressemblait trop à une vertu pour que je l'adoptasse jamais, furent les seuls qui se firent entendre en moi ; et j'avoue que dès que j'eus démêlé les grâces et les attraits de Sophie, ce fut son corps que je désirais, et nullement son cœur. C'est avec vérité que je puis dire n'avoir jamais connu ce sentiment factice de la délicatesse qui, rapportant tout au moral de la jouissance, paraît n'en admettre de vive que celle dont il fait les frais. J'ai joui de beaucoup d'objets dans ma vie ; mais je puis certifier que pas un ne fut cher à mon cœur ; il m'est même impossible de comprendre qu'on puisse aimer l'objet dont on jouit. Oh ! combien cette jouissance serait triste pour moi, si quelqu'autre sentiment que le besoin de foutre en composait les éléments. Je n'ai jamais foutu de ma vie que pour insulter l'objet de ma luxure, et n'ai démêlé, dans cette action, d'autre charme que l'outrage produit sur l'objet ; je le désire avant la jouissance, je l'abhorre quand le foutre est à bas. Ma mère élevait Sophie à la maison et, comme je n'était qu'externe à la pension où l'on m'éduquait, je passais presque toute ma journée avec cette charmante sœur. Sa délicieuse physionomie, ses cheveux superbes, sa taille enchanteresse, me firent brûler, ainsi que je viens de vous confier, du désir de voir, le plus tôt possible, quelle était la différence de son corps au mien, et d'admirer ces différences, en lui faisant observer celles que la nature devait également avoir placées dans moi. Ne sachant trop comment expliquer tout ce que je sentais à ma sœur, je me déterminai à la surprendre plutôt qu'à la séduire : il y avait, dans le premier de ces modes, une sorte de trahison qui me divertissait. Je fis donc, pendant un an, l'impossible pour y parvenir, sans jamais pouvoir en venir à bout. Je sentis alors qu'il faudrait me résoudre à des demandes ; mais j'y voulais toujours la teinte de la trahison ; je n'eus jamais bandé sans cela. Voici donc comme je m'y pris. La chambre de Sophie était assez éloignée de celle de ma mère, pour me permettre d'y essayer une tentative ; et, prétextant une incommodité qui me mit dans le cas de me retirer de bonne heure, je fus lestement me cacher sous le lit du délicieux objet de mes désirs, avec la ferme résolution de me fourrer dedans aussitôt que je l'y sentirais établi. Je n'avais pas pensé à l'extrême frayeur qu'une telle démarche allait causer à Sophie. On raisonne mal quand on bande bien. N'apercevant que mon seul objet, ce ne fut absolument que vers lui seul que se dirigèrent toutes mes actions. Sophie rentra ; je l'entendis qui priait Dieu. Je vous laisse à penser si je m'irrite de ces délais ; j'en maudissais l'objet avec autant de sincérité que je pourrais le faire aujourd'hui, ou, plus éclairé sur ce chimérique Dieu, j'insulterais, je crois, celui que je verrais le prier de bon cœur. Enfin, Sophie se couche : elle l'est à peine, que me voilà près de son chevet. Sophie s'évanouit ; je la presse sur mon sein ; et, plus occupé de l'examiner que de la secourir, j'ai le temps d'inventorier tous ses charmes avant que sa prudence puisse nuire à mes projets. Voilà donc ce qu'est une femme, dis-je en maniant la motte de Sophie ; eh ! qu'y a-t-il donc de beau là ? Ceci, continuai-je en palpant les fesses, vaut infiniment mieux ; mais rien n'est moins joli que ce devant ; et par quelle singulière contrariété la nature n'a-t-elle donc point enrichi de toutes ses grâces la partie du corps de la femme qui la différencie de nous ? Car c'est là, sans doute, ce que les hommes recherchent ; et que peut-on désirer où l'on ne trouve rien ? Est-ce cela qui les flatte ? poursuivais-je en maniant les plus jolis tétons. Je ne devine pas trop ce que ces deux boules, aussi gauchement placées sur la poitrine, peuvent avoir de bien piquant. Toutes réflexions faites, je ne vois que cela, ajoutai-je en maniait le cul, qui soit vraiment digne de notre hommage ; et, puisque nous en avons autant que les femmes, je ne comprends pas qu'il soit nécessaire de les rechercher avec autant de soin. Allons, c'est une chose très ordinaire qu'une femme ; je suis fort aise de l'avoir parcouru sans enthousiasme... Mon vit dresse pourtant en la considérant ; je sens que je m'amuserais de tout cela : mais l'adorer, comme on prétend que font les hommes... l'adorer... moi... ma foi, non. Sophie, dis-je alors assez brusquement ; car voilà le ton qu'on emploie avec les femmes, quand on sait les mettre à leur place ; réveille-toi donc Sophie ; es-tu folle d'avoir ainsi peur de moi ? Et, comme elle reprenait ses sens : Ma sœur, continuai-je, je ne viens point ici pour te faire du mal ; j'ai voulu regarder ton corps, je me suis satisfait : vois l'état où il me met ; apaise mes feux : quand je suis seul... tiens, regarde-moi, en deux tours de poignet... cela coule, et je suis tranquille. Mais, puisque nous voilà réunis, évite-moi cette peine, Sophie ; il me semble que j'aurai plus de plaisir quand ta main fera la besogne. Et, sans autre forme de procès, je place mon vit entre ses doigts ; Sophie le serre, elle m'embrasse. Oh ! mon ami, me dit-elle, il est inutile de te le cacher, il y a longtemps que je combine, comme toi, la différence qui peut exister dans les sexes, et j'avais, sans oser te le dire, la plus grande envie de t'examiner ; la pudeur m'en a empêchée ; ma mère ne cesse de me recommander d'être sage... vertueuse... modeste ; et, pour établir toutes ces vertus dans mon âme, elle vient de me mettre entre les mains du vicaire de la paroisse, homme dur... revêche, qui ne parle jamais que de l'amour de Dieu, et de la retenue qui convient aux filles ; et, d'après de tels sermons, mon ami, si tu n'avais pas fait les avances, je n'aurais osé te parler de rien. - Sophie, dis-je alors à ma sœur, en m'établissant dans son lit, chair contre chair, je ne suis ni beaucoup plus âgé, ni beaucoup plus instruit que toi, mais la nature m'en a dit assez, pour me convaincre que tous les cultes, tous les mystères religieux ne sont que d'exécrables absurdités. Va, mon ange, il n'y a d'autre Dieu que le plaisir ; c'est à ses seuls autels que nous devons sacrifier. - Crois-tu, Jérôme ? - Oh ! oui, oui, c'est mon cœur qui me le dit, et c'est mon cœur qui te l'assure. - Mais, comment faut-il s'y prendre pour connaître ce plaisir ? - Se branler, tu le vois. Quand on a bien secoué cela, il en sort une liqueur blanche, qui nous fait pâmer d'aise ; à peine a-t-on fini, que l'on voudrait recommencer... Mais pour toi, dès que tu n'as rien, je ne vois pas trop comment il faudrait s'y prendre. - Tiens, Jérôme, répondit ma sœur, en plaçant une de mes mains sur son clitoris ; la nature m'a parlé comme à toi, et si tu veux chatouiller cette petite crête que tu vois se durcir et s'élever sous tes doigts ; si, dis-je, tu veux la remuer légèrement ; pendant que je secouerai ce que tu me fais empoigner ; ou je me trompe fort, mon ami, ou nous aurons du plaisir tous deux. A peine eus-je fait ce que désirait ma sœur, que je la vis s'étendre... soupirer ; et la petite friponne m'inonda les doigts : je me pressai de répondre à cet élan de volupté ; et, me courbant sur elle en baisant sa bouche, et me branlant moi-même, je la payai de la même monnaie. Ses cuisses, sa motte furent inondées de cette liqueur enchanteresse, dont l'écoulement me faisait goûter d'aussi doux plaisirs. Nous éprouvâmes, après, cet instant de stupidité, suite nécessaire des crises libidineuses, qui prouve par sa langueur à quel puissant degré l'âme vient d'être fortement émue, et le besoin qu'elle a de repos. Mais, à l'âge que nous avions alors, les désirs sont bientôt rallumés. - Ô Sophie ! dis-je à ma sœur, je crois que nous sommes encore bien ignorants ; sois sûre que ce n'est pas ainsi qu'il faut goûter ce plaisir ; nous oublions quelques circonstances apparemment méconnues de nous. Il faut être l'un sur l'autre ; et puisque tu es creuse, et que quelque chose s'allonge dans moi, il faut absolument que ce qui s'élève entre dans ce qui est profond ; il faut que tous deux s'agitent pendant cette jonction ; et voilà, sois-en bien certaine, tout le mécanisme de la volupté. - Je le crois comme toi, mon ami, me dit ma sœur ; mais j'ignore où est ce trou dans lequel il faut que tu pénètres. - Si je ne me trompe, si je suis les inspirations que la nature me donne, ce doit-être celui-là, répondis-je, en enfonçant un de mes doigts dans le trou du cul de Sophie. - Eh bien ! essaye, dit ma sœur, je te laisserai faire si je n'en éprouve pas une trop grande douleur. A peine ai-je le consentement de Sophie, que je l'établis sur le ventre au bord de son lit ; et, bien maître de son derrière, me voilà promptement aux prises. Comme je n'étais pas encore extrêmement bien pourvu, le déchirement fut médiocre : et Sophie, qui brûlait d'envie d'en venir au fait, se prêta avec tant de soumission qu'elle fut bientôt enculée. - Oh ! que j'ai souffert, me dit-elle, quand l'opération fut finie. - Bon, répondis-je, c'est parce que c'est la première fois, je parierais bien qu'à la seconde tu n'éprouverais plus que du plaisir. - Eh bien ! recommence, mon ami, je suis décidée à tout. Je la rencule, mon foutre coule, et Sophie décharge à son tour. - Je ne sais si nous nous sommes trompés, dit ma sœur ; je ne le puis croire à l'extrême plaisir que j'ai eu... Qu'en penses-tu, Jérôme ? Mais ici la tête commençait à se démonter : il n'y avait aucun amour dans mon fait ; le désir purement physique de jouir de ma sœur était le seul mouvement qui m'eût agité ; et ce désir venait d'être cruellement refroidi par la jouissance. Il n'y avait plus d'enthousiasme dans l'examen que je faisais du corps de Sophie. Faut-il l'avouer ? Ces appas qui venaient de m'enflammer, ne m'inspiraient plus que du dégoût. Je répondis donc froidement à ma petite putain, que je n'imaginais pas que nous nous fussions trompés ; et que n'ayant suivi l'un et l'autre que les inspirations de la nature, il était impossible qu'elle eût voulu nous égarer ; que je croyais, au reste, qu'il était prudent de nous quitter, qu'un plus long séjour dans sa chambre nous compromettrait sûrement, et que j'allais me remettre au lit. Sophie voulait me retenir. - Tu me laisses en feu, me dit-elle ; je serai contrainte à m'apaiser seule. Ô Jérôme ! ne m'abandonne point encore. Mais l'inconstant Jérôme avait déchargé trois fois et, quelque jolie que fut sa chère sœur, il lui fallait absolument un peu de repos, pour que l'illusion pût renaître. L'engagement que j'ai pris de développer ici les plus secrets replis de mon cœur ne me permets pas de vous taire mes réflexions ; sitôt que je me vis seul, elles ne furent pas à l'avantage de l'objet qui venait d'éteindre mes feux. Plus de prestige ; le charme était dissipé ; et Sophie ne m'excitant plus m'irritait dans un autre sens. Je rebandais ; mais ce n'était plus pour fêter ses charmes, c'était pour les flétrir : je dégradais Sophie dans mon imagination ; et, passant insensiblement du mépris à la haine, j'en étais au point de lui désirer du mal. Je suis fâché de ne lui avoir pas cherché querelle, me disais-je, désespéré de ne l'avoir pas battue ; il doit y avoir du plaisir à battre une femme quand on en a joui... mais je puis me dédommager de cette retenue... je puis lui faire de la peine, je n'ai qu'à divulguer sa conduite ; elle sera perdue de réputation ; ne pouvant jamais se marier, elle deviendra sans doute extrêmement malheureuse ; et cette affreuse idée, faut-il le dire ? fit aussitôt jaillir mon foutre avec mille fois plus de volupté que lorsqu'il s'écoulait dans le cul de Sophie. Rempli de cet affreux projet, j'évitai ma sœur le lendemain, et fus confier toute mon aventure à un jeune cousin germain, plus âgé que moi de deux ans, de la plus jolie figure du monde, et qui, pour me prouver l'effet de ma confidence, me fit à l'instant palper un vit très dur et très gros. - Tu ne me dis rien que je n'aie éprouvé, me dit Alexandre ; j'ai, comme toi, foutu ma sœur, et, comme toi, je déteste aujourd'hui l'objet de mes luxures ; va, mon ami, ce sentiment est bien naturel ; il est impossible d'aimer ce que l'on a foutu. Veux-tu me croire : mêlons nos jouissances et nos haines. La plus grande marque de mépris que l'on puisse donner à une femme est de la prostituer à un autre. Je te livre Henriette, elle est ta cousine germaine ; elle a quinze ans, tu sais comme elle est belle ; fais-en ce que tu voudras, je ne te demande que ta sœur en retour : et, quand nous serons tous deux bien las de ces putains, nous aviserons aux moyens de leur faire pleurer longtemps leur coupable abandon et leur imbécile complaisance. Cette délicieuse coalition m'enchanta : je saisis le vit de mon cousin ; je le branle. - Non, non, tourne-toi, me dit Alexandre ; il faut que je te traite comme tu as traité ta sœur. Je présente les fesses et me voilà foutu. - Mon ami, me dit Alexandre, dès qu'il m'eut déchargé dans le derrière, voilà comme il faut agir avec les hommes ; mais, si tu t'en es tenu là avec ma cousine, assurément tu ne lui as pas fait tout ce que tu aurais pu lui faire ; non pas que cette manière de jouir d'une femme ne soit assurément la plus lubrique, et par conséquent la meilleure : mais il en est une autre, et tu dois la connaître : mets-toi promptement aux prises avec ta sœur, et je perfectionnerai les leçons dont il me semble que tu ne lui as donné que les premiers éléments. Je savais que ma mère devait aller bientôt à une foire célèbre ; qu'elle laisserait, pendant son voyage, Sophie sous la garde d'une gouvernante facile à séduire : je prévins Alexandre de faire tout ce qui dépendait de lui pour pouvoir disposer de sa sœur à la même époque. Il réussit : Henriette parut avec son frère ; et Micheline, notre duègne, consentit à nous laisser goûter tous quatre, pourvu qu'à notre tour nous ne révélions pas qu'elle allait passer l'après-midi chez son amant. Si mon cousin était l'un des plus beaux garçons qu'il fût possible de voir, Henriette, sa sœur, âgée, comme je vous l'ai dit, de quinze ans, pouvait également passer pour l'une des plus jolies filles de Lyon ; elle était blonde, d'une blancheur éblouissante, la couleur de la rose embellissait son teint, les plus belles dents ornaient sa bouche, et sa taille souple et flexible était déjà fort au-dessus de son âge. A peine avais-je parlé à Sophie, je l'évitais depuis que j'en avais joui. Une fois déterminé, je lui déclarai que mon intention était qu'elle fit avec mon cousin tout ce qu'elle avait fait avec moi. Cette belle fille, continuai-je en montrant Henriette, sera le prix de votre obéissance : jugez donc le chagrin que me ferait éprouver vos refus. - Mais, mon ami, dit Henriette à son frère, vous ne m'avez point parlé de cet arrangement ; je ne serais point venue si je l'eusse su. - Allons donc, Henriette, tu veux faire la prude, dit Alexandre avec humeur : quelle différence y a-t-il entre mon cousin et moi ? et pourquoi ferais-tu des difficultés pour lui accorder ce que j'ai reçu ? - Ces demoiselles n'en feront point, dis-je, en lâchant moi-même le cordon des jupes de Sophie ; tiens, mon ami, reçois ma sœur de ma main, livre-moi la tienne, et ne nous occupons plus que de plaisir. Des larmes coulèrent des yeux de nos deux novices : elles s'approchent, elles s'embrassent ; mais Alexandre et moi les ayant assurées qu'il ne s'agit point ici de scènes de larmes, que c'est du foutre et non pas des pleurs qu'il nous faut, nous les déshabillons à l'instant, et nous nous les cédons mutuellement. Dieu ! comme Henriette était belle ! quelle peau ! quel embonpoint ! quelles ravissantes proportions ! Je ne concevais plus comment on pouvait bander pour Sophie, après avoir vu ma cousine ; j'étais dans le délire ; et certes Alexandre n'était pas moins enthousiasmé que moi en parcourant les beautés de ma sœur : il la baisait, il la maniait partout ; et la pauvre Sophie, jetant des yeux humides sur moi, semblait me reprocher ma perfidie. Henriette se conduisait de même : il était facile de voir que ces deux charmantes créatures n'avaient écouté que la voix du plaisir, en se livrant à leurs amoureux respectifs ; mais que la pudeur combattait violemment en elles la prostitution à laquelle on les forçait. - Allons, trêve de pleurs, de regrets et de cérémonies, dit Alexandre ; mettons-nous à l'ouvrage, et tâchons que la plus lascive volupté préside aux jeux que nous allons célébrer tous quatre. Assurément ses vœux furent remplis, et rien d'aussi luxurieux que les orgies où nous nous livrâmes. Mon cousin foutit ma sœur deux fois en con et trois fois en cul. Il redressa mes idées sur la jouissance des femmes : j'essayai ; et l'épreuve ne servit qu'à me convaincre que, si la nature avait placé là l'autel de la génération, elle n'y avait pas réuni celle du plaisir. M'appesantissant peu sur l'inconséquence, je ne pensai qu'à la venger par un hommage constant au dieu que j'ai toujours servi, et que j'invoquerai sans cesse jusqu'au dernier jour de ma vie. Henriette fut donc beaucoup plus sodomisée qu'enconnée ; et j'assurai mon instituteur que, si, comme il le disait, l'espèce humaine ne se reproduisait que par le con, il fallait donc que la nature n'eût pas grand besoin de production, puisqu'elle affectait à ce travail celui de ses deux temples dont le mérite était si médiocre. Après nos inconstants hommages, Alexandre et moi revînmes à nos premiers plaisirs. Il jouit de sa sœur devant moi ; j'enculai la mienne à ses yeux ; nous nous fîmes branler ; nous nous sodomisâmes ; nous nous liâmes tous les quatre ; nous nous gamahuchâmes. Alexandre m'apprit mille épisodes voluptueux, que j'étais trop jeune pour savoir encore, et nous finîmes par un repas splendide. Nos jeunes maîtresses, parfaitement remises, et maintenant très apprivoisées, se livrèrent aux plaisirs de la bonne chair avec autant de délices qu'à ceux de la luxure ; et nous ne nous quittâmes qu'avec les plus certaines promesses de recommencer bientôt. Nous tînmes si bien parole, et si souvent, que le ventre de nos donzelles gonfla. Malgré mes précautions et mes infidélités en faveur du cul de ma cousine, il fut démontré que l'enfant dont Henriette accoucha m'appartenait : c'était une fille à laquelle vous verrez jouer un rôle dans le cours de cette histoire. Ce double accident, que nous ne parvînmes à cacher qu'avec infiniment d'art, acheva de nous refroidir sur nos princesses. - Eh bien ! me dit Alexandre, quelques mois après, penses-tu toujours de même sur le compte de ta sœur ? - C'est plus cruellement que jamais, répondis-je, que je conçois le ferme projet de me venger de l'illusion où mes attraits ont pu me jeter ; je la vois comme un monstre en horreur à mes yeux ; mais, si tu l'aimes, cela va me retenir. - Qui ? moi, dit Alexandre, moi, chérir une femme, après l'avoir foutue ! ne t'ai-je donc pas dévoilé mon cœur ? Sois sûr qu'il ressemble au tien ; convaincs-toi bien que ces deux filles sont maintenant abhorrées par moi, et que, si tu le veux, nous ne nous occuperons que de les perdre. - Faisons-en le serment, répondis-je, et que rien ne l'enfreigne jamais. - Il est fait, me dit Alexandre ; mais quel moyen allons-nous employer ? - Le mien est sûr, dis-je : laisse-toi surprendre avec ma sœur par ma mère ; je connais sa sévérité, elle deviendra furieuse et Sophie est perdue. - Comment perdue ? - Elle la mettra au couvent. - La belle punition ! oh ! je veux mieux que cela pour Henriette. - Et jusqu'où veux-tu porter ta rage ? - Je veux qu'elle soit déshonorée, flétrie, ruinée sans ressource ; je veux qu'elle mendie son pain à ma porte ; et jouir du plaisir de lui en refuser. - Bon, dis-je à mon ami ; en ce cas, j'avais bien raison de penser que je l'emporterais sur toi... Mais, silence, je ne puis rien expliquer maintenant. Convenons d'agir chacun de notre côté, et nous nous rendrons compte de nos opérations ; celui des deux qui l'emportera recevra de l'autre une discrétion, le veux-tu ? - J'accepte, me dit Alexandre ; mais il faut en jouir de nouveau, avant que de les travailler. Et comme ma mère était encore absente, nous arrangeâmes la dernière entrevue où s'était passée la première. Nous nous livrâmes cette fois à bien plus de libertinage, que nous ne l'avions fait jusqu'alors, et nous finîmes par insulter grièvement les anciennes idoles de nos cultes. Nous les liâmes ventre contre ventre, et les fustigeâmes toutes deux près d'un quart d'heure en cette posture ; nous les souffletâmes, nous leur imposâmes des pénitences ; en un mot, nous les avilîmes, au point de leur cracher au visage et de leur chier sur la gorge, de leur pisser dans la bouche et dans le con, tout en les accablant d'injures et de sarcasmes. Elles pleurèrent ; nous en rîmes : nous ne voulûmes pas qu'elles mangeassent avec nous cette fois ; elles nous servirent nues ; et, les ayant fait rhabiller, nous prîmes congé d'elles, à grands coups de pieds au cul. Ah ! combien les femmes deviendraient plus modestes, si elles pouvaient sentir dans quelle dépendance leur libertinage les met1. Comme nous nous étions promis d'agir chacun de notre côté, sans nous rien dire, je perdis Alexandre de vue pendant près de six semaines, et profitai de cet intervalle pour dresser contre l'infortunée Sophie les batteries dont vous allez voir les effets. Ma sœur, naturellement très ardente, céda avec autant de facilité aux instigations d'un autre de mes amis qu'elle s'était rendue à mon cousin, et ce fut avec cet ami que je la fis surprendre. Je ne vous peins point la fureur de ma mère, elle fut extrême. - Préviens cette sévérité, dis-je à Sophie ; hâte-toi, tu es enfermée, si tu ne la devances ; débarrasse-toi de ce monstre ; ose attenter aux jours de cet incommode argus, je t'en fournirai les moyens. Sophie, troublée, hésite, et finit par céder. Je prépare la fatale boisson ; ma sœur la fait prendre à sa mère, elle expire ! - Oh ! juste ciel ! m'écriai-je alors en accourant avec le plus grand bruit... ma mère, que vous arrive-t-il ?... C'est Sophie, c'est ce monstre que votre juste indignation menaça, et qui se venge de vos équitables rigueurs ; je veux qu'elle porte la peine de son crime... il m'est connu, il m'est dévoilé. Qu'on arrête Sophie ; qu'on s'assure de ce lâche instrument d'un parricide affreux ; il faut qu'elle périsse, il faut du sang aux mânes de ma mère. Et, en disant cela, je dépose, aux mains d'un commissaire accouru, le poison trouvé dans la chambre de ma sœur, et enveloppé dans son propre linge. - Peut-il y avoir du doute maintenant, monsieur ? continué-je en m'adressant à l'homme de justice ? le crime n'est-il pas avéré ? Il est affreux pour moi de dénoncer ma sœur ; mais je préfère sa mort à son déshonneur, et ne balance point entre la cessation de son existence et les suites dangereuses de l'impunité. Faites votre devoir, monsieur ; je serai le plus malheureux des hommes ; mais je n'aurai pas au moins à me reprocher le crime de ce monstre. Sophie, confondue, me lance d'affreux regards... elle veut parler, la rage, la douleur et le désespoir rendent ses efforts inutiles ; elle s'évanouit, on l'emporte... La procédure eut son cours ; je parus, j'appuyai, je démontrai mes déclarations. Sophie voulut récriminer, m'indiquer comme auteur de ce fatal projet. Ma mère, qui respirait encore, prit ma défense, et devint elle-même l'accusatrice de Sophie ; elle dévoile sa conduite, en faut-il davantage pour éclairer l'opinion des juges ? Sophie est condamnée. Je vole chez Alexandre. - Eh bien ! lui dis-je, où en es-tu ? - Vous allez le voir, monsieur l'homme de bien, me répond Alexandre ; n'avez-vous pas entendu parler d'une fille qui doit être pendue ce soir, pour avoir voulu empoisonner sa mère ? - Oui : mais cette fille est ma sœur ; c'est celle dont tu as joui ; et ces complots sont mon ouvrage. - Tu te trompes, Jérôme, c'est la mienne. - Scélérat, dis-je, en sautant au cou de mon ami, je vois que, sans nous rien dire, nous avons agi par les mêmes moyens ; est-il rien au monde qui prouve mieux combien nous sommes faits l'un pour l'autre ?... Volons ; la foule s'assemble ; nos sœurs vont arriver au pied de l'échafaud ; allons jouir de leurs derniers instants. Nous louons une croisée ; à peine y sommes-nous que nos victimes s'approchent. - Ô Thémis ! m'écrié-je, que tu es aimable de servir ainsi nos passions. Alexandre bandait, je le branle, il me rend le même service ; et nos lunettes, braquées sur le cou pris de nos deux putains, nous nous arrosons mutuellement les cuisses de foutre, au même instant où les tristes jouets de notre scélératesse expirent par nos soins de la plus cruelle des morts. - Voilà, me dit Alexandre, de véritables plaisirs ; je n'en connais pas au monde de plus vifs. - Oui, dis-je. Ah ! si pourtant il en faut de tels à notre âge, qu'inventerons-nous donc, quand les passions éteintes rendront les stimulants plus nécessaires ? - Ce que nous pourrons, me dit Alexandre ; mais, dans l'incertain espoir d'exister, n'ayons pas la folie de ménager nos plaisirs : ce serait une extravagance. - Et ta mère, vit-elle ? demandé-je à mon cousin. - Non. - Eh bien, dis-je ; tu es donc moins heureux que moi ; la mienne respire, et je vais la finir. J'y cours, j'exécute ; c'est de mes propres mains que j'achève le crime. Et ce double forfait me fit passer la nuit dans un océan de lubricités solitaires, mille fois supérieures à celles que le libertinage se permet au sein des plus doux objets de son culte. Notre commerce ayant assez mal tourné dans les dernières années de la vie de ma mère, je résolus de réaliser le peu que j'avais : ce fut l'affaire de trois ou quatre ans pour me mettre absolument en règle. Je me déterminai ensuite à voyager : je laissai en pension la fille que j'avais eue de ma cousine, avec l'intention de la sacrifier un jour à mes plaisirs, et je partis. L'éducation que j'avais reçue me mettant à même de prendre le métier d'instituteur, quoique bien jeune encore, j'entrai à Dijon avec cette qualité près du fils et de la fille d'un conseiller au Parlement. La profession que j'embrassai flattait beaucoup ma lubricité ; je ne voyais déjà pour moi que des victimes de cette passion dans les sujets qui m'allaient être donnés. Oh, quelles délices, me disais-je, d'abuser, comme je vais le faire, et de la confiance des parents, et de la crédulité des élèves. Quelle pâture pour ce sentiment interne de méchanceté qui me dévore, et qui me porte à me venger de la plus cruelle manière des faveurs que je dérobe ou que j'obtiens volontairement. Pressons-nous d'endosser le manteau de la philosophie ; il sera bientôt pour moi celui de tous les vices. Et c'était à vingt ans que je raisonnais ainsi. Moldane était le nom du robin chez lequel je me présentais : il ne tarda pas à me donner toute sa confiance. Il s'agissait d'élever ensemble un jeune homme de quinze ans, qui se nommait Sulpice, et la sœur de ce jeune homme, nommée Joséphine, qui n'avait encore que treize ans. C'est sans exagération que je puis vous assurer, mes amis, n'avoir vu de mes jours rien d'aussi joli que ces enfants. D'abord la gouvernante de Joséphine présidait aux leçons : peu après cette précaution parut inutile, et les deux charmants objets de mes ardents désirs me furent abandonnés sans réserve. Le jeune Sulpice ; que j'étudiais avec attention, me laissa bientôt apercevoir deux côtés faibles en lui : d'abord, un tempérament de feu ; secondement, un amour excessif pour sa sœur. Bon, me dis-je, dès que j'eus découvert ces deux points, me voilà bientôt sûr du succès. Ô doux jeune homme ! j'avais envie d'allumer en toi le flambeau des passions, et ton aimable naïveté me découvre aussitôt la mèche. Dès le commencement du second mois de mon séjour chez M. de Moldane, je préparai mes premières attaques : un baiser sur la bouche, une main dans la culotte décidèrent aussitôt mon triomphe. Sulpice bandait comme un lutin, et au quatrième mouvement de mes doigts le fripon m'arrosa de foutre. Je retourne aussitôt la médaille. Dieu, quel cul ! c'était celui de l'Amour même : que de blancheur !... quel étroit !... que de fermeté ! Je le dévore de caresses, et me remets à sucer son charmant petit vit, afin de lui rendre les forces nécessaires à soutenir de nouvelles attaques. Sulpice rebande ; je le couche à plat-ventre, j'humecte avec ma bouche le trou que je veux enfiler ; et, dans trois tours de reins, me voilà dans son cul ; quelques contorsions m'apprennent mon triomphe, et des flots de semence, élancés au fond du derrière de mon charmant élève, le couronnent bientôt. Incroyablement électrisé par les ardents baisers dont je couvre, en foutant, la bouche fraîche et délicieuse de mon joli bardache, par le sperme dont il m'arrose les mains à toutes minutes, je redouble, et, quatre fois de suite, mon vigoureux engin laisse au fond de son cul les preuves non équivoques de ma passion pour lui. Qui le croirait ! et quelles incroyables dispositions ! à l'exemple de l'écolier de Pergame, Sulpice se plaint de ma faiblesse. - Eh quoi ! dit-il, nous en restons là ? - Pour le moment, répondis-je ; mais tranquillise-toi, mon amour, je vais t'excéder cette nuit. Nous couchons dans la même chambre ; personne ne nous surveille ; qu'un même lit nous reçoive tous deux ; et là, je te donnerai, j'espère, des preuves de ma vigueur, dont il sera difficile que tu te plaignes. Elle arrive, cette nuit désirée : mais, ô Sulpice ! j'avais déjà joui de toi ; le bandeau s'arrachait ; et je vous ai suffisamment dévoilé mon caractère, pour vous faire comprendre qu'avec la chute de l'illusion s'allumait dans mon cœur un nouveau genre de désir que la méchanceté seule pouvait assouvir. Je fis des efforts de vigueur ; Sulpice fut foutu dix coups ; il me le rendit cinq, m'arrosa sept autres fois et la bouche et le ventre de son voluptueux sperme, et me laissa le lendemain matin dans des sentiments qui n'avaient pas, il s'en faut, sa félicité pour objet. Cependant, la prudence suspendait encore mes desseins, je ne possédais que la moitié de ma conquête ; et, pour y joindre Joséphine, j'avais besoin d'employer Sulpice. Quelques jours après nos orgies, je lui parlai de ses affaires de cœur. - Hélas ! me répondit-il, je désire infiniment la jouissance de cette charmante fille ; mais la timidité m'enchaîne et je n'ose lui rien témoigner. - Cette timidité, répondis-je, n'est qu'un enfantillage ; il n'y a pas plus de mal à désirer la jouissance de votre sœur que celle d'une autre femme ; au contraire, il y en a moins, sans doute : plus nous avons de liens avec un objet, plus nous devons le soumettre à nos passions ; il n'est de sacré dans le monde que leur organe ; il n'est de crime qu'à leur résister. Je suis persuadé que votre sœur est pénétrée par vous des mêmes sentiments dont vous brûlez pour elle ; déclarez hardiment les vôtres, et vous la verrez y répondre : mais il faut précipiter l'aventure ; ce n'est qu'ainsi que l'on réussit : qui ménage une femme, la manque ; qui la brusque, est sûr de la vaincre : gardez-vous bien de leur donner jamais le temps de la réflexion. Je ne crains pour vous qu'une chose, c'est l'amour : quand on lui ressemble aussi bien, il est facile de l'imiter. Vous êtes un homme perdu, si vous vous amusez à la métaphysique. Souvenez-vous qu'une femme n'est pas faite pour être aimée ; ce n'est pas avec autant de défauts qu'elle aurait le droit d'y prétendre : uniquement créée pour nos plaisirs, ce n'est que pour y satisfaire qu'elle respire. Voilà le seul rapport sous lequel vous deviez envisager votre sœur ; foutez-la donc ; je vous y exhorte, et vous proteste de vous aider en tout ce qui dépendra de moi : plus de retenue, plus d'enfance ; la vertu perd un joli homme, le vice seul l'embellit et lui sert. Sulpice, enhardi par mes conseils, me promit de travailler sérieusement ; dès le même jour, je lui en fis naître l'occasion. J'appris bientôt que rien n'avait été plus heureux que ses premières tentatives, mais que, toujours timide, il n'en avait pas su profiter. On l'aimait, c'est tout ce qu'il avait su ; et quelques baisers sur la bouche en avaient été l'heureux sceau. Je grondai vivement Sulpice de son impardonnable nonchalance. - Mon ami, me dit-il, j'irais plus vite avec un individu de mon sexe ; mais ces maudits jupons m'en imposent. - Apprécie-les donc mieux, mon enfant, dis-je à ce charmant jeune homme ; cet emblème d'un sexe faux, faible et méprisable n'est fait que pour constater encore mieux l'avilissement dans lequel tout honnête homme doit le tenir. Trousse ces jupons qui t'effarouchent, et, quand tu auras joui, tu apprécieras mieux ce qu'ils cachent ; mais ne te trompe pas, continué-je, envieux de me conserver les roses sodomites du délicieux cul que je supposais à Joséphine, souviens-toi que c'est entre les cuisses et non pas dans les fesses que la nature a placé le temple où l'hommage d'un homme doit être présenté chez les femmes. Tu éprouveras d'abord un peu de résistance ; qu'elle ne serve qu'à t'enflammer mieux : pousse, presse, déchire, et tu triompheras bientôt. Le lendemain, j'appris, avec une véritable satisfaction, que l'opération était faite, et que dans les jolis bras de son frère la plus belle des filles venait enfin d'être mise au rang des femmes. Sulpice, loin d'éprouver cette satiété dont les effets étaient si violents dans moi, n'était devenu par la jouissance que mille fois plus amoureux ; et comme la jalousie me parut s'en mêler, je vis qu'il ne me restait plus d'autre moyen pour atteindre au but que celui de la ruse et de la perfidie ; je me pressai : mon élève pouvait recevoir de son imagination les conseils d'une jouissance dont je voulais cueillir les prémices ; et je ne lui aurais jamais pardonné. Les rendez-vous avaient lieu dans un cabinet assez près de ma chambre pour qu'au moyen d'une ouverture pratiquée dans la cloison j'en pusse discerner les détails : je me gardai bien de prévenir Sulpice ; il se serait peut-être composé, et je voulais prendre la nature sur le fait. Quelle ardeur ! quel tempérament d'une part ! que de grâces ! que de fraîcheur ! que de beautés de l'autre ! Oh ! Michel-Ange, tels auraient dû être tes modèles, quand ton pinceau savant nous peignit l'Amour et Psyché. Vous jugez de ma situation ; je n'ai pas besoin de vous la détailler. Ce n'était pas à mon âge que l'on pouvait voir un tel spectacle de sang-froid. Mon vit était dans un tel état, qu'il frappait seul contre la cloison, comme pour marquer le désespoir où le mettaient les digues qu'on opposait à ses désirs : ne voulant pas le laisser languir longtemps, je guette dès le lendemain le moment le plus chaud d'une séance qui se renouvelait tous les jours. J'entre précipitamment. - Joséphine, dis-je à ma jeune élève presque évanouie de frayeur, voilà une conduite qui vous perd ; il est de mon devoir d'en prévenir vos parents, et je le fais à l'instant même, si vous ne consentez l'un et l'autre à me mettre en tiers dans vos plaisirs. - Méchant homme, me dit en courroux le pauvre Sulpice, tenant à la main son vit tout inondé du sperme dont il venait de faire jaillir les flots dans le con vierge de sa jolie maîtresse, n'as-tu donc pas toi-même ourdi les pièges où tu veux nous prendre aujourd'hui ? ce qui se passe n'est-il pas le résultat de tes perfides séductions ? - Ah ! dis-je effrontément, je vous défie de le prouver ; je serais indigne de la confiance de vos parents, si j'avais jamais pu vous donner de tels conseils. - Mais n'en es-tu pas indigne à présent, rien que par la proposition que tu nous fais ? - Sulpice, que j'aie des torts ou non, ceux que je découvre ici n'en sont pas moins réels ; et l'extrême différence qui se trouve entre ceux que vous me prêtez et les vôtres, c'est que les faits constateront ceux dont vous vous souillez, et que jamais vous ne pourrez prouver les miens. Mais, croyez-moi, terminons une digression qui s'arrange mal avec la violence des désirs que votre tête-à-tête vient d'allumer en moi ; donnons-nous tous également des torts, et nous n'aurons plus rien à nous reprocher. Vous voyez quels sont mes droits : je vous surprends, je serai cru ; vous ne pouvez alléguer que des mots, j'aurai des faits à présenter. Et, sans attendre la réponse de Sulpice, je commence à m'emparer de Joséphine, qui, après quelques résistances vaincues par mes menaces, m'abandonne son charmant petit cul, et c'est en vérité tout ce que j'en veux. J'étends cette jolie petite fille sur le corps nu de son frère, qui, la saisissant dans ses bras, lui introduit son petit engin dans le con, et glissant le mien dans le cul de la pucelle parfaitement présenté par l'attitude, je lui cause des douleurs si violentes qu'elle oublie le plaisir où veut la plonger son amant : elle n'y tient pas, je la déchire : elle se retourne et de la secousse fait sortir mon engin du gîte. Elle saignait, rien ne m'épouvante : ce n'est pas un vit comme le mien que la commisération désarme. Je la reprends au vol, je la refixe sur l'outil de Sulpice toujours prêt à la renclouer ; je lui redarde mon vit au derrière ; ma main, cette fois, fixe ses hanches ; je lui frappe les fesse à grands coups de poing ; dans la colère où ses résistances me mettent, je l'injurie, je la menace, je la méprise ; elle est enculée jusqu'aux gardes ; je l'aurais assommée plutôt que de lui faire grâce ; il me fallait son cul ou sa vie. - Attends-moi, Sulpice, m'écriai-je ; ne déchargeons qu'ensemble, mon ami ; inondons-la de toutes parts ; je voudrais, pendant qu'elle fout ainsi, qu'elle en eût un autre dans la bouche, afin de se mieux pénétrer du plaisir incroyable d'être inondée de sperme dans toutes les parties de son corps. Mais Sulpice qui, malgré les douleurs de Joséphine, la voit décharger dans ses bras, Sulpice ne peut plus se tenir, il perd son foutre, je l'imite, et nous voilà tous les trois heureux. De nouvelles scènes recommencent bientôt : le pucelage que je désire est pris ; je n'y attache plus de mérite ; j'abandonne à Sulpice la rose effeuillée ; je lui fais enculer Joséphine, et conduis moi-même l'outil, afin qu'il ne s'égare pas ; je lui rends ce qu'il fait à sa sœur ; et nous voilà tous trois à foutre en cul comme de vrais enfants de Sodome : nous déchargeons deux fois sans quitter la posture, lorsqu'une manie ridicule de con vient s'emparer de mes sens. Je supposais celui de Joséphine très étroit ; il n'avait jamais été perforé que par un membre fort inférieur au mien ; je l'enfile, et veux que mon élève m'encule pendant ce temps-là. On n'a pas d'idée de la manière énergique dont ma petite putain déchargeait : je la sentis trois fois se pâmer dans mes bras, pendant que je dévorais sa bouche. Je l'inonde, je reçois de la semence ; et, tous trois épuisés, nous retombons sans mouvement sur un canapé, auprès duquel, par mes soins, une ample collation nous restaure bientôt. Nous n'avions plus la force de foutre ; mais il nous restait celle de nous sucer. J'exige ce service de Joséphine ; et, pendant que sa jolie bouche me savoure, mes lèvres pressent le vit énervé de Sulpice. Je maniais les deux culs par la posture que j'avais choisie, mon élève socratisait le mien, sa sœur chatouillait les couilles ; j'obtiens du foutre, j'en donne, Joséphine décharge encore une fois ; et, vivement pressés par l'heure, nous nous séparons, en nous promettant bien de recommencer incessamment une scène dont mes novices me pardonnent enfin l'invention. Je fus assez heureux pour masquer un an cette double intrigue, pendant laquelle il ne fut pas de jour où nous ne célébrassions nos sacrifices. Enfin, le dégoût se fit sentir, et avec lui le désir de toutes les perfidies, qui, chez moi, l'accompagnait ordinairement. Je n'avais d'autre moyen de satisfaire à cet écart de ma cruelle imagination que de dénoncer à M. de Moldane la conduite secrète de ses enfants. Je prévoyais bien les dangers d'une récrimination ; mais ma tête, fertile en scélératesses, me fournirait, j'en étais sûr, tous les moyens de la combattre. Je préviens Moldane : Dieu ! quelle est ma surprise de le voir sourire à cette nouvelle, au lieu de s'en courroucer ! - Mon ami, me dit le Robin, je suis très philosophe sur toutes ces fadaises-là ; sois bien certain que, si j'étais aussi ferme en morale que tu m'as supposé, j'aurais pris sur toi des informations un peu plus sévères que je ne l'ai fait ; ton âge même, ainsi que tu dois facilement le concevoir, t'aurait seul écarté du poste où tu prétendais. Viens, Jérôme, poursuivit Moldane en m'attirant dans un cabinet délicieusement orné de tout ce que la lubricité peut inventer de plus luxurieux, viens te donner un échantillon de mes mœurs. Le coquin, en disant cela, lâche la ceinture de ma culotte, et, prenant mon vit d'une main et mon cul de l'autre, le brave père de mes deux élèves me persuade bientôt que ce n'est pas à son tribunal que je dois porter mes plaintes sur l'immoralité de ses enfants. - Tu les as donc vu se foutre, mon ami, poursuit Moldane en me dardant sa langue dans la bouche ; et ce spectacle t'a fait frémir d'horreur ! eh bien, je te jure qu'il m'inspirerait, à moi, un bien autre sentiment ; et, pour t'en persuader, je te prie de me procurer ce délicieux tableau, le plus tôt que tu pourras. Mais, en attendant, Jérôme, il faut que je te prouve, d'une manière plus authentique encore, que mon libertinage égale au moins celui de mes enfants. Et l'aimable conseiller, me courbant sur un canapé, m'examine longtemps le derrière, le baise avec luxure, et m'encule vigoureusement. - A toi, Jérôme, me dit-il dès qu'il a fini ; tiens, voilà mon cul, mets-le moi. Je lui rends ce que je viens d'en recevoir ; et le paillard termine la scène, en m'exhortant à laisser à mes élèves toute la liberté qu'ils désirent ; pour satisfaire aux intentions de la nature sur eux. - Les gêner sur ce point, poursuit-il, serait une cruauté dont nous devons être tous deux incapables ; ils ne font aucun mal, pourquoi donc les contraindre ? - Mais, dis-je alors à cet homme singulier, si j'avais les mêmes penchants à la lubricité, vous excuseriez donc, dans moi, les excès où je pourrais me livrer avec ces enfants ? - N'en doute pas, me dit Moldane ; je n'aurais demandé que ta confiance et les prémices ; je t'avoue même que je croyais la chose faite ; je suis fâché que la rigueur de tes plaintes me prouve le contraire. Plus de pédantisme, mon cher, je t'y exhorte ; tu as du tempérament, je le vois ! livre-toi avec mes enfants à tout ce qu'ils t'inspirent, et procure-moi, dès demain, les moyens de les surprendre ensemble. Je satisfais Moldane ; je le plaçai au trou que j'avais fait pour moi, en lui faisant croire que je venais de le pratiquer pour lui : le paillard s'y met pendant que je le fous. La scène fut délicieuse ; son imagination s'en alluma tellement, que le coquin déchargea deux fois. - Je n'ai rien vu d'aussi divin, me dit-il en se retirant ; je n'y peux plus tenir, il faut absolument que je jouisse de ces deux beaux enfants. Préviens-les, Jérôme, que demain je veux me mêler à eux, afin d'exécuter tous quatre les plus voluptueuses postures. - En vérité, monsieur, dis-je, en affectant une légère dose de pruderie que je crus nécessaire aux circonstances, je n'aurais jamais pensé que l'instituteur de vos enfants devînt l'individu chargé par vous de les flétrir et de les démoraliser. - Voilà, me dit Moldane, comme tu saisis mal le véritable sens du mot morale. La vraie morale, mon ami, ne saurait s'écarter de la nature ; c'est dans la nature qu'est le seul principe de tous les préceptes moraux : or, comme c'est elle qui nous inspire tous nos écarts, il ne saurait y en avoir un seul d'immoral. S'il y a des êtres dans le monde dont la jouissance et les prémices me soient dévolus. je crois que ce sont bien ceux qui tiennent l'existence de moi. - Eh bien, monsieur, dis-je en variant tout de suite mes idées, et ne renonçant momentanément à mes projets de vengeance que pour les rendre plus délicieux, oui, vous serez satisfait demain ; vos enfants seront prévenus, et nous pourrons nous livrer tous dans leurs bras à tout ce que le libertinage peut avoir de plus piquant au monde. Je tins parole. Sulpice et Joséphine, un peu surpris de ce que je leur annonçais, promirent néanmoins la condescendance la plus entière aux fantaisies de leur papa, le plus profond secret sur tout ce qui s'était passé entre nous ; et la plus belle de toutes les journées vint éclairer la plus délicieuse des scènes. Le local était le cabinet voluptueux dans lequel Moldane m'avait introduit déjà : une très jolie gouvernante de dix-huit ans, attachée depuis trois semaines à Joséphine, qui me parut dans la confiance et dans les bonnes grâces de Moldane, devait faire le service des bacchanales projetées. - Elle ne sera pas de trop, me dit le conseiller ; tu vois comme elle est jolie, et je te la garantis aussi libertine qu'aimable. Tiens, poursuit Moldane en troussant Victorine par derrière, vois, mon ami : s'il est possible de trouver un plus divin cul ! - Il est beau, dis-je en le maniant ; mais je me flatte qu'après avoir vu celui de vos deux jolis enfants, ce ne sera plus à celui-ci que vous accorderez la préférence. - Cela pourra bien être, me répondit Moldane ; mais, en attendant, je t'avoue que j'aime beaucoup celui-là, et il le baisait... le gamahuchait de tout son cœur. - Allons, Jérôme, me dit-il enfin, va chercher nos victimes et amenez-les-moi nues. Suis Jérôme, Victoire ; va présider à cette toilette ; je vais, en vous attendant, me pénétrer des idées lubriques dont l'exécution doit embellir la scène... Je vais faire des projets, et nous exécuterons. Victoire et moi nous passâmes chez les enfants ; ils nous attendaient. Des gazes, des rubans et des fleurs furent les seules parures dont nous les couvrîmes. Victoire se chargea du garçon, moi de la fille ; nous entrâmes. Moldane, sur un canapé entouré de glaces, nous attendait en se branlant. - Tenez, monsieur, lui dis-je, voilà des objets dignes de votre luxure ; soumettez-les-y, sans pudeur ; qu'il ne soit pas une seule recherche libertine que vous ne mettiez en usage avec eux ; songez qu'ils sont trop heureux que vous les jugiez dignes de vous occuper un moment, et que c'est par la soumission la plus complète, la plus profonde résignation qu'ils se disposent à vous satisfaire. Moldane n'y était plus ; sa respiration était pressée, il balbutiait, il écumait de luxure. - Faites-moi détailler tout cela, Jérôme, me dit-il ; et vous, Victoire, venez branler mon vit, et que vos fesses soient toujours dans mes mains. Je commence par Sulpice ; je l'approche de son père, qui ne peut se rassasier de le baiser, de le manier, de le sucer, d'accabler son vit et son cul des plus tendres caresses. Joséphine succède ; elle est reçue avec le même enthousiasme ; et les saturnales commencent. Moldane, au premier acte, voulut que son fils enconnât Joséphine en levrette, étendu sur un canapé : sa fille, ainsi foutue, devait lui sucer le vit : il branlait d'une main mon membre, de l'autre l'anus de Victoire. Au second, Sulpice encula sa sœur, je foutis Sulpice, et Moldane enconna sa fille, pendant que Victoire, accroupie sur lui, faisait baiser son joli cul. Au troisième, Moldane me fit enconner sa fille, il l'encula, et Sulpice enculait Victoire sous nos yeux. Dans le quatrième, j'enconnais Victoire, Moldane l'encula, son fils le foutait, et Joséphine, élevée sur nos épaules, faisait baiser et gamahucher à la fois, son con à moi, son derrière à Moldane. Au cinquième, Moldane encula son fils, en baisant les fesses de Victoire ; je sodomisais sa fille sous ses yeux. Au sixième, nous nous enchaînâmes tous ; Moldane enculait sa fille, j'enculais Moldane, Sulpice me foutait, et Victoire, armée d'un godemiché, sodomisait Sulpice. N'ayant plus la force de bander au septième, nous nous suçâmes, Moldane était sucé par son fils, je suçais le jeune homme ; Joséphine me suçait ; de temps en temps je baisais ses fesses, et Victoire gamahuchait la charmante fille de Moldane, qui, par sa position, présentait son cul à baiser au maître ingénieux de ces voluptueuses orgies. Nous déchargeâmes encore tous pour la septième fois. Un goûter somptueux fut servi ; et, nos forces rendues, nous essayâmes encore quelques attitudes. Moldane voulut nous réunir tous sur lui ; il encula sa fille, son fils le foutit, il gamahuchait Victoire, je suçais ses couilles. Des cris plus douloureux que lascifs annoncèrent sa défaite ; il déchargea le sang : on fut obligé de l'emporter. - Mon ami, me dit-il en sortant, je te laisse maître de tout ; si, plus heureux que moi, la nature t'accorde de nouvelles forces, achève de les perdre avec ces trois charmantes créatures : tu me conteras demain tes plaisirs. Victoire me faisait encore bandailler ; j'étais moins rassasié d'elle que des autres ; je l'enculai, foutu par Sulpice, et baisant le trou du cul de Joséphine ; j'en restai là ! j'étais excédé. Dès que le foutre revînt bouillonner dans mes veines, je cessai mes anciens projets. Pardieu, me dis-je, je ne me serais jamais attendu à rencontrer un pareil père. De longtemps, avec un tel homme, je ne réussirai à me venger des plaisirs que ces deux enfants m'ont donnés. Je voulais les perdre, et, loin de les entourer de cyprès, je les ai couronnés de myrtes. Eh bien, continuai-je, essayons avec l'épouse de Moldane, ce qui n'a pu me réussir près de lui, et ne renonçons jamais surtout au rôle de traître qui me donne autant de plaisir. Mme de Moldane, âgée de quarante ans, est une femme honnête, respectable ; pleine de religion et de vertus ; je lui dévoilerai les odieux dérèglements de son époux et de ses enfants ; j'en exige d'elle à la fois et le secret et la justice, et je réussirai sans doute... Il est pourtant un de ces individus que je ne voudrais pas perdre... Joséphine, non par amour, oh non, ce sentiment n'est pas fait pour approcher d'un cœur comme le mien ; mais Joséphine peut m'être nécessaire : je veux voyager ; je la mènerai avec moi ; je ferai des dupes avec elle, et je m'enrichirai de nos communes friponneries. Bien vu, Jérôme, bien vu ; la nature t'a gratifié, Dieu merci, de tout ce qu'il faut pour être un excellent coquin : remplissons ces vues, agissons. Plein de ces idées, je vais trouver Mme de Moldane ; et, après lui avoir demandé le plus profond silence sur les choses que j'ai à lui dire, j'arrache le voile, et lui raconte tout. - J'ai été contraint de prêter mon ministère à toutes ces horreurs, madame, poursuivis-je, j'étais menacé des peines les plus cruelles, si je n'obéissais : votre époux abusait de son crédit pour me forger des fers ; ma vie même était menacée, si je m'avisais de vous prévenir. Oh ! madame, mettez ordre à cela ; l'honneur, la nature, la religion et la vertu vous en font un devoir sacré. Retirez vos enfants du précipice où les désordres de leur père sont prêts à les plonger : vous le devez au monde, à Dieu, à vous-même ; tout retard deviendrait un crime. Mme de Moldane, confondue, me supplie de la mettre à même de se convaincre, par ses propres yeux, des infamies dont je lui fais part : cela ne fut pas difficile. J'engage, quelques jours après, M. de Moldane à mettre le lieu de la scène dans la chambre de ses enfants ; je place son épouse au trou qui m'avait servi, qui avait servi à Moldane même ; et cette malheureuse femme put incessamment se convaincre de toutes vérités que je lui avais dites. Une migraine m'avait dispensé d'être de la partie. La sévérité de mœurs que j'affichais fut donc conservée tout entière aux yeux de l'épouse infortunée, qui ne vit de coupables que son mari et la gouvernante de ses enfants. - Voilà des horreurs, monsieur, me dit-elle dès qu'elle eut vu le commencement... que je voudrais les avoir ignorées ! Ces paroles, sans que Mme de Moldane s'en doutât, me dévoilèrent la tournure de son esprit. Il ne m'en fallut pas davantage pour voir que c'était une femme timide, incapable de servir à la réussite de mes projets ; et ces réflexions me portèrent à changer aussitôt de batteries. - Un moment, madame, interrompis-je brusquement ; souffrez que j'aille dire un mot à votre mari : il craint l'arrivée d'un importun, je vais le rassurer sur cette visite ; et, libre de ses actions, vous allez voir tout ce qu'il va se permettre. Je sors. - Mon ami, dis-je à Moldane en le tirant dans un cabinet voisin, nous sommes découverts ; vengeons-nous promptement. Votre femme, agitée de quelques soupçons sans doute, est entrée furtivement dans ma chambre, dont j'avais pourtant la clef dans ma poche : elle a écouté ; elle a aperçu la fente que vous connaissez ; elle y avait les yeux lorsque j'ai paru. « - Jérôme, m'a-t-elle dit, taisez-vous, ou je vous perds. » De grâce, Moldane, ne faiblissez pas, et prenons un parti violent : cette femme peut être dangereuse ; hâtons-nous de la prévenir. Je ne m'apercevais pas à quel point mon récit enflammait Moldane : il bandait quand j'étais venu le troubler ; l'irritation du fluide nerval embrase aussitôt la bile ; l'incendie devient général ; et c'est le vit en l'air que Moldane, furieux, se précipite sur la cloison, l'enfonce, se jette sur sa femme et, sous les yeux de ses enfants, lui enfonce vingt coups de couteau dans le cœur. Mais Moldane, qui n'avait que la colère du scélérat, et non son énergie, s'effarouche de ce qu'il vient de faire : les cris, les larmes des jeunes créatures qui l'entourent achèvent de le troubler : je crus qu'il allait devenir fou. - Sortez, lui dis-je, vous êtes un lâche ; vous frémissez de la seule action qui assure votre bonheur et votre tranquillité, que vos enfants vous suivent, que vos valets ignorent tout : dites dans la maison que votre femme vient de se retirer près d'une amie, chez laquelle des soins l'appellent pour quelques jours ; Victoire et moi, nous nous chargeons du reste. Moldane, égaré, sort ; ses enfants le suivent, et nous nous disposons à mettre ordre à tout. Faut-il vous l'avouer, mes amis ?... Oui, sans doute : c'est de mon cœur tout entier dont vous désirez le développement ; je ne dois vous en rien cacher. Un feu subtil s'alluma d'ans mes veines à la vue de ce corps dont je venais de causer l'anéantissement : l'étincelle d'un caprice inconcevable, où vous me verrez bientôt livré plus amplement, s'alluma dans mon cœur en considérant cette malheureuse encore belle. Victoire m'offrait, en la déshabillant, les plus belles chairs qu'il fut possible de voir ; je bandai... - Je veux la foutre, dis-je à la gouvernante de mes élèves. - Mais elle n'éprouvera plus rien, monsieur. - Que m'importe, sont-ce les sensations de l'objet qui me sert que je désire ? Non, certes : l'inertie de ce cadavre ne rendra les miennes que plus vive. N'est-ce pas d'ailleurs mon ouvrage ! En faut-il plus pour rendre délicieuse la jouissance que je projette !... Et je me disposais... Mais l'ardeur de mes désirs effrénés trompa mes desseins ; trop d'impétuosité me perdit ; j'eus promptement recours à la main de Victoire qui fit éjaculer un sperme que je ne pouvais plus contenir ; elle en inonda les chairs inanimées de la belle épouse de mon patron. Nous reprîmes les soins qui nous occupaient ; à force d'eau, nous enlevâmes les traces du sang dont la chambre était inondée, et nous cachâmes le corps dans une banquette de fleurs qui régnait le long d'une terrasse voisine de mon appartement. Le lendemain, Moldane reçut une lettre supposée, par laquelle l'amie de sa femme l'avertissait que cette digne épouse venait de tomber malade chez elle, et qu'elle demandait Victoire pour la soigner ; celle-ci disparut, bien payée, promit le secret et tint parole. Au bout de huit à dix jours la prétendue maladie de Mme de Moldane eut l'air de devenir si grave, qu'il paraissait impossible de pouvoir la transporter chez elle. Victoire nous donnait des nouvelles ; Moldane et ses enfants étaient sensés y aller passer des journées presque entières ; enfin, la digne épouse expira ; nous portâmes le deuil. Mais Moldane n'avait ni la fermeté qui convient aux grands crimes, ni l'esprit nécessaire à calmer les remords : en déplorant son forfait il en détesta la cause ; il ne retoucha plus ses enfants, et me supplia de les faire revenir des erreurs où nos égarements venaient de les plonger. J'eus, comme vous l'imaginez bien, l'air d'approuver et de me charger de tout. Je vis alors que, pour en venir à mon but, je devais encore changer mes moyens. Je m'emparai de l'esprit de Sulpice ; je lui représentai toute l'horreur du crime de son père. - Un pareil monstre, lui dis-je, est capable de tout : ô mon ami ! poursuivis-je avec chaleur, tes jours même ne sont pas en sûreté ; je sais que dans ce moment-ci, seulement occupé d'anéantir les traces de son crime, il a fait enfermer Victoire... qu'il complote contre ta propre liberté, et que, pour mieux tout étouffer encore, quand il te tiendra dans quatre murs, il t'empoisonnera, ainsi que ta sœur... Fuyons, Sulpice, prévenons les nouveaux forfaits de cet homme féroce ; mais qu'il tombe avant sous nos coups. Si son action était découverte, il serait proscrit par les lois ; leur glaive s'appesantirait sur lui : soyons aussi juste qu'elles ; délivrons la terre de cet infâme coquin. Personne ne le sert que toi ; devenu farouche et sauvage, tous autres soins que les tiens lui deviennent suspects ; il croit voir le poignard de la vengeance dans les mains de tous ceux qui l'approchent. Saisis toi-même cette arme ; frappes-en le coupable ; satisfaits les mânes de la mère ; elles sont là ; elles voltigent au-dessus de ta tête ; et les cris déchirants de la victime se feront entendre aussi longtemps que le sacrifice expiatoire ne sera pas présenté par tes mains... Mon ami, je te regarde toi-même comme un monstre, si tu balances une minute : celui qui n'ose punir le crime quand il le peut, est aussi coupable, à mes yeux, que celui qui se le permet. Dans l'impossibilité d'une dénonciation qui ne serait pas reçue, il ne te reste d'autre part à prendre que d'agir toi-même ; presse-toi donc, te dis-je, ou tu n'es pas digne de vivre. Quelques jours de pareilles insinuations enflammèrent bientôt la tête de ce jeune homme : je lui présente des poisons, il les saisit avec avidité ; et le nouveau Seïde se couvre bientôt du plus affreux forfait, en croyant servir la vertu. Ne restant plus que des collatéraux très éloignés, on établit un conseil de tutelle, dont je sus tellement gagner la confiance, que je fus nommé gardien des effets, et maintenu dans l'éducation des enfants. Employé dans les affaires de la maison, toutes les sommes me passèrent par les mains. Ce fut alors que je conçus l'exécution du dénouement de mon projet. Je crus que, pour y réussir, je n'avais pas d'autre parti à prendre, que d'employer sur l'esprit de Joséphine les mêmes moyens qui m'avaient aussi bien servi pour décider Sulpice à se débarrasser de son père. - Vous n'avez plus, dis-je à cette jolie petite innocente... non, il ne vous reste plus pour être heureuse, d'autre part à prendre que de vous débarrasser de votre frère : je sais que dans ce moment-ci il complote contre vous ; et, qu'à dessein d'hériter seul de tout le bien, il propose de vous faire mettre pour le reste de vos jours dans un couvent. Il est temps de dévoiler à vos yeux, Joséphine, toute l'atrocité de ce personnage : lui seul est la cause de la mort de votre père et de votre mère ; lui seul a ourdi ces affreux complots ; lui seul en exécuta une partie ; vous serez bientôt sa victime aussi, vous êtes morte sous huit jours, s'il ne réussit pas à vous faire enfermer pour la vie... Faut-il vous dire plus ? Il m'a déjà demandé où se vendaient les venins qui peuvent abréger les jours d'un individu quelconque. Vous sentez bien que je ne le lui apprendrai pas ; mais il peut s'adresser à d'autres : prenons les devants ; il faut se venger de ceux qui trament contre nous il n'est certainement aucun mal à les prévenir. Ce poison que Sulpice demande, je vous l'offre, Joséphine ; vous sentez-vous la force d'en faire usage ? - Oui, me dit mon élève, en déployant à mes yeux infiniment plus de caractère que je ne lui en aurais jamais supposé, je crois tout ce que tu me dis, Jérôme. De certains propos de Sulpice me prouvent que tu as raison, quand tu le crois l'auteur de la mort de mon père ; et je veux venger cette mort. Mais, Jérôme, faut-il l'avouer ? je t'aime et ne prendrai jamais d'autre époux que toi : tu as la confiance de nos tuteurs, demande-moi en mariage, je t'appuierai ; si l'on te refuse, emportons le plus d'argent que nous pourrons, et allons nous marier en Suisse ; songe que ce n'est qu'à cette condition que j'accepte le crime que tu me proposes. Elle flattait trop mes progrès pour que je n'acceptasse pas sur-le-champ. Dès que Joséphine fut sûre de moi, elle agit ; ce fut l'histoire d'un déjeuner : elle servit elle-même du chocolat à son frère, dans lequel elle eut soin de jeter deux grains de napel que je lui avais donné. Sulpice creva le lendemain au milieu d'affreuses convulsions que Joséphine observa beaucoup plus courageusement que je ne l'aurais cru : la friponne ne quitta le chevet du lit de son frère que quand elle l'eut vu rendre l'âme. Ô Jérôme ! m'écriai-je alors à part moi, ton triomphe est donc sûr, et tes perfides séductions viennent de porter enfin le trouble et la désolation dans la famille entière de ton unique ami, ton seul protecteur. Du courage, Jérôme ; ne restons pas en chemin quand il s'agit d'être criminel : il est à jamais perdu celui qui ne parcourt pas jusqu'au bout la carrière du vice, une fois qu'il y est entré. Je passai toute la nuit avec Joséphine ; la scélératesse dont elle venait de se couvrir, lui rendait à mes yeux tous les attraits qu'une longue jouissance lui avait fait perdre. Deux jours après je lui persuadai que je l'avais effectivement demandée en mariage, mais que l'extrême disproportion de nos rangs et de nos fortunes n'avait occasionné que des refus. - Eh bien ! me dit Joséphine, partons ; car mes projets ne changeront pas ; je ne veux que toi pour époux ; je ne veux vivre que pour toi seul au monde. - Ce que tu proposes est facile, dis-je à cette pauvre dupe ; voici une remise de cent mille écus, dont le conseil de tutelle vient de me charger pour acquérir une terre qui t'est destinée ; emportons cet argent et disparaissons. - Je suis à toi, me dit Joséphine ; mais permets que je t'impose une condition. - Quelle est-elle ? - Que tu n'oublieras jamais les sacrifices que je te fais... que de tes jours tu ne m'abandonneras. Et vous comprenez, mes amis, de quel ton de fausseté je dus prononcer des serments que j'avais si peu d'envie de tenir. Nous disparûmes. Le septième jour de notre voyage, nous atteignîmes Bordeaux, où je crus que nous pouvions séjourner quelque temps, avant que de passer en Espagne, pays que Joséphine choisissait pour se mettre à couvert et consommer notre hymen. La saison devenant mauvaise, et prévoyant que nous ne pourrions guère franchir les monts avant le printemps, ma compagne me proposa de la terminer où nous étions. - Mon ange, répondis-je à la chère innocente, la cérémonie que tu me proposes me paraît fort inutile ; il conviendrait, ce me semble, infiniment mieux à la prospérité de nos affaires, que nous passions pour frère et pour sœur que pour époux : nous aimons tous deux la dépense, et ce ne sera pas avec cent mille écus que nous pourrons subsister longtemps ; il faut que je te prostitue, Joséphine ; il faut que ce soient tes charmes qui nous fassent vivre. - Oh ! mon ami, quel affreux projet. - C'est le seul raisonnable à suivre ; c'est pour l'exécution de ce seul projet que j'ai consenti à t'enlever : l'amour est une chimère, mon enfant, il n'y a de réel que l'or ; il en faut gagner à tel prix que ce puisse être. - Et voilà donc les sentiments que tu m'avais jurés ! - Connais-moi, Joséphine, il est temps ; sache que celui de l'amour n'approcha jamais de mon cœur ; je jouis des femmes, mais je les méprise ; je fais plus, je les déteste aussitôt que ma passion est assouvie ; je les tolère dans ma société quand elles sont utiles à ma fortune, jamais quand elles ne visent qu'au sentiment. N'en exige donc pas davantage, et rapporte-t'en à moi du soin de te nourrir : j'ai de la fausseté, du manège, de l'intrigue ; je veux te faire voler d'aventures en aventures, et te rendre, par mes conseils, la putain la plus célèbre qu'on ait jamais vue dans le monde. - Moi, devenir putain ! - N'as-tu pas été celle de ton père, de ton frère... n'as-tu pas été la mienne ? En vérité, ta pudeur serait ici bien déplacée. Mais de profonds soupirs et des flots de larmes interceptèrent les douloureuses expressions que voulait proférer Joséphine : son accès de désespoir fut affreux ; et, quand elle me vit assez prononcé dans mon opinion pour ne pouvoir plus se flatter de m'en faire revenir, la malheureuse qui ne perdait pas au moins par cet arrangement l'espoir d'être toujours auprès de moi... de moi qu'elle avait la folie d'aimer encore, consentit à tout ; et nous nous établîmes en raison de ce divin projet. Oui, divin, j'ose le dire ; en existe-t-il d'aussi agréable que celui d'assurer sa subsistance et son luxe sur la bonne foi et la crédulité des autres ? Il n'y a ni ouragan, ni dévastation à craindre dans des biens de cette nature ; et l'imbécillité des hommes, en tous les temps la même, assure à celui qui compte sur elle des trésors que ne lui rapporteraient même pas les mines du Pérou. Je me sentais les meilleures dispositions à bien conduire cette nouvelle barque ; Joséphine avait tout ce qu'il fallait pour en tenir le gouvernail ; et nous nous lançâmes. Une maison délicieuse, beaucoup de valets, de chevaux, un excellent cuisinier, tout l'attirail, en un mot, de gens riches, nous amena bientôt des dupes. Un vieux négociant juif, aussi connu par ses richesses que par sa luxure, fut le premier qui se présenta : Joséphine lui fit beau jeu, et le marché fut promptement conclu ; mais le Crésus avait des fantaisies ; et, comme il donnait dix mille francs par mois pour les satisfaire, il exigeait de la soumission. Voici quelle était la manie du brave descendant de Saül. Abraham Pexoto voulait que deux jolies filles, qu'il avait attachées au service de Joséphine, la branlassent sous ses yeux dans un boudoir de glace, en lui faisant prendre pendant la séance huit ou dix attitudes différentes ; en face de l'opération, Pexoto se faisait polluer par deux charmants bardaches : au bout d'une heure de cette première scène, les gitons enculaient les femmes de chambre et Pexoto enculait les gitons. Suffisamment excité par ces préliminaires, sa maîtresse s'étendait tout de son long par terre, comme si elle eût été morte ; on attachait le juif par les mains et par le vit ; les deux garçons le promenaient ainsi deux ou trois fois tout autour du corps en criant : « Elle est morte, la garce, elle est morte, c'est toi qui l'as tuée » et les deux filles le suivaient à grands coups de verges. Alors le cousin germain de Jésus-Christ s'arrêtait un moment : « Eh bien, disait-il, relevez la donc puisqu'elle est morte. » On posait le corps toujours immobile sur le bord d'un canapé. Le juif enculait ; et, pendant qu'il travaillait à perdre son sperme dans l'anus de la prétendue morte, il fallait, pour hâter l'émission, que les deux petits Ganymèdes, en faisant baiser leurs culs, ne cessent de crier : « Eh, oui, oui ; elle est morte, il n'y a plus de secours », et que les deux suivants continuassent de déchirer, à grands coups de verges, le maigrelet fessier du lépreux. Sur l'exposé de la fantaisie de cet homme, Joséphine versa quelques larmes ; mais, quand je lui eus représenté qu'elle était bienheureuse d'en être quitte à si bon marché, et que dans le métier qu'elle entreprenait il y avait souvent bien d'autres assauts que celui-là, que 120 000 livres de rentes annexées d'ailleurs à cette complaisance valaient bien la peine de s'y prêter, elle se soumit à tout. Pexoto amena lui-même les deux gitons et les deux soubrettes ; il en payait le logement et la nourriture à part et, dès le lendemain, le patron s'installa. Reconnu pour être le frère de Joséphine, il n'eut aucune jalousie et, pendant plus d'un an nous menâmes, au dépens d'Abraham, la vie du monde la moins israélite. Au bout de cet intervalle, Joséphine crut s'apercevoir que son amant n'avait plus pour elle le même enthousiasme. - Prévenons la satiété, m'écriai-je aussitôt ; puisqu'on ne peut plus compter sur Pexoto, tirons-en au moins ce que nous pourrons. Je savais que le Juif, qui avait en moi une sorte de confiance, venait de recevoir en billets de caisse un payement de 1 500 milles livres. J'arrangeai les choses de manière qu'il ne trouva point Joséphine à la maison au moment où il était accoutumé de s'en servir. - Où est ta sœur, Jérôme ? me dit-il, en ne la voyant pas. - Monsieur, lui répondis-je, un gros sujet de chagrin vient de la conduire à l'instant chez vous ; elle a recommandé que si vous arriviez pendant ce temps-là, on vous servît de même à souper, et qu'elle reviendrait à l'instant. Mais, monsieur, la cause de son chagrin est bien vive ; elle était bien pressée de vous voir et de vous parler ; ne vous rencontrant pas, je crains bien qu'elle ne se porte à quelque action de désespoir. - Voles-y, me dit Abraham, ne perds pas une minute ; si c'est de l'argent qu'il lui faut, voilà un blanc-seing sur mon caissier ; fais-y mettre la somme qui te sera nécessaire. 20, 30 000 francs, ne te gêne pas, mon ami ; je sais que tu es raisonnable, et qu'il te serait impossible d'abuser de ma confiance. - Oh ! Monsieur. - Pars, mon ami, dis-lui que je soupe et que je l'attends sans faute au dessert. Tout était préparé, sans que le cher homme s'en doutât ; la maison louée, les meubles vendus, les valets congédiés ; et le souper qu'on lui servait était le dernier qu'il devait recevoir de nous. Une chaise de poste nous attendait aux Chartrons2 ; Joséphine était dans cette voiture, et, le coup une fois fait, nous disparaissions de Bordeaux. J'arrive chez le Juif ; je parle aux commis dont je suis parfaitement connu. - Le correspondant de M. Abraham, leur dis-je, est chez nous ; il demande sur-le-champ les fonds qu'il remit hier à votre patron ; voilà un blanc-seing, remettez-moi, je vous prie, le portefeuille sur-le-champ. - Ah ! dit le premier commis, je sais ce que c'est : on m'avait prévenu qu'il y aurait quelque changement dans cette affaire ; mais j'ignorais que la conférence dût se passer chez vous. Tenez, voilà ce qu'il demande ; je vais mettre seulement au-dessus de la signature : « Remettez à M. Jérôme le portefeuille reçu hier. » N'est-ce pas cela ? - Assurément. - Bien votre valet, monsieur Jérôme. - Votre serviteur, monsieur Isaac ; et me voilà dans la voiture. Nous marchâmes huit jours sans arrêter ; et ce ne fut que sur les bords du Rhin que, nous croyant en sûreté, nous descendîmes, excédés, dans une mauvaise auberge, pour nous y reposer quelque temps. - Eh bien ! mon ange, dis-je à Joséphine en venant de vérifier la somme, tu vois comme nos coups d'essai réussissent ; du courage, de l'effronterie, et nous serons bientôt à notre aise. Cette route est celle de Berlin ; c'est un bon pays que la Prusse ; un roi philosophe y règne ; volons-y : il vaut autant escroquer des barons allemands que des Juifs gascons ; et, de quelque part que nous vienne l'argent, quand il est pris, on peut être sûr qu'il porte bonheur. - Ce ne sera pas, me dit Joséphine, quand tu le mangeras aussi vite comme nous le gagnons. Qu'ai-je eu, moi, de tout ce profit ? A peine quelques robes et quelques bijoux ; tu as dissipé le reste avec des gueuses et des bardaches : tes luxures, tes désordres en tous genres, ont été aussi énormes que tes escroqueries ; tu jouissais d'une telle réputation, qu'à supposer même que cette aventure ne nous eût pas contraints à quitter Bordeaux, la police nous en eût bientôt expulsés : tu ne t'es pas contenté de prendre les filles de bonne volonté ; tu en as battu, violé, molesté, et peut-être pis... - Pis ? Ma foi, je le croirai, dis-je à Joséphine poursuis, mon cœur ; continue mon panégyrique ; il est, ce me semble, très parfaitement dans ta bouche. - C'est qu'il est affreux... - Ah ! grâce, je t'en supplie ; je ne t'ai pas pris pour me faire des mercuriales, mais pour servir mon avarice, ma luxure et mes fantaisies : ne perds jamais de vue l'autorité que tes crimes me donnent sur toi ; songe qu'en dénonçant ces crimes, je puis te faire pendre demain ; songe qu'en t'abandonnant à ton propre sort, en ne t'éclairant plus de mes conseils, devenue une petite raccrocheuse à vingt-quatre sous, tu périras bientôt de misère. Continue donc, Joséphine, d'être, avec soumission, et la complice et l'instrument de mes forfaits ; et souviens-toi que j'ai toujours deux pistolets dans ma poche pour te brûler la cervelle à la première désobéissance. - Ô Jérôme ! je me croyais aimée de toi ; est-ce là ce que tu m'avais promis en me séduisant ? - Moi, de l'amour pour une femme ; je te l'ai déjà dit mille fois, ma fille ; tu te tromperais, si tu me soupçonnais une telle faiblesse. A l'égard des moyens que j'ai employés pour te séduire, ce sont ceux de tous les suborneurs ; il faut tromper la bête qu'on veut prendre, et ce n'est pas pour rien qu'on graisse l'hameçon. Joséphine pleura, et je ne la consolai point. Il n'y a personne au monde qui soit endurci comme moi aux jérémiades des femmes ; je m'en amuse souvent, et ne les partage jamais. Cependant, comme je bandais très ferme, que la route m'avait prodigieusement échauffé, et qu'il n'y avait rien là qui pût apaiser mes feux, je fis faire volte-face à ma compagne de route, et lui campai le vit dans le derrière, où je le promenai, jusqu'à ce qu'il eût eu le temps d'y lancer deux ou trois décharges. Je déculais à peine, que nous entendîmes de grands coups de fouet dans l'auberge, qui nous annoncèrent l'arrivée d'un courrier : j'ouvre la porte. « Il est ici, il est ici, entends-je crier ; nous en sommes sûrs ; nous le suivons depuis Bordeaux. » A ce discours, Joséphine pensa s'évanouir ; pour moi, calme, comme je le fus toute ma vie dans le crime, je me contentai d'amorcer de frais ; puis, descendant, un de mes pistolets à la main. - L'ami, dis-je au courrier, est-ce moi, par hasard, que tu cherches ? - Oui, scélérat, me répond aussitôt le même Isaac qui m'avait remis le portefeuille de Pexoto ; oui, fripon, oui, c'est toi... toi, que je vais faire arrêter à l'instant. - Imposteur exécrable, répondis-je alors avec fermeté ; essaie de l'entreprendre : patron, poursuivis-je en m'adressant à l'hôtelier, qu'on aille me chercher le juge du lieu, pour que je lui porte, à mon tour, toutes les plaintes que j'ai à faire contre ce drôle-là. Isaac, interdit d'une contenance à laquelle il était loin de s'attendre ; Isaac qui, se confiant en ses propres forces, parce qu'il avait raison, et que j'avais tort, n'avait pris aucune précaution pour me prouver mon crime ; point d'ordres, point de procédures, point d'exempt ; Isaac, dis-je, changea de visage, et s'assit tranquillement auprès du feu, en disant : « - Nous allons voir. » Le juge arrive : - Monsieur, dis-je, en prenant le premier la parole, voilà un fripon qui me doit cent mille écus ; il est, comme moi, négociant à Bordeaux. Lorsque j'ai été pour recevoir mes fonds, en lui disant le besoin que j'en avais pour le voyage que j'entreprends, il m'a refusé ; je l'ai poursuivi ; il s'est déclaré banqueroutier. J'ai réuni mes autres fonds, je suis parti. A peine ce scélérat m'a-t-il vu hors de la ville, qu'il a publié que les fonds que j'emportais occasionnaient sa chute, qu'une partie de ces fonds n'était même pas à moi, que je les escroquais, et il lui a pris, en raison de cela, fantaisie de me poursuivre : il arrive avec ce projet ; mais, ventredieu, je vous le déclare, monsieur le juge, il aura ma vie avant mon argent. - Qu'avez-vous à répondre à cela, monsieur ? dit l'homme de loi à Isaac. - Je réponds, dit le Juif, tout troublé de mon effronterie, que vous avez affaire au plus adroit filou qu'il y ait en Europe : mais j'ai tort : je suis parti comme un étourdi ; je n'ai pris nulles précautions ; c'est ma faute ; je repars : n'importe, que le coquin soit sûr de n'y rien gagner ; je vais me munir de ce qu'il faut et, une fois en règle, qu'il se tienne pour bien certain que je le poursuivrai jusqu'au fond des enfers ; adieu. - Oh que non, double fils de putain, dis-je en saisissant Isaac au collet ; oh que non, tu ne repartiras pas ainsi ; puisque je te tiens, il faut que je tire de toi mon argent, ou au moins ce que tu as sur toi. - Cela est juste, dit le Salomon qui présidait à cette scène : Monsieur dit que vous lui devez cent mille écus : il faut le payer. - L'infâme calomniateur ! dit Isaac, en se mordant les lèvres, peut-on porter l'effronterie plus loin ? - Petit neveu de Moïse, m'écriai-je, j'ai moins d'audace que vous ; je ne demande que ce qui m'est dû et vous osez réclamer ici ce qui ne vous appartint jamais. Isaac fut généralement condamné. Obligé de vider ses poches, j'en tirai cinquante mille francs, et des lettres de change sur Berlin, pour les deux cent cinquante mille livres que je réclamais encore. Je payai largement le juge, l'hôtelier, les acolytes et, faisant mettre aussitôt les chevaux, nous nous éloignâmes, Joséphine et moi, d'une auberge où nous étions loin d'espérer une aussi lucrative aventure. - Eh bien, me dit Joséphine, dès que nous commençâmes à galoper, je gage que je n'aurai pas encore un sou de cette prise-là : c'est pourtant mon cul qui t'a valu cette bonne fortune ; tu en sortais quand cet imbécile est venu se prendre au piège qu'il essayait de te tendre. - Eh ! répondis-je à ma prétendue sœur, ne t'ai-je pas toujours dit que le cul portait bonheur ? Si, malheureusement, j'eusse enfilé ton con, j'étais pris. - Enfin, qu'aurai-je ? - Dix mille francs. - Quelle somme ? - Et quelle dépense as-tu donc à faire, Joséphine ? Des chiffons : moi, des culs, des vits : ah ! Joséphine, quelle différence ! Ces propos, et quelques autres semblables, nous amenèrent à Paderborn où nous parvînmes, sans avoir descendu nulle part, depuis notre rencontre avec Isaac. La foire de Leipzig attirant beaucoup de voyageurs sur ces routes, nous trouvâmes les auberges si pleines à Paderborn, que nous fûmes obligés de partager une chambre avec un riche négociant de Hambourg, qui se rendait avec son épouse à la célèbre foire dont je viens de parler. Kolmark était le nom de ce marchand, dont la femme, âgée d'environ vingt ans, était la plus jolie créature qu'il fût possible de rencontrer au monde ; et, je l'avoue, cette délicieuse personne m'échauffa, pour le moins autant la tête, qu'une cassette très volumineuse que je leur vis enfermer avec soin dans une des armoires de notre chambre. Le désir de m'approprier l'un et l'autre objet devint tellement vif en moi, que je n'en fermai pas l'œil de la nuit. A raison d'une réparation à leur voiture, ces deux personnages devaient séjourner dans l'auberge, et, pour les suivre un peu de près, je prétextai quelques affaires, qui devaient également me retenir un jour à Paderborn. De ce moment, il devenait clair que, puisque nous avions trente-six heures à être réunis, il fallait nécessairement faire connaissance. Joséphine, prévenue par moi, devînt bientôt l'amie de sa compagne ; on déjeuna ensemble ; on y dîna, le soir on fut au spectacle ; et c'est au souper du retour que j'eus soin de préparer le piège dans lequel je voulais faire tomber l'une et l'autre victime. Kolmark avait fait les frais du dîner, il était juste que ceux du souper nous regardassent : ce motif me fit quitter la comédie de bonne heure, et j'arrivai seul à l'auberge, sous le prétexte de tout ordonner. - Obligé d'aller prendre, à l'extrémité de la ville, un ami avec lequel je pars cette nuit pour Berlin, dis-je aux gens de la maison, je vais faire charger ma voiture tout de suite, et l'envoyer m'attendre chez mon compagnon de voyage. Cette précaution paraît toute simple ; tous mes bagages se portent à la voiture ; je n'oublie pas d'y faire mettre, bien enveloppée, la cassette, qu'au moyen d'un passe-partout, je retire facilement de l'armoire où elle était serrée. - Va, dis-je au postillon, dès que tout est prêt ; va m'attendre à la porte de Berlin ; j'y conduirai ma femme et mon ami, cela sera plus simple que d'arrêter près de sa maison ; tu pourras du moins boire en nous attendant ; un cabaret se trouve à cette porte, et il n'en est point à la sienne. Tout s'arrange ; et ma voiture quittait à peine l'hôtellerie, quand Joséphine et nos deux dupes y rentraient. Le plus grand souper fut servi ; mais j'avais eu le soin de mêler aux jattes de fruits, déjà placées sur un buffet, une dose de stramonium, assez forte pour plonger dans le plus profond sommeil ceux qui goûteraient du mets où je l'avais amalgamé. Tout réussit à miracle : à peine Kolmark et sa femme ont-ils tâté de ce fruit fatal, qu'ils tombent dans une telle léthargie, qu'on peut leur faire tout ce qu'on veut, et les remuer de toute manière, sans qu'ils puissent s'en apercevoir. - Tiens-toi prête, dis-je à Joséphine, dès que je les vis dans cet état ; tout est dehors ; la voiture nous attend ; j'ai la cassette ; prête-moi la main pour foutre cette femme dont la tête me tourne ; achevons ensuite de leur voler et portefeuilles et bijoux ; puis décampons avec autant de silence que de mystère et de promptitude. J'approche de la Kolmark ; j'ai beau la trousser, lui presser les tétons, rien ne la réveille. Rassuré par cet état de stupeur, plus violent que je ne l'aurais soupçonné, je deviens très entreprenant ; Joséphine et moi nous la mettons nue. Dieu ! quel corps ! c'était celui de Vénus même. - Ô Joséphine, m'écrié-je, jamais un crime ne me fit mieux bander que celui-là ! Mais il faut que je le perfectionne : je ne suis pas assez sûr de ma drogue, pour ne pas craindre leur réveil, il faut que je les foute tous les deux, et que je les tue en les foutant. Je commence par la femme ; je l'enconne d'abord, je l'encule ensuite... pas un mouvement... pas l'ombre d'une sensation ; je lui remplis l'anus de foutre, et passe au mari. Kolmark, qui n'avait que trente ans, m'offrit un cul d'albâtre ; je le quitte, après quelques allées et venues, pour me rengloutir dans celui de la femme et, pendant que j'y suis, cette fois, je fais placer sur elle le corps de l'époux et, sur ce corps, les trois matelas de l'un des lits. Joséphine qui, par mon ordre, cabriole sur les matelas, les a bientôt étouffés tous les deux ; et je jouissais, et j'éprouvais, dans le cul de la femme, l'inconcevable volupté qui existe à procurer une mort violente à l'objet qui sert nos plaisirs. On n'imagine pas à quel point la contraction des nerfs de la victime sert la lubricité de l'agent ! Ô mes amis ! taisons ce secret ; il ne serait pas un seul libertin, s'il était connu, qui n'assassinât sa jouissance. L'opération terminée, nous plaçons avec soin les corps chacun dans leur lit ; et, nous étant emparés des montres, des portefeuilles et des bijoux, nous descendons, nous traversons l'auberge, dont personne n'est surpris de nous voir partir, parce que j'avais prévenu de tout. - Vous laisserez dormir M. et Mme de Kolmark, disons-nous en passant ; ils vous prient de n'entrer chez eux qu'à midi : votre excellent souper, votre bon vin, tout cela leur a porté à la tête, et ils veulent se reposer longtemps ; nous en ferions sûrement de même sans les affaires qui nous chassent. Et, cela dit, les dépenses, les valets, largement payés, nous nous retirons comblés des politesses de tout le monde, et volons d'une traite à Berlin, sans nous arrêter davantage. Ce ne fut que dans cette capitale de la Prusse, où nous reconnûmes que la cassette, remplie de pierreries, et les autres effets dérobés, s'élevaient à plus de deux millions. - Oh Joséphine, m'écriai-je en vérifiant cette agréable prise, ne t'ai-je pas toujours dit qu'un crime assurait l'autre, et que le plus heureux des hommes sera toujours celui qui saura le plus en commettre ? Nous prîmes à Berlin le même établissement qu'à Bordeaux, et je m'y fis de même passer pour le frère de Joséphine. Cette créature qui devenait chaque jour plus belle, ne tarda pas à faire des conquêtes ; et, comme elle était pénétrée de la nécessité de ne se fixer qu'à celles qui devaient rapporter beaucoup, le premier homme qu'elle tâche de captiver fut le prince Henri, frère du roi3. Il est bien peu de gens qui ne connaissent, au moins de réputation, l'esprit, la gentillesse et le libertinage de cet aimable prince. Henri, plus amateur des hommes que des femmes, ne se fixait jamais qu'à celles dont il croyait pouvoir tirer des secours dans les égarements qu'il chérissait. - Bel ange, dit-il à Joséphine, il faut, avant de nous lier, que je vous explique mes passions ; elles sont aussi vives que singulières. Je dois vous prévenir d'abord que je fêterai peu dans vous les attraits de votre sexe : jamais je ne me sers de femmes ; je les imite, mais je les déteste. Voici donc quelle sera votre conduite pour servir ma lubricité : je vous ferai connaître beaucoup d'hommes ; vous attaquerez tous ceux que je vous présenterai. Voilà, poursuivit le prince en remettant à Justine un godemiché de treize pouces de long, sur neuf de tour, voilà la taille que j'emploie ; quand vous me découvrirez des vits de cette tournure, vous me les fournirez. Une fois à l'opération, vous serez revêtue d'une simarre, couleur de chair, qui ne laissera paraître que votre cul, le reste sera impénétrable à mes yeux ; vous préparerez les vits qui m'entreront dans le derrière, vous les y insinuerez vous-même, vous exciterez l'homme pendant qu'il agira, et, pour remerciements, lorsque j'aurai été bien foutu, je vous ferai tenir par ces mêmes hommes, et vous appliquerai quatre cents coups de fouet. Ce ne sera pas tout, ma belle amie ; il faudra que vos féminins appas soient soumis à de plus grandes profanations. Le fouet reçu, vous vous mettrez absolument nue ; vous vous coucherez à terre, les jambes écartées ; tout les hommes qui m'auront passé sur le corps, vous chieront dans le con et sur la gorge. En revenant de l'opération, ils me feront toucher le trou de leur cul ; ce que j'exécuterai avec la langue. Cela fait, je m'accroupirai sur votre bouche ; vous l'ouvrirez la plus grande possible, je chierai dedans : un de mes hommes me branlera ; mon foutre partira en même temps que mon étron ; c'est la seule façon dont je décharge. - Et quels sont, dit Joséphine, les émoluments que monseigneur accorde à d'aussi désagréables services ? - Vingt-cinq mille francs par mois, dit le prince, et je paie tous les accessoires. - Ce n'est assurément pas trop, répondit Joséphine, mais l'honneur de votre protection nous tiendra lieu du reste, et je suis aux ordres de monseigneur. - Quel est ce garçon que vous appelez votre frère ? poursuivit le prince. - Il l'est effectivement, répondit Joséphine, et la similitude de ses goûts aux vôtres pourrait peut-être le rendre utile à vos plaisirs. - Ah ! il est bougre ? - Oui, monseigneur. - Vous encule-t-il ? - Quelquefois. - Ah ! parbleu, je veux voir cela. Et Joséphine, m'ayant fait appeler, le prince, pour me mettre sur le champ à mon aise, déboutonna ma culotte et me branla le vit. - Voilà, dit-il, un fort bel engin ; il n'est pas tout à fait de la taille de ceux dont je me sers, mais il doit être beau à voir en œuvre ; sa décharge peut être brillante. Et ayant fait coucher Joséphine à plat-ventre, il introduisit mon vit dans le cul de cette fille le plus adroitement du monde. A peine y fus-je, qu'il passa derrière moi et, rabattant mes culottes sur mes talons, il mania mon cul, l'entrouvrit, le gamahucha, y fit pénétrer son vit de quelques lignes ; se retirant ensuite, il se remit à contempler mes fesses, en m'assurant qu'il les trouvait fort de son goût. - Pourriez-vous chier en foutant ? me dit-il ; c'est une chose délicieuse pour moi, que de voir chier un homme pendant qu'il fout un cul, on n'imagine pas combien cette petite infamie échauffe ma lubricité ; c'est qu'en général j'aime fort la merde, j'en mange même, tel que vous me voyez : les sots ne conçoivent pas cet écart ; il y a des passions qui ne sont faites que pour les gens d'un certain ordre. Eh bien, chierez-vous ? Ma réponse fut un des plus fameux étrons que j'eusse pondu de ma vie. Henri le reçut en entier dans sa bouche ; et le sperme, dont il m'arrosa les cuisses, devint le témoignage le plus certain du plaisir que je venais de lui faire. Il en avait fait autant de son côté : et, quand il me vit disposé à nettoyer la place : - Non, me dit-il en m'arrêtant, c'est l'ouvrage des femmes. Et Joséphine fut obligée d'enlever cela avec ses mains ; il la regardait faire, et paraissait jouir de l'humiliation où il la réduisait. - Elle a un assez beau cul, disait-il en le lui claquant, je crois qu'elle sera bonne à fouetter : je l'étrillerai très fort, je vous en préviens, mais j'espère que cela vous sera égal. - Oh ! parfaitement, monseigneur, je vous jure ; Joséphine est à vous et se trouvera toujours honorée de ce qu'il vous plaira de lui faire. - C'est qu'il ne faut pas ménager les femmes, en lubricité ; on gâte absolument ses plaisirs, quand on ne sait pas les mettre à leur place, et, tant qu'on les élève, elles n'y sont pas. - Monseigneur, dis-je, au prince, une chose me surprend en vous : c'est la manière dont vous soutenez l'esprit du libertinage, même après que ce qui lui prête des forces est éteint. - C'est que mes principes sont sûrs, me répondit cet homme plein d'esprit ; c'est que je suis immoral par système ; et non par tempérament : l'état de force ou de faiblesse dans lequel je puis être, ne contribue nullement aux dispositions de mon esprit ; et je me livre aussi bien aux derniers excès de la luxure, en venant de décharger, qu'avec du sperme de six mois dans les couilles. Je voulus ensuite témoigner quelque surprise au prince, sur le genre de plaisir crapuleux auquel je le voyais livré. - Mon ami, me répondit-il, c'est qu'il n'y a que cela de bon en libertinage ; plus le goût qu'on chérit est sale, plus il doit naturellement exciter. A mesure que l'on se blase sur ses goûts, on les raffine ; il est donc tout simple d'arriver ainsi au dernier point de la corruption réfléchie. Tu trouves mes goûts bizarres, et moi je les trouve trop simples ; je voudrais faire bien pis. Je passe ma vie à me plaindre de la médiocrité de mes moyens. Aucune passion n'est exigeante comme celle du libertinage, parce qu'il n'en est aucune qui chatouille, qui pique, agace aussi vivement le genre nerveux, aucune qui porte dans l'imagination un incendie plus considérable ; mais il faut, en s'y livrant, oublier tout à fait la qualité d'homme civilisé ; ce n'est que comme les sauvages, et à la manière des sauvages, que l'on doit se vautrer dans le bourbier de la luxure : si l'on se rappelle ses forces, ou les faveurs de la fortune, ce ne doit être que pour en abuser. - Oh ! monseigneur, voilà des maximes qui sentent furieusement la tyrannie... la férocité. - Mais le véritable libertinage, dit le prince, doit toujours marcher entre ces deux vices ; rien n'est aussi despote que lui ; et voilà pourquoi cette passion n'est vraiment délicieuse que pour ceux qui, comme nous autres princes, sont revêtus de quelque autorité. - Vous concevrez donc du plaisir à abuser de cette autorité ? - Je vais plus loin ; j'affirme qu'elle n'est agréable que par l'abus qu'on a l'esprit d'en faire. Mon ami, tu me parais assez riche, assez bien organisé, pour que je te révèle sur cela les mystères du machiavélisme. Souviens-toi que la nature même a voulu que le peuple ne fût, dans les mains du monarque que la machine de son autorité ; qu'il n'est bon qu'à cela ; qu'il n'est créé faible et bête que pour cela ; et que tout prince qui ne l'enchaîne et ne l'humilie pas pèche décidément contre les intentions de la nature. Quel est alors le fruit de la nonchalance du souverain ? Un déchaînement universel, tous les crimes hébétés de l'insurrection populaire, l'avilissement des arts, le mépris des sciences, la disparition du numéraire, le surhaussement excessif des denrées, la peste, la guerre, la famine, et tous les fléaux que ces malheurs entraînent. Voilà, Jérôme, voilà ce qui attend un peuple qui secoue le joug ; et s'il existait un être souverain au ciel, son premier soin serait de punir, sois-en sûr, le chef assez imbécile pour avoir cédé sa puissance. - Mais cette puissance dis-je, n'est-elle pas dans la main du plus fort ? et le peuple en masse n'est-il pas le seul souverain ? - Mon ami, le pouvoir de tous n'est qu'une chimère ; il ne résulte aucun effet d'une multitude de forces discordantes : tout pouvoir disséminé devient nul ; il n'a d'énergie qu'en le concentrant. La nature n'a qu'un flambeau pour éclairer le monde ; chaque peuple, à son exemple, ne doit avoir qu'un maître. - Mais pourquoi le voulez-vous tyran ? - Parce que l'autorité lui échappe s'il est débonnaire ; et je viens de te peindre tous les malheurs qui résultent de l'autorité qui s'échappe. Un tyran vexe quelques hommes ; voilà de sa tyrannie des résultats bien médiocres : un prince mou laisse changer l'autorité de mains ; et voilà des malheurs affreux. - Ah ! monseigneur, dis-je en baisant les mains de Henri, que j'estime ces principes dans vous, chaque homme, en les admettant, peut se flatter de despotiser dans sa classe ; il n'est qu'esclave et vil, s'il veut usurper le pouvoir des grands. Le prince de Prusse, singulièrement satisfait de moi, me laissa vingt-cinq mille francs pour gages de sa bienveillance, et ne quitta presque plus notre maison. J'aidais ma sœur à lui trouver des hommes ; et, pas tout à fait aussi difficile que lui, je m'accommodais à merveille de ce dont il ne voulait pas : aussi puis-je certifier avec raison que, pendant deux ans que dura notre séjour dans cette ville, il me passa au moins plus de dix mille vits dans le derrière. Il n'y a point de pays dans le monde où les soldats soient aussi beaux et aussi complaisants ; et, pour peu qu'on sache s'y prendre, on en a tant, qu'on est obligé d'en refuser. Nous n'étions pas tellement gênés, que nous ne puissions mystérieusement associer quelques seigneurs de la cour aux plaisirs du prince Henri ; et le comte de Rhinberg partagea longtemps les faveurs de la maîtresse du frère de son maître, sans que qui que ce fût s'en doutât. Rhinberg, aussi libertin que Henri, l'était pourtant dans un autre genre ; il foutait Joséphine en con, pendant que deux femmes l'étrillaient à tour de bras, et qu'une troisième lui pissait dans la bouche. Par une suite de caprice fort extraordinaire, Rhinberg ne déchargeait pas dans le con qu'il avait fêté ; celui qui lui avait pissé dans la bouche était toujours sûr de recevoir son hommage : et de même qu'il fallait que celui qui l'excitait fût jeune et joli, raison qui lui avait fait choisir celui de Joséphine ; de même, il était essentiel que celui où il terminait sa besogne fût vieux, laid, et puant. Celui-là changeait tous les jours ; il resta dix-huit mois attaché à l'autre ; et peut-être l'aimerait-il encore sans l'événement qui me fit quitter Berlin, et dont il est temps que je vous entretienne. Je m'apercevais depuis quelque temps de deux choses qui me donnaient des inquiétudes, et qui furent cause du parti que je pris de m'éloigner de Berlin. Cependant, je balançais encore, lorsque la proposition qui me fut faite acheva de me déterminer. La première des choses que j'entrevis, fut le refroidissement certain du prince de Prusse pour Joséphine : au lieu de venir tous les jours, à peine le voyait-on deux fois la semaine. L'inconstance est la suite des passions outrées ; comme on s'y abandonne avec excès, on s'en lasse nécessairement plus vite. La seconde chose qui redoubla mon inquiétude fut de voir que, sans m'en douter, Joséphine m'échappait aussi. Elle aimait un jeune valet de chambre de Henri, qui s'était souvent amusé devant elle avec le prince, et je craignis qu'elle n'en vînt insensiblement à secouer tout à fait mes chaînes. Voilà où j'en étais, lorsque la proposition dont je viens de parler me fut faite. Telles étaient les expressions du billet qui la contenait : « On vous propose cinq cents mille francs pour livrer Joséphine, en vous prévenant que c'est pour l'exécution d'un caprice qui lui ravira le jour. L'autorité de celui qui vous parle ainsi est telle que, si vous dites un mot, vous êtes un homme perdu ; si, au contraire, vous acceptez, demain à midi la somme promise sera chez vous, et, de plus, cinq cents florins pour votre voyage ; une des conditions du marché étant que vous quitterez la Prusse dès le jour même. » Voici ma réponse : « Si j'étais mieux connu de celui qui me fait une telle proposition, il aurait évité le ton de la menace. J'accepte tout sous une seule clause ; c'est d'être témoin du supplice préparé pour ma sœur, ou de savoir au moins de quelle nature il doit être. Au reste, il me paraît essentiel que l'on sache que Joséphine est grosse de trois mois. » On me répondit : « Vous êtes un homme charmant ; vous emportez de Berlin l'estime et la protection de celui qui vous parle. Vous ne pouvez pas être témoin du supplice ; contentez-vous de savoir qu'il durera vingt heures ; et qu'il n'existe aucun exemple dans le monde de la rigueur et de la violence du tourment, aussi nouveau qu'extraordinaire, par lequel on lui ravira lentement le jour. Un homme de l'art ira demain constater sa grossesse ; et, si elle est vraie, vous aurez cent mille francs de plus. Adieu ; ne revenez jamais à Berlin ; mais souvenez-vous que, telle part où vous soyez, une main puissante vous protégera. » Ce soir-là les portes de la maison furent fermées de très bonne heure, et je voulus me donner la barbare jouissance de souper et de coucher pour la dernière fois avec Joséphine. Je ne l'avais jamais foutue avec tant de plaisir. Oh ! le superbe corps, me disais-je ! quel dommage que de tels attraits soient dans peu la pâture des vers ! et ce crime sera mon ouvrage ; il le sera sans doute, puisque, pouvant la sauver, je la livre. Il faut avoir ma tête, mes amis, pour comprendre à quel point de pareilles idées font dresser le vit. Joséphine fut foutue de toutes les manières ; et chacun des temples où je sacrifiais excitait en moi de nouvelles réflexions, toutes néanmoins à peu près de la même teinte. Oh ! mes amis, je puis le dire avec vérité, non, il n'est aucune jouissance dans le monde qui soit comparable à celle-là : mais, à qui le dis-je, grand Dieu ! et qui doit le savoir mieux que vous ! Le lendemain, le médecin parut : je dis à Joséphine qu'il venait de la part du prince, qui, ayant appris sa grossesse, lui faisait offrir des secours, Joséphine commença par nier le fait : mais convaincue par l'examen, elle avoua tout, en suppliant l'homme de l'art de ne la compromettre en rien. Celui-ci promit tout ce qu'on voulut, et n'en dressa pas moins un procès-verbal, par lequel il déclarait qu'au moyen de son examen et des réponses de Joséphine, elle devait être à la fin de son quatrième mois. Me priant ensuite de l'écouter un moment en secret : - Voilà, me dit-il, les six cent mille francs que je suis chargé de vous remettre ; et les cinq cents florins pour votre route : je viendrai moi-même chercher votre sœur ce soir ; qu'elle soit prête ; et vous, monsieur, que le soleil levant ne vous retrouve pas dans Berlin. - Comptez sur ma parole, monsieur, répondis-je, en lui présentant dix mille francs, qu'il refusa ; mais de grâce, expliquez-moi tout ce que vous pourrez de cette circonstance singulière ; vous savez sans doute ce qu'on veut faire de ma sœur. - La victime d'un meurtre de débauche, monsieur, je crois pouvoir vous le révéler, parce qu'on m'a dit que vous étiez au fait. - Et sera-t-il bien cruel ? - C'est une nouvelle expérience, dont les angoisses sont d'une telle énergie que le sujet s'évanouit à chaque reprise, et qu'il reprend nécessairement ses sens, dès que l'on arrête. - Et le sang coule-t-il ? - Très en détail : c'est ce qu'on appelle une réunion de douleurs ; toutes celles dont la nature afflige l'humanité sont imitées dans ce supplice, tiré du manuel des inquisiteurs de Goa. - A en juger par les sommes que je reçois, l'acquéreur est un homme riche. - Je l'ignore, monsieur. - Dites-moi seulement si vous croyez qu'il connaisse Joséphine. - Je n'en saurais douter. - Charnellement ? - Je ne le crois pas. Et mon homme sortit sans vouloir proférer une parole de plus. Quelques instants avant, je fus prévenir Joséphine du désir qu'on avait de la posséder seule. Elle frissonna : - Pourquoi donc ne m'accompagnes-tu pas ? me dit-elle en m'accablant de caresses. - Je ne le puis. - Oh, mon ami, mes pressentiments sont affreux ; je ne te reverrai peut-être jamais ! - Quelle extravagance ! Oh ! Joséphine, on vient ; du courage. Et l'homme de l'art lui ayant présenté la main pour descendre, je l'embarquai, de concert avec lui, dans une voiture anglaise qui la fit bientôt disparaître à mes regards, non sans jeter toute mon existence dans un trouble voluptueux qu'il est plus facile de sentir que de peindre. La première fois qu'on se trouve seul après avoir été deux très longtemps, il semble qu'il manque quelque chose à l'existence. Les sots prennent cela pour les effets de l'amour ; ils se trompent. La douleur éprouvée par ce vide n'est que l'effet de l'habitude, qu'une habitude contraire dissipe plus promptement qu'on se l'imagine. Le second jour de ma route, je ne pensais déjà plus à Joséphine, ou si son image se représentait à mes yeux, c'était avec des symptômes d'une sorte de plaisir cruel, bien plus voluptueux que ceux de l'amour ou de la délicatesse. Elle est morte, me disais-je, morte dans d'affreux tourments, et c'est moi qui l'ai livrée. Cette délicieuse pensée excitait alors de tels mouvements de plaisir en moi, que j'étais souvent obligé de faire arrêter pour enculer mon postillon. J'étais dans les environs de Trente, absolument seul dans ma voiture, et dirigeant mes pas vers l'Italie, lorsqu'une de ces crises de tempérament me prit, au même instant où j'entendis des cris plaintifs dans la forêt que nous traversions. « Arrête, dis-je au postillon ; je veux connaître la cause de ce bruit ; ne t'écarte pas, et soigne ma voiture. » Je m'enfonce, le pistolet à la main, et je découvre enfin dans un taillis une fille de quinze ou seize ans, qui me parut d'une rare beauté. - Quel malheur vous afflige, ma belle demoiselle ? dis-je en l'abordant ; est-il possible d'y porter remède ? - Oh ! non, non, monsieur, me répondit-on, il n'en fut jamais aux flétrissures de l'honneur ; je suis une fille perdue ; je n'attends que la mort, et je vous la demande. - Mais, mademoiselle, si vous daignez me raconter... - Le fait est aussi simple que cruel, monsieur. Un jeune homme devient amoureux de moi ; cette liaison déplaît à mon frère ; le barbare abuse de l'autorité que la mort de nos parents lui donne ; il m'enlève, et, après m'avoir horriblement maltraitée, il me perd dans cette forêt en me défendant, sous peine de la vie, de jamais reparaître à la maison : ce monstre est capable de tout ; il me tuera si j'y rentre. Oh ! monsieur, je ne sais que devenir. Cependant, vous m'offrez vos services... eh bien, je les accepte. Daignez m'aller chercher mon amant ; faites cela, monsieur, je vous en conjure. Je ne sais quel est votre état, ni votre fortune ; mais mon amant est riche, et si des sommes vous étaient nécessaires, je suis bien sûre qu'il les donnerait pour me ravoir. - Où est-il, cet amant, mademoiselle ? dis-je avec chaleur. - A Trente, et vous n'en êtes pas à deux lieues. - Se douterait-il de votre aventure ? - Je ne crois pas qu'il la sache encore. Et ici je vis bien que cette belle fille, actuellement sans aucune défense, serait à moi quand je voudrais ; mais, aussi envieux d'argent que de femmes, je me mis à combiner sur-le-champ comment je m'y prendrais pour avoir à la fois l'un et l'autre. Croyez-vous, dis-je d'abord à cette infortunée, qu'il y ait quelque maison dans les environs de la partie du bois où nous sommes ? - Non, monsieur, je ne le crois pas. - Eh bien, enfoncez-vous encore plus dans le taillis ; n'y faites pas le moindre mouvement ; transcrivez sur ces tablettes, avec mon crayon, les trois lignes que je vais vous dicter, et dans peu d'heures je vous amène votre amant. Voici les mots que la belle aventurière écrivit sous ma dictée : « Un brave inconnu va vous mettre à même de vous convaincre de mes malheurs ; ils sont affreux. Suivez-le, il vous mènera où je vous attends ; mais venez seul, absolument seul ; cette recommandation est essentielle ; vous saurez bientôt ce qui la motive. Si deux mille sequins ne vous paraissent pas une trop faible récompense pour l'homme qui nous réunit, apportez-les pour les lui remettre devant moi ; vous en apporterez davantage, si vous trouvez la récompense trop médiocre. » La belle opprimée, qui se nommait Héloïse, signa le billet ; et moi, regagnant promptement ma voiture, j'engage le postillon à faire diligence, et le fais arrêter à la porte même du jeune Alberoni, amant d'Héloïse. Je lui présente le billet. - Deux mille sequins ! s'écrie-t-il en m'embrassant, deux mille sequins pour savoir des nouvelles de tout ce que j'ai de plus cher au monde ! oh ! non, non, monsieur, ce n'est point assez, voilà le double. Partons, je vous en conjure. Je venais d'apprendre le départ de celle que j'aime, la colère de son frère, et ne savais où porter mes pas pour les rejoindre ; vous m'instruisez, que ne vous dois-je pas ? Partons, monsieur, et partons seuls, puisqu'elle l'exige. Ici, j'arrêtai quelques moments la précipitation de ce jeune homme, pour lui faire observer qu'après l'acharnement du frère d'Héloïse, ce ne devait pas être à Trente qu'il devait ramener cette belle fille. Prenez avec vous le plus d'argent que vous pourrez, lui dis-je ; sortez du territoire de cette ville, et liez-vous pour jamais à celle que vous aimez. Réfléchissez-y bien, monsieur ; mais une conduite contraire vous la fait perdre pour toujours. Alberoni, pénétré de mes raisonnements, me remercie, et, ouvrant son cabinet avec précipitation, il prend sur lui tout ce qu'il a d'or et de bijoux. - Partons, maintenant, me dit-il ; j'ai de quoi la faire vivre un an avec éclat, dans telle ville d'Allemagne ou d'Italie que ce puisse être ; et pendant l'intervalle d'un an on peut arranger bien des affaires. Content de cette sage résolution, je l'approuve ; je fais mettre ma voiture à l'auberge, malgré les insistances d'Alberoni, qui voulait absolument qu'elle restât chez lui. Nous volons. Héloïse n'avait pas bougé. « Homme imprudent, dis-je à Alberoni, en lui appliquant le bout d'un pistolet sur la tempe, et sans lui donner le temps de prononcer un mot, comment as-tu pu faire la bêtise de confier à la fois aux mains d'un homme que tu ne connais pas, et ta maîtresse et ton argent ? Dépose promptement celui dont tu es chargé, et va porter au sein des enfers l'éternel remords de ton imprudence. » Alberoni veut faire un mouvement ; je l'étends à mes pieds. Héloïse tombe évanouie. Oh ! sacredieu, me dis-je alors, me voilà donc, par le plus délicieux des crimes, maître d'une fille charmante et d'une bonne somme ; amusons-nous maintenant. D'autres que moi eussent peut-être profité de l'évanouissement de leur victime pour en jouir avec plus de calme : je pensais bien différemment. J'eusse été désolé que cette malheureuse n'eût pas eu la possession de tous ses sens, afin de mieux goûter son infortune. Ma perfide imagination lui préparait d'ailleurs quelques épisodes, dont je voulais lui faire avaler le calice jusqu'à la lie. Quant on fait tant que de commettre le mal, il faut que ce soit avec toute l'extension, tout le raffinement dont il est susceptible. Je fis respirer des sels à mon Héloïse ; je la souffletai ; je la pinçai. Rien ne parvenant à la réveiller, je la troussai, je lui chatouillai le clitoris, et ce fut à cette sensation voluptueuse que je dus son retour à la lumière. - Allons, belle enfant, lui dis-je alors, en lui appliquant un baiser de feu sur la bouche, un peu de courage ; il en faut pour soutenir la fin de vos malheurs ; vous n'êtes pas au bout. - Oh ! scélérat, me dit cette intéressante fille en pleurant, que prétends-tu donc encore ? et quels nouveaux supplices me sont préparés ? n'est-ce point assez d'avoir abusé de ma confiance pour me priver de tout ce que j'aime ? Ah ! si ce n'est que la mort dont tu me menaces, presse-toi de me la donner ; hâte-toi de me réunir à l'objet adoré de mon cœur ; je te pardonne ton crime à ce prix. - La mort que tu désires, mon ange, dis-je, en commençant à palper ma belle, aura lieu très certainement ; mais il faut qu'elle soit précédée de quelques humiliations, de quelques cruautés, sans lesquelles j'aurai bien moins de plaisir à te la donner. Et comme, en disant cela, mes mains, qui fourrageaient toujours, offraient à mes regards avides des cuisses d'une rondeur, d'une blancheur éblouissantes, je fis trêve aux discours pour ne plus m'occuper que des actions. La certitude où j'étais des prémices d'une aussi belle fille, me fit penser à un genre d'attaque qui peut-être sans cela ne me serait jamais venu dans l'esprit. Dieu ! que d'étroit, de difficultés, de chaleur, et que de plaisir me donna cette victoire ! la manière dont je l'arrachai y prêtait encore plus de sel. Une gorge d'albâtre se présente à moi ; et, plus décidé aux insultes qu'aux caresses, dans l'état où je suis, je la mords, je la pressure, au lieu de la baiser. Ô merveilleux effet de la nature ! Héloïse, singulièrement servie par elle, cède malgré sa douleur aux impressions du plaisir que je la contrains d'éprouver ; elle décharge. Il n'est rien au monde qui allume plus fortement en moi le sentiment de la colère lubrique, comme de sentir une femme partager mes plaisirs. - Infâme putain ! m'écriai-je, tu vas être punie de ton audace. Et, la retournant avec précipitation, je me rends maître du plus charmant derrière qu'il fût possible de voir. Une main écarte des fesses, l'autre conduit mon vit, et je sodomise à l'instant. Dieux ! quel plaisir elle me donna ! Je lui faisais mal ; elle voulut crier, je lui mis un mouchoir sur la bouche. Cette précaution dérangea l'entreprise, mon engin glissa. Je conçus qu'il fallait relever ma victime, et l'appuyer sur quelque chose. Je la couche sur le cadavre de son amant, et les réunis si bien par l'attitude que je leur fais prendre, que leurs bouches se trouvent, pour ainsi dire collées l'une sur l'autre. On ne se peint point d'effroi, l'horreur, le désespoir où ce nouvel épisode plonge ma victime. Peu touché des différents mouvements qui la déchirent, je fais une corde de mes jarretières et de mon mouchoir ; je la fixe dans cette position, et me remets tranquillement à l'ouvrage. Dieux ! quelles fesses ! quel embonpoint ! que de blancheur ! Mille et mille baisers se collent sur elles ; il semble que je veuille dévorer ce beau cul avant que de le foutre. Je le perfore enfin, mais avec une telle rapidité, si peu de précaution, que le sang coule sur les cuisses. Rien ne m'arrête ; je suis au fond ; je voudrais qu'elle fût plus étroite, et moi bien plus gros pour la tourmenter davantage. « Eh bien ! petite garce, dis-je en la limant de toutes mes forces, cette seconde jouissance te fera-t-elle décharger comme l'autre ? » Et je claquais vigoureusement ses fesses, en disant cela ; je les égratignais ; mes mains repassaient par devant, et lui arrachaient barbarement le poil follet dont l'avait ornée la nature. Mille cruelles idées viennent ici troubler mon imagination. Je me détermine à retarder ma décharge, afin que rien ne puisse ralentir le feu qui les inspire. Je me rappelle l'affreux projet formé sur le cadavre de madame de Moldane... Je me ressouviens de tout ce qui m'a été dit sur les délices de la jouissance d'un cadavre fraîchement assassiné, et du désespoir où m'a mis l'impétuosité de mes désirs, en m'empêchant jadis de consommer ce crime. Je décide, je jette des yeux hagards sur le corps sanglant d'Alberoni ; je le déculotte. Il était encore chaud ; j'aperçois de superbes fesses, je les baise ; c'est avec ma langue que je prépare les voies ; je m'introduis, et me trouve si bien de l'expérience, que c'est dans le cul de l'amant assassiné par moi, qu'en baisant celui de la maîtresse que j'assassinerai bientôt de même, que c'est là, dis-je, qu'avec d'indicibles frémissements de plaisir, mon foutre s'élance à grands flots. Les attraits d'Héloïse, son désespoir, ses larmes, l'état d'anxiété où je plongeais son âme par les menaces dont je l'accablais ; la réunion de tant d'effets si puissants sur mon cœur de fer, me firent bientôt rebander. Mais, plein de rage, écumant de cette colère lubrique qui plonge nos sens dans une si violente agitation, ce n'est plus maintenant que par des insultes que je peux m'exciter au plaisir. Je cueille des branches dans le taillis qui nous environne ; j'en forme des verges ; je déshabille totalement cette jeune personne, et l'étrille sur tout le corps, sans excepter la gorge, d'une si cruelle manière, que son sang se mêle bientôt à celui des plaies de son amant. Rassasié de cette barbarie, j'en invente de nouvelles ; je la force à sucer les plaies d'Alberoni. La voyant m'obéir avec une sorte de délicatesse, j'arrache des épines, et l'en frotte sur les parties les plus délicates ; j'en introduis dans son vagin, je lui en déchire les tétons. J'incise enfin le cadavre du jeune homme ; j'en extirpe le cœur, pour en barbouiller le visage de ma victime ; je la contrains à en mordre quelques parcelles. Je n'en pouvais plus. Et le fier Jérôme, qui venait de faire la loi à deux individus, la recevait en ce moment de son vit : on ne banda jamais de cette violence là. Pressé du besoin de perdre mon foutre, j'oblige ma victime à prendre dans la bouche le vit de son amant, et je l'encule en cet état. J'avais un poignard à la main ; je lui réservais la mort à l'instant de ma décharge... Elle approche ; je fais devancer mes coups ; ce n'est qu'avec lenteur que je veux lui faire recevoir le dernier. Je caresse en attendant, avec délices, la voluptueuse idée de mêler aux divins élans de ma décharge les derniers soupirs de celle que je fous. Elle va sentir, pensai-je en la limant à tour de reins, elle va éprouver les plus cruels moments de l'homme, lorsque j'en goûterai les plus doux. Le délire s'empare de mes sens ; je la saisis par les cheveux, d'une main, et de l'autre, je lui plonge, à quinze reprises différentes, un poignard dans le sein, dans le bas-ventre et dans le cœur. Elle expire, et mon foutre n'est pas encore répandu. Ce fut alors, mes amis, que j'éprouvais bien de quel merveilleux effet est d'égorger l'objet qu'on fout. L'anus de ma victime se resserrait, se comprimait, en raison de la violence des coups que je lui appuyais ; et, lorsque je perçai le cœur, la compression fut si vive que mon vit en fut déchiré. Ô délicieuse jouissance ! vous étiez la première que je goûtai en ce genre ; mais que je vous ai d'obligation de la leçon que vous me donnâtes, et combien j'en ai profité depuis ! Un moment de repos succède à de si vives agitations ; mais, dans une âme aussi scélérate que la mienne, le spectacle du crime doit bientôt rallumer le désir. J'ai foutu le cadavre de l'amant, me dis-je, pourquoi ne foutrais-je pas celui de la maîtresse ? Héloïse était encore belle ; la pâleur de son teint, le désordre de ses beaux cheveux, l'intérêt puissant qui régnait sur les traits renversés de sa physionomie enchanteresse, tout me fait rebander ; j'encule et décharge une dernière fois, en dévorant sa chair. L'illusion dissipée, je ramasse les bijoux, l'argent, et m'éloigne, non pas en détestant mon crime. Ah ! si je m'en fusse repenti, m'eût-il fait bander tant de fois depuis ?... Non, je ne le détestais pas, ce crime délicieux ; mais je regrettais bien de ne pas lui avoir donné une plus violente extension. Je rejoignis ma voiture, et partis sur le champ pour Venise. Le climat du pays de Trente et le caractère de ses habitants ne m'ayant point plu, je me déterminai pour la Sicile. Là, dis-je est le berceau de la tyrannie et de la cruauté ; ce que les poètes et les écrivains racontent de la férocité des anciens indigènes de cette île me fait croire que je retrouverai quelques traces de leurs vices dans les descendants des Lestrygons, des Cyclopes et des Lotophages4. Vous allez voir si je me trompais, et si les prêtres, les nobles et les riches négociants de cette île délicieuse n'ont pas tout ce qu'il faut pour nous donner une suffisante idée de la dépravation et de la férocité de leurs ancêtres. Plein de ce projet, je traversai toute l'Italie ; et, à cela près de quelques scènes luxurieuses, de quelques crimes sourds et secrets auxquels je me livrai pour me tenir en haleine, il ne m'arriva rien qui, comparable à ce qui me reste à vous dire, mérite de suspendre ici votre attention. Je m'embarquai à Naples, au milieu du mois de septembre, sur un joli petit bâtiment marchand qui faisait voile vers Messine, et dans lequel le hasard me fit rencontrer l'occasion d'un crime gratuit, aussi singulier que piquant. Nous avions avec nous une négociante de Naples, que ses affaires conduisaient en Sicile, et qui menait avec elle deux petites filles charmantes, dont elle était mère, qu'elle avait nourries, et qu'elle aimait au point de ne pouvoir jamais s'en séparer. L'aînée pouvait avoir quatorze ans, une figure romantique, les plus beaux cheveux blonds, et la taille la plus agréable. Les charmes de sa sœur, moins âgée de dix-huit mois, étaient dans un genre tout à fait différent ; des traits plus piquants que l'autre, moins d'intérêt, si l'on veut, mais infiniment plus de stimulant ; tout ce qu'il fallait en un mot, non pour séduire doucement comme sa sœur, mais pour emporter d'assaut le cœur le plus récalcitrant en amour. A peine eus-je aperçu ces deux filles, que je résolus de les sacrifier. En jouir était difficile. Idoles de leur mère, et perpétuellement sous ses yeux, le moment de l'attaque ne fût pas devenu facile à prendre. Il me restait le moyen de les victimer ; et le plaisir d'arrêter le cours de l'existence de deux aussi jolies créatures valait encore mieux que celui de la leur rendre agréable par la connaissance des plaisirs. Ma poche, toujours remplie de cinq ou six sortes de poisons, m'offrait différentes manières de leur ravir le jour. Mais le coup, selon moi, n'eût pas été assez sensible pour une mère tendre et idolâtre de ses filles ; je voulais une mort plus frappante, infiniment plus prompte ; le sein des vagues sur lequel nous flottions me présentait pour elles un sépulcre où j'aimais mieux les engloutir. Ces deux jeunes personnes avaient l'imprudence (et j'étais bien étonné qu'on ne les en eut pas encore empêchées) d'aller s'asseoir sur le bord du tillac, pendant que l'équipage faisait la méridienne. Le troisième jour de notre traversée, je saisis l'instant ; je les approche ; et, les enlevant toutes deux à brasse-corps, en empêchant leurs mains de s'attacher à moi, je les culbute d'un bras vigoureux dans l'élément salé qui doit les ensevelir à jamais. La sensation fut si vive, que j'en déchargeai dans mes culottes. On se réveille au bruit ; j'ai l'air de me frotter les yeux et d'apercevoir le premier quelles sont les victimes de cet accident ; je me précipite vers la mère : - Oh ! madame, lui dis-je, vos filles sont perdues. - Que dites-vous ? - Une imprudence... elles étaient sur le tillac... un coup de vent... elles sont perdues, madame ! elles sont perdues ! On ne se peint pas la douleur qu'éprouva cette malheureuse ; jamais, je crois, la nature ne fut plus éloquente ni plus pathétique ; et, réversiblement, jamais plus voluptueuses impressions n'ébranlèrent mes organes. Revenue à elle, cette femme me donna toute sa confiance. On la débarqua dans un état affreux. Je me logeai dans la même auberge. Sentant sa fin approcher, elle me remit son portefeuille, en me priant de le faire passer à sa famille ; je promis tout, et ne tins rien. Six cent mille francs que contenait ce portefeuille étaient un objet assez considérable pour qu'avec mes principes je ne les laissasse pas échapper ; et la malheureuse Napolitaine, qui mourut le surlendemain de notre arrivée à Messine, m'en laissa bientôt jouir tranquillement. Je n'eus qu'un regret, je l'avoue ; ce fut de ne l'avoir pas foutue avant sa mort. Belle encore, et très malheureuse, elle m'en avait inspiré le plus violent désir ; mais j'eus peur de perdre sa confiance ; et, dans cette occasion, je l'avoue, où il ne s'agissait que d'une femme, l'avarice l'emporta sur la luxure. Je n'avais d'autres recommandations, à Messine, que les lettres de change dont je m'étais muni à Venise, où j'avais pris la sage précaution, à cause de la différence des monnaies, d'échanger mon numéraire contre du papier sur la Sicile. Le banquier qui m'escompta me fit plus de politesses que n'en reçoivent les Siciliens, quand ils se présentent pour le même objet, chez les banquiers de Paris ; et c'est une justice que je dois rendre à la parfaite urbanité de tous les négociants étrangers à qui j'ai eu affaire. Une lettre de change sur eux devient une lettre de recommandation ; et les offres les plus sincères, les plus multipliées accompagnent toujours au moral les obligations que leurs correspondants prennent au matériel avec eux. Je témoignai à mon banquier le désir que j'avais d'acheter une terre seigneuriale avec les fonds considérables dont je me trouvais possesseur. - Le régime féodal est ici dans toute sa vigueur, dis-je à ce brave homme ; cela seul me détermine à m'y établir ; je veux à la fois commander aux hommes et cultiver la terre, dominer également sur mon champ et sur mes vassaux. - En ce cas, vous ne pouvez être mieux qu'en Sicile, me dit mon correspondant ; il est telle terre ici où le seigneur a droit de vie et de mort sur ses habitants. - Voilà celle qu'il me faut, répondis-je. Et, pour ne plus m'appesantir sur ces détails, vous saurez, mes amis, qu'au bout d'un mois je me trouvai seigneur de dix paroisses, en possession de la plus belle terre et du plus beau château, dans la vallée des ruines de Syracuse, tout près du golfe de Catane, c'est-à-dire, dans le plus beau pays de la Sicile. Je ne tardai pas à me former un domestique nombreux et composé d'après mes goûts. Mes valets, mes femmes, tous avaient le service immédiat de mes lubricités pour clause spéciale de leurs devoirs. Ma gouvernante, nommée dona Clementia, femme d'environ trente-six ans, et l'une des plus belles créatures de l'île, avait indépendamment de ses soins libidineux près de moi, la charge de me découvrir des sujets de l'un et de l'autre sexe ; et, tout le temps qu'elle l'exerça près de ma personne, je vous réponds qu'elle ne m'en laissa pas manquer. Avant que de m'établir, je parcourus les villes célèbres de cette intéressante contrée ; et, comme vous l'imaginez bien, Messine eut droit à mes premières recherches. Les descriptions de Théocrite sur les plaisirs de la Sicile n'avaient pas peu contribué à faire naître en moi le désir d'habiter un si beau pays. Je trouvai tout ce qu'il dit sur la douceur du climat, sur la beauté de ses habitants, et particulièrement sur leur libertinage. C'est là, sans doute, c'est sous ce climat délicieux que la bienfaisante nature inspire à l'homme tous les goûts, toutes les passions qui peuvent contribuer à lui rendre son existence agréable ; et c'est là où l'on doit en jouir, si l'on veut connaître la vrai dose du bonheur que cette tendre mère réserve à ses enfants. Après avoir visité de même Catane et Palerme, je revins prendre possession de mon château. Assis sur une montagne élevée, j'y jouissais à la fois de l'air le plus pur et de la vue la plus agréable. Cette apparence de forteresse flattait d'ailleurs infiniment la sévérité de mes goûts. Les objets que je leur immolerai, me disais-je, seront là comme dans une prison. A la fois leur maître, leur juge et leur bourreau, où trouveront-ils des défenseurs ? Oh ! que les jouissances sont divines, quand le despotisme et la tyrannie les aiguillonnent ainsi ! Clementia avait eu soin de remplir mon sérail pendant mon absence ; et, à mon retour, je le trouvai garni, par ses soins, de douze jeunes garçons de dix à dix-huit ans, de la plus jolie figure du monde, et d'un nombre égal de filles, à peu près de même âge. On me les renouvelait tous les mois ; et je vous laisse à penser, mes amis, dans quels débordements luxurieux je me plongeai. On ne se figure pas les recherches que je mis en usage ; les férocités dont je les assaisonnais ; mon aventure de Trente m'avait si fort apprivoisé avec les voluptés sanguinaires, que je ne pouvais plus m'en passer. Cruel par goût, par tempérament, par besoin, je ne pouvais me livrer à aucune volupté qui ne portât l'empreinte de la brutale passion qui me dévorait. Je ne faisais d'abord tomber mes atrocités que sur les femmes ; la faiblesse de ce sexe, sa douceur, son aménité, sa délicatesse me paraissaient autant de titres certains aux élans de ma barbarie. Je m'aperçus bientôt de mon erreur ; je sentis qu'il était infiniment plus voluptueux de moissonner les épis qui résistent, que l'herbe tendre se courbant sous la faux, et que si cette réflexion ne m'était pas venue jusqu alors, c'était plutôt par une fausse retenue, que par raffinement. J'essayai. Le premier bardache que j'assassinai, âgé de quinze ans, et beau comme l'amour, me procura de si violents plaisirs, que mes coups se dirigèrent à l'avenir bien plutôt dans cette classe-là que dans l'autre. Il semblait que je méprisasse trop les femmes pour m'en composer des victimes, et qu'ainsi les jeunes garçons devaient, par leurs appas, me procurer des voluptés plus sensuelles ; ils devaient être de même plus délicieux à supplicier. D'après cette hypothèse, confirmée par des faits, il n'y avait pas de semaine où je n'en immolasse trois ou quatre, et toujours par de nouveaux tourments. Quelquefois j'en lâchais un couple dans un grand parc, environné de hauts murs, et duquel il était impossible de s'échapper. Là, je les traquais comme des lièvres ; je les cherchais, parcourant mon parc à cheval ; et quand je les avais pris, je les suspendais à des arbres par des colliers de fer ; on établissait au-dessous un grand feu qui les consumait en détail. D'autres fois je les faisais courir devant mon cheval, et les piquais à grands coups de fouet dans les reins ; s'ils tombaient, je leur faisais passer mon coursier sur le ventre, ou je leur brûlais la cervelle à coups de pistolet. Souvent j'employais des supplices plus raffinés encore, et dont l'exécution n'était bonne que dans l'ombre et le silence du cabinet ; et toujours, pendant ces expéditions, la fidèle Clementia m'excitait, ou dirigeait des scènes de lubricité, dont ses plus folies filles devenaient les premières actrices. J'avais heureusement trouvé, dans cette Clementia, toutes les qualités nécessaires au genre de vie féroce et crapuleux que j'adoptai. La coquine était méchante, luxurieuse, intempérante, athée ; elle avait, en un mot, tous mes vices, et nulle autre vertu que celle de m'être incroyablement attachée, et de me servir à merveille. Je menais donc dans ce château, par les soins de cette charmante fille, la vie du monde la plus délicieuse et la plus analogue à mes goûts, lorsque l'inconstance, à la fois le fléau et l'âme de tous les plaisirs, vint m'arracher à ce séjour paisible, pour me replacer sur le grand théâtre des aventures de ce monde. On se blase quand les difficultés n'irritent plus les jouissances ; on veut les augmenter par des peines ; ce n'est vraiment que par elles que l'on parvient aux grands plaisirs. Je laissai Clementia dans mon château et revins m'établir à Messine. Le bruit qu'un riche garçon venait habiter cette capitale se répandit bientôt, et m'ouvrit les portes de tous les palais où il y avait des filles à marier : je découvris promptement l'intention, et résolus de m'en amuser. De toutes ces maisons, dans lesquelles on affectait de me recevoir avec bienveillance, celle du cavalier Rocupero me fixa plus particulièrement. Ce vieux noble et sa femme pouvaient à peu près former un siècle à eux deux. La médiocrité de leur fortune leur faisait élever et nourrir avec une beaucoup trop grande économie, les trois plus belles filles qu'eût jamais créées la nature. La première se nommait Camille ; elle avait vingt ans, brune, la peau d'un blanc à éblouir, les yeux les plus expressifs, la bouche la plus agréable, et la taille d'Hébé même. La seconde, plus intéressante, mais moins belle, n'avait que dix-huit ans, ses cheveux étaient châtains ; ses grands yeux bleus, là de langueur, respiraient à la fois l'amour et la volupté ; sa taille, ronde et bien remplie, promettait la meilleure jouissance ; on la nommait Véronique ; et, certes, je l'eusse préférée, non pas uniquement à Camille, mais à toute la terre, sans les attraits célestes de Laurence, qui, quoique à peine âgée de quinze ans, surpassait en beauté, et ses sœurs, et les plus belles personnes de toute la Sicile. A peine fus-je introduit chez ce bon gentilhomme, que je résolus d'y porter à la fois le trouble, la désolation, l'impudicité, le déshonneur, et tous les fléaux du crime et du désespoir. La probité régnait dans cette maison ; la beauté, la vertu semblaient de même y avoir établi leur empire ; en fallait-il plus pour échauffer en moi le désir de la souiller par tous les forfaits imaginables ! Je commençai par des largesses, que l'on n'accepta qu'avec peine ; mais les vues d'alliance que je manifestai bientôt ne permirent plus aucun refus. On me pria d'expliquer ces vues. Comment voulez-vous, répondis-je, que je me prononce entre les trois Grâces ; donnez-moi donc le temps de mieux connaître vos charmantes filles, et je pourrai vous dire alors laquelle doit fixer mon cœur. Les choses en cette position, vous imaginez facilement que je profitai des délais pour les suborner toutes trois. Comme je leur avais recommandé le plus profond mystère, elles n'eurent garde de s'avouer réciproquement ce que je leur communiquais, de manière qu'aucune d'elles ne savait à quel point j'en étais avec sa compagne. De ce moment, voilà comme je me conduisis. Camille fut celle que je séduisis la première ; et, l'ayant trompée sous les plus belles espérances de mariage, au bout d'un mois j'en tirai tout ce que je voulus. Qu'elle était belle ! et quels charmes n'éprouvai-je pas à sa jouissance ! A peine fut-elle foutue de toutes manières, que j'attaquai Véronique ; et, réveillant la jalousie de Camille, je l'armai si bien contre sa sœur, qu'elle résolut de la poignarder. L'ardeur du tempérament des Siciliennes admet tous les moyens sanglants ; là, l'on ne connaît que deux passions, la vengeance et l'amour. Dès que je crus être bien certain des intentions criminelles de Camille, j'en fis prévenir Véronique ; je parvins à la faire éclairer, au point de ne pas même lui laisser la consolante idée du doute. Cette belle fille, au désespoir, mais plus craintive qu'entreprenante, me supplie de l'enlever, si je l'aime, afin de la soustraire à la rage effrénée d'une sœur qu'elle connaît capable de tout entreprendre. - Mon ange, dis-je alors, ne vaudrait-il pas mieux remonter à la source de tout ceci, en reconnaître les auteurs, et nous venger directement ! - Il n'y a point d'autre cause, me répondit Véronique, que l'extrême amour que Camille a pour toi ; elle s'aperçoit des préférences que tu me donnes, et l'infernale créature complote contre mes jours. - Je ne vois pas tout à fait comme vous dans cette affaire-là, répondis-je ; ne doutez pas, ma chère âme, que vos parents ne donnent à Camille toute préférence sur vous. Je ne sais si cette fille m'aime ; ce qu'il y a de bien sûr, c'est que je ne lui ai jamais donné nul espoir. Mais vos parents se sont ouverts plus directement à moi ; ne doutez point que Camille ne soit l'objet de leur unique attachement ; je manifesterais près d'eux mon goût pour vous, qu'à coup sûr j'en serais refusé. Vous me proposez la fuite ; ce moyen serait dangereux ; nous nous donnerions avec vos parents des torts, dont eux ou la justice prendraient connaissance, et dont la punition serait bientôt la perte ou de nos fortunes ou de nos vies. Il est, ce me semble, un parti plus avantageux et plus simple : vengeons-nous à la fois et de Camille qui complote contre vos jours, et de vos parents qui l'y excitent. - Et quel est le moyen ? - Celui que la nature offre à tous les pas dans l'heureux pays où nous sommes. - Du poison ? - Sans doute. - Empoisonner mon père, ma mère et ma sœur ? - Ne conjurent-ils pas contre vous ? - Je n'en ai que le soupçon. - La preuve sera votre mort. Puis Véronique reprenant avec un peu de réflexion : - Je sais que d'autres femmes ont agi de même, dona Capraria vient d'empoisonner son époux. - Qui vous arrête donc, ma chère ? - La crainte de votre mépris ; vous serez plus de sang-froid après la vengeance ; vous me mésestimerez. - Ne le craignez point ; je reconnaîtrai dans vous alors une fille ardente, courageuse, aimante, passionnée, une fille à caractère, en un mot et que, par cela seul, j'adorerai mille fois plus ardemment. Ne balance plus, Véronique, ou tu perds à jamais mon cœur. - Ô mon ami, mais le ciel ! - Frivoles craintes ; le ciel ne se mêla jamais des affaires du monde ; et ce ressort n'est plus dans les mains de l'homme, que l'arme émoussée du mensonge et de la superstition. Il n'y a point de Dieu ; et les peines ou les récompenses, basées sur cet odieux fantôme, sont aussi méprisables que lui. Ah ! s'il était un Dieu que le crime offensât, donnerait-il à l'homme tous les moyens de le commettre ? Que dis-je ! si le crime offensait cet auteur prétendu de la nature, le crime serait-il essentiel aux lois de la nature ? Songe donc que cette nature dépravée ne s'alimente, ne se soutient que par des crimes ; et que si les crimes sont nécessaires, ils ne peuvent outrager ni la nature ni l'être imaginaire que tu supposes en être le moteur. Ce que l'homme a osé nommer crime, n'est que l'action qui trouble les lois de la société ; mais qu'importe à la nature les lois de la société ! est-ce elle qui les a dictées ? et ces lois ne varient-elles pas de climats en climats ? Telle affreuse que vous puissiez supposer une action, le crime dont vous la croyez revêtue ne peut donc être que local ; de ce moment il ne saurait outrager la nature, dont les lois sont universelles. Le parricide, regardé comme un crime en Europe, est en honneur dans plusieurs contrées de l'Asie ; il en est de même de toutes les autres actions humaines ; je défie qu'on m'en cite une seule universellement vicieuse. Réfléchissez au reste qu'il ne s'agit ici que de vous défendre, et qu'alors tous les moyens que vous allez mettre en usage pour y parvenir, non seulement ne sauraient être criminels, mais deviennent même vertueux, puisque la première loi que nous inspira la nature, fut de nous conserver à tel prix et à tels dépens que ce puisse être. Agissez, Véronique, agissez, ou vous êtes perdue vous-même. Le feu que je vis briller dans les yeux de cette charmante fille m'apprit bientôt le succès de mes discours. - Eh bien, me dit-elle au bout de quelques minutes d'une violente agitation, eh bien, Jérôme, je ferai ce que tu dis. Je connais les drogues nécessaires ; toutes ces plantes nous sont familières ici ; je te jure qu'il n'existera pas dans trois jours un seul des individus qui machinent notre perte. Éloigne-toi pendant ce temps ; je ne veux pas que l'on te soupçonne. J'y consentis d'autant plus volontiers que j'avais besoin de ce délai pour séduire la troisième sœur. Cette opération fut l'ouvrage de Clementia. Je la fis venir à Messine ; je lui fis connaître Laurence ; et, dès le lendemain, elle fut conduite à mon château. Il n'y avait pas deux heures qu'elle était partie, quand les foudres préparées par Véronique éclatèrent. Elle avait employé le suc de thora, espèce d'aconit fort dangereux, qui se trouve en abondance dans les montagnes de Sicile ; et les trois victimes étaient mortes dans d'épouvantables convulsions. Le coup fait, elle s'empara de tout ce qu'elle put : bijoux, portefeuille, cassette, tout fut enlevé ; et elle vint me trouver avec ces médiocres richesses, dans une maison de campagne, près de la ville, où je lui avais donné rendez-vous. Ce fut elle qui m'apprit la disparition de sa sœur dont elle ne pouvait comprendre le motif. - Tu la reverras bientôt, lui dis-je ; j'ai cru qu'il était prudent de la mettre à couvert ; partons, elle nous attend à ma campagne. Cette précaution parut d'abord inquiéter Véronique ; je la calmai. Mais je vous laisse à penser ce qu'elle devint, lorsqu'elle apprit, en arrivant, par la bouche même de Laurence, la manière dont elle avait été enlevée, et tous les propos que lui tenait Clementia depuis qu'elle était dans mon château. - Ô scélérat ! tu m'as trompée, me dit-elle. - Non, en vérité, lui dis-je, je ne t'ai jamais rien promis. Ta sœur m'a inspiré le même désir que toi ; et je veux vous foutre toutes les deux, ou plutôt toutes les trois, mon ange ; car il est maintenant inutile de te laisser ignorer que Camille fut aussi ma proie. - Et tu as pu m'ordonner de la sacrifier... ô monstre ! On pleure, on se désespère ; mais, bravant toutes ces larmes, je ne m'occupe plus qu'à jouir. Ces deux charmantes filles satisfirent à la fois toutes mes luxures ; toutes deux assouvirent mes passions, sans aucune réserve ; cul, con, bouche, tétons, aisselles, tout fut foutu, tout fut fourragé ; et je ne découvris pas moins de charme dans ces deux-ci, que je n'en avais trouvé dans leur sœur. Les fesses de Véronique principalement surpassaient tout ce que j'avais vu de plus sublime dans ce genre ; on n'eut jamais un plus beau cul, jamais un plus beau sein ! Malheureusement, tout cela ne m'occupa que trois jours. A peine fus-je rassasié de ces deux charmantes filles, que je ne pensai plus qu'à les perdre. Mais il fallait que la façon fût cruelle ; plus elles m'avaient donné de plaisir, plus je désirais accumuler sur leurs corps la somme des douleurs physiques, et plus je voulais que le genre en devint exécrable. Qu'imaginer ? J'avais tout fait, tout exécuté, et j'en étais au point de défier les plus célèbres bourreaux de l'univers de me conseiller une torture dont je n'eusse pas déjà fait usage. A force de rêver, voici ce que me fournit enfin ma scélérate imagination. J'employai les cinquante mille francs dérobés par Véronique à ses malheureux parents, pour faire exécuter la machine que je vais vous détailler. Les deux sœurs, toutes nues, étaient enveloppées dans une espèce de cotte de mailles à ressorts, qui les captivait entièrement chacune sur un petit tabouret de bois garni de pointes, qui, ainsi que celles dont je vais parler, n'agissaient qu'au besoin. Elles étaient à huit pieds de distance l'une de l'autre ; entre elles était une table garnie des mets les plus succulents et les plus délicats : aucune autre espèce de nourriture ne leur était présentée. Or, pour y toucher, il fallait étendre le bras : en l'allongeant, d'abord le premier supplice qu'elles éprouvaient par cette action était l'impossibilité d'y atteindre. Un bien plus violent ne tardait pas à se faire ressentir. Par ce mouvement de tension du bras, celle qui le faisait armait aussitôt contre elle et contre sa voisine plus de quatre mille pointes ou ciseaux d'acier, qui, dans l'instant, déchiraient, piquaient, ensanglantaient et l'une et l'autre victime. De sorte que ces infortunées ne pouvaient penser à soulager le besoin qui les consumait, qu'en s'assassinant mutuellement toutes deux. Elles vécurent une semaine dans cet odieux supplice, pendant laquelle je passai huit heures par jour à les contempler, soit en me faisant foutre, soit en sodomisant, également sous leur yeux, les plus jolis objets de mon sérail. Je n'ai de ma vie goûté de plaisir plus violent ; il est impossible de rendre tout ce que ce spectacle me fit éprouver de sensuel ; j'y perdis régulièrement mon foutre quatre ou cinq fois par séance. - Parbleu, je le crois, dit Sévérino, en interrompant ici la narration par les cris d'une décharge élancée dans le cul d'une des plus jolies filles du souper, oui, foutre, je le crois, car voilà bien le détail d'une des scènes les plus singulières qu'il soit possible d'entendre ; et le plaisir reçu par notre confrère Jérôme, en l'exécutant, doit avoir été diablement vif, si j'en juge par celui que j'éprouve en la lui entendant raconter. - Il nous faut une machine comme celle-là, dit Ambroise, qui se faisait branler par Justine ; et je vous réponds que si nous la possédons jamais, voilà bien sûrement la première que j'y placerai. - Poursuis, poursuis, Jérôme, dit Sylvestre, en montrant son vit dur comme une barre de fer ; car tu nous ferais tous décharger les uns sur les autres, si tu nous arrêtais longtemps à cette délicieuse idée. - J'avais eu l'occasion, reprit Jérôme, dans les différents voyages que j'avais fait à Messine, de connaître nos aimables confrères les bénédictins, de la fameuse abbaye de Saint-Nicolas-d'Assena ; ils avaient eu la complaisance de me faire visiter leur maison, leur jardin, de m'admettre à leur table, et j'avais distingué plus particulièrement, parmi eux, le Père Bonifacio de Bologne, l'un des plus charmants libertins que j'eusse connu de ma vie. La conformité de mon caractère avec celui de ce moine m'avait assez intimement lié avec lui, pour nous confier un million de choses. - Croyez-vous donc, Jérôme, me dit-il un jour, que nous chômions ici de tous les plaisirs dont les gens du monde se rassasient ! oh ! mon ami ne l'imaginez pas ; il faudrait que vous fussiez dans notre ordre pour que je vous révélasse ces secrets ; et, riche comme vous l'êtes, rien de plus facile que d'y entrer. - Mais, dis-je, et la qualité de seigneur terrien que j'ai acquise en achetant du bien dans votre île ?... - Ne serait qu'un motif de plus d'adoption, me dit Bonifacio ; vous conserverez votre bien, vous serez reçu à bras ouverts, et initié dès le moment même dans tous les mystères de l'ordre. On ne se figure pas combien cette idée m'embrasa. La certitude de couvrir et d'augmenter mes vices sous le masque imposant de la religion, l'espoir dont me flattait également Bonifacio de me trouver très promptement érigé en médiateur céleste entre l'homme et son prétendu Dieu, celui bien plus doux encore d'abuser de l'infâme confession pour voler impunément à mon aise l'argent des vieilles et le pucelage des jeunes ; tout cela m'électrisait à un point indicible ; et, huit jours après cette pressante invitation de Bonifacio, j'eus l'honneur d'endosser le harnais monacal, et de me trouver sur le champ associé à tous les projets d'iniquité de ces scélérats. Le croirez-vous, mes amis ? il est vrai que le respect et la soumission du peuple envers le sacerdoce sont bien autres dans ce pays-là qu'en France, mais il n'était pas une seule famille dans Messine dont ces coquins là n'eussent le secret et la confiance ; et je vous laisse à deviner comme ils profitaient de l'un et de l'autre. A l'égard de leurs précautions intérieures, certes, si les vôtres sont bien prises, celles des bénédictins de Saint-Nicolas-d'Assena le sont pour le moins aussi bien. Là, dans de vastes souterrains, connus seulement des gros bonnets de l'ordre, existe avec profusion tout ce que l'Italie, la Grèce et la Sicile peuvent produire de plus délicieux, soit en jeunes garçons, soit en filles ; là, l'inceste triomphe comme ici, et j'en ai vu qui foutaient leur cinquième génération, après avoir foutu les quatre autres. La seule différence qu'il y ait entre ces cénobites et vous, c'est que ceux-ci ne se donnent pas la peine de cacher leurs débordements au sein de ce vaste tombeau : jamais ils n'y descendent. Les portraits de ce que leurs richesses y rassemblent à grands frais sont placés en miniature dans un cabinet secret de leur appartement ; et ils font venir à l'instant chez eux l'objet convoité par leur vit : de manière qu'il n'est guère de moment dans la journée où vous ne les trouviez se livrant tour à tour, soit à la plus excellente chère, soit aux divins objets qui meublent avec profusion leur sérail. A l'égard de leurs caprices obscènes, vous imaginez facilement qu'ils sont aussi dépravés que les vôtres ; et les individus passés de cette maison là dans celle-ci vous ont suffisamment persuadés que partout on la religion étaie le libertinage, ses effets sont toujours bien vifs. La plus extraordinaire de toutes les passions que j'observai parmi ces aimables célibataires, fut celle de dom Chrysostome, supérieur de la maison. Il ne jouissait jamais que d'une fille empoisonnée : il l'enculait dans les convulsions de la douleur, pendant que deux hommes le sodomisaient et le fouettaient alternativement. Si la fille n'expirait pas pendant l'opération, il la poignardait dès qu'il avait fini. Si elle tournait à la mort, il attendait l'instant des derniers soupirs pour lui remplir le cul de foutre. J'achevai de me corrompre et de me blaser avec ces bons pères ; et j'en étais au point que rien au monde ne parvenait plus à me faire bander. - Mon ami, dis-je un jour à Bonifacio, après deux ans de cette vie épicurienne, tout ce que nous faisons est délicieux ; mais c'est la force qui nous soumet les objets dont nous jouissons, et j'avoue que sous ce rapport ils me font moins bander que ceux qu'offrirait à mes désirs l'artifice ou la ruse. Revêtu de l'habit que tu m'as fait prendre, je n'ai plus pour travailler, d'après mes plans, que le saint et sacré tribunal de la confession. Je te conjure de me mettre à même d'y siéger bientôt, ainsi que tu m'en as flatté. Il est inouï combien cette idée m'excite ; incroyable à quel degré je compte profiter de tout ce que ce nouvel emploi va m'offrir, pour amuser à la fois mon avarice et ma luxure. - Eh bien ! dit Bonifacio, rien de plus simple. Et me remettant, huit jours après, la clef du confessionnal de la chapelle de la Vierge : Allez, me dit-il, heureux mortel, allez ; voilà le voluptueux boudoir que vous avez désiré, usez-en avec profusion ; grugez-y autant de jolis objets que j'en dévorai dans le même en huit ans, et je ne me repentirai pas de vous l'avoir fait obtenir... L'enthousiasme dans lequel me mettait ce nouveau grade, fut tel, que je n'en dormis pas de la nuit. Le lendemain, dès la pointe du jour, j'étais à mon poste ; et, comme nous étions dans la quinzaine de Pâques, ma matinée ne fut pas mauvaise. Je ne vous ennuierai pas de toutes les balivernes dont il me fallut essuyer le déluge ; je ne fixerai votre attention que sur une jeune fille de quatorze ans, nommée Frosine, noble, et d'une si délicieuse figure, qu'elle ne pouvait se montrer que voilée, pour éviter la foule dont elle était pressée chaque fois qu'elle s'offrait à découvert. Frosine se livra à moi avec toute la candeur et l'aménité de son âge. Son cœur n'avait encore rien dit, quoique aucune fille à Messine ne fût environnée de tant d'adorateurs ; mais son tempérament commençait à se faire entendre. Très jeune et très neuve encore, je fis si bien par mes questions, que je lui appris tout ce qu'elle ignorait. - Vous souffrez, ma belle enfant, lui dis-je avec componction, je le vois ; mais c'est votre faute ; la pudeur n'est pas si exigeante qu'il faille lui sacrifier la nature ; vos parents vous trompent sur la pratique de cette vertu sévère. Le tableau qu'ils vous en font, est aussi cruel qu'injuste. Créée par la nature, n'ayant reçu que d'elle les impressions de volupté qu'elle vous inspire, comment en y cédant, voudriez-vous donc l'outrager ? Tout dépend du choix que l'on fait ; qu'il soit bon, et vous n'aurez jamais à vous en repentir. Je vous offre à la fois mes conseils et mes soins ; mais il faut du mystère : je n'accorde pas cette faveur à toutes mes pénitentes ; et la jalousie que leur inspirerait cette préférence vous perdrait infailliblement. Venez demain à midi précis me demander dans cette chapelle ; je vous introduirai dans ma chambre, et je vous réponds que le calme, le bonheur et la tranquillité deviendront bientôt le fruit de mes démarches. Débarrassez-vous surtout de cette duègne incommode qui suit partout vos pas ; soyez absolument seule ; dites que je vous attends pour une conférence pieuse, et que l'on revienne vous prendre à deux heures. Frosine accepta tout ce que je lui proposais, et m'en jura l'exécution. Elle tint parole ; et voici, moi, de mon côté, les moyens que j'avais pris, et pour m'assurer la conquête de cette jeune personne, et pour l'empêcher de retourner jamais dans sa famille. Aussitôt après cette conversation, j'avais quitté Messine ; j'étais venu dans mon château en annonçant au couvent que d'indispensables affaires m'empêcheraient de revenir de quelques jours. Clementia me remplaçait : c'était elle qui devait répondre, lorsque Frosine me demanderait ; elle devait, en continuant toujours de séduire notre jeune innocente, l'amener insensiblement à consentir à me venir trouver à la campagne. Cela fait, par les soins de Bonifacio que je servais également dans ses aventures, afin d'obtenir son secours dans les miennes, par les soins de cet ami, dis-je, le bruit de l'enlèvement de Frosine allait se répandre dans toute la ville. Une lettre de l'écriture contrefaite de cette jeune fille devait être remise à ses parents : elle leur mandait, par cette missive, qu'un très grand seigneur de Florence, qui la guettait depuis longtemps, venait de la faire monter malgré elle dans une felouque génoise qui s'éloignait avec rapidité ; que ce seigneur faisait sa fortune en l'épousant, et que puisqu'il n'y avait rien dans ce projet qui blessait son honneur, elle l'acceptait, en priant ses parents de n'y porter aucun obstacle ; que d'ailleurs ils fussent extrêmement tranquilles, et qu'elle leur écrirait dès qu'elle serait arrivée. Il est un Dieu pour les ruses lubriques ; la nature les aime, elle les protège ; aussi en voit-on rarement échouer : mais de toutes celles qui avaient été imaginées, depuis bien longtemps, aucune, j'ose le dire, n'avait aussi complètement réussi. Frosine arriva dans ma terre le lendemain du jour où je lui avais donné rendez-vous dans la chapelle indiquée et dès le même soir elle fut soumise à mon libertinage. Mais quel fut mon étonnement lorsque j'aperçus qu'avec la plus jolie figure qu'il fût possible voir, Frosine était douée des plus minces attraits ! Je ne vis de mes jours un cul plus sec, une peau plus brune, pas un soupçon de gorge, et le con le plus baveux et le plus mal placé. Séduit par de jolis traits, je foutis néanmoins toujours, mais en la traitant mal ; on n'aime pas être dupe. Frosine reconnut sa faute, et la pleura amèrement, lorsque obligé de partir pour parer à tout par ma présence, elle se vit jetée par Clementia dans un obscur cachot, autant pour la dérober à toutes perquisitions, que parce qu'en ayant beaucoup trop joui, je n'étais pas fâché, d'après mon usage, de la rendre un peu malheureuse. Je trouvai Bonifacio très content du succès de nos ruses, mais fort empressé de jouir à son tour du bonheur de leur entreprise. J'eus beau lui dire que le sujet n'en valait guère la peine ; séduit par la naissance et la figure de Frosine, il voulut absolument vérifier ; et vous imaginez bien que je n'y mis aucune opposition. - Ce serait, me dit Bonifacio, l'occasion de faire une politesse à Chrysostome, notre supérieur ; plein d'amitié et de confiance en lui, je lui ai fait part de ta bonne fortune ; je suis certain du plaisir qu'il aurait à la partager. - Volontiers, répondis-je ; les mœurs, l'esprit, les goûts et le caractère de Chrysostome me conviennent, et je saisirai chaudement toutes les occasions qui me rapprocheront de lui. Nous partîmes ; mon sérail, toujours en activité, me fournit amplement de quoi satisfaire à l'avide luxure de mes compagnons ; et nous exécutâmes des atrocités. Vous savez la passion de Chrysostome, celle de Bonifacio portait également un grand caractère de singularité ; il aimait à arracher des dents ; quelquefois il enculait sa victime pendant que nous opérions ; d'autre fois Bonifacio arrachait, et nous sodomisions. Tous deux assouvirent amplement leur luxure avec Frosine ; et quand nous l'eûmes dépouillée des trente-deux belles dents que lui avait données la nature, le supérieur voulut l'immoler à sa manière. Vous vous rappelez sa passion. On fit avaler à cette malheureuse deux gros de sublimé corrosif dans de l'eau-forte ; et ses douleurs, ses crispations furent si violentes, qu'il devenait impossible de la fixer pour en jouir. Chrysostome en vint cependant à bout ; et ses jouissances furent marquées au coin de l'ivresse la plus extraordinaire, et du délire le plus inconcevable. Nous voulûmes l'imiter, et nous éprouvâmes bientôt qu'il n'existait rien en luxure d'aussi piquant que cette manière de jouir dont Chrysostome faisait ses délices. Cela est facile à concevoir, sans doute ; tout se rétrécit alors dans une femme ; ses sensations d'ailleurs, sont dans un degré d'irritation si violent, qu'il est impossible de n'être pas électrisé soi-même. - Ô Justine ! dit Clément en interrompant ici son confrère, vous le voyez Chrysostome raisonnait comme moi. On n'irrite jamais mieux ses sens que lorsqu'on a produit dans l'objet qui nous sert la plus grande impression possible, n'importe par quelle voie5. - Et qui doute de cette vérité ? dit Sévérino, était-ce la peine d'interrompre Jérôme pour y rappeler ? - Ce qu'il y a de bien sûr, poursuivit le narrateur, c'est que personne au monde n'en était convaincu comme Chrysostome, et qui que ce soit ne la mettait aussi souvent et aussi délicieusement en pratique. Frosine expira dans une de ces angoisses, ayant Bonifacio au cul, Chrysostome au con, et moi sous les aisselles. Ce ne fut pas la seule victime que nous immolâmes en ce genre. Nous en vînmes au point d'en sacrifier six à la fois de cette manière ; trois palpitaient sous nos yeux, pendant que nous en foutions chacun une en con, en cul et en bouche. Après les filles, nous essayâmes des garçons ; et nos lubricités redoublèrent. Nos orgies s'entremêlaient de discussions philosophiques ; nous n'avions pas plutôt commis une horreur, que nous cherchions à la légitimer ; personne n'y réussissait comme Chrysostome. - Il est bien étonnant, nous disait-il un jour, que les hommes soient assez fous pour attacher quelque prix à la morale ; j'avoue que je n'ai jamais conçu de quelle nécessité elle pouvait leur être : la corruption n'est dangereuse que parce qu'elle n'est pas universelle. On n'aime point le voisinage d'un malade qui a la fièvre maligne, parce qu'on redoute la contagion, mais si l'on en est attaqué soi-même, on ne craint plus rien. Il ne saurait exister aucun inconvénient parmi les membres d'une société totalement vicieuse : que toutes acquièrent le même degré de corruption, et toutes se fréquenteront sans péril. Il n'y aura plus alors que la vertu qui sera dangereuse ; n'étant plus le mode habituel de l'homme. il deviendra nuisible de l'adopter. Le changement seul d'un état à l'autre peut avoir des inconvénients : tout le monde se ressemble-t-il, tous les individus restent à la même place, il ne peut plus y avoir de dangers. Il est absolument égal d'être bon ou méchant, dès que tout le monde est l'un ou l'autre ; mais si le ton de la société est vertueux, il devient dangereux d'être méchant ; tout comme il le deviendrait d'être bon si tous les hommes étaient pervertis. Si donc l'état dans lequel on se trouve est nul, ou indifférent par lui-même, pourquoi craindre d'adopter plutôt l'un que l'autre ? et pourquoi s'étonner, s'affliger, je le suppose, du parti que l'on prend d'être méchant, quand tout nous y porte, et quand cela se trouve foncièrement égal ? Quel est l'être qui pourra me prouver qu'il est mieux de rendre les autres heureux que de les tourmenter ? Mettons, pour un moment, à part le plaisir que je puis prendre à me conduire de l'une ou de l'autre manière, est-il essentiellement utile que les autres soient heureux ? et si cela ne l'est pas, pourquoi me gênerais-je en les accablant d'infortunes ? Il me semble qu'il ne s'agit dans tout cela que de ce que je dois éprouver à l'une ou l'autre action ; car, étant, par nature, spécialement chargé de mon bonheur, et nullement de celui des autres, je n'aurai tort vis-à-vis d'elle que dans le cas où j'aurai négligé de me délecter d'après ses vues et d'après ses plans. Ce même être, que mes goûts ou mes violences rendent malheureux, parce qu'il est le plus faible avec moi, jouira de sa force avec un autre, et tout deviendra égal. Le chat détruit la souris, et est lui-même dévoré par d'autres animaux. Ce n'est absolument que pour cette destruction relative et générale que nous a créés la nature. Gardons-nous donc bien de jamais résister à la sorte de corruption, au genre d'immoralité où nous entraînent nos penchants ; il n'y a pas le plus petit mal à s'y livrer. Il résulte donc des principes que j'établis, que l'état le plus malheureux sera toujours celui où la dépravation des mœurs sera la plus universelle, parce que le bonheur étant bien visiblement dans le mal, celui qui s'y livrera le plus ardemment sera nécessairement le plus heureux. On s'est bien lourdement trompé, quand on a dit qu'il y avait une sorte de justice naturelle, toujours gravée dans le cœur de l'homme, et que le résultat de cette loi se trouvait être le précepte absurde de ne pas faire aux autres ce que nous ne voudrions pas qui nous fût fait. Cette loi ridicule, fruit de la faiblesse de l'être inerte, ne put jamais éclore dans le cœur de l'individu doué de quelque énergie ; et, si j'avais quelques principes moraux à établir, ce ne serait pas dans l'âme de l'être faible que j'irais chercher des préceptes. Celui qui craint de recevoir du mal, dira toujours qu'il n'en faut point faire ; tandis que celui qui se moque des dieux, des hommes et des lois, ne cessera jamais d'en commettre. Ce qu'il faut, c'est de savoir lequel des deux fait bien ou mal ; or, il me semble qu'une telle chose ne saurait se mettre en question. Je défie que l'homme vertueux puisse me soutenir de bonne foi qu'il a ressenti en se livrant à une bonne action, seulement le quart du plaisir éprouvé par celui qui vient d'en commettre une mauvaise. D'où vient donc, libre de choisir, que j'irais préférer le mode qui ne remue point à celui d'où naît perpétuellement l'agitation la plus tumultueuse et la plus agréable que puisse jamais éprouver l'homme ? Étendons nos idées ; jugeons la société entière ; et nous nous convaincrons aisément que la plus heureuse de toutes sera nécessairement celle qui sera la plus gangrenée, et cela, généralement dans tous les points. Je suis loin de me borner à quelques dépravations partielles ; je ne veux pas que l'on soit simplement libertin, ivrogne, voleur, impie, etc. ; j'exige qu'on essaie de tout, qu'on se livre à tout, et toujours préférablement aux écarts qui paraissent les plus monstrueux, parce que ce n'est pas en étendant la sphère de ses désordres que l'on doit nécessairement parvenir plus tôt à la dose de félicité promise dans le désordre. Les fausses idées que nous avons des créatures qui nous environnent, sont encore la source d'une infinité de jugements erronés en morale ; nous nous forgeons des devoirs chimériques envers ces créatures ; et cela, parce qu'elles s'en croient vis-à-vis de nous. Ayons la force de renoncer à ce que nous attendons des autres, et nos devoirs vis-à-vis d'eux s'anéantiront aussitôt. Que sont, je vous le demande, toutes les créatures de la terre vis-à-vis d'un seul de nos désirs ? et par quelle raison me priverai-je du plus léger de ces désirs pour plaire à une créature qui ne m'est rien et qui ne m'intéresse en rien ? Si j'en redoute quelque chose, assurément je dois la ménager, non pour elle, mais pour moi, parce qu'en général ce ne doit jamais être que pour moi que je dois agir dans le monde ; mais si je n'ai rien à en appréhender : je dois bien certainement en tirer tout ce que je puis pour améliorer mes plaisirs, et ne les considérer toutes que comme des êtres purement créés pour les servir6. La morale, je le répète, est donc inutile au bonheur ; je dis plus, elle y nuit ; et ce ne sera jamais qu'au sein de la corruption la plus étendue et la plus générale, que les individus, comme les sociétés, trouveront la plus forte dose possible de félicité sur la terre. Mettant bientôt ces systèmes en pratique, nous nous livrions, mes amis et moi, à tout ce que la débauche et la dépravation, à tout ce que le despotisme et la cruauté peuvent avoir de plus piquant et de plus raffiné. Telle était la situation de nos esprits, lorsqu'on vint amener à mon tribunal de justice un jeune garçon de seize ans, joli comme l'Amour, accusé d'avoir voulu empoisonner sa mère. Rien n'était plus réel ; toutes les preuves étaient contre lui. Il périssait infailliblement, lorsque mes amis et moi, nous consultant sur les moyens de tirer d'affaire un jeune homme dont nous brûlions tous trois de jouir, ma perfide imagination m'en suggéra un qui, non seulement sauvait le coupable, mais qui même faisait périr l'innocent. - Où est maintenant, dis-je à l'accusé, le poison dont on t'accuse d'avoir voulu te servir ? - Il est entre les mains de ma mère. - Eh bien ! affirme dans le dernier interrogatoire que tu vas subir que c'est elle qui voulait au contraire attenter à tes jours ; tu veux qu'elle périsse, elle périra ; es-tu content ? - Enchanté ! monseigneur, enchanté ! je déteste cette femme, et mourrais plutôt que de ne la pas perdre. - Donne pour preuve le poison qu'elle a dans les mains. - Oui ; mais on sait que je me le suis procuré chez l'apothicaire de ce bourg ; on sait la difficulté qu'il me fit, et la manière dont je la levai, en lui disant que je n'achetais cette drogue que par ordre de ma mère, et pour détruire les rats de sa maison. - N'y a-t-il que cela contre toi ? - Non. - Eh bien ! je te réponds à la fois de ta vie et de la mort de ta mère. J'envoie chercher le pharmacien. Gardez-vous, lui dis-je, de vouloir charger cet enfant ; c'est bien effectivement par ordre de sa mère qu'il acheta chez vous, l'autre jour, l'arsenic qui fait la matière de son procès ; et c'est bien entre les mains de sa mère que se trouve aujourd'hui ce poison ; elle voulait le faire périr, nous en sommes sûrs : une déposition contraire vous perdrait. - Mais, dit le droguiste, n'aurai-je pas tort dans tous les cas ? - Non ; rien de plus simple que d'avoir rempli les intentions d'une mère de famille, propriétaire d'une maison ; vous ne pouviez prévoir ses vues. Mais vous vous perdriez, si vous n'eussiez rempli que celles de l'enfant. Le botaniste, pénétré de ces raisons, parla comme je l'avais instruit ; le jeune homme soutint ce que je lui avais suggéré ; et sa malheureuse mère, abattue de ces calomnies, ne trouvant rien pour y répondre, périt sur l'échafaud, pendant que mes amis et moi, en face de son supplice, nous nous livrions, avec son fils, aux plus voluptueuses recherches de la sodomie. Je n'oublierai jamais qu'enculé par Bonifacio, je déchargeai dans le cul du jeune homme, au moment où sa mère expirait. La manière dont ce charmant jeune homme se prêta à nos plaisirs, la joie qui partit sur son front, en voyant les apprêts de la mort de celle qui lui avait donné la vie, tout nous donna de si hautes idées de ses dispositions, que nous nous cotisâmes pour lui faire un sort, et pour l'envoyer à Naples, ou l'âge, en mûrissant, en perfectionnant ses principes, en aura fait sans doute un des plus hardis scélérats de l'Europe. Quel crime ! nous eût ici crié la sottise ? vous avez rendu à la société un monstre, dont les forfaits perfectionnés coûteront peut-être des milliers de victimes ! Quelle excellente action ! répondrons-nous à la bêtise environnée des préjugés gothiques de la morale et de la vertu. Nous avons servi la nature, en lui aiguisant un des ressorts par lesquels elle opère le mal nécessaire dont elle est toujours affamée. Nous passâmes encore trois mois à ma terre, noyés dans la luxure et dans la débauche, lorsque des raisons de prudence nous contraignirent enfin de reparaître ou nous plaçait notre devoir. La première aventure que me valut mon poste de confesseur, en revenant de là, fut celle d'une dévote de trente ans, encore assez jolie ; elle était au lit de la mort lorsqu'elle m'envoya chercher. - Mon père, me dit-elle, il est temps que je répare la plus odieuse des injustices. Regardez le million en or que voilà déposé sur cette table, et fixez cette jeune fille, poursuivit-elle en me montrant une enfant de douze ans, d'une assez jolie figure ; rien de tout cela ne m'appartient, et j'avais la mauvaise foi de tout garder... Hélas ! qui sait ! j'aurais peut-être fait pis. Une de mes amies me remit en mourant à Naples, il y a deux ans, et cette fille et cet argent, en me faisant jurer de remettre l'un et l'autre au duc de Spinosa, à Milan. Séduite par l'or, j'ai tout gardé, mais le voile se déchire à l'instant où je touche, et le cri de ma conscience me trouble tellement, que je ne puis tenir à l'aveu de mes fautes et à vous en prescrire la plus prompte réparation. Quelque confiance que j'aie en vous, mon père, je me crois obligée de laisser un écrit à mes héritiers, qui les instruise de cette démarche. - Cette précaution, interrompis-je aussitôt, en divulguant inutilement vos torts, madame, prouverait en même temps votre défiance envers moi, et de ce moment je ne dois plus me mêler en rien de cette affaire. - Oh ! monsieur, monsieur, ne parlons plus de cet écrit, puisqu'il vous formalise ; vous seul satisferez à mon devoir ; vous seul apaiserez le cri de ma conscience, sans que personne en soit instruit. - Ce que vous faisiez, madame, répondis-je alors plus tranquillement, était affreux, sans doute ; et je ne sais si la simple restitution que vous vous proposez suffira pour apaiser le ciel. Puis reprenant avec sévérité : A quel point vous vous étiez permis de tromper à la fois l'amitié, la religion, l'honneur et la nature ! oh ! non, ne l'imaginez point, jamais cette simple restitution ne suffira. Vous êtes riche, madame, vous connaissez les besoins du pauvre ; joignez indispensablement à la somme restituée celle de la moitié de votre bien, pour vous réconcilier avec la justice céleste... Vous le savez, madame, vos fautes sont bien grandes, et ce sont les pauvres qui sont nos meilleurs avocats près de Dieu ; ne marchandez point avec votre conscience ; une fois devenue la proie des démons qui vous attendent, vous ne serez plus à même d'implorer l'Être suprême, et d'obtenir pour vos crimes la miséricorde dont ils ont un si grand besoin. - Vous m'effrayez, mon père ! - Je le dois, madame ; en ma qualité de médiateur entre le ciel et vous, je dois vous montrer les fléaux suspendus sur votre tête ; et quand vous en préviens-je ? au moment où vous pouvez encore les détourner : vous êtes perdue, si vous balancez. Étourdie du ton dont je prononçai ces dernières paroles, ma dévote se fit apporter sur le champ une cassette, dont les richesses qu'elle en sortit, s'élevant à 800 mille livres, équivalaient du reste à la valeur que j'exigeais, en lui demandant la moitié de son bien. - Tenez, me dit-elle en répandant des flots de larmes ; tenez, mon père, voilà ma dette acquittée ; priez pour ma pauvre âme, et rassurez-moi, je vous prie. - Je le voudrais, madame, répondis-je en faisant enlever l'or et la petite fille par Clementia, vêtue en duègne, et que j'avais amenée comme ma sœur ; oui, je désirerais de tout mon cœur pouvoir entièrement dissiper vos craintes ; mais le puis-je, sans vous tromper ? Vous devez, je le sens, compter sur la miséricorde de Dieu ; mais votre réparation peut-elle égaler l'offense ? cette réparation, qui ne porte que sur le tort que vous avez fait aux hommes, apaisera-t-elle un Dieu irrité ? Quand on réfléchit à la grandeur, à l'immensité de cet Être suprême, peut-on se flatter de l'adoucir, une fois qu'on a eu le malheur de l'offenser ? Connaissez le caractère de ce Dieu terrible dans l'histoire de son peuple ; voyez-le partout jaloux, vindicatif, implacable, et ces différents modes, qui seraient des vices dans l'homme, ne devenir que des vertus dans lui. Et en effet, perpétuellement outragé par ses créatures, sans cesse envié par le démon, comment, sans une étonnante sévérité, parviendrait-il à manifester son pouvoir ? La marque distinctive de l'autorité est nécessairement la rigueur ; la tolérance est la vertu du faible. Toujours le despotisme indiqua la puissance ; on a beau m'assurer que Dieu est bon, moi je dis qu'il est juste ; et la vraie justice ne s'accorda jamais avec la bonté, qui, prise dans sa véritable acception, n'est qu'un des effets de la faiblesse et de la bêtise. Vous avez cruellement outragé votre Créateur, madame ; la réparation est au-dessous de vos fautes ; et je ne saurais vous dissimuler qu'il n'est pas en mon pouvoir de vous garantir des équitables châtiments que vous méritez ; je ne puis qu'implorer l'Éternel pour le repos de votre âme. Je le ferai sans doute ; mais, faible et chétive créature comme vous, puis-je me flatter de réussir ? Les peines que vous avez à craindre sont épouvantables. Éternellement brûlée dans les foyers de l'enfer est, je le sens, une peine horrible, que l'imagination n'entrevoit qu'en frémissant ; tel est pourtant votre sort, et je ne vois aucun moyen de vous en préserver. Ici, je l'avoue, le désordre de mes sens, proportionné à celui que j'occasionnais dans ma bigote, se trouvait au-dessus de toute expression : je bandais à rompre ma culotte ; il y eut un moment même où je ne pus m'empêcher de me branler. - Oh ! mon père, dit alors la bénigne créature, sans s'apercevoir de mes mouvements, me donnerez-vous au moins l'absolution ? - Dieu m'en garde, répondis-je d'un ton ferme et sévère ; je ne compromettrai point jusque-là la médiation que j'ai reçue du ciel ; je n'assimilerai point, par cette sainte bénédiction, le coupable à l'homme de bien. L'exiger, oser me le demander même est un nouveau crime, dont le ciel doit inévitablement vous punir. Adieu, madame, vos forces faiblissent, je le vois ; rappelez toutes celles qui vous restent pour soutenir le moment cruel de votre apparition devant Dieu ; moment bien terrible sans doute, quand on n'y arrive que pour écouter la sentence céleste qui doit vous plonger aux enfers ! Ici la malheureuse s'évanouit ; et moi, ivre de luxure, de crime et de méchanceté, je donnai l'essor à mon vit furieux, et l'enfonçai dans le cul de ma dévote, qui, ne mourant que d'une maladie de langueur, avait su conserver assez de charmes pour inspirer encore des désirs. Il y avait longtemps, je l'avoue, que je n'avais fait une meilleure décharge. Mon opération faite, je disparus en emportant tous les bijoux que je pus trouver dans la chambre ; et j'appris, dès le même soir, que ma pauvre pénitente avait rendu son âme timorée au travers des flots de foutre dont j'avais inondé le passage. Je fis présent de la petite fille au couvent, et ne réservai pour moi que les richesses, que je commençais à préférer à tout. Cependant, au faîte du bonheur et du calme paisible dont ma philosophie me faisait jouir, j'éprouvais cette sorte d'inconstance, fléau de l'âme et trop funeste apanage de notre triste humanité ; blasé sur tout, il n'était plus aucune jouissance qui parvînt à me réveiller. J'inventais des horreurs, et je les exécutais de sang-froid ; en état de ne me rien refuser, quelque dispendieux que pussent être mes projets de débauche, je les entreprenais à l'instant. J'envoyais chercher les victimes de ma luxure jusque dans les îles de l'Archipel ; et mes émissaires se trouvant un jour en concurrence avec ceux du grand seigneur, j'eus la gloire et la satisfaction d'apprendre qu'ils l'avaient emporté sur ceux du sultan. Mais ce n'était plus tout cela qu'il me fallait ; une jouissance simple ne me faisait plus éprouver la moindre sensation ; j'avais besoin de crimes, et je n'en pouvais trouver d'assez forts. Un jour, examinant l'Etna, dont le sein vomissait des flammes, je désirais être ce célèbre volcan. Bouche des enfers, m'écriai-je en le considérant, si comme toi je pouvais engloutir toutes les villes qui m'environnent, que de larmes je ferais couler ! A peine mon invocation est-elle prononcée, que j'entends du bruit près de moi : un homme m'écoutait. - Vous venez, me dit ce personnage, de former un étrange désir. - Dans l'état où je suis, répondis-je avec humeur, on en forme de plus extraordinaires encore. - Soit, me répond mon homme ; mais tenons-nous-en à celui que vous venez de prononcer, et apprenez de moi qu'il est possible. Je suis chimiste ; j'ai passé ma vie à étudier la nature, à lui dérober ses secrets ; et, l'immoralité nourrissant mes études, ce n'est, depuis vingt ans, qu'au malheur des hommes que je consacre mes découvertes. Vous voyez comme je vous parle ; votre singulier désir m'a convaincu de la confiance que je pouvais avoir en vous ; apprenez donc qu'on peut contrefaire les terribles éruptions de cette montagne ; si vous voulez, nous l'essaierons ensemble. - Monsieur, dis-je à cet homme en l'invitant de s'asseoir avec moi près d'un arbre, causons, je vous supplie. Est-il bien vrai que vous puissiez imiter un volcan ? - Rien de plus aisé. - Et nous produirons par l'effervescence de ce volcan factice les mêmes effets qu'un tremblement de terre ? - Absolument. - Nous détruirons des villes ? - Nous les abîmerons, nous bouleverserons l'île entière. - Agissons, monsieur, agissons ; je vous couvre d'or si vous réussissez. - Je ne vous demande rien, me répondit mon homme ; le mal m'amuse, et, lorsque je m'y livre, jamais je ne m'en fais payer. Je ne vends que les recettes qui sont utiles aux hommes ; je distribue pour rien toutes celles qui leur nuisent. Je ne pouvais me lasser de considérer ce personnage. Qu'on est heureux, monsieur, lui dis-je avec enthousiasme, lorsqu'on rencontre des gens qui pensent comme nous ! Et dites-moi, homme céleste ! quel est le motif qui vous fait faire le mal ? et qu'éprouvez-vous en le faisant ? - Écoutez-moi, me dit Almani (c'était le nom de ce chimiste), je vais répondre à vos deux questions. Le motif qui m'engage à me livrer au mal est né chez moi de la profonde étude que j'ai faite de la nature. Plus j'ai cherché à surprendre ses secrets, plus je l'ai vue uniquement occupée à nuire aux hommes. Suivez-la dans toutes ses opérations : vous ne la trouverez jamais que vorace, destructive et méchante, jamais qu'inconséquente, contrariante et dévastatrice. Jetez un instant les yeux sur l'immensité des maux que sa main infernale répand sur nous en ce monde. A quoi servait-il de nous créer pour nous rendre aussi malheureux ? pourquoi notre triste individu, ainsi que tous ceux qu'elle produit sortent-ils de son laboratoire aussi remplis d'imperfections ? Ne dirait-on pas que son art meurtrier n'ait voulu former que des victimes, que le mal ne soit son unique élément, et que ce ne soit que pour couvrir la terre de sang, de larmes et de deuil qu'elle soit douée de la faculté créatrice... que ce ne soit que pour déployer ses fléaux qu'elle use de son énergie ? Un de vos philosophes modernes se disait l'amant de la nature ; eh bien, mon ami, je m'en déclare le bourreau. Étudiez-la, suivez-la, cette nature atroce, vous ne la verrez jamais créer que pour détruire, n'arriver à ses fins que par des meurtres, et ne s'engraisser comme le Minotaure, que du malheur et de la destruction des hommes. Quelle estime, quel amour pourriez-vous donc avoir pour une force semblable, dont les effets sont toujours dirigés contre vous ? Lui voyez-vous jamais dispenser un don sans qu'une peine grave l'accompagne ? Si elle vous éclaire douze heures, c'est pour vous plonger douze autres dans les ténèbres ; vous laisse-t-elle jouir des douceurs de l'été, ce n'est qu'en les accompagnant des horreurs de la foudre ; près de l'herbe la plus salutaire, sa main traîtresse fait germer les poisons ; elle hérisse le plus beau pays du monde de volcans qui le mettent en cendres ; se pare-t-elle un instant à vos yeux, c'est pour se couvrir de frimas l'autre partie de l'année ; nous donne-t-elle quelque vigueur pendant les premiers temps de notre vie, c'est pour nous accabler pendant la vieillesse et de tourments et de douleurs ; vous laisse-t-elle un moment jouir du bizarre tableau de ce monde, c'est pour qu'en parcourant la funeste carrière qui le présente à vos yeux, vous soyez à chaque pas effrayé des affreux malheurs qui la couvrent. Voyez avec quel art méchant elle entremêle vos jours d'un peu de plaisir et de beaucoup de peines ; examinez de sang-froid, s'il vous est possible, les maladies dont elle vous accable, les divisions qu'elle fait naître parmi vous, les suites effroyables dont elle veut que vos plus douces passions soient entremêlées : près de l'amour est la fureur ; près du courage, la férocité ; près de l'ambition, le meurtre ; près de la sensibilité, les larmes ; près de la sagesse, toutes les maladies de la conscience. Dans quelle situation affreuse vous met-elle, en un mot, puisque le dégoût de la vie devient tel en votre âme, qu'il n'est pas un seul homme qui voulût recommencer à vivre, si on le lui offrait le jour de sa mort ? Oui, mon ami, oui, j'abhorre la nature ; et c'est parce que je la connais bien, que je la déteste : instruit de ses affreux secrets, je me suis replié sur moi-même, et j'ai senti (voilà ma réponse à votre seconde question), j'ai éprouvé une sorte de plaisir indicible à copier ses noirceurs. Eh bien, ai-je continué de me dire, est-ce un être assez méprisable, assez odieux, que celui qui ne me donna le jour que pour me faire trouver du plaisir à tout ce qui nuit à ses semblables ! Eh quoi ! (j'avais seize ans alors) à peine suis-je sorti du berceau de ce monstre, qu'elle m'entraîne aux mêmes horreurs que celles qui la délectent elle-même ! Ce n'est plus corruption ici : à peine suis-je né, c'est inclination, c'est penchant. Sa main barbare ne sait donc pétrir que le mal ; le mal la divertit donc ? et j'aimerais une mère semblable ! Non ; je l'imiterai, mais en la détestant ; je la copierai, elle le veut, mais ce ne sera qu'en la maudissant ; et, furieux de voir que mes passions la servent, je vais si bien démêler ses secrets, que je puisse, si cela m'est possible, devenir encore plus méchant, pour la mieux heurter toute ma vie. Ses filets meurtriers sont tendus sur nous seuls ; essayons de l'y envelopper elle-même en la masturbant, si je peux : barrons-la dans ses œuvres pour l'insulter plus vivement ; et troublons-la, s'il est possible, pour l'outrager plus sûrement. Mais la putain s'est moquée de moi, ses ressources l'emportent sur les miennes : nous luttions trop inégalement. En ne m'offrant que ses effets, elle me voilait toutes ses causes. Je me suis donc restreint à l'imitation des premiers ; ne pouvant deviner le motif qui plaçait le poignard en ses mains, j'ai su lui ravir l'arme, et m'en suis servi tout comme elle. - Oh ! mon ami, m'écriai-je dans l'enthousiasme, je ne vis jamais une imagination plus ardente que la vôtre... Quelle énergie !... quelle vigueur ! et que de mal vous avez dû faire dans le monde avec une tête aussi vive. - Je n'existe que par le mal et pour le mal, me répondit Almani ; le mal seul m'émeut ; je ne respire qu'en le commettant ; mon organisation n'est délectée que par lui seul. - Almani, interrompis-je avec chaleur, vous bandez sans doute, en vous y livrant. - Jugez-en, me dit le chimiste, en me mettant à la main un vit gros comme le bras, et dont les veines violettes et gonflées semblaient prêtes à s'ouvrir sous la violence du sang qui y circulait. - Et vos goûts, mon cher, quels sont-ils ? - J'aime à voir périr une créature dans quelques-unes de mes expériences ; je fous une chèvre pendant ce temps-là, et le décharge quand la créature expire. - Et des hommes, vous n'en foutez point ? - Jamais ; je suis bestialitaire et meurtrier, je ne sors pas de là. Almani finissait à peine de me répondre, qu'une lave s'ouvrit à nos pieds. Je me lève, effrayé ; et lui, sans s'émouvoir, ballottant toujours son vit à pleine main, me demande flegmatiquement où je vais. - Ne bougez donc pas, me dit-il ; vous voulez connaître mes passions ; venez-en voir une ; venez, poursuivit-il en se branlant, venez voir jaillir les flots de mon foutre dans ceux de bitume et de soufre dont l'aimable nature entoure ici nos pas ; il me semble que je suis aux enfers, que je décharge dans ses feux ; cette idée m'amuse ; je n'étais ici que pour y satisfaire. Il jure, il blasphème, il tempête, et son sperme élancé vole éteindre la lave. - Almani, suivez-moi, lui dis-je ; je désire infiniment vous connaître plus à fond ; j'ai des victimes à vous offrir ; je veux d'ailleurs apprendre vos secrets. Nous retournâmes chez moi. Le chimiste admira mon habitation, loua mes goûts, s'amusa de mon sérail. Je lui donnai des chèvres, et je les lui fis foutre avec plaisir, pendant qu'avec un fil il attirait la foudre sur la tête d'une jolie Napolitaine de seize ans, qui mourut dans l'opération ; il en frappa une autre par l'électricité, qui expira dans d'horribles douleurs ; il accumula tellement le poids de l'air sur les poumons d'une troisième, qu'elle fut étouffée dans une demi-seconde. Il examinait toute nue la victime de ses opérations, lui maniait et baisait fort longtemps les fesses, gamahuchait le trou du cul, et trouvait, disait-il, dans ce seul épisode, toute la dose d'irritation nécessaire à condamner le sujet à la mort. Ses expériences se portèrent aussi sur de jeunes garçons qu'il traita de même. Il m'apprit ensuite plusieurs de ses secrets, et nous procédâmes à la grande expérience qui avait fait l'objet du voyage. Le procédé était simple. Il ne s'agissait que de former des pains de dix à douze livres, pétris avec de l'eau, de la limaille et du soufre ; on plaçait ces pains à trois ou quatre pieds en terre, dans une distance de plusieurs lieues, à vingt pouces environ l'un de l'autre ; dès que ces masses étaient échauffées, l'éruption se faisait d'elle-même. Nous multipliâmes tellement ces dépôts, que l'île entière éprouva l'un des plus furieux bouleversements qui l'eût encore agitée depuis plusieurs siècles. Dix mille maisons furent renversées dans Messine, cinq édifices publics écrasés, et vingt-cinq mille âmes devinrent la proie de notre insigne méchanceté. - Mon cher, dis-je au chimiste dès que notre opération fut terminée, quand on a fait tant de mal ensemble, le plus sûr est de se séparer ; prends ces cinquante mille francs, et ne parlons jamais l'un de l'autre... - Le silence, oui, je le promets, répondit Almani ; l'argent, je le refuse. Ne vous souvient-il plus que je vous ai dit que je ne me faisais jamais payer du mal que j'opérais ? Si j'avais fait du bien chez vous, l'accepterais une récompense ; mais je n'y ai fait que du mal... du mal qui m'a fait plaisir ; nous sommes quittes. Adieu. Mon dégoût pour la Sicile redoubla quand j'y eus produit ce terrible événement ; et, sentant qu'il n'était plus rien au monde qui pût m'y fixer à l'avenir, je mis mon bien en vente, après avoir égorgé tous les sujets de mon sérail, et Clementia elle-même, malgré son extrême attachement pour moi. Frappée de ma barbarie et de mon ingratitude, surprise de me voir lui réserver avec recherche un plus affreux supplice qu'aux autres, elle osa m'adresser des reproches. - Ô Clementia, lui dis-je, que tu connais mal le cœur d'un libertin tel que moi, dès que tu ne t'es pas défiée du sort que je préparais ! ne sais-tu donc pas que la reconnaissance dont tu crois surcharger mon âme ne devient sur ses ressorts usés qu'un véhicule de plus pour les diriger vers le crime ; et que si j'éprouve, en t'immolant, quelque chagrin ou quelque remords, c'est de ne t'en pouvoir faire assez. Elle mourut sous mes yeux, et je déchargeai violemment. Je m'embarquai pour l'Afrique avec le projet de m'associer aux barbares de ces affreux cantons, pour devenir, si je le pouvais, mille fois encore plus féroce qu'eux. Mais, c'est ici où l'inconstance de sort voulut me convaincre, en me faisant éprouver ses revers, que si la main favorise presque toujours les forfaits, ceux qui ont été bourreaux doivent néanmoins devenir victimes à leur tour, quand de nouveaux persécuteurs se présentent... Vérité qui pourtant ne prouve rien pour la vertu, puisqu'on la voit, dans les récits que je vous fais, presque à tout moment tourmentée ; mais qui doit seulement nous apprendre que l'homme, jouet par sa faiblesse de tous les caprices de la fortune, ne doit leur opposer, s'il est raisonnable, que la patience et le courage. Je m'étais embarqué à Palerme sur un petit bâtiment léger que j'avais frété pour moi seul. A peine fûmes-nous à la hauteur des roches de Quels, que nous aperçûmes les côtes de l'Afrique. Parvenus là, un corsaire barbaresque nous attaque, et nous prend sans aucune résistance. En un moment, mes amis, je me vois privé de ma fortune et de ma liberté ; je perds en une minute tout ce que les hommes ont de plus cher. Hélas ! me dis-je, dès que je fus enchaîné, si cet argent mal acquis tombait en de meilleures mains, peut-être croirais-je en l'équité de la fortune ; mais sera-t-il mieux placé dans la bourse de ces scélérats qui ne croisent ces parages, que pour peupler le sérail du bey de Tunis ? sera-t-il mieux là, dis-je, que chez moi qui formais aussi des sérails ? Où donc est-elle cette sublime justice du sort ? Patience, ce n'est ici qu'un de ses caprices : celui-ci me ruine aujourd'hui, un second me relèvera. En peu d'heures nous arrivâmes à Tunis. Mon patron me présenta au bey, qui donna ordre à son bostangi de m'employer sur-le-champ aux jardins ; et mes richesses furent confisquées. Je voulus faire quelques représentations ; on m'objecta que j'étais prêtre d'une religion en horreur à Mahomet, et que jamais on ne rendait ces biens-là. Il fallut se taire et travailler. Ayant à peine trente-deux ans, j'étais au moins dans l'âge de la force, et quoique énervé par mes débauches, je me sentais encore toute l'énergie nécessaire à souffrir patiemment mon sort. Mal nourri, mal couché, travaillant beaucoup, si mon physique éprouvait quelque altération, mon moral, j'ose l'affirmer, n'en ressentait aucune, et je me sentais toujours dans l'esprit la même luxure et la même méchanceté7 ; quelquefois j'envisageais les murs du sérail, au pied desquels je travaillais, et je me disais : Ô Jérôme ! et toi aussi tu as eu un sérail, et de délicieuses victimes qui le peuplaient ; et te voilà, par ta faute, réduit à servir ceux avec lesquels tu rivalisais. Un soir que je me livrais à ces tristes réflexions, je vois un billet tomber à mes pieds ; je me hâte de le ramasser. Dieu ! quelle est ma surprise, en y reconnaissant l'écriture et le nom de Joséphine... de cette infortunée que j'avais vendue à Berlin, avec la certitude qu'elle ne m'était achetée que pour devenir la victime d'un meurtre de débauche. « Il est délicieux de rendre le bien pour le mal (me disait Joséphine dans ce billet). Vous m'avez crue victime de la rage d'un scélérat ; et vous m'avez livrée, pour que je le devinsse ; mon étoile m'a préservée du sort affreux que vous me destiniez. Mais si vraiment je la crois heureuse, c'est au moment où elle me met à même de briser vos fers. Demain à la même heure vous recevrez, pour gage de mes sentiments éternels, une bourse de trois cents sequins de Venise et le portrait de celle que vous aimâtes autrefois... Une lettre y sera jointe ; elle vous apprendra les moyens de nous sauver tous deux. Adieu, monstre... que j'aime toujours malgré moi ; si tu ne me payes pas de retour, respecte au moins celle... qui ne se venge de toi que par des bienfaits. » JOSÉPHINE. Inconcevables effets du plus affreux de tous les caractères ! mon premier mouvement fut d'être désolé de voir échappée au supplice une victime que j'y avais envoyée ; mon second fut de me trouver piqué de devoir un service à celle... que je n'avais jamais voulu que maîtriser. N'importe, me dis-je, acceptons ; l'important est de se tirer d'ici. Elle éprouvera, quand je me serai servi d'elle, quels sont, dans un cœur comme le mien, les résultats de la reconnaissance. Le second billet, l'argent, le portrait, tout arriva à l'heure indiquée. Je baisai l'argent, crachai sur le portrait, et lus le billet avec avidité. On m'y apprenait qu'on était devenue maîtresse d'une fortune considérable que je serais le maître de partager, si je le voulais, et surtout si je le méritais ; que j'eusse à aller parler sur-le-champ, dans l'endroit qui m'était indiqué, au maître d'un navire qui m'attendait, et que je convinsse avec lui, et du prix qu'il nous demandait pour nous conduire à Marseille, et des moyens à prendre pour nous esquiver l'un et l'autre. Je vole chez l'homme dont on me parle, et j'en reçois toute sorte de satisfactions. Delmas était un vieux renégat repentant, qui brûlait de revoir sa patrie, et d'arracher aux Turcs le plus de victimes qu'il lui serait possible. - Tenez, me dit-il, voici d'abord une échelle de soie que vous ferez passer à votre protectrice ; joignez-y cette eau dont elle coupera ses grilles, rien qu'en les frottant avec. Une fois dans les jardins, où, comme vous croyez bien, elle ne doit arriver même de nuit, elle se transportera chez moi par le même chemin que vous venez de prendre ; je la cacherai dans mon bâtiment où vous viendrez vous jeter dès que le bagne sera ouvert. Tout joyeux de ces bonnes nouvelles, je retourne au pied du sérail. Je fais le signal convenu ; on y répond. Une ficelle m'arrive ; j'y attache l'échelle, la liqueur, et un mot de réponse où je fais éclater des sentiments de tendresse et de reconnaissance... exprimés du mieux qu'il m'était possible. La jalousie se referme, et, le lendemain un dernier billet m'annonce que l'exécution du projet sera pour la nuit suivante ; on m'invite à ne pas l'oublier, afin d'être sûr de trouver Joséphine, son cœur et ses trésors, le lendemain de bonne heure, à fond de cale du bâtiment de Delmas. Je fus exact. Je ne vous parlerai point de la scène de reconnaissance ; elle fut tendre du côté de Joséphine, arrosée même de ses larmes ; du mien, sévère et toujours accompagnée de ce sentiment intérieur de méchanceté qui ne me permettait pas qu'un individu tombât dans mes mains, sans que j'éprouvasse à l'instant le plus vif désir d'exercer sur lui mon empire. Joséphine avait atteint l'âge où les traits, en se développant, changent en beauté leur finesse : c'était véritablement une très belle femme. En attendant que le patron mit à la voile, nous bûmes une bouteille de vin de Syracuse ; et la chère fille me raconta ses aventures. L'homme qui l'achetait à moi, était Frédéric, roi de Prusse, qui, sur le récit de son frère, avait vivement désiré l'immolation de cette créature. Assez heureuse pour échapper au supplice effrayant qui lui était destiné, par l'entremise de ce valet de chambre qui l'avait engrossée, elle s'était évadée de Berlin dès la même nuit, et avait passé comme moi à Venise. Différentes aventures galantes l'avaient soutenue dans cette ville, jusqu'à ce qu'un pirate tunisien l'eût enlevée et vendue au bey dont elle était devenue la favorite. Ce qu'elle m'apportait, quoique très considérable, n'était pourtant que le tiers au plus des richesses dont ce souverain l'avait comblée ; mais elle n'avait pu emporter que cela ; il y en avait à peu près pour cinq cent mille francs. - Allons, ma chère, dis-je à Joséphine, voilà de quoi nous établir à Marseille ; nous sommes l'un et l'autre assez jeunes pour nous flatter de faire fructifier cet argent, et pour espérer d'être riches un jour. Ma main, continuai-je faussement, deviendra, dès en arrivant, la récompense de tes soins, s'il est vrai que tu puisses réellement me pardonner le crime affreux dont je suis coupable envers toi. Mille tendres baisers de Joséphine furent sa réponse. Nous étions cachés à tous les yeux ; le calme régnait encore dans le bâtiment ; les douceurs de la liberté, les fumées de Bacchus, tout nous enflamma, au point que les sacs sur lesquels nous étions servirent de trône à la volupté. Il y avait longtemps que je n'avais déchargé. Je retrouvais une femme sur laquelle ma perfide imagination me faisait concevoir déjà d'affreux projets de méchanceté. Joséphine fut troussée par derrière ; la supériorité de ses fesses me tenta ; elles étaient étonnamment bien conservées ; je l'enculai. - Ranime-moi, lui dis-je, dès que j'eus fini ; détaille à ma lubricité les tableaux de celle du bey. Comment se conduit-il avec une femme ? - Ses goût sont singuliers, me répondit Joséphine ; il faut, avant que de l'aborder, qu'une femme soit toute nue, prosternée à plat ventre, trois grandes heures, sur un tapis. Deux icoglans8 le branlent pendant ce temps là. Quand leur maître bande, ils vont relever la femme, et la lui conduisent. Elle s'incline ; alors les icoglans lui attachent les pieds et les mains. De ce moment il faut qu'elle tourne avec une rapidité prodigieuse jusqu'à ce qu'elle tombe. Sitôt qu'elle est à bas, il se jette sur elle, et l'encule. C'est la seule manière dont il jouisse des femmes ; et son amour pour elles se règle sur le plus ou moins de vitesse avec laquelle elles tournent. Je ne lui avais plu que par mon talent en ce genre ; et tous les présents que j'en ai reçus, n'en sont que la récompense. Échauffé de ce récit, je sodomisai Joséphine une seconde fois, et j'éprouvai, je l'avoue, une sorte de volupté à me sentir dans le même cul qui faisait décharger un empereur turc, lorsque Delmas, entrant tout à coup, pensa nous prendre sur le fait. Il venait nous avertir qu'il allait mettre à la voile, et que libres, dans une heure ou deux, nous pourrions aller le trouver dans la chambre du capitaine. Nous y fûmes. Joséphine ayant confié au renégat le projet qu'elle avait de s'établir avec moi dans une maison de commerce à Marseille, je démêlai promptement, par les réponses du patron, qu'il avait assez d'argent pour se mettre en tiers avec nous. De ce moment je conçus le dessein de le voler, d'égorger même mes deux bienfaiteurs ; et, m'emparant de leurs richesses et de leur vaisseau, de cingler vers Livourne, au lieu de Marseille, afin de me dérober aux poursuites. Dans cette intention j'échauffai la tête de Delmas pour Joséphine, et j'engageai en même temps celle-ci à ne pas se montrer trop récalcitrante aux intentions du renégat sur elle, afin de tirer de lui une infinité d'éclaircissements et de facilités à la conclusion d'un projet que je ne pouvais conduire seul, vu mon peu d'aptitude en cette partie. Ces premières tentatives eurent tout le succès que je pouvais en attendre ; et dès la seconde nuit Delmas coucha avec Joséphine. C'était tout ce que je désirais. A peine les crois-je ensemble, que je force la sentinelle, le poignard à la main, en réunissant autour de moi le plus que je peux des gens de l'équipage. - Mes amis, leur dis-je, voyez à quel point ce scélérat me trahit ; je lui confie ma femme, voilà l'usage qu'il en fait. Et tombant sur le couple endormi, je veux le percer de mille coups. Mais Delmas éveillé avait l'air de s'attendre à tout ; il tire sur moi, me manque. Je me précipite sur lui ; je le poignarde avec l'indigne objet de sa couche, et les laisse baignés dans leur sang. Remontant alors sur le tillac, je réunis l'équipage autour de moi ; je le harangue. - Mes camarades, leur dis-je, l'horreur dont la plupart de vous ont été les témoins, m'a seule contraint à ce que je viens de faire. J'ai puni un scélérat qui n'était pas fait pour vous commander, puisqu'il portait à ce point la dépravation et l'impudeur. Delmas était de moitié avec moi dans les frais de cet embarquement ; et, quoique vous m'ayez vu sous l'habit d'esclave, je n'en possède pas moins une fortune égale à la sienne : je lui succède donc de droit. Comptez sur ma probité et sur mes talents ; je vous guiderai mieux que lui. Le voyage sera à peu près le même ; je n'y change que la destination. Pilote, dirige-nous vers Livourne ; mes relations commerciales me déterminent à préférer ce port à celui de Marseille ; et, quant à vous, mes amis, d'aujourd'hui je double votre paye. Ce discours me valut d'universels applaudissements. On jeta les morts à la mer ; je m'emparai de toutes leurs richesses ; et nous cinglâmes. Ô fortune ! m'écriai-je dès que je fus tranquille, tu répares donc tes torts envers moi. Ce sera sans doute ici la dernière de tes secousses, et tu finiras par me convaincre, ainsi que tous ceux qui sauront mon histoire, que si tu nous jettes quelquefois d'écueils en écueils, c'est pour nous mieux faire sentir tous les délices dont ta main nous couronne au port. Mon compte fait, ma capture, sans comprendre le vaisseau que je vendais en arrivant à Livourne, pouvait se monter à douze cent mille livres ; et je nageais délicieusement dans les plaisirs que l'espoir fait si bien goûter à l'esprit, lorsque la sentinelle de quart avertit qu'un corsaire court sus. Reconnaissant la supériorité de mes forces, j'ordonne l'abordage ; je m'élance sur le pont, mon équipage me suit. La mort vole sous nos coups ; nous nous baignons déjà dans le sang ; je pénètre, le sabre à la main, dans la chambre du capitaine. Ciel ! quel objet frappe mes yeux !... Juste ciel ! quelle est ma surprise !... C'est Joséphine... Joséphine, que je croyais avoir poignardée sur le vaisseau de Delmas. D'un revers affreux j'abats l'homme qui veut la défendre ; puis m'adressant à elle : - Par quelle fatalité, m'écriai-je, ton détestable individu s'offre-t-il sans cesse à mes yeux ? - Déchire-le, cet individu qui t'excède, dit Joséphine en ouvrant son sein ; oui, presse-toi de l'anéantir cette fois-ci. Je suis coupable ; je te poursuivais, avec le dessein de t'arracher la vie : tu triomphe, perfide, rends-toi maître de la mienne ; et sache avant, si tu le veux, par quelle fatalité tu me revois, quand tu te réjouissais déjà de ma mort. Je te connaissais, Jérôme ; tes ruses ne m'en imposèrent pas ; je les dévoilai toutes à Delmas. Te soupçonnant un violent parti parmi les matelots, nous préférâmes l'adresse à la force. Le renégat me fit évader le soir, dans la chaloupe du vaisseau, seulement escortée de deux rameurs ; et, pour mieux découvrir tes projets, passa la nuit avec une des servantes de l'équipage, que tu as prise pour moi, et que tu as sans doute égorgée avec lui, puisque c'est toi qui commande ici. Je devais, moi, fuir lestement vers un petit bâtiment que nous savions peu loin de nous, semblable à celui de Delmas, et monté par un renégat comme lui... le voilà, tu viens de l'étendre à tes pieds. Ce capitaine, prévenu par la lettre que je lui portais, devait avoir l'air d'attaquer Delmas, de le vaincre, de te mettre aux fers. N'était-il pas temps que je me vengeasse de tes perfides complots ? Tu l'emportes, Jérôme ; voilà mon défenseur sans vie ; je te le répète, hâte-toi de prendre la mienne. Si le ciel me rendait l'avantage, sois sûr que tu ne m'échapperais pas. Tu es un ingrat, dès que tu as pu faire taire en toi l'organe sacré de la reconnaissance ; et je ne veux plus être l'amie d'un monstre. Ici la fureur se réunissant dans mon âme à tous les sentiments de dégoût et de rage qui m'avaient déjà fait proscrire cette infernale créature, je la fis aussitôt couvrir de fers et jeter dans les cales de mon bâtiment. Puis, faisant remorquer le sien par le mien, nous continuâmes de voguer vers Livourne. Mais le soir, un peu délassé de mes fatigues, venant de boire quelques bouteilles de vin grec, mon infernal vit me rappela bientôt que j'avais une délicieuse victime à lui offrir. J'avais soupé avec un petit mousse, que j'aimais beaucoup, et qui me branlottait sur mes idées. Le plus délicieux projet de vengeance enflamme aussitôt mon imagination. Je fais monter la victime dans ma chambre ; je la livre, en détail, à tous les matelots de l'équipage. Je branlais leurs engins, et les introduisais alternativement ainsi, tantôt au con, tantôt au cul. Aussitôt qu'un d'eux avait fini, je l'obligeai à distribuer cent coups de corde, tant sur les reins que sur les fesses de sa jouissance, et à lui frotter le visage de son cul. Soixante-quatre hommes lui passèrent ainsi sur le corps ; et elle reçut six mille quatre cents coups d'étrivière. J'étais le seul qui n'eût pas déchargé. Je me branlais en considérant Joséphine évanouie, à terre, au milieu de ma chambre ; j'aimais à voir là celle qui venait de tout risquer pour moi, et qui, si elle se vengeait enfin, en avait, il faut en convenir, obtenu de bien puissants droits. Jamais encore une telle irritation ne s'était emparée de mes sens ; mon foutre échappait malgré moi. Je désirais une mort horrible à cette créature ; vingt projets s'offraient à mon esprit, qui les rejetait aussitôt, comme trop faibles. Je voulais réunir sur son individu toutes les douleurs de l'humanité, et nulle ne me paraissait assez forte dès que je la détaillais. - Ô Jérôme, s'écria-t-elle en revenant à la vie et devinant mes pensées, je pourrais vivre encore, et vivre pour t'aimer ; tu sais ce que j'ai fait pour toi ; qui de nous deux eut tort le premier ? Mais loin de m'attendrir, la gueuse m'électrisait de plus en plus. Je la foulais aux pieds, je lui frappais le sein, je lui mordais les fesses ; je ressemblais au tigre, maître enfin de sa proie, et qui n'amuse sa fureur que pour l'irriter davantage. J'étais ivre, en un mot, de luxure et de frénésie, lorsque mes gens vinrent m'avertir que le bâtiment que nous traînions gênait infiniment la manœuvre. Ce fut alors que je me déterminai enfin au singulier projet que vous allez voir. Je fis garrotter Joséphine, nue, au mât de ce vaisseau ; je le chargeais de poudre ; je fis couper les câbles qui l'attachaient au mien ; puis, allumant une mèche de communication, seul lien qui restât entre ce navire et nous, je le fis éclater dans les airs, et me donnai, tout en foutant mon petit mousse, le délicieux plaisir de voir retomber pour jamais dans les flots les membres déchirés de celle qui m'avait tant aimé jadis, et qui tout récemment encore venait de me rendre à la fois une fortune et la liberté... Oh ! quelle décharge, mes amis ! je n'en avais jamais fait de meilleure. Nous arrivâmes enfin à Livourne, où j'eus l'avantage de prendre terre dans le meilleur état du monde. Je congédiai mes gens ; je vendis mon vaisseau ; et, réalisant aussitôt mes effets en traites sur Marseille, après m'être reposé quelques jours, je gagnai cette ville par terre, ne voulant plus m'exposer aux dangereux hasards d'un élément dont j'avais aussi bien éprouvé l'inconstance. Marseille est une ville délicieuse, où l'on trouve à la fois tout ce qui peut flatter les passions du libertinage, dans l'un et l'autre genre. Chère excellente, climat divin, abondance d'objets de luxure ; en fallait-il plus pour y fixer un débauché tel que moi ! Je n'avais point repris le costume ecclésiastique ; sûr d'en recouvrer les droits dès que je le voudrais, j'étais bien aise de jouir quelque temps des libertés de l'habit du monde. Je louai une jolie maison sur le port, un excellent cuisinier, deux filles pour me servir, et deux excellents maquereaux, à l'un desquels je distribuai la classe des gitons, tandis que je chargeai l'autre de la partie des femmes : tous deux me servirent si bien, que, dans ma première année, j'avais déjà vu plus de mille fiançons et près de douze cents jeunes filles. Il existe à Marseille une caste de ces créatures, connue sous le nom de Chaffrecane, absolument composée d'enfants de douze à quinze ans, travaillant aux manufactures ou dans les ateliers, qui fournit aux paillards de cette ville les plus jolis objets qu'il soit possible de trouver. J'épuisai promptement cette classe, et ne fus pas longtemps à me blaser sur cela, comme je l'avais fait sur le reste. Toutes les fois que le crime n'accompagnait pas ma jouissance, il me devenait impossible de la trouver bonne. Je recherchai bientôt, d'après ces principes, les moyens de mettre à la fois en circulation mes heureux talents et mes goûts. Tels étaient mes projets lorsqu'un de mes émissaires m'amena un jour une fille de dix-huit à vingt ans, de la plus délicieuse figure qu'il fût possible de voir, et sage, m'assura-t-on, comme Minerve elle-même. L'extrême misère dans laquelle elle se trouvait la déterminait seule à cette affreuse démarche ; et l'on me suppliait de la placer, si je le pouvais, sans abuser de sa détresse. Cette jeune fille n'eût-elle pas été belle comme le jour, il suffisait de l'état dans lequel on me la présentait pour m'échauffer la tête. M'en divertir et l'escroquer fut la première rouerie que mon imagination me suggéra ; et ce fut pour accomplir ce pieux projet que j'ordonnai à mon homme de se retirer, après avoir fait entrer sa proie dans mon boudoir. Frappé des traits de cette fille, il me devint impossible de pouvoir rien entreprendre, avant de l'avoir interrogée sur sa naissance. - Hélas, monsieur, répondit-elle, je suis née à Lyon ; ma mère s'appelait Henriette ; on me nomme Hélène. Victime de la scélératesse d'un frère qui avait abusé d'elle, ma malheureuse mère périt, dit-on, sur l'échafaud. Je suis le fruit de cet horrible inceste ; et les terribles revers de ma naissance ont été cause de tous ceux de ma vie. Jusqu'à onze ans, je n'ai vécu que de charités. Une dame me prit à cet âge, m'apprit à travailler ; et je ne serais pas dans l'affreuse position où vous me voyez, si je n'avais eu le malheur de la perdre. L'ouvrage m'a manqué depuis, et j'ai mieux aimé demander mon pain, que de me jeter dans le libertinage. Soyez généreux, monsieur ; soulagez-moi, sans abuser de mon état, et vous serez couvert des bénédictions du ciel et des miennes. Hélène baissa les yeux après ce discours, sans se douter du désordre étonnant qu'elle venait de porter dans toutes les parties de mon organisation. Il m'était impossible de ne pas reconnaître, dans cette charmante créature, l'enfant que j'avais eue de ma cousine Henriette... de cette victime infortunée de la scélératesse de mon cousin Alexandre, et de mon affreuse méchanceté... Jamais aucune fille ne ressembla davantage à sa mère ; Hélène n'eût pas dit un mot, qu'il ne m'en eût pas moins été facile de me rappeler sa naissance, rien qu'en l'examinant. - Mon enfant, dis-je, vos récits sont pleins d'intérêt ; peut-être doivent-ils me toucher plus qu'un autre ; mais il n'en est pas moins certain que vous n'obtiendrez rien de moi, sans la plus aveugle soumission à tout ce qui va vous être prescrit. Commencez par vous mettre nue. - Oh ! monsieur ! - Point de résistance, mon cœur, je ne les aime pas ; et vous n'avez rien à attendre de moi, si vous ne vous prêtez avec la plus entière résignation à toute l'étendue de mes caprices. Des larmes furent la réponse d'Hélène ; et, quand elle crut s'apercevoir, à la brutalité de mes actions, que j'avais peu envie d'écouter ses prières, elle céda, en couvrant mon sein de ses pleurs. Hélène avait trop de charmes et trop de titres sur l'âme d'un libertin tel que moi, pour que je pusse seulement concevoir l'idée de la ménager. On n'eut jamais une plus belle peau, jamais un cul si frais et si potelé, jamais un pucelage plus certain. Mon vit, furieux, le pourfendit bientôt ; j'atteins le fond, j'y darde un foutre écumeux ; et ma triste fille devient bientôt mère à son tour. Telle fut, mes amis, l'origine de la naissance d'Olympe, que vous me voyez foutre encore tous les jours dans votre sérail, et qui réunit, comme vous le voyez, le triple honneur d'être à la fois ma fille, ma petite-fille et ma nièce. Je passai bientôt, avec Hélène, de l'inceste à la sodomie. J'encule ce délicieux résultat de ma couille. Du cul je passe à la bouche : elle eût eu mille jouissances à me présenter, que mes fougueux désirs n'eussent pas encore été satisfaits. Las de foutre, je la fustigeai, je la souffletai, je la fis chier. Il n'y eut pas une seule lubricité dont je ne la rendisse victime, pendant plus de quatre heures que dura cette première séance. Rassasié de luxure, je crus devoir lui déclarer enfin à qui elle avait eu à affaire. - Hélène, lui dis-je en la tenant encore toute nue sur mes genoux, aurais-tu quelque répugnance à retrouver ce père incestueux qui fit pendre ta mère après l'avoir foutue ? - Vous me faites frémir. - Et si ce monstre existait... s'il était dans tes bras, Hélène... dans ton cul... Et je m'y enfonçais en disant cela. Hélène s'évanouit. Mes violentes secousses au fond de son derrière la rappelèrent bientôt à la vie. Je déchargeai. Mon enfant, dis-je dès que j'eus fini, Je t'en ai dit assez pour te tirer d'erreur Eh bien, connais ton père et toute sa fureur. Oui, c'est à moi que tu dois la vie. Le frère de ta mère et moi fûmes cause de la mort de cette mère infortunée ; mais tout est réparé par l'enfant que je viens de travailler à te faire. Demeure avec moi ; j'ai besoin d'une femme qui serve mes plaisirs, et qui veille à mes intérêts ; sois cette femme ; et point de scrupules. Souviens-toi qu'il faut se prêter à tout avec moi. Tantôt victime, et tantôt directrice, il n'est pas un seul de mes désirs que tu ne doives servir ; et, à la plus petite résistance, je ne m'en tiendrais peut-être pas à te replonger dans l'affreux état où tu t'es offerte à mes yeux : l'un des conspirateurs des jours de ta mère, pourrait bien devenir ton bourreau. Hélène se jette à mes pieds ; elle me supplie de ne plus penser aux torts de celle qui lui a donné le jour et me promet de me les faire oublier par une soumission sans bornes. De ce moment, je l'installai dans ma maison, à titre de gouvernante ; et la douce Hélène, dans Marseille, remplaça ma Clementia de Messine. Ce fut quelques temps après cette rencontre que je devins éperdument amoureux d'un jeune garçon de seize ans, beau comme Adonis, mais dont la froideur, occasionnée par l'amour qu'il ressentait pour une jeune fille de son âge, me désespérait chaque jour. Imbert, c'était le nom du jeune homme, m'avait pourtant accordé sa confiance, et bientôt même son amitié, en raison des facilités que je lui procurais de voir sa maîtresse chez moi. Euphémie était grande, faite à peindre, d'une figure agréable, sans doute, mais infiniment inférieure en attraits au délicieux jeune homme dont j'avais la tête tournée. Ami du père et de la mère d'Euphémie, avec lesquels je m'étais lié, uniquement par rapport au dessein que j'avais de servir Imbert, il se passait peu de jours que nous ne nous visitassions mutuellement. Ce fut au sein de cette intimité que je conçus, pour jouir d'Imbert, le plus infernal projet qui fût encore sorti de mon cerveau. Je commentai par noircir étonnamment le jeune Imbert dans l'esprit des parents d'Euphémie ; et, à force d'art et de ruses, je fis tomber le jeune homme dans de tels piéges, que j'achevai de le rendre odieux aux auteurs des jours de sa maîtresse. Les choses une fois en cet état, il ne me fut pas difficile d'aigrir Imbert à son tour contre des gens dont il paraissait si mal vu ; et de l'aigreur au crime, dans une âme ardente il n'y a bien souvent qu'un pas. Imbert comprit qu'aussi longtemps que les parents d'Euphémie seraient au monde, il ne devait jamais compter sur le bonheur. Cependant ceux-ci étaient jeunes et Imbert très impatient. Je profite d'un moment d'ardeur. Par un discours insidieux, j'offre à la fois le mal et le remède. Imbert, séduit, n'est plus inquiet que d'une chose. - Euphémie voudra-t-elle du meurtrier de ses parents ? - Et pourquoi lui révéler cette action ? - Elle s'en doutera. - Jamais. D'ailleurs, j'agirai, moi ; ce n'est que votre consentement que je demande. - Oh ! ciel, doutez-vous que je ne vous le donne ? - C'est par écrit que je le veux. - J'y consens... Et voici l'écrit qu'Imbert me donna : « Excédé des persécutions que j'endure, je prie mon ami Jérôme de m'acheter du réalgar, pour faire promptement périr les parents d'Euphémie, qui s'obstinent à me refuser leur fille. » La débilité, la confiance de la jeunesse, la fait, comme on le voit, tomber dans bien des pièges. Quelque peu fardé que fût celui-ci, le brave Imbert s'y prit sans réflexion ; et je ne fus pas plutôt maître du billet, que j'empoisonnai dans un souper les ennemis de mon amant. Euphémie n'eut aucun soupçon ; mais le grand deuil et sa douleur l'obligèrent néanmoins à s'absenter quelques semaines. Une vieille tante l'emmena à la campagne. - Imbert, dis-je au jeune homme, voilà une manœuvre que je n'aime pas. L'absence peut refroidir votre maîtresse ; on peut renouveler dans son âme les impressions de ses parents. Ne la laissons point là ; donnez-moi de nouveaux pouvoirs et je cours l'arracher. Imbert signe une seconde fois tout ce que je veux. A la tête d'une troupe de bandits que je paye au poids de l'or, je m'introduis dans la campagne de la tante ; je la poignarde de ma main ; mes gens, à qui j'abandonne le pillage de cette riche métairie, se défont promptement de tous les domestiques. Euphémie est conduite dans une campagne isolée, à dessein louée par moi, près de Marseille ; j'y mène Imbert et Hélène. Et là : - Mon ami, dis-je au jeune homme, vous voyez tout ce que je fais pour vous ; il est bien temps de m'en récompenser. - Qu'exigez-vous ? - Votre cul. - Mon cul ? - Vous ne posséderez pas Euphémie que je n'aie obtenu ma demande. - Oh ! Jérôme, vous savez combien j'ai ce crime en horreur ! - Imbert, voilà votre maîtresse ; vous l'entendez, poursuivis-je en l'engageant à prêter l'oreille à une conversation que je faisais exprès tenir entre Hélène et Euphémie ; si vous ne vous laissez pas enculer, jamais vous ne la posséderez. - Eh bien, satisfaites-vous donc, méchant homme ; mais qu'Euphémie n'en sache rien... Elle me prendrait en horreur... - Oh ! croyez que jamais... Et mon vit furieux pénétrait, en disant ces mots, dans le plus délicieux derrière que j'eusse foutu depuis longtemps. Je lime, je pourfends ce beau jeune homme ; je lui remplis le cul de foutre, mais sans calmer la violente agitation dans laquelle je suis. Ce sont des horreurs que j'ai conçues, ce sont des horreurs, qu'il faut à mon âme pourrie. Un moment, dis-je au jeune homme en me retirant de son derrière. Et, après l'avoir enfermé dans ma chambre, je vole dans celle où est Euphémie. - Tenez-moi cette fille, dis-je à Hélène ; il faut que je la foute. Des cris se font entendre ; de barbares précautions les étouffent bientôt, et me voilà dans le joli con vierge de la maîtresse, encore tout palpitant des plaisirs que vient de me donner le cul de l'amant. - Allez me chercher le jeune homme que j'ai enfermé dans cette chambre voisine, dis-je à Hélène, faites-vous aider d'un de mes gens, et surtout contenez-le bien quand il entrera. Imbert paraît. Si son étonnement est inexprimable, le plaisir que j'éprouve au moment qu'il entre l'est bien autrement sans doute. - Scélérat ! me dit Imbert en voulant se jeter sur moi, ô monstre infernal ! Mais il est bien tenu. - Mon ami, répondis-je au jeune homme, sans m'effrayer de ses menaces, tu vois ce poignard, j'en perce à l'instant le cœur de l'objet de tes vœux, si tu ne viens pas me faire baiser ton cul, pendant que je le fous. Imbert tremble ; son amie, qui ne peut parler, l'encourage du doigt ; il se place. C'est pour moi le signal d'un changement de main ; je passe lestement du con au cul, sans varier l'attitude de ma jouissance, et je m'enivre du divin plaisir de baiser les fesses de l'amant, en sodomisant la maîtresse. Mais le malheureux Imbert, qu'Hélène contient à mes transports, ne sait pas jusqu'où j'ai porté la perfidie au moment précieux de la crise... En ce moment terrible, où le libertin sans principe se plonge avec tant de délices aux derniers raffinements de l'infamie. Je le fais descendre ; je lui montre sa maîtresse, noyée dans le sang, et traîtreusement percée par moi de seize coups de poignard dans le cœur et dans les tétons. Il s'évanouit. Hélène le rappelle au jour ; mais il ne reprend ses sens que pour voir expirer Euphémie, et pour m'accabler d'invectives. - Jeune imprudent, lui dis-je en jouissant délicieusement de mon crime ; vois tes billets, et tous les droits que tu m'as donnés sur toi... Si tu dis un mot, je te perds ; ce meurtre-ci, lui-même, sera réputé ton ouvrage ; Hélène et moi témoignerons de tes atrocités, et tu périras sur un échafaud. Je bande encore ; voyons ton cul. Je foutis autrefois une maîtresse sur le cadavre de son amant ; je veux aujourd'hui foutre l'amant sur celui de sa maîtresse, afin de pouvoir prononcer sur celle de ces deux actions qui procure le plus de plaisir. Jamais égarement ne fut semblable. Hélène me faisait baiser son beau cul ; pendant tout cela, le valet qui l'avait aidée, m'enculait ; je foutis le cadavre d'Euphémie ; je le fis foutre à son amant. Rassasié d'horreurs, j'envoie chercher l'officier de justice. Hélène et moi nous déposons contre Imbert ; les billets font foi. J'ajoute qu'ayant, malgré nous, conduit sa maîtresse dans cette maison, voilà où sa jalousie l'a porté. Imbert, malgré son jeune âge, se trouve convaincu de crimes si atroces qu'il est exécuté. Et je respire ! et moi, l'instrument, l'auteur de tous ces désordres, je vis en paix ! Le ciel me réservait à en commettre d'autres ; j'y mis un peu d'intervalle. Hélène n'était pas sûre ; elle bavardait. Je suivis le système de Machiavel : « Ou il ne faut jamais de complices, dit ce grand homme, ou il faut les égorger, après s'en être servi. » Dans le même mois, dans la même campagne, dans la même chambre, Hélène fut condamnée par moi au supplice le plus violent que j'eusse encore fait endurer à aucune victime. Je revins de là tranquillement à Marseille bénir le sort du succès toujours assuré qu'il lui plaisait de donner à mes crimes. Je passai encore quelques années dans cette ville, sans qu'il m'arrivât rien de fait pour vous intéresser : beaucoup de libertinage, d'escroqueries, de petits meurtres secrets, mais rien d'éclatant. Ce fut alors que j'entendis parler de votre célèbre abbaye de Sainte-Marie-des-Bois. Le désir de m'associer avec vous me fit naître celui d'une conversion simulée d'une reprise d'habit. J'appris que cela était possible, moyennant quelques sacrifices à la daterie de Rome. Je volai dans cette capitale de la superstition chrétienne ; je fis au Saint Père une espèce de confession générale ; je demandai ma rentrée dans l'ordre ; je donnai la moitié de mon bien à l'Église, et j'obtins, par cette généreuse cession, la réintégration de tous mes droits, et la permission d'habiter Sainte-Marie. Telle est l'époque qui m'a réuni à vous, mes chers confrères. Dieu veuille m'y conserver longtemps ! Car si le crime a quelques attraits ailleurs, il en a sans doute bien plus ici, où, commis dans l'ombre et dans le silence, il est exempt de toutes les craintes et de tous les dangers, qui ne l'accompagnent que trop souvent dans le monde ! **** *creator_sade *book_sade_justine1799 *style_prose *date_1799 CHAPITRE XII FIN DES AVENTURES DU COUVENT - COMMENT JUSTINE LE QUITTE - AUBERGE OÙ LES VOYAGEURS FERONT BIEN DE NE PAS S'ARRÊTER Les récits que l'on venait d'entendre, loin de calmer l'embrasement général, comme s'en était flatté Sévérino, avaient tellement électrisé les têtes, que l'on voulut sur-le-champ varier les objets du libertinage. - Ne gardons que six femmes, dit Ambroise, et remplaçons les autres par des garçons. Je suis las de ne voir, depuis quatre heures, que des mottes et des gorges autour de nous ; et, quand on a d'aussi jolis ganymèdes en cage, je ne conçois pas comment on s'entoure de cons. - Bien dit, s'écria Sévérino, dont le vit en fureur dépassait la table de six pouces ; qu'on aille vite nous chercher huit garçons ; et ne réservons en filles que Justine, Octavie, et ces quatre belles créatures de seize à dix-huit ans, dont Jérôme s'entoure en ce moment. La scène change ; des garçons paraissent ; et voilà nos moines, enculant, se faisant foutre, et n'employant plus les filles que comme des plastrons de leurs cruelles luxures. - Oh ! sacredieu, dit Ambroise en retirant son vit irrité du cul d'un charmant giton de treize ans, je ne sais ce que j'imaginerais, ce que je ferais dans l'étonnant délire dont voilà ma tête embrasée. Il me prend des accès de rage contre cette petite fille, continue-t-il en désignant Octavie... Ce ne serait pas la première dont nous aurions prononcé la réforme dès le jour de son arrivée. Nous regorgeons de nouvelles femmes ; il y en a encore deux on trois à recevoir cette semaine, qui valent mieux que celle-ci. Vous avez, entre autres, une créature de dix-sept ans, faite comme les Grâces, et qui m'a paru la plus belle personne qui soit entrée ici depuis longtemps. Faisons le procès à cette petite garce. Nous l'avons tous foutue ; il n'en est pas un de nous qui ne lui ait mis son vit dans le con, dans le cul ou dans la bouche ; en recommençant, ce sera toujours la même chose, et... - Je m'y oppose, dit Jérôme ; tout le monde ne se lasse pas aussi vite qu'Ambroise : il nous reste encore mille plaisirs, plus piquants les uns que les autres, à goûter avec cette petite fille. Vexons-la, tourmentons-la, rien de plus juste ; mais ne l'immolons pas encore. - Eh bien ! dit Ambroise, qui s'acharnait sur elle, en la tenant entre ses jambes, voici donc ce à quoi je la condamne, puisqu'on me refuse ce que je voudrais ; j'exige que celui de nous qui n'a pas envie de chier, lui tienne un poignard sur la gorge, et le lui enfonce irrévocablement et sans appel, si elle n'avale pas les étrons des cinq autres. - Délicieux... divin, s'écrient Sylvestre et Sévérino. - J'aime à la folie la tête d'Ambroise. Il y a longtemps, dit Antoine, oui, d'homme d'honneur, il y a fort longtemps que je ne décharge que d'après les idées de ce bougre-là. Mais, que deviendront ceux qui auront chié ? - Justine, dit Ambroise, sera condamnée à leur torcher le cul avec sa langue ; une autre fille saisira l'un des vits de nos fouteurs, et le leur introduira tour à tour dans le cul, pendant qu'un giton les sucera, et qu'un autre leur pètera dans la bouche. - Et tout sera donc fini ? dit Sylvestre ; pardieu, voilà une punition bien grande, que celle d'avaler cinq étrons ; j'en mange tous les jours une douzaine pour mes plaisirs, moi. - Non, non, dit Sévérino, tout ne sera point fini ; à mesure que le moine qui aura chié viendra d'être foutu, il aura le droit d'imposer à la victime une pénitence au sang. - A la bonne heure, dit Ambroise, avec la clause j'accepte le marché ; je n'en voudrais point sans cela. Les infamies se commencèrent ; elles furent à leur comble. L'âge et la beauté de cette jeune fille n'enflammèrent que mieux ces scélérats ; et la satiété, bien plus que la commisération, en la renvoyant enfin dans sa chambre, lui rendit, au moins pour quelques heures, le calme dont elle avait besoin. Justine, qui avait pris cette jolie petite personne dans la plus grande amitié, et qui désirait lui donner dans son cœur la place qu'Omphale y avait occupée longtemps, fit l'impossible pour obtenir d'être son institutrice ; mais Sévérino voulut absolument que notre héroïne vînt coucher dans sa cellule. Nous avons déjà dit que cette belle fille avait eu le malheur d'exciter plus vivement qu'une autre les affreux désirs de ce sodomiste ; depuis un mois elle couchait avec lui presque toutes les nuits ; il avait enculé peu de femmes avec autant d'assiduité ; il lui trouvait une supériorité décidée dans la coupe des fesses, une chaleur, un étroit indicible dans l'anus ; en faut-il plus pour décider les penchants d'un bougre ? Mais, épuisé cette nuit, le paillard eut besoin de recherches. Craignant sans doute de ne pas faire assez de mal encore avec le glaive monstrueux dont il était muni, il imagina cette fois d'enculer Justine avec un godemiché de douze pouces de long sur sept de pourtour. La pauvre fille, effrayée, voulut faire quelques réclamations ; on ne lui répondit que par des menaces et des coups ; elle fut donc obligée de présenter le cul. A force de secousses, l'arme entre fort avant. Justine pousse les hauts cris ; le moine s'en amuse. Après quelques allées et venues, tout à coup il retire l'instrument, et s'engloutit lui-même au trou qu'il vient d'entrouvrir. Quel caprice ! N'est-ce donc point là précisément le contraire de ce que les hommes doivent désirer ? Le matin, se trouvant un peu rafraîchi, il voulut essayer un autre supplice. Il fit voir à Justine un engin bien autrement gros que celui de la veille. Celui-ci était creux, et garni d'un piston, lançant l'eau avec une incroyable roideur par une ouverture qui donnait au jet plus de deux pouces de circonférence. Cet énorme instrument en avait lui-même neuf de tour sur treize de long. Sévérino le remplit d'eau très chaude, et veut l'enfoncer par devant. Effrayée d'un pareil projet, Justine se jette à ses pieds pour lui demander grâce ; mais le moine est dans une de ces situations énergiques où la pitié ne s'entend plus, où les passions bien plus éloquentes mettent à sa place, en l'étouffant, une cruauté souvent bien dangereuse. Sévérino la menace de toute sa colère, si elle n'obéit pas. Justine se prête en frémissant ; La perfide machine pénètre des deux tiers ; et le déchirement qu'elle occasionne, joint à son extrême chaleur est près de lui ravir l'usage de ses sens. Pendant ce temps, le supérieur, ne cessant d'invectiver les parties qu'il moleste, se fait branler par l'une de ses filles de garde sur les fesses de l'autre. Après un quart d'heure de frottement, auquel Justine ne peut plus tenir, le piston se lâche et fait jaillir l'eau bouillante au plus profond de la matrice. Justine s'évanouit. Sévérino s'extasie ; il l'encule en cet état de stupeur ; il lui pince la gorge pour la rappeler à la vie ; elle rouvre à la fin les yeux. - Qu'as-tu donc ? lui dit le moine, ceci n'est rien ; nous traitons ces attraits bien plus durement quelquefois ici. Une salade d'épines, mordieu ! bien poivrée, bien vinaigrée, enfoncée dans le con avec la pointe d'un couteau ; voilà ce qu'il faut à ces attraits-là pour les ragaillardir. A la première faute qui t'échappera, je t'y condamne, dit le scélérat qui décharge à cette idée dans le délicieux cul de sa victime... Oui, garce, je t'y condamne, et à bien pis peut-être, avant qu'il soit deux mois. Le jour paraît enfin, et Justine est congédiée. Elle retrouva, en entrant, sa nouvelle amie dans les pleurs. Elle fit ce qu'elle put pour la calmer ; mais il n'est pas aisé de prendre son parti sur un changement de situation aussi affreux. Octavie avait un grand fonds de vertu, de sensibilité et de religion ; son état ne lui en paraissait que plus terrible. Satisfaite pourtant de trouver une âme qui répondît à la sienne, elle fut bientôt avec notre aimable orpheline dans la plus étroite liaison ; toutes les deux alors trouvèrent dans cette association plus de force pour supporter leurs malheurs communs. Mais la triste Octavie ne jouit pas longtemps de ces douceurs. On avait eu raison de dire à Justine que l'ancienneté n'influait en rien sur les réformes ; que, simplement dictées par le caprice des moines, ou par leurs craintes de quelques recherches ultérieures, on pouvait la subir au bout de huit jours comme au bout de vingt ans. Il n'y avait que deux mois qu'Octavie était au couvent, lorsque Jérôme vint lui annoncer sa réforme, quoique ce fût lui qui eût paru la rechercher avec le plus de soin... chez lequel elle eût couché le plus assidûment, et même encore la veille de cette terrible catastrophe. Elle n'était pas seule. Une divine créature âgée de vingt-trois ans, au couvent depuis sa naissance, une fille vraiment au-dessus de tous les éloges, et dont le caractère tendre et compatissant s'alliait à merveille avec le genre de figure romantique qu'elle avait reçu de la nature, un ange enfin, fut réformé le même jour ; et, contre leurs usages, les moines décidèrent qu'elles seraient immolées ensemble. On nommait Mariette cette délicieuse créature, dont Sylvestre était, disait-on, le père. Les plus grands apprêts furent ordonnés pour cette cérémonie sanguinaire ; et, comme notre héroïne fut assez malheureuse pour se trouver au nombre des conviées, choisies ce jour-là à la sublimité des attraits, on nous pardonnera d'appuyer, pour la dernière fois, sur les exécrables dérèglements de ces monstres. On imagine aisément sans doute que le choix qu'on faisait de Justine pour assister à ces orgies, n'était qu'un raffinement de la plus affreuse cruauté. On connaissait l'extrême sensibilité de son caractère ; on la savait amie d'Octavie ; en fallait-t-il davantage pour désirer qu'elle fût de la fête ? On avait agi de même avec Fleur-d'épine, belle, douce, âgée de vingt ans, et la plus tendre amie de Mariette ; il fallait aussi qu'elle assistât à ces funérailles. Tous ces traits servent au développement du cœur de ces scélérats ; et ce n'est pas pour rien que nous les dévoilons. Dix autres femmes, toutes prises de quinze à vingt-cinq ans, et de la plus sublime beauté ; six jeunes bardaches, choisis de même à la plus grande délicatesse des traits, dans le seul âge de treize à quinze ; six fouteurs de vingt à vingt-cinq, pris à la grosseur ou à la longueur du membre ; trois duègnes enfin, de trente-cinq à quarante ans, pour le service intérieur ; tels furent les sujets admis à l'infernal sacrifice qui se préparait. Le souper, comme on le sait, se faisait au caveau situé près de ceux où les victimes étaient déjà resserrées. On se réunissait dès la chute du jour ; mais l'usage était, en ces occasions, que chaque moine devait préalablement se recueillir une heure dans sa cellule, avec deux filles ou deux garçons, pris dans le nombre des conviés ; et ce fut avec Justine, et une autre fille de sa classe, nommée Aurore et presque aussi belle que notre héroïne, que Sylvestre, père de l'une des victimes, voulut s'enfermer. Nous allons détailler les cérémonies qui s'observaient à ce recueillement préliminaire. Le moine, enfoncé dans un fauteuil, les culottes déboutonnées, et le plus souvent nu de la ceinture en bas, écoutait avec complaisance une des filles qui devait s'approcher de lui, les verges à la main, pour lui tenir à peu près le langage suivant, auquel il répondait comme on va le voir. - Te voilà donc décidé, scélérat, au plus affreux des crimes, et le meurtre va donc te souiller ? - Je l'espère. - Quoi ! monstre, aucun conseil, aucune représentation, aucune crainte du ciel ou des hommes, ne réussirait à prévenir cette horreur ? - Il n'est aucune force divine ni humaine qui soit capable de m'arrêter. - Mais Dieu qui te voit ? - Je me fous de Dieu. - Et l'enfer qui t'attend ? - Je brave l'enfer. - Les hommes, qui peut-être un jour démasqueront tes indignités ? - Je me moque des hommes et de leurs jugements ; je ne pense qu'au crime, je n'aime que le crime, je ne respire que le crime, et c'est au crime seul à marquer tous les instants de ma vie. Il fallait appuyer ensuite sur le genre et sur la nature du délit, sur ses détails, sur ses attenances ; dire par conséquent ici à Sylvestre, et c'est ce dont Justine fut chargée : - Quoi ! malheureux, ne songes-tu pas qu'il s'agit de ta fille, que c'est elle que tu vas immoler, une créature charmante, née de ton sang ! - Que m'importent ces liens : ils deviennent pour moi des motifs de plus ; je voudrais qu'elle m'appartînt de plus près... qu'elle fût plus intéressante... plus jolie, etc. Alors les deux femmes saisissaient le paillard ; l'une le penchait sur elle, l'autre le fouettait à tour de bras ; elles se relayaient. Et, tout en flagellant, elles ne cessaient d'accabler le patient d'invectives et de reproches, puisant toujours leur texte dans le crime que le scélérat méditait. Dès qu'il était en sang, elles se mettaient tour à tour respectueusement à genoux devant son vit, et tâchaient de le lui faire guinder en le suçant. Alors le moine les faisait déshabiller à leur tour, et se livrait à telle paillardise que bon lui semblait, pourvu qu'elle ne marquât point le corps de la fille, qui devait être présenté intact à l'assemblée. Tout ce qui vient d'être dit fut ponctuellement exécuté par Sylvestre ; et, ces préliminaires remplis, il renversa, plia, pelota Aurore et Justine l'une sur l'autre, et les enconna quelques instants ainsi toutes les deux. Il leur claqua les fesses, il les souffleta, leur ordonna d'adorer son cul, et de le gamahucher pour preuve du respectueux hommage qu'elles lui rendaient ; et, après s'être vivement échauffé la tête sur l'extrême plaisir qu'il allait recevoir de l'infanticide projeté, il descendit au caveau appuyé sur l'une et l'autre de ces filles qui, ce soir-là, devaient, c'était l'usage, remplir auprès de lui les fonctions de filles de garde. Tout le monde était réuni ; Sylvestre arrivait le dernier. Les deux victimes, revêtues de crêpes noirs, et la tête couronnée de cyprès, étaient glacées l'une près de l'autre sur un piédestal élevé à la hauteur de la table, et à l'une de ses extrémités. Octavie était vue par devant, Mariette l'était par derrière ; leurs crêpes, relevés sur l'une et l'autre de ces parties, les laissaient voir absolument à nu. Les femmes étaient rangées sur une ligne, les deux troupes d'hommes sur deux autres, les moines au milieu, et les trois duègnes entouraient les victimes. Sylvestre, chargé du discours, monta dans une tribune en face du piédestal, et s'exprima de la manière suivante : - S'il est quelque chose de sacré dans la nature, mes amis, c'est, sans aucun doute, le droit imprescriptible qu'elle accorde à l'homme de disposer de son semblable. Le meurtre est la première des lois de cette nature inexplicable aux yeux des sots, et que des philosophes comme nous savent si bien analyser ; c'est par le meurtre qu'elle rentre chaque jour dans les droits que lui enlève la propagation ; et sans les meurtres privés ou politiques, le monde serait si rempli, qu'il ne serait plus possible de l'habiter. Mais, certes, s'il est une occasion où le meurtre devienne une délicieuse jouissance, il faut en convenir, mes amis, c'est assurément bien dans le cas où nous sommes. Est-il rien en effet de plus délicieux que de se débarrasser d'une femme dont on a joui longtemps ? Quelle divine manière de servir ses goûts ! quel hommage à la satiété ! Voyez ce cul, poursuit l'orateur (montrant Mariette), ce cul qui si longtemps sut servir nos plaisirs ; Voyez ce con (montrant Octavie), qui, quoique moins ancien, n'en a pas moins rassasié tous nos vits ! N'est-il pas temps que des objets aussi détestables aujourd'hui rentrent enfin dans le sein du néant dont ils n'ont dû sortir que pour nos voluptés ? Ô mes amis ! quelle jouissance ! dans peu d'heures la terre va couvrir ces exécrables chairs ; elles ne dégoûteront plus nos appétits lascifs... elles ne révolteront plus nos yeux... Dans peu d'heures ces misérables auront vécu ; à peine une faible idée nous restera-t-elle de leur existence ; nous ne conserverons plus d'elles que le souvenir de leurs supplices. L'une, Octavie, belle, douce, timide, vertueuse, honnête et sensible, fut douée du plus beau corps possible. Mais elle était peu complaisante ; sa fierté naturelle ne l'abandonna jamais ; et vous vous rappelez qu'il est bien peu de jours où vous n'ayez été contraints à lui faire subir les différentes corrections annexées par vos règlements à tous les délits dont elle se rendait perpétuellement coupable. Elle ne put jamais dissimuler son profond dégoût pour vos mœurs, son aversion pour vos saints usages, sa haine pour vos respectables personnes ; et, fidèle à ses affreux principes de religion, vous l'avez vue souvent invoquer son Dieu, même au moment où elle servait vos lubricités. Jérôme aimait son cul, il le fêtait presque tous les jours ; et quoique Jérôme ne bande plus, quoique la bouche devienne son unique asile en raison de sa débilité, vous savez que Jérôme, vivement excité par la supériorité des fesses de cette jeune fille, l'a sodomisée plus de vingt fois. Cependant, c'est sur la demande de Jérôme lui-même que l'arrêt a été prononcé ; et Jérôme est si juste, que vous allez le voir, j'en suis sûr, devenir l'un des bourreaux les plus acharnés d'Octavie. Regardez, mes amis, examinez de quels yeux il la considère ; ne vous donne-t-il pas l'idée du lion convoitant l'agneau qui va devenir sa proie ? Heureux effets de la satiété ! on croirait que vous émoussez tous les ressorts de l'âme, et c'est de vous que naissent les plus douces émotions de la lubricité. Près de cette belle Octavie, Mariette se montre à vous ; les fesses qu'elle vous présente ont longtemps échauffé vos désirs ; il n'est pas une seule volupté dans le monde à laquelle vous ne l'ayez soumise. Mariette était belle et douce. Ô nature ! laisse-moi répandre ici quelques larmes... Et le coquin les jouant : Je sens qu on n'étouffe point ton murmure, qu'on n'est point père impunément. Mais tous les sentiments doivent s'éteindre dans cette chaire de vérité ; et ce n'est plus qu'à la vérité seule que l'orateur doit rendre hommage. Que de vices se mêlèrent aux vertus de Mariette ! Elle était humoriste, acariâtre, révoltée de vos opinions et de vos mœurs. Se liant toujours par préférence à toutes les prudes du sérail, cherchant à connaître, à suivre même une religion dont nous ne lui avions jamais dit un mot, et qu'elle ne connaissait que d'après la conversation des dévotes, qu'elle recherchait avec tant de soin. Mariette manquait de complaisance dans ses devoirs ; il fallait la presser d'y satisfaire ; mais elle ne prévenait jamais rien. Peu de filles ont été plus punies que Mariette ; et malgré les préférences que l'on m'a vu lui accorder souvent, combien de fois, sacrifiant tout à la justice, ne m'a-t-on pas entendu la dénoncer moi-même au tribunal de vos corrections ! C'est moi qui vous demande aujourd'hui sa mort ; c'est sur ma proposition qu'elle a été acceptée, et c'est moi qui vous prie de la rendre affreuse. Suivez le plan que je vous prescrirai sur cela, et jamais victime n'aura été plus cruellement tourmentée. Courage, mes amis, poursuivit l'orateur avec enthousiasme ; nous voici, grâce à la fermeté de nos caractères, parvenus au dernier degré de la corruption réfléchie ; que rien ne nous retienne à présent, et souvenons-nous bien qu'il n'y a de malheureux dans le crime que celui qui s'arrête en chemin. Ce n'est qu'à force de jouir du crime, qu'on parvient à découvrir ses véritables attraits. Absolument différents des femmes, qui nous lassent en raison de la multitude de fois qu elles se sont livrées à nous, le crime, au contraire, ne nous délecte jamais plus chaudement que quand nous en sommes gorgés. Et la raison de cela est bien simple ; il faut être familiarisé avec lui pour en connaître bien tous les charmes. Ce ne peut donc être qu'à force de le suivre, qu'on doit finir par l'adorer. Le premier répugne, c'est l'histoire du défaut d'habitude ; le second divertit, le troisième enivre ; et si rien, dans cette heureuse carrière, ne s'opposait aux fougueux désirs de l'homme, ce ne serait bientôt plus que par des crimes qu'il marquerait tous les instants de son existence. Douter que la plus grande somme du bonheur possible que doive trouver l'homme sur la terre ne soit irrévocablement dans le crime, certes, c'est douter que l'astre du jour soit le premier mobile de la végétation. Oui, mes amis, ainsi que cet astre sublime est le régénérateur de l'univers, de même le crime est le centre de tous les feux moraux qui nous embrasent. L'astre fait éclore les fruits de la terre ; le crime fait germer toutes les passions dans le cœur de l'homme ; lui seul les enflamme et les vivifie, lui seul est utile à l'homme. Eh ! qu'importe que le crime outrage le prochain, s'il nous délecte individuellement ? Est-ce pour le prochain que nous existons, ou pour nous ? Une pareille question peut-elle se faire raisonnablement ? Or, si l'égoïsme est la première loi de la raison et de la nature, si, bien décidément, nous ne vivons et n'existons que pour nous, nous ne devons donc avoir de sacré que ce qui nous délecte. Tout ce qui s'écarte de là est faux, sujet à l'erreur, et seulement fait pour être méprisé de nous. J'entends quelquefois dire que le crime est dangereux à l'homme ; je voudrais bien que l'on m'expliquât comment. Mais dira-t-on qu'il l'est, parce qu'il viole les droits d'autrui ? Mais toutes les fois qu'il reste aux autres celui de se venger, il me semble que voilà l'égalité des droits rétablie : de ce moment, le crime ne viole donc plus rien. Il est inouï comme les éternels sophismes de la bêtise parviennent à détruire la somme du bonheur moral des humains ! Oh ! combien tous seraient plus heureux, si tous voulaient s'entendre pour jouir ! Mais la vertu se présente à eux ; ils se trompent à ses dehors séduisants ; ils se laissent égarer par elle ; et voilà toutes les bases de la félicité détruites. Bannissons donc à jamais cette perfide vertu de notre heureuse société ; détestons-là comme elle mérite de l'être ; que le mépris le plus outré et les plus sévères punitions soient toujours parmi nous la juste récompense de ceux qui voudraient embrasser ses lois. Pour moi, je renouvelle mon serment de la fuir... de la détester toute ma vie. Ô mes heureux confrères ! que tous les cœurs répondent à ma voix, et qu'on ne trouve plus dans cette enceinte que des bourreaux et des victimes. Sylvestre, couvert d'éloges, descendit de la tribune, et les scènes s'ouvrirent. On s'empare des coins de la salle, dont la forme hexagonale offrait un réduit à chacun. Des faisceaux de bougies éclairaient ces angles, dans chacun desquels se trouvait une vaste ottomane et une commode garnie de tout ce que la luxure la plus désordonnée... la plus atroce rendait nécessaire à ces scélérats. Deux filles, un giton, un fouteur, escortaient les moines dans leurs niches. Les duègnes descendirent d'abord Octavie, ensuite Mariette, et les présentèrent, enchaînées et nues, au réduit de chacun des moines. La victime, à cette première tournée, devait recevoir une vexation de telle nature qu'à supposer qu'elle survécût, elle en fût marquée toute sa vie. Chaque moine devait, en même temps, graver sur les épaules, ou sur les fesses de cette victime, le genre de supplice auquel il la condamnait. Sévérino qu'on enculait pendant qu'il sodomisait un bardache, en baisant des culs de droite et de gauche, se rappelant une des passions racontées par Jérôme, arracha une des dents de Mariette, et brûla les tétons d'Octavie. Nous ignorons quelle fut la sentence qu'il prononça ; celles que dictèrent les autres ne nous sont point parvenues davantage. Clément cassa un doigt à Octavie, et fit une assez profonde blessure à la fesse droite de Mariette ; on le suçait, il branlait des vits. Antonin pluma les deux cons avec le dépilatoire turc, connu sous le nom de rusma1 ; il foutait celui de Justine, et léchait celui d'Aurore, pendant qu'on le sodomisait. Ambroise, qu'on enculait, et qui le rendait à Fleur-d'épine, pendant qu'il suçait un con, creva les beaux yeux de Mariette avec une aiguille d'or, et il coupa le petit doigt de la main droite d'Octavie. Son foutre éjacula ; ce qui le rendit si furieux contre Fleur-d'épine, qu'il lui appliqua sur-le-champ trois cents coups de fouet, quoiqu'il ne bandât plus, et qu'il n'y eût absolument que de la vengeance dans son fait. Sylvestre larda les fesses et les tétons de sa fille, et coupa de ses dents les deux fraises de ceux d'Octavie ; on le fouettait pendant ce temps-là, et son giton lui suçait la bouche, tandis qu'une fille lui suçait le vit. Jérôme, que deux filles, à genoux, suçaient tour à tour, et qu'on enculait à tour de reins, coupa l'oreille droite de Mariette, et emporta, par le moyen d'une pince, un gros morceau de chair du beau cul d'Octavie. Cette tournée faite, on délibéra sur l'objet suivant : Les victimes seraient-elles ainsi sacrifiées en détail ? les exposerait-on à la fureur des six moines à la fois ? ou un seul servirait-il de bourreau, pendant que les autres examineraient ? Avant que de prononcer sur ce fait, on fit lecture des six opinions sur les supplices. Plusieurs tendant à ce qu'ils fussent imposés par chaque moine, on se détermina à suivre les tournées ; mais Sylvestre demanda deux choses, qui lui furent unanimement accordées : la première, que les deux victimes fussent, avant que d'aller plus loin, exposées une heure aux jouissances particulières des moines, et que les tourments ne commençassent qu'après ; la seconde, que lui seul donnerait le coup de la mort à sa fille. Ces résolutions prises, on plaça un canapé au milieu du caveau ; les six gitons et les douze filles l'entourèrent, en formant les groupes les plus lascifs et les plus libertins. Les fouteurs devaient suivre les moines, et les enculer pendant qu'ils opéraient. Sévérino foutit les deux culs, en laissant sur chacun des traces non équivoques de sa barbarie. Clément ne foutit point, mais il rossa cruellement les deux victimes ; il les laissa moulues de coups. Antonin foutit les deux cons ; puis se doutant, dit-il, d'y avoir fait naître un fœtus, il enfonça une longue épingle dans chaque vagin, mais si bien... si profondément, qu'on ne put jamais la retrouver. Ambroise encula les deux victimes, et pressura leurs deux gorges, au point qu'elles s'évanouirent. Sylvestre foutit les deux cons, en faisant sur le ventre, sur le sein, et sur les fesses de ces créatures, plus de vingt incisions cruciales, avec la pointe d'un canif. Le coquin déchargea en en faisant une de trois pouces sur la joue droite de sa fille. Jérôme les fouetta toutes les deux avec un martinet à pointes d'acier, qui les mit en sang, et qui leur arrachait des morceaux de chair tout entiers du cul ; il foutit ensuite les deux bouches. Les tournées recommencent ; et les moines se remparent chacun de leur coin, avec des filles ou des garçons, ou l'un et l'autre, en raison du caprice qui les excitait pour le moment. Justine était avec Ambroise. Croirait-on que ce scélérat eut la cruauté d'exiger d'elle, de lui voir exercer un supplice sur le corps d'Octavie, sa bien-aimée ! Et, sur le refus formel qu'elle en fit, Justine fut dénoncée à l'assemblée, qui se réunit sur-le-champ pour prononcer la punition due à une faute aussi grave. On ouvrit le code pénal : Justine se trouvait dans le cas du septième article. Mais, comme il ne s'agissait que de quatre cents coups de fouet, trois membres furent d'avis de la soumettre à la peine portée dans le douzième article2 ; les trois autres s opposèrent à cet avis, non parce qu'ils le croyaient trop cruel, mais simplement en raison de ce que cette exécution interromprait trop la séance. Justine fut donc simplement condamnée à recevoir deux cents coups de fouet de la main de chaque moine, qui lui furent appliqués sur-le-champ, et avec cette sorte d'énergie qui communément s'emploie quand on bande, comme le faisaient ces messieurs. Fleur-d'épine, qui servait Sylvestre, offrit bientôt à la société le même genre de délit. Ce barbare père de Mariette voulut contraindre l'amie de sa fille à lui brûler les tétons avec un fer rouge. Fleur-d'épine résista. Sylvestre furieux... Sylvestre qui bandait comme un âne, et dont le foutre exhalait par tous les pores, se chargea lui-même de la correction ; et, se servant d'un gros gourdin, il rossa si cruellement cette malheureuse, qu'on fut obligé de l'emporter presque morte. Ceci devenait une faute contre le règlement de la société. Sévérino demanda compte à Sylvestre de sa conduite. Les punitions devaient être imposées par l'assemblée même, et s'exécuter en commun. Mais, en prouvant que l'on bandait, et que l'insulte était trop violente pour être tolérée, vous étiez absous sur-le-champ. On imagine bien que Sylvestre se servit de ce moyen. On fit venir une autre fille, et l'on ne songea plus à un événement qui pensa néanmoins coûter la vie à cette infortunée. Cependant les mauvais traitements se prolongeaient et redoublaient au point que, si on ne les eût interrompus pour se mettre à table, jamais les victimes n'auraient pu parvenir au terme prescrit pour les orgies de cette espèce. Elles furent donc livrées aux duègnes, qui les baignèrent, les rafraîchirent, les pansèrent, et les remirent sur le piédestal, où elles restèrent nues, pendant tout le souper, exposées à toutes les indignités dont il plairait aux moines de les accabler. Il est facile de soupçonner qu'à ces sortes de fêtes, les luxures, les lubricités, les horreurs étaient toujours portées au dernier période. A celui-ci, les moines ne voulurent manger que sur le cul des filles ; une autre, à leurs pieds, leur suçait tour à tour et le vit et les couilles ; et c'était dans le cul des petits garçons qu'étaient enfoncées les bougies ; leurs serviettes avaient torché des culs pendant quinze jours, et quatre grandes jattes de merde formaient les quatre coins. Les trois duègnes, nues, servaient les moines, et ne leur présentaient que des vins dont elles s'étaient préalablement lavé les fesses, le con, les aisselles, la bouche et le trou du cul. Chaque moine avait, indépendamment de tout cela, près de lui, un petit arc et plusieurs flèches, dont il s'amusait, de temps en temps, à darder le corps des victimes ; ce qui produisait tout de suite une petite fontaine de sang, dont les flots arrosaient les plats. A l'égard de la chère, elle était exquise. La profusion, l'abondance, la délicatesse, tout y régnait ; les vins les plus rares, ne s'y servirent que jusqu'à l'entremets ; on ne vit plus, dès lors que les plus spiritueuses liqueurs ; et les têtes furent bientôt prises. - Je ne connais rien, dit Ambroise en balbutiant, qui s'amalgame mieux que les plaisirs de l'ivrognerie, de la gourmandise, de la luxure et de la cruauté ; il est inouï ce qu'on fait, ce qu'on invente, quand on a la tête bien prise ; et les forces prêtées par Bacchus à la déesse de la lubricité, tournent toujours au profit de cette dernière. - Cela est si vrai, dit Antonin, que je ne voudrais jamais faire du libertinage qu'au sein de la plus forte ivresse ; ce n'est qu'alors que je me trouve véritablement en train. - Nos garces, dit Sévérino, ne s'arrangeraient pas de cette clause ; car elles sont malmenées, quand nos têtes sort électrisées par le vin ou par les liqueurs. On entendit en même temps un cri terrible, qui partait des pieds de Sévérino. Ce monstre, sans aucun motif, sans d'autre raison que celle de faire le mal, venait d'enfoncer son couteau dans le téton gauche d'une fille de dix-huit ans, belle comme Vénus, et qui le suçait. Le sang coulait en abondance ; la malheureuse s'évanouit. Sévérino, quoique supérieur, fut interrogé sur la cause de cette cruauté. - Elle m'a mordu en me suçant, répondit-il ; c'est la vengeance qui m'a fait agir. - Oh ! sacredieu, dit Clément, le délit est affreux ; je demande que la putain soit punie conformément au quinzième article du code, qui enjoint de pendre une heure par les pieds toute fille qui manquera de respect aux moines. - Oui, dit Jérôme ; mais c'est dans le cours ordinaire de la vie ; au milieu du service libidineux, la peine est plus grave ; il s'agit de deux mois de prison au moins, au pain et à l'eau, et fustigée deux fois par jour ; je demande l'exécution du règlement. - Moi, dit Sylvestre, je ne vois pas que le cas soit bien exactement prévu par la loi ; et je demande une punition rigoureuse, et également imprévue. Je veux que la délinquante soit punie de la main de tout le monde, et qu'en raison de cela, on la fasse passer un quart d'heure avec chaque membre dans un des plus noirs cachots de ce souterrain, avec injonction à chacun de la traiter si mal, qu'elle en soit un an dans son lit : Sévérino passera le dernier. L'opinion prend. La victime, dont on se garde bien d'étancher le sang, est déjà dans un tel état, qu'on est obligé de la porter au lieu de sa destination. Tous ces scélérats y passent tour à tour ; et, après des horreurs sans doute, elle est remontée dans son lit, où elle meurt dès le lendemain. A peine nos six paillards furent-ils rassemblés au retour de cette infernale expédition, que les duègnes annoncèrent qu'elles avaient besoin de chier. - Dans les plats, dans les plats, dit Clément. - Dans nos bouches, dit Sylvestre. Ce dernier avis prévalut ; et voilà nos moines affublés d'une vieille, montée sur la table, appuyée sur le visage du paillard, qu'elle inonde bientôt de pets, de vesses et de merde. - Se servir de ces vieilles gueuses, dit Jérôme, quand on a sous ses ordres tant de jeunes et jolis objets, est bien, selon moi, la preuve la plus complète que nous puissions offrir de notre affreuse dépravation. - Eh ! qui doute, reprit Sévérino, que la vieillesse, la malpropreté, la laideur, ne donnent souvent de bien plus grands plaisirs que la fraîcheur et la beauté ? Les miasmes émanés de tels corps ont un acide bien plus irritant. Ne voyez-vous pas tout plein de gens préférer le gibier faisandé à la viande fraîche ? - Pour moi, je suis bien de cet avis, dit Sylvestre en lançant à sa fille une flèche qui l'atteignit au téton droit, et qui en fit aussitôt jaillir le sang ; plus l'objet est laid, vieux, dégoûtant, mieux il me fait bander, et je vais vous le prouver, continua-t-il en s'emparant du vieux Jérôme, et lui enfonçant son vit dans le cul. - Je suis très flatté de la démonstration, dit Jérôme, fous, mon ami, fous-moi ; fallût-il acheter le plaisir d'avoir un vit dans le cul, par plus de bassesse et d'humiliation, je ne trouverais pas encore le plaisir trop cher. Et l'infâme, se retournant avec tendresse pour langotter son cher fouteur, lui lâcha dans le nez une bordée de vin, émanée de la compression que son estomac venait de recevoir... éjaculation si terrible, que Sylvestre, repoussé par l'orage, fut lui-même arroser, de la même pluie, le visage de Clément, près duquel il était, mais qui, plus ferme, ou plus enfoncé dans la fange, ne quitta pas la compote qu'il mangeait et dans laquelle pourtant était tombée toute la sauce. - Voyez la constance de ce bougre-là, dit Ambroise, qui se trouvait de l'autre côte ; je parie chier dans sa bouche, et qu'il ne se dérange pas. - Chie, dit Clément. Ambroise exécute ; Clément avale, et le repas se quitte à la fin. Le premier avis fut de fouetter tous les jeunes garçons sur les fesses, et toutes les filles sur les tétons, en les entrelaçant avec exactitude. Ceux qui fouetteraient les garçons resteraient à terre ; ceux qui frapperaient les gorges seraient montés sur des fauteuils, contre lesquels les filles appuieraient leur dos. A merveille ! dit Antonin ; mais il faudra que les ganymèdes soient obligés de chier pendant qu'on les fouettera, et les filles contraintes à pisser pendant la même opération, et cela, sous les peines les plus graves. - Bien dit, s'écrie Jérôme, tellement ivre qu'il pouvait à peine sortir de table. Les choses s'arrangent. On n'imagine pas la barbarie avec laquelle ces scélérats flagellaient, déchiraient impitoyablement, et les plus jolis culs du monde, et les seins de rose et d'albâtre, offerts à leur brutalité. Ici Sévérino qui bandait ferme fut tenté d'un charmant giton de treize ans, dont les fesses ruisselaient de sang. Il le saisit, passe avec lui dans un cabinet, et le ramène, au bout d'un quart d'heure, dans un tel état, que l'assemblée est convaincue que le supérieur venait, suivant son usage avec les garçons, d'employer des épisodes si cruels, que le jeune homme pourrait bien n'en pas relever. Jérôme à l'exemple du supérieur, avait de même isolé ses plaisirs ; il avait entraîné Aurore, et une autre fille de dix-sept ans, fort jolie, et les avait soumises, l'une et l'autre, à des humiliations si désespérantes, à des actes de férocité si monstrueux, que toutes deux furent encore rapportées dans leurs chambres. Tous les yeux se portèrent alors sur les deux victimes... Qu'on nous permette de jeter un voile sur les atrocités qui terminèrent ces exécrables orgies. Notre plume serait insuffisante à les peindre, et nos lecteurs trop compatissants pour les écouter de sang-froid. Qu ils se contentent de savoir que les supplices durèrent six heures, pendant lesquelles tout ce que la cruauté put imaginer de plus féroce fut employé, mêlé d'épisodes lascifs, d'un tel genre de monstruosité, que jamais les Néron ni les Tibère ne purent rien inventer de semblable. Sylvestre se fit remarquer par son inconcevable acharnement à tourmenter sa fille... belle, sensible et charmante créature, que le scélérat eut, ainsi qu'il l'avait désiré, l'affreux plaisir de faire expirer sous ses coups. Et voilà l'homme, quand ses passions l'égarent ! le voilà, quand ses richesses, son crédit ou sa position le placent au-dessus des lois ! Justine, épuisée, fut assez heureuse pour n'être obligée de coucher chez personne. Elle se retira dans sa cellule, en versant des larmes bien amères sur l'affreuse destinée de sa plus tendre amie, et ne s'occupa plus dès lors que de son projet d'évasion. Absolument décidée à tout, pour fuir cet affreux repaire, rien ne l'effraya pour y réussir. Que pouvait-elle appréhender en exécutant ce dessein ? la mort : de quoi était-elle sûre en restant ? de la mort : et en réussissant elle se sauvait : y avait-il donc à balancer ? Mais il fallait avant cette entreprise que les funestes exemples du vice récompensé se reproduisent encore sous ses yeux. Il était écrit sur le grand livre des destins, sur ce livre obscur dont personne n'a l'intelligence, il y était gravé que tous ceux qui l'avaient tourmentée, humiliée, tenue dans les fers, recevraient sans cesse à ses yeux le prix de leurs forfaits... comme si la Providence eût pris à tâche de lui montrer le danger ou l'inutilité de la vertu... Funestes leçons qui ne la corrigèrent pourtant point, et qui, dût-elle échapper encore au glaive suspendu sur sa tête, ne l'empêcheraient pas, disait-elle, d'être toujours l'esclave de cette divinité de son cœur. Un matin, sans que personne s'y attendît, Antonin arrive au sérail, et annonce que Sévérino, parent et protégé du pape, vient d'être nommé par Sa Sainteté général de l'ordre des bénédictins. Dès le jour suivant, le religieux partit effectivement sans voir personne. Il en était attendu, disait-on, un autre bien autrement féroce et débauché. Nouveaux motifs pour Justine de presser l'exécution de son projet. Le lendemain du départ de Sévérino, les moines faisaient encore une réforme. Justine choisit ce moment pour exécuter son dessein, afin que ceux-ci, plus occupés, prissent moins d'attention à elle. On était au commencement du printemps ; les nuits paraissaient encore assez longues pour favoriser ses démarches ; depuis deux mois elle les préparait avec tout le mystère concevable. Elle sciait peu à peu les grilles de son cabinet avec un mauvais ciseau qu'elle avait trouvé ; déjà sa tête y passait aisément ; et de son linge elle avait composé une corde plus que suffisante à franchir l'élévation du bâtiment. Lorsqu'on lui avait pris ses hardes, elle avait eu soin, ainsi que nous croyons l'avoir dit, de retirer sa petite fortune ; elle l'avait toujours soigneusement cachée ; en partant, elle la remit dans ses cheveux ; et, dès qu'elle crut ses compagnes couchées, elle passa dans son cabinet. Là, dégageant le trou qu'elle avait soin de boucher tous les jours, elle lia la corde à l'un des barreaux qui n'était point endommagé, et, se laissant glisser, par ce moyen elle eut bientôt touché terre. Ce n'était point là ce qui l'avait embarrassée le plus ; les six enceintes de haies vives dont Omphale lui avait parlé l'intriguaient bien différemment. Une fois en bas, elle reconnut que chaque espace, ou allée circulaire laissée d'une haie à l'autre, n'avait pas plus de six pieds de large ; et c'était cette proximité qui faisait croire, au premier coup d'œil, que tout ce qui se trouvait dans cette partie n'était qu'un massif de bois. La nuit était fort sombre. En tournant cette première allée circulaire, elle parvint à la hauteur de la fenêtre du grand caveau où se faisaient les orgies funèbres. Y voyant beaucoup de lumière, elle fut assez hardie pour s'en approcher ; et là, elle entendit très distinctement Jérôme dire à l'assemblée. - Oui, mes amis, je vous le répète, il faut maintenant que Justine y passe la première ; rien n'est plus certain ; j'espère ne pas trouver un seul opposant à ma proposition. - Pas un, bien certainement, répondit Antonin, ami de Sévérino, je l'ai secourue, protégée jusqu'à ce moment-ci, parce qu'elle plaisait à cet honnête compagnon de nos débauches ; mes motifs d'intérêt cessant, je deviens le premier à vous demander avec insistance que cet avis passe sans réclamation. Il n'y eût qu'une voix ; quelques-uns furent même d'avis de l'envoyer chercher à l'instant ; mais, toute réflexion faite, on prétendit qu'il fallait remettre à quinzaine. Ô Justine ! quel saisissement s'empara de ton âme en entendant ainsi prononcer ta sentence ! malheureuse fille ! peu s'en fallut que tu n'eusses plus la force de faire un pas. Recueillant néanmoins toute son énergie, elle se hâte et continue de tourner jusqu'à ce qu'elle se trouve à l'extrémité du souterrain. Ne rencontrant point de brèche, elle se résout d'en faire une ; elle avait conservé le ciseau dont nous avons parlé ; munie de cette arme, elle travaille ; ses mains se déchirent, rien ne l'arrête. La haie avait plus de deux pieds d'épaisseur ; elle l'entrouvre : la voilà dans la seconde allée. Quel est alors son étonnement de ne sentir à ses pieds qu'une terre molle et flexible, dans laquelle on enfonce jusqu'à la cheville ! Plus elle avance, plus l'obscurité devient profonde. Curieuse de connaître la cause de ce changement du sol, elle tâte... juste ciel ! c'est la tête d'un cadavre qu'elle saisit ! « Grand Dieu ! s'écrie-t-elle épouvantée, tel est ici, sans doute, on me l'avait bien dit, le cimetière où ces bourreaux jettent leurs victimes ; à peine prennent-ils le soin de les couvrir de terre. Ce crâne est peut-être celui de ma chère Omphale, ou celui de cette malheureuse Octavie, si belle... si douce... si bonne, et qui n'a paru sur la terre que comme les roses dont ses attraits étaient l'image. Moi-même, hélas ! dans quinze jours c'eût été là ma place ; je n'en saurais douter, je viens de l'entendre... Que gagnerais-je à aller chercher de nouveaux revers ? n'ai-je pas commis assez de mal ?... ne suis-je pas devenue le motif d'un assez grand nombre de crimes ? Ah ! remplissons ma destinée... Asile de mes amies, ouvre-toi pour me recevoir ! C'est bien quand on est aussi délaissée, aussi pauvre, aussi abandonnée que moi, qu'il faut se donner tant de peines pour végéter quel temps de plus parmi les monstres ! Mais, non, je dois venger la vertu dans les fers ; elle l'attend de mon courage, ne nous laissons point abattre, avançons. Il est essentiel que l'univers soit débarrassé de scélérats aussi dangereux que ceux-ci. Dois-je craindre de perdre six hommes, pour sauver les milliers d'individus que leur férocité sacrifie ? » Elle perce la haie ; celle-ci est plus épaisse que l'autre ; plus elle avance, plus elle les trouve serrées. La brèche se fait pourtant ; mais un sol ferme se trouve au delà ; et, notre héroïne parvient au bord du fossé, sans avoir trouvé la muraille dont Omphale lui avait parlé ; il n'y en avait sûrement point : il est vraisemblable que les moines ne le disaient que pour effrayer davantage. Moins enfermée au delà de cette sextuple enceinte, Justine distingue mieux les objets. L'église et le corps de logis qui s'y trouve adossé, se présentent aussitôt à ses regards ; le fossé bordait l'un et l'autre. Elle se garde bien de chercher à le franchir de ce côté ; elle longe les bords ; et, se voyant en face de l'une des routes de la forêt, elle se résout de le passer là, et de se jeter dans le chemin qu'elle voit, dès qu'elle aura remonté l'escarpement. Ce fossé était très profond, mais sec ; comme il était revêtu de briques, il n'y avait nul moyen de se laisser glisser, elle se précipite donc. Un peu étourdie de la chute, elle est quelques instants avant que de se relever ; elle se redresse enfin, poursuit, et atteint l'autre bord sans obstacle ; mais comment le gravir ? A force de chercher un endroit commode, elle en découvre un où quelques briques démolies lui donnent à la fois et la facilité de se servir des autres comme d'échelons, et celle d'enfoncer, pour se soutenir, la pointe de son pied dans la terre. Elle était déjà presque sur la crête, lorsque tout s'éboulant sous elle, elle retombe dans le fossé, couverte des débris que sa chute entraîne ; elle se croit morte. Cette chute-ci, faite involontairement, avait été plus rude que l'autre ; les matériaux qui l'avaient suivie l'avaient même blessée en quelques endroits de son corps : elle était exactement fracassée. « Oh Dieu ! dit-elle au désespoir, n'allons pas plus avant, restons là ; ce qui m'arrive est un avertissement du ciel... il ne veut pas que je poursuive. Mes idées me trompent sans doute ; le mal est utile sur la terre ; et, quand Dieu le désire, c'est sûrement un tort que de s'y opposer. » Mais la sage et vertueuse Justine, bientôt révoltée d'un système, trop malheureux fruit de la corruption qui vient de l'entourer, se débarrasse courageusement des débris dont elle est couverte ; et, trouvant plus d'aisance à remonter par la brèche qu'elle vient de faire, à cause des nouveaux trous qui s'y sont formés, elle essaie encore, et se voit, en un instant, sur la crête. Tout cela l'avait écartée du chemin qu'elle avait aperçu ; mais l'ayant retrouvé des yeux, elle le gagne, et se met à fuir à grands pas. Avant la fin du jour, elle se trouve hors de la forêt, et bientôt sur ce monticule duquel elle avait jadis aperçu l'indigne maison dont elle s'échappait avec tant de plaisir. Elle s'y repose, tout en nage ; et son premier soin est de se précipiter à genoux, pour offrir à Dieu ses remerciements, pour lui demander de nouveaux pardons des fautes involontaires. qu'elle a commises dans ce réceptacle odieux du crime et de l'infamie. Des larmes amères coulent aussitôt de ses beaux yeux Hélas ! se dit-elle, j'étais bien moins coupable, quand je suivis, l'année dernière, cette même route, guidée par un principe de dévotion si funestement trompé. Oh Dieu ! dans quel état puis-je me contempler maintenant ! Ces funestes réflexions un peu calmées par le plaisir de se voir libre, Justine poursuivit sa route vers Dijon, s'imaginant que ce ne pourrait être que dans cette ville où ses plaintes seraient utilement et légitimement entendues. Elle était à sa seconde journée ; parfaitement calme sur les craintes qu'elle avait d'être poursuivie, la tête néanmoins remplie de toutes les horreurs dont elle venait d'être à la fois et le témoin et la victime. Il faisait chaud ; et, suivant sa coutume économique, elle s'était écartée du chemin pour trouver un abri où elle pût faire un léger repas qui la mît en état d'attendre le soir. Un petit bouquet de bois, sur la droite du chemin, au milieu duquel serpentait un ruisseau limpide, lui parut propre à la rafraîchir. Désaltérée de cette eau fraîche, nourrie d'un peu de pain, le dos appuyé contre un arbre, elle laissait circuler dans ses veines un air pur et serein qui la délassait... qui calmait ses sens. Là, réfléchissant à cette fatalité presque sans exemple, qui, malgré les épines dont elle était entourée dans la carrière de la vertu, la ramenait toujours, quoi qu'il pût en être, au culte de cette divinité et à des actes d'amour et de résignation envers l'Être suprême dont elle est l'image, une sorte d'enthousiasme s'empare tout à coup de son âme. « Hélas ! se dit-elle, il ne m'abandonne pas, ce Dieu bon que j'adore, puisque je viens, même dans cet instant, de réparer mes forces ! N'est-ce pas à lui que je dois cette faveur ? et n'y a-t-il pas sur la terre des êtres à qui elle est refusée ? Je ne suis donc pas tout à fait malheureuse, puisqu'il en est encore de plus à plaindre que moi... Ah ! ne le suis-je pas bien moins que ces infortunées que je laisse dans ce repaire du vice, dont la bonté de Dieu m'a fait sortir comme par une espèce de miracle... » Et pleine de reconnaissance, elle s'était jetée à genoux pour rendre grâces à l'Être suprême, lorsqu'elle s'aperçut que son action attirait sur elle les regards d'une grande et belle femme, assez bien mise, qui faisait la même route qu'elle. - Mon enfant, lui dit cette femme avec affection, vous me paraissez bien profondément occupée. Il est facile de lire sur votre physionomie que quelque violent chagrin vous opprime... Et moi aussi, ma chère petite, je suis malheureuse ! daignez me confier vos douleurs ; je vous ferai part des miennes. Nous nous consolerons ensemble, et peut-être naîtra-t-il de cette confiance mutuelle ce sentiment si doux de l'amitié, au moyen duquel les êtres les plus infortunés apprennent à supporter leurs maux, en les partageant en frères. Vous êtes jeune et jolie, ma chère enfant, en voilà beaucoup plus qu'il ne faut pour rencontrer bien des épines dans la carrière de la vie. Les hommes sont si méchants, qu'il n'est besoin que d'avoir ce qui peut les intéresser, pour exciter plus puissamment, par cela seul, toute leur perfidie contre nous. L'âme des malheureux s'ouvre facilement aux consolations présentées. Justine regarde celle qui l'interroge ; lui trouvant une fort belle figure, trente-six ans au plus, de l'esprit, un maintien honnête, elle lui prend la main, verse des pleurs, et lui dit : Oh ! ma chère dame. - Venez, mon ange, lui répond aussitôt avec affection madame d'Esterval ; entrons dans cette hôtellerie ; je la connais, nous y serons tranquilles : là, vous me raconterez vos malheurs, là, je vous apprendrai les miens ; et le résultat de cette douce confiance nous rendra peut-être moins infortunées. Justine se laisse convaincre. On entre dans l'auberge. Madame d'Esterval fait les honneurs ; un excellent dîner se sert aussitôt dans une chambre particulière, et la conversation devient plus intime. - Ma chère enfant, dit notre nouvelle aventurière, après avoir eu l'air de répandre quelques pleurs sur les malheurs de sa compagne, mes infortunes ne sont peut-être pas aussi multipliées que les vôtres ; mais elles sont plus constantes, et, j'ose le dire, plus amères. Sacrifiée, dès mon enfance, à un mari que je déteste, j'ai depuis vingt ans sous les yeux l'homme du monde qui m'est le plus en horreur ; et, depuis cette triste époque, je suis cruellement privée du seul être qui eût pu faire le bonheur de ma vie. Le long des frontières de la Franche-Comté et de la Bourgogne règne une vaste forêt au fond de laquelle mon mari tient une auberge, assez commode à rencontrer pour ceux qui traversent cette route ignorée ; mais, juste ciel faut-il vous l'avouer, ma chère ? ce misérable, abusant de la position isolée de ce réduit obscur, vole, pille, égorge tous ceux qui ont le malheur de s'arrêter chez lui. - Vous me faites frémir, madame ; grand Dieu ! ce monstre assassine ? - Chère fille, prends pitié de ma honte et de mes infortunes ; je serais moi-même égorgée si je trahissais sa conduite. Puis-je d'ailleurs essayer de me plaindre ?... Je me déshonore en voulant flétrir mon époux. Oh ! Justine, je suis la plus malheureuse des femmes ; il ne me reste pour toute consolation, que d'attacher, si je le puis, à mon triste sort, quelque honnête créature comme toi, par le moyen de laquelle je réussirai peut-être à ravir aux fureurs de ce monstre la plus grande partie de ses victimes. De quelle nécessité me deviendrait une telle femme ! elle serait la douceur de ma vie, l'égide de ma conscience, mon appui, ma ressource dans l'état affreux où je suis... Aimable enfant, si je pouvais t'inspirer assez de pitié... assez de confiance pour t'engager à t'unir à mon sort... Ah ! tu serais bien plus mon amie que ma domestique ; et ce ne serait pas des gages que je t'offrirais, ce serait la moitié de ce que je possède... Eh bien ! Justine, te sens-tu le courage d'accepter ce que je te propose ? la certitude de contribuer à d'aussi bonnes actions enflamme-t-elle tes nobles sentiments de vertu ? et pourrai-je enfin me flatter d'avoir découvert une amie. Un verre de vin de Champagne fut avalé de part et d'autre avant que Justine ne se prononçât ; et cette liqueur enchanteresse, dont la propriété singulière détermine à la fois dans l'homme et tous les vices et toutes les vertus, dicta bientôt à la sage Justine de ne pas abandonner au malheur une femme aussi intéressante que celle que lui procurait la fortune. - Oui, madame, dit-elle à sa nouvelle amie ; oui, comptez-y, je vous suivrai partout ; ce sont des occasions de vertus que vous m'offrez ; quelles grâces n'ai-je pas à rendre à l'Éternel, de ce qu'il me met à même d'exercer avec vous cette faculté si active de mon cœur ! Qui sait si, à force de bons conseils, de patience et d'excellents exemples, nous ne parviendrons pas à corriger votre mari ! Les prières que nous adresserons au ciel seront si ardentes !... Ah ! flattons-nous de réussir un jour !... Et madame d'Esterval apercevant à ces mots, un crucifix, se jette avec componction aux pieds de l'idole. « Dieu des chrétiens ! s'écrie-t-elle en larmes, que de remerciements je te dois d'une telle rencontre ! conserve-moi longtemps cette amie, et récompense-la de son zèle. » On sort de table, madame d'Esterval paye amplement toute la dépense ; et voilà nos deux femmes en marche. Il y avait de l'hôtellerie d'où l'on partait, à celle de d'Esterval, environ quinze lieues, dont six devaient se faire dans le plus épais de la forêt. Rien de paisible comme cette marche ; rien d'intéressant, de tendre, de vertueux comme tout ce qui fut dit en la faisant ; rien d'agréable comme tous les projets qui s'y concertèrent. On arrive à la fin. En parlant de la situation de l'auberge que tenait d'Esterval, sa chère épouse n'avait fait que l'esquisser. Il n'était pas possible de voir une retraite plus sauvage... Absolument enfoncée dans le creux d'un ravin hérissé de hautes futaies, on ne se doutait de l'existence de cette maison, qu'au moment où l'on y entrait. Deux dogues monstrueux en gardaient la porte ; et ce fut d'Esterval lui-même, à la tête de deux grosses servantes, qui vint recevoir sa femme et Justine. - Quelle est cette créature ? dit le farouche hôtelier en regardant la compagne de son épouse. - C'est ce qu'il nous faut, mon fils, répond la d'Esterval d'un ton qui commence à faire ouvrir les yeux de notre malheureuse aventurière, et à lui faire comprendre qu'il y avait bien plus d'intelligence entre elle et son mari, que celle-ci n'avait voulu le laisser d'abord apercevoir. Ne la trouves-tu pas jolie ? - Oui, sacre-Dieu, je la trouve telle ; et cela foutra-il ? - Dès qu'elle entre chez toi ! n'en es-tu pas le maître ? Et Justine, tremblante, fut introduite, avec sa conductrice, dans une salle basse, où le patron après avoir un instant causé bas avec son épouse, revint tenir à notre héroïne à peu près le discours suivant : - De toutes les aventures qui ont pu vous arriver dans le cours de votre vie, ma chère enfant, lui dit-il, celle-ci sans doute vous paraîtra la plus singulière. Dupe de votre enthousiasme imbécile pour la vertu, vous vous êtes trouvée prise, à ce que m'apprend ma femme, dans beaucoup de pièges où l'on vous captivait par la force ; vous n'allez l'être ici que par l'opinion. Là, vous étiez l'objet de beaucoup de crimes, sans participer à aucun. Vous les partagerez tous ici ; sans pouvoir vous en empêcher ; vous y coopérerez librement ; vous serez obligée d'y participer, et sans qu'on vous y contraigne autrement que par des chaînes morales et par vos vertus. - Monsieur ! monsieur ! s'écria la bonne Justine, oh ! Monsieur ! êtes-vous donc sorcier ? - Non, reprit d'Esterval, je ne suis qu'un scélérat, assez singulier sans doute, mais dont les penchants et les crimes n'ont rien de plus particulier que ceux de beaucoup de gens, qui parcourent comme moi la carrière des vices, par des moyens semblables au fond, mais différents pourtant par les formes. Je suis scélérat en libertinage. Assez riche pour me passer du métier que je fais, je ne l'exerce que pour l'intérêt de mes passions ; elles s'en irritent si prodigieusement, que je ne bande uniquement qu'aux actions du vol et du meurtre ; elles seules ont l'art de m'enflammer. Aucune autre espèce de préliminaire ne déterminerait en moi la situation utile à la jouissance ; je n'ai pas plutôt commis l'un ou l'autre de ces crimes, que mon sang bouillonne, que mon vit dresse, et qu'il me faut absolument des femmes. La mienne alors ne me suffisant pas, je lui substitue quelques servantes, ou les jeunes et jolis objets que le hasard nous fait rencontrer. S'ils n'arrivent pas, madame d'Esterval va me les chercher... C'est une excellente créature, Justine, que cette femme-là ; douée des mêmes goûts et des mêmes fantaisies que moi, elle aide mes opérations, et nous en recueillons tour à tour les fruits. - Quoi ! dit Justine, avec une surprise mêlée de douleur ; quoi ! madame d'Esterval m'a trompée ? - Oui certes, si elle s'est montrée vertueuse ; car il est sans doute difficile de voir une femme plus corrompue. Mais il fallait vous séduire : la fraude et l'imposture étaient nécessaires. Vous servirez donc en ces lieux les plaisirs de ma femme et les miens, et... ah ! voici, mon ange, voici ce qui va vous faire frémir ! vous serez la Circé des voyageurs qui passent ici ; vous les amadouerez, les enchaînerez, vous les servirez, vous flatterez toutes leurs passions pour rendre leur défaite plus sûre... afin que nous les égorgions plus facilement après. - Et vous vous êtes flatté, monsieur, que je resterais dans cette infernale maison ? - J'ai plus fait, Justine ; je vous ai dit qu'après que vous seriez instruite, il vous deviendrait difficile de fuir, et que vous resterez ici de plein gré... parce qu'il vous serait impossible de ne pas vouloir y rester. - Expliquez-vous, monsieur, je vous en conjure. - Je vais le faire ; écoutez-moi et redoublez d'attention, je vous prie... Mais dans ce moment un grand bruit s'étant fait dans la cour, d'Esterval fut obligé de s'interrompre pour aller recevoir deux marchands à cheval, suivis d'autant de mulets richement chargés, et qui, se dirigeant vers la foire de Dôle, venaient coucher dans ce coupe-gorge. Nos voyageurs, parfaitement reçus, furent aussitôt servis, rafraîchis, débottés ; et d'Esterval les voyant attendre leur souper assez tranquillement, revint terminer l'instruction de Justine. - Il n'est pas nécessaire de vous dire, ma chère enfant, reprit l'étonnant personnage, qu'avec les goûts que le viens de vous avouer, je dois avoir d'autres singularités dans l'esprit ; et voici celles qui assaisonnent étonnamment mes passions. Je veux que les voyageurs qui périssent par mes mains soient prévenus de mes projets ; je me plais à les savoir convaincus qu'ils sont chez un scélérat ; je veux qu'ils se mettent en état de défense ; je prétends en un mot, les vaincre par la force. Cette circonstance m'irrite ; c'est elle qui enflamme mes sens ; elle, en un mot, qui me fait bander en sortant de là, au point qu'un être à foutre, de quelque âge ou de quelque sexe qu'il puisse être, me devient absolument nécessaire. Tel est, mon ange, le rôle que je vous destine ; c'est vous qui ferez de très bonne foi l'impossible pour faire évader les victimes, ou pour les engager à la défense. Je vais vous dire bien plus : votre liberté est à ce prix. Si vous en faites échapper une seule, vous pourrez vous sauver avec elle ; je vous proteste de ne pas vous poursuivre ; mais si elle succombe, vous resterez ; et comme vous êtes vertueuse, je n'ai pas tort, vous le voyez, de vous dire que vous resterez du meilleur de votre cœur ; car l'espoir de soustraire un de ces malheureux à ma rage, vous captivera sans cesse. Si vous vous échappiez de chez moi, certaine que je continue ce métier, vous emporteriez le regret mortel de n'avoir pas essayé de sauver ceux qui succomberont après votre départ ; vous ne vous pardonneriez jamais d'avoir manqué l'occasion de cette excellente œuvre ; et, comme je vous le dis, l'espoir d'y réussir un jour vous enchaînera nécessairement toute la vie. Me direz-vous que tout cela est inutile ; et que sans autant de précautions, vous vous esquiverez dès les premiers jours pour aller vous plaindre et me dénoncer. A quel point je serais maladroit, ma chère, si je n'avais réponse à cette objection... si je ne la détruisais pas victorieusement d'un mot. Écoutez-moi, Justine ; il n'y a pas de jours où je ne tue : vous en serez six avant que de parvenir au tribunal le plus voisin ; voilà six victimes que vous aurez laissé périr, pour essayer de me faire prendre ; voilà, dans l'hypothèse d'une chose impossible (parce que je fuis à l'instant où vous manquez à la maison), voilà, dis-je, six victimes de sacrifiées dans le plus ridicule espoir. - Moi, la cause de leur perte ? - Oui ; car vous auriez pu sauver l'une de ces victimes, en la prévenant ; et, en la sauvant, vous sauviez les autres. Eh bien ! Justine, avais-je tort de dire que je vous enchaînerais par l'opinion ? Fuyez, si vous l'osez, maintenant... fuyez, vous dis-je, voilà toutes les portes ouvertes ! - Monsieur, dit Justine abattue, dans quelle position votre méchanceté me place ! - Je le sais bien, elle est affreuse ! et de là naît un des plus puissants véhicules de mes exécrables passions. Je me plais à vous faire partager le mal, sans que vous puissiez l'empêcher ; j'aime à vous enchaîner par vertu au sein du crime et de l'infamie ; et quand je vous foutrai, Justine, car vous comprenez bien que j'en viendrai là, cette délicieuse idée sera l'une de celles qui me feront le plus délicieusement décharger. - Comment, monsieur, il faudra que je me soumette ?... - Oh ! à tout, Justine, absolument à tout. Si vous êtes assez adroite pour faire échapper les victimes, tout est dit, puisque vous vous évadez avec elles. Mais si elles succombent, vos mains se teindront de leur sang ; vous les volerez, vous les égorgerez, vous les dépouillerez avec moi ; vous étendant après sur leurs sanglants cadavres, je vous y foutrai toute nue... Que de motifs n'aurez-vous donc pas pour les sauver ? Que d'art, que d'habileté, vos vertus et vos intérêts vont vous faire employer pour les soustraire à mes poignards ! Ô Justine ! jamais ces sublimes vertus que vous professez ne se seront trouvées dans un plus beau jour ; jamais plus belle occasion ne se sera présentée de vous montrer digne de l'estime et de l'admiration des honnêtes gens. Il est très difficile de rendre la situation dans laquelle se trouva notre héroïne, lorsque après l'avoir quittée pour vaquer aux soins de sa maison, d'Esterval l'eut un instant abandonnée à toute l'horreur de ses réflexions. « Oh grand Dieu ! s'écria-t-elle, je croyais que la scélératesse avait épuisé sur moi toutes ses recherches, et qu'après tout ce que mon sort m'a fait éprouver dans ce genre, il ne pouvait rien lui rester de neuf à me faire sentir... Je me trompais... Voici des raffinements sans exemples, voilà des détours de cruauté qui, je le parierais, doivent être inconnus dans le sein même des enfers. Cet homme exécrable a raison ; en me sauvant tout de suite pour le faire prendre, je n'y réussirais sûrement pas dès le premier jour ; et dès ce soir, peut-être, je puis arracher à la mort les deux voyageurs qui viennent d'arriver. Mais, poursuivit-elle, si dans un an ou deux je vois qu'il me devient impossible de jamais sauver les victimes, ne ferai-je pas bien mieux alors d'aller dénoncer ce coquin ?... Ah ! jamais, jamais ; il l'a dit, il s'échappera sitôt qu'il me verra libre, massacrera en s'évadant, tout ce qui pour lors se trouvera d'étranger chez lui ; et ce serait peut-être ceux-là dont j'aurais pu sauver les jours... Le monstre... il a bien raison, c'est par l'opinion qu'il m'enchaîne. Je serais bientôt éloignée, si je n'avais autant de sagesse ; et c'est à force de vertu que je vais devenir criminelle. Être suprême, devrais-tu donc permettre que le bien dût engendrer autant de mal ? est-il de ta justice de souffrir que la vertu conduise aux malheurs ! Quel découragement l'histoire de ma vie va porter dans toutes les âmes, si jamais elle est publiée ! Ô vous qui pourriez la savoir un jour, ne la divulguez point, je vous en supplie ; vous porteriez le désespoir dans le cœur de tous ceux qui chérissent le bien, et vous inviteriez nécessairement au crime, en offrant ainsi ses triomphes. » Justine pleurait à chaudes larmes, en se livrant à ces douloureuses pensées, lorsque madame d'Esterval vint tout à coup les interrompre. - Oh ! madame, lui dit-elle en l'apercevant, à quel point vous m'avez trompée ! - Cher ange, lui répondit cette mégère en cherchant à la caresser, il le fallait bien pour t'avoir. Mais, console-toi, Justine, tu t'accoutumeras facilement à tout ; je suis bien persuadée que dans quelques mois l'idée même de nous quitter ne se présentera plus à ton esprit... Baise-moi, ma mignonne ; tu es extrêmement jolie, et j'ai la plus grande envie de te voir aux prises avec mon époux. - Eh quoi ! madame, vous autorisez de telles horreurs ! - Il n'y en a aucune à partager les goûts de son mari. Il me le rend d'ailleurs ; il est difficile de voir une plus intime liaison ; nous volons mutuellement au-devant de tout ce qui nous fait plaisir ; et comme nous avons les mêmes goûts, les mêmes moyens, nous nous satisfaisons l'un et l'autre. - Comment, madame, le vol, le meurtre ?... - Font mes plus doux amusements, ma mie ; rien n'enflamme mes passions comme ces épisodes ; et tu verras de quelle énergie sont nos jouissances, quand nous les goûtons ivres de sang. - Et ces servantes qui sont ici, madame, sont-elles aussi chargées d'avertir les voyageurs ? - Ce devoir honorable n'est réservé qu'à toi. Connaissant tes beaux principes, nous avons voulu les mettre en action. Les filles dont tu parles sont nos complices ; élevées dans le crime, le chérissant presque autant que nous, elles sont loin de l'envie d'en faire évader les victimes. Tu verras quelquefois mon mari s'en servir, mais sans aucune familiarité. Toi seule seras notre confidente ; toi seule seras l'amie de la maison ; ces créatures te serviront comme elles nous servent ; et c'est à notre table, et non pas à la leur que tu mangeras toujours. - Oh ! madame, qui aurait pu croire qu'une personne aussi respectable que vous paraissez l'être, pût se livrer à des atrocités de cette espèce ? - N'emploie donc point de telles expressions, dit madame d'Esterval en riant de pitié ; il n'y a rien que de très simple à ce que nous faisons. Jamais on ne s'écarte de la nature quand on suit ses penchants ; et je te réponds que c'est d'elle seule que nous avons reçu, mon époux et moi, tous ceux où nous nous livrons. - Allons, Justine, à l'ouvrage, dit aussitôt d'Esterval, en accourant. Voilà nos marchands à souper ; va les voir, jase avec eux, préviens-les, tâche de les sauver, et surtout livre-toi, s'ils te désirent ; n'oublie pas que c'est le meilleur moyen de leur inspirer de la confiance. Pendant que Justine exécute sa commission de la manière dont nous l'expliquerons tout à l'heure, mettons nos lecteurs au fait des horribles coutumes de cette maison, et des personnages que notre héroïne y trouve. **** *creator_sade *book_sade_justine1799 *style_prose *date_1799 CHAPITRE XIII SUITE ET FIN DES AVENTURES DE L'AUBERGE - RECONNAISSANCE - DÉPART Madame d'Esterval, par laquelle il est juste de commencer, était, ainsi que nous l'avons déjà dit, une grande et belle femme d'environ trente-six ans ; excessivement brune ; les yeux d'un éclat étonnant ; la taille belle et fine ; les cheveux du plus beau noir ; velue comme un homme ; point de gorge ; le cul petit, mais bien coupé ; le con sec et pourpré ; le clitoris long de trois pouces, et gros à proportion ; la jambe parfaitement belle ; infiniment d'imagination, de vivacité ; des talents, de l'instruction ; très scélérate, et tribade au suprême degré. Née à Paris d'une famille distinguée, le hasard lui avait fait connaître d'Esterval qui, lui-même fort riche et d'une bonne naissance, ayant trouvé dans cette femme un étonnant rapport de goûts et de penchants, n'avait rien eu de plus pressé que d'en faire sa femme. L'hymen conclu, ils étaient venus s'établir dans cet agreste asile, où tout paraissait leur promettre la plus longue impunité de leurs crimes. D'Esterval, plus âgé que sa femme, était un fort bel homme de quarante-cinq ans, singulièrement bien constitué, des passions terribles, un corps de fer, un membre sublime, et des singularités dans la jouissance, dont nous parlerons dès que nous le verrons aux prises. Suffisamment à leur aise pour se passer d'être aubergistes, d'Esterval et sa fougueuse épouse n'exerçaient ce métier que parce qu'il favorisait leurs exécrables penchants. Une maison superbe au milieu d'un beau bien les attendait en Poitou, dans le cas malheureux où la fortune cesserait de couvrir leurs erreurs. Il n'y avait point d'autres domestiques dans ce logis que les deux servantes dont nous avons parlé. Là, depuis leur enfance, ne connaissant point d'autre local, ne sortant jamais, nageant dans l'abondance, partageant les faveurs du maître et de la maîtresse, il n'y avait nullement à craindre qu'elles songeassent à s'en évader. Madame d'Esterval pourvoyait seule aux provisions ; elle allait une fois par semaine â la ville chercher ce que ne pouvait lui procurer sa ferme. La plus parfaite union régnait d'ailleurs dans ce ménage, tout corrompu qu'il pouvait être ; tant il est faux de dire qu'il n'y a que les associations vertueuses qui puissent subsister. Ce qui brise les nœuds, c'est la dissemblance des mœurs, des opinions ; mais aussitôt que tout est d'accord, aussitôt que rien ne contrarie la manière d'être des deux habitants d'une même maison, il n'est pas douteux qu'ils peuvent trouver le bonheur dans le sein du vice comme dans celui de la vertu ; parce que ce n'est pas tel ou tel mode qui rend l'homme heureux ou à plaindre ; la discorde seule le plonge dans le dernier cas, et cette affreuse divinité ne secoue jamais ses flambeaux qu'où règne la différence des goûts et des opinions. Aucune jalousie ne troublait ce charmant ménage. Dorothée, heureuse des plaisirs de son mari1, ne se livrait jamais mieux à l'intempérance qu'en le voyant jouir de ses plaisirs de choix ; et, réversiblement, d'Esterval conseillait à sa femme de foutre quand elle en trouvait l'occasion, et ne déchargeait jamais aussi voluptueusement lui-même, que quand il la voyait dans les bras d'un autre. Se brouille-t-on quand on pense de cette manière ? et quand l'hymen sème autant de roses sur les chaînes dont il accable deux époux, est-il présumable qu'ils puissent jamais chercher à les rompre ? Cependant, Justine, dans la chambre des deux marchands, les prévenait par toute sorte de soins, sans oser en venir au fait. Son âme sensible et délicate ne pouvait se décider entre l'obligation terrible de faire massacrer son maître, ou de le laisser égorger des innocents. D'autre part, d'Esterval, qui joignait aux passions dont nous venons de le caractériser, celle de vouloir surprendre ses hôtes dans le plaisir, de les mener des bras de Vénus dans ceux de la mort, et qui, dans cette perfide intention, leur envoyait toujours une fille, aux aguets tout près de la porte, brûlait du désir de voir Justine aux prises, et l'accusait intérieurement du peu de moyens qu'elle employait pour enflammer les deux voyageurs, lorsque l'un d'eux, saisissant notre aventurière, l'enfile tout à coup, sans lui donner le temps de se défendre. - Oh ! monsieur, que faites-vous ? s'écrie la pudique enfant, quels lieux choisissez-vous pour de telles choses ? Grand Dieu ! savez-vous où vous êtes ? - Comment ? que voulez-vous dire ? - Lâchez-moi, monsieur, je vais vous révéler tout... Votre vie est en danger ; écoutez-moi, vous dis-je. Et le camarade, plus de sang-froid, ayant obtenu de son ami de différer un instant ses projets, tous deux prient Justine de leur éclaircir le mystère qu'elle paraît vouloir annoncer. - Au milieu d'une forêt, messieurs, dans un coupe-gorge, pouvez-vous penser à de telles choses ? Avez-vous au moins de quoi vous défendre ? Possédez-vous des armes ? - Oui, voilà des pistolets. - Eh bien, messieurs, ne les quittez pas, que le soin de votre défense vous occupe bien plus que les fades plaisirs où vous paraissez vouloir vous livrer. - Poulette, dit l'un d'eux, expliquez-vous autrement, nous vous en conjurons ; nous doit-il donc arriver quelque malheur ? - D'affreux, monsieur, de terribles. Au nom du ciel, mettez-vous en défense ; on doit vous assassiner cette nuit. - Allez, mon enfant, dit celui dont le vit écumeux venait de sonder Justine, allez dire qu'on nous apporte du vin et de la lumière, et demain nous vous témoignerons notre reconnaissance. Justine descend ; mais, en ouvrant la porte, les premiers objets qui la frappent sont d'Esterval maniant sa femme, tous deux l'œil collé sur la cloison, et se repaissant à loisir du cruel spectacle que cette scène leur offre. - Pourquoi ne t'es-tu pas laissée foutre, lui dit brutalement d'Esterval ? ne t'avais-je pas dit que cela seul m'amusait ? mais il n'est plus temps ; va dire qu'on leur porte ce qu'ils demandent, et reste seule dans le salon. Tout se dispose ; et, comme l'on croit bien, nos marchands se mettent en défense. Hélas ! elle était inutile... Un bruit affreux se fait entendre. - Ils y sont, ils y sont, s'écrie d'Esterval ; viens ma femme ; accours, Justine, je les tiens, les bougres ; ils y sont. D'Esterval passe le premier, une bougie à la main ; tous trois, car on entraînait Justine, tous trois descendent dans un souterrain ; et là, quel est l'étonnement de notre malheureuse héroïne de voir les voyageurs, étourdis d'une chute affreuse, tous deux à terre et tous deux désarmés ! Ici l'intelligence de nos lecteurs leur fait aisément présumer, sans que nous leur disions, que tout s'était fait au moyen d'une trappe, et que les armes, laissées sur une table qui n'avait point bougé, n'avaient pu suivre les deux infortunés dans leur chute. - Camarades, dit d'Esterval en mettant les pistolets sur la gorge de chacun de ces hommes, on vous avait pourtant prévenus ; par quel hasard n'étiez-vous pas sur vos gardes ? Écoutez, cadets ; il existe un moyen de vous tirer d'ici ; ne vous désespérez pas. Vous voyez ces deux femmes : celle-ci est la mienne ; elle est belle encore ; et quant à celle-là, vous en avez tâté ; c'est un morceau de roi. Eh bien, foutez-les l'une et l'autre à mes yeux, et votre vie sera sauve ; mais c'est fait de vous, si vous résistez, si vous ne vous mettez à l'œuvre sur-le-champ. Et la d'Esterval, sans leur donner le temps de répondre, l'infâme d'Esterval, dont les passions s'irritaient à ces horreurs, ainsi que nous l'avons déjà dit, détourne les pistolets, déboutonne les culottes, et suce les vits. On passe difficilement de la peur au plaisir ; mais de quels efforts la nature n'est-elle pas capable, quand il s'agit de les conserver ! Dorothée s'y prend avec tant d'adresse, elle sait si bien calmer et caresser à la fois ces deux infortunés, qu'ils cèdent... et voilà les deux vits en l'air. Un canapé se trouve là ; l'un des deux marchands y campe la femme de l'aubergiste ; elle est foutue. Justine fait un peu plus de façons ; et, sans les menaces de d'Esterval, il est très douteux que le camarade du fouteur de Dorothée eût obtenu quelque triomphe ; mais, vaincue par la force, il faut obéir. Les deux couples sont aux prises. Ici les servantes paraissent toutes nues ; elles sont armées de verges. Rabaissant la culotte des deux fouteurs, elles exposent leurs fesses aux yeux de d'Esterval ; elles fouettent ces fesses, que le plaisir agite : l'examinateur les manie, il palpe aussi celles des servantes, il claque celles des fouteuses ; plus inconstant que le papillon, il vole indifféremment sur tous les charmes offerts à sa luxure ; son vit mutin se présente aux culs mâles ; le paillard les enfile ; ils les parcourt ; puis revient à ceux des fouteuses, qu'il quitte bientôt pour ceux des servantes. - Allons, dit-il à sa femme, en sodomisant le fouteur de Justine, guette le tien, je ne manquerai pas le mien. Les servantes le fouettent pendant ce temps-là. Les deux coups partent à la fois ; au même instant les deux voyageurs sont tués... Les malheureux expirent en déchargeant ; c'est ce que voulaient leurs bourreaux. Le visage et le sein de Justine sont inondés du sang et de la cervelle de celui qui déchargeait dans ses bras... de celui qu'enculait d'Esterval, qui, lui-même, avait déchargé en sodomisant sa victime. - Oh ! sacredieu, sacré bougre de dieu, dit le scélérat en perdant son sperme, malheur à qui ne connaît pas la volupté dont je viens de me souiller ; il n'en est pas une seule au monde qui soit plus piquante et plus délicieuse. - Ô monstre ! s'écrie Justine en se débarrassant du cadavre qui pèse sur elle, je croyais avoir épuisé tous les genres de crimes ; mais je ne me doutais pas des tiens. Applaudis-toi, homme infâme, et sois certain de surpasser en atrocité tout ce que j'ai vu jusqu'à ce moment. Mais l'anthropophage, endurci, riait. - Que fais-tu donc ? dit-il à sa femme. - Je décharge toujours, réponds celle-ci ; ôte-moi ce bougre-là de dessus le corps ; car tout tué qu'il est, le coquin bande, et je déchargerais dix ans s'il restait dix ans là. - Oh ! monsieur ; s'écriait Justine, sortons de ce lieu d'horreur. - Eh ! non, non, c'est ici que j'aime à foutre. Ces sanglantes victimes de ma scélératesse excitent ma lubricité ; je ne bande jamais si bien qu'en les considérant... Vous êtes quatre femmes ici ; couchez-vous deux par deux sur chacun de ces cadavres : voilà les lits de repos sur lesquels je vais vous enfiler toutes les quatre. Le fripon exécute ; con, cul, tout est enfilé par lui ; il pousse l'horreur et l'exécration jusqu'à resonder encore le cul des victimes ; il décharge trois ou quatre fois. On remonte. Les obsèques des corps regardaient les servantes. D'Esterval et sa femme s'occupent de serrer les richesses, et de jeter les montures dans un grand trou, près de la maison, destiné à recevoir toutes celles des malheureux qui venaient périr dans cette épouvantable auberge. - Oh ! monsieur, dit Justine quand le calme fut un peu rétabli, si vous voulez que je réussisse à sauver vos victimes, si vous voulez au moins que je l'entreprenne, instruisez-moi du mécanisme de vos pièges ; comment y parer sans cela ? - Voilà ce que tu ne sauras jamais, mon enfant, dit d'Esterval. Va visiter la chambre de ces étrangers, et tu verras si tout n'est pas dans le même ordre. Je suis magicien, ma fille ; rien ne peut ni troubler ni deviner mes pièges. Continue d'essayer ; la vertu, la religion, l'honneur, tout te le commande ; mais je crains bien que tu ne réussisses jamais. On se mit au lit. Le mari et la femme ayant témoigné, chacun de son côté l'envie de passer le reste de la nuit avec Justine, il fut résolu que, pour mettre tout d'accord, elle coucherait avec les deux, dans le grand lit de la maison. Objet des caresses de l'un et de l'autre, l'obéissante Justine était obligée de présenter à la fois le devant à madame, et les fesses à monsieur. Tantôt branlée, tantôt foutue, tantôt caressée ou battue, l'infortunée fut à même de se convaincre là que tout ce qu'elle avait vu au couvert de Sainte-Marie n'était que le prélude des scènes libidineuses qui lui restaient à exécuter chez ces nouveaux modèles de luxure et de scélératesse. La cruelle Dorothée, féroce dans ses goûts, voulut fouetter Justine. Son mari la lui tint ; et la pauvre enfant fut étrillée comme elle ne l'avait jamais été de ses jours. Ce couple scélérat se plaisait à la faire courir nue, sans lumière, d'un bout de la maison à l'autre, en l'effrayant de la vision des cadavres qu'elle venait de voir expirer. Tous deux se cachaient, pour lui faire encore plus de peur ; et, lorsqu'elle passait près des coins où ils l'attendaient, elle en était reçue avec d'énormes soufflets, ou d'affreux coups de pied dans le derrière. Le mari la lançait ensuite au milieu de la chambre, et l'enculait à terre, pendant que la femme se branlait au bruit de cette scène nocturne. D'autres fois ils la plaçaient au milieu d'eux ; l'un lui suçait la bouche, l'autre le con, et l'épuisait ainsi pendant deux heures. Justine se lève enfin, moulue, excédée, anéantie. Mais, restaurée par un excellent déjeuner, par d'assez bons procédés, toutes les fois qu'il ne s'agissait pas de libertinage, tranquillisée par la certitude de ne tremper volontairement dans aucune de ces horreurs, et par l'espoir d'être assez heureuse pour les prévenir toutes un jour, la pauvre fille se calma, et se fit au train de la maison. Deux jours se passèrent sans qu'aucun voyageur parût. Il n'y eût rien que Justine ne fît pendant cet intervalle, pour démêler par quel incroyable artifice d'Esterval précipitait ainsi de leur chambre ces malheureux, dans une cave. L'idée d'une trappe se présenta bien à son imagination ; mais elle eut beau regarder, jamais rien ne put la convaincre de la réalité de ses soupçons. A supposer d'ailleurs que ce fût par une trappe, comment réussirait-elle à parer le coup ? Serait-ce en disant au voyageur d'éviter telle ou telle place ? Mais ne pouvait-il pas y avoir plusieurs trappes ? Le plancher même de l'appartement pouvait fort bien n'en former qu'une ; et jamais on ne donnait d'autres chambres aux malheureuses victimes dévouées. Dans cette cruelle perplexité, il lui paraissait même presque inutile d'avertir les gens. Elle communiqua cette réflexion à Mme d'Esterval qui l'assura qu'elle se trompait, et qu'assurément si elle était chargée de pareille commission, elle trouverait bien le secret de la faire réussir. - Oh ! madame, communiquez-moi donc votre moyen ? - Ce serait altérer mes jouissances... ce serait me priver du plus grand de mes plaisirs. - De pareilles horreurs vous amusent ? - Il est délicieux de tromper un homme... de le voir expirer dans ses bras... il est divin de lui donner la mort au moment où il goûte le souverain plaisir ; ce combat des Parques et de Vénus échauffe étonnamment la tête ; et je t'assure que si tu voulais en essayer, tu t'y accoutumerais bien promptement. - Oh ! madame, quelle dépravation ! - Mais la dépravation est l'assaisonnement du plaisir ; il n'en est aucun de vif sans elle. Que serait la volupté sans excès ? - Ah ! peut-on les porter jusque-là ? - Plains-moi... plains-moi, ma bonne, de ne pouvoir les pousser plus loin. Si tu savais où s'égare mon imagination, quand je suis dans le plaisir ! ce qu'elle conçoit, ce qu'elle invente ! Sois bien certaine, Justine, que tout ce que tu me vois faire est bien au-dessous de ce que je voudrais. Pourquoi faut-il que mes désirs soient concentrés dans cette forêt ? que ne suis-je la reine du monde ! que ne puis-je étendre ces fougueux désirs sur la nature entière !... chaque heure de ma vie serait marquée par un forfait... chacun de mes pas par un meurtre. Si j'ai jamais désiré l'autorité souveraine, c'était pour me repaître de crimes. J'eusse voulu surpasser, par mes horreurs, toutes les femmes cruelles de l'antiquité ; j'eusse voulu que d'un bout de l'univers à l'autre on eut effrayé les hommes et de mon nom, et de mes forfaits. La seule analyse du crime ne suffit-elle pas à en constater l'éloge ? Qu'est-ce qu'un crime ? C'est l'action qui, nous assouplissant les hommes, nous élève infailliblement au-dessus d'eux ; c'est l'action qui nous rend les maîtres de la vie et de la fortune des autres, et qui d'après cela, ajoute à la portion du bonheur dont nous jouissons celle de l'être sacrifié. Me dira-t-on qu'aussitôt que c'est aux dépens d'autrui, ce bonheur usurpé ne saurait être parfait ? Imbéciles !... et c'est précisément parce qu'il s'usurpe, qu'il est tel ; il n'aurait plus de charmes s'il était donné. Il faut le ravir, l'arracher ; il faut qu'il coûte des pleurs à celui que l'on en prive, et c'est de la certitude de cette douleur occasionnée aux autres que naissent les plus doux plaisirs. - Mais, madame, il y a de la scélératesse à cela. - Point du tout ; il n'y a que le désir très simple et très naturel de vouloir rapprocher de soi la plus grande dose de bonheur imaginable. - J'y consens, pourvu que ce ne soit pas aux dépens des autres. - Mais je jouirais mal, quand je croirais les autres aussi fortunés que moi ; il faut, pour la perfection de ma félicité, que je puisse me croire seule heureuse au monde... heureuse quand tout le monde souffre ; il n'y a point d'être délicatement organisé qui ne sente combien il est doux d'être privilégié. Du moment que je n'ai qu'une des parts de la félicité générale, je ne suis que comme tout le monde ; si je puis, au contraire, les réunir toutes sur moi, il devient incontestable que me voilà plus heureuse que les autres. S'il y a, je le suppose, dix portions de bonheur dans une société composée de dix personnes, les voilà toutes égales, et par conséquent aucune d'elles ne peut se flatter d'être plus fortunée que l'autre ; si, au contraire, un des individus de cette société parvient à priver les neuf autres de leur portion de bonheur, pour les réunir sur sa tête, assurément il sera véritablement heureux ; car il pourra dès lors établir des comparaisons qu'il lui était impossible de concevoir auparavant. Le bonheur ne gît pas dans tel ou tel état de l'âme ; il consiste dans la seule comparaison de son état à celui des autres ; et quelle comparaison reste-t-il à faire, quand tout le monde nous ressemble ? Si tout le monde possédait une fortune égale, en serait-il une seule qui osât se dire riche ? - Oh ! madame, je ne comprendrai jamais cette manière d'être heureux, il me semble que je ne pourrais l'être moi, qu'en sachant que tous les autres le sont. - Parce que tu es faiblement constituée ; parce que tu n'as que de petits désirs... que de faibles passions... de minces voluptés. Mais cette médiocrité d'opinion n'est point admissible dans un être organisé comme je le suis ; et, si mon bonheur ne peut exister que dans l'infortune des autres, c'est que je trouve dans cette infortune l'unique stimulant qui picote fortement mes nerfs, et qui, d'après la violence de ce choc, détermine plus certainement au plaisir les atomes électriques qui circulent dans leur cavité2. En général, toutes les erreurs des hommes, en ce genre, viennent de la fausse définition qu'ils font du bonheur. Ce qu'on appelle ainsi n'est point une situation qui puisse également convenir à tous les hommes ; ce mode est toujours différent en raison des individus sur lesquels il influe, et cette influence est toujours relative à l'organisation. Cela est si vrai, que les richesses et les voluptés, qui paraissent faire la félicité générale, trouvent souvent des âmes inaccessibles à leurs attraits ; et que les douleurs, la mélancolie, l'adversité, les chagrins, qui paraissent devoir déplaire à tout le monde, trouvent néanmoins des partisans. Cette hypothèse admise, il ne restera plus aucune arme à celui qui veut disputer sur la singularité des goûts ; et le parti du silence, s'il est raisonnable, devient le seul qu'il ait à prendre. Louis XI trouvait sa félicité dans les larmes qu'il faisait répandre aux Français, comme Titus dans les bienfaits dont il accablait les Romains. A quel titre voulez-vous m'obliger maintenant de préférer l'un à l'autre ? tous deux n'avaient-ils pas raison ? et tous deux n'étaient-ils pas justes ? - Justes, assurément non ; il n'y a de justice qu'à faire le bien. - Et qu'appelles-tu le bien ? je te prie, prouve-moi qu'il y a plus de bien à donner cent louis à un homme qu'à les lui ravir ? de quel droit suis-je obligée de faire le bonheur des autres ? et comment (préjugé à part) pourras-tu me convaincre que je me conduis mieux en le faisant, qu'en ne le faisant pas ? Tout principe de morale universelle est une vraie chimère ; il n'y a de vraie morale que la morale relative ; et celle-là n'a d'effets que sur nous. Les crimes me délectent, je les adopte ; j'abhorre la vertu, je la fuis ; je l'aimerais peut-être, si j'en avais reçu quelque jouissance. Oh ! Justine, corromps-toi à mon exemple. Elle est ingrate la déesse que tu sers ; elle ne te dédommagera jamais des sacrifices qu'elle exige, et tu l'auras servie tout le temps de tes jours, sans mérite comme sans récompense. - Mais si ce que vous faites était bien, madame, les hommes le puniraient-il ? - Les hommes punissent ce qui leur nuit ; ils écrasent le serpent qui les pique, sans qu'on puisse en induire pour cela le plus léger argument contre l'existence de ce reptile. Les lois sont égoïstes, nous devons l'être ; elles servent à la société ; mais les intérêts de la société ne sont pas les nôtres ; et lorsque nous flattons nos passions, nous faisons individuellement ce qu'elles font en masse ; il n'y a que les résultats qui diffèrent. Quelquefois d'Esterval se mêlait à ces conversations : elles prenaient alors une physionomie plus imposante. Immoral par principes et par tempérament, athée par goût et par philosophie, d'Esterval, combattant tous les préjugés, ne laissait à la malheureuse Justine aucun moyen de se défendre. Lorsqu'il arrivait à celle-ci de lui reprocher ses meurtres journaliers : - Mon enfant, lui disait-il, le mouvement est l'essence du monde ; cependant il ne peut y avoir de mouvement sans destruction ; donc la destruction est nécessaire aux lois de la nature ; donc celui qui détruit le plus, étant celui qui impose le plus de mouvement à la matière, est en même temps celui qui sert le mieux les lois de la nature. Cette mère de tous les hommes leur a donné à tous un droit égal à toutes choses. Il est permis, dans l'ordre naturel, à chacun de faire tout ce que bon lui semble contre qui que ce soit ; et chacun peut posséder, se servir et jouir indistinctement de tout ce qu'il trouve bon. L'utilité est la règle de droit. Il suffit qu'un homme désire une chose, pour constater la nécessité dont elle lui est, et, du moment que cette chose lui est nécessaire, ou simplement agréable, elle est juste. La seule punition que nous devions recevoir d'avoir fait cette action, consiste dans la permission qu'un autre a de la commettre également envers nous. « La justice ou l'injustice d'une action, dit Hobbes, dépend du jugement seul de celui qui l'a faite ; ce qui le tirera hors de blâme et justifiera son procédé. » La seule cause de toutes nos erreurs vient de ce que nous prenons toujours pour les lois de la nature, ce qui ne vient que des coutumes ou des préjugés de la civilisation. Rien au monde n'offense la nature : la civilisation, plus irascible, est grevée presque à chaque instant ; mais qu'importent les lésions qu'elle reçoit ! c'est outrager un fantôme que d'offenser les lois des hommes. Ceux qui travaillèrent à cette civilisation avaient-ils mon consentement ? et puis-je adhérer aux lois qui répugnent à ma conscience et à ma raison ? Justine alors vantait à d'Esterval l'excellence de nos perceptions ; et, s'appuyant sur cette base chancelante, elle voulait faussement en induire l'admission du système religieux. Je conviens, répondait d'Esterval, que nos perceptions, nos organes, d'une nature plus délicate que chez les animaux, nous ont conduits à croire à l'existence de Dieu et de l'immortalité de l'âme ; en conséquence nous nous écrions, comme vous le faites : Quelle meilleure preuve de la vérité de toutes ces choses que la nécessité où nous sommes de les admettre ! mais voilà précisément où gît le sophisme. Il est très vrai que la sorte de construction que nous avons reçue de la nature, nous oblige à créer des chimères, et bien souvent à nous consoler par elles ; mais l'existence d'un culte religieux n'en est pas plus démontrée pour cela. L'homme serait le plus heureux des êtres, si du seul besoin qu'il a d'une illusion quelconque en naissait aussitôt la réalité. Encore une fois, notre intérêt ne décide point de la réalité d'une chose ; et quand même il nous serait plus avantageux d'avoir affaire à un être aussi favorable que ses partisans le désignent, cela ne prouverait nullement l'existence de cet être. Il est mille fois plus agréable pour l'homme de dépendre d'une nature aveugle, que d'un être dont les bonnes qualités, soutenues par les seuls théologiens, sont à tout moment démenties par les faits. La nature, bien étudiée, nous fournit tout ce qu'il nous faut pour nous rendre aussi heureux que notre existence le comporte. C'est dans elle que nous trouvons de quoi satisfaire nos besoins physiques ; c'est dans elle que sont toutes les lois de notre bonheur et de notre conservation ; loin d'elle il n'est plus que des chimères, que nous ne devons cesser de maudire et de détester toute notre vie. Mais si Justine n'avait pas pour répondre à tant de philosophie cette vigueur d'esprit qui caractérisait si bien ses hôtes, elle tirait quelquefois de son cœur des idées auxquelles eux-mêmes se trouvaient fort embarrassés de répondre. C'est ce qui lui arriva un jour où d'Esterval la combattait sur le penchant qu'elle éprouvait à la bienfaisance, et où il lui faisait sentir toute la fausseté de cette prétendue vertu. « Eh oui, monsieur, je le sais, disait-elle avec cette pathétique éloquence de l'âme, qui vaut souvent bien mieux que celle de l'esprit ; oui, oui, je sais fort bien qu'on ne fait que des ingrats en se livrant à la bienfaisance ; mais j'aime encore mieux avoir à souffrir de l'injustice des hommes que des reproches de mon cœur3. Telles étaient les conversations de cette société, dont la corruption et les mœurs ne parvenaient point encore, comme on le voit, à détruire dans notre héroïne les excellents principes de son enfance, lorsque des étrangers arrivèrent à l'auberge. - Oh ! pour ceux-ci, dit d'Esterval, ils ne nous rapporteront pas grand argent, mais une dose de volupté bien forte ; je le sens au chatouillement de mon cœur. - Et quels sont donc ces gens ? dit Dorothée. - Un malheureux ménage, composé du père, de la mère et de la fille. Le premier, vigoureux encore, pourra bien te servir, je l'espère... la maman... tiens... vois-là par cette fenêtre trente ans au plus, de la blancheur... une jolie taille ; et quant à la fille... une beauté... treize ans... vois, vois sa figure enchanteresse... Ô Dorothée ! quelle décharge ! - Monsieur, dit le père en s'adressant respectueusement au patron, je crois devoir, avant que d'entrer, vous prévenir sur notre infortune ; elle est telle, qu'il nous deviendra impossible de payer notre dépense, quelque médiocre qu'elle puisse être. Nous n'étions pas nés pour le malheur ; ma femme a reçu quelque bien, je lui en apportai aussi. D'affreuses circonstances nous ont ruinés ; et c'est en comptant sur la charité des maîtres d'auberge, que nous nous transportons chez un parent en Alsace, qui nous a promis quelques secours. - Le malheur... d'Esterval, dit Justine à l'oreille de l'aubergiste... oh ! d'Esterval, vous le respecterez, j'en suis sûre ? - Justine, dit le féroce hôtelier, conduisez ces gens dans la chambre ordinaire ; je vais pourvoir à leur souper. Et Justine, le cœur gros de soupirs, Justine qui conçoit facilement, à l'ordre qu'elle reçoit, que le sort de ceux-ci ne sera pas meilleur que celui des autres, conduit tristement cette pauvre famille au fatal logement qui lui est destiné. - Infortunés, leur dit-elle dès qu'elle les vit établis, rien ne peut vous mettre à couvert de la scélératesse des gens chez qui vous êtes ; n'essayez même pas d'en sortir, vous ne le pourriez plus maintenant. Mais ne vous couchez pas ; brisez, coupez, s'il vous est possible, les barreaux de votre fenêtre ; laissez-vous glisser dans la cour, et sauvez-vous avec la rapidité de l'éclair. - Comment ? que dites-vous ?... oh ! ciel !... des malheureux comme nous !... qu'avons-nous donc, hélas ! qui puisse éveiller la fureur ou la rapacité des gens dont vous nous parlez ? Oh ! cela est impossible ! - Rien de plus certain ; pressez-vous ; dans un quart d'heure il ne sera plus temps. - Et quand j'essayerais, dit le père en s'approchant de la fenêtre, quand je suivrais vos avis, cette cour où nous tomberions... vous le voyez, elle est entourée d'un mur ; nous serions de même enfermés... Eh bien ! mademoiselle, puisque vous êtes assez bonne pour nous prévenir... puisque notre malheureux sort vous intéresse, tâchez de nous procurer des armes ; ce moyen, plus honnête et plus sûr, me suffira, j'en suis certain... - Des armes, n'y comptez pas, répondit Justine ; il n'en est aucune ici dont je puisse disposer. Essayez la fuite, c'est tout ce que je puis vous conseiller ; si elle ne vous réussit pas, tenez-vous sur votre lit, sans dormir : cette position vous garantira peut-être d'une trappe, par laquelle vous devez enfoncer. Adieu, ne m'en demandez pas davantage. On ne rend point la douleur de ce malheureux père. Aussitôt que Justine fut partie, il se jette dans les bras de sa femme. « Oh ! ma chère amie, s'écrie-t-il, à quel point nous poursuit l'infortune !... Mais, rendons grâces au ciel ; c'est ici la dernière... elle va mettre le terme à nos maux ». Et des larmes amères les inondaient tous trois. Pour d'Esterval, l'œil tranquillement posé sur la fente de la cloison, il observait avec le calme de la scélératesse, et se branlait voluptueusement à toute l'horreur de ce spectacle... - Fort bien, dit-il à Justine en l'arrêtant dès qu'il la vit sortir, tu t'es bien conduite cette fois ; viens m'exciter, mon ange, viens mettre ton beau cul dans mes mains, viens le placer près de mon vit... cette scène est unique pour moi. Et l'examen continuait, lorsqu'un instant de silence ayant succédé aux éclats de la douleur, d'Esterval craignit l'élan d'une résolution. - Retirons-nous, dit-il à Justine, il est temps d'agir. - Oh ! monsieur, ils n'ont pas soupé. - Ils ne me le payeraient pas, ce souper ; et quel besoin d'ailleurs ont-ils de prendre des forces pour le paisible et prompt voyage qu'ils vont faire ? - Quoi ! monsieur, vous ne pardonnerez pas à des malheureux de cette sorte ?... - Leur pardonner ? qui... moi... voilà les vraies victimes du libertin ; je serais bien fâché de les manquer. On descend. Justine et d'Esterval retrouvent Dorothée qui se branlait, dans la délicieuse idée du crime qu'elle allait commettre. Mais comme on ne voulait pas que notre héroïne s'aperçût du jeu de la trappe, on l'enferma dans une chambre ; et l'une des servantes la vint chercher, quand le parquet de la fatale cellule se trouva tout entier dans le caveau. - Tu vois, Justine, dit d'Esterval, qu'il était inutile que tu leur dises de se tenir sur leur lit pour échapper à la trappe. Ils y étaient ; mais voilà le lit et la chambre... Cependant les trois victimes, sans défense, imploraient d'Esterval par leurs gémissements et leurs pleurs. La jeune fille en larmes était aux pieds de ces deux féroces époux... Rien n'entrouvrait leur âme. C'est cette infortunée que d'Esterval sacrifie la première ; il la dépucelle sans pitié ; l'une et l'autre route du plaisir sont indifféremment parcourues par lui. La mère est traitée de même ; et le père a l'espoir de sa grâce, s'il consent à foutre Dorothée. Justine est obligée d'irriter les passions de ce malheureux. A force d'art elle y réussit. On a bien raison de dire qu'il se trouve plus souvent des trésors dans la culotte d'un rustre que dans celle d'un fermier général. Un vit monstrueux s'élève aussitôt : Dorothée tout en feu l'engloutit. D'Esterval, appuyant l'enfant sur les reins du fouteur de sa femme, se plaît à enculer la fille sur le dos du père. Justine a ordre de branler la mère. Cette fois, c'est d'Esterval lui-même qui doit, du même coup, ravir les jours du père et de la fille. L'instant de sa décharge est celui qu'il choisit ; et pendant que de sa main droite le scélérat, à coups de poignard, commet ce double meurtre, sa gauche, armée d'un pistolet, brûle la cervelle de la mère que Justine continuait de branler. Notre héroïne ne tient pas à cette complication d'horreurs, elle s'évanouit : tel est l'instant cruel où le farouche d'Esterval la saisit ; il l'encule. Sa femme le couvre de cadavres ; et le vilain décharge en martyrisant sa victime, pour la rendre, dit-il, à la vie. - Nous aurons une peine de moins, dit d'Esterval en sortant du cachot. - Et quelle est-elle ? dit Dorothée. - Celle de voler ceux-là. - Qui sait ? répondit une des servantes ; c'est souvent pour ne pas payer que ces coquins-là font les pauvres... Mais, hélas ! ceux-ci ne disaient que trop vrai ; les plus grandes recherches ne rapportèrent qu'un écu. - Exécrable action ! dit Justine ; convenez, dit-elle à ses maîtres, que voilà bien ce qui s'appelle un crime gratuit. - Ce n'est que comme cela qu'ils sont bons, répondit d'Esterval ! quand on aime le crime pour le crime seul, il n'a pas besoin de véhicule. La semaine suivante fut plus heureuse. Il vient des étrangers presque tous les jours ; mais, quelque avertissement que leur donnât Justine, pas un seul ne put échapper ; tous servirent à la fois la rapacité, la luxure de ce couple infernal, lorsqu'il arriva dans l'hôtellerie un personnage assez singulier pour attirer un moment l'attention de ceux qui veulent bien nous lire. Il était environ sept heures ; toute la société respirait, sur un banc près de la porte, cet air pur et serein des voluptueuses soirées d'un bel automne, lorsqu'un homme à cheval arrivant au galop demande, avec inquiétude, s'il est possible de trouver asile en cette maison. - J'ai été arrêté à une lieue d'ici, dit-il avec une sorte d'effroi, on a tué mon valet, on a volé son cheval. Assez heureux pour jeter à terre celui qui saisissait la bride du mien, je ne l'ai point été assez pour venger mon domestique ; son assassin a disparu ; j'ai fui. - Mais quelle imprudence ! dit d'Esterval, de traverser avec si peu de suite une forêt aussi dangereuse. - J'ai d'autant plus de tort, dit le cavalier, qu'assurément j'ai assez de monde à mes ordres pour me faire un peu mieux escorter ; mais je vais voir un oncle que j'aime beaucoup, qui m'invite depuis des siècles à aller partager les plaisirs dont il jouit dans une assez belle terre qu'il habite en Franche-Comté ; et comme je sais qu'il aime la solitude, je conduisais peu de monde avec moi. En un mot, monsieur, pouvez-vous me loger ? - Assurément, monsieur, répondit d'Esterval ; entrez, ma femme et moi tâcherons de vous recevoir du mieux qu'il nous sera possible. Le cavalier descend, passe dans le salon ; et c'est alors où Justine, pouvant le considérer plus à l'aise, jette un cri de surprise, en reconnaissant le personnage. - Ô Bressac ! s'écrie-t-elle, vous ici ! je suis une fille perdue... - Bressac, dit d'Esterval... quoi ! monsieur, vous êtes le marquis de Bressac... le propriétaire d'un si beau bien aux environs de la forêt de Bondy ? - C'est moi-même. - Embrassez-moi, monsieur, j'ai l'honneur de vous appartenir de fort près ; reconnaissez dans moi Sombreville, le cousin germain de votre mère. - Oh ! monsieur, cet événement... Hélas, vous savez par quelle fatalité j'ai perdu cette tendre mère ; mais ce que vous ignorez sans doute, et ce que vous ne laisserez pas impuni, poursuit Bressac en montrant Justine, c'est que voilà l'assassin de cette mère respectable. Comment est-il possible que vous gardiez chez vous un tel monstre ? - Oh ! monsieur, ne le croyez pas, s'écrie Justine en larmes, je ne suis point capable de cette horreur ; et si l'on veut me permettre de tout dire... - Taisez-vous, taisez-vous, Justine ; c'est avec monsieur que je vais m'instruire, et c'est de lui que je recevrai les impressions qui règleront ma conduite envers vous. Sortez. Justine, confuse, fut obligée de se retirer ; et M. de Bressac, comme on l'imagine bien, continua de la charger aux yeux de son parent. Au bout d'une heure, on rappelle Justine ; et l'ordre de conduire l'étranger dans la fatale chambre lui est donné comme à l'ordinaire. Elle obéit ; mais, évitant toute explication, elle redescend aussitôt vers son maître. - Monsieur, dit-elle avec empressement, quelle doit être ma conduite envers M. de Bressac ?... puisqu'il est votre parent, sans doute que... - Justine, répondit Sombreville, auquel nous continuerons de donner le nom de d'Esterval, il est étonnant qu'après les bontés... les égards que ma femme est moi vous témoignons sans cesse, vous ayez pu cacher une circonstance de votre vie qui vous rend aussi coupable aux yeux des hommes ordinaires. Connaissant notre philosophie sur ces fadaises, vous auriez dû ce me semble, avoir un peu plus de franchise. - Oh ! monsieur, je vous jure, répondit Justine avec cette noble candeur que donne la vertu, oui, je vous le proteste, je suis innocente du crime dont m'accuse M. de Bressac. Ah ! qu'il ne cherche pas si loin le meurtrier de sa mère ; il ne sait que trop où il est. - Comment ? expliquez-vous, Justine, dit madame d'Esterval. - Lui-même, madame, lui-même a commis cette horreur ; et le scélérat m'en accuse. - Êtes-vous bien sûre de ce que vous dites ? - Il m'est impossible d'en douter ; je révélerai, quand il vous plaira, toutes les particularités de cette infamie. - Je n'ai pas maintenant le temps de les entendre, dit d'Esterval. Puis, s'adressant à sa femme : Que décides-tu, Dorothée ? - C'est avec peine, répondit ce monstre, que je condamne à la mort un être aussi scélérat que nous ; mais ce bel homme excite horriblement ma luxure, et je veux absolument qu'il y passe. - J'y consens, dit d'Esterval. Justine, point d'explications avec lui, et courez accomplir votre mission accoutumée. Ne craignez rien, au reste, eussiez-vous même commis le crime dont il vous accuse, nous ne vous en estimerions pas moins ; au contraire, ce serait un titre à nos yeux ; ne rougissez donc pas d'en convenir. - Croyez qu'encouragée par un tel discours j'avouerais tout, si j'étais coupable ; mais je suis innocente de ce crime, je vous le proteste encore. - Eh bien, montez donc, mon enfant, et conduisez-vous comme à l'ordinaire ; souvenez-vous que je suis vos pas. Rien n'était embarrassant ici comme la conduite de notre héroïne : quelle jouissance pour elle, si la vengeance eût été de son goût ! Nous savons bien que dans le fait, qu'elle avertît ou non, la mort de son calomniateur était toujours certaine, mais, qui le croirait ! de cette certitude seule, Justine tira les nouveaux moyens qu'on va lui voir employer pour sauver la vie de celui qui avait si cruellement conjuré contre la sienne. Elle se presse ; elle sait qu'elle a le temps de parler un moment au marquis avant que d'Esterval ne vienne écouter. - Monsieur, lui dit-elle en larmes, malgré tout ce que vous m'avez fait, je viens vous sauver, si je puis. Quoique votre parent, le monstre chez qui vous êtes complote contre vos jours ; descendez promptement, ne restez bas une minute dans cette chambre où des pièges vous environnent de toutes parts. Venez essayer de calmer sa rage ; apaisez surtout sa mégère ; plus acharnée que son époux, elle a prononcé votre mort. Descendez, monsieur, descendez ; que vos pistolets soient sur vous ; dans deux secondes il ne sera plus temps. Bressac qui, dans le fond de son âme, était obligé d'estimer assez celle qui lui parlait, pour ajouter la plus grande confiance à ses paroles, s'élance, et rencontre d'Esterval dans l'escalier. - Descendons, monsieur, lui dit-il fermement, il faut que je vous parle. - Mais, monsieur... - Descendons, vous dis-je. Et en disant cela, il le pousse dans le salon, referme la porte sur lui, en écartant Justine qui le suit. Là, le dialogue dut être fort vif sans doute ; on nous en a laissé ignorer les détails ; mais les résultats furent que Bressac, s'étant vraisemblablement démasqué vis-à-vis de son cousin, lui persuada facilement que les scélérats entre eux ne doivent pas se faire de mal ; que Dorothée fut calmée par les gentillesses et les séductions du marquis ; et que la partie fut faite d'aller tous chez l'oncle de Bressac. - Cet oncle est un libertin de profession, dit Bressac ; il est aussi votre parent, puisque nous sommes cousins ; allons-y, je vous promets chez lui les plus divins plaisirs. Ces arrangements pris, on soupa tous ensemble. Justine fut admise. - Embrasse-moi, lui dit Bressac ; va, je te rends l'honneur vis-à-vis de mon parent... Mon ami, puisque tu es aussi scélérat que moi, je ne crains point de t'avouer que je suis le seul auteur du crime dont j'accusais tantôt cette fille ; la malheureuse en est incapable ; qu'elle soit du voyage. Mon oncle m'a chargé de lui chercher une femme de chambre ; il veut une fille sûre pour mettre auprès de son épouse. Au fait de ce dont il s'agit je présume que personne ne lui convient comme Justine. La place que je lui propose est bonne ; en gagnant la confiance de mon oncle, elle peut enfin réaliser la chimère du bonheur, après laquelle elle court depuis si longtemps... Oh ! Justine, accepte ce gage de ma reconnaissance, et que l'union, la paix et la tranquillité règnent parmi nous. Consentez-vous à cet arrangement, cousin ? et me cédez-vous Justine ? - Oh ! de tout mon cœur, répond d'Esterval ; aussi bien commençai-je à m'en lasser ; et les suites de mon dégoût eussent pu devenir fatales pour elle. - Je le crois, dit Bressac ; je te ressemble, mon cher ; quand un objet a assouvi ma lubricité, je voudrais l'envoyer au diable. - Vous n'avez donc point joui de Justine ? dit Dorothée. - Non, madame, je ne connais que vous dans le monde qui puissiez me faire infidélité à mes goûts ; je n'aime que les hommes. - Mon ami, dit d'Esterval avec précipitation, ma femme t'en servira quand tu voudras ; elle a le plus beau cul et le goût le plus grand pour y loger des vits... un clitoris d'ailleurs plus gros que le doigt, et par le moyen duquel elle te rendra tout ce qu'il te plaira de lui donner. - Oh ! parbleu, tout à l'heure, dit Bressac ; je n'ai jamais su remettre un projet de libertinage. Et il allait s'emparer de Dorothée, qui, déjà, ivre de vin et de luxure lui faisait le plus beau jeu du monde, lorsqu'on entendit les chiens aboyer de manière à faire croire qu'on allait bientôt sonner à la porte. On le fit effectivement : des étrangers, quoiqu'il fut déjà minuit, demandaient à entrer dans la maison. C'étaient des cavaliers de maréchaussée qui, venant d'apprendre le vol commis en la personne de Bressac, et le meurtre de son domestique, après avoir suivi les traces autant qu'ils l'avaient pu, venaient s'informer s'il n'y avait pas dans cette auberge des gens qui pussent les éclairer. Bressac parut lui-même, raconta ce qui lui était arrivé, et dit qu'il ignorait la route qu'avaient prise les voleurs. On fit boire ces messieurs ; on leur offrit des lits, qu'ils n'acceptèrent pas ; ils partirent. La joie reparut dès qu'on les vit dehors ; et les plus scandaleuses orgies se célébrèrent le reste de la nuit. Le mélange des sexes n'ayant pu réussir, et les efforts de Bressac ne l'ayant conduit qu'à sodomiser deux fois Dorothée, il fallut que les hommes s'amusassent ensemble, et que les femmes fissent de même. Dorothée, tout en feu, fatigua Justine ; d'Esterval épuisa Bressac ; et l'on se coucha vers la pointe du jour avec le projet de partir tous quatre aussitôt qu'on aurait déjeuné. - L'homme chez qui je vous mène, dit Bressac en procédant à ce repas, se nomme le comte de Gernande. - Gernande ! assurément, je suis son parent, dit d'Esterval ; il était le frère de votre mère, et par conséquent mon cousin germain. - Et le connaissez-vous ? - Je ne l'ai vu de ma vie ; je sais seulement que c'est un homme singulier... un homme dont les goûts... - Attendez, attendez, dit Bressac ; je m'en vais vous le peindre, puisque vous ne le connaissez pas. Le comte de Gernande est un homme de cinquante ans, fort gros. Rien n'est effrayant comme sa figure ; la longueur de son nez, l'épaisse obscurité de ses sourcils, ses yeux noirs et méchants, sa grande bouche mal meublée, son front ténébreux et chauve, le son de sa voix rauque et menaçant, l'énormité de ses bras et de ses mains, tout contribue à en faire un individu gigantesque, dont l'abord inspire la terreur. Vous verrez bientôt si le moral et les actions de ce satyre répondent à son affreuse caricature. De l'esprit d'ailleurs, des connaissances ; mais point de mœurs, point de religion, l'un des plus grands scélérats qui aient jamais existé, et le plus célèbre gourmand dont vous ayez entendu parler de vos jours. Rien de singulier comme le genre de ses débauches. Sa femme est le premier objet de sa férocité ; mais il entremêle à cela des épisodes sodomistes si libertins, que je suis persuadé qu'avant huit jours vous me remercierez l'un et l'autre de vous avoir procuré cette connaissance. - Et c'est à cette femme, malheureux objet des fureurs de son mari, que vous me destinez, monsieur ? dit Justine. - Sans doute ; c'est une femme fort douce à ce qu'on dit... Je ne la connais pas, moi... mais on assure que c'est une femme honnête et sensible, qui a besoin d'avoir auprès d'elle quelqu'un qui lui ressemble... un être doux qui la console. Il me semble, Justine, que cela s'arrange au mieux avec vos principes. - Soit ; mais en consolant la femme ne déplairai-je pas au mari ? Ne serai-je pas d'ailleurs en proie aux brutales passions du scélérat que vous venez de peindre ? - Et quand cela serait, dit Bressac, le beau malheur ! n'étiez-vous pas dans cette maison exposée aux mêmes dangers ? - Malgré moi. - Eh bien ! chez mon oncle, il faudra que ce soit de bon gré ; ce sera toute la différence. - Oh ! monsieur, je le vois, votre esprit toujours bien méchant n'a rien perdu de sa causticité ; mais, dès que vous connaissez mon caractère, vous voyez bien, monsieur, que je ne puis me prêter à toutes ces choses. Puisque d'Esterval quitte sa maison, qu'il n'a plus besoin de mon service, quelles obligations je vous aurais à l'un et à l'autre, messieurs, si vous vouliez me rendre une liberté... que dans le fait vous n'avez pas trop le droit de me ravir. - Oh ! pour le droit, il est incontestable, dit d'Esterval : ne sommes-nous pas les plus forts ? et connais-tu Justine, un droit plus sacré que celui-là ? - Je m'oppose formellement à cette liberté, dit Bressac. Spécialement chargé par mon oncle de lui amener une fille douce et jolie pour sa femme, et n'en trouvant point qui vaille Justine, elle sera flattée je l'espère, que je la lie irrévocablement au sort de madame de Gernande. Elle est absolument ce qu'il lui faut, et cette intime liaison dût-elle l'exposer quelquefois aux brutales passions du mari, je la supplie de trouver bon que rien ne m'empêche de la destiner à la femme. Justine eût en vain répliqué, il fallait obéir. On partit. Jusqu'au milieu de la forêt, la route se fit à cheval ; une voiture à quatre places se prit à la première ville, et l'on arriva sans événement chez M. de Gernande ; dont le château superbe était isolé au milieu d'un grand parc environné de hautes murailles, sur les confins du Lyonnais et de la Franche-Comté. Mais il s'en fallait bien que ce vaste bâtiment fut aussi peuplé qu'il paraissait fait pour l'être ; on n'apercevait un peu de train que vers les cuisines, situées dans les voûtes, sous le milieu du corps du logis ; tout le reste était aussi solitaire que la position du château. Lorsque la compagnie entra, M. de Gernande était au fond d'un vaste et superbe appartement, enveloppé dans une robe de chambre de satin des Indes, négligemment drapée sur l'ottomane qui le contenait. Près de lui se voyaient deux jeunes garçons si ridiculement vêtus, coiffés avec tant d'art... tant d'élégance, qu'on les eût pris pour des filles ; tous deux d'une figure charmante, et de quinze ou seize ans au plus, mais dans un tel état de mollesse et d'abattement, qu'on était tenté de les croire malades4. - Mon cher oncle, dit le marquis de Bressac en entrant, voilà deux de mes amis que j'ai l'honneur de vous présenter, avec d'autant plus de confiance, qu'ils ont l'un et l'autre l'avantage de vous appartenir. Reconnaissez dans eux monsieur et madame de Sombreville. - Ah ! ce sont mes cousins, dit Gernande, je ne les ai jamais vus ; mais puisque tu me les amènes, ils sont sûrement dignes de nous ; je suis d'après cela, fort aise de les voir. Et cette jeune fille, quelle est-elle ? - Une femme de confiance, mon oncle, que, d'après vos ordres, j'amène à madame de Gernande, et à laquelle je crois toutes les qualités nécessaires au poste qui lui est destiné. Le comte fit approcher Justine ; et, sans demander aucune permission à la compagnie, il la trousse jusqu'au dessus des reins, et l'examine des pieds à la tête, de la manière la plus brusque et la plus cavalière. - Quel âge avez-vous ? lui demanda-t-il. - Vingt ans, monsieur. Et il joignit à cette première demande quelques questions sur son personnel. Justine raconta succinctement les plus intéressantes particularités de sa vie sans oublier la flétrissure de Rodin ; mais en déguisant avec art les horreurs où elle avait été contrainte chez le parent que l'on présentait à Gernande ; elle peignit ensuite sa misère. - Vous êtes malheureuse, interrompit le centaure, tant mieux... tant mieux, vous en serez plus souple... C'est un très petit inconvénient, n'est-ce pas, messieurs, que le malheur poursuive cette race abjecte du peuple, que la nature condamne à ramper près de nous sur le même sol ? elle en est plus active et moins insolente ; elle en remplit bien mieux ses devoirs près de nous. - Mais, monsieur, dit Justine, je vous ai dit ma naissance ; elle n'est point abjecte. - Oui, oui, je connais cela ; on se fait passer pour tout plein de choses quand on est dans la misère ; il faut bien que les illusions de l'orgueil viennent consoler des torts de la fortune. C'est à nous de croire ensuite ce qui nous plaît, de ces naissances abattues par les coups du sort. Tout m'est égal, au reste ; je vous trouve sous le costume d'une servante, je vous prendrai donc sur ce pied si vous le trouvez bon. Cependant il ne tiendra qu'à vous d'être heureuse ; de la patience, de la discrétion, et dans quelques années je vous renverrai d'ici en état de vous passer du service. Mon ami, dit-il ensuite à Bressac, parle-moi maintenant un peu des deux aimables parents que tu m'amènes ; c'est assez nous occuper d'une salope. - Monsieur et madame de Sombreville, plus connus sous le nom de d'Esterval, ont, mon cher oncle, toutes les qualités qui peuvent vous rendre leur connaissance agréable ; leur profonde immoralité vous les fera chérir, j'en suis sûr ; et quand vous saurez que, malgré leur nom et leurs richesses, ils ont quitté tout ce qui pouvait les faire vivre avec agrément dans ce monde, pour s'enterrer au fond d'une forêt, où le seul plaisir qu'ils connaissent est de voler et d'égorger les passants qui viennent demander l'hospitalité dans la maison qu'ils tiennent au milieu de ce sombre asile ; quand vous apprendrez tout cela, dis-je, je me flatte que vous me saurez gré de vous amener d'aussi précieux amis. - Ils égorgent les passants, dit Gernande en éclatant de rire, ah ! voilà qui est délicieux ! je connais tout cela, moi ; je l'entends à merveille... Il est inouï ce qu'on fait avec de l'imagination !... On tue, on vole, on pille, on empoisonne, on incendie ; il n'y a rien de si simple que tout cela ; on y bande, et de ce moment-là seul, c'est divin. Je me suis amusé de toutes ces fadaises autrefois, ma tête s'en irrite encore ; mais, comme je vieillis, je préfère des plaisirs plus tranquilles et plus casaniers. J'en fais peut-être autant ; mais c'est chez moi, et je l'aime mieux... Ah ça ! et la femme de ce charmant parent, elle est donc... - Tout aussi vicieuse que lui, mon cher oncle ; j'espère que son cynisme et son libertinage vous amuseront. Ah ! croyez que notre parent a trop d'esprit pour s'enchaîner à une femme si elle n'avait pas les mêmes vices que lui. - Il faut cela, dit Gernande ; j'avoue que sans cette clause, je ne lui pardonnerais pas de me venir voir ainsi maritalement. Les femmes, mon cher neveu, ont un furieux besoin de réparer les torts de leur sexe. Pardon madame, poursuivit-il en s'adressant à Dorothée ; mais je n'aime guère plus les femmes que mon neveu ; et si j'en garde une chez moi, la manière dont je la rends victime de mes caprices me fait trouver bien excusable aux yeux des gens qui pensent comme moi... Puis, faisant approcher Dorothée : Elle est belle, au moins, votre femme... extrêmement belle, mon cousin, permettez-vous ? Et le vilain, troussant Dorothée par derrière, lui examina les fesses un moment... Voilà, sur ma parole, un fort beau fessier, continua-t-il, un peu masculin, mais je l'aime mieux ainsi. Vous n'avez jamais eu d'enfants, j'espère ? - Non, en vérité, monsieur, je ne m'expose point à de pareilles bêtises ; mais si, par quelque imprudence, un tel malheur venait à m'arriver, deux ou trois verres de sabine5 m'auraient promptement débarrassée. - Ah ! bien, bien, je vois qu'elle est fort aimable, votre femme : elle forme, avec la mienne, un délicieux contraste ; il me tarde de les réunir. - Désirez-vous, monsieur, dit d'Esterval, que je vous laisse seul avec elle ? - Eh, non, répondit le comte, nous ne devons point nous gêner entre nous, et j'espère que nos plaisirs seront désormais comme nos pensées. - A découvert, dit Bressac ; c'est le vrai charme de la société. - Et vous, mon cousin, reprit Gernande en s'adressant à d'Esterval, vous devez avoir un vit ?... - De mulet, dit Bressac. Tel accoutumé que je sois de m'en introduire d'énormes dans le cul, je vous assure que le sien me fait toujours souffrir. Et Justine, sur un signe de Bressac, étant venue déculotter d'Esterval, apporta sous les yeux de Gernande l'un des plus beaux et des plus énormes engins qu'il eût aperçu de sa vie. - Ah ! voilà qui est superbe, dit Gernande en essayant de le sucer, mais sans pouvoir réussir à le faire entrer dans sa bouche ; voilà qui est divin. Oh ! mon cher, que j'ai d'empressement de vous voir enfiler ma femme ! Tourne-moi les fesses, Bressac, que je le plonge un moment dans ton cul... Mais, il y entre... Oh ! quel anus, mon neveu ! quel anus ! je n'en vis jamais de si large. Mes amis, dit-il à ses deux gitons, que l'un de vous palpe les couilles de Bressac, que l'autre lui offre le derrière ; occupez-vous donc des soins nécessaires à un homme foutu. Il n'y a sorte d'égards qu'il ne faille lui prodiguer en ce cas... C'est un individu du dernier intérêt qu'un homme enculé ; il n'est aucune sorte d'attention qu'on ne lui doive... Et les choses s'arrangèrent bientôt de façon que Bressac, foutu et foutant, se vit au moment de décharger... - Arrête, arrête ! lui cria son oncle, qui s'en aperçut ; ménage-toi, mon ami ; je ne voulais voir que cette expérience. J'entends sonner le dîner ; allons nous mettre à table. C'est une heure intéressante pour moi que celle-ci ; au dessert, je serai des vôtres ; c'est mon moment ; nous exécuterons alors quelques scènes qui nous réjouissent un peu tous les quatre. On se mit à table. « Pardon, dit le comte ; je ne vous attendais pas ; mon neveu ne m'avait point écrit ; c'est mon dîner de tous les jours que je vais vous donner ; vous voudrez bien en souffrir la médiocrité. » On servit deux potages : l'un de pâte d'Italie au safran, l'autre, une bisque au coulis de jambon ; au milieu, un aloyau de bœuf à l'anglaise ; douze hors-d'œuvre, dont six de cuisine et six de potager ; douze entrées, dont quatre de boucherie, quatre de volaille et quatre de pâtisserie ; une hure de sanglier, au milieu de douze plats de rôti, qu'on releva par deux services d'entremets, douze de légumes, six de différentes de crèmes, et six de pâtisseries ; vingt plats de fruits ou de compotes ; six sortes de glaces ; huit espèces de vins ; six différentes liqueurs, du rhum, du punch, de l'esprit de cannelle, du chocolat et du café. Gernande entama tous les plats ; quelques-uns furent entièrement vidés par lui : il but douze bouteilles de vin, quatre de Volney, en commençant, quatre d'Aï, au rôti ; le tokay, le paphos, le madère et le phalerne6 furent avalés aux fruits ; il termina par deux bouteilles de liqueurs des îles, une pinte de rhum, deux bols de punch, et dix tasses de café. Les d'Esterval et le marquis de Bressac, pour le moins aussi gros mangeurs, lui avaient tenu tête ; mais il paraissaient être échauffés ; au lieu que Gernande était aussi frais que s'il fût venu de s'éveiller. Pour Justine, à laquelle on avait bien voulu permettre de se placer au bout de la table, de la retenue, de la sobriété, beaucoup de modestie, voilà les vertus d'habitude qu'elle opposait constamment à la grossière intempérance de tous les scélérats parmi lesquels la plaçait sa malheureuse fortune. - Eh bien, dit Gernande en sortant de table, vous sentez-vous disposés à l'exécution de quelques scènes lubriques ? pour moi, je l'avoue, c'est mon moment. - Oui, pardieu, faisons quelque chose, dit Bressac, l'échantillon du sérail masculin que je viens de voir chez vous, mon cher oncle, me donne une étonnante envie de connaître le reste. - A tes ordres, mon ami, répondit le comte ; peut-être ne seras-tu pas fâché non plus de voir mes procédés dans l'art libidineux ; je te les ferais voir avec Justine. - Et votre femme, monsieur ? dit Dorothée. - Oh ! vous ne la verrez que dans deux ou trois jours ; elle se repose après chacune de mes séances ; elle a besoin d'un long relâche ; vous en jugerez par ce que vous allez voir. Madame, continua Gernande en s'adressant encore à Dorothée, toutes mes turpitudes vont vous surprendre ; mais l'on assure que vous êtes philosophe et voluptueuse ; avec ces qualités-là rien n'étonne ; et comme on a soi-même des passions, on trouve celles des autres toutes simples. -- Aimable cousin, dit Dorothée, je regarde comme une marque d'estime la manière franche et naïve dont vous allez vous ouvrir devant moi. Soyez bien convaincu d'ailleurs, qu'aucun excès ne me surprend ; et qu'avec mes goûts et mes caprices, ce n'est jamais que de la médiocrité de ceux des autres dont il est permis de se plaindre. Je vous prie de m'assigner un rôle ; je remplirai celui que vous m'indiquerez comme victime ou sacrificateur. - Victime ! non, dit Gernande, je vous ferais mal ; je vais en faire beaucoup à cette fille. Je saigne, poursuivit-il, en commençant à branlotter l'engin le plus médiocre... le plus étonnamment petit, relativement à son énorme taille... oui, je saigne, telle est ma fantaisie ; et j'y joins le cruel épisode de ne vouloir procéder à cette opération que quand l'objet dont je me sers a l'estomac rempli. Il résulte nécessairement de cette précaution un bouleversement plus constant dans l'organisation ; et c'est à ce désordre, peut-être autant qu'au sang que je fais couler, qu'est due l'érection que j'obtiens. - Il est charmant, dit Bressac en s'approchant de son oncle et lui branlant le vit ; il a des détails et des raffinements délicieux. Et Gernande déculottant le marquis le branlait d'une main, et lui maniait les fesses de l'autre. - Quant à vous mon cher cousin, poursuivit-il en s'adressant à d'Esterval, je ne me lasse point de toucher votre beau vit ; vous foutrez ma femme, est-il vrai, mon ami ? - En vérité, dit d'Esterval, je lui ferai tout ce que vous voudrez. - Même du mal ? - Oh ! des horreurs... des exécrations... Et pendant ce temps-là, par les ordres de Gernande les deux femmes se déshabillaient. - Oh ! sacredieu, cachez le con, mesdames, dit-il à Dorothée et à Justine, qu'il vit prêtes à lui présenter des autels si peu dignes de son culte ; dissimulez cela, je vous en conjure, sans quoi vous me verriez nul, à ne m'en relever de six semaines. Bressac pose des mouchoirs triangulaires, renoués sur les reins ; et les deux femmes avancent. Après avoir un instant baisé les culs, après les avoirs maniés, claqués, il prend l'un des bras de Justine, le considère ; prend l'autre, l'examine de même, et lui demande combien de fois elle a été saignée. - Deux fois, monsieur, répond Justine. Et pendant ce dialogue et ce qui va suivre, Dorothée, à genoux entre les cuisses du paillard, lui suçait le vit ; tandis que Bressac et d'Esterval, dans un autre coin de la chambre, s'amusaient diversement avec les deux gitons que nous avons peints en introduisant nos lecteurs dans cette maison. Gernande, continuant son examen, appuya ses doigts sur les veines de Justine, comme lorsqu'on veut les gonfler pour procéder à l'opération de la saignée ; et, quand il les vit au point où il les désirait, il y appliqua sa bouche, en les suçant. - Allons, putain, dit-il durement à notre malheureuse Justine, prépare-toi, je vais faire couler ton sang. - Oh monsieur... - Crois-moi, poursuit Gernande, dont la tête se monte ; crois-moi, gueuse, n'essaie pas de jouer ici la prude. La résistance ne te réussirait pas ; j'ai des moyens pour mettre à la raison les femmes qui veulent s'opposer à mes désirs. Ses mains se placèrent alors sur les fesses de Justine ; il les pétrissait avec force ; ses ongles, longs et crochus, s'imprimant dans les chairs, y laissaient des marques sanglantes, que ses lèvres suçaient aussitôt. Quelquefois il prenait des pincées de ces mêmes chairs, qu'il amollissait jusqu'à les meurtrir ; l'instant d'après il en faisait autant sur la gorge, comprimait le mamelon avec une telle violence, que Justine jetait les hauts cris. - Bravo, mon oncle, disait alors Bressac ; soyons, je vous supplie, en révolte ouverte avec les tétons ; cette partie féminine doit être celle que des sodomistes comme nous doivent le plus souverainement détester ; la gorge est en horreur a qui chérit les culs. - Oh, je la hais plus qu'il n'est possible de le dire, poursuivit Gernande en mordant celle de Justine. Il lui fait faire ensuite quelques pas en avant, revenir vers lui à reculons, afin de ne pas perdre de vue la perspective du beau cul de notre héroïne. Sitôt qu'elle était près de lui, il la faisait pencher, tenir droite, serrer, écarter ; puis, il se courbait devant l'objet de son culte le mordait à plusieurs endroits, et même sur l'orifice. Mais, par une fantaisie fort singulière, tous ces baisers étaient l'image de la succion ; il n'en faisait pas un qui n'eût cette action pour but ; on eût dit qu'il tétait chacune des parties où se portaient ses lèvres. Ce fut pendant ces examens préliminaires qu'on lui demanda beaucoup de détails sur ses aventures du couvent de Sainte-Marie ; et, sans prendre garde que ses récits enflammaient ses persécuteurs, la pauvre Justine les faisait tous avec autant de candeur. Gernande ici désira des garçons ; mais voyant ceux qui étaient là trop occupés avec Bressac et d'Esterval, il sonna. Deux nouveaux parurent ; ils étaient à peine âgés de seize ans, et de la physionomie la plus agréable ; ils l'approchèrent pendant que Dorothée le suçait toujours. Dès que le paillard les vit à sa portée, il lâcha le nœud coulant d'un gros flot de ruban rose qui retenait des culottes de gaze blanche, et mit à découvert les deux plus jolis petits culs du monde. Après les avoir un instant baisés à sa manière, il suce les vits, en continuant de pincer les fesses et les tétons de Justine. Soit habitude dans les jeunes gens, soit adresse de la part de ce satyre, en très peu de minutes la nature vaincue fit couler dans la bouche de l'un ce qu'elle lançait du membre des deux autres ; et le vilain avala le foutre. Voilà comme ce libertin épuisait les enfants qu'il avait chez lui ; et voilà la raison de l'état de langueur dans lequel nous les avons peints. L'hommage rendu par le comte aux attraits de Justine se prolongeait infiniment ; mais pas la plus légère inconstance au temple où brûlait son encens ; ni ses baisers, ni ses désirs ne s'en écartaient une minute. Il fit relever la d'Esterval ; un des gitons la remplace, et lui suce le vit. S'emparant des fesses de celle qui quitte le poste, il la traite à peu près comme il vient de faire de Justine ; mais comme il ne veut point la saigner, il examine plutôt son cul que ses bras. Il loue singulièrement ce cul ; et, s'adressant au mari : - Monsieur, lui dit-il, si vous ne foutez pas le garçon qu'il me semble que vous caressez, voudriez-vous me faire le plaisir de venir sodomiser votre femme ; je prierai mon neveu de vous enculer ; deux Ganymèdes vous baiseront, pendant qu'aidé des deux autres je procéderai, sur la belle Justine, à mon opération chirurgicale. D'Esterval, qui ne faisait que manier, gamahucher le jeune garçon dont on lui parlait, s'avança la pique à la main ; et Dorothée, lui faisant beau cul, fut enfilée dans un instant. Bressac, très partisan du cul de d'Esterval, quitte de même le giton qu'il palpe, pour venir sodomiser son cousin. Les Ganymèdes entourent, en faisant toucher l'un son cul, l'autre son vit, tandis que Gernande, enchanté de voir se former un tel groupe sous ses regards lascifs, s'occupe à composer le sien. - Narcisse, dit-il a l'un des jeunes gens qu'il avait retenus près de lui, voici la nouvelle femme de chambre que je destine à la comtesse ; il faut que je l'éprouve ; donne-moi mes lancettes. Et Narcisse aussitôt en présente à son maître. Justine se trouble ; elle frémit ; tout le monde rit de son embarras. - Place-là, Zéphyre, continue Gernande en s'adressant à son autre giton. Et ce bel enfant, s'approchant de Justine, lui dit, en souriant : - N'ayez pas peur, mademoiselle ; cette opération ne peut vous faire que le plus grand bien ; placez-vous ainsi. Il s'agissait d'être légèrement appuyée sur les genoux, au bord d'un tabouret mis au milieu de la chambre, les bras soutenus par deux rubans noirs attachés au plafond. A peine est-elle en cette posture, que le comte s'approche d'elle, la lancette à la main. Il respirait à peine ; ses yeux étincelaient ; sa figure inspirait la terreur. Il bande les deux bras, et, en moins d'un clin d'œil, il les pique tous deux. Un cri s'exhale de sa poitrine enflammée, deux ou trois blasphèmes l'accompagnent ; et, dès qu'il voit le sang, il va s'asseoir tout auprès du groupe de Dorothée. Narcisse, à genoux entre ses jambes, le suce ; et Zéphyre, les pieds sur les bras du fauteuil de son maître, lui présente à téter le même objet qu'il offre lui-même à pomper à l'autre. Gernande empoignait les reins de Zéphyre ; il le comprimait contre lui, ne le quittant de temps en temps que pour porter ses regards lascifs, tantôt sur la malheureuse phlébotomisée, tantôt sur le groupe en action qu'inondait le sang de Justine. Celle-ci néanmoins se sent faiblir. - Monsieur, monsieur ! s'écrie-t-elle, ayez pitié de moi, je m'évanouis. Elle chancelle effectivement ; elle tomberait sans les rubans qui la soutiennent ; ses bras varient ; sa tête flotte sur ses épaules ; les jets de sang, détournés par ces oscillations, viennent inonder son visage. Le comte est dans l'ivresse, se lève, et, s'emparant du cul de son neveu, tout mouillé du sang de Justine, il le sodomise, et y décharge, pendant que la victime perd à la fin connaissance. D'Esterval, enchanté du spectacle, inonde de même le cul de sa femme, qui, le con appuyé sur les fesses d'un giton, l'encule avec son clitoris, en lui barbouillant les fesses de foutre, et lui branlant le vit. Les bras de Justine se bandent à la fin ; on l'emporte ; et nos libertins, épuisés, vont se rafraîchir dans les jardins. Connaissant les crises du délire des autres personnages de ce château, nous n'y ramènerons point nos lecteurs ; mais qu'il nous soit permis de fixer leur attention quelques minutes sur celles de Gernande. Près d'un quart d'heure entier le paillard était en extase... et quelle extase ! grand Dieu ! il s'y débattait comme un homme qui tombe en épilepsie ; ses cris épouvantables, ses blasphèmes atroces, se seraient entendus d'une lieue ; il frappait tout ce qui l'entourait ; ses efforts étaient effrayants. Abandonnons maintenant, pour deux jours, toute la gaillarde assemblée. L'établissement de Justine auprès de sa maîtresse est la seule chose qui doive nous occuper. Ce fut au bout de cet intervalle que Gernande lui fit dire de venir lui parler dans le même salon où il l'avait reçue en arrivant ; elle était faible encore, mais d'ailleurs assez bien portante. - Mon enfant, lui dit-il après lui avoir permis de s'asseoir, je renouvellerai rarement avec vous la scène d'avant-hier ; elle vous épuiserait, et j'ai besoin de vous pour autre chose ; mais il était essentiel que je vous fisse connaître mes goûts, et le genre de mort par lequel vous périrez dans cette maison, si vous me trahissez, si seulement vous vous laissez séduire par la femme auprès de laquelle vous allez être mise. Cette femme est la mienne, on vous l'a dit, Justine ; et ce titre est sans doute le plus funeste qu'elle puisse avoir, puisqu'il l'oblige à se prêter journellement à la passion bizarre où je viens de vous soumettre. N'imaginez pas, au reste, que je la traite ainsi par vengeance... par mépris... par aucun sentiment de haine : c'est la seule histoire des passions. Rien n'égale le plaisir que je goûte à répandre le sang de cette créature ; c'est la plus délicieuse jouissance de mon cœur ; je ne me suis jamais amusé avec elle d'une autre manière. Il y a trois ans qu'elle est enchaînée à moi, et qu'elle subit régulièrement, tous les quatre jours, l'opération que vous avez éprouvée. Sa grande jeunesse (à peine a-t-elle vingt ans), les soins particuliers que l'on en a, l'abondante nourriture qu'elle prend, tout cela la soutient. Mais, avec une sujétion semblable, vous sentez bien que je ne puis ni la laisser sortir ni la montrer à d'autres gens, qu'à ceux qui, ayant à peu près les mêmes goûts que moi, doivent, de ce moment, excuser les miens. Je la fais donc passer pour folle ; et sa mère, le seul individu qui lui reste au monde, demeurant dans son château, à six lieues d'ici, est tellement convaincue de cette idée, qu'elle n'ose même la venir voir. La comtesse implore bien souvent sa grâce ; il n'est rien qu'elle ne fasse pour m'attendrir ; mais elle n'y réussira jamais. Ma luxure a dicté cette sentence, elle est invariable. Elle ira de cette manière tant qu'elle pourra ; rien ne lui manquera pendant sa vie ; et, comme j'aime à l'épuiser, je la soutiendrai le plus longtemps possible... quand elle n'y pourra plus tenir... à la bonne heure... C'est ma quatrième ; j'en aurai bientôt une cinquième, une sixième... une vingtième ; rien ne m'inquiète moins que le sort d'une femme : il y en tant dans le monde ! et il est si doux d'en changer ! Quoi qu'il en soit, Justine, votre emploi est de la soigner. Elle perd régulièrement deux palettes de sang, tous les quatre jours ; mais l'habitude lui prête des forces ; elle ne s'évanouit plus maintenant ; son épuisement dure vingt-quatre heures ; elle est assez bien les trois autres jours. Vous devez comprendre, néanmoins, que cette vie lui déplaît souverainement. Il n'y a rien qu'elle n'entreprenne pour faire savoir son véritable état à sa mère : elle a déjà séduit deux de ses femmes, dont les manœuvres furent heureusement découvertes assez tôt pour en rompre le succès. Elle est la cause de la mort de ces malheureuses ; je les fis expirer sous ses yeux. - Vous avez tué ces deux femmes, monsieur ? - Oui ; en pareil cas je les saigne des quatre membres et les laisse s'éteindre de cette manière. - Oh Dieu ! - Vous sentez bien, Justine, que ma femme se repent aujourd'hui d'avoir compromis ces deux femmes... elle se reproche leur mort ; et, reconnaissant l'immutabilité dé son destin, elle commence à prendre son parti, et à promettre de ne plus séduire les personnes dont je l'entourerai. Si cela arrivait pourtant, je dois vous en prévenir, vous seriez traitée comme les autres. Regardez-vous donc de ce moment comme n'étant plus de ce monde, puisque vous en pouvez disparaître au plus petit acte de ma volonté. Tel est votre sort, Justine : heureuse si vous vous conduisez bien, morte dans le cas contraire... Vous m'avez entendu ? passons chez ma femme. N'ayant rien à objecter à un discours aussi précis, Justine suivit son maître. Après avoir traversé une longue suite d'appartements, aussi sombres, aussi solitaires que le reste du château, elle pénètre dans une antichambre où se trouvent deux vieilles, qu'on lui annonce être sous ses ordres pour tout ce qui concerne le service de la comtesse. Elles ouvrent. Gernande et Justine se trouvent dans l'appartement où était la jeune et malheureuse épouse de ce monstre, couchée sur un lit de repos, et dans un état de pâleur et d'abattement facile à soupçonner. Elle se leva dès qu'elle aperçut son mari, et vint respectueusement lui demander ses ordres. - Écoutez-moi, lui dit Gernande sans lui permettre de se rasseoir, quoiqu'elle parût se soutenir à peine, voilà une femme que mon neveu Bressac m'amène pour être auprès de vous ; je vous la recommande. Si jamais vous avez envie de la séduire, ne l'entreprenez pas au moins sans vous rappeler le sort de celles qui l'ont précédée. - Toutes tentatives seraient inutiles, monsieur, dit Justine, pleine d'envie de servir sa maîtresse, et voulant déguiser ses desseins ; oui, madame, je peux le certifier devant vous, tout serait infructueux ; vous ne direz pas une parole... vous ne ferez pas un geste, que je n'en instruise aussitôt votre époux ; et certainement je ne risquerai pas ma vie pour vous servir. - Je n'entreprendrai rien de fait pour vous mettre dans ce cas, mademoiselle, dit cette pauvre femme, qui ne démêlait point encore les motifs de la rigueur affectée de Justine ; je ne vous demande que vos soins. -- Ils seront à vous tout entiers, madame, reprit la nouvelle soubrette ; mais rien au-delà. Et le comte, enchanté, serrant la main de Justine : - A merveille ! mon enfant, lui dit-il, bas ; tiens parole et ta fortune est faite. Il lui fit voir ensuite la chambre qu'elle occuperait, attenante à celle de madame ; et lui fit observer, après, que l'ensemble de cet appartement, fermé par d'excellentes portes, et entouré de doubles grilles à toutes ses ouvertures, ne laissait aucun espoir d'évasion. Voilà bien une terrasse, poursuivit Gernande en menant Justine dans un petit jardin de fleurs qui se trouvait de plain-pied à cet appartement ; mais sa hauteur ne vous donne pas, je pense, l'envie d'en mesurer les murs. La comtesse peut y venir respirer le frais, tant qu'elle veut ; c'est la seule distraction que mes rigueurs lui laissent. Vous ne la quitterez point, tant qu'elle y sera ; vous y observerez toutes ses démarches, et m'en rendrez un fidèle compte. Adieu. Justine revint auprès de sa maîtresse ; et c'est l'instant où elles s'observent, où elles s'examinent toutes deux, que nous allons choisir pour donner à nos lecteurs une idée de cette femme intéressante. **** *creator_sade *book_sade_justine1799 *style_prose *date_1799 CHAPITRE XIV CE QUI SE PASSE AU CHÂTEAU - DISSERTATION SUR LES FEMMES Madame de Gernande, âgée de dix-neuf ans et demi, avait la plus belle taille, la plus noble, la mieux dessinée qu'il fût possible de voir ; pas un de ses gestes, pas un de ses mouvements qui ne fût une grâce, pas un de ses regards qui ne fût un sentiment. Ses yeux étaient du plus beau noir, quoiqu'elle fût blonde ; rien n'égalait leur expression ; mais une sorte de langueur, suite de ses infortunes, les rendait mille fois plus intéressants encore. Elle avait la peau très blanche et les plus beaux cheveux, la bouche très petite, et les dents d'une fraîcheur... les lèvres d'un incarnat... on eût dit que l'Amour l'eût colorée des teintes empruntées à la déesse des fleurs. Son nez était aquilin, étroit, serré du haut, et couronné de deux sourcils d'ébène ; le menton parfaitement joli ; un visage, en un mot, du plus bel ovale, dans l'ensemble duquel régnait une sorte d'agrément, de naïveté, de candeur, qui eussent bien plutôt fait prendre cette figure enchanteresse pour celle d'un ange, que pour la physionomie d'une mortelle. Ses bras, sa gorge, ses fesses étaient d'un éclat... d'une rondeur... faits, en un mot, pour servir de modèle aux artistes. Une mousse légère et noire ombrageait le plus joli con du monde, soutenu par deux cuisses moulées ; et ce qui surprenait, d'après les malheurs de la comtesse, c'est que rien n'altérait son embonpoint. Son cul était aussi rond, aussi charnu, aussi ferme, aussi potelé, que si sa taille eût été plus marquée, et qu'elle eût toujours vécu au sein du bonheur. Il y avait pourtant sur tout cela d'affreux vestiges des cruautés de son époux ; mais rien de flétri, rien d'altéré ; l'image d'un beau lis où le frelon impur avait fait quelques taches. A tant de dons, madame de Gernande joignait un caractère doux, un esprit romanesque, un cœur sensible... instruite, des talents ; un art naturel pour la séduction, contre lequel il ne pouvait y avoir que son infâme époux qui put résister ; un son de voix flatteur, et beaucoup de piété. Telle était l'épouse de Gernande, telle était la créature angélique contre laquelle il avait comploté. Il semblait que plus elle inspirait de choses, plus elle enflammait sa férocité ; et que l'affluence des dons qu'elle avait reçus de la nature, ne devenait que des véhicules de plus aux scélératesses de ce monstre. - Quand avez-vous été saignée, madame ? demanda Justine à la comtesse, dès qu'elles furent seules. - Il y a trois jours, répondit celle-ci... et c'est demain... on formera sûrement de cette horreur un charmant spectacle aux amis de M. de Gernande. - Lui arrive-t-il donc, madame, de se livrer à cela devant des témoins ? - Devant ceux qui pensent comme lui... Oh ! vous verrez tout cela... vous verrez tout cela, mademoiselle. - Et madame ne s'affaiblit point de toutes ces saignées ? - Juste ciel ! je n'ai pas vingt ans, et je suis sûre qu'on n'est pas plus faible à soixante-dix ; mais cela finira, je me flatte ; il est parfaitement impossible que je vive longtemps ainsi. J'irai retrouver mon père ; j'irai chercher dans les bras de l'Être suprême, un repos que les hommes m'ont si cruellement refusé dans le monde. Eh ! qu'avais-je fait, grand Dieu ! pour ne pas jouir de ce repos ! Je n'ai jamais désiré le moindre mal à personne ; j'aime mon prochain ; je respecte ma religion ; je suis enthousiaste de la vertu ; l'un de mes plus grands tourments, dans l'affreuse position où le suis, est l'impossibilité dans laquelle on me tient de ne pouvoir être utile à personne... Et des larmes accompagnaient ce discours. Nos lecteurs imaginent facilement ici que celles de Justine s'y seraient bientôt mêlées, si elle n'eût le plus grand intérêt à déguiser son trouble. Mais elle se jura bien, de ce moment, d'exposer plutôt mille vies, que de ne pas tout faire pour une femme dont les sentiments et les malheurs paraissaient si semblables aux siens. C'était l'instant du dîner de la comtesse. Ses deux vieilles vinrent avertir Justine de la faire passer dans son cabinet, parce qu'il ne fallait pas même que ces vieilles pussent avoir de correspondance avec elle. Madame de Gernande, habituée à toutes ces précautions, s'y soumit sans difficulté ; et le dîner fut servi. Peu après, la comtesse repassa, se mit à table et invita Justine à lui tenir compagnie, avec un air d'amitié... d'affabilité, qui acheva de lui gagner à jamais le cœur de celle qu'on lui donnait pour surveillante. Il y avait au moins vingt plats sur la table. - Relativement à cette partie, vous voyez qu'on a soin de moi, mademoiselle, dit madame de Gernande. - Je n'ignore pas, madame, que la volonté de M. le comte est que rien ne vous manque. - Oh ! oui ; mais comme les motifs de ces attentions ne sont que des cruautés, elles me touchent peu. Madame de Gernande, épuisée, et vivement sollicitée par la nature à des réparations perpétuelles, mangea beaucoup ; elle désira des perdreaux rouges et un caneton de Rouen, qui lui furent apportés dans la minute. Après le repas, elle alla prendre l'air sur sa terrasse, mais en se soutenant sur Justine ; il lui eût été impossible de faire un pas sans cette précaution. Ce fut alors qu'elle montra toutes les parties de son corps à sa nouvelle compagne. Celle-ci fut confondue de la prodigieuse quantité de cicatrices dont cette pauvre femme était couverte. Il ne s'en tient pas aux bras, comme vous le voyez, dit madame de Gernande, il n'est pas un endroit de mon malheureux individu dont il ne plaise à voir couler le sang. Et elle le lui prouva en lui faisant voir ses pieds, son ventre, ses tétons, ses fesses, et jusqu'aux lèvres de son con. Encore, dit cette femme intéressante, s'il n'avait pas le raffinement affreux de ne choisir pour cette opération que l'instant où je viens de manger, peut-être souffrirais-je moins ! ce redoublement de férocité me perd l'estomac, je ne digère plus. - Eh quoi ! madame, vous ne pourriez pas vous abstenir de manger ce jour-là ? - Je ne suis point avertie, il me surprend ; je sais bien que ses intervalles sont de trois ou quatre jours, mais je ne puis jamais deviner l'instant ; et ce ne sera jamais celui où il me saura préparée, qu'il prendra. Cependant les amis de Gernande ne perdaient pas leur temps. Les douze ganymèdes pour lors en fonction au château (c'était toujours par ce nombre qu'on les y amenait tous les trois mois), ces douze gitons avaient été déjà foutus tant de fois, que l'on commençait à s'en dégoûter. Dorothée s'en était fait donner par tous les valets, tous les jardiniers de la maison, lorsque enfin la société entière supplia Gernande de hâter le supplice de la comtesse, dont tous étaient si envieux d'admirer les détails. - Ce sera pour cet après-dîner, dit Gernande, préparons-nous à cette grande œuvre par un repas des plus lascifs. Justine et Dorothée dîneront nues ; six de mes petits Amours les entremêleront dans le même état ; les six autres nous serviront, vêtus en prêtresses de Diane ; et je vous promets le meilleur dîner que vous ayez encore fait chez moi. Il était effectivement difficile de rien voir de plus somptueux et de plus exquis, de plus rare et de plus délicieux, que tout ce qui parut à ce repas. Les quatre parties de la terre semblaient avoir concouru pour couvrir de leurs trésors, en tous genres, la table de ces libertins ; on y voyait à la fois des vins de tous les pays et des mets de toutes les saisons. Ce seul dîner coûta plus sans doute qu'il n'eût fallu pour nourrir dix ou douze malheureuses familles pendant un mois. - Après les plaisirs de la luxure, dit Gernande, il n'en est pas de plus divins que ceux de la table. - Ils se prêtent si bien des forces l'un l'autre, dit Bressac, qu'il est impossible aux sectateurs des premiers de ne pas adorer les seconds. - C'est que rien n'est délicieux comme de se gorger de mets succulents, dit Gernande ; je ne connais rien qui chatouille aussi voluptueusement mon estomac et ma tête ; et les vapeurs de ces mets savoureux, qui viennent caresser le cerveau, le préparent si bien à recevoir les impressions de la luxure, que, comme le dit mon neveu, il est difficile à un vrai paillard de ne pas adorer la table. J'ai désiré souvent, je l'avoue, d'imiter les débauches d'Apicius, ce gourmand si célèbre de Rome, qui faisait jeter des esclaves vivants dans ses viviers, pour rendre la chair de ses poissons plus délicate. Cruel dans mes luxures, je le serais tout de même dans ces débauches-là ; et je sacrifierais mille individus, si cela était nécessaire, pour manger un plat plus appétissant ou plus recherché. Je ne m'étonne pas que les Romains aient fait un Dieu de la gourmandise. Vivent à jamais les peuples qui divinisent ainsi leurs passions ! Quelle différence des sots sectateurs de Jésus à ceux de Jupiter ! les premiers ont l'absurdité de faire un crime de l'action révérée par les autres. - On prétend que Cléopâtre, dit d'Esterval, l'une des femmes les plus gourmandes de l'antiquité, avait pour coutume de ne jamais se mettre à table, sans avoir pris plusieurs lavements. - Néron imitait aussi cette coutume, reprit Gernande ; j'en use quelquefois, et je m'en trouve bien. - J'y supplée en me faisant sodomiser, dit Bressac ; l'effet physique est à peu près le même, et la sensation morale infiniment plus délicieuse : je ne dîne jamais que je ne me sois fait foutre une douzaine de fois. - Pour moi, dit Gernande, je fais usage de quelques aromates, parmi lesquels l'estragon domine ; on m'en compose une boisson tellement apéritive, que je dévore dès que j'en ai bu : puisqu'il est tout simple de s'enflammer aux plaisirs des sens, d'où vient qu'il ne le serait pas de s'exciter de même à ceux de la gourmandise ? Oh ! je l'avoue, poursuivait cet ogre en se gorgeant des mets les plus délicieux, l'intempérance est ma divinité ; j'en place l'idole dans mon temple, à côté de celle de Vénus ; et ce n'est qu'aux pieds de toutes deux que je puis trouver le bonheur. - Ce que j'ai souvent imaginé sur cela va vous paraître bien méchant, dit Dorothée ; mais vous permettez qu'on dise tout. J'avoue qu'en me gonflant ainsi de nourriture, une de mes voluptés la plus sensuelle serait de placer sous mes yeux des infortunés qu'exténuerait la faim. - Je le conçois, dit Bressac ; mais il faudrait que l'homme qui exercerait la passion que vous dites fût assez puissant, assez élevé, pour que sa gourmandise épuisât tout ce qui l'entoure, et que ce fût à cause de sa consommation immodérée que ce qui lui serait subordonné mourût de faim. - Oui, oui, répondit la d'Esterval, voilà mon projet parfaitement saisi ; on n'a pas d'idée de ce que je mangerais à un pareil repas ! - Oui ; le repas du sang des hommes, dit Gernande. Tibère, je crois, en avait conçu quelque chose. - Pour moi, dit d'Esterval, j'aime infiniment Néron, qui demande, au sortir de table, « ce que c'est qu'un pauvre1 ». - Assurément, dit Bressac, s'il est vrai, comme nous n'en saurions douter, que l'intempérance soit la mère de tous les vices, et que le bourbier des vices soit le paradis terrestre de l'homme, il n'y a rien que nous ne devions faire pour exciter en nous ce qui peut le mieux nous conduire à l'intempérance. Et quelles nouvelles forces, en effet, n'acquérons-nous pas pour les scènes lubriques lorsque nous y passons au sortir d'une orgie de table ! combien alors nos esprits vitaux se trouvent exaltés ! Il semble qu'une nouvelle chaleur circule dans nos veines ; les objets lubriques s'y peignent avec plus d'énergie ; le désir qu'on a d'eux devient d'une telle force qu'il n'est plus possible d'y résister. Succombez-vous ; à peine vous apercevez-vous des pertes. Le magasin acquis est tel qu'il peut fournir à l'aise à une infinité de courses, que vous n'oseriez parcourir sans cela ; tout s'embellit, tout se décore ; l'illusion couvre tout de ses voiles dorés, et vous entreprendriez alors des choses qui vous feraient horreur de sang-froid. Ô voluptueuse intempérance ! je te regarde comme la régénératrice des plaisirs ; ce n'est qu'avec toi qu'on les goûte bien ; ce n'est que par toi qu'ils n'ont plus d'épines ; toi seule en aplanis la route ; toi seule en écartes l'imbécile remords ; toi seule sais délicieusement troubler cette raison, si froide et si monotone, dont toutes nos passions sont empoisonnées sans toi. - Mon neveu, dit Gernande, si tu n'étais pas beaucoup plus riche que moi, je te donnerais deux mille louis, pour l'éloge que tu viens de faire d'une des plus chères passions de mon cœur. - Plus riche que vous, mon oncle ? - Oh oui, tu as mieux de douze cent mille livres de rentes ; et je suis assez gueux pour n'en avoir pas huit cent mille. Je l'avoue... je ne conçois pas comment l'on peut vivre à moins d'un million par an. - Monsieur, dit d'Esterval, je ne l'ai pas ; et cependant je vis. - Eh bien, oui ; mais vous vous êtes soumis à un genre de vie qui n'exige rien ; et le métier que vous faites doit grossir vos fonds tous les jours. Je ne connais rien de délicieux comme la carrière que vous avez entreprise ; si j'étais plus jeune, je n'en suivrais sûrement pas d'autre. Eh bien, je parie qu'avec cela et votre patrimoine, vous vous faites au moins cinq ou six cent mille livres de rente. - A peu près. - Vous voyez donc que nous voilà tous riches ici, et que notre façon de penser, nos goûts, nos intérêts doivent absolument se ressembler. - Ah ! reprit d'Esterval, j'ai le malheur d'être insatiable ; et c'est encore bien plus par avarice que par libertinage, que vous me voyez suivre le métier que je fais. - Il est certain que vous pourriez vous en passer. - Je n'existerais pas sans cette délicieuse habitude. J'aime à voir augmenter ma fortune tous les jours ; et j'adore l'idée de l'agrandir aux dépens de celle des autres. Je tue par principes de débauche... à cause de la férocité de mon libertinage ; mais ce n'est que par cupidité que je vole ; et j'aurais des millions de revenu, qu'il me semble que je volerais encore. - Je le conçois, dit Gernande ; personne n'adopte comme moi le sentiment qui fait prendre et qui fait conserver. Je nagerais dans des flots d'or, que je ne ferais pas un sou d'aumône, et qu'excepté pour mes plaisirs, je ne me permettrais pas le plus léger écart. Vous connaissez mon bien, vous savez mes dépenses... eh bien, regardez mon habit, il y a vingt ans que je le porte... j'ai le semblable qui me conduira, j'espère, au tombeau. - Ainsi donc, dit Bressac, vous voulez, mon cher oncle, mériter à juste titre le beau nom de Fesse-Mathieu. - Mais, dit Gernande, si, quoique par d'autres principes, ta mère n'eût pas été aussi avare que moi, serais-tu si riche aujourd'hui ? - Ne lui parlez pas de cette circonstance de sa vie, dit d'Esterval, vous le feriez rougir. - Il aurait, pardieu, bien tort, dit Gernande ; il n'a fait que la chose du monde la plus simple, en tuant sa mère. On est pressé de jouir, rien de si naturel. C'était, d'ailleurs, une femme acariâtre, dévote, impérieuse ; il la détestait, rien de plus ordinaire. Tenez, il hérite de moi ; eh bien, je gage que ma vie ne l'impatiente point ; j'ai les mêmes goûts, la même façon de penser ; il est sûr de trouver un ami dans moi. De telles considérations sont des liens assez sûrs parmi les hommes, pour qu'ils ne cherchent jamais à les rompre. - Vous avez raison, mon oncle ; nous ferons peut-être beaucoup de crimes ensemble, mais nous n'en entreprendrons jamais qui nous nuisent. J'ai pourtant vu l'instant où notre cousin respectait peu cette considération : il m'avait dévoué. - Oui, dit d'Esterval, comme parent, jamais comme un confrère de débauches ; dès que j'ai eu su ce dont vous étiez capable, nous ne nous sommes plus occupés que de nous aimer et de nous réunir. - Soit ; mais vous conviendrez que Mme d'Esterval avait bien de la peine à me faire grâce. - Ne me le reprochez pas, répondit Dorothée ; votre éloge est dans votre arrêt. La terrible habitude où je suis d'immoler les hommes qui me plaisent traçait votre sentence à côté de ma déclaration d'amour ; moins joli, vous eussiez peut-être échappé. - Certes, ma cousine, dit Gernande en riant, vous ne désirez pas, ce me semble, qu'on ait très envie de vous plaire. - Messieurs, je suis égoïste comme vous ; et, pourvu qu'on serve mes passions, l'amour et la vanité n'y font rien. - Elle a raison, dit Gernande ; voilà comme toutes les femmes devraient penser ; si elles ressemblaient toutes à ma cousine, je me raccommoderais, je crois, avec l'espèce. - C'est donc une haine bien invétérée ? dit d'Esterval. - Oh ! je les abhorre ; j'en anéantirais la race entière, si le ciel me confiait un instant sa foudre. - Je ne conçois pas, dit Bressac en dardant sa langue dans la bouche de Justine, comment on peut détester des petits êtres si doux !... si intéressants ! - Moi, je le comprends bien, dit d'Esterval en rotant dans la bouche d'un giton ; j'entends à merveille que l'on préfère cette jolie classe-ci à l'autre. - Oh ! foutre, vous bandez, mon mari, dit Dorothée ; je m'en aperçois ; hé bien, ne vous gênez point, foutez ce joli garçon ; pourvu que celui-ci m'encule, cela m'est égal, poursuivit-elle en inclinant ses fesses vers celui qui se trouvait près d'elle. - Sacredieu, dit Gernande, vous voilà tous étourdis, pour sept ou huit bouteilles de vin chacun. - Oh ! pour gris, dit Bressac, en pinçant les tétons de Justine jusqu'à la faire crier, il est bien certain que je le suis... En vérité, mon cher oncle, il est inouï comme je voudrais vous voir saigner votre femme... Me permettrez-vous de vous enculer pendant ce temps-là ?... Bon, ne voilà-t-il pas Dorothée qui vomit. - Je suis soûle, moi. - Eh bien, fais-toi foutre, garce, lui dit son mari en lâchant un gros pet ; cela dégrise. - En vérité, mon oncle, dit Bressac, nous prenons chez vous bien des libertés. - Ne vous gênez pas, mes amis ; j'aime tout cela ; il faut péter, chier, vomir, quand on est soûl ; il faut décharger ; tout cela soulage. Bressac, soutiens donc Dorothée ; pressée par le vit de ce petit garçon qui l'encule, ne vois-tu pas qu'elle va tomber ? - Par où diable voulez-vous que je la prenne ? dit Bressac ; la putain , inondée de ses vomissements par ici, nage maintenant par là dans la merde qu'elle vient de faire. - Eh bien, dit Gernande, qu'un giton nettoie tout cela ; aidez-lui, Justine. D'Esterval, demandez à votre femme si elle veut se coucher ? - Me coucher !... doubledieu ! répond Dorothée ; et non, non, je veux foutre ; c'est fini maintenant, je n'ai plus rien dans le ventre ; me voilà prête à recommencer. - Allons chez votre femme, mon oncle, je vous en conjure, dit Bressac ; la diversion est nécessaire ; que Justine aille la prévenir. Tout s'exécute, pendant que nos vilains, se soutenant à peine essaient leurs forces pour voler à d'autres infamies. Il est inutile de peindre l'agitation de notre malheureuse épouse, quand elle apprit que son persécuteur, escorté de gens aussi crapuleux, aussi farouches que lui, allait venir contempler et redoubler l'horreur des visites qu'elle était accoutumée d'en recevoir. Elle sortait de table. Ma chère demoiselle, demanda-t-elle à Justine, sont-ils bien ivres... bien échauffés... bien redoutables ? - Oh ! oui, madame, ils déraisonnent. - Grand Dieu ! je vais éprouver des atrocités... Vous ne m'abandonnerez pas pendant cette cruelle séance, vous resterez auprès de moi, n'est-ce pas, mademoiselle ? - Assurément, si l'on me le permet. - Oh ! oui, oui... Et quels sont ces gens ? L'un d'eux, dites-vous, est le neveu de M. de Gernande, le marquis de Bressac ?... Oh ! c'est un monstre, je le connais de réputation ; il a, dit-on, empoisonné sa mère... Et M. de Gernande peut recevoir chez lui le meurtrier de sa propre sœur ! quelle infamie, grand Dieu ! L'autre est, dites-vous, un assassin de profession ? - Oui, madame, un cousin de M. de Gernande, qui tient une hôtellerie par libertinage, afin d'y voler, d'y égorger ceux qui y couchent. - Oh ! quels gens !... quels gens ! Voilà donc les scélérats auxquels mon époux va me livrer ! Et quelle est cette femme qu'ils ont avec eux ? - L'épouse de l'aubergiste, aussi scélérate... aussi corrompue qu'eux. - Oh ! mademoiselle, il est donc possible que la douceur et l'aménité de notre sexe s'allient à toute la dépravation de celui des hommes ! - Ignorez-vous donc, madame, répondit Justine, qu'une femme qui a renoncé à la pudeur... à la délicatesse qui doit caractériser ce sexe, s'engage, et plus vite, et plus aveuglément que les hommes dans la carrière du vice et de l'intempérance ? - Et vous croyez, mademoiselle, que M. de Gernande permettra que je devienne aussi le plastron des goûts monstrueux de cette abominable créature ? - Ah ! je n'en doute pas, madame. Et Justine finissait à peine sa réponse, que la société se fit entendre. Des ris immodérés, d'affreux propos... beaucoup de blasphèmes l'annoncèrent à Mme de Gernande, dont quelques larmes vinrent mouiller les paupières, tout en se préparant néanmoins à la soumission. Le cortège était composé du mari, de M. et de Mme d'Esterval, de Bressac, des six plus jolis Ganymèdes, des deux vieilles pour le service, et de notre infortunée Justine... qui, tout émue des infamies dont elle voyait les dispositions... redoutant d'être outragée elle-même... sûre de ne pouvoir être d'aucune utilité à sa maîtresse ne formait intérieurement d'autre désir que d'être à cent lieues de là. Toutes les cérémonies que nous allons détailler ici s'observaient régulièrement à chacune des visites de ce cruel époux ; on n'y changeait que quelques détails, en raison du plus ou du moins de monde qu'admettait Gernande à ses orgies. La comtesse, simplement entourée d'une chemise de gaze à la grecque, se mit à genoux dès que le comte entra ; et ce fut dans cet état d'humiliation que nos scélérats l'examinèrent. - En vérité, mon oncle, dit Bressac à demi-chancelant, vous avez là pour femme une charmante créature... Puis, balbutiant : Me permettez-vous, ma chère tante, d'avoir l'honneur de vous saluer ?... Je suis vraiment touché de vous voir en si piteux état ; il faut que mon cher oncle ait bien à se plaindre de vous, pour vous molester de cette manière ; car c'est vraiment un homme juste que mon cher oncle. - Il faut dit madame d'Esterval, tourmentée d'un hoquet violent, que madame la Comtesse ait de furieux torts avec monsieur son époux ; il serait impossible, sans cela, qu'un homme aussi humain, aussi complaisant... aussi doux, exigeât de pareilles choses d'une dame dont il n'aurait pas à se plaindre. - Eh non, je vois ce que c'est, dit d'Esterval ; c'est un acte d'adoration, de la part de madame ; c'est un culte qu'elle offre à son mari. - Mes amis, dit Gernande, vous trouverez bon que ce soit à vos fesses qu'elle rende cet hommage ; et je vous prie tous trois de lui présenter le dieu, pour qu'il reçoive aussitôt l'encens. - Ah ! parbleu, mon oncle a raison, dit Bressac en se déculottant aussitôt, et mettant au jour la partie de son corps qu'il dévoilait avec le plus de complaisance... oui, oui, je vois bien que c'est mon cul que veut adorer ma chère tante, et je le lui montre avec grand plaisir. - Allons, allons, tous les culs à l'air, dit Gernande. Et voilà dans l'instant ceux des deux autres membres de la société, celui de Justine, ceux des bardaches, et même ceux des vieilles, entourant tellement la pauvre Gernande, qu'elle est comme pressée, comme foulée par cette multitude de fesses, qui viennent, pour ainsi dire, lui frotter le menton. - Un peu d'ordre à tout ceci, mon oncle, dit Bressac ; car nous allons étouffer madame. Que chacun vienne à son tour lui faire baiser cette partie qui paraît échauffer autant ses désirs ; je vais donner l'exemple le premier. Un peu de merde accompagne l'action ; et le procédé paraît si plaisant, qu'il n'est personne, excepté Justine, qui n'aille à l'instant l'imiter. - Allons, madame, dit à la fin Gernande, êtes-vous prête ? - A tout, monsieur, répondit humblement la comtesse ; vous savez bien que je suis votre victime. Gernande alors commande à Justine de déshabiller sa maîtresse ; et, quelque répugnance qu'éprouve celle-ci, elle n'a d'autre parti que la résignation. La malheureuse, hélas ! ne se prêtait que lorsqu'elle ne pouvait faire autrement ; mais, de bon gré... jamais ; elle enlève donc la simarre de sa maîtresse, et l'expose nue au regard de l'impudique assemblée. - Voilà, sur ma parole, une superbe femme, dit d'Esterval que ce spectacle irrite fortement. - Eh bien, dit Gernande, fous-la, mon ami, puisque tu la trouves belle ; je te la livre. Pardon, mon neveu, si je ne te donne pas la préférence ; mais je connais tes goûts... je te réserve le cul ; et, s'il te tente, vous pourriez, ce me semble, la mettre entre vous deux. - La consanguinité me fera faire un miracle ; et, quoique le cul d'une femme ne me séduise guère plus que son devant, je vais, si d'Esterval le veut, enfiler, de concert avec lui, la route opposée à celle qu'il va suivre : veuillez nous diriger, mon oncle. - Volontiers, dit Gernande, rien ne m'amuse comme de travailler moi-même à mon déshonneur. Il s'empare, en disant cela du vit de d'Esterval, le niche dans le con de sa femme, qu'il fait renverser sur le fouteur. Les plus belles fesses du monde se trouvent, par cette attitude, au pouvoir de Bressac, qui, guidé de même par Gernande, a bientôt franchi tout obstacle. Le vieux paillard se place sur un fauteuil, en face de la scène : les six gitons l'entourent ; il en branle un de chaque main ; deux sont placés près de son nez, de manière qu'il puisse en sucer un alternativement ; et les deux autres se relaient pour rendre à son triste engin ce qu'il exécute avec les deux qu'il a placés près de sa bouche. - Socratisez mon neveu, dit-il aux vieilles ; les bougres aiment à avoir le cul caressé quand ils foutent. - Oui, oui, dit Bressac en se cramponnant vivement sur sa tante, et la sodomisant jusqu'aux poils, cet épisode est nécessaire, mon oncle a raison de l'exiger, mais je voudrais le rendre à Justine. - Rien de si aisé, dit Gernande... qu'elle se déshabille à l'instant... Il faut obéir, et voilà notre héroïne contrainte à présenter ses fesses aux doigts luxurieux de Bressac, qui, les réunissant tous cinq, en forme une masse assez volumineuse pour molester cruellement le cul de cette pauvre fille. Dorothée seule restait sans ouvrage : la gueuse se branlait au spectacle du plaisir des autres. - Madame, lui dit Gernande, coulez-vous sous ma femme, elle vous branlera ; je vais vous céder un giton, qui vous gamahuchera, pendant que votre clitoris sera pollué par ma femme, et votre trou du cul vivement secoué par Justine. Allons, mes amis, il me semble que voilà le groupe assez bien ensemble ; travaillons maintenant de concert. Parlez-moi donc de ma femme, au moins, messieurs ; c'est bien la peine que je vous la cède, si vous n'en dites pas votre avis. - Tiens, mon ami, dit d'Esterval en lui déchargeant dans le con, voilà le plus bel éloge que j'en puisse faire ; il faut qu'une femme m'irrite bien pour obtenir ainsi du foutre de moi, sans quelque épisode cruel... Ah ! sacredieu, qu'elle m'a donné de plaisir ! le vit de Bressac, en lui farfouillant le cul, rendait son vagin d'un étroit... oh ! cette jouissance est délicieuse ! - Bougre de dieu, je décharge aussi... je n'en puis plus, dit Dorothée... Mais ne disiez-vous pas que l'on saignait madame ; mon foutre aurait bien mieux coulé, si j'avais vu verser son sang. - Ma foi, dit Bressac en se retirant du cul, je garderai mon sperme pour quand la saignée se fera ; un peu plus difficile que vous, je n'ai pas trouvé dans l'anus de ma tante tout ce que je croyais y rencontrer : on est difficile avec ses parents. Procède donc, Gernande, à cette douce opération, je t'en prie ; ma tête n'est montée que pour cela ; ce n'est que cela que je veux voir. Et ici Bressac ne pouvait s'empêcher de témoigner tout le dégoût que venait de lui donner la consommation d'un acte, qui s'arrangeait si mal à des principes auxquels il tenait presque autant qu'à sa propre vie. Il regardait avec dédain ce cul qu'il venait de foutre ; et se rapprochant d'un bardache, comme pour se purifier : eh bien ! mon oncle, disait-il, eh bien ! sacredieu, saignons-nous ? Gernande, très irrité, commençait à lancer des regards furieux sur sa femme. - Oui, oui, nous allons la saigner, la gueuse ; ne craignez pas que je la ménage. Allons, madame, continua-t-il en s'adressant à sa victime, faites votre devoir. Au fait du cérémonial, madame de Gernande, soutenue par Justine, s'élève sur le fauteuil du comte, et lui présente ses fesses à baiser. - Écarte donc, bougresse, dit Gernande avec brutalité. Et il fête longtemps ce qu'il désire voir, en faisant prendre différentes positions ; il entrouvre, il resserre, chatouille de sa langue l'orifice d'où sort le vit de Bressac. Bientôt, entraîné par la férocité de ses passions, il prend une pincée de chair, la comprime, la déchire ; et, dès que la blessure est faite, le vilain en tète le sang. Pendant ces préliminaires, Bressac attentif se fait branler par un giton ; d'Esterval patine sa femme ; les cinq autres bardaches entourent le comte, en le suçant ou s'en faisant sucer. Il s'étend ensuite sur un canapé, veut que sa femme, à cheval sur lui, continue d'avoir le derrière posé sur son visage, pendant qu'avec sa bouche elle lui rendra, par le moyen de la succion, les mêmes services qu'il vient de recevoir des Ganymèdes, qu'il continuait de branler de droite et de gauche. Les mains de Justine travaillaient, pendant ce temps-là, sur son derrière ; elles le polluaient de toute leur force. Cette attitude, employée près d'un quart d'heure, ne produisit encore rien ; il fallut la changer. Les vieilles étendirent la comtesse dans une chaise longue, couchée sur le dos, ses cuisses dans le plus grand écart possible. La vue de ce con mit Gernande dans une espèce de rage ; il le considère en frémissant, ses yeux lancent des feux, il blasphème, s'empare des lancettes, se précipite comme un furieux sur sa victime, la pique sur le ventre et sur la motte, en sept ou huit endroits différents, pendant qu'un giton ne cesse de le sucer. C'est ici où Bressac et d'Esterval, plus enflammés de ce redoublement de luxure, enfilèrent chacun un garçon. Cependant les blessures faites par Gernande n'étaient encore que très légères ; il invite Dorothée à lécher le vagin bâillant de sa femme ; elle le fait ; puis Gernande met à sa portée le beau cul de la d'Esterval, pour le traiter avec la même rigueur qu'il vient d'employer avec sa femme. - Ne vous gênez pas, dit d'Esterval, voyant qu'il use de discrétion, piquez, piquez ; il n'y a jamais d'inconvénient à faire saigner le cul des femmes ; elles ne s'en portent que mieux. Gernande alors s'empare de Justine, et, l'établissant sur les reins de Dorothée, il traite les fesses de notre héroïne comme il vient de faire de celles de l'épouse de d'Esterval. On ne cesse de le sucer ; quelquefois néanmoins il oblige les gitons à se sucer mutuellement, et il les arrange de manière que dans le temps qu'il en suce un, un autre le lui rend, et que celui qu'il suce revient de sa bouche rendre le même service à celui dont il est sucé. Le comte recevait beaucoup, mais il ne donnait rien ; sa satiété ou son impuissance était telle, que les plus grands efforts ne parvenaient même pas à le tirer de son engourdissement ; il paraissait ressentir des titillations très violentes, mais rien ne se manifestait. Quelquefois, il ordonnait à Justine de sucer elle-même les gitons, et de venir rendre aussitôt dans sa bouche l'encens qu'elle en recueillerait. Toutes les postures se dérangent enfin ; mais la comtesse demeure étendue sur son canapé. C'est alors que Gernande prie tous les spectateurs d'aider à son plan. - De quoi s'agit-il ? dit Bressac. - Voilà une femme que je vous livre, mes amis, dit Gernande ; je vous conjure de l'insulter, de la molester, de la tourmenter en tous sens, et de toutes les manières possibles ! plus vous l'accablerez d'outrages, plus vous irriterez mes passions. L'idée saisie avec ardeur s'exécute avec autant d'énergie. Les vieilles, les gitons, Dorothée, d'Esterval et Bressac principalement, insultent la pauvre comtesse avec tant d'arrogance, la traitent avec si peu de ménagement, la bourrent avec tant de férocité, que ses larmes coulent à grands flots. L'un lui crache au nez, celui-ci la soufflette, cet autre la nasarde, pendant qu'un troisième lui pète dans la bouche, et qu'un quatrième lui donne des coups de pieds dans le cul. On ne s'imagine pas enfin tous les caprices, tous les mauvais traitements auxquels cette malheureuse est exposée pendant plus de deux heures, lorsqu'il prend à d'Esterval envie de l'enculer. On la place ; elle est obligée de sucer son mari ; pendant ce temps-là Dorothée l'encule en dessous ; et Bressac encule son oncle en baisant les fesses de Justine. Les Ganymèdes entourent le groupe, en faisant baiser leurs vits aux uns, leurs délicieux derrières aux autres. Gernande, sucé par son épouse, s'amusait à la souffleter. Toujours en butte aux cruautés de cet homme terrible, on eût dit que l'honneur de lui appartenir devenait un titre pour être sa victime. Le scélérat n'était ému de cruauté, qu'en raison des liens qui prêtaient de la force aux outrages. L'attitude se dérange encore. Gernande place tout le monde à droite et à gauche de sa femme, entremêlé de manière qu'il ait un cul d'homme ici, là celui d'une femme. A quelque distance de cette perspective, il l'examine avec attention ; l'instant d'après il se rapproche, il touche, il compare, il caresse. Il ne faisait souffrir personne ; mais lorsqu'il arrivait à son épouse, ce n'était plus que claques, pinçons et morsures ; ce pauvre cul faisait déjà frémir à regarder. Il veut enfin que tous les hommes sodomisent la comtesse ; il vient s'emparer de leurs vits tour à tour, les braque lui-même à l'entrée de l'anus conjugal, et les y enfonce, pendant que Justine le suce. Chacun reçoit de lui la permission de limer quelque temps le cul de sa femme ; mais ce n'est que dans sa bouche que le sacrifice doit se consommer. Pendant que l'un agit, il se fait sucer par l'autre, et sa langue s'enfonce au trou du cul présenté par l'agent ; cet acte est long ; le comte s'en irrite, il se relève, et veut que Justine remplace son épouse. Notre vertueuse file supplie Gernande, à genoux, de ne point exiger d'elle une telle horreur ; mais ce sont des décrets divins que les désirs d'un tel homme ! Il place donc la comtesse sur le dos le long d'un canapé, fait coller Justine sur elle, les reins élevés et tournés vers lui ; il s'empare une seconde fois de tous les vits, les place alternativement tous dans le cul de la pauvre Justine, obligée pendant ce temps-là de branler la comtesse, et de la baiser sur la bouche. Pour lui, son offrande est la même ; chaque homme ne pouvant agir qu'en lui montrant un cul, il baise avec ardeur tous ceux qu'on lui présente, en continuant d'exiger des fouteurs de Justine ce qu'il a désiré de ceux de sa femme Le coquin veut sucer tous les vits qui viennent d'enculer notre héroïne. Quand tout le monde y a passé, le libertin, à son tour, se présente au combat. Efforts superflus ! s'écrie-t-il, ce n'est pas là ce qu'il me faut ! au fait, au fait. Allons, putain, vos bras ? Ici chacun se retire, chacun, dans un silence respectueux, attend l'issue de l'événement. Bressac et d'Esterval, branlés par des bardaches, ont leurs yeux libertins fixés sur le héros. Gernande saisit sa femme avec férocité ; il la place à genoux sur un tabouret, les bras soutenus au plafond par de larges rubans noirs. Justine est chargée de placer les bandes ; il visite les ligatures ; ne les trouvant pas assez comprimées, il les resserre de toute sa force, afin, dit-il, que le sang jaillisse avec plus de violence. Il baisse ces bras ainsi comprimés ; il tète les veines, et les pique aussitôt toutes deux presque en même temps. Le sang s'élance avec rapidité ; Gernande s'extasie. Il retourne se placer en face, pendant que ces deux fontaines coulent ; Justine le suce ; il le rend, tour à tour à quatre gitons dont il s'environne, sans cesser néanmoins de fixer ses yeux sur les jets de sang qui l'enflamment, et qui paraissent l'unique ressource de ses plus chers plaisirs. Ici la compatissante Justine, emportée par le sentiment impérieux de la pitié, hâte, par tout ce qu'elle suppose de plus vif, le dénouement des voluptés de son maître, parce qu'elle croit y voir celui des tourments de sa malheureuse maîtresse, et devient donc ainsi catin par bienfaisance, et libertine par vertu. Il arrive enfin, ce dénouement flatteur, mais grâce aux soins de d'Esterval. Cet officieux parent sent le besoin que Gernande a d'être foutu ; il le soulève, lui enfonce son vit énorme dans le cul, pendant que Bressac, échauffé de la scène, approche sa tête des jets de sang de la victime, pour en inonder son visage ; il sodomisait un giton et déchargeait pendant ce temps-là. C'est alors où toute la férocité de Gernande se déploie ; il approche de sa femme, il l'accable d'injures, colle ses lèvres tour à tour sur chaque saignée, pompe et avale plusieurs gorgées de sang. Cette liqueur achève de l'enivrer ; il n'est plus à lui ; ses beuglements ressemblent à ceux du taureau ; il étranglerait sa femme, s'il n'était contenu par les vieilles et par Justine ; car ses perfides amis, loin de le tempérer, l'excitent. « Laissez-le faire, criait l'indigne Bressac, quoiqu'il eût déchargé. - Ne gênez donc point sa passion, disait Dorothée. - Eh, foutre, criait d'Esterval, qu'importe qu'il la tue, ou non ; ce n'est jamais qu'une femme de moins. » Mais les efforts pour le contenir n'en étaient, pas moins les mêmes. Justine, un instant dérangée par la vigueur de ces secousses, se ragenouille... le reprend. Dorothée, les fesses exposées, branle la racine du vit et manie les couilles. On le dégage enfin de ce fluide embrasé, dont la chaleur, l'épaisseur, et surtout l'abondance, le mettent dans un tel état de frénésie, qu'on le croit près de rendre l'âme. Sept ou huit cuillers eussent à peine contenu la dose élancée, et la plus épaisse bouillie en peindrait mal la consistance ; avec cela, presque point d'érection ; l'apparence de l'épuisement. Voilà de ces contrariétés qu'expliqueront les gens de l'art. Le comte mangeait excessivement, et dissipait fort peu. Était-ce là la cause de ce phénomène ? Justine veut voler à sa maîtresse ; elle brûle d'étancher son sang. - Un moment, sacredieu ! dit d'Esterval, retirant un vit écumeux de luxure du cul de Gernande dans lequel il n'a fait que s'exciter... un moment, tripledieu ! s'imagine-t-on qu'il ne faille pas que je perde aussi mon sperme ? Il regardait tout le monde, et ne se fixait sur personne. Convoitant enfin la malheureuse comtesse ensanglantée, il se colle sur elle, et la sodomise presque évanouie. - Allons, dit-il au bout d'une courte carrière, en retirant son vit et le pressurant, secourez la putain maintenant tant que vous voudrez ; mais il fallait bien que je déchargeasse. On bande enfin les plaies de la victime, on la dépose sur un canapé dans un grand état de faiblesse, mais nos libertins, et Gernande surtout, sans s'inquiéter de son état, sans daigner jeter même un regard de pitié sur cette malheureuse victime de leur rage, sortent brusquement avec leurs mignons, laissant les vieilles et Justine mettre ordre à tout comme elles voudront. Telle est la situation où l'on peut le mieux juger les hommes. Est-ce un novice emporté par la fougue de ses passions ? le remords sera peint sur son visage, lorsqu'on examinera dans le calme les funestes effets de son délire. Est-ce un libertin gangrené de toute la corruption du vice ? de telles suites ne l'effraieront pas ; il les observe sans peine comme sans regret... peut-être même encore avec quelques émotions de l'infâme volupté que produisit sa coupable ivresse2. Nos libertins pourtant, plus émus qu'énervés, en causant des plaisirs qu'ils viennent de goûter, retrouvent bientôt dans ces détails la force nécessaire pour en désirer de nouveaux. On s'était retiré dans un vaste boudoir, escorté des bardaches ; et là, tout en les baisotant et les maniant, chacun cherchait à ranimer dans les charmes de la conversation quelques-unes des étincelles de lubricité dont il venait de s'embraser. - Savez-vous, mon oncle, dit Bressac, que votre passion est délicieuse ! - Je ne connais rien de piquant, dit d'Esterval, comme cette liaison des idées de la luxure et de la cruauté ; il n'est rien dans le monde qui m'excite aussi vivement ; et il n'est point de procédé au monde qui marie plus délicatement ces idées, comme celui qu'emploie M. de Gernande. - Oui, dit Bressac ; mais il me semble que je ne voudrais pas m'en tenir au bras, je saignerais un peu partout. - C'est aussi ce que je fais, dit Gernande ; et les cicatrices qui couvrent ma chère épouse ont dû vous prouver qu'il est bien peu de parties de ce beau corps qui n'aient échappé à ma barbarie. - Mais, est-il vrai, dit d'Esterval, qu'il n'y ait que votre femme qui ait l'art de vous échauffer vivement dans l'exercice de cette passion ? - Une autre femme m'irriterait aussi, dit Gernande ; mais il n'est pas douteux que la mienne m'électrise infiniment plus qu'une autre. - Ceci, dit Dorothée, doit être infiniment lié aux principes que monsieur a de notre sexe. - Oh ! je suis persuadé qu'ils sont d'une extrême dureté, dit Bressac ; si mon oncle voulait avoir la complaisance de nous les expliquer, toute la société, sans doute, les entendrait avec plaisir. Gernande y consentit ; et comme en ce moment Justine revenait rendre compte à son maître de l'état de celle dont le soin lui était confié, on lui permit d'assister à la dissertation que Gernande commença en ces termes : - Mes passions, dites-vous, mes amis, vous donnent une assez mauvaise opinion de ma façon de penser sur les femmes, et, certes, vous ne vous trompez pas lorsque vous vous persuadez que je les méprise autant que je les hais ; mais c'est principalement lorsque cette femme est liée à moi par les liens conjugaux, que vous vous figurez que mon éloignement et mon antipathie doivent redoubler pour elle. Avant que d'entrer dans l'analyse de ces sentiments, il convient que je vous demande, d'abord, de quel droit vous prétendriez, par exemple, qu'un mari fût obligé de faire le bonheur de sa femme, et quel titre ose alléguer cette femme pour l'exiger de son mari. La nécessité de se rendre mutuellement heureux ne peut exister, vous en conviendrez, qu'entre deux êtres également pourvus de la faculté de se nuire, et par conséquent entre deux êtres d'une même force. Une telle association ne saurait avoir lieu, qu'il ne se forme aussitôt un pacte entre ces deux êtres, de ne faire, chacun vis-à-vis de l'autre, que la sorte d'usage de leur force qui ne peut nuire à aucun des deux ; mais cette ridicule convention ne saurait assurément exister entre l'être fort et l'être faible. De quel droit ce dernier exigera-t-il que l'autre le ménage ? et par quelle imbécillité le premier s'y engagerait-il ? Je puis consentir à ne pas faire usage de mes forces avec celui qui peut se faire redouter par les siennes ; mais par quel motif en amoindrirai-je les effets avec l'être que m'asservit la nature ? Me répondrez-vous : Par pitié ? Ce sentiment n'est compatible qu'avec l'être qui me ressemble ; et, comme il est égoïste, son effet n'a lieu qu'aux conditions tacites que l'individu qui m'inspirera de la commisération en aura de même à mon égard. Mais si je l'emporte constamment sur lui par ma supériorité, sa commisération me devenant inutile, je ne dois jamais l'acheter par aucun sacrifice. Ne serai-je pas une dupe d'avoir de la pitié pour un être auquel je ne dois jamais en inspirer ? dois-je pleurer la mort du poulet que l'on égorge pour mon dîner ? Cet individu, trop au dessous du mien, n'ayant aucune relation avec le mien, ne peut faire naître en mon cœur aucun sentiment. Or, les rapports de l'épouse avec le mari ne sont pas d'une conséquence différente que celle du poulet avec moi. L'un et l'autre sont des bêtes de ménage, dont il faut se servir, d'après les vues indiquées par la nature, sans les différencier en quoi que ce puisse être. Mais, je vous le demande, mesdames, si l'intention de la nature était que votre sexe fût créé pour le bonheur du nôtre, et vice versa, aurait-elle fait, cette nature aveugle tant d'inepties dans la construction de l'un et de l'autre de ces sexes ? leur eût-elle prêté des torts si graves. que l'éloignement et l'antipathie mutuelle en dussent nécessairement résulter ? Sans aller chercher plus loin des exemples, avec l'organisation que vous me connaissez, dites-moi, je vous prie, mes amis, quelle est la femme que je pourrais rendre heureuse ? et, réversiblement, quel homme pourra trouver douce la jouissance d'une femme, quand il ne sera pas pourvu des gigantesques proportions nécessaires à la contenter ! Seront-ce, à votre avis, les qualités morales d'un individu de ce sexe qui pourront nous dédommager de ses défauts physiques ? Eh ! quel être raisonnable, en connaissant une femme à fond, ne s'écriera pas avec Euripide : « Celui des dieux qui a mis la femme au monde peut se flatter d'avoir produit la plus mauvaise de toutes les créatures et la plus fâcheuse pour l'homme. » S'il est donc prouvé que les deux sexes ne se conviennent point du tout mutuellement et qu'il ne soit pas une plainte fondée, faite par l'un, qui n'aille à merveille à l'autre, il est donc faux, de ce moment-là, que la nature les ait créés pour leur mutuel bonheur ; elle peut leur avoir donné le désir de se rapprocher pour concourir au but de la propagation, mais nullement celui de se lier à dessein de trouver leur félicité l'un dans l'autre. Le plus faible n'ayant donc aucun titre réel à réclamer la pitié du plus fort, ne pouvant plus lui opposer qu'il peut trouver son bonheur en lui, n'a plus d'autre parti que la soumission. Et comme, malgré la difficulté de ce bonheur mutuel, il est dans les individus de l'un et de l'autre sexe de ne travailler qu'à se le procurer, le plus faible doit réunir sur lui, par cette soumission, la seule dose de félicité qu'il lui soit possible de recueillir ; et le plus fort doit travailler à la sienne par telle voie d'oppression qu'il lui plaira d'employer, puisqu'il est prouvé que le seul bonheur de la force est dans l'exercice des facultés du fort, c'est-à-dire, dans la plus complète oppression du faible. Ainsi, ce bonheur que les deux sexes ne peuvent trouver l'un avec l'autre, ils le trouveront, l'un par son obéissance aveugle, l'autre par la plus entière énergie de sa domination. Eh ! si l'intention de la nature n'était pas que l'un des sexes dominât l'autre... le tyrannisât... ne les aurait-elle pas créés de force égale ? En rendant l'un inférieur à l'autre en tout point, n'a-t-elle pas suffisamment indiqué que sa volonté était que le plus fort usât des droits qu'elle lui donnait. Plus celui-ci étend son autorité, plus il rend malheureuse la femme liée à son sort, et mieux il remplit les vues de la nature. Ce n'est pas sur les plaintes de l'être faible qu'il faut juger du procédé ; tout jugement fait de cette manière ne saurait être que vicieux, puisque vous n'emprunteriez, en le faisant, que les idées du faible ; il faut juger l'action sur la puissance du fort, sur l'extension qu'il a donnée à sa puissance ; et, quand les effets de cette force se sont répandus sur une femme, examiner alors ce qu'est une femme, la manière dont ce sexe méprisable a été regardé, soit dans l'antiquité, soit de nos jours, par les trois quarts des peuples de la terre. Or, que vois-je en procédant de sang-froid à cet examen ? Une créature chétive, toujours inférieure à l'homme, infiniment moins ingénieuse, moins sage, constituée d'une manière dégoûtante, entièrement opposée à ce qui peut plaire à son maître... à ce qui doit le délecter ; un être malsain les trois quarts de sa vie, hors d'état de satisfaire son époux tout le temps où la nature le contraint à l'enfantement ; d'une humeur aigre, acariâtre, impérieuse ; tyran, si on lui laisse des droits ; bas et rampant, si on le captive, mais toujours faux, toujours méchant, toujours dangereux ; une créature si perverse enfin, qu'il fut très sérieusement agité au concile de Mâcon, pendant plusieurs séances, si cet individu bizarre, aussi distinct de l'homme que l'est de l'homme le singe des bois, pouvait prétendre au titre de créature humaine, et si l'on pouvait raisonnablement le lui accorder. Mais ceci serait-il une erreur du siècle ? et la femme est-elle mieux vue dans ceux qui précédèrent ? Les Perses, les Mèdes, les Babyloniens, les Grecs, les Romains, honoraient-ils ce sexe odieux, dont nous osons faire aujourd'hui notre idole ? Hélas ! je le vois opprimé partout, partout rigoureusement éloigné des affaires ; avili, enfermé partout ; les femmes, en un mot, généralement traitées comme des bêtes, dont on se sert à l'instant du besoin, et qu'on recèle aussitôt dans le bercail. M'arrêterai-je un moment à Rome ; j'entends Caton le sage me crier du sein de l'ancienne capitale du monde : « Si les hommes étaient sans femmes, ils converseraient encore avec les dieux. » J'entends un censeur romain commencer sa harangue par ces mots : « S'il nous était possible de vivre sans femmes, nous connaîtrions dès lors le vrai bonheur. » J'entends les poètes chanter sur les théâtres de la Grèce : « Ô Jupiter ! quelle raison put t'obliger de créer les femmes ? ne pouvais-tu donner l'être aux humains par des voies plus sages et meilleures, par des mesures enfin qui nous eussent évité ce fléau ? » Je vois ce même peuple, les Grecs, tenir ce sexe dans un tel mépris, qu'il faut des lois pour obliger un Spartiate à la propagation, et qu'une des peines de ces sages républiques, est de contraindre un malfaiteur à s'habiller en femme, c'est-à-dire, à se revêtir comme l'être le plus vil et le plus méprisé qu'elles connaissent. Mais, sans aller chercher des exemples dans des siècles si reculés de nous, de quel œil ce malheureux sexe est-il vu, même encore, sur la surface du globe ? comment y est-il traité ? Je le vois enfermé dans toute l'Asie, y servir en esclave aux caprices barbares d'un despote qui le moleste, le tourmente, et qui se fait un jeu de ses douleurs. En Amérique, je vois des peuples naturellement humains (les Esquimaux) pratiquer entre hommes tous les actes possibles de bienfaisance, et traiter les femmes avec toute la dureté imaginable. Je les vois humiliées, prostituées aux étrangers dans une partie de l'univers, servir de monnaie dans une autre. En Afrique, bien plus avilies sans doute, je les vois exerçant le métier de bêtes de somme, labourer la terre, l'ensemencer, et ne servir leurs maris qu'à genoux. Suivrai-je le capitaine Cook dans ses nouvelles découvertes ? L'île charmante d'Othaïti, où la grossesse est un crime qui vaut quelquefois la mort à la mère, et presque toujours à son fruit, m'offrira-t-elle des femmes plus heureuses ? Dans d'autres îles découvertes par ce même marin, je les vois battues, vexées par leurs propres enfants, et le mari lui-même se joindre à sa famille pour les tourmenter avec plus de rigueur. Plus les peuples sont rapprochés de la nature, mieux ils en suivent les lois. La femme ne peut avoir avec son mari d'autres rapports que celui de l'esclave avec son maître ; elle n'a décidément aucun droit pour prétendre à des titres plus chers. Quoi qu'il en soit enfin, mes amis, tous les peuples de la terre jouirent du droit le plus étendu sur les femmes ; il s'en trouvera même qui les condamnaient à mort dès qu'elles venaient au monde, ne conservant que le petit nombre nécessaire à la reproduction de l'espèce. Les Arabes, connus sous le nom de Korrihs, enterraient leurs filles, dès l'âge de sept ans, sur une montagne auprès de la Mecque, parce qu'un sexe aussi vil leur paraissait, disaient-ils, indigne de voir le jour. Les femmes, dans le sérail du roi d'Achem, pour le seul soupçon d'infidélité, pour la plus légère désobéissance dans le service des voluptés du prince, ou sitôt qu'elles inspirent le dégoût, sont condamnées aux plus affreux supplices ; le roi lui-même leur sert de bourreau. Aux bords du Gange, elles sont obligées de s'immoler sur les cendres de leurs époux, comme inutiles au monde dès que leurs maîtres n'en peuvent plus jouir. Ailleurs, on les chasse ainsi que des bêtes fauves ; c'est un honneur que d'en tuer beaucoup. En Égypte, on les immole aux dieux. A Formose, on les foule aux pieds dès qu'elle sont enceintes. Les lois germaniques ne condamnaient qu'à dix écus d'amende celui qui tuait une femme étrangère ; rien, si c'était la sienne ou une courtisane. Partout, en un mot, je le répète, partout je vois les femmes humiliées, molestées, sacrifiées à la superstition des prêtres, à la barbarie des époux, ou aux caprices des libertins ; et ce qu'il y a de plus malheureux pour elles, c'est que plus on les étudie, plus on les analyse, plus on se convainc qu'elles sont dignes de leur sort. Est-il possible, s'écrient leurs imbéciles partisans, que les antagonistes de ce sexe ne veuillent pas ouvrir les yeux sur les mérites dont il est rempli ? Voyez, disent-ils avec enthousiasme, les soins touchants qu'il a de notre jeunesse, sa complaisance dans notre âge mûr, tous les secours dont il nous devient quand nous vieillissons ; comme il nous sert dans nos maladies, comme il nous console dans nos afflictions ; que de délicatesse il met à soulager nos maux ; que d'art à détourner, s'il peut, les calamités qui nous assiègent ; que d'empressement à sécher nos larmes... Et vous ne chérissez pas, vous n'adorez pas des êtres aussi parfaits !... de si tendres amies données par la nature ? Non, je ne les chéris, ni ne les adore, je reste ferme au sein de l'illusion, et ma sagesse sait y résister : je ne vois que de la faiblesse, de la peur et de l'égoïsme dans tout ce que vous venez de me vanter. Si, comme la louve ou la chienne, la femme allaite son fruit, c'est que cette sécrétion, qui lui est dictée par la nature, devient indispensable à sa santé ; si elle nous est utile dans les différents maux que nous venons de peindre, c'est par tempérament bien plus que par vertu, c'est par orgueil ou par amour d'elle-même. Ne nous surprenons pas de ses motifs ; la faiblesse de ses organes la rendant plus propre que nous au sentiment pusillanime de la pitié, la porte machinalement, et sans qu'elle y ait aucun mérite, à plaindre et à consoler les maux qu'elle voit ; et sa poltronnerie naturelle l'engage à donner à celui qui est plus fort qu'elle, des soins dont elle sent bien qu'elle aura besoin tôt ou tard. Mais, rien de vertueux, rien de désintéressé dans tout cela, rien, au contraire, que de personnel et de machinal. C'est une absurdité révoltante, que de vouloir lui composer des vertus de ses besoins, et de trouver ailleurs que dans sa débilité, dans ses craintes, tous les motifs de ces belles actions, dont notre aveuglement nous rend dupes ; et, parce que j'ai le malheur de vivre chez un peuple encore assez grossier pour ne pouvoir se nourrir de ces grands principes... pour n'oser abolir le plus ridicule des préjugés, je me priverais des droits que la nature m'accorde sur ce sexe ! je renoncerais à tous les plaisirs qui naissent de ces droits ! Non, non, mes amis, cela n'est pas juste ; je voilerai ma conduite, puisqu'il le faut ; mais je me dédommagerai en silence des chaînes absurdes où la législation me condamne ; et là, je traiterai ma femme comme il me conviendra... comme j'en trouve le droit dans tous les codes de l'univers, dans mon cœur, et dans la nature. - Ma foi, mon oncle, dit Bressac, qui, pendant tout le discours, n'avait cessé de prouver à un joli garçon qu'il tenait enculé combien il approuvait les maximes sur les femmes que venait d'énoncer Gernande, oh ! par ma foi, je crois maintenant votre conversion impossible. - Aussi, ne conseillerai-je à personne de l'entreprendre, répondit le comte ; l'arbre est trop vieux pour être plié ; on peut faire, à mon âge, quelques pas de plus dans la carrière du mal... pas un dans celle du bien. Mes principes et mes goûts, d'ailleurs, font ma félicité ; depuis mon enfance, ils furent toujours l'unique base de ma conduite et de mes actions ; peut-être irai-je plus loin, je sens que c'est possible ; mais pour revenir, non. J'ai trop d'horreur pour les préjugés des hommes ; je hais trop sincèrement leur civilisation, leurs vertus et leurs dieux, pour y jamais sacrifier mes penchants. - Messieurs, dit ici la fougueuse d'Esterval, vous avez maltraité mon sexe ; mais les sentiments que j'ai toujours professés m'élèvent trop au-dessus de sa faiblesse, pour que je prétende au vain honneur de le défendre. Je suis un être amphibie, d'ailleurs, qui, comme vous l'avez vous-même décidé, tient infiniment plus à votre sexe qu'à celui des femmes ; et vous avez dû vous en convaincre encore mieux, par la manière énergique dont je me suis prêtée aux vexations de madame de Gernande. Je vous proteste donc que je désirerai toujours d'être homme, quand il s'agira d'adopter leurs goûts, ou de me livrer à leurs passions. - Et moi, dit la sage Justine, je les fuirai comme des bêtes féroces, quand je les verrai se conduire d'après d'aussi cruels principes. Nous l'avons dit, les têtes, nullement calmées par la scène de madame de Gernande, achevèrent de s'électriser à cette conversation. - Pourquoi, dit d'Esterval à Gernande, n'essaieriez-vous point votre caprice sur les jolis garçons dont vous êtes entouré ? - Je l'ai fait quelquefois, répondit le comte ; mais comme j'aime les jeunes gens avec autant d'ardeur que j'en éprouve à détester les femmes, il me semble que ce n'est réellement qu'avec elles qu'on doit employer la férocité ; si cela vous amusait pourtant, mes amis, vous seriez maîtres d'essayer. - Cela me ferait infiniment bander, dit Bressac ; il y a une heure que mon vit se promène dans le cul d'un de vos bardaches, auquel j'avoue que j'ai le plus grand désir de faire tout le mal imaginable. Et comme Bressac, en disant cela, comprima d'une manière dure les couilles du Ganymède, l'enfant, qui n'avait que quatorze ans, jeta des cris terribles, et versa des larmes. - Abandonnez-nous ce giton, dit d'Esterval qui venait de se rapprocher de Bressac et qui commençait à opérer comme lui ; vous en avez tant ici, qu'un de plus ou de moins ne fera pas la moindre sensation. - Et qu'en ferez-vous ? dit Gernande. - Une victime, bien certainement, dit Bressac. - Une scène fort cruelle, si vous le voulez, dit d'Esterval. - Oui, dit Dorothée ; mais il faut absolument que Justine et madame de Gernande soient les prêtresses du sacrifice. - Je l'entends bien ainsi, dit M. de Gernande, et si ma chère femme n'avait pas dans tout ceci sa petite portion de supplice, je ne sais si vous me trouveriez aussi complaisant... Allons, il ne s'agit que de passer chez elle. - Oh ! monsieur, dit la tendre Justine, songez-vous à l'état de madame ? - Je songe, dit Gernande en appliquant un vigoureux soufflet à Justine, que je vais te mettre dans le même état qu'elle, si tu t'avises de raisonner. Apprends, prude imbécile, continue ce taureau, que je te permets d'enchérir sur mes idées, quand ton imagination te le suggérera ; mais que, sous peine de la vie, je te défends d'oser jamais les refroidir. - Volons chez votre femme, mon oncle, dit Bressac ; tenez, c'est sur le bout de mon vit que je vais lui conduire la victime. Et le libertin, ne cessant en effet de tenir la mazette enculée, la mena sans débander d'une minute dans l'appartement de sa tante, qui, bien loin de penser à ce supplément d'infortune, se livrait, lorsque ces bandits arrivèrent, aux douceurs d'un léger sommeil. Voilons ces nouvelles orgies aux yeux pudiques de nos lecteurs ; il ne nous reste que trop d'atrocités à leur révéler encore ; qu'ils sachent seulement que la scène fut des plus sanglantes ; que madame de Gernande et Justine furent obligées de servir de plastrons, et que le joli petit Ganymède expira au bout de quatre heures, après avoir perdu tout son sang3. « Où suis-je, se dit enfin Justine au bout de quelques semaines, et quel service m'a rendu Bressac en m'amenant dans cette maison ? Le monstre ! il savait bien qu'il faisait mon malheur, se fût-il mêlé de moi sans cela. » Ainsi perpétuellement entre le remords de vivre dans le crime et le désespoir de n'en pouvoir arracher sa maîtresse, la pauvre fille languissait, usait son esprit en expédients, et ne pouvait réussir à en trouver quelques-uns qui pussent les soustraire l'une et l'autre à tant de malheurs et tant d'infortunes. - Ô Justine ! tu vas voir encore arriver de nouveaux personnages dans ce château, lui dit un jour madame de Gernande, qui voyait bien qu'enfin cette pauvre fille était digne de sa confiance. - Qui donc, madame ? - M. de Verneuil, un nouvel oncle de Bressac, ton persécuteur, un frère de mon mari ; il vient régulièrement ici deux fois par an, avec sa femme, son fils et sa fille. - Ah ! tant mieux, madame, répondit Justine, vous serez au moins tranquille pendant cet intervalle. - Tranquille, ma chère, ah ! dis que je serai mille fois plus tracassée. Ces deux voyages ne sont pour moi que des époques de tourments et de malheurs ; c'est alors que tous mes maux redoublent ; c'est dans ces cas là qu'il n'est pas d'infortunés sur la roue dont les tourments soient aussi cruels. Écoute-moi, Justine, et je vais révéler à tes yeux des mystères d'iniquité qui te feront frémir. M. de Verneuil, ma chère fille, est encore plus libertin que son frère, plus dissolu, plus criminel, plus féroce ; c'est une bête enragée qui, près de ses passions, méconnaît tous les freins, et qui, je le crois, sacrifierait l'univers entier, s'il le croyait utile, à ses infâmes plaisirs. Verneuil, âgé de quarante-cinq ans, est, comme tu le vois, le cadet de son frère ; il est moins gros, mais plus nerveux, beaucoup plus fort, et d'une figure beaucoup plus effrayante... c'est un satyre... oh ! oui, Justine, un satyre, sous tous les rapports... Ce que tu sais, ma chère, est en lui gigantesque ; il semble que la nature ait voulu le dédommager de ce dont elle a privé son frère ; il est, de plus, infatigable ; ce scélérat crèverait dix femmes. Son épouse, âgée de trente-deux ans, est une des plus belles créatures qu'il soit possible de voir au monde ; ses cheveux sont châtains ; sa taille souple et dégagée ressemble à celle de Vénus même ; ses yeux pleins d'âme et de sensibilité sont d'une expression sans égale ; sa bouche parfaitement belle ; les chairs fermes, potelées, et d'une admirable blancheur ; toute sa personne, en un mot, est un vrai modèle de délicatesse ; mais il faut qu'elle ait un tempérament bien robuste pour résister, comme elle fait depuis dix-huit ans, aux caprices bizarres et désordonnés dont son exécrable mari la rend victime chaque jour. - Oh ! madame, se peut-il donc qu'il y ait au monde un être plus barbare que M. de Gernande ? - Tu en jugeras, Justine ; je veux que tu aies toute l'horreur de la surprise ; laisse-moi finir de te peindre les personnages que nous attendons. Victor, fils de M. de Verneuil, est âgé de seize ans ; c'est l'image même de sa mère ; il est impossible d'être plus joli, plus frais, plus délicat, plus mignon ; je ne lui connais qu'une rivale en beauté... sa sœur Cécile, âgée d'environ quatorze ans, et qu'on dirait que les dieux mêmes ont voulu former de leurs mains, pour donner aux hommes la plus grande idée de leur puissance ; jamais on ne vit une taille plus leste, une physionomie à la fois plus douce et plus animée... de plus beaux cheveux... de plus belles dents ; et Cécile, en un mot, sans sa mère, passerait infailliblement pour la plus belle personne qui pût exister dans le monde. Eh bien, Justine, et cette femme, et les deux beaux enfants qu'elle a de son mari, sont chaque jour simultanément les victimes de la férocité de ce monstre... Victor, moins qu'un autre, peut-être, car le venin de l'exemple et de la séduction n'a déjà que trop corrompu son cœur. - Oh ! ciel ! vous me faites frémir... un père corrompre ses enfants !... Hélas ! dois-je pourtant m'étonner de ces horreurs, poursuivit Justine, moi qui les vis si longtemps en action ? - Ah ! ceci, dit madame de Gernande, doit surpasser tout ce que tu as dû voir. Ce scélérat ne s'en tient pas aux simples incestes dont il souille l'intérieur de sa famille ; de bien autres horreurs... - Que fait-il donc ? - Les plus divins objets de l'un et de l'autre sexe, soigneusement choisis dans les classes les plus opulentes et les plus distinguées, sont les victimes que son adresse et son argent assurent à sa lubricité ; il est tellement difficile sur l'âge, que si le sujet présenté dépassait seulement d'un mois les sept ans accomplis que le libertin désire, il le renverrait à l'instant ; et tu conçois, Justine, tout ce que ces enfants doivent éprouver de cruel avec un monstre moral et physique comme celui que je viens de peindre. Plus de la moitié n'en échappe jamais ; la cruelle certitude de ces suites fâcheuses est un des plus doux aliments de la scélérate luxure de ce perfide ; et je lui ai ouï dire cent fois qu'il n'atteindrait pas les bornes de sa jouissance, sans l'espoir où il est que ses gigantesques proportions flétriront à jamais la rose qu'épanouit sa férocité. Deux fois plus riche que son frère, en raison d'un mariage très avantageux qu'il a fait dans les îles, et de différentes affaires très lucratives qui l'ont comblé d'or, les sommes qu'il peut, en raison de cela, dépenser à ses affreux plaisirs sont inexprimables. On lui recrute des sujets dans toutes les provinces ; ils lui sont amenés à grands frais dans son château de Verneuil, situé à dix lieues d'ici, et dans lequel il est absolument fixé depuis longtemps. Quelques-uns de ces sujets l'accompagneront sans doute, suivant son usage ; et tu verras, Justine, s'il exista jamais sur la terre un homme plus affreux que celui-là. Notre intéressante orpheline, effrayée de tout ce qu'elle venait d'entendre, ne se livrant, suivant son usage, qu'à l'extrême bonté de son caractère, fut, dès le lendemain matin, trouver le marquis de Bressac. - Monsieur, lui dit-elle alarmée, on nous menace d'un surcroît de compagnie bien funeste pour ma pauvre maîtresse ; êtes-vous au fait de ce dont il s'agit, et vous est-il possible de le prévenir ? - Je suis instruit, répondit Bressac ; c'est un autre oncle à moi, un frère de ma mère comme Gernande, que je n'ai vu de ma vie, que l'on dit très aimable et rempli d'esprit. - Oh ! monsieur, tous ces hommes d'esprit sont plus dangereux que les autres... raisonnant tous mieux leurs excès, ils s'y livrent avec moins de remords... il n'y a plus de ressources avec eux. Vous allez être réunis dans ce château quatre scélérats de la première espèce... il s'y commettra des horreurs. - Je l'espère bien, dit Bressac, il n'est rien d'aussi délicieux que de pouvoir se trouver ainsi plusieurs amis du même goût et du même esprit ; on se communique ses idées, ses penchants ; les désirs des uns s'allument à l'irrégularité de ceux des autres ; on enchérit, on se surpasse, on s'encourage, et les résultats sont divins. - Ils seront affreux pour ma pauvre dame. - Ô Justine ! quel intérêt prends-tu donc à cette créature ? quand seras-tu lasse d'être toujours ainsi la dupe de ton cœur ? Si par hasard il arrivait que l'on complotât ici quelque chose contre ma tante, n'irais-tu pas, comme chez ma mère, risquer ta vie pour la défendre ? Eh ! renonce donc une bonne fois, ma fille, à ce caractère de bonté ou plutôt de bêtise, qui t'a si mal réussi jusqu'à ce moment ; plus égoïste, et par conséquent plus sage, ne t'embarrasse que de toi seule, et cesse de te composer éternellement, comme tu fais, une multitude de chagrins, en épousant toujours ceux des autres. Que t'importe l'existence ou la mort de cette femme près de laquelle on t'a placée ? Y a-t-il quelque chose de commun entre elle est toi ? Et comment es-tu donc assez simple pour te créer ainsi des liens imaginaires, qui ne feront jamais que ton malheur ? Éteins ton âme, Justine, comme tu nous vois endurcir les nôtres ; tâche de te faire des plaisirs de tout ce qui alarme ton cœur. Parvenue bientôt comme nous à la perfection du stoïcisme, ce sera dans cette apathie que tu sentiras naître une foule de nouveaux plaisirs bien autrement délicieux que ceux dont tu crois trouver la source dans ta funeste sensibilité. Crois-tu donc que dans mon enfance je n'avais pas un cœur comme toi ? mais j'en ai comprimé l'organe ; et c'est dans cette dureté voluptueuse que j'ai découvert le foyer d'une multitude d'égarements et de voluptés qui valent mieux que mes faiblesses. - Oh ! monsieur, l'on arrive à tout en étouffant ainsi la voix de son cœur. - Et voilà ce qu'il faut ; c'est précisément quand on en est là, que l'on jouit véritablement : je ne suis heureux, moi, ma chère, que depuis que je me livre à tous les crimes de sang-froid. Lorsque mon âme, encore dans l'écorce, ne se montait que par graduation au ton mâle où je l'ai contrainte à présent, je souffrais en lui laissant quelques élans ; de sots remords venaient l'agiter. J'ai combattu ; je me suis fait des principes de mes erreurs ; et de ce moment seul j'ai connu la félicité. On fait ce qu'on veut de son âme ; les ressorts de la philosophie la montent au ton que l'on désire ; et ce qui nous faisait frémir dans l'enfance, devient dans notre âge mûr l'objet de nos plus grands plaisirs. - Quoi ! monsieur, vous voudriez me persuader que vous ne vous repentez pas du matricide épouvantable que vous vous êtes permis sous mes yeux ? - J'eusse eu dix mères que je les eusse toutes sacrifiées l'une après l'autre de la même façon. Oh ! ce crime-là, Justine, n'est pas encore à la hauteur de mon âme ; il en faudrait d'une bien autre espèce pour la sortir de son assiette. Quoi qu'il puisse arriver enfin sur l'objet de tes craintes, ne t'avise pas de les communiquer à Gernande ; son cœur de roche entend mal les élans de la sensibilité, et tu pourrais t'en trouver la dupe. Lorsque Verneuil arrivera, conduis-toi bien avec lui ; sois douce, prévenante, spirituelle ; cache avec soin les stupides mouvements de ton cœur. Je lui dirai du bien de toi ; et cette connaissance, peut-être, pourra te devenir avantageuse. Quatre gitons entrèrent à ce moment chez Bressac, et mirent fin à une conversation qui n'était pas assez du goût de Justine, pour qu'elle fût fâchée de la voir finir. - Reste, si tu veux, lui dit Bressac, tout en baisant et déculottant ses bardaches, quoique femme, je ne te verrai jamais de trop dans mes séances de lubricité ; tu pourras même m'y servir... Mais la pudibonde Justine, qui n'assistait jamais à de pareilles horreurs que quand elle y était contrainte, se retira en soupirant, et se disant à elle-même : « Ô mon Dieu ! ce que c'est que l'homme, quand une fois ses passions l'asservissent ; les forêts de la Nubie renferment-elles des bêtes qui soient plus féroces que lui ? » Elle retournait tristement chez sa maîtresse lui faire part du peu de fruit des négociations qu'elle avait cru devoir entamer, lorsqu'une des vieilles vint l'avertir de passer chez M. de Gernande, qui paraissait avoir quelque chose à lui communiquer. - Justine, dit le farouche patron de ce château, pourquoi ne m'avertis-tu pas des intrigues qui se forment ici ? - Je les ignore, monsieur. - Je vais donc te les révéler ; dit Gernande en ne laissant apercevoir aucune altération sur sa barbare figure. Apprends que Dorothée est folle de ma femme, et qu'elle vient de me faire demander la permission de passer quelques heures de cette matinée avec elle. J'y ai consenti ; mais je veux surprendre ces voluptés-là. Il faut que tu me caches dans un cabinet qui se trouve près de son ottomane, et par un des vitraux duquel le pourrai voir tout ce que cette insigne tribade essaiera sur ma chaste épouse. - Mais avez-vous éprouvé déjà, monsieur, ce qu'on peut entendre ou découvrir par le vitrage de ce cabinet ? - Eh ! oui, tous les jours ; c'est là que je me cache pour entendre les complaintes qu'elle fait de moi, et pour m'en délecter. Notre héroïne, qui raisonnablement, ne devait faire usage ici que de sa soumission, entra sur-le-champ avec Gernande dans le cabinet en question ; et Dorothée, qui ne se doutait de rien, passa chez madame de Gernande, qui fut très surprise de cette visite. La d'Esterval, impérieuse, hautaine, aussi féroce que son mari, et à laquelle on avait donné carte blanche, ne s'amusa point, comme on le croit, à filer le parfait amour. Une des vieilles l'escortait, avec l'ordre d'obliger l'épouse infortunée à se prêter à tout ce qu'exigerait la Messaline qu'on lui envoyait. Il fallut obéir. La victime dépouillée n'offrit bientôt plus que des pleurs et des charmes. On n'a pas idée de la fureur de madame d'Esterval ; de tels transports ne se feignent point. Oubliant absolument son sexe, la fière tribade se livra sans honte à tous les égarements, à toutes les fureurs des hommes. Ce n'était plus Sapho dans les bras de Damophile, c'était Néron près de Tigellin. Toutes les lubricités masculines, toutes les passions des hommes, tous les désordres de leur plus cruel libertinage furent mis en œuvre par ce monstre de crapule et de perversité ; il n'y eut rien qu'elle ne fît, rien qu'elle n'inventât pour assouvir son impudente luxure ; et la pauvre maîtresse de Justine fut plus fatiguée de cette scène, qu'elle ne l'était de celles où la soumettait son époux. - Oh ! foutre, disait Gernande, en se faisant sucer par Justine, voilà qui est délicieux ; je n'ai jamais rien vu qui m'échauffât la tête à ce point. J'aime cette Dorothée à la fureur ; et si j'avais une semblable femme, je ne l'aurais jamais rendue ma victime... Ah ! suce, Justine... suce... tâche que mon foutre coule en même temps que celui de cette coquine. Mais les désirs de Gernande, irrités sans être satisfaits, n'eurent point l'issue désirée ; et la d'Esterval se lassa, avant que celui qui dérobait ses plaisirs fût arrivé au terme des siens. Dégoûtée de sa jouissance, elle jeta sur elle des yeux de mépris ; elle l'insulta, elle lui répéta plusieurs fois que son époux était bien bon de la laisser vivre si longtemps ; elle dénigra les charmes dont elle venait de s'enivrer, les profana, les molesta, et sortit, en disant qu'elle allait conseiller à son mari de prendre bientôt un parti ferme sur une aussi méprisable épouse. A peine Dorothée fut-elle sortie de la chambre de madame de Gernande, que le patron y passa avec Justine ; et, prenant son texte de la visite qu'il venait de surprendre, il n'y eut sorte de mauvais propos, de menaces dont il n'accablât sa malheureuse femme. Celle-ci se défendit de son mieux. - On a ouvert ma porte, monsieur, dit-elle en pleurant ; une des vieilles à qui je suis confiée m'a amené cette femme de votre part ; il m'est devenu impossible de me défendre de ses tentatives... je les aurais repoussées si je l'avais pu. Mais Gernande, qui ne cherchait que l'occasion d'une scène qu'il se procurait par là l'une manière délicieuse pour une âme aussi fausse que la sienne, condamna sur-le-champ sa femme à la saignée ; et le monstre, très échauffé des préliminaires, la piqua dans l'instant aux deux bras et au con. Pour cette fois il se passa d'hommes, Justine lui suffit ; la malheureuse s'épuisa à force de le pomper. Le cruel animal, maître de son sperme, eut l'art de n'en lâcher les flots, que quand il vit sa femme évanouie ; et cette séance fut une des plus barbares que Justine lui vit éprouver. Ce libertin rentrait à peine chez lui que des voitures se firent entendre dans la cour. C'était M. de Verneuil et sa famille. M. de Gernande en fit aussitôt donner des nouvelles à sa femme. Et dans quel état, juste ciel, lui apprenait-on cette catastrophe ! Justine fut en même temps avertie de venir recevoir ces nouveaux hôtes. **** *creator_sade *book_sade_justine1799 *style_prose *date_1799 CHAPITRE XV PORTRAITS DE CES PERSONNAGES - ORGIES D'UN GENRE NEUF La première voiture était une berline allemande, attelée de six chevaux, dans laquelle se trouvaient monsieur et madame de Verneuil, Cécile et Victor, leurs enfants ; la seconde était une grande calèche, occupée par une très belle femme de quarante ans, la fille de cette femme, superbe créature de vingt-deux, et deux enfants de cette jeune femme, âgés de six et sept ans, tous deux nés de Verneuil. Le petit garçon se nommait Lili ; la jeune fille, Rose ; il était impossible de voir rien de plus délicieux que ce petit couple. Deux grands garçons, de vingt à vingt-deux ans, faits comme Hercule, et beaux comme l'Amour, remplissaient les deux autres places, sous le titre de valets de chambre de M. de Verneuil. Les dames et les enfants, promptement installés dans leurs appartements s'y retirèrent ; et Gernande conduisit Verneuil chez d'Esterval, où Bressac s'était rendu pour recevoir cette visite. - Voilà un charmant neveu que tu ne connais pas, dit Gernande à son frère ; embrassez-vous, mes amis ; quand on se ressemble aussi bien, on doit être dispensé de tout compliment. L'aimable personnage que vous voyez là, poursuivit Gernande en montrant d'Esterval est un ami de mon neveu, qui l'a accompagné chez moi... C'est un homme dans la maison duquel je ne te conseillerais pas de coucher ; car il égorge tous ceux qu'il reçoit... Eh bien ! es-tu content de la société que je te donne ? - Enchanté, dit Verneuil en embrassant d'Esterval, qui, présentant aussitôt lui-même sa femme à Verneuil, assura que celle qui a l'honneur de le saluer est, quoique femme, en état de figurer avec le plus scélérat des hommes. - Voilà qui va le mieux du monde, mes amis, dit Verneuil ; le vois qu'avec une aussi charmante société, nous passerons ici quelques jours agréablement. Quatre gitons entrèrent aussitôt pour savoir si M. de Verneuil n'avait pas besoin de leurs services. - Ah ! volontiers, dit Verneuil ; la voiture m'a échauffé ; il y a deux heures que je bande comme un diable ; voyez, dit-il, en posant sur la table un outil d'une grosseur et d'une longueur effrayantes... Allons, je vous suis, mes enfants. Ces messieurs trouveront bon que je perde un peu de foutre avant que de faire une plus grande connaissance avec eux. - Permettez à ma femme de vous aider, monsieur, dit d'Esterval ; personne n'a plus d'art et de ressources dans l'esprit... son imagination vous plaira. - Volontiers, dit Verneuil ; je ne serais même pas fâché d'y joindre la jeune fille qui nous a reçus... quelle est-elle ? - C'est Justine, mon oncle, dit Bressac ; une héroïne de vertu, un individu tout sentimental, et dont les mœurs et les infortunes forment, avec nos principes, les plus singulières oppositions. Gernande en a fait la demoiselle de compagnie de sa femme ; elles pleurent, elles prient, elles se consolent ensemble, et nous molestons tout cela. - Ah ! délicieux !... délicieux ! Parbleu, mon frère, fais-moi monter cette fille, je m'en servirai. - Mais, mon oncle, dit Bressac, si vous passiez chez madame de Gernande, il me semble que cela vaudrait mieux ; tous les objets qui peuvent vous flatter se trouveraient réunis là, et votre décharge serait plus complète. - Mon neveu a raison, dit Verneuil ; mais il ne sait pas que le plaisir de faire connaissance avec lui me presse encore plus que tout. Et, l'entraînant dans un cabinet, il le baise, il le déculotte, il le caresse, lui manie le cul, lui branle le vit, le sodomise, s'en fait foutre ; et tout cela sans perdre une goutte de sperme. Puis, revenant dans la société, il y fait de son neveu les plus pompeux éloges. - Voyez comme il m'a mis, dit-il en menaçant le ciel d'un vit énorme, qu'il branlottait tout en causant, je foutrais Dieu le père à présent s'il se présentait devant moi. Allons, mon frère, passons chez ta femme ; j'y conduirai madame, dit-il en parlant de Dorothée, cette jeune fille, que vous appelez Justine, et deux bardaches ; cela me suffira. Mon foutre est là, vous le voyez, continua-t-il en montrant du doigt la goutte exhalée de la tête ; je n'ai besoin que des plus légers efforts pour le faire jaillir à dix pieds. Peu s'en est fallu que je le laissasse dans le cul de mon neveu ; mais la garce est si large... - Déjeunes-tu avant ? dit Gernande. - Non, nous sortions de table quand nous sommes arrivés ; j'ai plus besoin de me salir l'imagination que de manger, nous réparerons, après, ce que aurai perdu. Justine, envoyée par son maître chez madame de Gernande, vint avertir M. de Verneuil que, malgré l'état d'affaiblissement dans lequel se trouvait sa maîtresse, qui venait de perdre six palettes de sang, il n'y avait pas une heure, elle allait, soumise aux volontés de son époux, recevoir la compagnie qu'on lui annonçait. - Ah, ah ! tu viens de la saigner ! dit Verneuil, tant mieux ; j'aime infiniment à la voir dans cet état. Approchez, jeune fille, poursuivit-il en troussant Justine, pour lui prendre les fesses, venez ; je serai fort aise aussi de voir votre cul ; je le crois joli. Messieurs, continua-t-il en s'adressant à Gernande, à Bressac et à d'Esterval, je vous invite, pendant ce temps, à passer chez ma femme ; pardon, si je ne vous y présente pas ; mais soyez sûrs de sa soumission ; je vous exhorte à ne pas plus vous gêner chez moi que je ne vais le faire chez vous. - Eh bien, dit Verneuil en entrant chez madame de Gernande, soutenu par ses bardaches, suivi d'une vieillie, et dans l'état du monde le plus immodeste, vous mécontentez donc toujours mon frère ? Il ne cesse de me porter des plaintes contre vous, et je n'arrive jamais que pour l'aider à vous mettre à la raison. Voilà madame, poursuivit-il en montrant Dorothée, qui, témoin de votre mauvaise conduite, vient de me certifier des choses qui devraient vous valoir les plus cruels tourments, si mon frère, moins livré à sa bienfaisance, écoutait un peu plus sa justice ; allons, déshabillez-vous. Et Justine, exécutant l'ordre, offre, en un instant, sa pudique maîtresse aux regards effrontés de ce scélérat. - Mettez-vous toutes deux dans le même état, dit Verneuil en s'adressant à Justine et à Dorothée, et, surtout, déguisez les cons. Pour vous, mes beaux enfants, continua-t-il en parlant aux bardaches, n'ôtez que vos culottes ; le reste de vos habits vous parant au lieu de vous nuire, vous pouvez les garder ; j'aime tout ce qui me rappelle un sexe que j'idolâtre : si les femmes avaient des habits d'homme, je ne les ferais peut-être pas ôter. Tout le monde obéissait ; Justine seule faisait quelque résistance, mais un coup d'œil effrayant de l'homme le plus terrible et le plus rébarbatif qu'elle eût encore vu la détermina promptement. Verneuil place Justine et madame de Gernande, agenouillées toutes deux sur le bord du canapé, les fesses tournées vers lui, et les laisse un moment là, pendant qu'il examine le cul de Dorothée. - Foutre ! madame, lui dit-il, vous êtes faite à peindre... c'est le corps d'un bel homme ; j'aime à la folie ce poil qui l'ombrage, je le baise avec un vrai plaisir... j'adore ce brun de l'orifice de votre cul... il prouve de l'usage... écartez, que j'y mette ma langue ; oh ! comme vous êtes large... que j'estime cette preuve authentique de la dépravation de vos mœurs... vous aimez quand on vous encule ? vous idolâtrez le vit au cul... il n'y a que cela madame... il n'y a que cela ; voilà mon cul, que je vous offre, il est de même... il est excessivement large... Et Dorothée, baisant avec délices le cul de Verneuil, lui rendait amplement les gamahuchades qu'elle en avait reçues. - Vous me plaisez infiniment, madame, poursuivit Verneuil ; il ne vous reste plus, pour achever de me tourner la tête, que d'accepter la proposition que je vais vous faire, et sans l'accord de laquelle tout votre art ne réussirait peut-être pas à faire jaillir mon sperme. Vous êtes riche, dit-on, madame, eh bien, en ce cas, il faut que je vous paie ; si vous étiez pauvre, je vous volerais. Dans la circonstance contraire, il faut que vous ne vous prostituiez à moi que pour une somme très forte. Il faut que vous cachiez cette clause à votre mari, et que vous m'assuriez que la somme que je vais vous donner ne sera employée par vous qu'à des dépenses libertines, il faut que vous me juriez surtout que pas un écu n'en sera destiné pour de bonnes œuvres... que vous n'en payerez, en un mot, que le crime... Que dites-vous de ma passion ? - Elle est singulière, monsieur ; mais croyez que j'ai assez de philosophie pour ne me surprendre d'aucune. J'accepte vos propositions ; j'aurai de mon côté mille fois plus de plaisir à m'amuser avec vous, et je vous fait le serment le plus sacré de ne dépenser votre argent qu'en débauches. - En infamies, madame, en infamies. - En tout ce qu'il y aura de plus affreux, je vous le jure. - Eh bien ! madame, voilà cinq cents louis, êtes-vous contente ? - Non, monsieur, ce n'est pas payer. - Ah ! délicieuse ! divine ! enchanteresse ! s'écria Verneuil ; en voilà mille de plus et vous êtes la plus aimable femme que j'aie connue de mes jours ! Ah ! putain, je triomphe, et tu es à moi maintenant... Gitons, branlez mon vit, pendant que je manie le cul de cette garce, vous, victimes, restez sous mes yeux... Eh quoi ! madame, quelque chose repousse ce mouchoir ; je n'ai cru déguiser qu'un con, je découvre un vit. Foutre ! quel clitoris... Retirez, retirez ce voile ; bien plus homme que femme, l'illusion m'est permise : vous n'avez besoin de rien cacher. Et le paillard branlait, suçait cette excroissance, assez majestueuse pour mettre celle qui la possédait en état de remplir avec succès tous les rôles d'un homme. - Vous devez être libertine au dernier degré, madame, poursuivit Verneuil ; vous devez avoir tous nos goûts. Et il lui enfonçait, en disant cela, trois doigts dans le cul, dont l'effet électrique fit aussitôt lever ce clitoris, au point que Dorothée voulut foutre un giton. Verneuil aide à l'entreprise, et claque vigoureusement les fesses de la Messaline au moment qu'elle agit. - Voulez-vous que je vous moleste ? lui dit-il ; je ne le demande point aux victimes, mais à vous... - Faites ce qu'il vous plaira de mon cul, dit Dorothée ; il ne vous est offert que pour tout endurer. Verneuil lui pince alors les fesses d'une si cruelle force, que la putain décharge à l'instant. - Eh bien ! poursuit-il en la voyant pâmer, convenez qu'il n'y a que le supplice pour hâter l'éjaculation. Sacrificateur ou victime, je ne connais que cela pour arriver au but. - Et ces culs, dit Dorothée, ces culs que vous avez mis là, vous ne vous en occupez donc point ? - L'état où je vais les mettre vous prouvera bientôt le contraire, dit Verneuil. Et, s'approchant d'eux : Voyons, dit-il, laquelle de ces deux femmes sera la plus courageuse. Il pince en même temps, à la fois et d'une manière cruelle, le téton droit de madame de Gernande et la fesse gauche de Justine. Quoique les ongles se fussent imprimés dans les chairs de celle-ci, elle tint ferme. Il n'en fut pas de même de madame de Gernande. Le traître lui avait tellement froissé le bout du téton, elle se trouvait d'ailleurs si faible qu'elle tomba presque évanouie. - Oh ! c'est divin ! dit-il à Dorothée en lui suçant le clitoris ou la bouche, et toujours en lui branlant le trou du cul, c'est délicieux ! voilà de ces hauts-le-corps que j'aime à la folie... Et vous, madame, bandez-vous en voyant souffrir ? - Vous le voyez, monsieur, répondit la tribade en montrant le bout de ses doigts inondés du foutre de son con ; vous voyez que nous agissons je le crois, à peu près dans les mêmes principes. - Je le répète, madame, il n'y a que la douleur pour faire décharger. Et le paillard, entre les bardaches et Dorothée, s'irritait, s'enflammait, comme le taureau prés de la génisse. - Sotte créature ! s'écria-t-il en saisissant sa belle-sœur d'une main, et s'emparant de l'autre d'une discipline à cordelettes de boyaux très noueux, qu'il avait toujours dans sa poche, femme pusillanime, tu ne sais donc rien souffrir ? et bien ! tu seras punie de ta faiblesse. Et plaçant son vit furieux entre les mains de Justine, il lui ordonne de le branler, pendant que Dorothée, qu'il arme d'une seconde discipline, va rendre à son cul ce qu'il est prêt à entreprendre sur celui de sa belle-sœur, et que les ganymèdes exposeront leurs fesses à ses regards. L'opération commence. Le fouet, activement et passivement distribué, était une des plus vives passions de Verneuil ; vingt-trois minutes de suite son bras vigoureux se déploie sur le beau cul de la Gernande ; elle est déchirée depuis le milieu des reins jusqu'aux talons ; on le lui rend avec usure ! le sang jaillit de toutes parts : rien n'était aussi singulier comme ce mélange d'invectives d'un côté, de plaintes et de cris de l'autre. Trop occupée de sa besogne pour écouter la voix de son cœur, la malheureuse Justine secouait, tant qu'elle le pouvait, l'énorme instrument, dont on lui avait confié le soin, sans oser demander la grâce de sa maîtresse. Ce n'est pas qu'elle n'eût détourné ces coups terribles, si elle eût cru pouvoir le faire ; mais l'inflexibilité de l'âme des scélérats commençait à lui être trop connue pour qu'elle entreprit de fléchir celui-ci. Verneuil s'aperçoit pourtant de la maladresse de sa branleuse. - Qu'est-ce donc que cette petite putain-là ? dit-il en s'emparant d'elle ; ah ! garce, je vais t'apprendre si c'est ainsi qu'on branle un vit comme le mien. Et le remettant aux mains de Dorothée, ce n'est qu'à elle qu'il s'en rapporte sur la manière dont il faut doubler ou diminuer à propos les titillations du plaisir, pendant qu'à grands coups de martinet, le scélérat maltraite à outrance les douces et délicates fesses de notre intéressante Justine. Aucun des instruments dont elle avait été flagellée dans son cours de libertinage, ne l'avait molestée comme celui-là ; chaque cinglon, s'imprimant d'une ligne au moins dans les chairs, y laissait, avec une épouvantable douleur, des traces aussi sanglantes, que si l'on se fût servi d'un canif. En un instant, elle est toute meurtrie. Verneuil alors fixe ses deux victimes l'une à l'autre, en les attachant ventre contre ventre ; et, toujours branlé par Dorothée, il leur applique une seconde flagellation, en frappant tant qu'il a de forces, tantôt sur l'une, et tantôt sur l'autre. Ici la Gernande, affaiblie de ses trois saignées du matin, chancelle, perd connaissance, tombe en entraînant Justine avec elle ; et les voilà toutes deux à terre, nageant dans les flots du sang que leur bourreau vient de faire jaillir. Verneuil coupe aussitôt les liens, et, se précipitant sur sa belle-sœur, il a l'art de la rendre à la vie, au moyen du nouveau tourment d'une jouissance, qui toute naturelle qu'elle est, n'en déchire pas moins cette malheureuse femme, par l'étonnante disproportion qui se trouve entre elle et son agresseur. - Fouettez-moi ! fouettez-moi ! madame, s'écrie Verneuil à Dorothée ; campez Justine sur mes reins, et déchirez-nous tous les deux. Parfaitement servi par Dorothée, et bien mieux peut-être encore par la monstruosité de ses opérations, le vilain faune écume... blasphème, et décharge en jetant les hauts cris... en prouvant enfin à tout ce qui l'entoure, que, si la nature l'a mieux membré que son frère, elle lui a départi de même, et la quantité du sperme, et les crises de volupté dans un degré bien supérieur. - Eh bien ! madame, dit-il à Dorothée, comment me trouvez-vous dans le libertinage ? - Superbe, monsieur, répondit celle-ci ; mais je ne croyais pas que vous foutiez des cons. - Je fous tout, mon ange, je fous tout ; et pourvu que mon vit monstrueux blesse ou déchire, ce qu'il pourfend me devient égal. - Mais, vous préférez le cul cependant ? - Me feriez-vous l'injure d'en douter ? Faut-il, pour vous convaincre, enculer un bardache ? - Non, répond Dorothée, c'est mon cul qu'il faut foutre, si vous voulez me persuader ; le voilà, monsieur, foutez-le. Et le paillard, toujours en rut, est bientôt au fond de l'anus. - Vexez donc ces deux femmes pendant que je vous sodomise, madame, je vous en supplie, dit Verneuil. Et la putain, sans le faire répéter, plante à plaisir, pendant qu'on l'encule, ses ongles crochus dans les chairs et de Gernande et de Justine. Tous deux déchargent pendant que les victimes pleurent ; et chacun d'eux, en perdant son foutre, a mordu jusqu'au sang la langue du giton qu'il caressait pour s'exciter. - En voilà assez, madame, dit Verneuil à Dorothée, vous êtes une créature charmante ; je veux que nous renouvelions nos plaisirs. - Je vous en ferai goûter de toutes les espèces, monsieur, répondit Dorothée ; plus nous nous connaîtrons, mieux nous nous conviendrons, je m'en flatte. Tous deux furent rejoindre la société. Justine seule resta chez sa maîtresse. Les autres acteurs n'étaient point restés dans l'inaction pendant la scène qui venait de se passer ; mais, moins lestes que le frère de Gernande, moins pressés du besoin de perdre, ils n'en étaient encore qu'aux préliminaires, quand ils furent rejoints par Verneuil et par Dorothée. D'Esterval, Bressac et Gernande étaient chez madame de Verneuil. Les trois scélérats avaient fait déshabiller cette pauvre femme, sans lui donner le temps de se reposer du voyage. Le féroce Gernande persuadait à sa belle-sœur, qu'une saignée lui serait fort nécessaire, et servirait à la rafraîchir. On y allait procéder, quand les acteurs dont nous venons de peindre les ébats entrèrent chez madame de Verneuil. Cette belle femme, déjà nue, convainquit ceux d'entre les hommes qui ne la connaissaient pas, qu'il n'existait effectivement pas sur la terre une plus sublime créature. Pas un défaut dans les proportions ; et toute la fraîcheur, toutes les grâces de la déesse même de la beauté. Tant de droits à l'indulgence, à l'admiration générale, ne valurent pourtant à la belle-sœur de Gernande qu'un peu plus d'insultes et de mépris de la part de ces libertins et principalement de son frère. Après l'examen le plus complet des beautés de cette femme superbe, les insultes et les mauvais traitements commencèrent. Bressac et d'Esterval ne la ménageant pas plus que Gernande, la misérable victime fut tour à tour pincée, mordue, souffletée ; les belles chairs de sa gorge et de ses fesses furent meurtries en plus de vingt endroits ; elle fut obligée de présenter alternativement la bouche, le con, le cul. Gernande s'empare de la bouche ; Bressac enfile le cul, et d'Esterval le con ; Verneuil rencule Dorothée, et décharge une troisième fois, en maniant les fesses de son neveu qu'il ne cesse d'exalter et d'élever aux nues. - Dînons maintenant, mon ami, dit Verneuil à son frère ; il est temps de réparer nos forces. Les ivrognes, dit-on, ne font connaissance que le verre à la main ; il faut que les paillards ne la fassent que le vit au cul : le destin est rempli, ne nous en plaignons pas. Après le meilleur et le plus ample des repas, des promenades séparèrent toute la compagnie ; et M. de Gernande, ordonnant à Justine de le suivre eut avec elle, dans un cabinet du jardin, la conversation dont nous allons rendre compte. Il lui demande d'abord un récit circonstancié de tout ce que son frère avait fait à sa femme ; et comme Justine indiquait sans approfondir, il lui ordonna de dévoiler le tout avec la plus scrupuleuse attention. Justine détailla donc. Elle se plaignit d'avoir été traitée avec autant de rigueur que madame de Gernande. - Voyons, lui dit son maître... Et le paillard s'amusa longtemps de ce coupable et féroce examen. - Mais ma femme, dit le méchant homme, n'est pas au moins si maltraitée ? - Tout autant, monsieur. - Ah ! bon, c'est que je serais fâché que mon frère eût épargné cette putain. - Vous la détestez donc bien, monsieur ? - Infiniment, Justine. Je ne la garderai pas encore longtemps ; je ne vis de mes jours une femme qui m'inspirât plus de dégoût. Mais, sais-tu bien, ma fille, que Verneuil est beaucoup plus libertin que moi ? - Cela est bien difficile, monsieur. - Cela est : les plaisirs divins de l'inceste, améliorés par tous ceux de la cruauté, sont les plus chers à son âme corrompue. Tu n'imagines pas, Justine, qu'elle est sa volupté de choix ? - Des enfants, le fouet... des horreurs. - Tout cela ne sont que des épisodes ; l'inceste, je te le dis, ma fille, est le plus doux des plaisirs de mon frère. Tu le verras demain se vautrer dans ce crime de cinq ou six façons différentes. Cette belle créature que tu prends pour la femme de chambre de madame de Verneuil, dont l'âge est à peu près de quarante ans... eh bien ! Justine, c'est une de nos sœurs, une tante de Bressac, la sœur de sa mère dont tu pleuras si longtemps la mort occasionnée par son propre fils. C'est la famille d'Œdipe que la nôtre, ma chère Justine ; il n'y a pas un seul genre de crime dont on n'y aperçoive un exemple. Nous perdîmes nos parents fort jeunes ; des méchants prétendirent même que ce n'était pas sans que nous y eussions contribué : en vérité cela pourrait bien être ; nous nous permettions tant d'espiègleries... que celle-là pourrait bien être du nombre. Nous avions trois sœurs : l'une, établie avant la mort des auteurs de nos jours, est celle que moissonna Bressac ; la seconde périt victime de nos forfaits ; la troisième est celle que tu vois ; nous lui dérobâmes sa naissance. Élevée comme une fille destinée à servir, mon frère, en se mariant, la mit près de sa femme ; on la nomme Marceline. La jeune personne que tu prends de même pour une femme attachée à madame de Verneuil, est fille de Marceline et de mon frère, ce qui la rend à la fois et sa nièce et sa fille. Elle est la mère des deux petits enfants que tu as admirés, qui doivent également le jour à mon frère. Tous deux, comme tu le crois, ont encore leur pucelage ; et c'est ici où Verneuil a voulu qu'ils le perdissent ; de manière qu'en jouissant de la petite fille, il aura dans elle à la fois une fille, une petite-fille et une nièce. Rien ne l'amuse comme le brisement, le renversement de tous ces liens chimériques ; leur rupture est pour lui le plus grand des plaisirs : ne se contentant point de les heurter dans ses fruits naturels, il les brise de même dans ses enfants légitimes. - Je le savais, monsieur. - Mais il faut voir, Justine, comme il élève son fils, comme il lui fait bouleverser, à son exemple, toutes nos institutions sociales... Tu verras comme cet enfant traite sa mère, comme il a déjà foulé aux pieds tous les préjugés religieux et moraux. C'est un sujet délicieux, je l'adore ; je voulais coucher avec lui ce soir, mais son père veut qu'il se repose pour demain. - Pour demain, monsieur ? - Oui, demain nous célébrons une grande fête, c'est l'anniversaire de la naissance de ma femme ; peut-être voudrons-nous que les Parques coupent le fil au bout du fuseau... Qui sait ? Dieu lui-même, ce Dieu dont tu crois la fabuleuse existence, ne démêlerait pas... ne devinerait pas la fantaisie des scélérats qui nous ressemblent. - Oh ! monsieur, dit Justine avec inquiétude si j'étais assez heureuse pour que vous puissiez vous passer de moi dans les orgies que vous projetez ! N'aurez-vous pas assez de monde, et ne vous suis-je pas parfaitement inutile ? - Non, non, ta douce vertu nous est essentielle ; ce n'est que du mélange de cette qualité charmante et des vices que nous lui opposerons, que doit naître pour nous la plus sensuelle volupté. Ta tendre et chère maîtresse d'ailleurs aura besoin de ton secours... Il faut que tu t'y trouves, Justine... il le faut indispensablement. - Oh ! quelle corvée, monsieur... participer à tant d'infamies !... Savez-vous bien qu'il n'en est pas de plus affreuses que celles où se livre M. de Verneuil ?... corrompre ainsi sa propre famille ! - Pourrais-je te demander, Justine, ce que c'est qu'une famille ; ce que l'on entend par ces nœuds sacrés, que les sots appellent les liens du sang ? - Est-il besoin d'une réponse à pareille demande, monsieur ? et peut-il exister un seul être au monde qui ne connaisse et ne respecte ces liens ? - Cet être existe, mon enfant, et je le suis. Persuade-toi bien, je t'en conjure, que rien n'est absurde comme ces prétendus liens ; convaincs-toi que nous ne devons pas plus à ceux de qui nous tenons le jour, que ceux-là ne peuvent nous devoir. - Monsieur, répondit vivement Justine, épargnez-moi tout ce que vous pourriez me dire sur cette matière ; j'ai été bercée de ces sophismes, et pas un ne m'a convaincue. Si l'inceste, l'un des plus grands crimes que l'homme puisse commettre, fait la base des voluptés de votre frère, il est, et sera toujours, sous ce rapport, l'être le plus atroce et le plus coupable à mes yeux. - L'inceste, un crime ! Ah ! mon enfant, dis-moi, je te prie, comment une action qui fait loi sur la moitié de notre globe, pourrait se trouver criminelle dans l'autre moitié ? Presque dans toute l'Asie, dans la plus grande partie de l'Afrique et de l'Amérique, on épouse publiquement son père, son fils, sa sœur, sa mère, etc. ; et quelle plus douce alliance que celle-là, Justine ? en peut-il exister qui resserre mieux les liens de l'amour et de la nature ? Ce fut dans la crainte que les familles, en s'unissant ainsi, ne devinssent trop puissantes, que nos lois en France ont érigé l'inceste en crime ; mais gardons-nous bien de confondre, et ne prenons jamais pour lois de la nature, ce qui n'est que le fruit de la politique. En adoptant même une minute tes systèmes sociaux, je te le demande, Justine, comment serait-il possible que la nature s'opposât à de telles alliances ? Ne resserre-t-elle pas les premiers nœuds qu'elle nous impose selon toi ? Peut-il être à ses yeux rien de plus sacré que le mélange du sang ? Ah ! prenons-y bien garde, Justine ; nous nous aveuglons sur ce que la nature nous dicte à cet égard ; et ces sentiments d'amour, fraternels ou filiaux, lorsqu'ils s'exercent d'un sexe à l'autre, ne sont jamais que des désirs lubriques. Qu'un père, qu'un frère, idolâtrant sa fille ou sa sœur, descende au fond de son âme, et s'interroge scrupuleusement sur ce qu'il éprouve, il verra si cette pieuse tendresse est autre que le désir de foutre ; qu'il y cède donc sans contrainte, et il sentira bientôt de quelles délices la volupté le couronnera. Or, quelles mains, je lui demande, quelles mains lui préparent cette surabondance de volupté ? si ce ne sont celles de la nature. Et si ce sont les siennes, est-il raisonnable de dire que ces actions puissent l'irriter ? Doublons, triplons donc ces incestes tant que nous pourrons, sans rien craindre ; et plus l'objet de nos désirs nous appartiendra de près, plus nous aurons de charmes à en jouir. - Voilà comme vous légitimez tout, vous autres gens d'esprit, répondit Justine ; mais si votre malheureux génie excuse vos passions dans ce monde, elles n'auront plus, en ce jour terrible où il vous faudra paraître devant le maître suprême de l'univers, un avocat si plein d'indulgence ! - Tu prêches dans le désert, Justine, répondit Gernande, et tu n'opposes que des lieux communs à des vérités sans réplique. Va voir si mes gitons sont prêts ; conduis-les dans mon appartement ; je vais me retirer bientôt ; va, et prépare ta petite conscience et tes grands principes à voir exécuter demain d'étonnantes luxures. Madame de Gernande inquiète, épuisée, attendait Justine, à dessein de lui demander quelques détails sur ce qui se préparait pour le jour suivant. Notre héroïne crut devoir ne lui rien cacher. - Ah ! dit cette malheureuse épouse en versant un torrent de larmes, ce sera peut-être demain le dernier jour de ma vie ; il faut que je m'attende à tout, quand ces barbares se trouvent réunis. Ô Justine, Justine ! que ces gens sans mœurs, sans délicatesse, sans principes, sont des êtres dangereux sur la terre ! Cependant, chacun s'arrange pour la nuit, et croit trouver au sein de la plus insigne débauche, les forces nécessaires à en commettre de bien plus horribles le lendemain. Verneuil coucha avec Dorothée, Gernande entre deux mignons, d'Esterval avec madame de Verneuil, et Bressac avec un des valets de chambre de son oncle. Dès le matin, les vieilles avaient préparé le plus beau salon du château ; on en avait garni le parquet d'un vaste matelas piqué à six pouces d'épaisseur, formant un tapis sur lequel se jetèrent deux ou trois douzaines de carreaux. Une large ottomane fut placée dans le fond de la pièce qu'entouraient tant de glaces, qu'il devenait impossible que les scènes qu'on allait exécuter dans ce superbe local ne s'y multipliassent pas sous mille et mille formes. Sur des tables roulantes d'ébène et de porphyre répandues ça et là, s'apercevaient tous les meubles nécessaires au libertinage et à la férocité : verges, martinets, nerfs de bœuf, lardoires, liens de cordes et de fer, godemichés, condoms, seringues, aiguilles, pommades, essences, tenailles, pinces, férules, ciseaux, poignards, pistolets, coupes de poisons, stimulants de toute espèce, et autres divers instruments de supplices ou de mort ; tout s'y voyait avec profusion. Sur un buffet énorme, en face de l'ottomane, à l'autre extrémité du salon, étaient symétriquement et abondamment disposés les mets les plus succulents et les plus délicats ; la plupart pouvaient se maintenir chauds sans qu'on s'en aperçût. Des carafes de cristal de roche, se mêlant aux porcelaines de Saxe et de Japon qui contenaient ces mets, renfermaient avec profusion les vins les plus exquis... les plus rares liqueurs. Une immensité de roses, d'œillets, de lilas, de jasmin, de muguet, et d'autres fleurs plus précieuses encore, achevaient d'orner et de parfumer ce temple des plaisirs, où se trouvait réuni pour le jour entier tout ce qui, sans avoir besoin de sortir, pouvait satisfaire à la fois et la luxure et la sensualité. Au fond de la salle, artistement placée dans une nue, se voyait l'effigie du prétendu Dieu de l'univers, sous la figure d'un vieillard. Une seconde ottomane régnait au bas de ce nuage ; et l'on y voyait différents attributs de toutes les religions de la terre, des bibles, des alcorans, des crucifix, des hosties consacrées, des reliques et autres imbécillités de cette espèces. Six cabinets voluptueux attenaient le salon, et présentaient, à ceux qui voudraient les occuper, de secrets réduits pour des plaisirs particuliers, et près d'eux de jolies garde-robes garnies de bidets et de fauteuils percés. Une belle terrasse d'orangers, couverte d'une tente, et environnée de jalousies, donnait les moyens de prendre l'air par ses adhérentes au salon ; une large banquette de terre l'entourait, et pouvait, par sa profondeur, voiler à jamais les masses que la scélératesse de ces monstres désorganiserait vraisemblablement dans l'affreux cours de ces orgies... précaution qui prouve à quel point ces libertins aiment le crime, et comme ils consentaient tacitement à le commettre tous de sang-froid. A dix heures précises du matin, la société se rendit au local préparé, chacun vêtu d'un costume différent, que nous allons tracer en nommant chaque acteur. Madame de Verneuil y parut vêtue à la manière des sultanes de Constantinople. Aucune parure sans doute n'eût autant servi sa beauté. Cécile, sa charmante fille, était en brun, sous le costume exact des marmottes de la vallée de Barcelonnette. On n'imagine pas les désirs qu'elle inspirait sous cet habit. Les attributs de l'Amour embellissaient le jeune Victor. Marceline était en sauvage. Sa jeune fille Laurette s'y voyait sous une simple simarre de gaze écrue, agréablement renouée sur les hanches et sur le sein gauche, avec de gros flots de rubans lilas ; un des tétons et la moitié de ses fesses, s'apercevaient par ce moyen. Conduisant par la main ses deux jolis enfants, presque nus, elle ressemblait à la déesse de la jeunesse, entourée des Jeux et des Ris. Madame de Gernande y vint sous le costume intéressant des victimes qu'on immolait au temple de Diane ; on l'eût prise pour Iphigénie. Justine était en soubrette, les bras nus ; agréablement couronnée de roses, et sa jolie taille bien développée. Dorothée se voyait sous l'habit dont les peintres caractérisent Proserpine. Ce vêtement, analogue à son caractère, était de satin couleur de feu. Les six plus jolis gitons de Gernande y furent introduits sous le costume de Ganymède. Sous celui d'Hercule et de Mars, parurent John et Constant, les deux valets de chambre de Verneuil. Lui, d'Esterval, Bressac et Gernande s'y montrèrent revêtus de pantalons de soie rouge, qui leur collaient exactement sur la peau, et qui les enfermaient scrupuleusement depuis la nuque du cou jusqu'aux pieds. Une ouverture ronde, artistement pratiquée par devant et par derrière, laissait à nu les fesses et leurs vits. Ils avaient beaucoup de rouge, et sur la tête un léger turban ponceau. Ils ressemblaient à des furies. Quatre vieilles, de soixante ans, sous l'emblème de matrones espagnoles, furent admises pour le service intérieur. Et la séance commença. Tout était debout, formant un demi-cercle, lorsque les maîtres parurent dans la salle. On s'agenouille dès qu'on les voit. Dorothée s'avance à eux, et leur dit : - Illustres et magnifiques seigneurs, tous les sujets que vous voyez ici ne s'y réunissent que pour obéir à vos ordres. La soumission la plus profonde, la résignation la plus complète, la prévenance la plus entière ; voilà ce que vous allez trouver dans tous. Ordonnez donc à vos esclaves, souverains maîtres de ces lieux ; commandez-leur, et vous les verrez aussitôt se courber dans la poussière, pour y attendre vos volontés, ou voler pour les prévenir. Multipliez vos goûts, exaltez vos penchants, ne donnez nulles bornes à vos passions : nos facultés, nos existences, nos moyens, nos vies, tout vous appartient ; vous pouvez disposer de tout. Pénétrez-vous bien de l'idée du calme dont vous allez jouir ici. Il n'est aucun mortel au monde qui osât troubler vos plaisirs, et tout ce qui vous entoure va ne s'occuper qu'à les rendre plus vifs. Franchissez donc toutes les digues ; ne respectez aucun frein. Ce ne sont pas des êtres aussi puissants que vous que de tristes préjugés populaires peuvent ou doivent enchaîner ; il n'y a de lois dans l'univers que les vôtres ; vous êtes les seuls dieux que l'on doive adorer. D'un seul mot vous pouvez nous confondre ; d'un geste, nous pulvériser ; et, le fissiez-vous même, notre dernier soupir serait encore pour vous exalter, vous chérir et vous respecter. Dorothée se courbe à ces mots, suce les quatre vits demande la permission de gamahucher les quatre culs ; puis, elle se retire en silence, pour attendre les ordres qui lui seront donnés. - Mon ami, dit Gernande à son frère, c'est pour toi que cette fête se célèbre, c'est donc à toi de commander ici ; mon neveu, sans doute, y consent ; et notre ami d'Esterval, à qui nous confierons un autre jour les rênes du gouvernement, voudra bien te les céder aujourd'hui. Tout le monde applaudit ; et Verneuil, revêtu de l'autorité suprême, se place en conséquence dans une espèce de trône, posé sur une estrade recouverte d'un tapis de velours cramoisi, bordé de franges d'or. Aussitôt qu'il y est, les femmes, les filles, les enfants, les garçons et les vieilles viennent humblement lui présenter leurs fesses à baiser, après trois génuflexions préalables. En sortant des mains de Verneuil, on passait successivement dans celles des trois autres amis, placés sur les fauteuils environnant le trône ; et là chacun faisait à peu près ce qu'il voulait à l'objet qui s'approchait de lui. - Si pendant cette première tournée, dit Verneuil, il vous prend fantaisie de soumettre à des choses plus énergiques quelques-uns des objets qui vont s'offrir à vous, pour ne pas troubler l'ordre, vous irez à l'instant vous enfermer dans un cabinet ; et, votre passion une fois apaisée, vous ramènerez l'objet dans le cercle. Bressac est le premier qui profite de l'avertissement ; il ne peut voir à découvert les fesses charmantes de Victor, son petit-neveu, sans désirer d'aller plus loin ; il l'entraîne dans un de ces boudoirs, pendant que d'Esterval, enthousiasmé de Cécile, va lui faire subir également les premiers feux de sa passion. Gernande en fait autant avec Laurette. Verneuil passe avec Marceline, suivie de ses deux petits enfants ; et Dorothée, à laquelle on avait accordé tous les privilèges des hommes, va s'enfermer avec Constant. - Mes amis, dit Verneuil en se replaçant, comme l'aveu public des voluptés où l'on s'est livré ne peut que disposer à l'embrasement général des désirs, j'exige que chacun rende compte à haute voix, et le plus en détail possible, de toutes les luxures dans lesquelles il vient de se plonger. Parlez, Gernande ; vos amis vous suivront. Souvenez-vous surtout d'écarter les gazes, de peindre à nu, et d'employer tous les mots techniques : gazons la vertu, si l'on veut, mais que le crime marche toujours à découvert. Gernande se lève. - Je me suis enfermé, dit-il, avec Laurette ; je lui ai sucé la bouche et le trou du cul ; elle a tété mon vit pendant que je lui léchais les aisselles ; j'ai sucé ses bras aux saignées ; je lui ai donné six claques sur le ventre, dont vous voyez, je crois, les empreintes ; elle a baisé mes fesses, et je l'ai forcée à gamahucher mon derrière. - Avez-vous bandé ? - Non. - Les titillations du plaisir ont-elles été vives ? - Médiocres. - Votre imagination s'est-elle échauffée sur des choses plus fortes ? - Oh ! j'en désirais d'affreuses. - Pourquoi ne vous y êtes-vous pas livré ? - Elles eussent ravi le sujet à la société ; j'ai voulu l'en laisser jouir. - Jetez-vous aux pieds de Gernande, Laurette, et remerciez-le de ses bontés... Laurette exécute ; et c'est à Bressac à répondre. - Je me suis enfermé avec Victor, dit-il ; je l'ai foutu en bouche ; j'ai sucé la langue au moment où mon vit quittait ses lèvres ; j'ai gamahuché son cul, et je l'ai sodomisé. - Avez-vous travaillé le moral ? - Infiniment ; il n'y a point de vertus que je n'aie détruites, point de vices que je ne lui aie fait chérir. - Quelle a été, dans vous, la dose de volupté ? - Très violente. - Avez-vous perdu du foutre ? - Non. - Avez-vous désiré de faire pis ? - Assurément. - Avez-vous beaucoup blasphémé en agissant ? - Beaucoup. - Votre vit est-il sorti pur ou immonde de l'anus du jeune homme ? - Il en est sorti plein de merde. - Pourquoi ne le lui avez-vous pas fait sucer ? - Je l'ai fait. - Avez-vous sucé sa bouche après ? - Oui. - En quel état est votre vit ? - Vous le voyez, il bande. - Faites entretenir cela par un giton. A vous, d'Estreval. - J'ai gamahuché le con de Cécile, j'y ai plongé mon vit, et suis revenu pomper le foutre que cette attaque a fait exhaler ; j'ai sucé sa bouche ; j'ai baisé ses fesses, sur lesquelles vous voyez les marques de six claques bien appuyées. - Avez-vous enculé ? - Non, je la ménageais. - Avez-vous désiré le cul ? - Oui. - Votre foutre a-t-il coulé ? - Non. - Votre tête s'est-elle échauffée sur cette jeune fille ? - Étonnamment. - A-t-elle baisé votre cul ? - Elle y a mis la langue. - Lui avez-vous mit le vit dans la bouche ? - A plusieurs reprises. - Quel est l'état de votre vit ? - Il bandaille. - Choisissez quelqu'un pour vous maintenir. C'est votre tour, Dorothée. - Je me suis fait foutre par Constant. - Vous l'a-t-il posé dans le cul ? - Oui. - Bandait-il bien ? - A merveille. - A-t-il déchargé ? - Non. - Où donc a-t-il perdu son foutre ? - Je l'ai avalé. - Avez-vous baisé son cul ? - Oui. - A-t-il sucé votre clitoris ? - Je le lui ai mis dans le derrière. -Vous avez désiré pis ? - Oh ! cent fois. - A mon tour maintenant, mes amis, dit Verneuil en se levant. Vous m'avez vu passer avec ma sœur Marceline, escortée de ses deux petits-enfants, fruits de mon inceste avec l'enfant de ma sœur, eh bien ! Marceline m'a fouetté, j'ai baisé le cul de mes petits-enfants, j'ai mis mon vit entre leurs cuisses, et j'ai sodomisé ma sœur. - Avez-vous déchargé ? dit Gernande. - Non. - Avez-vous fait baiser votre cul ? - Oui. - A-t-on sucé votre engin ? - Oui. - Votre sperme a-t-il été répandu ? - Non. - Sur quoi votre tête s'est-elle égarée ? - Sur des horreurs. - Nous promettez-vous de les exécuter ? - Certainement. - Allons, dit Verneuil, occupons-nous de choses plus sérieuses. Il faut que chacun de nous... (Dorothée, vous serez toujours comprise parmi les hommes, vous en êtes digne), il faut, dis-je, que chacun de nous aille écrire sur cette table le désir qu'il a d'une lubricité quelconque, et qu'il le signe. Ces cinq billets seront ballottés dans un calice que présentera l'une des vieilles. Dix individus que je vais désigner tireront, deux par deux, chacun de ces billets. Chaque couple échoira au signataire du billet qu'aura tiré ce couple, et satisfera la passion énoncée dans ce billet. Le hasard seul déterminera le traitement que devra subir ce couple, lequel devra toujours être assez violent, pour faire jeter des cris à l'être qui le subira. Madame de Gernande et sa fidèle Justine tireront le premier billet. Madame de Verneuil et Laurette, le second. Marceline et Lili, le troisième. Cécile et Rose, le quatrième. Une des vieilles, et le plus joli des gitons, tireront le cinquième. Vous voyez que j'excepte Victor ; les dispositions que vous lui reconnaîtrez incessamment le rendent plutôt digne d'être au nombre des agents, que dans la classe des patients. Les cinq billets s'écrivent ; une vieille les ballotte dans un calice, et, se plaçant sur l'ottomane, au bas du symbole de l'Être suprême, chaque couple vient tirer tour à tour, et est obligé de lire à haute voix le sort qui lui est échu. D'Esterval a manifesté le vœu de pincer fortement les fesses, de mordre les trous du cul et les clitoris. Madame de Verneuil et Laurette lui échoient. Bressac déclare qu'il enculera... qu'il pincera les tétons, et qu'il donnera de vigoureux soufflets. Madame de Gernande et Justine lui sont aussitôt livrées. Dorothée piquera avec une épingle les parties du corps les plus sensibles, et chiera sur les deux visages. La vieille et le giton lui sont décernés. Gernande déclare qu'il fera, sur chaque individu, six légères piqûres avec ses lancettes, et qu'on le sucera. Cécile et Rose forment son lot. Verneuil annonce qu'il fustigera jusqu'au sang. Marceline et Lili lui appartiennent. C'est au pied du sofa, placé près de l'emblème de Dieu, que les destins ont été consultés ; c'est sur ce même sofa que vont s'accomplir les sorts. Ils s'exécutent ; et Bressac est le seul qui ne peut les accomplir sans perdre son foutre ; c'est au fond du cul de Justine qu'il l'exhale, pendant qu'il soufflette si cruellement la pauvre madame de Gernande, que les larmes coulent de ses yeux. Ces différentes scènes avaient déjà, comme on le croit bien, fait disparaître tous les vêtements, et l'on ne voyait plus que des nudités. - C'est sur ma femme, maintenant, s'écria M. de Verneuil, oui, mes amis, c'est sur elle que doivent tomber les vexations. John, et vous, Constant, étendez cette malheureuse à terre sur ces piles de carreaux, et que chacun aille aussitôt lui imposer un genre de supplice au gré de sa perfide imagination. Vous, Cécile, ma fille et la sienne, placez-vous sur l'ottomane sacrée (c'est ainsi que se nommait celle qui se voyait aux pieds de la représentation du Bon Dieu) ; les plaisirs que vos charmes vont procurer serviront de récompense aux bourreaux de votre mère. Je réglerai les prix, et les distribuerai en raison de l'énergie avec laquelle on aura molesté ma femme. Victor, placez-vous près de Cécile, afin d'offrir de plus délicats plaisirs à ceux qui préféreront votre sexe. Puis, montrant sa femme d'un côté, et ses deux enfants de l'autre : - Courage, mes amis, s'écrie-t-il ; voilà la victime, et voici la récompense. Marceline est après de lui, elle le branle ; deux gitons lui prêtent leurs fesses. On part. Gernande impose le premier ; et sa perfide lancette incise en quinze endroits, mais légèrement, les belles chairs de l'infortunée offertes à ses fureurs ; il se jette sur Victor, et s'en fait sucer. Dorothée suit, et comprime si fort les seins de madame de Verneuil, qu'elle lui occasionne d'affreuses convulsions ; elle se rue sur Cécile, et la tribade lui décharge au nez. D'Esterval suit sa femme ; il épile madame de Verneuil, et lui pique au sang les babines du con ; l'anus de Victor le console ; il y vient faire sa décharge. Bressac caresse sa tante à grands coups de poing dans le nez ; elle en saigne ; il la sodomise... lui tire les oreilles jusqu'à lui fendre la peau, et revient, comme d'Esterval, enculer le charmant Victor. Verneuil s'approche. On croit sans peine qu'il ne ménagea pas sa femme ; il la bat, la pince, la moleste ; et c'est dans le beau cul de Cécile qu'il apaise aussitôt son ardeur. - A toi, Victor, dit-il à son fils ; voyons comme tu traiteras ta mère : admire sous tes yeux un parent qui ne marchanda pas si longtemps la sienne ; ô Bressac ! encouragez votre neveu à vous imiter un jour ! Le jeune Victor se présente. C'est sa mère qu'un père féroce et brutal lui ordonne d'insulter ; et c'est sa sœur qui va lui servir de récompense. Hélas ! le jeune enfant ne se prête qu'avec trop de complaisance aux infamies qu'on ose exiger, il n'est pas besoin de lui rien prescrire. - Belle maman, dit le petit libertin, je sais ce qui vous désespère ; trouvez bon que je l'entreprenne. Tournez-moi ce beau cul, pour que j'en jouisse de toutes les manières qui vous vexent le mieux. Il n'y avait pas à résister. Les vieilles, entourant la victime, l'eussent à l'instant contenue, si elle se fût avisé d'opposer la moindre contrariété. Victor, armé d'une poignée de verges, osa porter une main parricide sur celle dont il reçut le jour. Encouragé par Gernande, Bressac, d'Esterval, et par Dorothée même, le monstre, à l'instar de Bressac, fouette sa mère à tour de bras. Le croira-ton ? Verneuil, pour mieux exciter son fils, lui branle le vit en dessous, pendant qu'il contient sa femme. Le petit libertin, tout ému, plus beau que l'Amour même, malgré les horreurs qui le dégradent, s'écrie : - Mon père ! ah ! oui, oui, tiens-la moi ; tiens-la moi bien, pendant que je l'encule. Et le complaisant Verneuil, fixant les reins de son épouse, place soigneusement le vit de son fils au cul de sa tendre moitié. Voilà Victor au fond, l'inceste se consomme, pendant que ce père coupable excite, sert lui-même, en mille voluptueuses manières, les impudiques plaisirs de ce fils criminel. - Comment cueillir maintenant le prix offert ? dit Verneuil à Victor ; ton épuisement te le permettra-t-il ?... - Épuisé ?... moi ? dit le fripon en faisant voir que l'assaut qu'il vient de livrer n'a fait qu'aiguiser ses armes, voyez, sacredieu, ce vit-là ; voyez s'il n'est pas en état de faire à ma sœur ce qu'il vient d'entreprendre avec ma mère. J'insinuerai dans le cul de la fille la merde que je viens de pêcher dans celui de la maman ; rien de plus délicieux au monde ! Et se jetant sur Cécile, il la met dans la même attitude où il vient de placer sa mère. Le fripon s'apprête à la traiter également, lorsque Verneuil suspendant les fureurs de son fils, le prie d'en retarder un moment le cours, pour mettre plus d'ordre à ses voluptés. Cécile, agenouillée sur le saint sofa, présente en plein la double route des plaisirs : Verneuil prépare les voies ; il introduit son fils dans celle de Sodome. A cheval sur les reins de Cécile, est, avec soin, placée Laurette, qui présente aux baisers du jeune homme, à l'endroit, le temple le plus frais et le plus mignon qu'ait encore eu l'Amour sur terre. De droite et de gauche, mesdames de Gernande et de Verneuil offrent leurs culs à patiner. Verneuil encule son fils ; John le lui rend. Bressac, d'Esterval, Gernande et Dorothée, ivres de ce spectacle, l'entourent... le premier en sodomisant un giton, le second pollué par Marceline dont il pince les fesses, le troisième sucé par Lili, et la quatrième enconnée par Constant. Au bout d'une courte carrière, tout le monde atteignant le but, des flots de foutre impurs, sodomites, incestueux, s'élancent de toutes parts aux yeux de l'Éternel, mis là pour être insulté ; et, en épuisant ceux qui les perdent, les contraignent à d'indispensables réparations. On s'approche du buffet. Les pâtés, les jambons, les volailles, les perdrix se taillent, se découpent, les flacons se débouchent, tout s'avale ; mais, peu d'instants après, l'exigeante déesse de Cythère rappelle à ses autels déserts tous ces sectateurs de Comus. - Mes amis, dit Verneuil en reprenant poste, nous avons tout à l'heure consulté le sort sur nos plaisirs : je suis d'avis maintenant d'interroger l'Être éternel sur le même objet. Le voilà sous vos yeux, ce Dieu suprême qui connaît l'avenir ; j'ordonne donc à chacun d'aller se placer debout devant lui, le vit à la main, et de le consulter par la formule que vous allez trouver au pied de son trône. Le grand Être dont je suis ici le ministre, et dont j'ai reçu les ordres ce matin, vous répondra par un billet ; vous en exécuterez le contenu. Vous vous ressouviendrez que le style des décrets d'un Dieu est toujours un peu louche ; vous aiderez à la lettre ; vous devinerez l'intention, et vous agirez. La manière dont vous venez de vous conduire, Victor, assure, plus que jamais, votre rang parmi nous ; vous ne vous prêterez donc plus comme patient, qu'autant que le jeu vous plaira. Commencez Gernande ; allez consulter Dieu. Gernande, dans l'attitude prescrite, prononce à haute voix les paroles qu'il trouve, et que nous allons transcrire mot à mot. « Méprisable image du plus ridicule fantôme, toi qui n'es bien placé que dans un bordel, toi qui n'es bon qu'à régler les plaisirs du cul, que faut-il que je fasse pour rebander ? Fais-le moi connaître ; j'exécuterai ce que tu me prescriras ; mais en te protestant que c'est la seule chose sur laquelle je veuille t'obéir ; mon mépris et ma haine sont trop constatés, trop certains, pour que je doive jamais me soumettre à toi sur d'autres objets. » A peine Gernande a-t-il prononcé, qu'un rouleau de satin blanc, lancé par la bouche de l'Éternel, tombe à ses genoux. Il le développe, il y lit ces mots : « Prends ta belle-sœur et Marceline ta sœur ; passe avec elles dans un boudoir ; là, tu mêleras le sang, et tu boiras le foutre. » Gernande s'enferme aussitôt. Nous ne répéterons plus que tous en firent de même, dès qu'ils eurent reçu leur décret. Bressac succède ; il lit la même formule ; le rouleau tombe. On y disait : « Prends deux gitons, et marque-les. » Dorothée suit ; le rouleau dit : « Que la Gernande et Constant te suivent ; deviens à la fois le bourreau de l'une, la putain de l'autre. » D'Esterval paraît : « Prends Cécile et Lili lui dit le rouleau ; et ne ménage celui-ci que pour accabler la première. » Verneuil arrive : « Justine et John t'appartiennent, exprime le rouleau ; hasarde ton secret avec la première, que le second te venge si l'on te refuse. » Victor termine : « Prends deux gitons, dit l'oracle, et rends-toi digne de ton père. » L'impossibilité où nous voici maintenant de suivre chacun des acteurs dans son cabinet de retraite, est cause que nous ne nous attacherons, avec la permission de nos lecteurs, qu'à celui d'entre eux qui met notre héroïne en scène. - Justine, dit Verneuil dès qu'il est enfermé avec elle, faisons passer un moment ce garçon dans la garde-robe, et écoutez-moi avec attention. La voix du Dieu de l'univers vient de m'apprendre que je pouvais t'initier dans mon secret ; je vais le faire ; n'en abuse pas, et tâche surtout que je n'aie pas à me repentir de ma confiance. Il m'est impossible de te cacher, ma chère, que tu as quelque chose en toi qui me plaît excessivement. Mon frère te trouve de l'esprit, mais trop de pruderie ; écarte ce nuage qui nuit à tes attraits ; renonce à tes sottes pratiques de religion, de vertu, et parcours avec moi la route la plus épineuse du crime. Consens à venir dans mes terres, et ta fortune est faite ; mais il faut, si tu acceptes, avec un courage infini... un abandon... une résignation totale... - Oh ! monsieur, de quoi s'agit-il ? - D'une horreur. Persuade-toi d'abord, mon enfant, qu'il n'existe pas dans le monde un mortel plus scélérat que moi ; il n'en est aucun qui porte aussi loin le goût du crime et de l'atrocité. Pour satisfaire mes intentions perverses sans autant de risques que les malfaiteurs ordinaires, et pour multiplier mes victimes, par une insigne trahison qui met tous mes sens en feu, dans un embrasement indicible, je me sers d'une poudre qui porte aussitôt la mort dans le sein de ceux qui la respirent ou qui l'avalent. Cette poudre est tirée de la racine d'addad, qui croît dans l'Afrique1, mais dont les curieux peuvent élever des plantes. Le poison qui s'en extrait est si violent, qu'une très petite dose suffit à donner la mort la plus prompte et la plus douloureuse. Tu n'imaginerais pas, ma chère fille, l'innombrable quantité de victimes qui périssent ainsi traîtreusement sous mes coups. Mais comme celui qui se livre au crime désire toujours au delà de ce qu'il exécute, peu satisfait encore de la multiplicité d'individus qui tombent près de moi, je m'occupe d'un moyen d'étendre ces actions. Pour y réussir, j'ai besoin d'une aide... J'ai jeté les yeux sur toi ; munie de ma poudre infernale, c'est le nom que je lui ai donné, tu parcourrais les villes, tu distribuerais ce venin ; et je goûterais le bonheur sans égal d'ajouter tes crimes aux miens, et de les regarder comme personnels, puisqu'ils deviendront mon ouvrage. - Quoi ! monsieur, de telles horreurs ?... - Me composent les plus doux plaisirs que je puisse goûter dans le monde : l'action, quand je m'y livre, irrite d'abord incroyablement mes esprits ; en apprends-je ou en vois-je la consommation, mon foutre échappe aussitôt, sans que j'aie besoin d'autres secours. - Oh ! monsieur, que je plains ceux qui vous entourent ! - Non ; ma femme, mes enfants, mes domestiques, ne courent aucun risque ; ils me procurent d'autres plaisirs, dont je serais obligé de me passer sans eux ; mais tout le reste, Justine, oh ! tout le reste m'échauffe... m'excite... me met aux nues. Plus ambitieux qu'Alexandre, je voudrais dévaster toute la terre, la voir jonchée de mes cadavres. - Vous êtes un monstre ; votre perversité doublera en raison de ce que vous lui donnerez de l'essor, et les êtres sacrés que vous voulez bien ménager aujourd'hui seront bientôt sacrifiés à leur tour. - Tu crois, Justine, dit Verneuil en maniant les fesses de celle qu'il cherche à séduire, et lui faisant empoigner son vit très irrité de ces propos ? - J'en suis sûre. - Et quand cela serait, mon ange, commettrai-je donc un si grand mal ? - Affreux, monsieur, exécrable... Et moi-même ne deviendrais-je pas aussi votre victime ? - Jamais, tu me serais trop précieuse... trop nécessaire pour cela. - Ah ! je n'en serais que plus tôt sacrifiée, si j'avais le malheur d'accepter vos offres. Ce qu'un criminel fait de plus sage est d'anéantir ses complices ; et de toutes les horreurs où il se livre, celle-là, sans doute, est la plus convenable. - Je n'ai qu'un mot à répondre à tes objections, Justine. Tu serais maîtresse de la poudre, tu aurais dès lors sur mon existence les mêmes droits que je pourrais acquérir sur la tienne. - Oh ! Verneuil, il n'y a de dangereux que les armes qui se trouvent dans la main du crime ; si la vertu les possède un instant, elle ne s'en sert que pour les ravir à ceux qui peuvent en abuser. - Mais tu crois donc, ma fille, qu'il y a un grand mal à me satisfaire ainsi ? - C'est la plus abominable de toutes les horreurs, parce qu'elle est, de toutes les manières de commettre le meurtre, la plus traîtresse et la plus dangereuse... celle dont on peut le moins se défendre. - Instruite par mon frère, répondit Verneuil, je ne te répèterai point ce que lui, ou les autres philosophes avec lesquels tu as passé ta vie, ont pu te dire pour te prouver la nullité du prétendu crime appelé meurtre ; je ne m'attacherai qu'à te faire comprendre que de toutes les façons d'y procéder, celle qui ne fait point couler de sang est la moins affreuse sans doute. Et, en effet, tu m'avoueras, Justine, que si quelque chose répugne dans l'action de détruire son semblable, c'est la violence qu'on exerce sur lui, c'est le sang qu'on fait jaillir de ses veines ; c'est, en un mot, le spectacle de ses meurtrissures et de ses plaies. Rien de tout cela dans le poison : aucun acte violent ; la mort frappe sous vos yeux la personne condamnée, sans bruit, sans scandale, à peine vous en doutez-vous. Ô Justine, Justine, c'est une délicieuse chose que le poison ! que de services il a rendus !... que de gens il sut enrichir !... de combien d'êtres inutiles il a purgé le monde !... de combien de tyrans il a déchargé la terre !... Dans le cas, par exemple, où il s'agit de briser les fers du despotisme, la tyrannie d'un père, d'un époux... d'un maître injuste, y réussit-on autrement et plus sûrement que par le poison ? Ah ! si ce suc précieux n'était pas nécessaire à l'homme, la nature nous l'eût-elle donné ? Y a-t-il une seule plante sur la terre qui nous soit inutile, une seule dont elle ne nous accorde la permission d'user à notre gré ? Employons-les donc toutes sans choix aux besoins que cette même nature nous inspire ; que les unes nous substantent et corroborent nos forces ; que celles-ci nous dégagent des humeurs dont la trop grande abondance nuirait à notre santé ; que celle-là nous délivrent des individus qui nous sont à charge ; tout cela est à sa place, tout cela est dans l'ordre. La nature l'offre et le prescrit à la fois ; il n'y a que les sots qui, ne voulant pas l'entendre, ou la repoussent ou l'interprètent mal. - Mais, monsieur, dit Justine, jamais votre frère ne m'a parlé de semblables horreurs. - Ce ne sont pas ses fantaisies, dit Verneuil ; il a une autre manière de faire le mal ; il s'en tient là. Chacun outrage les lois, la religion et les conventions sociales à sa guise, et l'on ne doit pas discuter des goûts. - Eh bien ! monsieur, je vous plains d'en avoir de pareils, et vous proteste en même temps que je ne les servirai jamais. Malheureuse fille, tu ne savais pas à quel point tes refus enflammaient cet insigne libertin ! Verneuil passe promptement de la luxure à la rage : - Allons, dit-il, puisque la séduction ne produit rien, il faut au moins que la force me satisfasse ; tourne-moi ce cul qui m'enflamme. Le vilain le claque, le baise, le mord et ordonne à Justine de chier... La tremblante victime obéit ; au fait de toutes ces paillardises, elle croit apaiser son persécuteur, en le satisfaisant. Verneuil analyse l'étron, il le respire et l'avale... - Charmante fille, dit-il en se relevant, vous venez de me faire goûter un plaisir délicieux pour moi ; il en est peu qui me flattent davantage. Je l'avoue, j'aime la merde à la folie. Mais je me croirais redevable envers vous, si j'avais reçu sans rendre ; ayez donc la bonté de prendre ma place, je vais m'établir à celle que vous quittez ; ce que vous m'avez donné, Justine, vous le recevrez de moi ; vous mangerez ma merde comme j'ai mangé la vôtre. - Grand Dieu ! mon cœur se soulève. - Oh ! foutre, cela m'est bien égal ; résigne-toi sur-le-champ, coquine, ou je te fais tenir par l'homme qui attend près d'ici mes ordres ; et si tu m'y forces, putain, attends-toi à la plus extrême rigueur. - Faites ce que vous voudrez, monsieur ; il m'est impossible de me prêter à une telle infamie. John paraît aussitôt ; il était muni de deux pistolets ; il en remet un à Verneuil ; et tous deux appliquent le bout de l'arme qu'ils ont en main, sur une des tempes de Justine. La malheureuse, effrayée, se place. - Contiens l'attitude, dit Verneuil au valet, en se mettant à cheval sur le sein de notre héroïne, et fais-lui ouvrir la bouche avec le canon de ton pistolet : si elle refuse de bonne grâce : point de pitié pour une fille désobéissante. Hélas ! tout ne s'arrange que trop suivant les désirs de cet homme infâme. Il tâte avec son cul s'il est perpendiculairement placé sur le visage de Justine ; s'y voyant d'aplomb, il lâche sa bordée, et remplit la bouche de cette pauvre fille de la plus infecte et de la plus dégoûtante matière. - Ce n'est pas tout, dit-il en se relevant pour contempler son odieux ouvrage, il faut qu'elle avale. Justine est menacée de nouveau. Que ne fait pas faire la frayeur ? La malheureuse obéit, mais son estomac se renversant aussitôt, on voit qu'elle va rendre avec usure ce qu'on vient de la contraindre à prendre. Le croira-t-on ? pourra-t-on se faire une assez juste idée de la passion effrénée de cet impudique, pour comprendre les saletés auxquelles il se livre ? Verneuil qui, pendant cette dernière opération, n'avait cessé de se faire polluer par John, et de le polluer également, l'infâme Verneuil colle sa bouche sur celle de Justine à l'instant où il la voit rendre gorge, et reçoit dans ses entrailles le dégoûtant superflu de celles de la victime de sa lubricité. - Voilà ce qu'il me fallait pour en venir au fait, dit-il à John. Allons, putain, ton derrière ; tu sais que je n'ai pas encore sondé ce beau cul ; je veux le foutre. Facilitée par John et par l'état de souffrance dans lequel est Justine, l'entreprise réussit aisément. Quelque prodigieux que soit le membre de Verneuil au moyen de la violence avec laquelle il s'y prend, et de l'impossibilité où est Justine de se défendre, l'outil disparaît bientôt. - Bon, je la tiens, dit-il ; viens m'enculer maintenant, mon cher John ; viens me rendre ce que je fais à cette garce. Les deux opérations s'enclavent, se marient ; mais notre triste aventurière est loin de prévoir le dénouement que lui prépare la férocité de ce monstre. Appuyée sur le canapé qui la soutenait, tout son corps y pèse avec force : Verneuil, maître d'un ressort, le lâche ; le canapé s'enfonce ; et Justine, entraînée, quitte la cheville par laquelle elle est fixée, et tombe, à plus de vingt pieds de profondeur, dans un vaste bassin d'eau à la glace, préparé pour la recevoir. Tel est le moment de l'éjaculation de Verneuil ; sa main achève la besogne. - Oh foutu bougre de dieu, s'écrie-t-il, elle m'échappe. Et le sperme, dont il aurait arrosé sans cela le cul de la victime, coule à gros bouillons sur les flots où se débat cette malheureuse. Ordonne qu'on la pêche, dit flegmatiquement Verneuil à John qui venait de lui décharger dans le cul ; va, car la gueuse pourrait bien se noyer, et nous en avons encore besoin : je l'y laisserais, ma foi, sans cela. Notre homme revient au salon après ce bel exploit. Gernande, Bressac, d'Esterval, Victor et Dorothée, y rentraient presque en même temps. Chacun se rendit compte avec intérêt des plaisirs solitaires dont il venait de jouir. Il n'y avait pas eu un seul cabinet où quelques semblables espiègleries n'eussent été mises en exécution ; et, comme tous avaient également des trappes, chacun de ces scélérats prévenus s'en était servi de même. Mais les embûches étaient différentes. Un des mignons de Bressac, celui qu'il enculait, était tombé dans les commodités, et l'on ne savait comment faire pour l'en sortir. Dorothée avait précipité la Gernande sur des fagots de ronces. La jolie Cécile, plus jeune et plus ménagée, jetée sur des matelas par d'Esterval, en avait été quitte pour la peur. Victor avait laissé tomber l'un des gitons qui lui avait été confié, dans les flammes d'esprit-de-vin, ce qui avait fait croire à ce malheureux jeune homme qu'il allait périr par le feu. Et Gernande, enculant la Verneuil, l'avait laissée couler sur trente bougies allumées qu'elle avait éteint de son corps. Les victimes, baignées, rafraîchies, reparurent ; et l'on s'occupa d'un plan général. - Je me sens mieux en train que jamais, dit Verneuil, plus j'avance dans la carrière de la luxure, et mieux je bande. La perte de la semence fatigue... absorbe les hommes ordinaires ; elle m'irrite, moi, elle me prépare à de nouveaux actes libidineux ; plus je décharge, et plus je suis libertin. Placez-vous tout le long de ce vaste canapé, les genoux sur le bord ; et exposez-moi vos fesses indistinctement. Filles, garçons, femmes, vieilles, il faut, sacrenom d'un dieu, que tout y passe, excepté ces deux jeunes enfants, poursuit-il en montrant Rose et Lili ; je les réserve pour une autre occasion. On s'arrange, en observant d'entremêler les sexes. Bressac est le premier qui fait voir les fesses à son oncle. Marceline venait ensuite ; sitôt qu'elle a reçu son offrande, elle s'empare d'une poignée de verges, et suit son frère en le flagellant. L'infernal Verneuil ne fait grâce à pas un. Il sodomise les hommes et les vieilles avec la même ardeur que les filles et les garçons. Il parvient enfin à Gernande, sans avoir couronné son extase ; il encule son frère. « Vieux bougre, lui dit-il, si j'avais à décharger, ce serait bien sûrement dans ton cul libertin ; car il y a longtemps qu'il me fait bander ; mais de nouveaux plaisirs m'appellent, et je me réserve. » La chaîne se rompt. « A toi, mon fils, dit Verneuil à Victor ; tiens, vois ta mère et tes sœurs ; ne les vexeras-tu pas un peu ? Imite-moi donc avec elles ; sodomise-les toutes les trois. » L'immoral enfant, conduit par son père, encule les trois individus désignés, pendant que Verneuil le fout lui-même. Le paillard, égaré de nouveau, se fait donner des verges ; et tombant sur les trois putains de son fils, il les met en sang toutes trois. Remettant l'arme à son écolier : - Fouette ta mère, étrille tes sœurs, lui dit-il ; ne les ménage pas, ne crains pas surtout d'outrager la nature. Ce n'est jamais qu'au delà des bornes connues, que la bougresse a fixé le plaisir ; on ne le saisit bien qu'en dépassant les limites que les sots prétendent qu'elle nous prescrit. Point de voluptés sans crime. Ah ! comme ils travaillaient pour nos plaisirs, ces législateurs imbéciles qui prétendaient donner des lois à l'homme : s'en foutre, et les toutes enfreindre, mon ami, voilà le seul art de jouir. Connais cet art, et brise tous les freins. - Papa, dit le petit fripon en étrillant sa mère de toutes ses forces, tu sais qu'il y a longtemps que je te demande la permission de fouetter maman sur la gorge ; accorde-moi donc cette faveur, et tu vas voir mon vit comme il écumera. Une telle effervescence enflamme tout le monde. Bressac baise mille fois un enfant si semblable à lui ; Gernande veut que sa femme se réunisse à madame de Verneuil. Comme tante, dit ce libertin, elle a, ce me semble, des droits à l'intempérance de ce cher neveu. Les deux victimes sont placées à genoux, le dos appuyé contre le sofa sacré ; et le barbare enfant, que chacun contemple à plaisir, sans calculer les suites funestes d'un caprice aussi dangereux, frappe indifféremment de ses verges les belles gorges exposées à ses cruautés. Un tel spectacle échauffe l'assemblée. Bressac encule d'Esterval qui lui-même sodomise un giton ; Gernande suce les vits de John et de Constant, pendant que Marceline le fouette ; et Dorothée, s'emparant de Justine, lui enfonce son clitoris dans le cul. Cependant madame de Verneuil, sur laquelle la rage de ce petit scélérat semble s'exercer avec le plus de plaisir, s'évanouit sous les coups qui lui sont portés ; et le monstre, oubliant, profanant la plus sainte loi de la nature, ose arroser de foutre le sein ensanglanté qui lui donna la vie. Le jour avançait, et les forces commençant à s'épuiser, on imagina, pour les réparer, d'ouvrir encore quelques pâtés, de faire sauter quelques bouteilles de vin de Champagne, et d'interroger ensuite l'image de Dieu, à dessein de savoir l'art auquel on aurait recours pour retrouver une énergie dont on avait besoin au dénouement. Les estomacs remplis, et les têtes allumées, Verneuil après avoir fait baiser trois fois son cul à l'Éternel, lui demande par quel procédé il croit qu'on peut reprendre un peu de vigueur. - Par des supplices particuliers, répond l'image divine. Que chacun repasse dans ses cabinets, et qu il se serve de l'instrument qu'il y trouvera établi. Vous, Gernande, emparez-vous de madame de Verneuil ; vous Verneuil, prenez votre fille Cécile ; que d'Esterval prenne madame de Gernande ; Dorothée passera avec Laurette et Marceline ; Victor, aidé de Constant, s'enfermera avec Justine. Seulement, obligés de suivre ici notre héroïne, nous ignorons quels furent les supplices où les autres furent condamnés. Nous dirons simplement que notre malheureuse aventurière trouva, dans le cabinet qui lui était destiné un meuble de torture, en usage parmi les bourreaux d'Italie. Fixée sur le croupion au haut de cette infernale machine, ses quatre membres étaient attachés en l'air, et son corps pesant sur cette partie chatouilleuse et faible que soutenait le fatal instrument, lui occasionnait, au moyen de ce poids, une douleur si violente, qu'il en résultait un rire sardonique, extrêmement curieux à examiner. On n'imagine pas le plaisir qu'eut Victor de faire établir là, par celui qui l'aidait, la triste et malheureuse Justine. Le petit scélérat l'y contint près d'une demi-heure, en se faisant branler par Constant ; puis, courant chercher son père : - Oh ! mon ami, lui dit-il, j'ignore à quel supplice tu condamnes ta fille Cécile ; mais je te jure qu'il ne peut d'imposer être de plus délicieux que celui que je viens d imposer à Justine ; viens-y placer ma sœur, je te le demande avec instance. Verneuil, que rien ne satisfaisait, et qui ne se trouvait pas assez délecté des affreuses douleurs qu'arrachait à Cécile un horrible chevalet sur lequel il l'avait posée, la détache et la conduit sur la manivelle italienne. « Il faut les foutre au sortir de là, dit Verneuil à son fils. » Tous deux consomment ce dernier crime, se nichent ensemble, l'un au con de sa fille, l'autre au cul de Justine, et déchargent à la fois, en molestant les charmes de l'une et de l'autre victime... déjà rompues de la séance questionnaire où ces scélérats viennent de les soumettre. C'est l'instant de frapper les grands coups. Jusqu'alors les deux enfants de Verneuil et de Laurette sa fille, étaient, pour ainsi dire, restés dans l'inaction. A la flétrissure des prémices de ces deux beaux enfants, consistaient les grands projets de ces jours de fête. Tout, dans ce délicieux sacrifice, flattait excessivement Verneuil : ces individus étaient du plus bas âge, et voilà comme il lui fallait des victimes ; ils étaient à la fois ses enfants et ses petits-enfants. Quelle délicieuse recherche pour un homme dont tous les plaisirs gisaient dans l'inceste ! On les présente donc l'un et l'autre à ses luxurieuses entreprises : Laurette, leur mère, et madame de Verneuil, devaient contenir les holocaustes. Victor était chargé d'humecter les voies, et de guider le dard de son père dans les routes voluptueuses qu'allaient présenter son frère et sa sœur. En attendant que tout se prépare, Verneuil, pour se ranimer, jouit des plaisirs passifs de Sodome. John et Constant l'enculent tout à tour ; il veut que Justine lui suce la bouche et lui branle le vit pendant ce temps-là. En peu de minutes notre complaisante héroïne rend à la vie ce triste invalide de Cythère ; et les deux meilleurs soufflets qu'elle ait reçus de ses jours, deviennent les gages de la reconnaissance qui lui est due. Parfaitement excité, le drôle s'élance du même bond sur la petite fille de sept ans. Les prémices du cul sont ceux qui s'offrent les premiers. Victor guide, avec une incroyable adresse, le membre effrayant de son père au trou mignon qu'on lui fait voir ; mais quelles que soient l'adresse de l'un et l'agilité de l'autre, l'attaque paraît impossible. Cependant la victime, parfaitement contenue, ne peut offrir aucune résistance ; sa défaite devient donc certaine ; elle l'est effectivement ; et le monstre, à force de pommade, disparaît en trois tours de reins dans l'antre étroit des plaisirs de Gomorrhe. Marceline remplace aussitôt Laurette dans l'emploi de contenir le sujet. Pour mieux exciter son père dans les plaisirs qu'il goûte à jouir de sa fille, elle lui fait baiser les superbes fesses d'un enfant plus rapproché de lui d'un degré que celle qu'il sodomise. Victor, qui n'a plus besoin là, vient, en enculant son père, placer Verneuil entre les deux résultats de sa couille. Mais la férocité de cet incestueux, qui ne peut-être une minute sans aliment, exige que Gernande fouette devant lui Marceline, c'est-à-dire, la grand-mère de celle dont il travaille l'anus ; et Gernande, dont on connaît les goûts sanguinaires, veut, pour faire couler plus tôt le sang, n'employer sur le gros cul de cette femme, qu'un martinet à pointes de fer. - Je voudrais bien, dit Verneuil, toujours en foutant, que d'Esterval, pour achever de m'irriter, saisît le cul de ma femme dans la posture où la voilà, et qu'il l'étrillât d'importance. - Ne pourrais-je pas, dit Bressac, rendre le même service à Laurette ? son attitude étant semblable, je puis la saisir de même. - Assurément, répond Verneuil ; mais il faudra donc que Dorothée vienne foutre Victor de son délicieux clitoris. - Bon, dit John ; et moi, j'enculerai Dorothée. - En face de vous tous, dit Constant, je vais, si cela plaît, sodomiser Justine. - Sous les conditions, dit Verneuil, que tu t'environneras de bardaches, qui, par leur attitude, m'offrirons leurs fesses à baiser. - Bien de plus aisé, dit une des vieilles en disposant tout ; et nous, ajouta-t-elle en parlant de ses trois compagnes, nous allons parcourir les rangs, les verges à la main, pour vous exciter davantage. - Non, non, dit Verneuil ; j'aime mieux qu'elles se troussent au-dessus de moi ; je veux que les rides de leurs vieux culs forment, avec les beautés que j'ai sous les yeux, le contraste le plus agréable à la véritable luxure. Vous chierez, garces, entendez-vous ; vous vesserez, vous péterez, pendant que mon foutre coulera. Et tout étant ainsi disposé, le coquin, bandant à merveille, veut cueillir du même coup l'une et l'autre fleur. Les cruels projets de cet ours s'accomplissent bientôt ; et la pauvre petite Rose, flétrie de toutes parts dans un même instant, va porter au sein de sa mère et son déshonneur et ses larmes. Lili remplace. Toutes les postures varient ; mais la même lubricité les dessine, d'égales infamies les assaisonnent. La crise approche à la fin ; d'étonnants blasphèmes la préparent. Verneuil décharge comme un taureau, et veut qu'au sortir du cul de son petit-fils, ce soit la bouche de Justine qui purifie son engin merdeux. « Remplace-moi », dit-il à Victor, « mon fils, fous mes deux enfants ; je me sens encore la force de t'enculer pendant ce temps-là, pourvu que ma femme gamahuche le trou de mon cul, et que je lèche celui de ma sœur. » De nouveaux groupes entourent ces derniers écarts de luxure ; et, après quelques instants de calme et de rafraîchissements, on procède au dernier acte de ces délicieuses orgies. Oh ! juste ciel ! par quelles horreurs elles vont se terminer. Un vaste fauteuil à cinq places, construit de manière que ceux qui y sont placés se trouvent dos à dos, est élevé au milieu du salon. Bressac, Gernande, Verneuil, d'Esterval et Dorothée s'asseyent dans ce siège. Chacun de ces individus place un giton entre ses jambes ; John, Constant et Victor papillonnent autour. Un cercle environne ce large fauteuil, en ne laissant qu'un pied d'intervalle entre ce siège et lui. Ceux qui forment ce cercle sont mesdames de Verneuil et de Gernande, Justine, Laurette, Marceline, Cécile, Lili, Rose, et les quatre vieilles, qu'on fait mettre nues ; tous ces malheureux êtres se tiennent par la main. Tel est l'état dans lequel Gernande veut qu'ils soient pour être saignés tous les douze à la fois des deux bras ; ce qui va former vingt-quatre fontaines, dont les flots rejailliront sur les scélérats placés dans le fauteuil. Les deux tristes épouses veulent se récrier sur l'atrocité de ces excès ; on rit de leurs remontrances ; et la scène ne s'en prépare pas moins. Verneuil y désire du raffinement. - Je veux, dit-il, que mon fils Victor saigne lui-même sa mère et ses sœurs. - De ses jours il n'a touché de lancettes, s'écrie madame de Verneuil. - Tant mieux, répond méchamment Gernande ; c'est là précisément ce qu'il nous faut. Le jeune Victor, empressé de concourir à cette scélératesse, assure qu'il s'en tirera tout aussi bien que son oncle. L'opération commence ; M. de Gernande se lève, et la dirige. Victor débute sous les yeux de son maître, qui, méchamment, lui branle le vit, pendant qu'il opère, afin que la luxure, agitant ses nerfs, le contraigne à trembler et à estropier quelqu'un. Gernande achève ; les jets partent presque à la fois de tous les bras. Le phlébotomiseur revient se placer ; et voilà nos cinq libertins, couverts de sang, qui s'excitent à ce spectacle, pendant que leurs gitons les sucent, et que Victor, les verges à la main, parcourt le cercle à revers, pour empêcher, à force de coups, que les victimes ne perdent connaissance. Rien n'égale l'audace dont cet énergumène frappe indistinctement tous les culs ; frère, mère, sœur, rien n'est épargné par son bras vigoureux. Cependant nos libertins de l'intérieur du cercle sont absolument inondés de sang, ainsi que les gitons qui les amusent ; John et Constant, dont ils branlent les vits, en sont également couverts ; on ne l'a jamais vu couler avec tant d'abondance. En ce moment, Cécile chancelle, elle tombe, malgré tous les efforts de ceux qui sont auprès d'elle pour la retenir. - Ah ! dit Verneuil, qui bandait ferme à ce spectacle, ah ! sacredieu, je gage que ma fille est perdue ; ce petit étourdi l'aura manquée ; le voilà fratricide, pour son coup d'essai. - Rien n'est plus certain, dit Gernande. - Ah ! double foutu dieu, dit le jeune homme, en couvrant de foutre le visage de sa sœur expirante, sacré bougre de Dieu dont je me fous, jamais je n'eus tant de plaisir. Ici tous les bras se rebandèrent en hâte. Madame de Verneuil absorbée sur le corps de sa fille, le couvre de larmes et de baisers. On essaie quelques remèdes, et leur parfaite inutilité les fait abandonner aussitôt. Verneuil, très consolé de cette perte, parce que personne ne tenait moins que lui à un objet... surtout quand il en était rassasié, Verneuil demande à son fils s'il l'a fait exprès. - Non vraiment, dit l'insigne coquin ; je vous prie, cher père, d'être bien persuadé que, si j'avais eu une victime à choisir, c'eût été madame votre épouse... Tout le monde éclate de rire... Et voilà comme on élevait ce jeune scélérat ; voilà comme on l'apprivoisait insensiblement aux plus exécrables forfaits. - Sacredieu, dit d'Esterval, je suis désolé que cette jolie fille crève si tôt ; j'avais dessein de l'enculer. - N'es-tu donc pas encore à temps ? dit Bressac. - Pardieu, tu as raison, dit l'aubergiste ; qu'on me la tienne, et je l'y fais passer. - C'est moi, mon ami, dit Verneuil, c'est moi qui vous rendrai ce service, en reconnaissance de tous ceux que m'a rendus votre aimable femme. Et, saisissant sa fille moribonde, il la présente à d'Esterval, qui la sodomise aussitôt. Chacun de ces scélérats veut, dans son genre et suivant ses goûts, se permettre d'égales atrocités ; et l'on n'a pas idée des exécrations où se livrent ces monstres, jusqu'au dernier moment, avec cette malheureuse petite fille. Jamais les peuples les plus cruels, jamais les plus féroces anthropophages n'atteignirent à ce degré d'horreur, de cruauté. Elle expire à la fin et les banquettes de la terrasse, dont nous avons précédemment parlé, ensevelissent à jamais le crime épouvantable qui vient de se commettre avec autant d'audace que de frénésie. Oh ! quelle passion que la luxure ! Si elle est la plus délicieuse de toutes celles dont la nature nous inspire le goût, on peut bien assurer qu'elle est en même temps la plus forte et la plus dangereuse. Excédés de fatigues, on fut à la fin se coucher. Et Verneuil, auquel une nouvelle idée luxurieuse rendait aussitôt toutes ses forces, ainsi que nous l'avons déjà dit, voulut absolument passer la nuit avec sa fille Laurette, qui, de tout ce qui est là, est celle qui possède le mieux l'art de l'électriser. Chacun s'arrange à peu près de même ; et Justine a l'honneur de partager la couche de Dorothée, qui ne peut se rassasier d'elle. **** *creator_sade *book_sade_justine1799 *style_prose *date_1799 CHAPITRE XVI FIN DES ORGIES - DISSERTATION - COMMENT LA SOCIÉTÉ SE SÉPARE - FUITE DE JUSTINE La luxurieuse assemblée, réunie le lendemain pour de nouvelles infamies, s'amusa tout aussi gaiement que si la plus atroce de toutes les cruautés n'eût pas été commise la veille. Et voilà quelle est l'âme de ces libertins ; absolument blasés sur toute autre sensation que celle de leurs vices, la plus coupable indifférence ou les entraîne à de nouveaux crimes, ou les console bientôt des anciens. Rose et Lili soutinrent ce jour-là et les deux suivants, tout le poids des lubricités de ces monstres. Pour Gernande, s'acharnant sur Marceline, sa sœur, à laquelle il trouvait les plus beaux bras du monde, il la saigna dix fois dans ces deux jours, collant sans cesse sa bouche sur les jets de sang, les laissant jaillir dans son gosier, et s'en humectant les entrailles. « Il me semble, lui disait Bressac, très partisan de ce raffinement, il me semble, mon oncle, que ce ne peut être qu'ainsi que votre fantaisie doit avoir des charmes. Quand on aime le sang, il faut s'en rassasier ; l'anthropophagie n'est constatée qu'alors, et j'avoue que l'anthropophagie me fait bander. » Tous essayèrent ce charmant épisode ; Dorothée même avala le sang de Marceline. Ces horreurs s'entremêlaient de promenades, pendant l'une desquelles Bressac découvrit une jeune fille de quatorze ans, belle comme le jour, et qu'il enleva pour en amuser la société. Rien ne fut reçu comme ce présent ; et il n'y eut sorte de vilenies, de supplices et d'exécrations qui ne se commirent avec cette malheureuse. On raisonnait un soir sur l'heureux hasard de cette découverte, quand madame de Gernande s'avisa de dire : « Croyez-vous, messieurs, que si les parents de cette infortunée se trouvaient aussi puissants que vous, ils ne poursuivraient pas l'infamie dont vous venez de les accabler ? Or, si la misère est la seule cause de la tranquillité dans laquelle ils vous laissent, n'êtes-vous pas des scélérats d'en abuser ainsi ! » - Mon ami, dit Verneuil à son frère, si ma femme eût osé me faire un raisonnement aussi absurde que celui-là, je l'eus fait mettre à genoux devant la compagnie, et fustiger jusqu'au sang par mon laquais ; mais comme madame ne m'appartient pas, je vais me contenter de pulvériser son objection. - Voilà qui est à merveille, répondit le maître du château ; mais comme je ne prétends pas être plus doux que mon frère, la société trouvera bon que madame de Gernande n'écoute le discours qui va lui être fait, que dans une attitude de douleur. Je la condamne donc à être à quatre pattes, les fesses fort en l'air ; deux bougies, très près de son cul, en grésilleront lentement la peau pendant ce temps-là. Des bravos retentirent ; madame de Gernande est placée, et Verneuil commence. - Établissons d'abord, je vous prie, dit Verneuil, comme bases inébranlables de tout système sur pareilles matières, qu'il y a nécessairement dans les intentions de la nature une classe d'individus essentiellement soumise à l'autre par sa faiblesse et par sa naissance ; ceci posé, si le sujet sacrifié par l'individu qui se livre à ses passions est de cette classe faible et débile, le sacrificateur, en ce cas, n'a pas fait plus de mal que le propriétaire d'une ferme qui tue son cochon. Douteriez-vous de mon premier principe ? Parcourez l'univers, je vous défie d'y trouver un seul peuple qui n'ait eu sa caste méprisée ; les Juifs formaient celle des Égyptiens ; les Ilotes celle des Grecs ; les Parias celle des Brames ; les Nègres celle de l'Europe. Quel est, je vous prie, le mortel assez imbécile pour oser affirmer, en dépit de l'évidence, que tous les hommes naissent égaux en droits et en force ! Il n'appartenait qu'à un misanthrope comme Rousseau d'établir un pareil paradoxe, parce que, très faible lui-même, il aimait mieux rabaisser à lui ceux auxquels il n'osait s'élever. Mais de quel front, je vous le demande, le Pygmée de quatre pieds deux pouces pourra-t-il s'égaler à ce modèle de taille et de vigueur à qui la nature accorde et la force et la taille d'Hercule ? Ne vaudrait-il pas autant dire que la mouche est égale à l'éléphant ? La force, la beauté, la taille, l'éloquence : telles furent les vertus qui, dans l'origine des sociétés, firent décerner l'autorité à ceux qui les gouvernèrent. Une famille, une bourgade, contrainte à défendre ses possessions, choisit bien certainement dans son sein l'être qui lui paraît réunir une plus grande somme des qualités que nous venons de peindre. Ce chef, une fois revêtu de l'autorité qui venait de lui être confiée, prit des esclaves parmi les plus faibles, et les immola sans pitié au plus léger besoin de ses intérêts ou de ses passions... à la fantaisie même de ceux qui l'avaient mis en place. Combien de fois peut-être cette cruauté fut-elle nécessaire au maintien de son autorité ? Qui doute que le despotisme des premiers empereurs de Rome ne fût utile à la splendeur de cette souveraine de l'univers ? Lorsque les sociétés s'établirent, les descendants de ces premiers chefs, accoutumés à représenter, quoique souvent leurs forces ou leurs qualités morales n'égalassent plus celles de leurs pères, continuèrent de maintenir l'autorité sur leurs têtes ou dans leurs maisons ; voilà l'origine de la noblesse dont la tige se découvre dans la nature même. Des esclaves continuèrent de se ranger autour d'eux, ou pour les servir, ou pour maintenir, sous les ordres de ce chef, la grandeur et la prospérité de la nation ; et ce maître, sentant combien il lui devenait essentiel d'en imposer, tant pour son intérêt que pour l'intérêt général, devint cruel par nécessité, par ambition, et le plus souvent par libertinage. Tels furent les Néron, les Tibères, les Héliogabale, les Venceslas, les Louis XI, etc. Ils héritaient d'un pouvoir transmis à leurs prédécesseurs par nécessité ; ils en abusaient par caprice. Mais quel mal entraînaient ces abus ? beaucoup moins sans doute que le retranchement de leurs pouvoirs ; car l'abus maintenait l'empire, en faisant tomber quelques victimes ; la suppression de l'autorité ne les épargnait pas, et plongeait les peuples dans l'anarchie. Il y a donc (et c'est où j'en veux venir) très peu d'inconvénients à ce que le plus fort abuse de sa puissance ; on ne saurait mettre d'obstacle à ce qu'il écrase le plus faible. Toutes les opérations de la nature ne sont-elles pas d'ailleurs des exemples de cette lésion nécessaire du fort sur le faible ? L'aquilon brise le roseau ; les soulèvements intérieurs de la terre culbutent, dégradent la frêle habitation imprudemment élevée sur elle ; l'aigle engloutit le roitelet ; nous ne respirons pas, nous ne remuons pas un de nos membres, que nous ne détruisions des fourmilières d'atomes. Et bien ! vous disent ici les imbéciles partisans d'une impossible égalité, nous ne pouvons disputer la priorité physique et morale de certaines créatures sur d'autres : elle nous frappe, il faut en convenir ; mais accordez-nous au moins que tous les êtres doivent être égaux aux yeux de la loi. Et voilà certes ce dont je me garderai bien de convenir. Comment voulez-vous en effet que celui qui a reçu de la nature la plus extrême disposition au crime, soit à cause de la supériorité de ses forces, de la délicatesse de ses organes, soit en raison de l'éducation nécessitée par sa naissance ou par ses richesses ; comment, dis-je, voulez-vous que cet individu puisse être jugé par la même loi, que celui que tout engage à de la vertu ou de la modération ? Serait-elle plus juste la loi qui punirait de même ces deux hommes ? Est-il naturel que celui que tout invite à mal faire, soit traité comme celui que tout engage à se comporter prudemment ? Il y aurait à ce procédé une inconséquence affreuse, une injustice abominable, que toute nation prudente et sage ne pourrait jamais se permettre. Il est impossible que la loi puisse également convenir à tous les hommes. Il en est de ce médicament moral comme des remèdes physiques. Ne ririez-vous pas du charlatan qui, n'ayant qu'une pratique semblable pour tous les tempéraments, purgerait le fort de la halle comme la petite maîtresse à vapeurs ? Eh ! non, non, mes amis, ce n'est que pour le peuple que la loi est faite. Se trouvant à la fois le plus faible et le plus nombreux, il lui faut absolument des freins dont l'homme puissant n'a que faire, et qui ne peuvent lui convenir sous aucun rapport. La chose essentielle, dans tout gouvernement sage, est que le peuple n'envahisse pas l'autorité des grands ; il ne l'entreprend jamais, sans qu'une foule de malheur ne bouleversent l'état, et ne le gangrènent pendant des siècles. Mais, tant qu'il n'y aura, dans une nation quelconque, d'autre inconvénient que celui de l'abus des pouvoirs du fort sur le faible, comme le résultat n'en est que de river les fers au peuple, cette action deviendra bonne au lieu d'être mauvaise ; et toute loi qui la protégera, tournera dès lors à la gloire de l'état et à sa prospérité. Le régime féodal favorisait cette manière de voir ; et c'est sous lui que la France est parvenue au dernier degré de sa grandeur et de sa prospérité... à l'exemple de Rome qui ne fut jamais si grande, que quand le despotisme fut à son dernier période. Il y a une infinité de gouvernements en Asie où les grands peuvent tout faire, où le peuple seul est enchaîné. C'est agir contre la nature, que de prétendre diminuer la force de ceux auxquels sa main l'a départie ; c'est la servir que d'imiter les modèles de cruauté, de despotisme, qu'elle offre sans cesse à nos regards... que d'user de tous les moyens qu'elle a mis dans nous pour déployer notre énergie ; celui qui s'y refuse est un sot qui ne mérite pas le présent qu'il a reçu d'elle... Et Verneuil, revenant ici à l'objet de la discussion : Nous n'avons donc nul tort, mes amis, de faire servir cette créature à tous les caprices de notre lubricité. Nous l'avons enlevée ; et nous sommes les maîtres dès que la nature nous rend les plus forts, d'en faire tout ce que nous voudrons. Il n'y aurait que les imbéciles ou des femmes qui pourraient le trouver mauvais ; parce que ces deux sortes d'individus, faisant partie de la classe des faibles doivent nécessairement en prendre le parti. - Eh ! qui doute, dit Bressac, électrisé par la morale de son oncle, qui peut ne pas être convaincu que la loi du plus fort ne soit la meilleure de toutes, la seule qui règle les ressorts du monde, qui soit à la fois la cause et des vertus qui rétablissent le désordre, et des crimes qui maintiennent l'ordre dans chacun des rouages de ce vaste univers ? Nos lecteurs imaginent aisément que de tels systèmes, dans la tête des gens dont ils lisent l'histoire, devaient nécessairement exalter leurs écarts. Madame de Gernande fut condamnée, malgré ses douleurs, à rester dans la même attitude où ces scélérats l'avaient mise, et ce fut sur elle que se raffinèrent, avec la nouvelle victime, toutes les manières de saigner, et toutes les lubricités possibles à exécuter pendant l'effusion du sang. D'Esterval prétendit qu'il devait être délicieux de foutre pendant ce temps-là ; il le fit ; et les éloges qu'il prodigua à cette nouvelle passion engagèrent les autres à l'imiter. Verneuil dit qu'il fallait pincer, piquer, molester la créature phlébotomisée, tout en la foutant : on la couvrit de meurtrissures. Gernande voulût qu'elle branlât les vits de chaque main, et que ces engins s'inondassent de sang : autre caprice qui fut trouvé délicieux. Victor prétendit qu'il fallait donner des clystères, et les voir rendre pendant la saignée. La d'Esterval soutint que ce qu'il y avait de mieux à faire était de la pendre par les cheveux pendant que les saignées couleraient des quatre membres ; nouvelles décharges. On en fit tant enfin que la malheureuse enfant fut bientôt rejoindre Cécile. On l'enterra près d'elle ; et de nouveaux forfaits embrasèrent bientôt l'imagination de ces cannibales. Au sortir d'un dîner où l'on s'était permis les plus grandes débauches, où les têtes, prodigieusement exaltées, n'admettaient plus ni freins ni barrières, où l'on avait érigé l'indécence en principe, la cruauté en vertu, l'immoralité en maxime, l'athéisme en opinion seule faite pour le bonheur des hommes, tous les crimes en systèmes ; où la volupté la plus crapuleuse, ayant entremêlé les excès de la table, on avait porté l'égarement au point d'enculer des bardaches, sans cesser de boire et de manger ; où l'on avait mêlé aux aliments dont on se gorgeait, les excréments exhalés du corps de ces gitons, leurs larmes, leur sueur et leur sang ; au sortir de ce repas infernal, Gernande et Verneuil décidèrent enfin que le sang de Cécile et de la jeune personne que l'on venait d'immoler, ne suffisait pas aux dieux infernaux à qui s'adressait cette fête, et qu'il fallait essentiellement une victime de plus. Ici toutes les femmes frémirent. Notre malheureuse Justine, sur laquelle plusieurs yeux se tournèrent, pensa se trouver mal, lorsque Gernande proposa à l'assemblée de convenir que la victime serait choisie à la supériorité des fesses ; et voici le sophisme dont il se servit pour étayer son opinion : Celle qui a le plus beau cul, disait-il, doit nécessairement être celle qui nous a fait le plus décharger. Or, la créature qui a le plus excité nos désirs, doit être celle dont nous devons être le plus dégoûtés : c'est donc elle dont il faut indispensablement se défaire... - Non, dit Verneuil, il y aurait de la partialité ; il faut l'exclure absolument, et que le sort seul en décide. Consultons le Dieu qui déjà sut nous indiquer de si bonnes actions ; sa voix désignera la victime, il ne pourra plus nous rester de regrets... - Excellente manière de se rassurer, dit d'Esterval en éclatant de rire ; jamais les dogmes jésuitiques ne furent raffinés à ce point, Allons, notre dieu sera bientôt réédifié ; allons le consulter dans son temple. On écrivit sur des bulletins les noms de Justine, des dames de Gernande et de Verneuil, de Marceline. de Laurette et de Rose. Ces six noms, placés dans le calice qui avait servi aux précédentes orgies, furent présentés par Lili à l'effigie de l'Éternel, qui, après un moment de réflexion, met sa main dedans, et jette le billet qui en sort. Bressac le ramasse avec empressement ; il y lit le nom de madame de Gernande... Je l'aurais parié, dit froidement le mari ; j'ai toujours cru le ciel juste à mon égard ; je suis ravi que, par un choix aussi plein d'équité, sa réputation se conserve. Allons, ma tendre amie, dit-il en s'approchant de sa malheureuse femme, allons, mon cœur, un peu de courage. De toutes les occasions où il faut savoir prendre son parti avec fermeté, celle-ci, sans doute, est la plus importante... c'est un mauvais moment à passer... oh ! bien mauvais mon ange... car nous vous ferons incroyablement souffrir, cela est certain. Mais cela finira ; vous rentrerez paisiblement alors dans le sein de cette nature qui vous aime tant... et qui néanmoins vous destine une assez vilaine manière de vous réunir à elle. Rassurez-vous, cependant, mon amour ; ne vaut-il pas mieux mourir tout de suite, que de poursuivre l'ennuyeuse carrière où mes passions vous précipitaient ? C'était une suite continuelle de tourments ; ils vont finir : une éternité de bonheur vous attend, vos vertus vous l'assurent. Ce qui m'afflige, moi, mon enfant, je vous le répète, c'est la route épineuse... le chemin excessivement douloureux, par lequel vous allez parvenir aux délices qui vous sont préparées pour toujours. Et le cruel époux persiflerait peut-être encore sa malheureuse femme, si le fougueux Verneuil ne se fût à l'instant jeté sur la victime, pour en jouir délicieusement, disait-il dans l'état de crises et d'angoisses où elle devait être. Le scélérat l'enconne, la lime avec ardeur... cueille avec impudence des baisers luxurieux sur une bouche flétrie par les plus amères douleurs, et qui ne s'ouvre plus qu'aux plaintes et au désespoir... - Attends, dit Gernande à son frère en l'engageant à ne point précipiter son extase, il faut que ce soit en jouissant d'elle, toi par devant, Bressac en cul, moi dans la bouche, d'Esterval et Victor sous les aisselles, que nous prononcions tous cinq son supplice. Qu'on nous donne ce qu'il faut pour écrire, poursuit-il dès qu'il voit son idée remplie ; je vais commencer par tracer le mien. Et le scélérat, avec réflexion, le fait en jouissant de sa malheureuse épouse qu'il considère à chaque mot qu'il peint. Victor en fait autant ; il écrit avec flegme, sur les épaules de sa tante, l'espèce de torture où il la destine, et qui paraît le mieux convenir à son insigne noirceur. Les autres imitent le procédé ; et, pour mettre à toutes ces infamies les plus bizarres recherches, comme Gernande connaissait l'attachement de Justine pour sa maîtresse, il veut que ce soit elle qui fasse la lecture de la sentence qui vient d'être prononcée. Hélas ! à peine la pauvre fille eut-elle la force de bégayer ces mots barbares ; mais, comme on la menaçait de la même mort, si elle n'obéissait pas, et que son refus n'eût servi de rien, il fallut se soumettre ; elle lut. La Gernande n'a pas plus tôt entendu son arrêt, qu'elle se précipite aux pieds de ses bourreaux. Eh ! ce n'est point dans de telles âmes que naquit jamais la pitié ! On insulte cette infortunée, on la bafoue ; et, pour procéder sur-le-champ à son supplice, on s'enferme dans le salon, où s'étaient commises les horreurs dont on a précédemment rendu compte. Tout ce qui convenait aux exécrations projetées s'y voyait avec appareil. On exigea d'abord de la patiente, de demander tout haut pardon à Dieu et aux hommes, des crimes qu'elle avait commis. La pauvre femme, dont l'esprit n'y était déjà plus, prononça tout ce qu'on voulut. Chacun infligeait celle qu'il avait ordonnée ; et, pendant qu'il agissait, deux individus de l'un ou de l'autre sexe, étaient obligés de l'exciter ou de se prêter à ses luxures intermédiaires. Les vieilles aidaient aux supplices. Verneuil commença. Justine et Dorothée le servaient. Il tourmente la victime deux heures ; et, dans l'instant où elle éprouvait une crise horrible, le paillard, fouetté par la d'Esterval, déchargea dans le cul de Justine, qu'une vieille épilait pendant ce temps-là, pour donner aux mouvements des reins de la patiente une plus grande agilité. Victor se présente, servi par Laurette et madame de Verneuil ; c'est-à-dire, que le jeune élève torturait sa tante, en assouvissant ses lubricités sur sa mère et sa sœur. Madame de Verneuil éprouva un moment d'horreur insurmontable, que son fils devina malheureusement. Le petit monstre tenait alors une aiguille d'acier, dont il lardait les fesses de sa tante ; il la lance dans les tétons de sa mère, en l'invectivant d'une façon cruelle. La société prend fait et cause ; le cas paraît sérieux ; on interrompt l'opération pour juger la coupable ; et, sur la simple accusation de son fils, la mère est à l'instant condamnée à quatre cents coups de fouet indistinctement distribués sur tout le corps, et cela malgré les blessures qu'elle vient de recevoir. L'arrêt, par la main de ces quatre barbares, est aussitôt mis à exécution. Victor demande que la gorge lui soit livrée ; et le scélérat la flagelle, pendant que Gernande lui suce le vit, et que son père le socratise. On se remet à l'ouvrage. Le petit scélérat, excité, prolonge trois heures les tortures qu'il fait endurer à sa tante, et décharge deux fois en la travaillant ; l'une en se branlant lui-même, l'autre en sodomisant sa mère, pendant que sa sœur lui gamahuchait le trou du cul. Gernande s'empare de sa femme ; il la crible de coups de lancette, et perd son foutre dans la bouche d'un giton, en dardant une dernière piqûre dans l'œil droit de cette malheureuse. D'Esterval surpasse tout par ses horreurs ; c'est le con de Justine qui reçoit son foutre ; il lui moleste sévèrement les tétons, en le lui lançant dans la matrice. Quand la victime arrive à Bressac, à peine a-t-elle la force de souffrir. Pâle, défigurée, ce beau visage, où régnaient autrefois les grâces, n'offrait plus maintenant que la plus déchirante image de la douleur et de la mort. Elle a pourtant encore la force de se jeter aux pieds de son mari, pour implorer de nouveau son pardon ; mais Gernande, inflexible, se plaît à la fixer dans cet état d'angoisses. - Oh ! sacredieu, s'écrie-t-il, quel plaisir de voir une femme en pareille situation ! que la douleur est belle à contempler ! Viens me branler, Justine, sur le visage de ta maîtresse... - Mon ami, dit Verneuil, il faudrait fouetter ce beau visage... - Chier dessus, dit Victor... - Le souffleter, dit d'Esterval... - L'enduire de miel et y lâcher des guêpes, dit Dorothée... - Un peu de patience, dit Gernande, qui savourait sur cette charmante figure toutes les différentes gradations douloureuses qu'occasionnait chacune de ces propositions ; il est impossible de nous satisfaire tous. Chacun a-t-il envie de faire ce qu'il a proposé ?... Oui... Eh bien, contentez-vous, mes amis ; je vous la livre. Toutes ces différentes horreurs s'exécutent. Cinq monstres s'acharnent sur cette malheureuse ; et c'est ainsi, qu'après une vie bien courte, terminée par onze heures des plus déchirants supplices, cet ange céleste remonte vers le ciel, d'où il n'était descendu que pour orner un moment la terre. Le croira-t-on ? Le corps de cette belle femme est mis au milieu de la table ; on sert autour le plus magnifique souper. - Voilà comme j'aime le plaisir, dit Verneuil ; si celui qui veut le goûter n'écarte pas tous les freins, il ne l'atteindra jamais... Qu'il est délicieux de se repaître ainsi du crime que l'on vient de commettre !... voilà comme il est bon, le crime ; c'est en le savourant, c'est en se délectant de ses suites... Oh ! mes amis, à quel point la férocité a l'art puissant d'aiguillonner les plaisirs !... La voilà pourtant celle qui vivait il y a une heure... qui nous entendait... qui nous redoutait... qui nous implorait... Un moment a tout terminé ; et cette créature, si sensible il n'y a qu'un instant, n'est maintenant plus qu'une masse informe qu'ont désorganisée nos passions... Oh ! quelles sont belles et grandes, les passions qui conduisent à de tels écarts ! que leur élan est majestueux !... qu'il est noble et sublime ! S'il était vrai qu'il existât un Dieu, n'en serions-nous pas les rivaux, en détruisant ainsi ce qu'il aurait formé ? Oh ! oui, oui, je le soutiens, le meurtre est la plus grande, la plus belle, la plus délicieuse de toutes les actions ou l'homme puisse se livrer... Eh bien, mes amis, où est-elle cette âme merveilleuse, que nos excès viennent de séparer de ce corps ? par où a-t-elle passé ?... qu'est-elle devenue ? Ne faut-il pas être insensé pour en admettre un moment l'existence ? N'avons-nous pas vu cette âme s'affaiblir à mesure que nous agacions les organes, ou que nous en détruisions les ressorts ? Tout cela n'était donc que matière. Or, je demande, où peut être le crime à déformer un peu de matière ?... - Un moment, dit Bressac ; puisque nous faisons tant que de raisonner sur une chose aussi importante, je vous demande la permission de vous révéler mes idées sur le dogme de l'immortalité de l'âme, qui depuis si longtemps, agite les différentes classes de la philosophie... - Oui, oui, dit Gernande, écoutons mon neveu dans cette discussion, je sais qu'il est en état de l'approfondir. - En remontant aux époques les plus reculées, dit Bressac, nous ne trouvons malheureusement d'autres garants de l'absurde système de l'immortalité de l'âme que parmi les peuples plongés dans les plus grossières erreurs. Si l'on examine les causes qui purent faire admettre cette affreuse ineptie, on les trouve dans la politique, dans la terreur et dans l'ignorance ; mais, quelle que soit l'origine de cette opinion, la question est de savoir si elle est fondée. Je crains bien qu'en l'examinant, nous ne la trouvions tout aussi chimérique que les cultes qu'elle autorise. L'on conviendra que, dans les siècles même où cette opinion sembla la plus accréditée, elle trouva toujours des gens assez sages pour la révoquer en doute. Il était impossible de ne pas sentir à quel point devenait nécessaire aux hommes la connaissance de cette vérité ; et cependant aucun des dieux qu'avait érigé leur extravagance ne prenait le soin de les en instruire. Il parait que cette absurdité naquit chez les Égyptiens, c'est-à-dire chez le peuple le plus crédule et le plus superstitieux de la terre. Une chose pourtant est à remarquer ; c'est que Moïse, quoique élevé dans ses écoles, n'en dit pas un seul mot aux Juifs. Assez bon politique pour créer d'autres freins, il n'osa jamais, on le sait, employer celui-là chez son peuple ; trop de bêtise le caractérisait, pour qu'il imaginât de s'en servir. Jésus lui-même, ce modèle des fourbes et des imposteurs, cet abominable charlatan, n'avait aucune notion de l'immortalité de l'âme ; il ne s'exprime jamais qu'en matérialiste ; et lorsqu'il menace les hommes, on voit que c'est à leurs corps que ses discours s'adressent ; jamais il n'en sépare l'âme1. Mais ce n'est point à chercher l'origine de cette fable hideuse que je dois m'attacher ici ; vous en démontrer toute la folie, devient l'unique objet de mon travail. Parlons d'abord un instant, mes amis, des causes qui purent la produire. Les malheurs du monde, les bouleversements qu'il éprouva, les phénomènes de la nature, furent incontestablement les premières ; la physique, mal connue, mal interprétée, dut autoriser les secondes ; la politique devint la troisième. L'impuissance où est l'entendement humain, par rapport à la faculté de se connaître lui-même, vient moins de l'inexplicabilité de l'énigme, que de la manière dont elle est proposée. D'anciens préjugés ont prévenu l'homme contre sa propre nature ; il veut être ce qu'il n'est pas ; il s'épuise en efforts pour se trouver dans une sphère illusoire, et qui, quand même elle existerait, ne saurait être la sienne. Comment, d'après cela, peut-il se retrouver ? N'a-t-on donc pas suffisamment démontré le mécanisme de l'instinct chez les bêtes, par le seul moyen de l'accord parfait de leurs organes ? L'expérience ne nous prouve-t-elle pas que l'instinct, dans ces mêmes bêtes, s'affaiblit en raison de l'altération qui survient en elles, soit par accident, soit par vieillesse, et que l'animal est enfin détruit, quand cesse l'harmonie dont il n'était que le résultat ? Comment peut-on s'aveugler au point de ne pas reconnaître que ce qui arrive chez nous est absolument la même chose ? Ce que vous venez de faire souffrir à cette femme dont voilà le cadavre sous nos yeux, ne vous le prouve-t-il pas évidemment ? Mais pour achever d'identifier en nous ces principes, il faut commencer par nous convaincre que la nature, quoique une dans son essence, se modifie cependant à l'infini ; ensuite ne pas perdre de vue cet axiome d'éternelle vérité, qu'un effet ne saurait être supérieur à sa cause ; et, définitivement, que tous les résultats d'un mouvement quelconque sont divers entre eux ; qu'ils s'augmentent ou s'affaiblissent en raison de la vigueur ou de la faiblesse du poids qui donne le branle au mouvement. Aidés de l'usage de ces principes, vous parcourrez à pas de géant la carrière de la nature sensible. Au moyen du premier, vous découvrirez cette unité qu'il annonce ; partout, dans le règne animal, il y a du sang, des os, de la chair, des muscles, des nerfs, des viscères, du mouvement, de l'instinct. Par le second, vous vous rendrez raison de la différence qui se trouve entre les divers êtres vivants de la nature ; vous n'irez pas comparer l'homme à la tortue, ni le cheval au moucheron ; mais vous vous ferez un plan de diversité gradué, et tel que chaque animal y tienne le rang qui lui convient. L'examen des espèces vous convaincra que l'essence est partout la même, et que les diversités n'ont uniquement que les modes pour objet. D'où vous conclurez que l'homme n'est pas plus supérieur à la matière, cause productrice de l'homme, que le cheval n'est supérieur à cette même matière, cause productrice du cheval ; et que s'il y a supériorité entre ces deux espèces, l'homme et le cheval, c'est seulement dans les modifications et les formes. Vous verrez, par le troisième principe, lequel dit que les résultats d'un mouvement quelconque sont divers entre eux, et qu'ils s'augmentent ou s'affaiblissent en raison de la vigueur ou de la faiblesse des poids qui donnent le branle au mouvement ; vous vous persuaderez, dis-je, par ce principe, qu'il n'existe plus rien de merveilleux dans la construction de l'homme, quand on vient à le comparer aux espèces d'animaux qui lui sont inférieurs ; de quelque manière que l'on s'y prenne, on ne voit que de la matière dans tous les êtres qui existent. Quoi ! direz-vous, l'homme et la tortue sont une même chose ! Non, certes, leur forme est différente ; mais la cause du mouvement qui les constitue l'un et l'autre, est très certainement la même chose : « Suspendez un pendule, au bout d'un fil, à ce plancher2, mettez-le en mouvement ; la première ligne que décrira ce pendule, aura toute l'étendue que permettra la longueur du fil, la seconde en aura moins, la troisième moins encore, jusqu'à ce qu'enfin le mouvement du pendule se réduise à une simple vibration, laquelle se terminera à un repos absolu. » Sur cette expérience, je me dis : L'homme est le résultat du mouvement le plus étendu, la tortue n'est que celui d'une vibration, mais la matière la plus brute fut la cause de l'un et de l'autre3. Les partisans de l'immortalité de l'âme, pour expliquer le phénomène de l'homme, le douent d'une substance inconnue ; nous autres matérialistes, bien plus raisonnables sans doute, nous ne considérons ses qualités que comme le résultat de son organisation. Les suppositions tranchent bien des difficultés, nous en convenons ; mais elles ne terminent pas les questions. Volant au but d'un pas bien plus rapide, ce ne sont que des preuves que je vous présente. Ce qu'il y a de particulier, c'est qu'aucun de ces demi-philosophes ne s'accordent sur la nature de la substance immatérielle qu'ils admettent ; la contrariété de leurs sentiments serait même, il faut en convenir, l'un des plus forts arguments que l'on pourrait leur faire ; mais, dédaignant de m'en servir, je me livre plutôt à l'examen de la question qui fait de l'âme une substance créée. Mille pardons, mes amis, si dans le cours de cette dissertation je me trouve contraint d'employer un moment l'admission de cet être chimérique connu sous le nom de Dieu. Vous me rendez, j'espère, assez de justice pour être bien convaincu que l'athéisme étant le plus sacré de mes systèmes, ce ne peut jamais être que par nécessité, et momentanément, que je me sers de ces suppositions ; mais toutes les erreurs s'enchaînant dans l'esprit de ceux qui les admettent, on est souvent obligé de réédifier l'une pour combattre et dissiper l'autre. Je demande donc, d'après cette hypothèse de l'admission d'un Dieu, ou ce Dieu a pu trouver l'essence de l'âme ? Il l'a créée, me dites-vous. Mais cette création est-elle possible ! Si Dieu existait seul, il occuperait tout, excepté l'absurde néant. Dieu ennuyé du néant, a créé, dit-on, la matière, c'est-à-dire, qu'il a donné l'être au néant ; voilà donc tout occupé, deux êtres remplissent tout l'espace : Dieu et la matière. Si ces deux êtres remplissent tout, s'ils forment le tout, il n'y a pas lieu à de nouvelles créations ; car il est impossible qu'une chose soit et ne soit pas en même temps. L'esprit remplit dès lors tout le vide métaphysique ; la matière remplit physiquement tout le vide sensible ; donc plus de place pour les êtres de nouvelle création, à quelque point que l'on réduise leur existence. Ici l'on a recours à Dieu, et l'on dit que ce Dieu reçoit en lui-même ces nouvelles productions. Si Dieu a pu loger dans la sphère spirituelle de son infinité spirituelle de nouvelles substances de même nature, il s'ensuit clairement qu'il n'était pas une infinité complète et parfaite, puisqu'il a souffert des additions ; qui dit infinité, dit exclusion de toute limite ; or, un être qui exclut toute limite, n'est point susceptible d'additions. Si l'on dit que Dieu, par sa toute-puissance, a resserré son essence infinie pour faire place à des substances nouvellement créées, je réponds qu'alors il n'a plus été infini, parce que, lors du resserrement, le côté où il s'est fait a laissé voir une limite. Quand Dieu aurait pu recevoir dans sa sphère les substances nouvellement créées, il est toujours certain que cette sphère éprouvera un vide au départ de chaque substance qui en sortira pour venir, dans la sphère de la matière, animer un corps. Ce vide pourra subsister toujours ; car, selon les amateurs de cette absurdité, les âmes condamnées au supplice ne sortiront jamais de l'enfer. Si Dieu remplit continuellement le vide causé par l'absence d'une âme, il faut qu'il fasse faire à sa propre substance un effet rétroactif, lorsque quelques-unes de ces âmes retournent à sa sphère ; ce qui est absurde ; car un infini complet comme votre Dieu, et dont les parties sont elles-mêmes infinies, ne saurait se replier ni s'étendre. Si le vide, causé par l'absence d'une âme, n'est point rempli, c'est un néant ; car il faut que tout espace contienne esprit ou matière. Or, Dieu ne peut remplir ce vide, ni par sa propre substance, ni par des portions de matière ; car Dieu ne saurait contenir de la matière : donc il y a du néant dans la divinité. Ici nos adversaires prennent un ton plus doux. Quand nous disons, prétendent-ils, que Dieu créa l'âme humaine, cela veut dire seulement qu'il la forma. Il faut convenir que cette modification de terme n'apporte pas un grand changement dans la dispute. Si Dieu a formé l'âme humaine, il l'a formée de quelque essence ; c'est dans l'esprit ou dans la matière qu'il a puisé. Ce n'a pu être dans l'esprit, parce qu'il n'y en a qu'un seul, qui est l'infini, ou Dieu lui-même ; or, tout le monde sent qu'il est absurde de supposer l'âme une portion de la divinité. Il est contradictoire de se rendre un culte à soi-même : c'est ce qui arriverait, si l'âme était une portion de Dieu. Il ne l'est pas moins qu'une substance punisse éternellement une portion détachée d'elle-même. En un mot, dans cette hypothèse, ne venez donc point me parler ni d'enfer ni de paradis ; car il serait absurde que Dieu punît ou récompensât une substance émanée de lui. Dieu a donc formé l'âme de matière, puisqu'il n'y a que matière et esprit ? Mais si l'âme a été formée de matière, elle ne peut être immortelle. Dieu, si vous voulez, a pu spiritualiser, diaphaniser de la matière jusqu'à l'impalpabilité ; mais il ne peut la rendre immortelle, car ce qui eut un commencement doit assurément avoir une fin. Les déistes eux-mêmes ne peuvent concevoir l'immortalité de Dieu que par son infinité ; et il n'est infini que parce qu'il exclut toute limite. La matière, pour être spiritualisée, n'en est pas moins divisible, parce que la divisibilité est essentielle à la matière, et que la spiritualisation ne change point l'essence des choses. Or, ce qui est divisible est sujet à l'altération ; et ce qui est susceptible d'altération n'est point permanent, et encore bien moins immortel. Nos adversaires, poussés à bout par toutes ces objections, se rejettent sur la toute-puissance de Dieu. Il nous suffit, disent-ils, d'être persuadés que nous sommes doués d'une âme spirituelle et immortelle ; peu nous importe de savoir comment et quand elle a été créée. Ce qu'il y a de constant, ajoutent-ils, c'est que, par ses facultés, on ne peut la juger d'une autre substance que celle qu'on suppose aux esprits angéliques. Avoir sans cesse recours a la toute-puissance, comme font les théistes, n'est-ce donc pas ouvrir la porte à tous les abus ? n'est-ce pas introduire un pyrrhonisme universel dans toutes les sciences ? car enfin, si la toute-puissance agit contre les lois qu'elle-même a, prétend-on, déterminées, je ne pourrai jamais être sûr qu'un cercle n'est pas un triangle, puisqu'elle pourra faire que la figure que j'aurai sous les yeux soit en même temps l'un et l'autre. La plus saine partie des déistes, sentant combien il répugnait à la raison de supposer l'âme une substance semblable à celle de leur Dieu, n'a pas hésité à dire qu'elle était une substance, une entéléchie de forme particulière, prise je ne sais où ; et, sur ce qu'on leur a objecté, qu'à l'exception de Dieu qui, à cause de son infinité, excluant toute limite, n'avait point de forme, tout ce qui restait dans la nature devait avoir une figure, et par conséquent une étendue, ils ont avoué, sans difficulté, que l'âme humaine a une extension, des parties, un mouvement local, etc. Mais c'est assez argumenter contre nos adversaires. Ils nous accordent, on le voit, que l'âme a une extension, qu'elle est divisible, qu'elle a des parties ; c'en est suffisamment pour nous porter à croire que ceux-là mêmes qui soutiennent son immortalité, ne sont pas fort convaincus de sa spiritualité, et que cette opinion est insoutenable ; il est temps de vous en convaincre. Qui dit une substance spirituelle, dit un être actif, pénétrant, sans que, dans le corps qu'il pénètre, on aperçoive aucun vestige de son passage : notre âme est telle, dans cette hypothèse. Elle voit sans regarder, elle entend sans prêter l'oreille, elle nous meut sans se mouvoir elle-même : or, un tel être ne peut exister sans renverser l'ordre social. Pour le prouver, je demande de quelle manière voient les âmes ? Les uns ont répondu que les âmes voyaient tout dans la divinité, comme dans un miroir où se réfléchissent les objets ; les autres ont dit que la connaissance leur était aussi naturelle que les autres qualités dont elles sont pourvues. Assurément, si la première de ces opinions est absurde, on peut bien assurer que la seconde l'est pour le moins autant ; et, en effet, n'est-il pas impossible de comprendre comment une âme peut connaître dans une espèce générale toutes les particularités qui s'y rencontrent, et toutes les conditions de ces particularités. Supposons l'âme pourvue de la connaissance du bien et du mal en général ; cette science ne lui suffira pas pour rechercher l'un et pour l'abstenir de l'autre. Il faut, pour qu'un être se détermine constamment à cette fuite ou à cette recherche, qu'il ait connaissance des espèces particulières du bien ou du mal qui sont contenues sous ces deux genres absolus et généraux. Les partisans du système de Scot soutenaient que l'âme humaine n'avait point en soi la force de voir, qu'elle ne lui avait point été donnée au moment de sa création, qu'elle ne recevait ses propriétés qu'à l'occasion des circonstances où elle était obligée de s'en servir. Dans la supposition précédente, l'âme qui a une connaissance née avec elle du mal en général, est une substance impuissante ; car elle voit le mal à venir et n'en détourne pas ; la matière alors est l'agent, elle le patient, ce qui est absurde. De l'opinion de Scot, il résulte que l'homme ne peut rien prévoir ; ce qui est faux. Si vraiment l'homme en était réduit là, sa condition serait bien inférieure à celle de la fourmi, dont la prévoyance est inconcevable. Dire que l'homme imprime la connaissance à l'âme à mesure qu'elle a besoin d'exercer ses facultés, est faire de votre Dieu l'auteur de tous les crimes ; et je vous demande si ces conditions ne révolteraient pas les plus fermes sectateurs de ce Dieu. Voilà donc les partisans de l'âme immortelle et spirituelle réduits au silence sur la question de savoir comment et par quel moyen cette âme voit et connaît les choses. Ils n'abandonnent pourtant point encore la partie : l'âme humaine, disent-ils, voit et connaît les choses à la façon des autres substances subtiles ou spirituelles qui sont de même nature qu'elle ; ce qui, comme on le voit, est absolument ne rien dire. Dans la défense d'une fausse opinion, les difficultés renaissent à mesure qu'on semble les abattre. Si l'âme humaine n'a pas la faculté de pénétrer les objets présents, ni celle de se représenter les absents qui lui sont inconnus, et de s'en former des idées vraies, d'après quoi elle puisse juger de leurs dispositions intérieures, si elle ne saurait recevoir d'impression que par la présence sensible des objets, et si elle ne peut juger de leur qualité que par les symptômes extérieurs qui les caractérisent ; son intellect alors n'a ni plus de finesse, ni plus de propriétés que l'instinct des brutes qui recherchent ou fuient certains objets, d'après les mouvements qu'excitent en eux les lois inaltérables de la sympathie ou de l'antipathie. Si cela est, comme tout nous le prouve... comme il est impossible d'en douter, quelle est donc la folie des hommes de se supposer une créature formée de deux substances distinctes, tandis que les bêtes, qu'ils regardent comme de pures machines matérielles, sont douées, en raison de la place qu'elles occupent dans la chaîne des êtres, de toutes les facultés qu'on remarque dans l'espèce humaine ! Un peu moins de vanité, et quelques instants de réflexion sur soi-même, suffiraient à l'homme pour se convaincre qu'il n'a de plus que les autres animaux que ce qui convient à son espèce dans l'ordre des choses ; et qu'une propriété indispensable de l'être auquel elle est attachée n'est point le présent gratuit de son fabuleux auteur, mais une des conditions essentielles de cet être, et sans laquelle il ne serait pas ce qu'il est. Renonçons donc au ridicule système de l'immortalité de l'âme, fait pour être aussi constamment méprisé que celui de l'existence d'un Dieu aussi faux, aussi ridicule que lui. Abjurons, avec le même courage, et l'une et l'autre de ces fables absurdes, fruits de la crainte, de l'ignorance et de la superstition ; ces épouvantables chimères ne sont plus faites pour en imposer à des gens tels que nous. Laissons la plus vile populace s'en repaître tant qu'elle le voudra ; mais ses préjugés, comme ses mœurs, ne doivent pas nous enchaîner un instant : qu'elle se console de sa misère par un avenir chimérique... Nous, heureux du présent, tranquilles sur ce qui le suit, n'aimant que nous, ne rapportant tout qu'à nous, les plus piquantes... les plus sensuelles voluptés sont seules faites pour fixer nos cœurs ; à elles seules doivent se rapporter nos cultes, nos uniques hommages. Mille et mille fois maudit soit l'épouvantable imposteur qui, le premier, s'avisa d'empoisonner les hommes par de telles infamies ; le plus affreux supplice eut encore été trop doux pour lui. Ah ! puisse-t-on y condamner de même tous ceux qui promulguent ou qui suivent d'aussi détestables erreurs ! - Je ne connais rien, dit Verneuil, qui mette à l'aise comme ces systèmes ; car il est bien certain que, d'après eux, n'étant plus les maîtres d'aucune des actions de notre vie, nous ne devons plus ni nous effrayer, ni nous repentir d'aucune. - Et, qui s'effraie ? dit Dorothée ; qui peut se repentir ? - Des esprits faibles, reprit Verneuil, des gens qui, point encore suffisamment familiarisés avec les vrais principes que vient d'établir mon neveu, conservent souvent malgré eux les sots préjugés de leur enfance. - Et voilà pourquoi, dit Bressac, je ne cesse de dire qu'on ne saurait étouffer trop tôt les germes de ces préjugés absurdes ; ce sont les premiers devoirs des parents... des instituteurs... de tous ceux à qui la jeunesse est confiée ; et j'estime un malhonnête homme, celui qui, dans cette classe, ne regarde pas comme son premier soin de les éteindre. - C'est aux plus fausses notions de la morale que sont dues, selon moi, toutes les imbécillités religieuses, dit Gernande. - C'est tout le contraire, répondit Bressac ; les idées religieuses furent les fruits de la crainte et de l'espoir ; et ce fut pour les fomenter et pour les servir que l'homme arrangea sa morale sur la bonté imaginaire de son absurde Dieu. - Ma foi, dit Gernande, en sablant du champagne, que l'un vienne de l'autre, ou que celui-ci ait produit le premier, toujours est-il que j'ai pour tous deux la plus profonde horreur, et que mon immoralité, fondée sur mon athéisme, me fera bafouer et ridiculiser les liens sociaux avec autant de charmes et d'énergie que je détruirai la religion. - Voilà comme il faut penser, dit Verneuil ; toutes ces imbécillités humaines ne peuvent enchaîner que les sots ; et des gens d'esprit tels que nous doivent les mépriser à jamais. - Il faut aller plus loin, dit d'Esterval, il faut les heurter de front ; il faut que toutes les actions de notre vie n'aient pour but que d'enfreindre la morale et de pulvériser la religion ; ce n'est que sur les débris de l'une et de l'autre de ces chimères que nous devons établir notre félicité dans ce monde. - Oui, dit Bressac ; mais je ne connais aucun crime qui satisfasse bien ce degré d'horreur que j'ai pour la morale ; aucun qui détruise, comme je le voudrais, toutes les superstitions religieuses. Qu'est-ce que tout ce que nous faisons ? Il n'y a dans tout cela rien que de simple. Tous nos petits forfaits immoraux se réduisent à quelques sodomies, quelques viols, quelques incestes, quelques meurtres ; nos petits crimes religieux, à quelques blasphèmes, quelques profanations. Y en a-t-il un de nous ici qui puisse se dire suffisamment délecté de ces misères ? - Non, certes, répondit la fougueuse épouse de d'Esterval ; je souffre peut-être encore plus que vous de la médiocrité des crimes dont la nature me laisse le pouvoir. Il n'y a, dans tout ce que nous faisons, que des idoles et des créatures d'offensées ; mais la nature ne l'est pas, et c'est elle que je voudrais pouvoir outrager. Je voudrais déranger ses plans, contrecarrer sa marche, arrêter le cours des astres, bouleverser les globes qui flottent dans l'espace, détruire ce qui la sert, protéger ce qui lui nuit, édifier ce qui l'irrite, l'insulter, en un mot, dans ses œuvres, suspendre tous ses grands effets ; et je ne puis y réussir. - Voilà ce qui prouve qu'il n'y a point de crime, dit Bressac ; le mot ne conviendrait qu'aux actions qu'établit ici Dorothée, et vous voyez qu'elles nous sont impossibles : vengeons-nous en sur ce qui nous est offert, et multiplions nos horreurs, ne pouvant les améliorer. On en était là de cette conversation philosophique, lorsque tout le monde s'aperçut d'un mouvement convulsif dans le cadavre de la Gernande. Victor eut une si grande peur, qu'il laissa tout aller sous lui ; mais Bressac le retenant aussitôt : - Ne vois-tu donc pas, petit imbécile, lui dit-il, que ce qui arrive là est précisément la preuve évidente de ce que j'ai avancé tout à l'heure, sur la nécessité du mouvement dans la matière. Vous voyez, mes amis, qu'il n'est nullement besoin d'âme pour faire mouvoir une masse. C'est par une suite de mouvements semblables que ce cadavre va se dissoudre... engendrer en même temps d'autres corps qui n'auront pas plus d'âmes que lui4. Allons, foutons, mes amis, poursuivit Bressac en s'introduisant au cul tout merdeux de Victor, oui, foutons ; que ce phénomène de la nature, l'un des plus simples de sa force motrice, ne prenne rien sur nos plaisirs. Plus la putain se développe à nous, et mieux nous devons l'outrager ; ce n'est qu'en l'invectivant qu'on la démêle : on ne la tonnait bien que par des outrages. D'Esterval s'empare de madame de Verneuil, qui, depuis quelque temps, paraît l'occuper beaucoup ; Verneuil rend à d'Esterval les cornes que lui fait porter celui-ci. - Un moment, dit Gernande ; avant que de vous indiquer la délicieuse jouissance que vous paraissez oublier, il faut que je donne l'essor au superflu de mes entrailles. - Ne sortez pas pour cela, mon oncle, dit Bressac toujours enculant ; on dit que vos selles sont des passions ; veuillez vous y livrer devant nous. - Réellement, vous voulez voir cela ? répondit Gernande. - Oui, oui, répondit d'Esterval, tout ce qui tient aux écarts du libertinage est sublime, et nous ne devons en perdre aucune leçon. - Vous allez donc être satisfaits, dit Gernande en tournant son énorme cul du côté des spectateurs. Et voici comme ce libertin procédait à cette dégoûtante opération. Quatre bardaches l'entouraient alors ; l'un lui soutenait le pot de chambre ; le second tenait une bougie très près du trou, pour que l'action fût bien éclairée ; le troisième lui suçait le vit ; et le quatrième tenant une serviette très blanche à la main, lui baisait la bouche. Gernande, appuyé sur les deux gitons de devant, poussait à demi-courbé : aussitôt que paraissait l'énorme quantité de merde qu'il était dans l'usage de déposer, vu l'immense nourriture qu'il prenait, le giton tenant le vase était obligé de louer l'excrément... « La belle merde ! s'écriait-il, ah ! monsieur, le superbe étron !... vous chiez délicieusement. » Avait-il fini ; le bardache armé de la serviette venait, avec sa langue, nettoyer les parois de l'anus, pendant que celui qui tenait le pot, le rapportant sous le nez de Gernande, le lui faisait examiner, en redoublant ses éloges. La bouche du suceur se trouvait alors pleine d'urine, qu'il était obligé d'avaler à mesure ; la serviette achevait de nettoyer l'anus ; et les quatre gitons, n'ayant plus rien à faire terminaient leurs opérations, en venant sucer fort longtemps, tour à tour, la langue, le vit et le trou du cul de ce libertin. - Oh ! foutre, dit Bressac toujours sodomisant Victor, qui maniait les fesses de sa jolie petite sœur Cécile pendant ce temps-là ; sacredieu, mes amis, je n'ai jamais vu chier si lubriquement... En vérité, je vais prendre la même habitude. Allons, mon oncle, dis-nous donc maintenant qu'elle est cette jouissance que tu prétends être oubliée ? - Vous allez le voir, dit Gernande en s'emparant de Justine, et la faisant lier par John et Constant, absolument ventre contre ventre, sur le cadavre de sa femme ; je vais en cet état, dit-il, enculer la soubrette, collée sur sa maîtresse. Vous m'avouerez, poursuit-il en exécutant, que cette circonstance vous était échappée. Chacun applaudit à l'idée et chacun veut l'exécuter, sitôt que Gernande a fini. Mais la malheureuse Justine répugne tellement à cette horreur que ses traits s'altèrent, elle s'évanouit. - Eh bien ! dit Bressac qui l'enculait pendant ce temps-là, ce seront deux mortes, au lieu d'une : il n'y a pas grand mal à cela. - Il faut la fouetter, dit Verneuil, la pincer vigoureusement ; soyez sûrs qu'il n'est que ce moyen pour redonner du ton aux organes. - Il vaudrait mieux atteindre les nerfs et les piquer, s'il était possible, dit d'Esterval, qui maniait les fesses de Cécile, pendant qu'un giton le branlait. - Il n'y a qu'à tout essayer en commençant par le plus simple, dit Verneuil, qui commençait à fouetter déjà la victime, tout en enculant Dorothée, dont la petite Rose suçait le clitoris ; si les premiers moyens ne réussissent pas, nous passerons de suite aux seconds. Heureusement ils furent inutiles, Justine, impitoyablement fustigée, rouvrit les yeux, et ce ne fut, hélas ! que pour se voir couverte de sang. « Oh ! grand Dieu ! dit-elle en arrosant de ses larmes le visage inanimé de sa maîtresse, contre lequel était collé le sien, oh ! juste ciel ! je serai donc toujours un objet de douleur et de scandale. Hâte-toi de trancher mes jours, Être suprême ; j'aime cent fois mieux la mort que l'horrible vie que je mène. » L'invocation n'excita que des éclats de rire, et les débauches se poursuivirent. Ici d'Esterval sortant du cul de madame de Verneuil, qu'il venait de limer un moment, s'approche du mari, et lui demande par quel motif il ne réunirait pas sa femme à sa belle-sœur. - Ah, ah ! dit Verneuil tout en sodomisant la femme de celui qui le questionne, est-ce que cette idée te fait bander ? - Tu le vois, répondit d'Esterval en montrant son engin menaçant le ciel ; je t'assure que le supplice de cette gueuse m'irriterait infiniment. Elle est d'un intérêt puissant dans les pleurs ; et je voudrais, poursuivit ce libertin en se branlant, lui en faire couler de réelles. - Eh bien ! mon ami, dit Verneuil, j'y consens ; mais voici les deux conditions que j'y mets. La première, qu'en tuant ma femme, tu me céderas la tienne, que j'aime beaucoup, et que je désire m'approprier. - Accordé, s'écrièrent à la fois d'Esterval et Dorothée. - La seconde clause, poursuivit Verneuil, est que le supplice que tu prépares à ma digne compagne soit épouvantable... qu'il s'exécute dans une chambre extrêmement voisine de celle où, pendant ce temps-là, je foutrai la tienne, afin que je décharge aux cris de ta victime. - Je souscris â tout cela, dit d'Esterval, mais j'exige également une condition de mon côté : il me faut une femme ; je te demande Cécile ; il sera délicieux pour moi d'épouser la fille, les mains teintes encore du sang de la mère. - Oh ! mon père, s'écria Cécile en frémissant de cette affreuse idée, pourriez-vous consentir à me sacrifier ainsi ? - Assurément, dit Verneuil, et la répugnance que tu montres cimente le contrat.. Je le signe. D'Esterval, vous avez ma parole ; formez un peu cette petite fille, je vous en prie. - Oh ! parbleu, dit Bressac, où sera-t-elle mieux pour se familiariser avec le meurtre, que dans une maison où l'on tue tous les jours. Eh bien ! moi, poursuivit Bressac, je demande le pot-de-vin du marché. - Quel est-il ? - Je vous prie, mon oncle, de me céder Victor votre fils ; j'aime à la folie ce jeune homme ; confiez-le moi pour deux ou trois ans, jusqu'à ce que j'aie pu perfectionner son éducation. - Il ne saurait être en de meilleures mains, dit Verneuil ; qu'il te ressemble, mon ami, c'est le plus heureux des souhaits que je puisse lui faire. Corrige principalement ses faiblesses ; initie-le dans nos principes ; automatise son âme, et fais-lui détester les femmes. - Il ne pourrait être mieux placé pour toutes ces choses, dit Justine ; le malheureux enfant ! quel dommage ! combien je le plains ! et... - Je suis bien loin d'en dire autant, interrompit vivement Dorothée, M. de Bressac est peut-être le meilleur instituteur que je connaisse ; je voudrais avoir dix enfants, je les lui confierais tous à la minute. - En vérité, mes amis, dit Gernande, je suis fort aise de vous voir aussi bien arrangés ; il me paraît que dans tout ceci je suis le seul qui soit oublié. - Non, dit Verneuil ; je voulais t'enlever Justine, je te la laisse ; ne te plains pas du lot ; il vaut bien tous les nôtres ; il n'est pas dans la société une plus belle fille, une plus douce, une plus vertueuse que celle-là. Tu m'as parlé d'un nouveau mariage ; Justine, au fait de la conduite à observer avec tes femmes, te devient réellement précieuse ; je renonce à tous mes projets sur elle ; tu vois, mon frère, que tu ne seras pas seul. - Ainsi donc, vous me quittez tous, dit Gernande. - Oh ! oui, demain ; c'est notre intention, dit d'Esterval. - Il faut s'y résoudre, dit Gernande ; allons, je vais me presser de prendre une autre femme, afin de nous réunir bientôt pour quelques nouvelles orgies. On se retira, D'Esterval, aidé de John et de l'une des vieilles, emmena madame de Verneuil dans une chambre sûre, et qui n'était séparée de celle de Verneuil que par la plus mince cloison. En partant, son féroce mari lui enfonça quelques instants le vit dans le cul ; elle pleura, et d'Esterval qui n'avait pas envie de la ménager, bandait constamment. Verneuil prit Marceline et Dorothée ; Cécile, Rose, Justine et deux gitons, furent la part de Gernande. La scène préparée fut horrible. Bressac et Victor s'étaient secrètement introduits chez d'Esterval ; et le plaisir de celui-ci et de son ami Bressac fut de faire supplicier la mère par l'enfant. On connaît assez le caractère de ce petit monstre, pour être sûr du plaisir que lui procura cette scène, et du courage qu'il mit à son rôle. Bressac et d'Esterval ne cessaient de le tenir tour à tour enculé, pendant qu'il exécutait les supplices ordonnés par eux. On laissa quelques heures ignorer à Verneuil la part qu'avait son fils à cette horreur. Nous verrons bientôt comment il l'apprit ; parlons avant du bonnet singulier dont on avait coiffé la victime. Comme on savait que les voluptés de Verneuil ne devaient s'allumer qu'aux cris qu'il allait entendre pousser à sa femme, on avait affublé son crâne d'un casque à tuyau, organisé de manière que les cris que lui faisaient jeter les douleurs dont on l'accablait ressemblaient aux mugissements d'un bœuf. - Oh ! foutre, qu'est ceci ? dit Verneuil en entendant cette musique, et se ruant sur la d'Esterval... il est impossible de rien entendre de plus délicieux... que diable lui font-ils donc, pour la faire beugler ainsi ? Enfin, les cris diminuèrent, et l'on entendit à leur place ceux de la crise de d'Esterval, communément très expressifs. - Il a fini, dit Verneuil en dardant également son foutre au cul de Dorothée... me voila veuf... - Je le crois, dit l'aimable épouse de d'Esterval, que Marceline branlait pendant ce temps-là ; mais il nous reste le douloureux regret de ne l'avoir pas vue. - Peut-être aurais-je eu moins de plaisir, dit Verneuil ; la scène à nu ne m'eût offert que des choses... que je sais par cœur... en laissant tout deviner â mon imagination, elle s'est bien plus irritée... - Oh ! mon ami, dit la nouvelle compagne de Verneuil, ce que tu dis là est délicieux ; j'aime ta tête à la folie, et je crois que nous ferons des choses bien fortes ensemble. - Oui, dit Verneuil, toujours sous la condition que je vous payerai... que je vous couvrirai d'or ; peut-être, sans cette clause, ne me verriez-vous plus rien éprouver pour vous... Et vous le savez, ma chère, il faut encore que cet argent s'emploie à des infamies ; il faudra que vous échauffiez ma tête du récit de celles que vous aurez payées de cet argent ; plus elles seront affreuses, plus vous recevrez de nouveaux fonds. - Oh ! sacredieu, répondit Dorothée, cet épisode étant de tous ceux que tu exiges de moi celui qui me plaît le plus, comment m'y refuserais-je ? L'argent n'est fait que pour se procurer des plaisirs. - Je n'en fais cas que comme l'instrument de tous les crimes et de toutes les passions, dit Verneuil ; et si j'avais le malheur d'en manquer, j'avoue qu'il ne serait pas de moyen dont je ne me servisse pour m'en procurer. - Quoi ! tu volerais ? - Oh ! je ferais pis. - Ah ! je le vois, Verneuil, ta tête s'échauffe ; il faut encore que tu perdes du foutre. - Faisons quelques nouvelles folies, mon ange... passe dans la chambre de ton mari, je l'entends foutimacer encore ; engage-le à te faire foutre par John sur le cadavre de ma femme... que je vous entende décharger tous deux... John et vous. Tu reviendras mouillée de foutre, et couverte du sang de ma femme ; je t'enculerai dans cet état, et je sens que cette recherche me fera goûter le plus grand plaisir... Mais, écoute... écoute une formalité qu'il y faut mettre pendant que tu agiras... tu le vois, Dorothée je bande en te prescrivant tout ceci ; pendant que tu te pâmeras, dis-je, sous le membre vigoureux de John, tu me crieras, tant que tu auras de force : Verneuil !... Verneuil ! tu es veuf et cocu ; mon mari vient d'assassiner ta femme... et moi, je t'outrage... Oui, mon ange, oui, tu me crieras ces mots de toutes tes forces et tu verras, au retour, l'état dans lequel de pareils propos m'auront mis. - Oh, Verneuil ! quelle imagination ! s'écria Dorothée en s'apprêtant à obéir... Oh ! mon cher Verneuil, quelle tête ! - Elle est pourrie... putréfiée, j'en conviens ; mais que veux-tu, ma chère ! si les débauches m'ont perdu, c'est à leur délire à me remettre. Quel fut l'étonnement de Dorothée, quand elle vit que Bressac et Victor venaient d'être les complices du crime exécuté près d'elle ! On lui fit signe de ne rien dire ; mais, au lieu de John, ce fut Victor qui lui mit le vît au derrière ; et, au moment de sa décharge, le petit coquin se met à crier : « C'est moi, mon père... c'est moi qui ai tué ta femme, et c'est moi qui te fais cocu. » Verneuil n'y tient pas ; il se précipite dans la chambre de d'Esterval, bandant comme un furieux. On lui fait voir le corps de sa femme, ou plutôt les lambeaux sanglants de cette malheureuse expirée dans des tourments qui feraient horreur à peindre. Verneuil encule son fils, qui, comme on vient de le dire, foutait Dorothée ; Bressac fout son oncle ; John sodomise Bressac ; Marceline fouette... encourage tous les acteurs de cette furibonde orgie, qui ne se ralentit que pour prendre de nouvelles formes et pour se prolonger jusqu'au lever de l'astre qui devait éclairer enfin la séparation de ces scélérats5. On imagine aisément que cette séparation ne se fit qu'avec les plus fortes promesses de se revoir bientôt ; chacun se le jura, et partit escorté des nouveaux amis qu'il emmenait. Gernande, de son côté, fut passer quelques jours au château de l'épouse qu'il convoitait et ramena bientôt dans le sien. Mme de Volmire n'accompagna point sa fille ; rongée de goutte et de rhumatismes, elle ne pouvait plus quitter son fauteuil ; moyennant quoi Gernande, en possession de la jeune personne, parvint bientôt à l'isoler comme l'autre. Au lieu de démence, on parle d'épilepsie ; la jeune comtesse a besoin d'être gardée à vue ; elle n'a pas un instant de calme ; la mère de cette infortunée, peu riche, et couverte de biens par Gernande, n'ose rien vérifier ; l'opinion prévaut ; on la maîtrise avec de l'argent ; et le libertin, en paix, jouit bientôt, avec cette nouvelle victime, des plaisirs qui le délectaient avec l'autre. Ce fut dans l'intervalle de ces nouveaux nœuds, que Justine pensa à la fuite ; et certes elle l'eût exécutée sur-le-champ, si elle n'eût entrevu l'espoir d'être plus heureuse avec cette seconde maîtresse, qu'avec celle que venait de lui enlever la cruauté de ces monstres. Mlle de Volmire, âgée de dix-neuf ans, bien plus belle et plus délicate encore que celle qui l'avait précédée, sut intéresser Justine à tel point qu'elle résolut de la sauver, quels que pussent en être les dangers. Il y avait environ six mois que le perfide Gernande assouplissait à ses infâmes caprices cette douce et charmante fille ; la saison allait ramener toute la bande infernale, et par conséquent les mêmes atrocités. Justine ne balança plus ; elle s'ouvrit à sa jeune maîtresse... lui témoigna avec tant de franchise le désir qu'elle avait de briser ses fers, que celle-ci lui donna toute sa confiance. Il s'agissait d'instruire la mère et de lui dévoiler les atrocités du comte. Mlle de Volmire ne doutait pas que celle qui lui avait donné le jour, telle incommodée qu'elle pût-être, n'accourût aussitôt pour la délivrer ; mais, comment réussir ? on était si soigneusement gardé. Accoutumée à sauter les remparts, Justine mesura de l'œil ceux de la terrasse ; à peine avaient-ils trente pieds. Aucune clôture extérieure ne parait à ses yeux ; elle croit être dans la route du bois, sitôt qu'elle aura franchi les murailles. Mlle de Volmire, arrivée de nuit, ne peut rectifier ses idées, et, pendant l'absence de Gernande, Justine, gardée par les vieilles, n'a pu se procurer aucunes connaissances locales. Notre brave et sincère amie se résout donc à tenter l'escalade. Volmire écrit à sa mère de la façon la plus faite pour l'attendrir et la déterminer à venir au secours d'une fille aussi malheureuse. Justine met la lettre dans son sein, embrasse cette chère et intéressante femme ; puis, aidée de ses draps, elle se laisse glisser au bas de la forteresse. Que devient-elle, grand Dieu ! quand elle reconnaît qu'il s'en faut bien qu'elle soit hors de l'enceinte, et qu'elle n'est que dans un parc environné des plus hautes murailles, dont la vue lui avait été dérobée par l'épaisseur et par la quantité des arbres ; ces murs, hauts de trente pieds, larges de trois, étaient garnis de verre sur leur crête... Que devenir ? Le jour allait la surprendre dans cette perplexité. Que penserait-on d'elle, en la voyant dans un lieu où l'on ne pouvait raisonnablement la trouver, qu'en lui supposant un projet constaté d'évasion ? Pourrait-elle se soustraire à la fureur du comte ? Quelle apparence que cet ogre pût lui faire grâce !... Il allait s'abreuver de son sang ; elle le savait ; c'était la peine promise... Le retour était impossible : Volmire avait aussitôt retiré les draps ; frapper aux portes, était se trahir plus sûrement encore. Peu s'en fallut que la tête de notre pauvre Justine ne tournât tout à fait alors, et qu'elle ne cédât aux violents effets de son désespoir. Si elle avait reconnu quelque pitié dans l'âme de son maître, l'espérance un instant l'eût peut-être abusée ; mais un tyran, un barbare, un homme qui détestait les femmes, et qui cherchait depuis longtemps l'occasion de l'immoler elle-même, en lui faisant perdre son sang goutte à goutte, pour voir combien d'heures elle serait à mourir par ce supplice ! quel moyen d'échapper à son sort ? Ne sachant donc que devenir, trouvant des dangers partout, elle se jette aux pieds d'un arbre, en se résignant en silence aux volontés de l'Éternel. Le jour paraît enfin ; le premier objet qui la frappe, est le comte lui-même. Il était sorti pour guetter des petits garçons auxquels il faisait tacitement permettre de venir ramasser des branches dans son parc, afin d'avoir le plaisir de les prendre sur le fait, et de les fouetter jusqu'au sang par punition. Une de ces expéditions se présente ; il la consomme ; il déchire les fesses du petit malheureux, le poursuit à coups de canne, quand ses yeux tombent sur Justine ; il croit voir un spectre... il recule. Rarement le courage est la vertu des traîtres. Justine se lève tremblante ; elle se précipite à ses genoux. - Que faites-vous là ? lui dit aigrement cet anthropophage. - Oh ! monsieur, punissez-moi, je suis coupable, et n'ai rien à répondre... L'infortunée... elle a malheureusement oublié de déchirer la lettre de sa maîtresse. Gernande la soupçonne ; il la demande, aperçoit le fatal écrit, le saisit, le dévore, et ordonne à Justine de le suivre. On rentre dans le château par un escalier dérobé qui donne sous les voûtes ; le plus grand silence y régnait. Après quelques détours, le comte ouvre un cachot ; il y précipite Justine. - Fille imprudente, lui dit-il, je t'avais prévenue que le crime que tu viens de commettre se punissait de mort ; prépare-toi donc à subir ce juste châtiment ; demain, en sortant de table, je viens t'expédier. La pauvre créature se précipite de nouveau aux genoux de ce barbare ; mais la saisissant par les cheveux, le cruel la traîne à terre, lui fait faire ainsi deux ou trois fois le tour de la prison, et finit par la précipiter contre les murs, de manière à l'y écraser. - Tu mériterais que je t'ouvrisse à l'instant les quatre veines, lui dit-il, en fermant la forte ; et si je retarde ton supplice, sois sûre que c est pour le rendre plus long et plus horrible encore. On ne se peint point la nuit que passa Justine ; les tourments de l'esprit, joints à plusieurs contusions que les traitements de Gernande venaient de lui faire éprouver, rendirent cette nuit l'une des plus affreuses de sa vie. Il faut avoir été malheureux soi-même pour se figurer les angoisses d'un infortuné qui attend son supplice à toute heure... à qui l'espoir est enlevé, et qui ne sait pas si la minute où il respire ne sera pas la dernière de ses jours. Incertain du genre des douleurs qui l'attendent, il se les représente sous mille formes plus horribles les unes que les autres. Le plus léger bruit lui paraît être celui de ses bourreaux ; son sang se glace ; son cœur s'arrête, et le glaive qui va terminer ses jours, est moins affreux pour lui, que l'instant qui le menaçait. Il est vraisemblable que le comte commença par se venger sur sa femme. L'événement qui sauva Justine, nous l'a fait au moins présumer. Il y avait trente-six heures que notre héroïne était dans la crise que nous venons de peindre, sans qu'on lui eût apporté aucun secours, lorsque les portes s'ouvrirent, et que Gernande parut à la fin. Il était seul ; la fureur éclatait dans ses yeux. - Vous connaissez, lui dit-il, la mort qui vous attend : il faut que ce sang pervers s'écoule en détail ; vous serez saignée trois fois par jour, je vous l'ai dit, c'est une expérience que je brûle de faire ; je vous remercie de m'en avoir fourni les moyens. Et le monstre, sans s'occuper pour lors d'autres passions que de sa vengeance, prend un des bras de Justine, le pique, et bande la plaie après l'effusion de trois palettes de sang. Il avait à peine fini, que des cris se font entendre. -Monsieur, monsieur, lui dit en accourant une des vieilles, venez au plus vite, madame se meurt, elle veut vous parler avant que de rendre l'âme ; et la messagère revole auprès de sa maîtresse. Quelque accoutumé que l'on soit au forfait, il est rare que la nouvelle de son accomplissement n'effraie celui qui vient de le commettre. Cette terreur fait rentrer un instant la vertu dans des droits que lui ravit bientôt le crime. Gernande sort égaré, il oublie de fermer les portes. Justine profite de la circonstance ; quelque affaiblie qu'elle soit par une diète de près de quarante heures, et par une abondante saignée, elle s'élance hors de son cachot, traverse les cours ; et la voilà dans le grand chemin, sans que qui que ce soit l'aperçoive... Marchons, se dit-elle, marchons avec courage ; si le fort méprise le faible, il est un Dieu puissant qui protège celui-ci, et qui ne l'abandonne jamais6. Peine de ces consolantes et chimériques idées, elle s'avance avec ardeur, et se trouve, vers la nuit, dans une chaumière, à plus de six lieues du château. Croyant sa maîtresse morte, n'ayant plus la lettre où l'adresse de la mère avait été mise, elle renonça à tout espoir d'être utile à la jeune Volmire, et partit dès le lendemain matin, abandonnant de même tout projet de plaintes, tant anciennes que nouvelles, et ne pensant plus qu'à se diriger sur Lyon, où elle arriva le huitième jour, bien faible, bien souffrante, mais sans avoir été poursuivie. C'est là, qu'après s'être reposée, rétablie pendant quelque temps, elle reprit la résolution de gagner Grenoble, où le bonheur (d'après ses idées) l'attendait infailliblement. Mais voyons, avant l'exécution de ce projet, tout ce qui lui arriva de fait pour être transmis au lecteur indulgent qui veut bien prendre la peine de nous lire. **** *creator_sade *book_sade_justine1799 *style_prose *date_1799 CHAPITRE XVII RENCONTRE SINGULIÈRE - PROPOSITION REFUSÉE - COMMENT JUSTINE EST RÉCOMPENSÉE D'UNE BONNE ŒUVRE - ASILE D'UNE TROUPE DE MENDIANTS - MŒURS ET COUTUMES DE CES INDIVIDUS Rien ne fait rêver comme le malheur ; toujours sombre, replié sur lui-même, celui que la fortune moleste accuse aigrement toute la terre, sans être assez juste un instant pour sentir que, dès qu'il y a une somme à peu près égale de faveurs et d'adversités dans le monde, il faut absolument que chacun ait une petite part de l'un et de l'autre1. Justine, d'après l'impulsion naturelle à tous les hommes, s'enveloppait donc un instant du crêpe lugubre de ses réflexions, lorsqu'une gazette lui tombe sous les yeux. Elle y lit que Rodin, cet artiste de Saint-Marcel, cet infâme qui l'avait si cruellement punie d'avoir voulu lui épargné le plus odieux, vient d'être nommé premier chirurgien de l'impératrice de Russie, avec des appointements considérables. « Grand Dieu, dit-elle avec étonnement, il est donc écrit dans le ciel que je ne dois voir que des exemples du vice récompensé et de la vertu dans les fers ! Eh bien ! qu'il triomphe, ce scélérat, puisque la Providence le veut ainsi, qu'il triomphe. Et toi, souffre, malheureuse ; mais souffre sans te plaindre ; c'est l'arrêt du destin ; soumets-toi, et quelque épineuse que soit la carrière, sache la parcourir avec fermeté ; la récompense est dans ton cœur, et la pureté de sa jouissance vaut mieux que tous les remords dont tes adversaires sont bourrelés... Elle ignorait, la pauvre créature, que le remords est nul dans des âmes semblables à celles qui faisaient le malheur de sa vie, et qu'il est une certaine période de méchanceté où l'homme, bien loin de s'affliger du mal auquel il se livre, ne se désespère que de la faiblesse où ses facultés le mettent d'en pouvoir commettre davantage. L'intéressante créature n'était pas au bout de ces exemples frappants du triomphe de la méchanceté ; exemples si décourageants pour la vertu... si délicieux pour le vice qui s'en amuse sans cesse ; et la perversité du personnage qu'elle allait retrouver devait la dépiter et la surprendre plus qu'aucun autre, sans doute, puisque c'était celle d'un des hommes dont elle avait reçu les plus sanglants outrages. Elle s'occupait de son départ, lorsqu'un laquais, vêtu de vert, lui remet, un soir, le billet suivant, en lui demandant une prompte réponse : « Une personne (lui disait-on dans cet écrit) à laquelle vous croyez quelques torts avec vous, brûle du désir de vous voir ; hâtez-vous de la venir trouver ; elle a des choses à vous apprendre qui, peut-être, l'acquitteront de ce que vous vous croyez dû. » - De quelle part venez-vous, monsieur ? dit Justine au laquais, je ne répondrai point que je ne sache quel est votre maître. - Il se nomme M. de Saint-Florent, mademoiselle ; il a eu le plaisir de vous connaître autrefois aux environs de Paris ; vous lui avez, prétend-il, rendu des services qu'il veut absolument reconnaître ; maintenant à la tête du commerce de cette ville, il y jouit à la fois d'une considération et d'un bien qui le mettent à même d'exécuter ses heureux projets envers vous. Il vous attend. Les réflexions de Justine furent bientôt faites. Si cet homme, pensait-elle, n'avait pas de bonnes intentions, serait-il vraisemblable qu'il lui écrivît de cette manière ? Il se repent sans doute de ses anciennes infamies ; il se rappelle avec effroi de m'avoir arraché ce que j'avais de plus cher ; de m'avoir réduite, par l'enchaînement de ces horreurs, au plus cruel état où puisse être une femme ; il se souvient des nœuds qui nous unissent. Oh ! oui, oui, ce sont des remords, volons-y ; je serais coupable envers l'Être suprême, si je ne me prêtais à les apaiser. Suis-je, d'ailleurs, en situation de rejeter l'appui qui se présente ? Ne dois-je pas plutôt saisir avec ardeur tout ce que le ciel offre à mon soulagement ? C'est dans son hôtel que cet homme veut me voir ; sa fortune doit l'entourer de gens devant lesquels il se respectera trop pour oser me manquer encore ; et dans l'état où je suis, grand Dieu ! puis-je inspirer autre chose que de la commisération et du respect. Ces combinaisons faites Justine assura le laquais que le lendemain, sur les onze heures, elle aurait l'avantage d'aller saluer son maître, pour le féliciter des faveurs qu'il avait reçues de la fortune ; mais qu'elle en était traitée bien différemment. Elle se coucha... si occupée de ce que cet homme voulait lui dire, qu'elle ne ferma pas l'œil de la nuit. Elle arrive enfin à l'adresse indiquée. Un hôtel superbe, une foule de valets, les regards humiliants de cette riche canaille sur l'infortune qu'elle méprise, tout lui en impose à tel point, qu'elle est au moment de se retirer, lorsqu'elle est abordée par le même laquais qui lui avait parlé la veille, et qui la conduit, en la rassurant, dans un cabinet somptueux, où elle reconnaît fort bien son bourreau, quoique âgé de quarante-cinq ans, et qu'il y en eût à peu près dix qu'il ne l'eut vu. Saint-Florent ne se leva point ; mais il ordonna qu'on le laisse seul, et fait signe à Justine de venir se placer sur une chaise, à côté du vaste fauteuil qui le contient. - J'ai voulu vous voir, ma nièce, dit-il avec le ton arrogant de la supériorité, non que je croie avoir de grands torts avec vous ; non qu'une fâcheuse réminiscence me contraigne à des réparations... au-dessus desquelles je me crois ; mais je me souviens que, dans le peu de temps que nous nous sommes vus, vous m'avez montré de l'esprit. Il en faut pour ce que j'ai à vous proposer ; et, si vous l'acceptez, le besoin que j'aurai de vous alors vous fera trouver, dans ma fortune, les ressources qui vous sont nécessaires, et sur lesquelles vous compteriez en vain, sans cela. Justine voulut répondre quelque chose à la légèreté de ce début ; mais Saint-Florent lui imposant silence : - Laissons ce qui s'est passé, lui dit-il ; c'est l'histoire des passions ; et mes principes me portent à croire qu'aucun frein n'en doit arrêter la fougue ; quand elles parlent, il faut les servir ; je ne connais point d'autre loi. Lorsque je fus pris par les voleurs, dans la compagnie desquels je vous trouvai, me vîtes-vous me plaindre de mon sort ? Se consoler et agir d'industrie, si l'on est le plus faible ; jouir de tous ses droits si l'on est le plus fort ; voilà mon système. Vous étiez jeune et jolie, Justine ; vous étiez ma nièce ; nous nous trouvions au fond d'une forêt ; il n'est point de volupté dans le monde qui allume mes sens comme le viol d'une fille vierge ; vous possédiez cette fleur dont je fais tant de cas ; je l'ai flétrie, je vous ai violée ; j'eus fait bien pis, si mes premières insultes n'eussent pas assuré mon triomphe, et que vous eussiez pu m'opposer quelque résistance. Mais, me direz-vous peut-être, pourquoi vous laisser sans ressources... au milieu de la nuit... dans une route dangereuse ? Ah ! Justine, je vous dévoilerais en vain ces motifs ; vous ne les entendriez pas. Les seuls êtres qui connaissent le cœur de l'homme... qui en ont étudié les replis... fouillé les coins les plus impénétrables, pourraient vous expliquer cette suite d'égarements. Vous m'aviez obligé, Justine ; vous m'aviez aidé à briser mes liens ; vous usurpiez des droits à ma reconnaissance ; vous m'apparteniez, en un mot ; en fallait-il donc plus à une âme comme la mienne, pour me porter à tous les crimes imaginables contre vous ? - Oh, monsieur ! de telles horreurs peuvent, dites-vous, se comprendre ? - Eh oui, Justine, eh oui ; tout se comprend dans l'âme d'un libertin ; chez lui tous les écarts s'enchaînent ; et, sitôt qu'on a démêlé le premier, tous les autres se devinent aisément. Vous le vîtes ; en venant de vous violer, de vous battre (car je vous battis, Justine), eh bien ! à vingt pas de là, songeant à l'état où je vous laissais, je retrouvai sur le champ, dans ces idées, des forces pour de nouveaux outrages, que je ne vous eusse peut-être jamais faits sans cela ; vous n'aviez été foutue qu'en con, je revins exprès pour vous enculer ; eussiez-vous eu mille pucelages, je les eusse tous cueillis l'un après l'autre. Il est donc vrai que, dans de certaines âmes, la volupté peut naître au sein du crime... Que dis-je ! il est donc vrai que le crime seul l'éveille et la décide, et qu'il n'est pas une seule volupté dans le monde, qu'il n'enflamme et qu'il n'améliore. - Oh ! monsieur, quelle atrocité ! - N'en pouvais-je pas commettre une plus grande ? Je pouvais vous assassiner, Justine ; je ne vous cache pas que j'en eus grande envie ; vous dûtes m'entendre revoler après vous dans cette intention ; vous étiez morte, si je vous eusse trouvée. Je me consolai de n'avoir pu vous joindre, par la certitude où j'étais, que, réduite aux dernières extrémités, la vie allait devenir pour vous un état plus cruel que la mort. Mais laissons cela, mon enfant ; et venons à l'objet qui m'a fait désirer de vous voir. Cet incroyable goût que j'ai pour l'un et l'autre pucelage d'une petite fille, ne m'a point quitté Justine, poursuivit Saint-Florent. Il en est de celui-là comme de tous les autres écarts de la luxure ; plus on vieillit, et plus ils prennent de force. De nouveaux désirs naissent des anciens délits, et de nouveaux crimes sont enfantés par ces désirs. Tout cela ne serait rien, si ce qu'on emploie pour réussir n'était pas soi-même très coupable ; mais comme le besoin du mal est le premier mobile de nos caprices, plus ce qui nous conduit est criminel, et mieux nous sommes irrités. Arrivés là, on ne se plaint plus que de la médiocrité des moyens ; plus leur atrocité s'étend, plus notre volupté devient piquante ; et l'on s'enfonce ainsi dans le bourbier, sans la plus légère envie d'en sortir. C'est mon histoire, Justine. Chaque jour deux jeunes enfants sont nécessaires à mes sacrifices : ai-je joui ; non seulement je ne revois plus les objets qui viennent de me servir ; mais il devient même essentiel à l'entière satisfaction de mes fantaisies que ces objets sortent aussitôt de la ville. Je goûterais mal les plaisirs du lendemain, si j'imaginais que les victimes de la veille respirassent encore le même air que moi. Le moyen de m'en débarrasser est facile. Le croirais-tu, Justine ? ce sont mes débauches qui peuplent le Languedoc et la Provence, de la multitude d'objets de libertinage que renferme leur sein2. Une heure après que ces petites filles m'ont servi, des émissaires sûrs les embarquent et les vendent aux appareilleuses de Nîmes, de Montpellier, de Toulouse, d'Aix et de Marseille. Ce commerce, sur lequel j'ai deux tiers de bénéfice, me dédommage amplement de ce que les sujets me coûtent, et je satisfais ainsi deux de mes plus chères passions... ma luxure et ma cupidité. Mais les découvertes, les séductions, me donnent de la peine. D'ailleurs, l'espèce de sujets importe infiniment à ma lubricité ; je veux qu'ils soient tous pris dans ces asiles de la misère, où le besoin de vivre et l'impossibilité d'y réussir, absorbant le courage, la fierté, la délicatesse, énervant l'âme enfin, décident, dans l'espoir d'une subsistance indispensable, à tout ce qui paraît devoir l'assurer. Je fais impitoyablement fouiller tous ces réduits : on n'imagine pas ce qu'ils me rendent. Je vais plus loin, Justine. L'activité, l'industrie, un peu d'aisance, en luttant contre mes subornations, me raviraient une grande partie des sujets. J'oppose à ces écueils le crédit dont je jouis dans cette ville ; j'excite des oscillations dans le commerce, ou des chertés dans les vivres, qui, multipliant les classes du pauvre, lui enlevant d'un côté les moyens du travail, et lui rendant difficiles de l'autre ceux de la vie, augmentent en raison égale la somme de sujets que la misère me livre. La ruse est connue, mon enfant : ces disettes de bois, de blé, et d'autres comestibles, dont Paris souffre depuis tant d'années, n'ont d'autres objets que ceux qui m'animent. L'avarice, le libertinage : voilà les passions qui, du sein des lambris dorés, tendent une multitude de filets sur l'humble toit du pauvre. Mais, quelque habileté que je mette en usage pour presser d'un côté, si des mains adroites n'enlèvent pas lestement de l'autre, j'en suis pour mes peines, et la machine va tout aussi mal que si je n'épuisais pas mon imagination en ressources, et mon crédit en opérations. J'ai donc besoin d'une femme leste, jeune, intelligente, qui, ayant elle-même passé par les épineux sentiers de la misère, connaisse mieux que qui que ce soit les moyens de débaucher celles qui y sont ; une femme dont les yeux pénétrants devinent l'adversité dans ses greniers les plus obscurs, et dont l'esprit suborneur en détermine les victimes à se tirer de l'oppression par les sentiers que j'aplanis ; une femme spirituelle enfin, sans scrupule comme sans pitié, qui ne néglige rien pour réussir... jusqu'à couper même le peu de ressources qui, soutenant encore l'espoir de ces infortunées, les empêche de se résoudre. J'en avais une excellente et sûre ; elle vient de mourir. On n'imagine pas jusqu'où cette délicieuse créature portait l'effronterie. Non seulement elle isolait ses victimes au point de les contraindre à venir l'implorer à genoux ; mais, si ces moyens ne lui succédaient pas assez tôt pour accélérer les chutes, la scélérate allait jusqu'à violer ces misérables : c'était un trésor. Il ne me faut que deux sujets par jour ; elle m'en eût donné dix, si je les eusse voulus. Il résultait de là que je faisais des choix meilleurs, et que la surabondance de la matière première de mes opérations me dédommageait de la main d'œuvre. C'est cette femme qu'il faut remplacer, ma chère ; tu en auras quatre à tes ordres, et deux mille écus d'appointements. J'ai dit. Réponds, Justine ; et surtout que des chimères ne t'empêchent pas d'accepter ton bonheur, quand le hasard et ma main te l'offrent. - Oh ! monsieur, répondit Justine à ce malhonnête homme, en frémissant de ses discours, est-il possible, et que vous puissiez concevoir de telles voluptés, et que vous osiez me proposer de les servir ? Que d'horreurs vous venez de me faire entendre ! Homme cruel, si vous étiez malheureux seulement deux jours, vous verriez comme ces systèmes d'inhumanité s'anéantiraient bientôt dans votre cœur ; c'est la prospérité qui vous aveugle et qui vous endurcit. Vous vous blasez sur le spectacle des maux dont vous vous croyez à l'abri ; et parce que vous espérez ne les point sentir, vous vous supposez en droit de les infliger. Puisse le bonheur ne point approcher de moi, dès qu'il peut corrompre à ce point ! Juste ciel ! ne se pas contenter d'abuser de l'infortune... pousser l'audace et la férocité jusqu'à l'accroître... jusqu'à la prolonger, pour l'unique satisfaction de ses désirs ! Quelle cruauté, monsieur ! les bêtes les plus féroces ne vous donnent pas d'exemples d'une barbarie semblable ! - Tu te trompes, Justine, dit Saint-Florent ; il n'y a pas de fourberies que le loup n'invente pour attirer l'agneau dans ses pièges. Ces ruses sont dans la nature, et la bienfaisance n'y est pas : elle n'est qu'un caractère de la faiblesse préconisée par l'esclave, pour attendrir son maître, et le disposer à plus de douceur ; elle ne s'annonce jamais chez l'homme que dans deux cas : ou s'il est le plus faible, ou s'il craint de le devenir : la preuve que cette prétendue vertu n'est pas dans la nature, c'est qu'elle est ignorée de l'homme le plus rapproché d'elle. Le sauvage, en la méprisant, tue sans pitié son semblable, ou par vengeance ou par avidité... Ne la respecterait-il pas, cette vertu, si elle était écrite dans son cœur ? Mais elle n'y parut jamais. La civilisation, en épurant les individus, en distinguant des rangs, en offrant un pauvre aux yeux du riche, en faisant craindre à celui-ci une vexation d'état qui pouvait le précipiter dans le néant de l'autre, mit aussitôt dans son esprit le désir de soulager l'infortune pour être soulagé à son tour s'il perdait ses richesses. Alors naquit la bienfaisance, fruit de la civilisation et de la crainte ; elle n'est donc qu'une vertu de circonstance, mais nullement un sentiment de la nature, qui ne plaça jamais dans nous d'autre désir que celui de nous satisfaire, à quelque prix que ce pût être. C'est en confondant ainsi tous les sentiments, c'est en n'analysant jamais rien, qu'on s'aveugle sur tout et qu'on se prive de toutes les jouissances. - Ah ! monsieur, dit Justine avec chaleur, peut-il en être une plus douce que celle de soulager l'infortune ? Laissons à part la frayeur de souffrir soi-même. Y a-t-il une satisfaction plus vraie que celle d'obliger, jouir des larmes de la reconnaissance ; partager le bien-être qu'on vient de répandre chez des malheureux qui, semblables à vous, manquaient néanmoins de choses dont vous formez vos premiers besoins ; les entendre chanter vos louanges et vous appeler leur père, replacer la sérénité sur les fronts obscurcis par la défaillance, par l'abandon et le désespoir ? Non, monsieur, nulle volupté dans le monde ne peut égaler celle-là ; c'est celle de la divinité même ; et le bonheur qu'elle promet à ceux qui l'auront servie sur la terre ne sera que la possibilité de voir ou de faire des heureux dans le ciel. Toutes les vertus naissent de celle-là, monsieur : on est meilleur père, meilleur fils, meilleur époux, quand on connaît le charme d'adoucir l'infortune. Ainsi que les rayons du soleil, on dirait que la présence de l'homme charitable répand sur tout ce qui l'entoure la fertilité, la douceur et la joie ; et le miracle de la nature, après ce foyer de lumière céleste, est l'âme honnête, délicate et sensible, dont la félicité suprême est de travailler à celle des autres. - Phœbus que tout cela, Justine, répondit cet homme cruel ; les jouissances de l'homme sont en raison de la sorte d'organes qu'il a reçus de la nature. Celles de l'individu faible, et par conséquent de toutes les femmes, doivent porter à des voluptés morales plus piquantes pour de tels êtres que celles qui n'influeraient que sur un physique entièrement dénué d'énergie. Le contraire est l'histoire des âmes fortes, qui bien mieux délectées des chocs vigoureux imprimés sur ce qui les entoure, qu'elles ne le seraient des impressions délicates ressenties par ces mêmes êtres existant auprès d'eux, préfèrent inévitablement, d'après cette constitution, ce qui affecte les autres en sens douloureux à ce qui ne toucherait que d'une manière plus douce. Telle est l'unique différence des gens cruels aux gens débonnaires : les uns et les autres sont doués de sensibilité ; mais ils le sont chacun à leur manière. Je ne nie pas qu'il n'y ait des jouissances dans l'une ou l'autre classe, mais je maintiens avec beaucoup de philosophes que celles de l'individu organisé de la manière la plus vigoureuse seront incontestablement plus vives que toutes celles de son adversaire, et, ces symptômes établis, il peut et il doit se trouver une sorte d'hommes qui trouvent autant de plaisir dans tout ce qu'inspire la cruauté, que les autres en goûtent dans la bienfaisance ; mais ceux-là seront des plaisirs doux, et les autres des plaisirs fort vifs. Les uns seront les plus sûrs, les plus vrais, sans doute, puisqu'ils caractérisent les penchants de tous les hommes encore au berceau de la nature, et des enfants même avant qu'ils n'aient connu l'empire de la civilisation ; les autres ne seront que l'effet de cette civilisation, et par conséquent des voluptés trompeuses et sans aucun sel. Au reste, mon enfant, comme nous sommes moins ici pour philosopher que pour consolider une détermination, ayez pour agréable de me donner votre dernier mot... Acceptez-vous, ou non, le parti que je vous propose ? - Assurément je le refuse, monsieur, répondit Justine en se levant. Je suis bien pauvre... oh ! oui, bien pauvre, monsieur ; cependant, plus riche des sentiments de mon cœur que de tous les dons de la fortune ; jamais je ne sacrifierai les uns pour posséder les autres ; je saurai mourir dans l'indigence, mais je n'outragerai point la vertu. - Sortez, dit froidement cet homme détestable, et que je n'aie pas surtout à craindre de vous des indiscrétions ; vous seriez bientôt mise en un lieu d'où je n'aurais plus à les redouter. Rien n'encourage la vertu comme les craintes du vice. Bien moins timide qu'elle ne l'aurait cru, Justine, en promettant à ce scélérat qu'il n'aurait rien à redouter d'elle, lui rappela qu'il devait au moins lui rendre l'argent qu'il lui avait dérobé. - Vous devez bien sentir, monsieur, lui dit-elle, que cet argent me devient indispensable dans la situation où je suis ; et je vous crois trop juste pour me le refuser. Mais le monstre répondit durement qu'il ne tenait qu'à elle d'en gagner, et qu'aussitôt qu'elle ne s'en souciait pas, il ne devenait nullement obligé de la secourir. - Non, monsieur, répondit-elle avec fermeté, non, je vous le répète, je périrais mille fois plutôt que de sauver mes jours à ce prix, - Et moi, dit Saint-Florent, il n'y a de même rien que je préfère au chagrin de donner mon argent sans qu'on le gagne. Cependant, malgré l'insolence de votre refus, je veux bien encore rester un quart d'heure avec vous. Passez dans ce boudoir, et quelques instants d'obéissance vont remettre vos fonds dans un meilleur ordre. - Je n'ai pas plus d'envie de servir vos débauches dans un sens que dans un autre, monsieur, répondit froidement Justine. Ce n'est point la charité que je vous demande, je ne vous procure pas cette jouissance ; ce que je réclame est ce qui m'est dû... ce que vous m'avez volé de la plus insigne manière. Garde-le, homme cruel, garde-le, si bon te semble ; vois sans pitié mes larmes ; entends, si tu peux sans t'émouvoir, les tristes accents du besoin ; mais souviens-toi que si tu permets cette nouvelle infamie, j'aurai, au prix de ce qu'elle me coûte, acheté le droit de te mépriser à jamais. Justine aurait dû se souvenir ici que la vertu ne lui réussissait pas mieux quand elle en adoptait le langage, que quand elle en suivait les préceptes. Saint-Florent sonne ; son valet de chambre paraît. Voilà, dit le scélérat à cet agent de ses débauches, une petite créature qui m'a volé autrefois ; je la ferais pendre, si j'exécutais mon devoir ; je veux bien cependant lui sauver la vie ; mais, comme il est essentiel d'en délivrer la société, saisissez-la et qu'on l'enferme sur-le-champ dans cette chambre sûre que nous avons là-haut ; ce sera sa prison pour dix ans, si elle se conduit bien ; son cercueil éternel, si nous avons à nous en plaindre. Lafleur s'empare à l'instant de Justine, et se dis pose à l'entraîner, lorsque celle-ci pousse des cris assez perçants pour faire redouter une scène. Saint-Florent, furieux, lui entortille la tête, lui fait lier les mains ; puis, aidant lui-même à son valet, tous deux enlèvent au grenier cette malheureuse, et la jettent dans une chambre assez bien fermée pour n'avoir rien à craindre, ni de ses plaintes, ni de son évasion. Il n'y avait pas une heure qu'elle y était, lorsque Saint-Florent parut ; Lafleur l'accompagnait. Eh bien, lui dit ce monstre de luxure, oserez-vous encore vous soustraire à mes fantaisies ? - Le désir est égal, répondit fièrement Justine, la faculté seule n'est plus la même. - Tant mieux, répondit Saint-Florent ; ce sera donc malgré vous que j'agirai, et cette clause est indispensable au complément de mes désirs : qu'on déshabille cette putain... Ah, ah, dit Saint-Florent dès qu'il aperçoit la funeste marque, il me paraît que ma chère nièce n'a pas toujours été aussi vertueuse qu'elle veut bien nous le persuader, et voici des traces ignominieuses qui nous dévoilent suffisamment sa conduite. - En vérité, monsieur, dit Lafleur, cette coquine peut vous déshonorer, quand vous vous en serez satisfait, je vous conseille de la faire mettre dans quelque cachot où l'on n'entende jamais parler d'elle. - Monsieur, monsieur, interrompit Justine avec impatience, daignez m'entendre avant que de me condamner. Et la pauvre fille explique alors toute l'énigme. Mais quel que soit l'air de vérité qu'elle mette à raconter sa malheureuse histoire, Saint-Florent, incrédule, n'en redouble pas moins ses sarcasmes ; les injures, les humiliations n'en sont pas moins prodiguées par ce monstre à cette créature angélique, et d'un mérite bien plus grand que lui aux regards de l'Être suprême. Justine, nue, fut brutalement traitée par ces deux hommes ; obligée de se prêter également aux attouchements lascifs... aux dégoûtantes caresses de l'un et de l'autre. Ses dégoûts... ses défenses... tout devint inutile, il fallut céder. - Sais-tu, dit le maître à son confident, si j'ai là-bas une petite fille ? - Cela doit être, monsieur ; l'heure est sonnée, et vous connaissez l'exactitude de celles qui vous servent. - Va me la chercher. Et, pendant que le valet exécute la commission, on n'imagine pas à quoi s'amuse l'insigne libertin. Tristes effets de l'égarement ! il semble que l'homme abandonne absolument sa raison, quand il devient l'esclave de ses caprices ; et entre l'insensé et lui, la différence alors est en vérité bien imperceptible. Le vilain, plus par envie d'humilier cette intéressante créature, que par aucune espèce de sensation lubrique... en pourrait-il être à ces turpitudes !... l'infâme, dis-je, crachait au milieu de la chambre, et contraignait Justine à nettoyer la place avec sa langue. Elle refuse ; quelques mots de sa part annoncent encore de l'orgueil. Saint-Florent la saisit, et lui courbant la tête : - Chétive créature, lui dit-il en la contraignant à ses sales désirs, il te convient bien de résister à mes fantaisies ; infiniment trop heureuse de t'y soumettre, ne devrais-tu pas les prévenir ? Il faudra bien que tu fasses pis tout à l'heure, quand ma victime sera devant toi... Et cette victime annoncée paraît. C'était une enfant de huit ans, dans un état de misère et de dépérissement si complet, que la pitié devenait le seul sentiment qu'elle paraissait devoir inspirer. Déshabille toi-même cette petite fille, dit Saint-Florent à la triste Justine ; c'est de ta main que je veux la recevoir. Lafleur, branle mon vit à ce spectacle. Et l'impudique maniait les fesses de son confident, pendant que celui-ci le polluait de son mieux. Prépare-moi les voies, dit le libertin à notre héroïne ; humecte avec ta bouche le con de cette enfant, laisses-y beaucoup de salive. Guidé par son valet, Saint-Florent se présente ; en un instant la place est emportée ; cris, résistances, larmes, plaintes, égratignures, rien ne l'étonne ; il veut, au contraire, qu'on l'outrage, et c'est dans cette intention qu'il laisse toute espèce de liberté à sa victime. Mais il n'en est pas de même de notre pauvre orpheline, elle va servir de plastron pendant la célébration du sacrifice. Lafleur s'étend sur le lit ; il attire Justine sur lui, l'enconne, la contient dans ses bras, et présente, par cette posture, le cul de notre aventurière aux attentats de Saint-Florent. Armé d'une longue aiguille d'acier, le barbare, tout en foutant, tout en déchirant la petite fille, se divertit à piquer les belles chairs qui lui sont présentées ; chaque coup d'aiguille fait jaillir le sang ; et c'est enfin quand le scélérat le voit couler sur les cuisses de cette infortunée, et sur le visage de la petite fille qu'il enconne, c'est alors qu'il songe aux changements de main. - Enculons, dit-il à Lafleur ; sodomise Justine dans la même posture ; je ne ferai, moi, que retourner la mienne. La petite fille, avant tout, a ordre de présenter son derrière à Justine, qui reçoit de son côté celui de le lui humecter, comme elle a fait le devant, Saint-Florent sodomise, Lafleur encule, et voilà le con de Justine offert à la fatale aiguille. - Ah ! foutre, dit Saint-Florent extasié, quel plaisir de piquer un con en foutant un derrière !... La garce !... Qu'en dis-tu Lafleur ?... Je la larderais comme une poularde. Et toutes les parties qu'offrait Justine à son persécuteur furent bientôt traitées comme venaient de l'être les autres... le sang ruissela de partout. - Voilà l'état où je veux lui faire l'honneur de la foutre encore une fois, dit Saint-Florent en quittant le cul de sa pucelle pour s'introduire au con qu'il vient de molester. Ah ! dit-il en se pressant sur sa victime, c'est ainsi que j'aime à jouir d'une femme ; rien ne me plaît comme quand mes cuisses s'imprègnent du sang que fait couler ma fureur. Et, soulevant aussitôt sa jouissance, il dérange par ce moyen le vit de son valet, et le remplace dans le cul de Justine. Coule-toi sous elle, dit-il à LafLeur, et viens te venger sur mon cul du dérangement que je te cause ; crois-tu que mon anus ne vaudra pas celui d'une putain ?... Tout s'exécute ; et ce sont maintenant les fesses de la petite fille que déchire le funeste aiguillon. Cependant Saint-Florent s'échauffe, son sperme est prêt à jaillir ; il encule, on le sodomise, il tourmente. Que de délicieux épisodes pour un libertin de ce genre ! Ahe !... ahe !... ahe !... s'écrie-t-il. (C'est sa passion que nous peignons ici d'après nature)... Ahe ! ahe !... qu'on me donne des couteaux... des poignards... des pistolets... que je tue... que je massacre... que je déchire... que j'assassine tout ce qui m'environne. Et le foutre, enfin exhalé de la couille impudique de ce monstre de luxure, en faisant renaître un peu de tranquillité, donne aux victimes le temps de se remettre. - Justine, dit Saint-Florent au bout d'un moment de calme, je vous ai dit combien il importait à mes jouissances nouvelles que l'objet des anciennes disparût aussitôt que je m'en étais rassasié. Me jurez-vous de quitter à l'instant Lyon ? à cette condition seule je vous rends votre liberté ; si, dans deux heures, vous êtes encore dans la ville, vous pouvez être sûre qu'une éternelle prison punira votre désobéissance. - Oh, monsieur, je n'y serai plus... je vais obéir, monsieur ; soyez-en bien sûr... ouvrez-moi les portes ; vous ne me reverrez de vos jours. Et la pauvre fille se rhabillant aussitôt, retraverse avec promptitude une maison où on la traite aussi cruellement, la quitte... vole à son auberge, dont elle sort quelques heures après, pour aller coucher au delà du Rhône. - Oh ! ciel, dit-elle en s'enfuyant... quelle dépravation ! quelle horreur !... C'est au sein des larmes et de l'infortune que le monstre allume ses lubricités... Malheur !... cent fois malheur à l'être dépravé qui peut soupçonner des plaisirs sur un sein que le besoin consume... qui cueille des baisers sur une bouche que la faim dessèche, et qui ne s'ouvre que pour le maudire. Fuyons. Justine fut bientôt hors de la ville. Mais on eût dit que les malheurs et les aventures devaient entraver toutes ses démarches, et que le destin, irrité contre elle, devait la faire heurter contre tous les projet de vertu que pouvait concevoir sa belle âme. A peine a-t-elle fait deux lieues à pied, comme à son ordinaire, deux chemises et quelques mouchoirs dans ses poches, qu'elle rencontre une vieille femme, qui l'aborde avec l'air de la douleur, et qui la conjure de lui faire l'aumône. Loin de la dureté dont elle vient de recevoir d'aussi cruels exemples, ne connaissant de bonheur au monde que celui d'obliger, elle sort à l'instant sa bourse à dessein d'en tirer un écu, et de le donner à cette femme. Mais l'adroite créature, qui n'avait emprunté le masque de la vieillesse que pour tromper Justine, saute lestement sur la bourse, la saisit, renverse celle qui la tient d'un vigoureux coup de poing dans l'estomac, et disparaît dans un taillis. Justine, bientôt relevée, s'élance sur les pas de celle qui la vole, l'atteint, et tombe avec elle par une trappe que déguisait à tous les yeux le bouquet de bois dans lequel elle était pratiquée. La chute était considérable ; mais elle avait été si douce, qu'à peine avait-elle pu s'en apercevoir. Elle se trouvait, avec sa voleuse, dans un vaste souterrain, creusé à plus de cent toises aux entrailles de la terre, mais beau, et parfaitement meublé. - Qu'est ceci, Séraphine ? dit un gros et grand homme assis devant un bon feu ; quel est l'individu qui t'accompagne dans notre demeure ? - C'est une petite dupe, répondit la voleuse ; je l'ai attendrie, elle m'a donné l'aumône ; je lui ai dérobé son argent, elle a couru après moi, et, nous trouvant toutes deux, au même instant, sur la trappe, nous sommes arrivées ensemble. Capitaine, cette fille nous sera utile, et je ne suis pas fâchée de la rencontre. - Cela pourrait effectivement nous convenir, répondit le chef en faisant approcher Justine ; elle n'est pas mal ; et, ne fit-elle que servir aux amusements de la compagnie, ce serait toujours un poste à remplir ... Et Justine fut aussitôt entourée d'hommes, de femmes... d'enfants, de tout âge et de toute figure, mais dont la mauvaise mine ne lui donnait pas une haute opinion de la société où elle se trouvait. Chacun l'environne... l'admire, chacun lâche son mot ; et tout ce que Justine continue de voir et d'entendre achève de la convaincre qu'elle est dans la plus mauvaise compagnie. - Monsieur dit-elle en tremblant au capitaine, n'y a-t-il point d'indiscrétion à vous prier de me dire avec quelles personnes je me trouve ? Je vous entends disposer de moi sans mon aveu ; les lois de la décence et de l'équité ne vous règlent-elles donc pas ici comme sur la surface de la terre ? - Mignonne, dit le chef, commence par manger ce biscuit en avalant un verre de vin ; écoute-nous ensuite, et tu vas apprendre à la fois quels sont les gens chez qui tu es... quel est l'emploi qu'ils te préparent. Notre héroïne, un peu plus tranquille, d'après l'honnêteté de ce procédé, accepte ce qu'on lui présente, s'assied, et prête l'oreille. - Les individus, au milieu desquels ton étoile te place, dit le capitaine après avoir reniflé deux prises de tabac, sont ce que l'on appelle des mendiants. C'est nous, ma fille, qui après avoir converti la gueuserie en art, réussissons, par nos secrets et notre éloquence, à si bien émouvoir la commisération des hommes, que nous vivons à leurs dépens, toute l'année, dans le luxe et l'abondance. Comme il n'est point une plus sotte vertu que la pitié, aussi n'en est-il point de plus facile à allumer dans le cœur de l'homme. Quelques accents de voix plaintifs, une éloquence de situation, des maux supposés, des plaies contrefaites, un costume dégoûtant : telles sont les ruses qui servent à mouvoir les ressorts de l'âme, et qui nous assurent une aisance perpétuelle dans la fainéantise et l'oisiveté. Nous sommes environ cent dans ce souterrain ; un tiers est toujours en exercice, pendant que le reste boit, mange, fout et se divertit. Jette les yeux sur le tas de béquilles... de bosses, d'emplâtres qui nous déguisent, sur ces herbes qui nous défigurent3, sur ces enfants dont nous nous servons pour entrouvrir les entrailles des mères : voilà nos fonds, nos biens, nos immeubles ; voilà l'assiette certaine de nos revenus. Nos procédés, quoique à peu prés toujours les mêmes, varient cependant en raison des circonstances. Humbles et languissants, si nous nous trouvons les plus faibles ; insolents, escrocs et voleurs, dès que la force est de notre côté. - Mais, vous ne tuez pas, au moins, messieurs ? interrompit la compatissante Justine, avec cette tendre effusion de cœur qui caractérisait si bien sa belle âme. - Assurément, ma chère, répondit le chef, nous ne nous en faisons aucune difficulté, si l'on nous résiste, et que nous puissions nous convaincre qu'un coup de poignard ou de pistolet doive constater notre victoire. Le meurtre n'est pas pour nous d'une assez grande conséquence, pour que nous croyions pouvoir nous passer des moyens qu'il nous donne, si ces moyens assurent nos intérêts. Vous verrez souvent arriver ici, par le même chemin qui nous y mène, des individus qui n'y paraîtront que pour y perdre la vie. Après avoir fait une prise considérable sur quelqu'un, nous croyez-vous assez imprudents pour lui laisser la faculté de se plaindre et de nous découvrir ? Nous ne sommes cependant ni voleurs ni assassins de profession. Notre unique métier est la gueuserie ; nous mendions, et, après cela, nous suivons le cours des circonstances. Notre objet est de nous emparer du bien d'autrui ; nous parcourons la ligne indiquée, et, pourvu que nous réussissions, il devient ensuite à peu près égal que ce soit par telle ou telle voie. L'argent arrive dans le souterrain ; qu'il soit donné de bonne grâce ou enlevé de force, c'est sur quoi nous ne chicanons jamais ceux qui nous l'apportent. Avec une telle morale, avec une semblable profession, vous devez imaginer, ma fille, que toutes les espèces de vices doivent triompher parmi nous, et certes, vous ne vous trompez pas, si telle est votre opinion. La gourmandise, l'ivrognerie, la fourberie, le mensonge, l'hypocrisie, l'impiété, et plus particulièrement la luxure et la cruauté, règnent ici comme dans leur empire ; et nos lois particulières, loin de sévir contre ces écarts, les alimentent et les entretiennent. Il est certain d'abord, ma chère fille, que votre âge et votre jolie figure vont vous contraindre à satisfaire indifféremment tous les caprices, toutes les fantaisies de nos camarades, de quelque sexe, de quelque âge ou de quelque tournure qu'ils soient. Ces premiers feux apaisés, nous vous donnerons de l'emploi ; si nous vous reconnaissons des dispositions, des talents, vous serez placée dans les premiers postes ; si vous répugnez à nos usages... si notre métier ne vous convient pas, vous ne sortirez pas du souterrain. Réduite alors au seul service de l'intérieur, vous serez utile au logis, et vous servirez nos passions. Toute la troupe applaudit à ce discours. Le chef, ayant assemblé ce qu'il y avait là de notables, ses décisions eurent à l'instant force de loi ; et il fut intimé à la demoiselle Justine, d'avoir à se mettre nue sur-le-champ, pour, après l'examen qui serait fait d'elle, avoir à satisfaire d'abord aux passions du chef... des notables, et ensuite de tous ceux de la troupe, hommes ou femmes qui voudraient d'elle. La malheureuse Justine n'a pas plutôt entendu cet arrêt, qu'elle se jette, en larmes, aux pieds de ses juges, pour les supplier de ne pas la soumettre à des infamies qui lui coûtent tant... De violents éclats de rire sont la seule réponse qu'elle obtient. - Pudique enfant, lui dit le chef, comment as-tu pu supposer que ceux qui se font un jeu d'émouvoir la pitié dans les autres, eussent la faiblesse d'en être eux-mêmes susceptibles ? Apprends, poulette, apprends que nos cœurs sont durs comme les rochers qui nous servent de toit. Et comment voudrais-tu que la multitude de crimes où nous nous livrons tous les jours pût laisser en nous quelque accès au sentiment de la pitié ? Obéis, coquine, obéis ; il pourrait y avoir du danger à te le faire répéter une seconde fois. Justine ne trouve plus de réponse ; et ses cotillons, promptement à bas, laissent bientôt jouir la gaillarde assemblée d'un des plus beaux corps de femme qu'elle eût encore aperçu depuis longtemps. Objet de la curiosité de l'un et l'autre sexe, notre belle enfant est bientôt visitée, caressée, baisée par toutes les femmes, aussi chaudement que par les hommes, lorsque l'un d'eux (c'est le fils du chef), apercevant la fatale marque, la fait voir aussitôt à tout le monde. - Qu'est ceci, pucelle ? dit l'un des membres du sénat, il me semble qu'imprimée de cette manière, on n'a pas envie de te perdre ; et, puisque tu fraternises avec nous par ces stigmates, tu n'aurais pas dû, ce me semble, contrefaire aussi bien la prude. Justine alors raconte son histoire ; mais aussi peu crue là que chez Saint-Florent, en l'assurant que ce petit malheur ne lui fera nul tort dans la troupe, on l'exhorte pourtant à ne plus se revêtir des voiles de la pudeur. Cette inconséquence, lui assure-t-on, pourrait bien, après ce que l'on voit, aigrir au lieu d'intéresser. -- Mon enfant, dit le chef en se découvrant une épaule où pareille écriture se déchiffrait au mieux, tu vois que nous nous ressemblons ; ainsi, crois-moi, ne rougis plus de ce qui t'assimile à ton chef, et apprends que ces marques, loin d'être des flétrissures, sont les lauriers de notre état ; baise celle-ci, je vais coller mes lèvres sur celle que tu me montres. Nous sommes trente ici dans le même cas ; eh bien ! voilà pourtant les gens à qui tu donnes l'aumône ; voilà ceux qui ont le talent de t'attendrir et de tirer des écus de ta poche, au nom de Dieu dont nous nous moquons. Allons, suis-nous, bel ange, continue le chef en attirant Justine à lui dans un caveau séparé ; moi et ces vieillards, qui sont mes acolytes, nous allons commencer à tâter le terrain ; nous en rendrons compte à nos camarades, auxquels, ensuite, nous abandonnerons la place, si elle vaut la peine d'être occupée. Les sexagénaires, assaillants de Justine, étaient, en tout, au nombre de six. Des lampes perpétuelles brûlaient dans le caveau où on la conduisait ; des matelas par terre en rendaient le sol assez doux : c'était le boudoir de ces messieurs. - Justine, dit un de ces vieillards, livrez-vous d'abord à notre chef ; nous passerons ensuite par rang d'âge. Notre coutume, au reste, étant de nous livrer les uns devant les autres aux voluptés de la luxure, ne vous effarouchez pas, mon enfant, de nous avoir pour témoins de votre obéissance. Gaspard prend Justine ; mais, trop usé pour en jouir, il se contente de quelques préliminaires ; et, après s'être secoué un quart d'heure, il lui décharge au milieu des tétons. Raymond, qui suit, a vécu dans le monde ; c'est un vieil escroc des brelans de Paris ; ses passions, plus usées, exigent davantage. Il lèche le foutre que vient d'exhaler son confrère, se fait gamahucher le cul par Justine, et lui décharge enfin dans la bouche. Gareau a été prêtre ; ses goûts se raffinent avec plus d'art ; il a conservé les penchants de l'ordre jésuitique où ses jeunes années s'écoulèrent ; et, comme il bande encore gentiment, le sodomiste encule, et crie comme un diable en perdant son foutre. Ribert est né farouche ; ses passions ont la teinte de son âme. Il faut que Justine le branle pendant qu'il la soufflettera ; il lui rend les joues toutes rouges, et perd enfin ses forces auprès d'un con qu'il n'a ni la volonté ni le pouvoir de fêter d'une autre manière. Vernol, aussi méchant que son camarade, manifeste autrement sa rage. Il enconne, mais en tirant les oreilles ; et c'est aux douleurs qu'il provoque, que le vilain module son plaisir. Maugin gamahuche le cul ; il mord les fesses en se branlant ; il voudrait imiter Gareau ; tous deux ont les mêmes vices ; mais leurs forces ne se ressemblent pas. Maugin, trompé par ses désirs, perd les siennes auprès de l'idole, et les hurlements qu'il pousse peignent à la fois ses regrets et sa luxure. - Allez, enfants, dit le chef au reste de la troupe, en rentrant avec ses adjoints, la créature vaut le coup... mettez-y de l'ordre... de la politesse ; que chacun surtout, ne passe qu'à son tour. Hommes et femmes, entremêlez-vous ; je ne défends pas les plaisirs, mais j'y veux un peu de décence. Comme il y avait là huit ou dix hommes qui ne voyaient jamais que des garçons, et cinq ou six femmes qui n'adoraient Vénus que sous les habits de Sapho, ce ne fut guère qu'à une trentaine de personnes de l'un et l'autre sexe que notre héroïne eut affaire. Tout se passa avec ordre ; mais elle n'en fut pas moins excédée. Obligée de prêter tantôt le con, tantôt le cul, souvent la bouche et les aisselles... contrainte à polluer hommes et femmes... à recevoir mille baisers plus dégoûtants les uns que les autres ; quelquefois battue, fustigée, souffletée, mordue, pincée, nous laissons à penser au lecteur en quel état la malheureuse dut sortir de cette joute libidineuse. Il n'y eut pas jusqu'aux enfants qui ne la soumissent à leur fantaisies ; et Justine, toujours complaisante, toujours esclave et toujours malheureuse, se prête à tout avec une résignation dont la source est loin de son cœur. Les assauts terminés, on la conduisit vers une cuve où elle eut la permission de se purifier ; et, comme c'était l'heure du repas, Justine, ramenée dans le grand caveau, se mit à table avec toute la troupe. La conversation ne roula que sur les plaisirs dont on avait joui ; les femmes s'exprimèrent avec la même liberté... la même indécence que les hommes, et ce fut pour le coup que la malheureuse Justine put dire que, même chez les moines de Sainte-Marie, elle ne s'était jamais trouvée en société plus indécente. Le dîner, au reste, fut délicieux ; tout ce qui pouvait contribuer à le rendre aussi délicat que succulent s'y rencontrait avec profusion. Dans un caveau voisin de celui où la compagnie mangeait était un vaste souterrain tapissé de viandes... de gibier, et dans lequel un homme et trois femmes travaillaient journellement à la cuisine. Comme on avait beaucoup bu, une méridienne succéda. L'ex-jésuite Gareau s'approche alors de Justine : - Vous avez, mon enfant, lui dit-il tout bas, le plus beau cul du monde ; à peine ai-je eu le temps de le fêter ; levez-vous, et suivez-moi ; dès qu'ils dormiront tous, nous irons jaser dans un coin. Abandonnée comme l'était Justine, ne devait-elle pas se trouver trop heureuse de voir un être s'intéresser à son sort ? Elle jette les yeux sur l'homme qui lui parle, et lui trouvant l'air plus honnête qu'aux autres, une assez belle figure et de l'esprit, elle se garde bien de le repousser. C'est dans une petite cellule, près de l'endroit on l'on tient le vin, que le nouvel amant de notre héroïne la conduit, pour s'entretenir avec elle ; et, tous deux assis là sur une espèce de baquet, telle est à peu prés la conversation qui les occupe : - Du moment que je vous ai vue, mon enfant, dit Gareau, vous n'imaginez pas l'intérêt que vous m'avez inspiré. Votre charmante figure annonce de l'esprit ; votre maintien, de l'éducation ; vos discours, une naissance honnête ; et je suis, moi, dans mon particulier, bien persuadé que la flétrissure que vous portez n'est bien constamment que le fruit du malheur, et non de l'inconduite. Je ne vous cache pas, mon ange, que c'est avec chagrin que je vous ai vue parmi nous ; car on ne sort pas d'ici comme on y entre. Vous ne pouvez vous le dissimuler ; n'acceptant pas d'exercer la même profession que ces gens-ci, je crains qu'ils ne vous captivent, ou qu'ils ne vous tuent aussitôt qu'ils seront las de vous. Dans cette fatale occurrence, je ne vois qu'un parti pour vous : celui de vous attacher à moi, et de vous en rapporter à mes soins pour vous obtenir un jour le moyen de vous évader. - Mais, monsieur, dit Justine, si vous preniez de l'amitié pour moi, quelle apparence que vous me missiez â même de vous fuir ? - Je vous suivrais, Justine ; me croyez-vous donc fait pour cet état-ci ? L'avarice, la paresse, la luxure, voilà les chaînes qui me captivent ; j'aime à gagner de l'argent, sans avoir d'autres peines que de le demander. Mais vous mettez, j'espère, une différence entre mon personnel et celui de ces gens-ci ; tôt ou tard nécessairement je dois les abandonner. Liée à moi, vous me suivrez alors, et nous mènerons ensemble une vie, sinon plus honnête, au moins pas si dangereuse. En déclarant, d'ailleurs, publiquement que vous consentez à vivre avec moi, cette association vous sauvera de la cruelle nécessité dans laquelle vous êtes de vous livrer journellement à tous ces coquins-ci... comme vous voyez Séraphine et Ribert. - Ribert, monsieur ? mais il me semble que c'est un des premiers qui ait assouvi sa passion sur moi. - Lui, sans doute ; rien ne nous captive, nous ; ce n'est pas sur nous que pèse le lien conjugal ; mais, sa femme, vous ne la verrez jamais se prostituer. - Sa femme !... celle qui m'a escroquée ? - Oui. - Mais, monsieur, elle s'est aussi divertie de moi. - Eh bien, oui ; mais de bonne volonté... Ce que je vous dis, c'est que vous n'avez jamais vu, et que vous ne verrez jamais aucun homme la contraindre à des plaisirs qui ne seraient pas de son gré. Vous serez comme elle libre de jouir, si cela vous amuse ; mais libre aussi de refuser, si cela vous répugne. Ce sont nos lois, et nous ne les enfreignons jamais. - Eh bien ! monsieur, j'accepte, dit Justine ; je me rends à vous de ce moment. Quelque affreux que soient vos goûts, j'y souscris, sous la promesse formelle que vous me faites de n'être jamais contrainte à me livrer à personne. - Je vous le jure, dit Gareau ; je vais en sceller le serment sur votre beau cul. Justine eut bien voulu jouir du privilège sans être obligée de le payer aussi cher ; mais le moyen de conserver sa vertu avec un prêtre escroc et sodomiste ! Elle s'offre donc en gémissant ; et l'adroit jésuite l'encule avec les précautions et la douceur dont un enfant d'Ignace est toujours susceptible. - Rentrons, dit le séducteur, dès qu'il se fut satisfait ; une plus longue absence pourrait faire jeter des soupçons sur nous ; et quand on a envie de mal faire, il faut éviter de faire mal. Nos libertins réveillés contaient des histoires ; Justine et Gareau prirent place au foyer ; et, dès que le souper fut servi, notre héroïne déclara que de tous ceux parmi lesquels son étoile la plaçait, Gareau se trouvait le seul qui lui inspirait de la confiance et de l'amitié, et qu'elle prévenait l'assemblée que son intention était de se lier à lui. Le chef demanda à Gareau si cet arrangement lui convenait. Celui-ci ayant répondu d'une manière affirmative, Justine, respectée de ce moment comme la femme d'un des notables, fut à l'abri des propositions que les libertins de la troupe ne paraissaient que trop avoir envie de renouveler ; et ce fut près de son nouvel époux que l'infortunée fut passer la nuit. Mais Gareau en assurant et sa main et sa protection à Justine, ne lui avait pas fait serment de fidélité ; et, dès cette première nuit, le volage convainquit sa compagne qu'elle n'était pas la seule qui eût des droits à ses faveurs. Un des jeunes gens de la troupe, âgé de trois lustres au plus, attendait le couple conjugal, et se mit cavalièrement entre eux deux. - Qu'est ceci ? dit Justine ; est-ce donc là ce que vous m'avez promis ? - Mon malheur, dit Gareau, est, je le vois, d'être rarement entendu de mon aimable épouse. J'ai dit à Justine, et je le lui répète, qu'elle trouverait dans moi, pour le prix assuré de ses faveurs, protection, secours, conseils et soulagement ; mais je ne lui ai pas dit que je m'engageais à la continence. Aux goûts qu'elle a dû voir en moi, elle a démêlé, ce me semble, que les garçons ne pouvaient être exclus de mes plaisirs, et je la supplie de trouver bon qu'ils y soient très souvent en tiers. Un tel discours était un ordre pour la malheureuse Justine, et la soumission devint son seul lot. Quand on en fut à l'action, Justine s'aperçut qu'il ne s'agissait pas seulement de consentir, qu'il fallait encore se prêter. Pendant que l'ex-jésuite enculait le bardache, il exigeait que Justine suçât le vit du jeune homme. Était-ce à elle qu'il avait affaire ; il fallait alors que le ganymède gamahuchât la sodomisée. Ainsi tantôt première actrice, et tantôt double, c'était sous toutes les formes, et de toutes les manières, que sa complaisance était à l'épreuve. Quelques jours se passèrent sans diversion ; et Justine, toujours respectée, paraissait gagner de plus en plus la confiance de son nouvel époux. Mais, dénuée de l'art qu'il aurait fallu pour le démêler et pour le conduire, ce fut elle, au contraire, qui fut séduite et pénétrée. - Bientôt, lui dit un jour son protecteur, le tiers de nos gens qui se trouve en campagne va rentrer ; le détachement se renouvellera, j'en ferai partie ; demandez à me suivre, faites-vous donner l'éducation nécessaire à la réussite de ce projet. Une fois hors de cet affreux séjour, nous n'y remettrons les pieds de la vie. J'ai quelques ressources, nous en profiterons ; un village isolé nous recèlera, et nous y finirons nos jours avec bien plus de tranquillité qu'au milieu de ces scélérats, où notre mauvaise étoile nous place. - Oh ! combien j'aime ce projet, dit Justine avec enthousiasme ! Sortez... sortez-moi de ce gouffre, monsieur, et je vous proteste de ne vous abandonner de la vie. - Je vous promets de vous tirer d'ici, Justine, je vous en fais le serment le plus authentique ; mais j'exige une condition. - Quelle est-elle ? - De voler la caisse en partant, de faire arrêter ensuite tous ces scélérats. - Le pourrons-nous, monsieur, après les avoir imités ? Volez la caisse, puisque cela vous plaît ; mais ne les dénonçons pas ; privons-les, s'il se peut, des moyens de mal faire... mais les faire punir !... oh ! Dieu, Dieu ! Je n'y consentirai jamais. - Eh bien ! dit Gareau, nous les volerons tout simplement ; ils deviendront ce qu'ils pourront. Déclare ton dessein de me suivre, fais-toi donner quelques leçons, et nous serons bientôt en état de partir. Le désir que nous avons d'offrir toujours à nos lecteurs le caractère de notre héroïne aussi pur qu'il a dû le reconnaître de tous les temps, nous engage à développer ici ses motifs. Il s'en fallait bien que cette vertueuse fille pût admettre de bonne foi le dessein de voler ces malheureux. Quelque criminellement gagné que fût cet argent, il leur appartenait ; n'en était-ce pas bien plus qu'il ne fallait pour que la scrupuleuse Justine se gardât bien de nuire à leur propriété ? Mais elle désirait être libre ; on ne lui offrait qu'aux conditions de ce crime. Elle combinait donc comment elle pourrait faire pour allier l'un et l'autre, pour sortir de ce gouffre enfin, sans dérober le bien de ses hôtes. Un moyen simple s'offrit à son esprit ; ce fut de faire au chef l'aveu du crime auquel on voulait l'engager ; mais de ne rien dévoiler pourtant qu'avec la promesse de la grâce du coupable et de sa liberté. Une fois fixée à ce projet, elle n'attendit plus, pour le mettre à exécution, que le moment où Gareau lui annoncerait la prochaine résolution du départ. Or, comme on lui avait assuré qu'il fallait être instruite pour faire partie du détachement, elle demanda un maître, et Raymond, l'un des notables dont nous avons déjà eu l'occasion de parler, fut l'instituteur que lui accorda le chef de la bande. - Les enfants que vous voyez parmi nous, lui disait un jour ce digne gouverneur, sont comme vous l'imaginez bien, Justine, de petits malheureux enlevés dans nos courses, desquels nous nous servons pour émouvoir les femmes, dont les cœurs sensibles et pusillanimes s'ouvrent plus aisément à la pitié. En plaçant dans la bouche innocente de ces petites créatures, et le tableau de nos misères et des instances pour les adoucir, nous sommes presque toujours sûrs du succès. Nous vous donnerons un de ces petits êtres ; vous le conduirez par la main ; vous vous en direz la mère. Tous les cœurs s'attendriront aux accents plaintifs de votre voix douce ; et vous n'éprouverez jamais de refus. Mais votre costume, encore trop brillant, sera nécessairement ici métamorphosé contre un autre ; et quelque répugnance que vous puissiez avoir pour la vermine, il faudra que vous en soyez couverte. Que le nom de Dieu soit surtout employé, presque à tout moment, dans vos discours ; on n'imagine point le parti que les fripons savent tirer de cette chimère. Au reste, votre taille ni votre jolie figure ne seront point gâtées, point de cautères, point d'érésipèle, point d'ulcères. Vous vous contenterez de quelques spasmes ; et vous direz que ce sont des attaques de nerfs, occasionnées par la trahison d'un mari que vous adoriez. Nous vous apprendrons à jouer ces maux, à vous disloquer d'une telle manière, qu'on vous prendra pour une démoniaque. Mais, avant que de vous éloigner, avant que d'aller gueuser dans les rues de Grenoble, de Valence et de Lyon, vous rôderez quelque temps aux environs de la trappe ; et vous attirerez dessus, comme a fait Séraphine avec vous, tous ceux qui vous paraîtront en valoir la peine. Souvenez-vous surtout que nous aimons les gens riches, les jolies filles et les enfants ; que vos filets soient donc toujours tendus vers ces êtres-là, si vous voulez plaire à la société. Une fois lancée dans les villes, faites tout ce que vous pourrez pour escroquer les gens, quand vous n'obtiendrez rien d'eux d'une différente manière. On va le long des boutiques ; on saisit le moment où l'on n'est point vu ; un coup de main est bientôt fait. Il faut être leste, dans notre métier... effronté... toujours prêt à nier... même l'action qu'un témoin viendrait de surprendre. Si, malgré vos apparentes infirmités... malgré le rôle de mère, que nous vous ferons remplir, vous trouvez quelques libertins qui veuillent de vous (il en est tout plein qui, par caprice ou dépravation, préfèrent les femmes de notre état), cédez ; mais profitez de la faiblesse du particulier, et pressurez-le d'importance. Nous vous donnerons des somnifères et des poisons, que vous emploierez au besoin, en partant toujours d'un principe : c'est que la santé... la fortune du prochain n'est rien, toutes les fois qu'il s'agit de s'enrichir. En excitant la pitié dans les autres, souvenez-vous que vos devoirs vous font une loi de n'en jamais éprouver aucune ; votre cœur doit être comme de l'acier ; et le seul mot qu'il doive faire retentir en vous, c'est de l'argent. Il vous est permis de vendre l'enfant qui vous est confié, pourvu que vous en tiriez un bon parti, et que vous nous en apportiez les fonds. Soit pour leur faire du bien, soit pour leur faire du mal, une infinité de personnes nous achètent de ces enfants-là. Quelques-uns pour les élever, ceux-ci pour les séduire et s'en amuser, ceux-là, le croirez-vous, Justine ?... ceux-là pour les manger... oui, les manger ; il existe des êtres assez dépravés pour porter la débauche à ce point, et nous en trouvons tous les jours. Accoutumés nous-mêmes à toutes les horreurs, aucune ne peut nous surprendre ; et nous devons nous prêter à toutes celles qui nous sont proposées, et surtout quand on nous les paye. Ayez les larmes à commandement, les histoires, les romans, les mensonges ; que rien de tout cela ne vous coûte. Il n'est point de métier dans le monde où il faille savoir en imposer avec plus d'impudence, feindre avec plus de hardiesse les maux et les revers les plus éloignés de nous. Démêlez surtout le caractère de ceux auxquels vous vous adressez, que vos moyens s'emploient en raison de leur sensibilité. Il ne s'agit que de se montrer à un être faible et pusillanime : notre seul aspect l'émeut sur-le-champ. Il faut plus d'art, un jeu mieux prononcé, près de ces âmes racornies par l'âge ou par la débauche. On méprise notre état ; assurément cela est injuste. Il n'en est point qui demande une connaissance plus entière du cœur humain ; aucun qui exige plus de souplesse, plus d'intelligence et d'esprit ; nul, en un mot, qu'il faille exercer avec plus d'activité, d'étude et de soin ; pas un seul qui demande un plus grand fond de fausseté, de méchanceté, de dépravation et de fourberie. Ne souffrez pas que les vrais pauvres se mêlent parmi vous ; ne les secourez, surtout, jamais ; brutalisez-les, au contraire ; menacez-les de les faire rosser par vos camarades s'ils s'avisent de gêner votre commerce ; soyez aussi dure envers eux que les Crésus le sont avec nous. Lorsque vous faites des courses dans les campagnes, et que les paysans vous donnent l'hospitalité, profitez de cela pour les voler, pour séduire et enlever leurs enfants. Vous refusent-ils... vous traitent-ils mal, brûlez leur grange, empoisonnez leurs bestiaux. Tout est permis dans de tels cas ; la vengeance est le premier des plaisirs que nous laisse la méchanceté des hommes ; il faut en jouir. Ces leçons de pratique et de morale bien inculquées, on donna à Justine un nouveau maître d'action, et dans peu de jours elle fut jugée digne de jouer un rôle dans la célèbre troupe des mendiants du Lyonnais. Son éducation était à peine terminée, qu'un des membres du détachement qui était en campagne, vint prévenir que ses camarades revenaient avec des trésors usurpés à la charité des sots. De ce moment le reste de la compagnie s'assembla ; et les remplaçants furent nommés. Gareau eut d'une voix unanime le commandement de la petite armée, moyennant quoi Justine, dès que tout fut arrangé, fit demander au chef l'honneur de l'entretenir un moment en particulier. Admise à une audience secrète, elle révéla à Gaspard des choses que celui-ci savait infiniment mieux qu'elle. - Fille trop confiante, lui dit ce supérieur, comment avez-vous pu croire que, dans une association comme la nôtre, la partie de l'espionnage ne fût pas une de celles que nos soins épurassent le plus ? Gareau s'est moqué de vous, et vous êtes tombée comme une bête dans le piège tendu à votre imbécillité. Notre confrère vous a proposé trois choses : nous voler, nous dénoncer et fuir. Vous m'avouez le vol, vous avez refusé la dénonciation, mais vous avez accepté la fuite ; n'en voilà-t-il pas plus qu'il ne faut pour que vous soyez à l'instant gardée à vue. Vous n'aimez point notre métier, nous sommes sûrs que vous ne l'exercerez jamais ; ce n'est donc que comme notre putain et comme notre esclave, que nous pouvons vous garder ici ; et sous l'un ou sous l'autre rapport, d'indissolubles fers doivent vous captiver. - Oh ! monsieur, s'écria Justine, quoi ! ce monstre... - Il vous a trahie ; il a fait son devoir. - Mais il parlait d'amour... et de délicatesse... - Comment avez-vous pu croire que de tels sentiments puisent naître dans l'âme d'un individu de notre profession... et d'un prêtre surtout ? Gareau s'est amuse de vous, ma fille ; il a voulu démêler votre manière de penser... arracher votre secret, et nous le dévoiler. Que ceci vous serve de leçon pour une autre fois ; soumettez-vous, en attendant, au sort que votre vertueuse candeur vous a préparé. Séraphine fut aussitôt appelée ; Justine fut mise entre ses mains. Vous ne l'enfermerez pas, lui dit le chef, mais ne la perdrez pas de vue, et vous en répondrez sur votre tête. Cette Séraphine, dont il est temps enfin de donner une idée aux lecteurs, était une fort jolie femme d'environ trente ans ; de beaux cheveux, des yeux très noirs et très libertins... excessivement adroite (on se souvient de la manière dont elle avait trompé Justine) ; jouant au mieux tous les personnages dont on la chargeait, et d'une corruption de mœurs au-dessus de tout ce qu'on peut imaginer au monde. La confiance qu'elle inspirait aux membres de cette association était si prodigieuse, qu'elle sortait maintenant bien peu de la maison. Quelques courses aux environs de la trappe, mais le plus grand détail dans la maison ; parfaitement bien d'ailleurs avec les chefs... dont elle était si digne par ses mœurs et par ses talents. Gareau, voyant repasser Justine avec sa gardienne, se mit à éclater de rire. - Que penses-tu de cette pécore, dit-il à Séraphine, qui croit que de m'avoir prêté son cul la soustrait aux peines que ses sottises lui font encourir ? - Elle est encore novice, répondit Séraphine ; il faut lui pardonner sa bonne foi. - Comment, poursuivit Gareau, ne sera-t-elle pas punie de mort ? - Ah ! scélérat, dit Justine, voilà donc ce que tu voulais ? Altéré de mon sang, ce n'était que pour le voir répandre que tu as trahi tous les sentiments de l'honneur et de l'amour. - L'amour ! l'amour ! Séraphine, que dis-tu de cette pucelle qui s'imagine qu'on lui doit de l'amour, parce qu'on a foutu son derrière ? Apprends, putain, qu'on tire ce qu'on peut d'une créature comme toi ; mais qu'on ne l'aime point ; on s'en dégoûte, et on la sacrifie : femmes, voilà votre lot... Quoiqu'il en soit, on lui fait donc grâce ? - Oui, dit Séraphine ; elle est sous ma garde, et je te réponds que je ne la lâcherai pas. - Je l'aimerais mieux au caveau des morts, dit ce monstre, en se remettant à foutre un petit garçon qu'il tenait dans ce moment-là. Dès lors Justine fut chargée des plus vils soins. Absolument subordonnée à Séraphine, elle en devint en quelque façon la servante ; et comme Gareau lui retirait sa protection, elle devint le plastron des débauches publiques. On afficha dans le souterrain, que Justine, n'étant plus la maîtresse de Gareau, se livrerait indistinctement à tous ceux qui voudraient d'elle, et que le moindre refus de sa part serait sévèrement puni. Ce qu'il y a de fort plaisant, c'est que Gareau fut le premier qui se présenta. - Viens, coquine, lui dit-il ; tout en voulant faire vexer ta personne, je n'en aime pas moins ton derrière ; viens, que je le sodomise encore une fois avant que de partir. Gareau était en train ; il avait réuni quatre jeunes garçons ; Séraphine s'y trouvait aussi. Maugin, dont le lecteur se rappelle les goûts, Maugin qui, à l'exemple de Gareau, chérissait prodigieusement le cul, mais dont les forces trompaient si souvent les désirs, venait également de s'y joindre. Ces orgies furent complètes. Il y avait des moments où notre malheureuse aventurière, objet des luxures de Séraphine, et des deux libertins dont on vient de parler, avait à la fois une langue dans le con, un vit dans le cul, un autre dans la bouche, et cela pendant que chacune de ses mains polluait un jeune garçon, et qu'on enculait Séraphine. L'instant d'après deux vits lui labouraient le vagin ; Séraphine, toujours enculée, lui gamahuchait l'anus, et elle branlait un vit sur le clitoris de sa tribade. Vingt autres attitudes se succédèrent ; et Justine put se flatter enfin d'avoir fait dans cette journée un cours de libertinage plus complet qu'aucun de ceux où on l'eût soumise depuis qu'elle était dans le monde. Enfin le changement s'opéra. Gareau partit avec ses satellites, et le détachement rentra ; autant de personnages nouveaux qui s'offrirent à la triste Justine, et qui la soumirent bientôt à l'intempérance de leur perfide impudicité. Le chef de cette nouvelle troupe fut celui qui tourmenta davantage notre vertueuse créature. Roger, le plus scélérat des hommes, cruel par goût, brutal par tempérament, avait avec le sexe quelques habitudes qui, comme on va le voir, n'étaient pas très faites pour séduire. Le vilain chiait au milieu d'une chambre ; il fallait que la femme, nue, cabriolât une heure autour de son étron. Armé d'un martinet énorme, il l'étrillait sur tout le corps pendant ce temps-là. Ensuite, dès qu'il prononçait les mots : « Mange garce », il fallait que la pauvre victime avalât l'étron par terre, et vint promptement lui en faire un dans la bouche. Alors, Roger, suffisamment excité, donnait l'essor à son sperme ; mais en repoussant de lui si cruellement l'objet de sa luxure, que la malheureuse, lancée à quinze ou vingt pieds de lui, ne touchait communément au but qu'aux dépens de quelques fontaines de sang à la tête, ou de quelques membres de cassés. « Ah ! sacre-dieu, s'écriait aussitôt Roger, en contemplant les résultats de sa fureur, pourquoi la garce n'est-elle pas tombée à cent pieds sous terre ? et pourquoi ne l'ai-je pas tuée ? Est-il au monde rien de plus affreux que la présence d'une femme qui nous a coûté du foutre ! » Cependant les comptes du nouveau détachement se firent. Gaspard, qui commandait toujours dans l'intérieur, annonça que six mois de courses venaient de rapporter à la masse près de sept cent mille livres uniquement en aumônes. « Oh foutre, s'écria-t-il, après avoir fait voir le bordereau, vive la charité chrétienne ! Qu'il avait d'esprit celui qui le premier érigea cette sublime action en vertu ! Vous voyez l'utilité dont elle nous est ; continuons, mes amis, continuons de payer des prédicateurs pour en échauffer le zèle dans le cœur de l'homme ; nous n'aurons jamais si bien placé notre argent4. » A cela près de beaucoup de crapule, de libertinage, d'irréligion, d'intempérance et de blasphèmes, Justine cependant n'avait pas trop vu jusqu'alors le crime dans toute son énergie, lorsqu'une aventure assez singulière vint lui présenter bien à nu l'âme atroce de ces scélérats. Tout à coup la trappe s'abaisse, et vomit dans cette habitation un homme de quarante ans, fort bien mis... mais qui, tout étourdi de sa chute, ne peut expliquer qu'au bout d'un moment la fatalité qui l'amène. Ceci n'était point la suite d'une des ruses de Séraphine. Ce voyageur avait effectivement vu une femme qui rôdait aux environs du lieu où la terre s'était enfoncée sous ses pieds ; et c'était pour se cacher d'elle, qu'attiré par un besoin de la nature, il s'était réfugié dans l'intérieur de ce buisson. Son cheval, chargé d'une valise pleine d'or, devait être à quelques pas du trou, mais hors de la vue de Séraphine ; et si, disait-il, son sort le faisait tomber, comme il le croyait, au milieu d'une bande de voleurs, il fallait se dépêcher d'aller ravir son trésor à la cupidité du premier passant, ou le remonter promptement sur terre, dans le cas où l'on n'eût sur lui nul mauvais dessein. - Te remonter, dit aussitôt Roger en s'avançant vers cet homme le pistolet à la main... Ah ! scélérat, de ta vie tes yeux ne verront le soleil. - Qu'aperçois-je, grand Dieu ! s'écria le voyageur ; est-ce bien toi, Roger, que le hasard présente mes regards surpris ?... Toi, mon frère... toi, que j'ai, pour ainsi dire, élevé dans mon sein... toi, mon ami, dont je sauvai deux fois les jours... toi, j'ose le dire enfin, qui me dois tout dans l'univers ? Oh ! combien je rends grâce au ciel de te trouver dans ce local obscur ; quels que soient les gens qui l'habitent, tu vas m'y servir de protecteur... et je n'ai plus rien à craindre sans doute dès que mon sort est entre tes mains. - Que la foudre m'écrase, s'écria Roger, s'il est aucune circonstance dans le monde qui puisse m'attendrir sur ton sort ; m'eusses-tu sauvé mille vies, je te tiens, scélérat, et tes jours vont nous assurer ta fortune. C'est bien à des gens tels que nous, qu'il faut venir parler de liens fraternels ou de reconnaissance. Apprends, faquin, que l'intérêt étouffe dans nos âmes tout autre sentiment que ceux de l'avarice, de la cupidité, de la soif, du sang ou des richesses ; et que, m'eusses-tu, te dis-je, rendu mille fois plus de services que tu n'en étales ici, tu n'en deviendrais pas moins notre victime. Deux coups de pistolet, lâchés par le cruel Roger, étendent à l'instant son frère sur le carreau. Il y était à peine, que Séraphine parut avec le bagage du cavalier. Elle avait découvert le cheval ; et ne sachant pas ce que le maître était devenu, à tout événement, la gueuse apportait la valise. - Voilà une excellente aventure, dit Gaspard en prouvant à ses camarades que la prise s'élevait à plus de cent mille francs. Un tel frère est coupable, sans doute, puisque avec autant de richesses il laisse son cadet exercer une aussi infâme profession. - Il l'ignorait, répond Roger ; il me croyait en Amérique. Après l'action que je viens de commettre, il ne m'appartient pas de faire son éloge ; mais il ne vous en a point imposé, et rien n'est aussi certain que les services qu'il m'a rendus toute la vie. Le libertinage seul m'enchaîne à notre état ; et certes, je ne l'exercerais pas si j'avais profité de ses leçons, de ses conseils et des sommes dont sa libéralité me gratifia tant de fois. N'importe ! je ne me repens point ; mon action vous prouvera, mes camarades, que vos intérêts me sont plus chers que tous les liens de la nature, et que je sacrifierai toujours tout, dès qu'il s'agira de vous servir. Le fratricide de Roger trouva beaucoup de partisans dans la troupe, mais pas un seul contradicteur. L'infortunée Justine fut chargée d'aller enterrer le cadavre ; et nous laissons à penser aux lecteurs combien, et ce qui venait de se passer, et ce à quoi on l'obligeait sans cesse, redoublaient dans son âme la haine profonde qu'elle nourrissait pour les nouveaux monstres chez lesquels le hasard la plaçait. Cependant, la joie qu'occasionnait cette nouvelle prise fut telle qu'on ne pensa plus le soir qu'à se divertir. Les orgies furent complètes ; on y exigea que toutes les femmes ou filles de la troupe, ainsi que tous les jeunes garçons y soupassent nus. Justine, dans le même état, fut obligée de les servir. Gaspard dit au dessert, que depuis longtemps Séraphine leur avait promis l'histoire de sa vie ; et comme l'invitation fut renouvelée, tels furent à peu près les termes dans lesquels cette belle fille s'exprima. **** *creator_sade *book_sade_justine1799 *style_prose *date_1799 CHAPITRE XVIII HISTOIRE DE SÉRAPHINE - COMMENT JUSTINE QUITTE LES MENDIANTS - NOUVEL ACTE DE BIENFAISANCE DONT ON VERRA LE SUCCÈS - CE QU'EST ROLAND - SÉJOUR CHEZ LUI Je suis née à Paris, d'un homme et d'une femme dont la réputation fort équivoque ne devait pas faire espérer pour le fruit de leur amour une somme de moralité très étendue. Mon père était le gardien des capucins du Marais ; ma mère, une très jolie coquine du quartier, que le père Siméon, auteur de ma naissance, entretenait avec l'argent du couvent, dans une maison qui n'en était pas fort éloignée. J'avais un frère plus âgé que moi d'un an, résultat de la même intrigue, et que Pauline, ma mère, élevait comme moi dans des principes assez négligés. Ce petit frère, que l'on nommait de L'Aigle, du nom de famille de mon père, était à la fois et le plus bel enfant et le plus insigne libertin qu'il y eût peut-être dans tout Paris. Les inclinations les plus vicieuses s'annonçaient en lui dés ses plus jeunes années ; et le petit fripon n'avait rien de plus à cœur que de me les suggérer toutes. A peine avait-il dix ans, qu'il était déjà paillard, ivrogne, voleur et cruel, et qu'il m'inspirait tous les vices, en me les préconisant avec une force d'esprit et de raison très extraordinaire à son âge. Ce fut lui qui me révéla les secrets de notre naissance, en faisant naître en moi, pour ceux de qui nous la tenions, le plus excessif mépris. Cependant de L'Aigle aimait sa mère, il la convoitait même ; cela se voyait aisément. Je n'ai que dix ans, Séraphine, me disait-il quelquefois ; mais je coucherais avec ma mère, tout aussi bien que Siméon ; je suis bien sûr que je lui en ferais tout autant que lui... je les ai vus... je sais tout, et je te l'apprendrai quand tu voudras. Malheureusement, comme je vous l'ai dit, Pauline favorisait un peu toutes ces mauvaises dispositions ; elle idolâtrait mon frère ; elle le couchait avec elle ; et de L'Aigle ne fut pas longtemps à m'avouer que c'était de cette mère incestueuse, qu'il apprenait une grande partie des choses dont il avait tant d'envie de m'instruire. Cette intempérance pouvait être tolérée par l'âge de ma mère, qui, ayant mis mon frère au monde à treize ans, en avait à peine vingt-trois. Pleine d'ardeur, et jolie comme un ange, la coquine excusée par la nature, en écoutait infiniment plus la voix que celle de la raison. Il m'avait été facile de voir, aux conseils que je recevais d'elle, que sa morale était fort relâchée. Mais n'ayant pas encore assez d'esprit pour interpréter ses motifs, je prenais pour de la tendresse ce qui n'était l'effet que de la plus complète corruption. Tels étaient à peu près les motifs pour lesquels notre éducation se négligeait ; lire et écrire était à peu près tout ce qu'on nous enseignait ; mais point de talents... point de morale... point de religion. Siméon, le plus impie, le plus libertin de tous les hommes, avait expressément défendu que l'on nous entretînt jamais de Dieu. Il serait à souhaiter, disait-il, qu'on eût égorgé le premier qui put en prononcer le nom. Préservons la jeunesse de ces dangereuses connaissances ; ce seront autant d'êtres échappés à l'erreur ; puissent tous les pères agir de même ! et la philosophie planerait bientôt sur les hommes. Voilà, m'allez-vous dire peut-être, bien de l'esprit pour un capucin ; mais mon père en avait beaucoup. Aussi était-il fort libertin ; tant il est vrai que ce défaut est presque toujours celui des grands hommes, et que bien rarement celui qui a des lumières est exempt d'athéisme ou d'immoralité. Quoique l'intrigue de Siméon avec ma respectable mère durât depuis treize ans, puisqu'il l'avait dépucelée à dix, et qu'elle-même était le fruit d'une première liaison de ce révérend père avec une marchande du quartier, d'où il résultait que Pauline, à la fois sa fille et sa maîtresse, avait un double titre à mériter son cœur ; quoiqu'il y eût, dis-je, treize ans que cet arrangement durât, à raison du double lien dont on vient de parler, leur amitié n'était nullement refroidie. La complaisance absolue de ma mère, son extrême docilité aux irréguliers caprices du capucin, l'assemblage de tous ces motifs, en un mot, lui rendait la société de Pauline précieuse, et il n'y avait pas de jours où il ne vint passer cinq à six heures chez elle. Le supérieur du couvent, père Ives, qui entretenait, de son côté, une très jolie fille de dix-huit ans, nommée Luce, se réunissait à ce couple, avec sa maîtresse. Dans chaque ménage il y avait une très jolie servante qui se trouvait communément à ces assemblées libidineuses ; et là, ordinairement après un ample repas, on offrait à Vénus des sacrifices immondes, dont l'ordonnance et les détails ne peuvent appartenir qu'à des génies de moines. La bande joyeuse venait de se réunir un jour, lorsque mon frère vint me trouver en hâte. - Séraphine, me dit-il, es-tu curieuse de savoir à quoi ces bons religieux passent leur temps ? - Sans doute. - Mais, ma chère petite sœur, j'exige une condition, avant que de te faire jouir de ce spectacle. - Quelle est-elle ? - Tu me laisseras faire avec toi ce que nous leur verrons exécuter entre eux. - Et que font-ils entre eux ? - Tu le verras, ma sœur... Eh bien ! y consens-tu ? Et le petit espiègle appuya sa proposition d'un baiser si chaud sur mes lèvres, que les premiers symptômes du tempérament de feu que m'avait donné la nature se déclarèrent aussitôt en moi : je déchargeai dans les bras de mon frère. Le petit drôle, déjà très au fait, profite de ma faiblesse, me précipite sur un lit, me trousse, écarte mes cuisses, et recueille dans sa bouche, avec empressement, les marques non équivoques du plaisir qu'il vient d'éveiller. - Tu perds ton foutre, ma sœur, me dit de L'Aigle... Oui, mon amour, ce que tu viens de faire s appelle ainsi... Tu es plus avancée que moi ; je n'en puis encore faire autant. Ma mère a beau me branler, me sucer, rien ne paraît ; elle dit que cela viendra... qu'il faut que j'attende ma quatorzième année ; mais je n'en ai pas moins de plaisir. Tiens, continua mon frère en saisissant ma main, et la portant sur un petit membre, déjà très roide et d'une fort jolie grosseur, secoue cela, ma sœur, tu vas voir comme je jouirai... Ou bien, attends, je vais t'arranger comme maman me place avec elle. Et le fripon, en disant cela, me débarrasse de mes jupons, quitte ses culottes, et, m'ayant couchée sur le lit, il s'étend, en sens contraire, sur moi, de manière à pouvoir placer son vit dans ma bouche, et que ses lèvres se posent sur mon con. Je le suce, il me le rend ; nous restons ainsi près d'une heure, à nous pâmer, sans varier la posture. Enfin, le bruit qui se fait dans la pièce voisine, en attirant notre attention, nous avertit qu'il faut changer de rôle, et que, d'agents, il faut devenir spectateurs. Cette première scène de libertinage, dont mon frère me procurait la vue, est trop intéressante pour ne pas vous être détaillée, et je vais, sans crainte de vous déplaire, en tracer jusqu'aux plus légères circonstances. Les expressions dont il faudrait que je me servisse, devraient être aussi pures, je le sens, que l'âge que j'avais alors ; mais mon récit perdrait à vous être transmis sous ces voiles ; et le dois, pour être plus exacte, employer les termes dont je me servirais, si j'avais aujourd'hui cette même scène à décrire. Commençons par les personnages. Ma mère, vous le savez, avait vingt-trois ans ; elle était belle comme un ange ; les cheveux châtains ; la taille pleine, quoique leste et dégagée ; des chairs fermes et d'une grande fraîcheur ; de superbes yeux, mais le visage un peu allumé par le trop fréquent usage de l'intempérance de table... sorte de vice où l'avait entraînée le désir de plaire à son amant, qui ne jouissait jamais aussi voluptueusement d'elle, que lorsque l'excès du vin et des liqueurs lui avait fait perdre la raison. Luce, maîtresse du père Ives, le supérieur du couvent et l'ami de mon père, avait dix-huit ans, ainsi que je viens de le dire ; elle était blonde ; de beaux yeux bleus, du plus grand intérêt ; la plus belle peau possible ; la gorge... les fesses sublimes ; et l'un des cons les plus étroits, à ce que prétendaient nos paillards, qu'il fût possible de donner à foutre à des capucins. Les deux servantes étaient sœurs, dépucelées par nos deux libertins, dès l'âge de dix ans, et à leur service depuis cette époque. L'aînée, que l'on appelait Martine, pouvait avoir environ seize ans ; Léonarde, sa cadette, en avait à peine quinze ; de jolies figures, de la taille, de la fraîcheur, voilà ce qui, sans exagération, plaçait l'une et l'autre fille dans la classe des plus jolies villageoises de France. Pour nos moines, ils étaient à peu près du même âge. Mon père, cependant, paraissait l'aîné ; il pouvait avoir quarante ans ; tourné comme un satyre, la barbe bleue, les yeux noirs ; une étonnante vigueur, une imagination de feu, et l'un des plus superbes vits de l'Europe, après celui du père Ives, qui l'emportait cependant de beaucoup, puisqu'il avait onze pouces de long, tête franche, sur huit de pourtour. Ives n'avait que trente-huit ans ; sa physionomie était moins agréable que celle de mon père ; les yeux petits, le nez long ; mais vigoureusement taillé, et plus libertin encore. Toute la compagnie sortait de table, quand nous sautâmes au bas du lit où nous venions de faire des extravagances, pour appliquer nos yeux contre les fentes d'une cloison, qui séparait la chambre où nous étions de celle où les orgies allaient ce célébrer. A l'embrasement où nous vîmes les têtes, il nous parut que les sacrifices qu'on se préparait à offrir se ressentiraient de ceux qu'on venait de célébrer sur les autels du dieu de la bonne chère. Mon père, surtout, me parut complètement gris. - Ives, dit-il à son confrère, faisons déshabiller ces garces ; celle qui sera plus tôt nue sera foutue la première... la plus paresseuse, au contraire, recevra cinquante coups de fouet de chacun. - J'y consens, répondit Ives ; aussi bien ai-je autant d'envie de fouetter que de foutre. Ce n'est pas qu'à mon gré le premier ne vaille infiniment mieux que le second ; mais, comme je bande beaucoup aujourd'hui, j'ai besoin d'élancer du sperme, et je ne le perds jamais si bien qu'en foutant. Le bougre, en disant ces mots, soutenait l'argument d'un vit musculeux, dont la tête écarlate menaçait le ciel. - Sacredieu, lui dit mon père en venant empoigner ce membre... oh ! bougre de dieu, mon ami, comme tu bandes... Conviens, Pauline, que voilà ce qui s'appelle un superbe engin. Tiens, je l'avoue, ma chère, je jouirai toujours plus voluptueusement de te le voir mettre par un vit comme celui-là, que de te foutre moi-même. Si j'avais été marié, je n'aurais pas eu de plus grand plaisir que de me voir cocufier par un engin de cette espèce. -- Infâme libertin, répondit père Ives en déboutonnant la culotte de son confrère, dont le froc était déjà au diable, conviens qu'il est encore un endroit où tu aimerais mieux voir ce vit-là, que dans le con de ta maîtresse. - Où donc ? - Dans ton cul, mon ami ! dans ton cul ! - Cela est vrai, dit Siméon ; regarde-le, ce cul dont tu parles ; vois comme il est beau ; balaye-le donc un instant, avant que d'entrer dans le con de ma garce. - Tiens, jean-foutre, te voilà content, dit le père Ives en couchant Siméon sur un canapé, et lui dardant son nerveux engin dans le cul. - Ah ! foutre !... foutre ! s'écrie mon père en contrefaisant la putain, et frétillant comme une anguille ; oui, sacre-dieu, voilà ce que je voulais. Et le paillard, faisant aussitôt glisser une des jeunes servantes sous lui, l'enconne, pendant qu'on l'encule. Mais ces attaques n'étant que des préludes, tous deux se retirent sans perdre de foutre ; et l'on met dans la scène lubrique un peu plus de régularité. Malgré ce petit épisode préliminaire, nos moines n'avaient bas perdu la carte ; ils avaient fort bien remarqué que la jeune Martine avait été la dernière à se déshabiller, et ma mère, la première nue. - Exécutons l'arrêt, dit Siméon. Pauline, donnez-nous des verges ; et toi, père Ives, empare-toi de cette petite putain ; lie-lui les mains avec ton cordon ; penche-la sur tes genoux ; je vais lui apprendre à être paresseuse ; quand je l'aurai mise en sang, tu prendras ma place. La pauvre petite fille est saisie ; elle a beau crier, se défendre ; on ne l'écoute pas. Siméon fixant son attitude au moyen du bras gauche, dont il lui entoure les reins, lui applique du droit une fessée si nerveuse qu'en moins de vingt coups ses fesses sont toutes rouges. - Venez vous mettre à genoux devant cet engin, Léonarde, dit-il à l'autre petite fille, et branlez-le sur vos petits tétons. Toi, Luce, pendant que je fouette, tu devrais polluer mon cul, encore escorié de l'attaque qu'il vient de recevoir ; tu vois comme il s'offre à toi tout entier ; chatouille-le, ma bonne. Et toi, Pauline, viens te faire patiner par mon confrère, pour le consoler un peu des peines qu'il prend de me contenir cette petite gueuse... Eh bien ! ne vous ai-je pas dit que cela allait former le plus joli groupe du monde ; examinez dans cette glace combien il est intéressant. Allons, changeons, père Ives ! viens à ma place, je vais prendre la tienne ; achève de m'étriller ce cul-là, de manière à ce qu'il s'en ressente au moins quinze jours. Ives ne se fait pas attendre ; et la malheureuse Martine ne sort de ses mains qu'en sang. - Allons, dit Siméon, nous avons puni, récompensons. Pauline a été la première nue ; tu sais ce que nous avons promis a cet acte d'obéissance ; enfile-là, père Ives ; je vais te servir de maquereau, sous condition qu'après tu me tiendras lieu de bardache. - J'y consens, dit père Ives ; il y a longtemps qu'à l'exemple de César, j'aime fort à être le mari de toutes les femmes, et la femme de tous les maris. Ma mère se place ; la bougresse avait tant d'ardeur, qu'elle déchargeait déjà. Siméon conduit lui-même le vit, il le présente, il le fait pénétrer. - Ah ! foutre, s'écrie ma mère, dès qu'elle le sent... quel engin monstrueux... je décharge. A peine sont-ils ensemble, que Siméon s'empare du derrière de celui qui le cocufie ; il braque son vit sans le mouiller, et se trouve presque aussitôt au fond du cul de son rival, que celui-ci l'est au fond du cul de Pauline... Tous deux foutent... tous deux s'agitent... ce sont les flots de la mer agités sous l'aquilon qui les boursoufle. Mais il leur faut des épisodes. - Martine, dit mon père, viens te mettre à cheval sur les reins d'Ives, je veux baiser ton cul, pendant que je sodomise celui du fouteur de ma maîtresse ; et toi, Léonarde, place-toi de même, à califourchon, sur le sein de Pauline ; tu lui poseras le con sur la bouche ; la tribade te sucera ; elle aime à gamahucher une femme, pendant qu'on la fout ; et père Ives te baisera les fesses ; il est quelquefois nécessaire de baiser un cul, quand on lime un vagin ; c'est un contre-poison. - Et moi, dit Luce, que ferai-je ? - Fouette-moi, dit Siméon, et, de temps en temps, fais-moi baiser et ta bouche et ton cul ; ensuite tu danseras autour de nous, comme David devant l'arche et tu pisseras, tu chieras en circulant ainsi ; ces ordures nous égaieront. En fait d'orgies, il faut tout essayer : plus ce qu'on imagine est sale, et mieux l'on bande. Au diable la foutaise sans crapule ; tous les vices se prêtent la main, ils s'enchaînent, ils se communiquent mutuellement des forces ; on doit les exercer tout en foutant. - Il faut aussi qu'elle nous apporte à boire, dit père Ives ; j'aime à m'enivrer en me livrant aux luxures ; et je pense comme toi, mon ami, que tous les vices donnent des forces à celui-ci, et qu'on ne saurait en trop réunir au moment où l'on veut perdre du foutre... Tout est délicieux quand on bande ; et plus on fait de choses alors, plus on est vivement chatouillé. - Allons, décharge... décharge, répondit mon père ; car le sperme souille tes idées, et tu ne sais bientôt plus ce que tu dis. - Eh bien ! foutre, je vais au moins te prouver que je sais ce que je fais ; car, pour ne pas procréer un enfant à ta garce, je vais lui lâcher ma bordée sur le ventre. - Non, non, dit Siméon en s'opposant au vertueux mouvement de son confrère, ne te gêne point pour cela ; il y a ce qu'il faut dans notre jardin ; fous toujours, mon cher ; et, quand la putain enflera, je me charge de remettre les choses en ordre. Ives, encouragé, redouble avec ardeur ; les mouvements de mon père achèvent de l'embraser ; tous deux goûtent en même temps le souverain plaisir ; et tous deux, merveilleusement servis par les acolytes, dardent à la fois, dans le vase qui le reçoit, le foutre épais qui leur tourne la tête. Mais tous les deux, trop libertins pour en rester là, ne font que changer de jouissance. Ives encule Siméon, qui, à son tour, enconne la maîtresse de son ami ; les deux petites filles font baiser leurs fesses, et Pauline est chargée des circonvallations libidineuses. Elles les accomplit avec tant d'art, elle satisfait si bien, tour à tour, les différents besoins de la nature, qu'elle précipite l'extase de nos fouteurs, dont une seconde éjaculation vient promptement couronner le délire. - Oh ! pour le coup, reposons-nous, dit mon père ; je ne bande plus que je n'aie bu au moins six bouteilles de vin de Champagne. Profitons de cet instant pour vous rendre compte maintenant de tout ce qui s'était passé entre mon frère et moi, pendant cet intéressant spectacle. Souvent de L'Aigle avait quitté le rôle de spectateur pour s'acquitter de celui d'agent ; et, comme la position dans laquelle j'étais lui rendait la jouissance de mon devant assez difficile, le petit libertin s'en dédommageait par derrière. Il avait relevé ma chemise sous mon corset ; et, maître de mon cul par mon attitude, il le dévorait des plus ardents baisers. Nullement écolier sur rien, le fripon l'écartait, y dardait sa langue... son doigt ; et, sur la fin de la scène, s'étant incliné sur mes reins, il était parvenu à m'insinuer son petit dard à l'entrée du con. Encouragé par ces préliminaires : « Prête-toi, ma sœur, m'avait-il dit, dès qu'il vit nos acteurs à table... reste dans la même posture ; incline-toi seulement un peu, et tu verras que j'entrerai. » Très échauffée de ce que je voyais, je m'appuie fortement sur la cloison, en présentant, du mieux que je peux, mon derrière à de L'Aigle... Mais, grand Dieu ! quel événement ! La planche, mal assurée, se détache, et va tomber sur la tête de Martine, d'une manière si forte, et dans un sens si dangereux, qu'elle la renverse sans connaissance, en lui faisant un trou à la tête, dont le sang sort à gros bouillons. Cependant nos deux moines, très étonnés de nous voir rouler à terre le long de cette planche, tous les deux dans une attitude et dans un état qui ne leur laisse rien à deviner, ne savent auquel ils courront le plus vite ; secourront-ils Martine ? viendront-ils à nous ? La luxure l'emporte ici sur la pitié, ainsi que cela doit être dans l'âme d'un vrai libertin. Tous deux, singulièrement émus de la nudité où ils nous voient, nous relèvent, promènent leurs mains sur nos charmes, nous grondent... nous caressent tour à tour, et laissent les femmes secourir la blessée, qui se trouve dans un tel état, qu'on est obligé de la mettre au lit. Cette malheureuse planche avait causé tant de désordre, que la table sur laquelle elle avait également porté s'était anéantie, en entraînant avec elle les plats et les bouteilles, dont les débris inondaient la chambre. - Nettoyez donc cela, dit Siméon en arrachant Léonarde aux soins qu'elle donne à sa compagne, et faisant voir, par cette dureté, qu'il s'occupe bien plus du local de ses plaisirs, que des soins dus à la malheureuse victime de cette aventure... Eh bien ! elle est blessée, poursuit-il... à la bonne heure, on verra ce que c'est... - Mais, mon père, dit Léonarde, elle est tout en sang. - Il n'y a qu'à étancher ; on verra le reste quand nous aurons foutu... Et pendant ce dialogue... objet des caresses de mon père, pendant que de L'Aigle l'est de celles du père Ives, nos cruels paillards, sans s'inquiéter nullement de l'état de la pauvre Martine, ne paraissent émus que des plaisirs qu'ils attendent des deux nouvelles jouissances sur lesquelles ils ne comptaient guère. - Regarde donc, disait Siméon à père Ives, comme cette petite coquine-là a déjà de la gorge !... et sa petite motte, comme elle s'ombrage !... C'est pourtant moi qui ai mis cela au monde... Sais-tu qu'avant six mois cela sera bon à prendre ? - Pourquoi pas sur-le-champ ? dit père Ives ; quelle nécessité y a-t-il d'attendre six mois ? Tiens, continua-t-il en montrant le cul de mon frère, regarde comme cela est déjà formé ! Allons... allons, puisque le hasard nous les donne, profitons-en ; et pas tant de délicatesse. Cependant de L'Aigle et moi, très honteux, n'osions rien opposer aux projets que l'on affichait sur nous. Ma mère s'était emparée de mon frère ; et le baisant avec ardeur : - Charmant amour, lui disait-elle en branlottant son petit vit, ne résiste point à ton père, c'est ton bonheur qu'il veut ; s'il peut s'attacher à toi, ta fortune est faite... Viens... viens dans mes bras, petit bougre ; viens placer ton vit dans le même lieu qui te donna la vie ; le plaisir que tu ressentiras de cette jouissance adoucira peut-être les tourments de la défloraison qu'on te prépare. - Ah ! l'excellente idée ! dit Siméon ; je vais foutre mon fils, pendant qu'il enconnera sa mère ; quel tableau pour toi, père Ives ! - Crois-tu, répond celui-ci, que je le considérerai de sang-froid ? je vais dépuceler ta fille pendant ce temps-là. - Non, sacre-dieu, dit Siméon ; tous deux sont mes enfants, et je veux les foutre tous deux. Tiens, mon ami, il y a une jouissance aussi piquante que voluptueuse à te procurer ici ; car, je sens bien qu'au spectacle d'une immoralité, il faut devenir très impur et très irrégulier soi-même. Encule Martine, qui vient d'avoir la tête cassée... elle souffre comme une malheureuse, ton vit la vexera prodigieusement ; et, de cette double crise de douleur, résultera nécessairement, tu le conçois, une somme immense de volupté ; car tu sais, mon ami, combien la douleur produite sur l'objet dont on jouit rapporte à nos sens de plaisirs ! - Ah ! foutre, l'idée est aussi neuve qu'excellente, s'écrie père Ives, menaçant déjà de son vit énorme les fesses de la pauvre petite blessée... Allons, putain, viens présenter ton cul. - Mais, mon père, je souffre horriblement. - Tant mieux, c'est ce qu'il me faut. - Père Ives, dit Siméon, fais ôter ce mouchoir, aies la plaie sous tes yeux... Tout s'exécute, malgré les résistances naturelles et nécessitées par les disproportions qui se trouvent entre l'énorme engin de père Ives et le cul mignon de la jeune Martine. L'attaque se commence ; Luce aide son amant... le baise... l'excite, pendant qu'il agit. La malheureuse victime, à la fois vexée par les douleurs du coup qu'elle a reçu, et par l'antinaturelle intromission du vit donc on la perfore, jette des cris inhumains ; et Siméon, ayant cet intéressant tableau sous les yeux, se met bientôt à la besogne. Déjà Pauline s'était introduit le petit engin très dur de mon frère ; déjà le petit bougre foutait sa mère, quand Siméon, voyant le cul de son fils bien à sa portée, se présente à l'orifice en vainqueur. Des difficultés sans nombre accompagnent l'entreprise ; mais Siméon n'est pas homme à se laisser repousser par aucune. Léonarde contient l'enfant ; elle lui écarte les fesses ; le moine mouille son vit... il le présente ; deux bonds furieux, accompagnés d'énormes blasphèmes, engloutissent déjà la tête. Siméon redouble ; ma mère contient et caresse son fils ; l'enfant pleure. Les plaisirs qu'on lui donne par devant ne le dédommagent pas des douleurs qu'il ressent par derrière ; mais on s'inquiète peu de ce qu'il éprouve. De seconds élans décident enfin la victoire ; le paillard est au fond, et de nouveaux blasphèmes précèdent ses lauriers. Léonarde est sous sa main ; il la patine, il la langotte, tout en sodomisant son fils ; et, pour que l'inceste soit mieux prononcé, le paillard veut baiser mes fesses, pendant qu'il encule mon frère. On m'établit en conséquence sur les reins du bardache filial de sa révérence, et le sodomiste s'en donne à son aise. Cependant, et toujours sous les yeux de mon père, Ives porte au cul de Martine les plus sensibles coups, pendant que sa maîtresse l'encule lui-même avec un godemiché. - Ives, dit Siméon, bandes-tu comme moi ? - Oui, foutre, répond celui-ci en retirant, pour le lui prouver, son vit couvert de merde du cul qu'il sodomise, et le renfonçant aussitôt, ce qui renouvelle tellement les douleurs de la malheureuse blessée, qu'elle est près de s'en évanouir... tu le vois, si je bande. - Eh bien ! sacre-dieu, si cela est, dit Siméon, fais donc souffrir cette putain. Et l'infortunée contre laquelle s'arrangeaient de si lâches complots inondait la chambre de son sang. Double foutu dieu, poursuit le scélérat, fous le trou qu'elle s'est fait à la tête, puisque tu bandes, et fais-en un autre à côté, tout en déchirant celui-là. Cette nouvelle exécration s'exécute. Le féroce père Ives décide la blessée, la fait mettre à genoux... darde son vit sur la plaie, s'y enfonce, y décharge, en fracassant à coups de canne l'autre partie saine du crâne de cette infortunée. - Voilà ce que c'est, dit Siméon en déchargeant de son côté dans le cul de mon frère, pendant qu'il mord mes fesses ; oui, voilà ce que c'est ; j'aime les horreurs, moi... je ne décharge jamais aussi bien que quand j'en fais, que j'en vois, ou que j'en fais faire. - Attends, poursuit mon père, pour me remettre en train, je vais fustiger cette garce. - Oh ! foutre, dit père Ives... elle est dans un état à ne pouvoir plus rien endurer. - Tu te fous de moi, dit Siméon ; jusqu'à ce qu'une putain crève, elle est en état de tout soutenir. Le gueux la saisit en disant cela ; la courbant sous son bras gauche, d'une de ses jambes il lui enlace les deux siennes, et la fustige de la main droite avec une telle violence, qu'en moins de soixante coups, ses cuisses sont inondées du sang que son derrière distille. Rien ne l'arrête ; il continue. Ives imagine de lui rendre ce qu'il fait à cette pauvre fille ; le cul de son confrère, entièrement à nu, se trouvait bien à sa portée. Une nouvelle scène se lie aussitôt. Siméon veut que Léonarde suce son vit, pendant qu'il flagelle Martine. Élevé sur le lit, il baise encore le mien ; et Luce continue de travailler avec un godemiché le cul du père Ives, qui, tout en fouettant son ami, touche brutalement les tétons de ma mère. - Ne déchargeons pas ainsi, dit Siméon, cela n'en vaut pas la peine ; il vaut mieux foutre. Tiens, sodomise mon fils encore une fois dans les bras de sa mère ; moi je vais placer ma fille à cheval sur les tétons de la maman ; je l'enconnerai, pendant que, de ses fesses, elle pressurera le visage de sa mère ; Léonarde et Martine nous fouetterons pendant ce temps-là, et Luce nous fera baiser ses fesses. Je ne vous peindrai point les douleurs que je ressentis à la perte de mon pucelage ; le vit de mon père était monstrueux, et il ne me ménageait pas. Un nouveau supplice m'était préparé ; ma mère, en déchargeant, ne sachant plus ce qu'elle faisait, saisit avec ses dents un morceau de mes fesses, qui, comme vous savez, reposaient sur son visage. Je jette un cri en poussant vigoureusement mes reins sur le vit monstrueux qui me perfore ; ce mouvement précipite l'extase de mon père... il décharge ; son confrère l'imite ; la posture se rompt, et quelques instants de calme viennent rafraîchir à la fois les sens et les esprits de nos libertins. - Buvons, dit mon père ; les seuls excès de table produisent de bon foutre ; et vous ne verrez jamais un véritable libertin qui ne soit ivrogne et gourmand. Donne le meilleur vin que nous ayons, dit père Ives à Luce ; nous avons encore de la besogne à faire. - Attends, dit Siméon, pendant que nous allons nous gorger de nourriture, il faut que ces deux enfants ne cessent de nous branler... Et toute liberté pendant le repas... nous mangerons, nous boirons, nous pisserons, nous péterons, nous chierons, nous déchargerons... nous nous livrerons à la fois à tous les besoins de la nature. - Oui, foutre... oui, bougre de dieu, dit père Ives chancelant, il n'y a que cela de délicieux dans le monde ; et quand on fait tant que de célébrer des orgies, il faut que tout y soit crapuleux... sale et cochon, comme le dieu que l'on y révère ; il faut se vautrer dans l'ordure, à l'exemple des pourceaux, et ne chérir, comme eux, que la fange et que l'infamie. Martine, quoique baignée dans son sang, est mise sur la table ; ses fesses ensanglantées servent à poser les plats ; et, quand on en est au second service, les libertins mangent dessus des omelettes bouillantes. Après une heure de cette cruelle restauration, on parle de me foutre en cul ; je n'avais perdu qu'un de mes pucelages, il s'agissait d'attaquer l'autre. - Il faut la mettre entre nous deux, dit père Ives, je foutrai son con tandis que tu l'enculeras ; Pauline t'arrangera l'engin de son fils dans le derrière, et te fouettera pendant ce temps ; Luce me rendra le même service ; Léonarde galopera autour de nous, en pissant et chiant dans la chambre, et en appliquant, à chaque tour, tantôt un soufflet, tantôt une claque, ou même un coup de poing à la très intéressante Martine qui crèvera sans doute dans l'opération. Tout s'arrange. Mais, Dieu du ciel ! si j'avais souffert à la première de ces introductions, que ne ressentis-je pas à la seconde ! Je crus que le vit de Siméon me partageait en deux ; il me semblait que c'était une barre rouge que l'on introduisait dans mes entrailles ; et cependant, quelque jeune que je fusse, j'éprouvais, au travers de tout cela, de légères étincelles de plaisir, signes certains de celui que je recevrais un jour par cette voluptueuse manière de foutre. Une dernière décharge couronna l'œuvre ; je sentis couler à la fois, et par devant et par derrière, les deux émissions que l'on dardait en moi ; et, retombant anéantie au milieu de mes deux athlètes, je fus plus d'un quart d'heure à revenir de la secousse que de telles attaques venaient de porter à mon tempérament. Enfin, l'heure de la retraite au couvent fit promptement lever la séance. On se sépara. Martine fut envoyée à l'hôpital, où elle creva huit jours après. Nous continuâmes à rester chez ma mère. Quelques jour après, on recommença la même scène ; et Pauline, qui ne se cachait plus, se dédommageait dans nos bras des abstinences forcées où la contraignait son amant. Nous couchions tour à tour avec elle, et souvent tous les deux ensemble. Alors de L'Aigle et moi nous exécutions sous ses yeux mille postures plus lubriques les unes que les autres ; et la friponne, dirigeant nos luxures, nous rendait aussitôt toutes les leçons qu'elle recevait de son amant ; elle nous inspirait ses principes, et ne négligeait rien de tout ce qui pouvait le plus promptement corrompre nos esprits et nos cœurs. Lorsque nous eûmes atteint treize ou quatorze ans, la chère maman n'en resta point là. L'infâme créature osa nous conduire dans une maison où deux libertins s'amusèrent d'elle et de nous tout à la fois. Cent louis étaient la récompense de cette prostitution ; elle nous en donnait dix à chacun, sous les clauses du plus profond mystère ; et si, continuait-elle, nous étions exacts à ne rien révéler, elle nous procurerait bien d'autres aventures. Nous la satisfîmes, et, dans moins de six mois, la bonne dame nous vendit ainsi l'un et l'autre à plus de quatre-vingts personnes, lorsque de L'Aigle, un jour, par unique principe de méchanceté, dévoila tout à mon père. Siméon, furieux, battit ma mère d'une si terrible force, qu'elle en tomba malade, et qu'au bout de huit jours elle se vit aux portes du tombeau. - Ne restons pas ici, me dit mon frère ; cette bougresse-là va crever ; et Siméon, ou nous gardera pour sa jouissance, ce qui ne nous rapportera pas grand-chose, ou nous fera mettre à l'hôpital, ce qui deviendrait encore pis. Tu es assez jolie pour faire fortune toute seule ; et moi, ma sœur, je trouve un homme qui me couvre d'or, si je veux le suivre en Russie ; je pars. - Mais cette pauvre femme qui est dans son lit ? - Si sa situation te touche si vivement, il n'y a qu'à l'étrangler ; elle ne souffrira plus. - Scélérat, dis-je en souriant, et comme peu révoltée d'un pareil projet ; veux-tu donc nous faire rouer ? - Séraphine, me dit mon frère, on est bien près du crime, quand on n'est plus arrêté que par l'échafaud. - Je te jure que cette crainte me touche bien peu. - Eh bien ! exécutons. - Ma foi, j'y consens ; je n'ai jamais trop aimé cette garce. Et, n'écoutant plus que notre fureur... que notre envie d'être libres, et de nous enrichir des dépouilles de cette malheureuse, nous entrons dans sa chambre comme deux forcenés... Elle reposait ; nous nous jetons sur elle, et nous l'étranglons. « Partageons vite le coffre-fort », me dit mon frère. Nous y trouvons vingt mille francs, pour la moitié autant de bijoux ; et, ayant noblement partagé, les portes se ferment, et nous décampons. Nous fûmes dîner au bois de Boulogne ; et, après nous être fait les plus tendres adieux, nous être promis le plus rigoureux secret, nous nous séparâmes. Mon frère suivit l'homme qui devait l'emmener ; et moi, je fus trouver un des libertins que m'avait fait connaître ma mère, et sur lequel je comptais, d'après quelques promesses qu'il m'avait faites. - Mon enfant, me dit cet homme, dès que je fus chez lui, ce n'était pas de moi dont je te parlais ; je vois beaucoup de filles, mais n'en entretiens point. L'individu auquel je te destine vaut beaucoup mieux ; mais tu seras contrainte, je dois t'en prévenir, aux plus aveugles soumissions ; je vais l'envoyer prendre ; vous vous arrangerez. Ce personnage arrive. C'était un homme de soixante-cinq ans, très riche, frais encore, et qui, après avoir remercié son confrère de la bonne fortune qu'il lui procurait, me fit passer dans le boudoir de son ami, où nous nous expliquâmes. Cet homme, que l'on nommait Fercour, avait pour passion de laisser foutre en con sa maîtresse devant lui, par un jeune homme qu'il enculait pendant ce temps-là ; mais il ne déchargeait pas dans le cul du jeune homme ; il le quittait au milieu de la course, plaçait son vit merdeux dans la bouche de la femme, pendant que le jeune homme étrillait cette femme ; et, dès qu'il lui voyait le cul en sang, le paillard la sodomisait ; le ganymède le fouettait alors et l'enculait au bout de quelques minutes. Peu content de ces préliminaires, la femme s'étendait sur le dos dans un vaste canapé ; et là, pendant qu'on lui enfonçait des épingles dans le derrière et dans les couilles, il en plaçait de même plus d'un cent dans les tétons de sa maîtresse. Une vieille gouvernante, qui ne paraissait qu'alors, lui faisait perdre son foutre en lui chiant dans la bouche. Quelque dures que dussent me paraître ces propositions, le besoin les fit accepter. Peu à peu je gagnai seule toute la confiance de Fercour ; au bout de deux ans j'en profitai pour écarter de lui tous les témoins qui m'étaient incommodes. Un jour que mon Crésus s'amusait sous mes yeux à compter ses richesses, elles me tentèrent. Mes réflexions furent bientôt faites : on passe promptement à un second crime, quand on n'a point conçu de remords du premier. Je jetai dans son chocolat six gros d'arsenic acheté pour détruire les rats, et dont on m'avait imprudemment confié la garde. Le vilain creva dans vingt-quatre heures. Je le volai, et passai sur le champ en Espagne. J'ai parcouru deux ans les plus grandes villes de cette contrée, y exerçant le métier de courtisane dans toutes avec autant d'agrément que de profit. Ô mes amis, c'est là, c'est dans ces belles provinces où j'ai reconnu les passions de l'homme mille fois plus exaltées que dans aucun pays de l'Europe ! c'est là où je les ai vus parvenir à des résultats dont on ne se doute point dans le reste de la terre. Il semble que l'excessive ardeur du soleil et la force de la superstition leur donnent un degré d'énergie inconnu aux autres hommes. Ce n'est vraiment que là où les piquants plaisirs du blasphème et du sacrilège s'amalgament délicieusement avec ceux du libertinage. Ce n'est que là où la mutuelle énergie qu'ils se prêtent, ajoute au dernier degré du délire et de l'égarement. Ah ! si vous saviez ce que c'est que de foutre aux pieds d'une madone... au fond d'un confessionnal ou sur le bord d'un autel, ainsi que cela m'arrivait tous les jours ! Non, rien au monde n'est délicieux comme l'existence de ces freins uniquement réalisés pour se procurer le plaisir de les rompre. Comme il est divin de rendre ainsi tout le paradis témoin de ses écarts ! Oh ! croyez-moi, les Espagnols sont les hommes de la terre qui raisonnent le mieux leurs voluptés... les seuls qui sachent le mieux en raffiner tous les détails. J'étais enfin la coquine la plus riche et la plus heureuse du monde, lorsqu'une aventure affreuse vint m'arrêter à Tolède au milieu de ma brillante carrière. Le duc de Cortès, ayant acquis de mon personnel une connaissance assez profonde, pour se flatter que je lui serais utile dans l'affreux parricide qu'il méditait, me fit entrer dans la maison de son père sur le pied de femme de charge. Le coup était prêt à éclater ; cinq cent mille livres de rente devenaient pour le jeune duc le prix de son forfait ; quatre mille pistoles en payaient l'exécution. Un malheureux valet de chambre découvre le mystère, et saisit le poison sur moi ; le duc se sauve... On m'arrête. Au bout de dix-huit mois d'une affreuse prison, je vais enfin subir mon jugement, lorsque votre camarade Gaspard que vous voyez ici, et détenu lui-même pour quelque crime semblable, m'offre d'essayer la fuite avec lui. Nous réussissons. Il est un Dieu pour les grands coupables, les petits seuls n'échappent jamais. Nous repassâmes les monts ensemble ; et, après avoir mendié près d'un an, nous trouvâmes enfin votre troupe. Vous savez, mes camarades, comme je m'y suis conduite depuis que j'ai l'honneur d'y être agréée. Voilà tout ce que j'avais à vous dire. Ce récit, je vous en avais prévenus, peu fertile en événements, ne méritait pas l'attention de gens qui, comme vous, ont passé leur vie d'aventures en aventures ; n'importe, je vous ai obéi, et vous ai convaincus par là, que je mettrai toujours avec vous la soumission au rang de mes premiers devoirs. L'histoire de Séraphine avait néanmoins allumé quelques étincelles de luxure dans le cœur de ces libertins ; la passion de Fercour surtout trouva des imitateurs. Ô malheureuse Justine ! ton beau sein servit de plastron aux deux scélérats qui voulurent copier cette manie ; et, dès que tu fus sur ton triste grabat, les larmes que te faisait si fréquemment verser l'injustice des hommes, recommencèrent à couler avec plus d'abondance... Infortunée, tu te plaignais au ciel, sans te douter que ce même ciel te préparait pourtant l'aurore du beau jour qui devait t'enlever à cette cruelle situation... non pour terminer tes malheurs, mais pour en changer au moins la nature. Malgré l'état d'avilissement où l'on tenait cette malheureuse fille dans le souterrain, Séraphine continuait pourtant de la protéger ; et, comme elle l'employait souvent dans ses plaisirs particuliers, elle lui procurait de temps en temps quelques douceurs. - Mon ange, lui dit-elle un jour, déjà trompée d'une manière cruelle par une de mes camarades, je crains de ne pas t'inspirer, à mon tour, un degré bien entier de confiance. Je te proteste pourtant de ne t'en imposer sur rien, et que la vérité pure va t'être offerte ici par ma bouche ; mais, de la discrétion, ou ma vengeance serait terrible. On me demande à Lyon une jolie fille pour un vieux négociant, dont les goûts sont bizarres, il est vrai, mais qui les paye assez généreusement pour consoler des peines ou des dégoûts qu'ils peuvent inspirer. Il s'agit de profanation ; l'homme dont je te parle est un impie ; il te maniera pendant qu'on dira la messe devant lui ; à l'élévation il sortira d'une petite boîte une hostie aussi bien consacrée que celle qui s'élèvera devant toi ; il t'enculera avec cette hostie, pendant que le célébrant viendra te foutre, à son tour, avec celle qu'il viendra de consacrer. - Quelle horreur ! s'écria Justine. - Oui, j'ai senti qu'avec tes principes une telle proposition te répugnerait... Mais vaut-il mieux rester ici ? - Non, sans doute. - Eh bien ! décide-toi donc. - Je le suis, dit Justine avec un peu de remords ; fais de moi ce que tu voudras, je me livre. Séraphine vole chez Gaspard, elle lui représente que la punition de Justine est assez longue ; qu'il ne faut pas priver plus longtemps la troupe des services qu'une telle fille est en état de lui rendre au dehors ; qu'elle en demande l'assistance dans ses différentes opérations, et qu'elle en répond sur la surface de la terre comme dans les entrailles du globe. La grâce s'obtient ; on renouvelle les leçons de Justine ; on lui fait subir un examen ; et, au bout d'un séjour de cinq mois dans cet abominable repaire, elle obtient enfin la permission d'en sortir et de suivre sa protectrice à Lyon. - Grand Dieu ! se dit Justine en revoyant le soleil, une œuvre de pitié vient de m'engloutir toute vive pendant cinq mois ; la promesse d'un crime rompt mes fers. Ô Providence ! explique-moi donc tes incompréhensibles décrets, si tu ne veux pas que mon cœur se révolte. Nos deux voyageuses s'arrêtèrent dans un cabaret pour déjeuner. Justine ne disait mot, mais elle n'en combinait pas moins son projet de liberté. - Madame, s'écria-t-elle en s'adressant à la maîtresse du logis, femme très douce et assez jolie, oh ! madame, je vous conjure de m'accorder votre secours et votre protection. La créature avec laquelle vous me voyez malgré moi, m'a fait jurer de la suivre en un lieu où mon honneur est compromis ; je l'ai fait pour me tirer d'une bande de coquins où j'avais le malheur d'être prisonnière avec elle. Mon intention n'est pas de l'accompagner plus longtemps ; je vous prie de l'engager à renoncer aux prétentions qu'elle se croit sur mon individu, de la prier de suivre sa route, et de me garder chez vous jusqu'à demain, époque où, séparée d'elle, je prendrai, pour mon compte, une route... si opposée à la sienne, que de la vie nous ne nous rencontrerons. - Scélérate, dit Séraphine, furieuse, paye-moi du moins si tu veux me quitter. - J'atteste le ciel, dit Justine, que je ne lui dois rien... qu'elle ne me force pas à m'expliquer plus clairement. Séraphine effrayée disparaît en sacrant ; et Justine, caressée, consolée par l'hôtesse, la plus honnête et la plus aimable des femmes, passe quarante-huit heures dans cette maison, avec la prudence de ne jamais dire, en racontant ses aventures, rien qui puisse compromettre les malheureux qu'elle venait de quitter. Le troisième jour au matin, elle se remit en marche, comblée de présents... des amitiés de madame Delisle, et dirige ses pas du côté de Vienne, décidée à vendre ce qui lui restait, pour arriver à Grenoble, où ses pressentiments ne cessaient de lui dire qu'elle devait trouver le bonheur. Nous allons voir comment elle y réussit, après avoir préalablement raconté les nouvelles traverses qui l'attendaient, avant que de parvenir à cette capitale du Dauphiné. Justine marchait tristement, toujours dirigée vers la ville de Vienne, lorsqu'elle aperçoit, dans un champ à droite du chemin, deux cavaliers qui foulaient un homme aux pieds de leurs chevaux, et qui, après l'avoir laissé comme mort, se sauvèrent à bride abattue. Ce spectacle affreux l'attendrit jusqu'aux larmes. Hélas ! dit-elle, voilà un homme plus à plaindre que moi ; il me reste au moins la santé et la force ; je puis gagner ma vie ; et, si ce malheureux n'est pas riche, que va-t-il devenir en l'état où ces fripons viennent de le mettre ? A quelque point que Justine eût dû se défendre des mouvements de la commisération, quelque funeste qu'il eût été de tous les temps pour elle de s'y livrer, elle ne put vaincre l'extrême désir qu'elle éprouvait de se rapprocher de cet homme, et de lui prodiguer ses secours. Elle vole à lui, lui fait respirer quelques gouttes d'eau spiritueuse, et jouit enfin de toute la reconnaissance de l'infortune qu'elle soulage. Plus ses soins réussissent, plus elle les redouble. Un des seuls effets qui lui restent, une chemise... elle la met en pièces pour étancher le sang du blessé. Ces premiers devoirs remplis, elle lui donne à boire quelques gouttes de cette même liqueur spiritueuse. Le voyant tout à fait remis, elle l'observe. Quoique à pied, et dans un équipage assez leste, cet homme ne lui paraît pourtant pas dans la médiocrité ; il avait quelques effets de prix, des bagues, une montre, des boîtes ; mais tout cela fort endommagé par son aventure. - Quel est, dit-il, dès qu'il put parler, quel est l'ange bienfaisant qui me secourt ? et que puis-je faire pour lui témoigner toute ma gratitude ? Ayant encore la simplicité d'imaginer qu'une âme, liée par la reconnaissance, doit lui appartenir en entier, l'innocente Justine croit pouvoir jouir du doux plaisir de faire partager ses pleurs à celui qui vient d'en verser dans ses bras ; elle l'instruit de ses revers. Il les écoute avec intérêt ; et, quand elle a fini le récit de la dernière catastrophe qui vient de lui arriver : - Que je suis heureux, s'écrie l'aventurier, de pouvoir enfin reconnaître tout ce que vous venez de faire pour moi !... Écoutez... écoutez, mademoiselle, et jouissez du plaisir que j'éprouve à vous convaincre qu'il est peut-être possible que je puisse m'acquitter envers vous. On me nomme Roland ; je possède un fort beau château dans la montagne, à quinze lieues d'ici ; je vous invite à m'y suivre ; et, pour que cette proposition n'alarme point votre délicatesse, je vais vous expliquer tout de suite à quoi vous me serez utile. Je suis garçon ; mais j'ai une sœur que j'aime passionnément, qui s'est vouée à ma solitude, et qui la partage avec moi ; j'ai besoin d'un sujet pour la servir ; nous venons de perdre celle qui remplissait cet emploi ; je vous offre sa place. Justine, après avoir remercié son protecteur, lui demanda par quel hasard un homme comme lui s'exposait à voyager sans suite, et, ainsi que cela venait de lui arriver, à être molesté par des fripons ? - Un peu replet, jeune et vigoureux, je suis, depuis plusieurs années, dit Roland, dans l'habitude de venir de chez moi à Vienne de cette manière. Ma santé et ma bourse y gagnent. Ce n'est pas que je sois dans le cas de prendre garde à la dépense ; car je suis riche ; vous en verrez bientôt la preuve, si vous me faites l'amitié de venir chez moi ; mais l'économie ne gâte jamais rien. Quant aux deux hommes qui viennent de m'insulter, ce sont deux gentillâtres du canton, auxquels je gagnai cent louis la semaine passée, dans une maison à Vienne. Je me contentai de leur parole ; je les rencontre aujourd'hui, je leur demande ce qu'ils me doivent, et voilà comme les scélérats me payent. Notre compatissante voyageuse continuait de plaindre cet infortuné, du double malheur dont il était victime, lorsque l'aventurier lui proposa de se remettre en route. - Grâce à vos soins, je me sens un peu mieux, lui dit-il ; la nuit approche ; gagnons une maison qui doit être à deux lieues d'ici ; les chevaux que nous y prendrons demain, nous déposeront chez moi le même soir. Absolument décidée à profiter des secours que le ciel lui envoyait, Justine aide Roland à se mettre en marche ; elle le soutient, et trouve effectivement, à deux lieues de là, l'auberge annoncée par son compagnon de route. Tous deux y soupent honnêtement ensemble. Après le repas, Roland la recommande à la maîtresse du logis ; et le lendemain, sur deux mulets de louage, qu'escortait un valet de l'auberge, nos gens gagnent la frontière du Dauphiné, se dirigeant toujours vers les montagnes. La traite étant trop longue pour ne remplir qu'un jour, ils s'arrêtèrent à Virieu, où Justine éprouva les mêmes soins, les mêmes égards de son patron ; et le jour suivant, ils continuèrent leur marche, toujours dans la même direction. Sur les quatre heures du soir, ils arrivèrent au pied des montagnes ; là, le chemin devenant presque impraticable, Roland recommanda au muletier de ne pas quitter Justine, et tous trois pénétrèrent dans les gorges. Notre héroïne, que l'on faisait tourner, monter et descendre, depuis plus de quatre heures, et qui ne reconnaissait plus aucune trace de chemin, ne put s'empêcher de témoigner un peu d'inquiétude. Roland la démêle, et ne dit mot. Un tel silence effrayait davantage cette malheureuse fille, lorsqu'elle aperçut enfin un château perché sur la crête d'une montagne, au bord d'un précipice affreux, dans lequel il semblait prêt à s'abîmer. Aucune route ne paraissait y tenir ; celle que l'on suivit, seulement pratiquée par des chèvres, remplie de cailloux de tous cotés, arrivait cependant à cet effrayant repaire, ressemblant bien plutôt à un asile de voleurs, qu'à l'habitation de gens honnêtes. - Voilà ma maison, dit Roland, dès qu'il crut que le château avait frappé les regards de Justine ; et, sur ce que celle-ci lui témoignait son étonnement de le voir habiter une telle solitude : C'est ce qui me convient, lui répond-il avec brusquerie. Cette réponse, comme on l'imagine aisément, redoubla les craintes de notre infortunée. Rien n'échappe dans le malheur ; un mot, une réflexion, plus ou moins prononcée chez ceux de qui l'on dépend, étouffe ou ranime l'espoir. Mais, n'étant plus à même de prendre un parti différent, Justine se contint. Enfin, à force de tourner, l'antique masure se trouva tout a coup en face. Roland descendit de sa mule ; par ses ordres. Justine en fait autant ; et, ayant remis ses montures au valet, il le paye et le congédie. Ce nouveau procédé déplut encore, Roland le vit. - Qu'avez-vous, Justine ? demanda-t-il assez doucement, tout en s'acheminant vers son habitation ; vous n'êtes point hors de France, cette maison est sur les frontières du Dauphiné ; elle dépend de Grenoble. - Soit, monsieur... mais, comment vous est-il venu dans l'esprit de vous fixer dans un tel coupe-gorge ? - C'est que ceux qui l'habitent ne sont pas des gens très honnêtes, dit Roland ; il serait possible que vous ne fussiez pas fort édifiée de leurs occupations. - Ah ! monsieur, vous me faites frémir ! où me menez-vous donc ? - Je te mène servir des faux-monnayeurs, dont je suis le chef, dit Roland en saisissant le bras de Justine, et lui faisant traverser de force un petit pont qui s'abaissa et se releva tout de suite après. Vois-tu ce puits, continua-t-il dès que l'on fut entré, en montrant à Justine une grande et profonde grotte, située au fond de la cour, où quatre femmes, nues et enchaînées, faisaient mouvoir une roue ; voilà tes compagnes, et voilà ta besogne. Moyennant que tu travailleras journellement dix heures à tourner cette roue, et que tu satisferas, comme ces femmes, tous les caprices où il me plaira de te soumettre, il te sera accordé six onces de pain noir et un plat de fèves par jour. Pour ta liberté, renonces-y, tu ne l'auras jamais. Quand tu seras morte à la peine, on te jettera dans le trou que tu vois à côté de ce puits, avec deux cents autres coquines de ton espèce qui t'y attendent, et l'on te remplacera par une nouvelle. - Oh ! grand Dieu ! s'écria Justine en se précipitant aux pieds de Roland, daignez vous rappeler, monsieur, que je vous ai sauvé la vie... qu'un instant, ému par la reconnaissance, vous semblâtes m'offrir le bonheur, et que c'est en m'engloutissant dans un abîme éternel de maux que vous acquittez mes services. Ce que vous faites est-il juste ? et le remords ne vient-il pas déjà me venger au fond de votre cœur ? - Qu'entends-tu, je te prie, par ce sentiment de reconnaissance dont tu t'imagines m'avoir captivé ? dit Roland. Raisonne mieux, chétive créature. Que faisais-tu, quand tu vins à mon secours ? Entre la possibilité de suivre ton chemin et celle de venir à moi, n'as-tu pas choisi le dernier parti comme un mouvement inspiré par ton cœur ? Tu te livrais donc à une jouissance. Par où diable prétends-tu que je sois obligé de te récompenser des plaisirs que tu te donnes ? et comment te vint-il jamais dans l'esprit qu'un homme qui, comme moi, nage dans l'or et dans l'opulence, daigne s'abaisser à devoir quelque chose à une misérable de ton espèce ? m'eusses-tu rendu la vie, je ne te devrais rien, dès que tu n'as agi que pour toi. Au travail, esclave, au travail. Apprends que la civilisation, en bouleversant les principes de la nature ne lui enlève pourtant pas ses droits. Elle créa, dans l'origine, des êtres forts et des êtres faibles, avec l'intention que ceux-ci fussent toujours subordonnés aux autres. L'adresse, l'intelligence de l'homme varièrent la position des individus ; ce ne fut plus la force physique qui détermina les rangs ; ce fut l'or. L'homme le plus riche devint le plus fort, le plus pauvre devint le plus faible. A cela près des motifs qui fondaient la puissance, la priorité du fort fut toujours dans les lois de la nature, à qui il devenait égal que la chaîne qui captivait le faible fût tenue par le plus riche ou par le plus vigoureux, et qu'elle écrasât le plus faible ou bien le plus pauvre. Mais ces mouvements de reconnaissance dont tu veux me composer des liens, elle les méconnaît, Justine ; il ne fut jamais dans ses lois que le plaisir où l'un se livrait en obligeant, devint un motif pour celui qui recevait de se relâcher de ses droits sur l'autre ; vois-tu, chez les animaux qui nous servent d'exemples, de ces sentiments que tu réclames ? Lorsque je te domine par mes richesses ou par ma force, est-il naturel que je t'abandonne mes droits, ou parce que tu as joui en m'obligeant, ou parce qu'étant malheureuse, tu t'es imaginé de gagner quelque chose à ton procédé ! Le service fût-il même rendu d'égal à égal, jamais l'orgueil d'une âme élevée ne se laissera courber par la reconnaissance. Celui qui reçoit n'est-il pas toujours humilié ? et cette humiliation qu'il éprouve ne paye-t-elle pas suffisamment le bienfaiteur, qui, par cela seul, se trouve au-dessus de l'autre ? N'est-ce pas une jouissance pour l'orgueil, que de s'élever au-dessus de son semblable ? en faut-il d'autre à celui qui oblige ? Et si l'obligation, en humiliant celui qui reçoit, devient un fardeau pour lui, de quel droit le contraindre à le garder ? Pourquoi faut-il que je consente à me laisser humilier chaque fois que me frappent les regards de celui qui m'a obligé ? L'ingratitude, au lieu d'être un vice, est donc la vertu des âmes fières, aussi certainement que la reconnaissance n'est que celle des âmes faibles ! Qu'on m'oblige tant qu'on voudra, si l'on y trouve une jouissance ; mais qu'on n'exige rien pour avoir joui. A ces mots, auxquels Roland ne donna pas à Justine le temps de répondre, deux valets la saisissent par ses ordres, la dépouillent, font examiner son corps à leur maître, qui le touche et le manie brutalement ; puis, l'enchaînent avec ses compagnes qu'elle est obligée d'aider tout de suite, sans qu'il lui soit seulement permis de se reposer une minute de la marche fatigante qu'elle vient de faire. Roland l'approche alors ; il lui touche une seconde fois les cuisses, les tétons et les fesses ; pétrit durement dans ses doigts toutes ces chairs tendres et délicates ; l'accable de sarcasmes et de mauvaises plaisanteries, en découvrant la marque avilissante et peu méritée dont le cruel Rombeau avait autrefois flétri cette malheureuse ; puis, s'armant d'un nerf de bœuf, toujours là, il lui en applique soixante coups sur le derrière, qui, boursouflant et meurtrissant toute la peau, arrachent des cris à cette malheureuse, dont retentissent les voûtes sous lesquelles elle est. - Voilà comme tu seras traitée, coquine, dit cet infâme, lorsque tu manqueras à ton devoir ; je ne te fais pas sentir l'échantillon de ce traitement pour aucune faute déjà commise, mais seulement pour te montrer comme j'agis avec celles qui en font. Justine redouble ses cris ; elle se débat sous ses fers ; et les cruelles expressions de sa douleur ne servent que d'amusement à son bourreau. - Ah ! je t'en ferai voir bien d'autres, putain, dit Roland en venant frotter avec la tête de son vit les gouttes de sang que faisaient jaillir les coups qu'il continuait d'appliquer ; tu n'es pas au bout de tes peines, et je veux que tu connaisses ici jusqu'aux plus barbares raffinement du malheur. Il la laisse. Six réduits obscurs, situés sous une grotte autour de ce vaste puits, et qui se fermaient comme des cachots, servaient pendant la nuit de retraite aux malheureuses dont on vient de parler. Dès que la nuit fut venue, on détacha Justine et ses compagnes, et on les renferma dans ces niches, après leur avoir servi le mince souper dont Roland avait fait la description. A peine notre héroïne fut-elle seule, qu'elle s'abandonna tout à l'aise à l'horreur de sa situation. Est-il possible, se disait-elle, qu'il y ait des hommes assez durs pour étouffer en eux le sentiment de la reconnaissance ?... Cette vertu où je me livrerais avec tant de charmes, si jamais quelques âmes honnêtes me mettaient dans le cas de la sentir, peut-elle donc être méconnue de certains êtres et ceux qui l'étouffent avec tant d'inhumanité doivent-ils être autre chose que des monstres1 ? Justine était plongée dans ces réflexions, lorsqu'elle entend tout à coup ouvrir la porte de son cachot ; c'est Roland. Le scélérat vient achever de l'outrager en la faisant servir à ses odieux caprices... Et quels caprices, juste ciel ! On suppose aisément qu'ils devaient être aussi féroces que ses procédés, et que les plaisirs de l'amour dans un tel homme portaient nécessairement les teintes de son odieux caractère. Mais comment abuser de la patience de nos lecteurs pour leur peindre ces nouvelles atrocités ? N'avons-nous pas déjà trop souillé leur imagination par d'infâmes récits ? devons-nous en hasarder de nouveaux ? Hasarde... hasarde, nous répond ici le philosophe ; on n'imagine pas combien ces tableaux sont nécessaires au développement de l'âme. Nous ne sommes encore aussi ignorants dans cette science, que par la stupide retenue de ceux qui voulurent écrire sur ces manières. Enchaînés par d'absurdes craintes, ils ne nous parlent que de ces puérilités connues de tous les sots, et n'osent, portant une main hardie dans le cœur humain, en offrir à nos yeux les gigantesques égarements. Obéissons, puisque la philosophie nous y engage, et, rassurés par sa voix céleste, ne craignons plus d'offrir le vice à nu. Roland, qu'il est essentiel de peindre avant que de le mettre en scène, était un petit homme court et gros, âgé de trente-cinq ans, d'une vigueur incompréhensible, velu comme un ours, la mine sombre, le regard farouche, fort brun, des traits mâles et prononcés, le nez long, de la barbe jusqu'aux yeux, des sourcils noirs et épais, et le vit d'une telle longueur, d'une grosseur si démesurée, que jamais rien de pareil ne s'était encore présenté aux yeux de Justine. A ce physique un peu repoussant, notre fabricateur de faux louis joignait sur tous les vices qui peuvent résulter d'un tempérament de feu, de beaucoup d'imagination et d'une aisance toujours trop considérable pour ne l'avoir pas plongé dans de grands travers. Roland achevait sa fortune. Son père, qui l'avait commencée, l'avait laissé fort riche ; moyennant quoi ce jeune homme avait déjà beaucoup vécu. Blasé sur les plaisirs ordinaires, il n'avait plus recours qu'à des horreurs ; elles seules parvenaient à lui rendre des désirs épuisés par trop de jouissances. Les femmes qui le servaient étaient toutes employées à ses débauches secrètes ; et, pour satisfaire à des plaisirs un peu moins malhonnêtes, dans lesquels ce libertin put néanmoins trouver le sel du crime qui le délectait mieux que tout, Roland avait sa propre sœur pour maîtresse ; c'était avec elle qu'il achevait d'éteindre les passions qu'il venait allumer près des autres. Il était presque nu quand il entra ; son visage très enflammé, portait à la fois des preuves de l'intempérance de table où il venait de se livrer, et de l'abominable luxure qui le dévorait. Un instant il considère Justine avec des veux qui la font frémir. - Quitte ces vêtements, lui dit-il en arrachant lui-même ceux qu'elle avait repris pour se couvrir pendant la nuit... oui, quitte tout cela, et suis-moi. Je t'ai fait sentir tantôt ce que tu risquerais en te livrant à la paresse. Mais s'il te prenait envie de nous trahir, comme le crime serait bien plus grand, il faudrait que la punition s'y proportionnât ; viens donc voir de quelle espèce elle serait. La saisissant aussitôt par le bras, le libertin l'entraîne ; il la conduisait de la main droite, de la gauche il tenait une petite lanterne, dont leur marche était faiblement éclairée. Après plusieurs détours, la porte d'une cave se présente ; Roland l'ouvre ; et, faisant passer Justine la première, il lui dit de descendre pendant qu'il referme cette clôture. A cent marches, on en trouve une seconde, qui s'ouvre et se referme d'une égale manière ; mais, après celle-ci, il n'y avait plus d'escalier ; c'était un petit chemin taillé dans le roc, rempli de sinuosité, et dont la pente était extrêmement raide. Roland ne disait mot. Ce silence effrayant redoublait la terreur de Justine, qui, parfaitement nue, ressentait encore plus vivement l'horrible humidité de ces souterrains. De droite et de gauche du sentier qu'elle parcourait, étaient plusieurs niches où se voyaient des coffres renfermant les richesses de ces malfaiteurs. Une dernière porte de bronze s'offre enfin ; elle était à plus de huit cents pieds dans les entrailles de la terre ; Roland l'ouvre ; et celle qui le suit tombe à la renverse, en apercevant l'affreux local où on la conduit. La voyant fléchir, Roland la relève, et la pousse rudement au milieu d'un caveau rond, dont les murs, tapissés d'un drap mortuaire, n'étaient décorés que des plus lugubres objets. Des squelettes de toute sorte d'âges et de toute sorte de sexes, entrelacés d'ossements en sautoir, de têtes de morts, de serpents, de crapauds, de faisceaux de verges, de disciplines, de sabres, de poignards, de pistolets, et d'armes absolument inconnues : telles étaient les horreurs qu'on voyait sur les murs qu'éclairait une lampe à trois mèches, suspendue à l'un des coins de la voûte. Du cintre partait une longue corde, qui tombait à huit pieds de terre, et qui, comme vous allez bientôt le voir, n'était là que pour servir à d'affreuses expéditions. A droite, était un cercueil, qu'entrouvrait le spectre de la mort, armé d'une faux menaçante ; un prie-dieu était à côté ; sur une table, un peu au delà, se voyait entre deux cierges noirs, un poignard à trois lames crochues, un pistolet tout armé, et une coupe remplie de poison. A gauche, le corps tout frais d'une superbe femme, attaché à une croix ; elle y était posée sur la poitrine, de façon qu'on voyait simplement ses fesses... mais cruellement molestées ; il y avait encore de grosses et longues épingles, dans les chairs, et des gouttes d'un sang noir et caillé formaient des croûtes le long des cuisses ; elle avait les plus beaux cheveux du monde ; sa belle tête était tournée vers nous, et semblait implorer sa grâce. La mort n'avait point défiguré cette sublime créature ; et la délicatesse de ses traits, moins offensée de la dissolution que de la douleur, offrait encore l'intéressant spectacle de la beauté dans le désespoir. Le fond du caveau était rempli par un vaste canapé noir, duquel se développaient aux regards toutes les atrocités de ce lieu. - Voilà où tu périras, Justine, dit Roland, si tu conçois jamais la fatale idée de quitter cette maison ; oui, c'est ici que je viendrai moi-même te donner la mort... que je t'en ferai sentir les angoisses par tout ce que je pourrai trouver de plus dur. En prononçant cette menace, Roland s'enflamme ; son agitation, son désordre le rend semblable au tigre prêt à dévorer sa proie. C'est alors qu'il met au jour le redoutable membre dont il est pourvu. - En as-tu quelquefois vu de semblables ? dit-il en le faisant empoigner à Justine. Tel que le voilà, poursuivit ce faune, il faudra pourtant bien qu'il s'introduise dans la partie la plus étroite de ton corps, dussé-je le fendre en deux. Ma sœur, bien plus jeune que toi, le soutient dans cette même partie ; jamais je ne jouis différemment des femmes : il faudra donc qu'il te déchire aussi. Et pour ne laisser aucun doute sur le local qu'il veut dire, il y introduit trois doigts armés d'ongles aigus, en disant : Oui, c'est là, c'est là que j'enfoncerai tout à l'heure, ce membre qui t'effraie ; il y entrera de toute sa longueur ; il te déchirera l'anus ; il te mettra en sang ; et je serai dans l'ivresse. Il écumait en disant ces mots entremêlés de jurements et de blasphèmes odieux. La main dont il effleure le temple qu'il paraît vouloir attaquer, s'égare alors sur toutes les parties adjacentes ; il les pince, il les égratigne ; il en fait autant à la gorge, et la meurtrit tellement, que Justine en souffrit quinze jours des douleurs horribles. Il la place ensuite sur le canapé, frotte d'esprit de vin tout le poil de la motte, y met le feu, et le brûle en totalité ; ses doigts s'emparent du clitoris, ils le froissent rudement ; il les introduit de là dans l'intérieur, et ses ongles molestent la membrane qui le tapisse. Ne se contenant plus, il dit à Justine que puisqu'il la tient dans son repaire, il vaut tout autant qu'elle n'en sorte plus, que cela lui évitera la peine de redescendre... Notre infortunée se précipite à ses genoux ; elle ose lui rappeler encore les services qu'elle lui a rendus, et s'aperçoit bientôt qu'elle l'irrite davantage, en lui parlant des droits qu'elle se suppose à sa pitié. - Tais-toi, lui dit ce monstre en la renversant d'un coup de genou vigoureusement appliqué dans le creux de son estomac... Allons, continue-t-il en la relevant par les cheveux, allons, prépare-toi, bougresse, il est certain que je vais t'immoler. - Oh ! monsieur. - Non, non, il faut que tu périsses ; je ne veux plus m'entendre reprocher tes petits bienfaits ; je ne veux rien devoir à personne ; c'est aux autres à tenir tout de moi. Tu vas mourir, te dis-je. Place-toi dans ce cercueil, que je voie si tu pourras y tenir. Il l'y étend... il l'y enferme, et sort du caveau. Justine se crut perdue ; jamais la mort ne s'était approchée d'elle sous des formes plus sûres et plus hideuses. Cependant Roland reparaît ; il la sort du cercueil. - Tu serais au mieux, là-dedans, lui dit-il ; il semble que cette bière ait été faite pour toi ; mais, t'y laisser finir tranquillement, ce serait une trop belle mort ; je vais t'en faire sentir une d'un genre différent, et qui ne laisse pas d'avoir ses douceurs. Allons, implore ton foutu Dieu, putain ; prie-le d'accourir te venger, s'il en a vraiment la puissance... La malheureuse se jette sur le prie-dieu ; et pendant qu'elle ouvre à haute voix son cœur à l'Éternel, Roland redouble, sur les parties postérieures qu'elle lui expose, ses vexations et ses supplices. Il flagellait ces parties de toute sa force avec un martinet armé de pointes d'acier, dont chaque coup faisait jaillir le sang jusqu'à la voûte. - Eh bien ! continuait-il en blasphémant, il ne te secourt pas, ton Dieu ; il laisse ainsi souffrir la vertu malheureuse ; il l'abandonne aux mains de la scélératesse ! Ah ! quel Dieu, Justine, que ce Dieu-là... quel infâme bougre de Dieu ! Combien je le méprise et le bafoue de bon cœur ! Viens, lui dit-il ensuite ; viens, ta prière doit être achevée ; en faut-il tant pour un abominable Dieu qui t'écoute si mal ? Et la plaçant, en disant ces mots, sur le bord du canapé qui faisait le fond de ce lieu sépulcral : Je te l'ai dit, Justine, reprit-il, il faut que tu meures. Il se saisit de ses bras, il les lie sur ses reins ; puis il passe autour du cou de la victime un cordon de soie noire, dont les deux extrémités, toujours tenues par lui, peuvent, en se serrant à sa volonté, comprimer la respiration de la patiente et l'envoyer dans l'autre monde dans le plus ou le moins de temps qu'il lui plaira. - Ce tourment est plus doux que tu ne penses, Justine, dit Roland ; tu ne sentiras la mort que par d'inexprimables sensations de plaisir. La compression de cette corde opérera sur la masse de tes nerfs, va mettre en feu les organes de la volupté ; c'est un effet certain. Si tous les gens condamnés à ce supplice savaient dans quelle ivresse il fait mourir, moins effrayés de cette punition de leurs crimes, ils les commettraient plus souvent et avec bien plus d'assurance. Quel être balancerait à s'enrichir aux dépens des autres, quand, à côté de la presque certitude de n'être pas découvert, il aurait, pour toute crainte, dans le cas où il le serait, la complète assurance de la plus délicieuse des morts. Cette charmante opération, poursuivit Roland, comprimant de même le local où je vais me placer (et il enculait en disant cela), va doubler aussi mes plaisirs. Mais ses efforts sont vains ; il a beau préparer les voies, beau les ouvrir, et beau les humecter ; trop monstrueusement proportionné pour réussir, ses entreprises sont toujours repoussées. C'est alors que sa fureur n'a plus de bornes ; ses ongles, ses mains, ses pieds servent à le venger des résistances que lui oppose la nature. Il se présente de nouveau ; le glaive en feu glisse au bord du canal voisin ; et de la vigueur de la secousse, il y pénètre de plus de moitié. Justine pousse un cri terrible. Roland, furieux de l'erreur, se retire avec rage, et, pour cette fois, frappe l'autre porte avec tant de vigueur, que le dard humecté s'y plonge en déchirant les bords. Roland profite des succès de cette première secousse ; ses efforts deviennent plus violents ; il gagne du terrain. A mesure qu'il avance, le fatal cordon qu'il a passé autour du cou se resserre. Justine pousse des hurlements épouvantables. Le féroce Roland, qu'ils amusent, l'engage à les redoubler ; trop sûr de leur inutilité, trop maître de les arrêter quand il voudra, il s'enflamme à leurs sons aigus. Cependant l'ivresse est près de s'emparer de lui ; les compressions du cordon se modulent sur les degrés de son plaisir. Peu à peu l'organe de notre infortunée s'éteint. Les serrements alors deviennent si vifs, que ses sens s'affaiblissent sans qu'elle perde néanmoins sa sensibilité. Rudement secouée par le membre énorme dont Roland déchire ses entrailles, malgré l'affreux état où elle est, elle se sent inondée des jets de foutre de son épouvantable enculeur ; elle entend les cris qu'il pousse en le versant. Un instant de stupidité succède ; mais, bientôt dégagée, ses yeux se rouvrent à la lumière, et ses organes semblent s'épanouir. - Eh bien ! Justine, lui dit son bourreau, je gage que si tu veux être vraie, tu n'as senti que du plaisir. Rien malheureusement n'était aussi sûr : le con tout barbouillé de notre héroïne démontrait l'assertion de Roland. Un instant elle voulut nier. - Putain, dit le scélérat, crois-tu m'en imposer, lorsque je vois le foutre inonder ton vagin ! tu as déchargé, bougresse ; l'effet est inévitable. - Non monsieur, je vous jure. - Eh ! que m'importe ! tu dois, je l'imagine, me connaître assez pour être bien certaine que ta volupté m'inquiète infiniment moins que la mienne dans ce que l'entreprends avec toi ; et cette volupté que je recherche a été si vive, que je vais encore m'en procurer les jouissances. C'est de toi, maintenant, dit Roland, c'est de toi seule, Justine, que tes jours vont dépendre. Il passe alors autour du cou de cette malheureuse la corde qui pendait au plafond. Dès qu'elle y est fortement arrêtée, il lie au tabouret, sur lequel Justine était montée, une ficelle dont il tient le bout, et va se placer dans un fauteuil en face. Dans une des mains de la patiente est une serpe très effilée, dont elle doit se servir pour couper le corde au moment où, par le moyen de la ficelle qu'il tient, il fera manquer le tabouret sous les pieds de Justine. Tu le vois, ma fille, lui dit-il alors, si tu manques ton coup, je ne manquerai pas le mien je n'ai donc pas tort de dire que tes jours dépendent de toi. Le scélérat se branle le vit ; c'est au moment de sa décharge qu'il doit tirer le tabouret, dont la fuite va laisser Justine pendue au plafond. Il fait tout ce qu'il peut pour feindre cet instant : il serait transporté, si Justine venait à manquer d'adresse. Mais il a beau faire, elle le devine : la violence de son extase le trahit. Justine saisit le mouvement ; le tabouret échappe, elle coupe la corde, et tombe à terre, entièrement dégagée... Là, le croira-t-on ? quoique à plus de douze pieds du libertin elle est inondée des jets du foutre que Roland perd en blasphémant. Une autre que Justine, sans doute, profitant de l'arme qu'elle se trouvait entre les mains, se fût aussitôt jetée sur ce monstre. A quoi lui eût servi ce trait de courage ? N'ayant pas les clefs de ces souterrains, en ignorant les détours, elle serait morte, avant que d'en avoir pu sortir. D'ailleurs, Roland était sur ses gardes. Elle se releva donc, laissant l'arme à terre, afin qu'il ne conçût même pas sur elle le plus léger soupçon. Il n'en eut point ; et, content de la douceur, de la résignation de sa victime, bien plus que de son adresse, il lui fit signe de sortir ; et tous deux remontèrent au château. Le lendemain Justine examina mieux ce qui l'entourait. Ses quatre compagnes étaient des filles de vingt-cinq à trente ans. Quoique abruties par la misère et déformées par l'excès des travaux, elles avaient de grands restes de beauté. Leur taille était belle ; et la plus jeune, appelée Suzanne, avec des yeux charmants, avait encore des traits délicieux. Roland l'avait prise à Lyon ; et, après l'avoir enlevée à sa famille, sous le serment de l'épouser, il l'avait conduite dans son affreuse maison. Elle y était depuis trois ans, et, plus particulièrement encore que ses compagnes, l'objet des férocités de ce monstre. A force de coups de nerf de bœuf, ses fesses étaient devenues calleuses et dures comme une vieille peau de vache desséchée au soleil ; elle avait un cancer au sein gauche, et un abcès dans la matrice, qui lui causaient des douleurs inouïes. Tout cela était l'ouvrage du perfide Roland ; chacune de ces horreurs était le fruit de ses lubricités. Ce fut d'elle que Justine apprit que ce coquin était à la veille de se rendre à Venise, si les sommes considérables qu'il venait de faire dernièrement passer en Espagne lui rapportaient les lettres de change qu'il attendait pour l'Italie, parce qu'il ne voulait point porter son or au delà des monts. Il n'y en envoyait jamais ; c'était dans un pays différent de celui ou il se proposait d'habiter, qu'il faisait passer ses fausses espèces. Par ce moyen, ne se trouvant riche, dans le lieu où il voulait se fixer, que des papiers d'une autre contrée, ses friponneries ne pouvaient jamais se découvrir. Mais tout pouvait manquer dans un instant ; et la retraite qu'il méditait dépendait absolument de cette dernière négociation, où la plus grande partie de ses trésors était compromise. Si Cadix acceptait ses piastres, ses sequins, ses louis faux, et lui envoyait pour cela des lettres sur Venise, Roland était heureux le reste de sa vie ; si la fraude était découverte, un seul jour suffisait à culbuter le frêle édifice de sa fortune. - Hélas ! dit Justine en apprenant ces particularités, la Providence sera juste une fois ; elle ne permettra pas les succès d'un tel monstre, et nous serons toutes vengées... Infortunée ! après les leçons que t'avait données cette même Providence, sur laquelle tu avais la faiblesse de compter encore, était-ce à toi de raisonner ainsi ? On laissait à ces malheureuses, vers midi, deux heures de repos, dont elles profitaient pour aller toujours séparément respirer et dîner dans leurs chambres. A deux heures, on les rattachait, et on les faisait travailler jusqu'à la nuit, sans qu'il leur fût jamais permis d'entrer dans le château. Si elles étaient nues, c'était afin d'être mieux à même de recevoir les coups que venait leur appliquer Roland, qui trouvait toujours des prétextes, et qui ne manquait jamais de vigueur. On leur donnait l'hiver un gilet et un pantalon dégarni sur toute la superficie du derrière, de façon que leurs corps n'en étaient pas moins, en toute saison, exposé aux coups du scélérat, dont l'unique plaisir était de les rouer. Huit jours se passèrent sans que Roland parût. Le neuvième, il vint au travail ; et, prétendant que Suzanne et Justine tournaient la roue avec trop de mollesse, il leur distribua cinquante coups de nerf de bœuf à chacune, depuis le milieu des reins jusqu'au gras des jambes. Au milieu de la nuit qui suivit ce même jour, le vilain homme entra chez Justine ; il voulut contempler les meurtrissures du beau cul de cette infortunée. Le coquin les baisa ; et, bientôt échauffé par ces préliminaires, il lui mit le vit dans le cul ; il lui pinçait la gorge en la sodomisant, et se plaisait à lui dire des horreurs qui faisaient frémir la nature. Quand il eut complètement déchargé, Justine voulut profiter de ce moment de calme pour le supplier d'adoucir son sort. La pauvre créature ignorait que si, dans de telles âmes, le moment du délire rend plus actif le penchant qu'elles ont à la cruauté, le calme ne les ramène pas davantage aux douces vertus de l'honnête homme : c'est un feu plus ou moins embrasé par les aliments dont on le nourrit, mais qui brûle toujours sous la cendre. - Et de quel droit, lui répondit Roland, prétends-tu que j'allège tes chaînes ? est-ce en raison des fantaisies que je veux bien me passer avec toi ? Mais, vais-je à tes pieds implorer des faveurs de l'accord desquelles tu puisses exiger quelque dédommagement ? Je ne te demande rien ; je prends, et ne vois pas que, de ce que j'use d'un droit sur toi, il doive en résulter qu'il me faille abstenir d'en exiger un second. Il n'y a point d'amour dans mon fait ; l'amour est un sentiment chevaleresque souverainement méprisé par moi, et dont mon cœur ne sent jamais les atteintes. Je me sers d'une femme par nécessité comme d'un pot de chambre : j'emploie celui-ci quand le besoin de chier se fait sentir, et l'autre, quand le besoin de décharger m'aiguillonne ; mais de ma vie je ne fis plus de cas de l'un que de l'autre. N'accordant jamais à la femme, que mon argent et mon autorité soumettent à mes désirs, ni estime ni tendresse, ne devant ce que j'enlève qu'à moi-même, et n'exigeant jamais d'elle que de la soumission, je ne puis être tenu, d'après cela, à lui accorder aucune gratitude. Je demande à ceux qui voudraient m'y contraindre, si un voleur qui arrache la bourse d'un homme dans un bois, parce qu'il se trouve plus fort que lui, doit quelque reconnaissance à cet homme du tort qu'il vient de lui causer ? Il en est de même de l'outrage fait à une femme : ce peut être un titre pour lui en faire un second, mais jamais une raison suffisante pour lui accorder des dédommagements. - Oh ! monsieur, dit Justine, à quel point vous portez la scélératesse ! - Au dernier période, dit Roland. Il n'est pas un seul écart au monde où je ne me sois livré, pas un crime que je n'aie commis, et pas un que mes principes n'excusent ou ne légitiment. J'ai ressenti sans cesse au mal une sorte d'attrait tournant toujours au profit de la volupté. Le crime alluma ma luxure ; plus il est affreux, plus il m'irrite ; je bande en le projetant, je décharge en le consommant ; et ses doux souvenirs réveillant mes esprits, ce n'est jamais que dans l'intention d'un nouveau, que le foutre picote mes couilles. Tiens, vois mon vit, Justine ; j'ai la ferme résolution de t'assassiner : voilà d'où vient qu'il est en l'air ; le sperme en t'égorgeant en jaillira par flots, et de nouvelles horreurs lui rendront bientôt toute son énergie. Il n'est que le crime au monde pour faire bander un libertin ; tout ce qui n'est pas criminel est fade ; et ce n'est jamais qu'au sein de l'infamie que la lubricité doit naître. - Ce que vous dites est affreux, répondit Justine ; mais malheureusement j'en ai vu des exemples. - Il en est mille, mon enfant. Il ne faut pas s'imaginer que ce soit la beauté d'une femme qui irrite le mieux l'esprit d'un libertin ; c'est bien plutôt l'espèce de crime, qu'ont attaché à sa possession les lois civiles ou religieuses ; la preuve en est que, plus cette possession est criminelle, et plus nous en sommes irrités. L'homme qui jouit d'une épouse qu'il dérobe à son mari, d'une fille qu'il enlève à ses parents, est bien plus délecté sans doute que le mari qui fout sa femme ; et plus les liens qu'on brise paraissent respectables, plus la volupté s'agrandit. Si c'est sa mère, son fils, sa sœur, sa fille, dont il jouisse, nouveaux attraits aux plaisirs éprouvés. A-ton goûté tout cela, on voudrait que les digues s'accrussent encore, pour donner plus de charmes à les franchir. Or, si le crime assaisonne une jouissance, détaché de cette jouissance, il peut donc en donner lui-même. Il y aura donc alors une jouissance certaine dans le crime seul ; car il est impossible que ce qui prête du sel n'en soit pas très pourvu soi-même. Ainsi, je le suppose, le rapt d'une fille, pour son propre compte, donnera un plaisir très vif ; mais le rapt, pour le compte d'un autre, donnera tout le plaisir dont la jouissance de cette fille se trouvait améliorée par le rapt. Le vol d'une montre, d'une bourse, etc., en donnera également ; et, si j'ai accoutumé mes sens à se trouver émus au rapt d'une fille, en tant que rapt, ce même plaisir, cette même volupté, se retrouvera au rapt de la montre, à celui de la bourse, etc. Et voilà ce qui explique la fantaisie de tant d'honnêtes gens qui volent sans en avoir besoin. Rien de plus simple de ce moment-là, et que l'on goûte les plus grands plaisirs à tout ce qui sera criminel, et que l'on rende, par tout ce que l'on pourra imaginer, les jouissances simples aussi criminelles qu'il sera possible de les rendre. On ne fait, en se conduisant ainsi, que prêter à cette jouissance la dose de sel qui lui manquait, et qui devenait indispensable à la perfection du bonheur. Ces systèmes mènent loin, je le sais ; peut-être même te le prouverai-je avant peu, Justine ; mais qu'importe, pourvu qu'on se soit délecté. Y avait-il, par exemple, chère fille, quelque chose de plus naturel que de me voir jouir de toi ? mais tu t'y opposes ; tu me prouves que j'abuse de mes droits, que je deviens un monstre d'ingratitude en te violant ; voilà la masse du crime augmentée. Je n'écoute rien ; je brise tous les nœuds qui captivent les sots ; je t'asservis aux plus sales désirs ; et de la plus simple... de la plus monotone jouissance, j'en fais une vraiment délicieuse. Soumets-toi donc, putain, soumets-toi ; et, si jamais tu reviens au monde sous le caractère du plus fort, abuse de même de tes droits, et tu connaîtras de tous les plaisirs le plus délicieux et le plus vif. Roland, à ces mots, passe autour du cou de Justine une corde qu'il avait apportée, et l'encule, en serrant si prodigieusement cette corde, qu'il la laisse sans connaissance. Qu'importe, il avait déchargé ; et le vilain, sans s'inquiéter des suites, ne s'en retira pas moins avec calme. Il y avait six mois que notre héroïne était dans cette maison, servant de temps en temps aux insignes débauches de ce scélérat, lorsqu'elle le vit entrer un soir dans sa prison avec Suzanne. - Viens Justine, dans ce caveau qui t'a tant effrayée : suivez-y moi toutes les deux ; mais ne vous attendez pas à remonter de même ; il faut absolument que j'en laisse une ; nous verrons sur laquelle tombera le sort. Justine se lève ; elle jette des yeux alarmés sur sa compagne ; elle la voit en pleurs... Le bourreau marche, il faut le suivre. Dès qu'elles sont entrées dans le souterrain, Roland les examine toutes deux avec des regards féroces ; il se complaît à leur répéter leur arrêt, et à les convaincre à tout instant, l'une et l'autre, qu'assurément il en restera une des deux. - Allons, dit-il en s'asseyant, et en les faisant tenir droites devant lui, travaillez chacune à votre tour au désenchantement de ce perclus ; et malheur à celle qui lui rendra son énergie. - C'est une injustice, dit Suzanne ; celle qui vous fera le mieux bander doit être celle à qui la grâce est due. - Point du tout, répondit Roland ; dès qu'il sera prouvé que c'est celle qui m'irrite davantage, il devient constant que c'est celle dont la mort me donnera le plus de plaisir ; et je ne vise qu'à la plus grande dose de volupté. D'ailleurs, en accordant la grâce à celle qui va me mettre le plus tôt en état, vous y procéderiez l'une et l'autre avec une telle ardeur, que vous me feriez peut-être décharger avant que je n'aie assassiné l'une des deux ; et c'est ce que je ne veux pas. - C'est désirer le mal pour le mal seul, monsieur, dit Justine effrayée ; le complément de votre extase doit être la seule chose que vous devriez désirer, et si vous y arrivez sans crime, quelle nécessité y a-t-il d'en commettre ? - Parce que je ne perdrai mon foutre voluptueusement qu'ainsi, et que ce n'est que pour en égorger une que je suis descendu dans ce caveau. Je sais parfaitement que je réussirais sans cela ; mais j'ai la méchanceté délicieuse d'exiger cela pour réussir. Et, ayant choisi Justine pour commencer, il se fait à la fois branler par elle le vit et le trou du cul, pendant qu'il manie à son aise toutes les parties de ce beau corps. - Il s'en faut encore de beaucoup, Justine, dit Roland en pressant les fesses, que ces belles chairs soient dans l'état de callosité... de mortification où voilà celles de Suzanne : on brûlerait les siennes sans qu'elle le sentit. Mais toi, Justine... mais toi, ce sont encore des roses qu'entrelacent des lis... Nous y viendrons... Nous y viendrons. On n'imagine pas combien cette menace tranquillisa Justine ; Roland ne se doutait pas sans doute, en la faisant, du calme qu'il répandait en elle. N'était-il pas certain, en effet, que puisqu'il projetait de la soumettre à de nouvelles cruautés, il n'avait pas envie de l'immoler encore ?... Tout frappe dans l'infortune : Justine se rassura. Autre surcroît de bonheur : elle n'opérait rien ; et cette masse énorme, mollement repliée sur elle-même, résistait à toutes les secousses. Suzanne, dans la même attitude, était palpée dans les mêmes endroits ; mais, comme les chairs étaient bien autrement endurcies, Roland ménageait beaucoup moins. Suzanne était pourtant plus jeune. - Je suis persuadé, disait ce libertin, que les fouets les plus effrayants ne parviendraient pas maintenant à tirer une goutte de sang de ce cul-là. Il les courbe l'une et l'autre ; et, s'offrant, par cette inclinaison, les quatre routes du plaisir, sa langue frétille dans les deux plus étroites ; le vilain crache dans les autres. Il les reprend par devant, les fait mettre à genoux entre ses cuisses, de façon que les deux gorges se trouvassent à hauteur de son vit. - Oh ! pour les tétons, dit Roland en s'adressant à Justine, il faut que tu le cèdes à Suzanne ; jamais cette partie ne fut aussi belle en toi ; tiens, vois comme c'est fourni. Et il pressait, en disant cela, le sein de cette pauvre Suzanne, jusqu'à la meurtrir dans ses doigts. C'était elle qui le branlait alors. A peine ce changement de main s'était-il opéré, que le dard, s'élançant du carquois, menaçait déjà tout ce qui l'entourait. - Triste Suzanne, s'écria Roland, voici d'effrayants succès ; c'est ta mort... c'est l'arrêt de ta mort, coquine, poursuivit-il en lui pinçant, en lui égratignant le bout des mamelles. Pour celles de Justine, il les suçait et les mordillait seulement. Il plaça enfin Suzanne à genoux sur le bord du sofa ; il lui fait courber la tête, il l'encule dans cette posture. Tourmentée par de nouvelles douleurs, Suzanne se débat ; et Roland, qui ne veut qu'escarmoucher, content de quelques courses, vient se réfugier au trou du cul de Justine, pendant qu'il ne cesse de palper et de molester l'autre femme. - Voilà une bougresse qui m'excite bien incroyablement, dit-il en lui enfonçant une grosse épingle sur la fraise du téton gauche ; je ne sais ce que je voudrais lui faire. - Oh ! monsieur, dit Justine, ayez pitié d'elle ; il est impossible que ses douleurs soient plus vives. - Elles pourraient l'être beaucoup plus, dit le scélérat. Ah ! si j'avais ici ce fameux empereur Kié, l'un des plus grands monstres que la Chine ait vus sur son trône, nous ferions bien autre chose, vraiment2. Sa femme et lui, chaque jour, immolaient des victimes ; tous deux, dit-on, les faisaient vivre dans les plus terribles angoisses, et dans un tel état de douleur, qu'elles étaient toujours prêtes à rendre l'âme, sans pouvoir y réussir par les soins cruels de ces barbares qui, les faisant flotter de secours en tourments, ne les rappelaient cette minute-ci à la lumière que pour leur offrir la mort celle d'après... Moi, je suis trop doux, Justine, poursuivait ce taureau toujours limant, toujours déchirant le sein de Suzanne... oh ! oui, je suis trop doux... je n'entends rien à tout cela... je ne suis qu'un écolier. Au bout d'une courte carrière, Roland se retire enfin, sans terminer le sacrifice, et cause plus de mal à Justine par cette retraite précipitée, qu'il ne lui en a fait en l'introduisant. Il se jette, tout bandant, dans les bras de Suzanne ; et joignant le sarcasme à l'outrage : - Aimable créature, lui dit-il, comme je me rappelle avec délices les premiers instants de notre union ! jamais femme ne me donna des plaisirs plus vifs ! jamais je n'en aimai comme toi !... Embrassons-nous, Suzanne ; nous allons nous quitter pour bien longtemps, peut-être. - Tigre, répond cette malheureuse en repoussant avec horreur celui qui lui tient d'aussi cruels discours, éloigne-toi ; ne joins pas aux tourments que tu m'infliges le désespoir de m'entendre outrager ainsi. Monstre, assouvis ta rage ; mais respecte au moins mes malheurs. Roland, furieux, la saisit ; il la couche sur le canapé, les cuisses très ouvertes, le vagin bien bâillant, et bien à sa portée. Puis poursuivant ses indignes sarcasmes : - Temple de mes anciens plaisirs, s'écrie cet infâme ; vous qui m'en procurâtes de si délicieux quand je cueillis vos premières roses, il faut bien que je vous fasse aussi mes adieux... L'indigne... il y introduit ses ongles ; et farfouillant avec, plusieurs minutes, dans l'intérieur, pendant lesquelles Suzanne jetait les hauts cris, il ne les retire que couverts de sang. Ne croyant pas avoir fait assez de mal, il y fait pénétrer une grosse aiguille, et la lance jusqu'à la matrice. Le sang ruisselait à bouillons ; il le faisait couler sur son vit, et voulait que Justine vint baiser ce vit, inondé du sang de sa compagne. Rassasié de ces horreurs, et sentant bien qu'il ne lui était plus possible de se contenir : - Allons, dit-il, allons, chère Justine, dénouons tout ceci par une petite scène du jeu de coupe-corde3 : tel était le nom de cette funeste plaisanterie dont nous avons parlé plus haut. Notre orpheline monte sur le trépied ; le vilain lui attache la corde au cou, et se met vis-à-vis d'elle. Suzanne, quoique dans un état affreux, l'excite de ses mains. Au bout d'un instant, il tire le tabouret ; mais, armée de la serpe, Justine coupe la corde, et tombe à terre, sans nul mal. - Bien, bien, dit Roland ; à toi, Suzanne ; souviens-toi que je te fais grâce, si tu t'en tires avec autant d'adresse. Suzanne est mise à la place de Justine ; mais on la trompe sur l'arme qui lui est confiée ; c'est une serpe qui ne coupe point. Roland se plaît à la contempler un instant dans cet état ; il la touche, la manie partout, lui baise le cul avec délices, et va s'asseoir en face ; Justine le branle. Tout à coup le tabouret glisse ; mais les mouvements de Suzanne sont inutiles ; les plus affreuses convulsions démontent les muscles de son visage, sa langue s'allonge. Roland se lève... il se plaît extraordinairement à considérer ainsi cette fille. Le croirait-on ? il suce avec volupté cette langue que fait allonger la douleur. - Oh ! Justine, s'écrie-t-il, quelle volupté ! La voilà pendue, la garce ; la voilà morte... Oh ! double foutu dieu, jamais il n'exista pour moi de plus délicieux spectacle... Redescendons-la... appuyons-la sur ce canapé, je veux l'enculer dans cet état ; on dit que c'est la seule façon de prendre les femmes pour les trouver étroites. Il exécute. Suzanne n'a plus de connaissance ; et cependant, le monstre en jouit. Rattachons-là, dit-il, elle n'est pas morte ; il faut qu'elle expire ; et c'est toi, Justine, que je veux sodomiser en l'assassinant. Voilà Suzanne suspendue de nouveau ; et le bougre, s'agitant dans le cul de Justine, qu'il avait fait placer bien en face, décharge, en étranglant sa maîtresse. Il ouvre une pierre qui masquait un caveau plus profond encore, y précipite le cadavre, et sort avec Justine. - Douce fille, lui dit-il en chemin, tu as vu ce qui vient de se passer ; souviens-toi bien que tu ne rentreras plus dans ce caveau, que ce ne soit ton tour. - Quand vous voudrez, monsieur, répondit Justine ; je préfère la mort à l'affreuse existence que vous me laissez : est-ce à des malheureux comme nous que la vie peut être encore chère ? Et Roland, sans répondre, la renferme dans son cachot. Le lendemain, les compagnes de Justine lui demandèrent ce qu'était devenue Suzanne. Elle le leur apprit, et ne les étonna point ; toutes s'attendaient à la même fin ; et toutes, à l'exemple de Justine, voyant le terme de leurs maux, désiraient cette mort avec empressement. Un an se passa de cette manière, pendant lequel deux des filles qu'avait trouvées Justine en arrivant furent traitées comme la malheureuse Suzanne, et remplacées par de nouvelles. Une troisième disparut encore. Mais quel ne fut l'étonnement de Justine, en voyant celle qui allait prendre le rang de cette dernière victime !... C'était madame Delisle, l'hôtesse intéressante chez qui Justine s'était séparée de l'infâme catin qui ne l'avait sortie du repaire des mendiants que pour la prostituer dans Lyon. - Oh ! madame, s'écria Justine en la voyant... vous que la nature a créée si douce et si bonne, à quel sort vous voilà réduite ! est-ce donc ainsi que le ciel récompense la sagesse, l'hospitalité, la bienfaisance, et toutes les vertus qui font le bonheur des hommes ! Les charmes de madame Delisle avaient tellement échauffé Roland, qu'il lui avait fait faire son entrée au caveau dès le même soir de son arrivée. On imagine aisément qu'elle n'avait pas été plus ménagée que Justine ; elle en revint dans un état cruel ; et ce fut une consolation pour toutes deux, de pouvoir au moins pleurer leur malheur ensemble. - Oh ! mon aimable dame, répondait Justine aux détails que la Delisle lui faisait des horreurs qu'elle venait d'éprouver, que ne donnerais-je pas pour vous rendre tous les bienfaits que j'ai reçus de vous ! mais, hélas ! malheureuse moi-même, à quoi puis-je vous être bonne ? Ah ! si je pouvais briser mes fers, comme je me hâterais de rompre les vôtres ! j'aurais plus de plaisir à vous rendre libre, qu'à le devenir moi-même... Ô Dieu ! vaine espérance ; nous ne sortirons jamais d'ici. - L'infâme, répondait Delisle, il ne m'a traitée ainsi que parce qu'il me doit. Il y a trois ans qu'il dépense des sommes considérables dans ma maison, sans jamais payer. Dernièrement il m'engage à une promenade ; j'ai la faiblesse d'y consentir ; deux de ses gens m'attendaient au coin d'un bois ; ils m'ont garrottée... intercepté la respiration, et conduite ici, derrière un mulet, enveloppée dans un manteau. - Et votre famille ? - Je n'ai qu'un enfant en bas âge ; mon mari mourut l'an passé, et je suis orpheline. Le monstre était bien au fait de toutes ces particularités, et voilà d'où vient qu'il a cru pouvoir abuser de ma situation. Que va faire ma malheureuse petite fille ? sans secours... sans protection, livrée a une servante qui m'attend... Que tout cela va-t-il devenir ? J'ai supplié ce malhonnête homme de me laisser au moins écrire... il me l'a refusé. Je suis une femme perdue... Et des larmes coulaient en abondance des beaux yeux de cette intéressante créature... - Et ses jouissances, demandait notre aimable consolatrice, vous ont outragée sans doute comme elles flétrissent toutes celles qui en sont victimes ? A ces mots la pudique créature montrait, pour toute réponse, son joli derrière à Justine... - Hélas, lui disait-elle, ma bonne, vous voyez ce qu'il m'a fait, j'en suis toute escoriée... toute meurtrie... toute déchirée... Oh ! de quels vices la nature a pétri cette vilaine âme ! Telle était la situation des choses, lorsque l'on publia dans le château que les désirs de Roland étaient satisfaits ; que non seulement il recevait pour Venise la quantité immense de papiers qu'il avait désirée, mais qu'on lui redemandait même encore dix millions de fausses espèces, dont on lui ferait passer les fonds à volonté pour l'Italie. Il était impossible que ce scélérat fit une plus belle fortune ; il partait avec plus de deux millions de rente, sans les espérances qu'il pouvait concevoir. Tel était le nouvel exemple que la Providence préparait à Justine ; telle était la nouvelle manière dont elle voulait encore la convaincre que le bonheur n'était que pour le crime, et l'infortune pour la vertu. Ce fut alors que Roland vint chercher Justine pour descendre une troisième fois dans le caveau. La malheureuse frémit en se rappelant les menaces qu'il lui avait faites la dernière fois qu'ils y étaient descendus. - Rassure-toi, lui dit-il, tu n'as rien à craindre ; il est question d'une chose qui ne concerne que moi... une volupté singulière, dont je veux jouir, et qui ne te fera courir nul risque. Justine suit... Dès que toutes les portes sont fermées : - Chère fille, dit Roland, il n'y a que toi dans la maison à qui j'ose me confier pour ce dont il s'agit ; il me fallait une très honnête femme ; j'ai bien pensé à la Delisle, mais toute sage que je la suppose, je la crois vindicative... et quant à ma sœur, je l'avoue, je te préfère à elle... Pleine de surprise, Justine conjure Roland de s'expliquer. - Écoute-moi, répond ce roué. Ma fortune est faite ; mais quelques faveurs que j'aie reçues du sort, il peut m'abandonner d'un instant à l'autre ; je puis être guetté... saisi dans le transport que je vais faire de mes richesses, et si ce malheur m'arrive, ce qui m'attend, Justine, c'est la corde ; c'est la même punition dont je compose mes plaisirs avec les femmes, qui deviendra la mienne. Je suis convaincu, autant qu'il est possible de l'être, que cette mort est infiniment douce ; mais comme les femmes à qui j'en ai fait éprouver les premières angoisses, n'ont jamais voulu être vraies avec moi, c'est sur mon propre individu que je désire d'en éprouver la sensation. Je veux savoir, par mon expérience même, s'il n'est pas très certain que cette compression détermine dans celui qui l'éprouve le nerf érecteur à l'éjaculation. Une fois persuadé que cette mort n'est qu'un jeu, je la braverai bien plus courageusement ; car ce n'est pas la cessation de mon existence qui m'effraie ; mes principes sont faits sur cela ; et, bien persuadé que la matière ne peut jamais redevenir que matière, je ne crains pas plus l'enfer que je n'attends le paradis ; mais j'appréhende les tourments d'une mort cruelle ; ainsi que tous les gens voluptueux, je crains la douleur ; je ne voudrais pas souffrir en mourant. - Oh ! monsieur, dit Justine, vous aimez pourtant bien à tourmenter les autres. - Eh vraiment oui, c'est précisément ce qui fait que je ne veux pas l'être moi-même. Essayons donc. Tu me feras tout ce que je t'ai fait. Je vais me mettre nu ; je monterai sur le tabouret ; tu lieras la corde ; je me branlerai le vit un moment ; puis, sitôt que tu me verras bander, tu retireras le tabouret, et je resterai pendu ; tu m'y laisseras jusqu'à ce que tu voies ou des symptômes de douleur, ou mon foutre s'élancer par flots ; dans le premier cas, tu couperas la corde sur-le-champ ; dans l'autre, tu laisseras agir la nature, et tu ne me détacheras qu'après ma décharge. Eh bien, Justine, tu le vois, je vais mettre ma vie entre tes mains ; ta liberté, ta fortune, tel sera le prix de ta bonne conduite. - Oh ! monsieur, répondit Justine, il y a de l'extravagance à cette proposition. - Non, non, je le veux, répondit Roland en quittant ses habits ; mais conduis-toi bien ; vois quelle preuve je te donne de ma confiance. A quoi servait-il à Justine de balancer une minute ? Roland n'était-il pas maître d'elle ? Il lui paraissait d'ailleurs que le mal qu'elle allait faire serait aussitôt réparé par l'extrême soin qu'elle prendrait pour lui conserver la vie ; et, quelles que pussent être les intentions de Roland, celles de Justine étaient toujours pures. On se dispose. Roland s'échauffe par quelques-uns de ses préliminaires d'habitude ; la conversation tomba sur la Delisle. - Cette créature ne te vaut pas, dit Roland ; j'aime assez son cul... il est fort blanc, très bien coupé ; mais il est moins étroit que le tien... elle n'est pas d'ailleurs si intéressante que toi dans les larmes, et je la vexe enfin avec moins de plaisir... Elle y passera, Justine, elle y passera, sois-en sûre. - Et voilà donc, monsieur, comme vous payez vos dettes ? - N'est-ce donc pas la meilleure de toutes les façons ! et le meurtre n'est-il pas mille fois plus délicieux quand il emporte avec lui l'idée du vol ? Allons, fais-moi baiser tes fesses, Justine, et sois très sûre que je tuerai Delisle. Et comme Roland bandait à ces mots, il s'élance sur le tabouret. Justine lui lie les mains, l'attache ; il veut qu'elle l'invective pendant ce temps-là, qu'elle lui reproche toutes les horreurs de sa vie ; notre héroïne le fait. Bientôt le vit de Roland menace le ciel ; lui-même fait signe de retirer le tabouret... Le croira-t-on ?... Rien de si vrai que ce qu'avait cru Roland ; ce ne furent que des symptômes de plaisir qui se manifestèrent sur le visage de ce libertin, et presque au même instant, des jets rapides de semence s'élancent à la voûte. Quand tout est répandu, sans que Justine ait aidé en quoi que ce puisse être, elle vole le dégager. Il tombe évanoui ; mais à force de soins, elle lui fait bientôt reprendre ses sens. - Oh ! Justine, dit-il en ouvrant les yeux, on ne se figure point ces sensations ; elles sont au-dessus de tout ce qu'on peut dire. Qu'on fasse maintenant de moi ce qu'on voudra, je brave le glaive de Thémis. Tu vas me trouver bien coupable envers la reconnaissance, Justine, dit Roland en lui liant les mains derrière le dos ; mais que veux-tu, ma chère, on ne se corrige point à mon âge. Chère créature, tu viens de me rendre la vie, et je n'ai jamais si fortement conspiré contre la tienne. Tu as plaint le sort de Suzanne, eh bien, je vais te réunir à elle, je vais te plonger vive dans le caveau où repose son corps. Justine a beau pleurer, beau gémir, Roland n'écoute plus rien. Il ouvre le caveau fatal, il y descend une lampe, afin que la malheureuse puisse discerner encore mieux la multitude de cadavres dont il est rempli ; il lui passe ensuite une corde sous les bras, qui, comme on vient de le dire, étaient liés derrière son dos, et, par le moyen de cette corde, il la descend à vingt pieds au fond de ce caveau. On ne se peint point les douleurs de Justine ; il semblait d'ailleurs qu'on lui arrachât les membres. De quelle crainte ne devait-elle pas être saisie... quelle perspective s'offrait à ses yeux ! des monceaux de corps morts, au milieu desquels l'infortunée allait finir ses jours et dont l'odeur l'infectait déjà. Roland arrête la corde autour d'un bâton fixé en travers du trou ; puis, armé d'un couteau, l'œil fixé sur le poids qui pend au bâton, le vilain se branle le vit. - Allons, putain, s'écrie-t-il, recommande ton âme à Dieu, l'instant de mon délire sera celui où je te jetterai dans ce sépulcre, où je te plongerai dans l'éternel abîme qui t'attend... Ahe... ahe... ahe... foutre, ah ! double foutre dieu, je décharge. Et Justine se sent inondée d'un déluge de sperme, sans que le monstre eût coupé la corde... Il la retire. - Eh bien, lui dit-il, as-tu eu bien peur ? - Ah ! monsieur. - C'est ainsi que tu mourras, Justine, sois-en bien assurée ; et j'étais bien aise de t'y accoutumer... On remonte. - Grand Dieu ! se dit encore Justine, quelle récompense de tout ce que je viens de faire tout récemment pour lui ! Mais ne pouvait-il pas m'en arriver davantage ? Oh ! quel homme ! Roland, enfin prépara son voyage ; il vint voir Justine la veille à minuit. La malheureuse se jette à ses pieds ; elle le conjure avec les plus vives instances de lui rendre sa liberté, et d'y joindre quelque peu d'argent pour pouvoir se faire conduire à Grenoble. - A Grenoble ! assurément non, tu nous dénoncerais. - Eh bien ! monsieur, dit Justine en arrosant de larmes les genoux de ce scélérat, je vous fais serment de n'y jamais aller ; et, pour vous en convaincre, daignez me conduire avec vous jusqu'à Venise. Peut-être n'y trouverai-je pas des cœurs aussi durs que dans ma patrie ; et, une fois que vous aurez bien voulu m'y rendre, je vous jure de ne vous y jamais importuner. - Je ne t'accorderai pas pour secours un denier, répondit brutalement cet insigne coquin. Tout ce qui tient à la pitié, à la commisération, à la reconnaissance, est si loin de mon cœur, que, fussé-je trois fois plus riche encore, on ne me verrait pas donner un écu à un pauvre. Le spectacle de l'infortune m'irrite, il m'amuse ; et quand je ne puis faire du mal moi-même, je jouis avec délices de celui que fait la main du sort ; j'ai des principes sur cela dont je ne m'écarterai jamais. Justine, le pauvre est dans l'ordre de la nature. En créant les hommes de forces inégales, elle nous a convaincus du désir qu'elle avait que cette inégalité se conservât de même dans les changements que notre civilisation apporterait à ses lois. Soulager l'indigent est anéantir l'ordre établi ; c'est s'opposer à celui de la nature ; c'est renverser l'équilibre qui est la base de ses plus sublimes arrangements ; c'est travailler à une égalité dangereuse pour la société ; c'est encourager l'indolence et la fainéantise ; c'est apprendre au pauvre à voler l'homme riche, quand il plaira à celui-ci de refuser l'aumône, et cela par l'habitude où ses secours auront mis le pauvre de les obtenir sans travail. - Oh ! monsieur, que ces principes sont durs ! Parleriez-vous de cette manière, si vous n'aviez pas toujours été riche ? - De même, assurément, Justine. L'aisance ne fait pas les systèmes, elle les consolide ; mais leur germe est dans notre cœur ; et ce cœur, tel qu'il puisse être, n'est jamais l'ouvrage que de la nature. - Et la religion, monsieur, s'écria Justine... la bienfaisance et l'humanité. - Sont les pierres d'achoppement de tout ce qui prétend au bonheur, dit Roland. Si j'ai consolidé le mien, ce n'est que sur les débris de tous ces infâmes préjugés de l'homme ; c'est en me moquant des lois divines et humaines ; c'est en sacrifiant toujours le faible quand je le trouvais dans mon chemin ; c'est en abusant de la bonne foi publique ; c'est en ruinant le pauvre et servant le riche, que je suis parvenu au temple escarpé de l'unique Dieu que j'encensais. Que ne m'imitais-tu ? La route étroite de ce temple s'offrait à tes yeux comme aux miens. Les vertus chimériques que tu as préférées, t'ont-elles consolée de tes sacrifices ? Il n'est plus temps, malheureuse, il n'est plus temps ; pleure sur tes fautes ; souffre et tâche de trouver, si tu peux, dans le sein des fantômes que tu révères, ce que le culte que tu leur as rendu t'a fait perdre. Le cruel Roland, à ces mots, s'élance sur Justine et la fait encore une fois servir aux indignes voluptés qu'elle abhorrait avec tant de raison. Elle crut cette fois qu'elle serait étranglée. Tout à coup il s'arrête sans terminer sa course. Ce procédé fait frémir Justine ; elle y croit lire son malheur. - Je suis bien dupe de me gêner, dit ce monstre en se retirant, le vit écumant de luxure ; n'est-il donc pas temps que la garce ait son tour ? Il se lève, sort, et ferme le cachot. On ne rend point l'inquiétude où il laissa cette infortunée. Mille pressentiments s'emparent d'elle ; à peine a-t-elle la force de discerner celui qui l'agite avec le plus d'empire. Son cachot s'ouvre au bout d'un quart d'heure. C'est Roland ; il est avec sa sœur ; c'est la première fois que cette belle et intéressante créature s'offre aux yeux de Justine. Oui, belle, elle l'était au-dessus de toute expression ; intéressante... assurément, puisqu'elle était, comme les autres, à cela près d'un peu de bien-être, esclave des passions d'un frère, qui, malgré l'amour qu'il avait, disait-il, pour elle, la brutalisait pourtant chaque jour, et cela, quoiqu'elle fût enceinte de lui. - Suivez-moi toutes deux, dit Roland d'un air égaré. On parvient en silence au funeste caveau. Tout est fini pour vous, ose annoncer d'un air ferme et terrible ce redoutable anthropophage ; vous ne verrez plus le jour. En prononçant ces funestes paroles, il se saisit de sa sœur ; et, s'emparant d'une poignée de verges, il la fouette un quart d'heure entier sur tout le corps et particulièrement sur le ventre. - De combien de mois es-tu grosse ? s'écria le barbare en feu. - De six, répond cette aimable et douce créature en se jetant aux pieds de son frère. Si ta rage te porte à sacrifier, à la fois, dans ma seule existence, ta sœur, ta maîtresse, ton amie, la mère de ton enfant, que ce ne soit au moins qu'après que ce malheureux fruit de ton amour aura vu la lumière. - J'en serais, sacredieu, bien fâché, dit Roland ; la terre a bien assez d'un monstre tel que moi ; je ne veux point lui en rendre l'image. Tu sais bien d'ailleurs que je n'aime pas la progéniture ; rien ne fut plus maladroit de ta part, comme de te laisser faire un enfant ; tu traçais toi-même ton arrêt de mort avec le foutre dont tu lui donnais la vie. - Oh ! mon cher Roland. - Eh, non, non, il faut que tu périsses avec ton fruit ; je veux que dans une heure il ne soit pas plus question de la mère que de l'enfant. Mais ne t'inquiète point, poursuit le scélérat, en liant et garrottant sa malheureuse sœur sur un banc de bois, les cuisses très écartées et les reins relevés par un sac de bourre ; non, ne t'inquiète point, je veux, en arrachant l'arbre, en planter sur-le-champ un autre. Branle-moi, Justine, pendant que j'opérerai. L'infâme ! Oh ! grand Dieu ! comment rendre de telles exécrations ! Le monstre abominable ouvre avec un scalpel le ventre de sa sœur... en arrache lui-même le fruit, le foule aux pieds, et remplace le germe qu'il détruit, par le foutre écumeux que lui fait dégorger Justine. Il laisse cette malheureuse femme ouverte et respirant encore. A ton tour, dit-il à Justine ; mais je veux augmenter l'outrage de quelques procédés plus barbares : le poids de la reconnaissance revient peser sur mon cœur attendri ; il faut que je m'acquitte, il le faut. Et le gueux se rebranlait en disant cela. Je vais te lier aux restes ensanglantés de cette intéressante sœur, et te descendre ainsi dans le caveau des morts. Là, délaissée, sans secours, sans nourriture, au milieu des crapauds, des rats et des couleuvres, tu satisferas toute vive à la faim de ces animaux, en expirant toi-même à petit feu des tourments de ce cruel besoin. Exécrablement aiguillonnée par lui, tu dévoreras le cadavre auquel je t'attacherai... Oh ! bougresse, il faut bien que cette idée soit délicieuse ; car tu vois l'état où elle me met, quoique je viens de perdre mon foutre. Viens, Justine. il faut que je t'encule encore une fois avant que de te quitter pour la vie... Ah ! le beau cul, coquine ! quel dommage de livrer si tôt tant de charmes aux vers ! que je te fouette, mon ange ; que je t'ensanglante à loisir pour mieux décider l'érection. Sa sœur respirait encore ; elle haletait. C'est sur l'estomac de cette moribonde que Roland place Justine. en telle sorte que les fesses de celle-ci soient perpendiculaires aux deux tétons de l'autre. L'opération commence ; le bourreau frappe à la fois et la gorge palpitante de sa malheureuse sœur, et les fesses charnues de notre héroïne, qu'il courbe quelquefois, afin que sa tête s'enfonce dans les entrailles que déchire sa rage. - Ah ! putain, dit-il à Justine en la flagellant de toutes ses forces, je voudrais te faire rentrer dans le ventre de ma sœur, t'y coudre, t'y enfermer, et t'y faire trouver ton cercueil... Mais, cruel oubli ! je ne me le pardonne pas. Eh quoi ! Justine, une de tes amies respire encore dans ces lugubres lieux, et ce n'est point dans ses bras que je t'immole... Attends... attends, je vais la chercher. Le monstre sort avec promptitude, et laisse sa triste victime tête à tête avec cette femme expirante, et dont les cris déchiraient le cœur. La sensible Justine veut profiter de ce moment pour donner quelques soins à sa compagne d'infortune. Hélas ! il n'est plus temps ; le plus grand service qu'on pût lui rendre serait de l'achever ; et ce ne sont pas des soins de cette espèce qui s'allient à l'âme de Justine. Tout ce qu'elle fait est donc inutile. On ne lui laisse d'ailleurs le temps de rien ; Roland reparaît avec Delisle : - Tiens, Justine, dit-il en la lui présentant ; rends grâces à mes attentions ; je veux que ton amie meure avec toi. Mille caresses, suivant l'usage, de ce scélérat, précèdent ses atrocités. Le malheureux s'y livre à la fin ; c'est avec une férule, armée de pointes de fer, que Roland s'apprête à déchirer les belles fesses de la compatissante hôtelière ; il les met en sang. La fixant sur les deux autres femmes, il l'encule, et les arrange si bien toutes les trois, qu'il passe alternativement du ventre déchiré de l'une dans la bouche de l'autre, et de celle-ci dans le cul de la troisième. Il saisit à la fin la Delisle ; il la pend, lui monte sur les épaules, et foule la tête avec les pieds pour mieux lacérer les vertèbres du cou. - Oh ! Justine, dit-il en se branlant de toutes ses forces, je te traiterais de même si je ne bandais pas excessivement à l'idée de t'enterrer toute vive... Ce supplice est affreux... mon foutre est prêt à s'élancer sur la seule idée de te voir souffrir. Il se saisit en disant cela, de cette malheureuse, l'attache fortement aux deux cadavres, et lie la masse entière à une grosse corde. Entrouvrant alors le caveau des morts, il laisse couler une lampe ; puis se prépare à y placer de même les trois corps. - Allons, Justine, il est temps, dit-il en continuant de se branler, il est temps de nous séparer pour jamais... oui, pour jamais ; Justine, nous ne nous reverrons plus. Fille aveuglée, poursuivit-il, voilà pourtant le fruit de tes vertus ; regarde s'il n'eût pas mieux valu pour toi de ne jamais me secourir quand tu me rencontras, que de donner à ton bourreau, par ces secours, tous les moyens de te faire expirer de la plus effrayante des morts. Il descend les corps en disant cela ; puis, dès qu'il sent que le poids est à terre, le scélérat décharge au-dessus de leur tête, et d'affreuses invectives accompagnent encore les derniers élans de sa frénésie. Tout se termine et la pierre se ferme. Ô malheureuse Justine ! ô fille trop infortunée ! te voilà donc vivante au milieu des morts, liée entre deux cadavres, et plus morte toi-même que ceux qui t'environnent ! - Juste Dieu ! s'écrie-t-elle en contemplant l'horreur de sa situation ; est-il dans la nature un être aussi à plaindre que moi ? Dieu que j'implore, ne m'abandonne pas, et donne-moi la force nécessaire à me préserver du désespoir où mon triste sort me réduit. Rien de ce que tu fais n'est sans but ; je ne t'interroge point sur tes décrets : ils doivent être, je le sais, incompréhensibles comme toi ; mais, de quel crime suis-je donc coupable pour être traitée comme je le suis ? N'importe, si tu le veux, je m'y soumets ; que ta volonté s'accomplisse ; j'étais peut-être un instrument du crime, que ta justice veut briser. Je t'abandonne, ô mon Dieu, ce corps épuisé par la douleur, et qu'ont si longtemps desséché les larmes de la misère et du désespoir ; mais laisse revoler vers toi cette âme aussi pure que quand il te plût de me la donner, et que tes bras consolateurs s'ouvrent au moins pour y recevoir une malheureuse qui n'a jamais vécu que pour toi. Justine n'était éclairée que d'une lampe funèbre ; elle profite du moment où brûle ce fatal luminaire, pour se débarrasser de ses fers ; les corps entre lesquels on l'avait liée ne vivant plus, elle eut moins de peine à se dégager ; elle y réussit à la fin. Son premier mouvement est d'en rendre grâces à l'Être suprême. Elle jette ensuite un œil d'horreur sur ce qui l'environne ; il lui est impossible de compter les cadavres dont est couvert le sol impur de ce lieu d'horreurs ; elle y croit reconnaître pourtant ceux des femmes qui l'ont précédée. Il paraissait que la dernière qu'on y avait descendue, y était, comme Justine, arrivée pleine de vie, et qu'elle y avait même souffert les horreurs de la faim. Presque droite, appuyée contre le mur, elle tenait encore dans des doigts un crâne dans lequel, sans doute, la malheureuse a cru trouver la chétive subsistance exigée par l'impérieuse loi de la nature... - Oh ! Dieu ! Dieu ! voilà donc quelle sera ma fin, s'écrie Justine ; voilà les tourments que je vais ressentir, et les angoisses qui vont terminer ici mes déplorables jours ! Elle avait déjà passé quinze heures dans ce lieu dégoûtant, où le défaut d'air et l'infection, en absorbant en elle toutes les facultés de son existence, l'avaient jusqu'alors empêchée d'éprouver aucun besoin. Depuis longtemps la lampe ne brûlait plus. Assise entre deux cadavres, l'infortunée attendait en silence qu'il plût à l'Être Suprême de la rappeler vers lui ; et ses idées, comme on l'imagine aisément, étaient aussi lugubres que sa position... lorsque tout à coup elle entend du bruit... Elle écoute ; ce n'est point une illusion. Les portes s'ouvrent... Il n'y a rien, disent confusément des voix d'hommes et de femmes qu'elle distingue à peine... - Vous vous trompez, dit-elle en criant de toutes ses forces, une malheureuse victime respire dans ces lieux d'horreurs ; daignez prendre pitié d'elle, et délivrez-la le plus tôt qu'il vous sera possible. Elle expire... On écoute. Justine pousse de nouveaux cris. On cherche la pierre qui bouche le caveau ; notre prisonnière l'indique comme elle peut... Elle se lève enfin. - Au nom du ciel, sauvez-moi d'ici, dit Justine... - Quoi !... Justine ! dit une voix de femme. - Elle-même. Sauvez-la du cruel traitement où notre maître commun l'a condamnée. - Il ne règne plus sur nous, répond la même femme, que Justine reconnaît pour une de ses anciennes compagnes ; le ciel nous en a délivrés... Viens jouir de la prospérité commune que cet événement nous donne à tous. Une échelle se descend aussitôt ; et voilà Justine remontée dans l'affreux boudoir de Roland. Elle s'imagine être déjà dans le monde, en revoyant ce caveau dans lequel elle ne descendait jamais sans se croire à mille lieues de l'univers. Sa camarade l'embrasse. Les deux hommes qui l'accompagnent s'empressent de lui apprendre que Roland est enfin parti, et que le nouveau chef de cette maison est maintenant Delville, homme doux et sensible, dont les premiers soins ont été de réparer toutes les atrocités de son prédécesseur. C'est par les ordres de cet honnête individu que tout se fouille avec exactitude ; c'est par ses bontés... par son zèle, que tout se calme et se civilise dans ce séjour, où des crimes assez grands se commettent déjà, dit Delville, sans les accompagner d'épisodes inutiles et qui font frémir la nature. Justine remonte au château, pleine d'espérance et de joie. On la soigne... on la restaure... on lui demande ses dernières aventures ; elle les raconte ; et, dès le même soir, elle est établie, comme ses compagnes, dans de très bonnes chambres où l'on ne les occupe plus qu'à la taille des pièces de monnaie, métier moins fatigant, sans doute, que celui qu'elles exerçaient auparavant, et dont elle était récompensée, ainsi que les autres, par tout plein d'égards et par une excellente nourriture. Au bout de deux mois Delville, successeur de Roland, fit part à toute la maison de l'heureuse arrivée de son confrère à Venise. Il y était établi ; il y avait réalisé sa fortune, et y jouissait de tout le repos... de tout le bonheur dont un homme pouvait se flatter. Il s'en fallut bien que le sort de celui qui le remplaçait fût le même. Le malheureux Delville était honnête dans sa profession ; n'en était-ce pas plus qu'il n'en fallait pour être promptement écrasé ? Un jour que tout était tranquille à la maison... que, sous les lois de ce bon maître, le travail, quoique criminel, s'y faisait pourtant avec gaîté... où la malheureuse Justine, plus calme, s'occupait doucement des moyens de pouvoir quitter ces gens-ci, les portes s'enfoncent tout à coup, les fossés s'escaladent et le château, avant que ceux qui l'habitent aient le temps de songer à leur défense, se trouve rempli de soixante cavaliers de maréchaussée. Il faut bien se rendre ; il ne reste aucun moyen de faire autrement. On enchaîne tous ces misérables comme des bêtes ; on les attache sur des chevaux, et on les conduit à Grenoble. - Eh bien ! dit Justine en y entrant, c'est donc l'échafaud qui va faire mon sort dans cette ville, où j'avais la foi de croire que le bonheur devait naître pour moi... Ô pressentiments de l'homme, à quel point vous êtes trompeurs ! Le procès des faux monnayeurs fut bientôt fait ; tous furent condamnés à être pendus. Lorsque l'on vit la marque dont Justine était flétrie, on s'évita presque la peine de l'interroger ; et elle allait être traitée comme les autres, quand elle essaya d'obtenir enfin quelque peu d'attention du magistrat fameux, honneur de ce tribunal... juge intègre... citoyen chéri... philosophe éclairé, dont la sagesse et la bienfaisance graveront à jamais, au temple de Thémis, le nom célèbre en lettres d'or. Il l'écouta. Convaincu de la bonne foi de cette infortunée, et de la vérité de ses malheurs, il daigna mettre à l'examen de son procès un peu plus d'importance que n'en avaient mis ses collègues à l'affaire des autres coupables. M S... devint lui-même l'avocat de Justine. Les plaintes de cette pauvre fille furent écoutées ; les dépositions générales des faux monnayeurs vinrent à l'appui du zèle de celui qui prenait la défense de la vertu dans les fers ; et notre intéressante héroïne fut unanimement déclarée séduite, innocente, et pleinement déchargée d'accusation, avec l'entière liberté de devenir ce qu'elle voudrait. Son protecteur joignit à ce service le produit d'une quête entreprise pour elle, et qui lui rapporta plus de cinquante louis. Enfin, Justine voyait luire a ses yeux l'aurore du bonheur ; elle se croyait au terme de ses maux... le ciel paraissait juste à son égard, quand il plut à la Providence de la convaincre que ses desseins sur elle ne varieraient jamais, et qu'elle était encore bien loin de voir réaliser les chimères que son esprit trompé croyait enfin saisir. **** *creator_sade *book_sade_justine1799 *style_prose *date_1799 CHAPITRE XIX RENCONTRE INATTENDUE - DISSERTATION PHILOSOPHIQUE - NOUVEAU PROTECTEUR - LES MONSTRUOSITÉS D'UNE FEMME DÉJÀ CONNUE DÉTRUISENT TOUT - ÉTRANGE PASSION D'UN HOMME PUISSANT - DÉPART DE GRENOBLE Au sortir de prison, Justine se logea dans une assez bonne auberge, située en face du pont de l'Isère, du côté des faubourgs. Son intention, d'après le conseil de M. S... était d'y rester quelque temps, pour essayer de se placer dans la ville, ou s'en retourner à Lyon, si elle ne réussissait pas ; et, dans ce dernier cas, l'avocat général lui donnerait des lettres de recommandation. Elle mangeait, dans cette auberge, à ce qu'on appelle la table d'hôte, lorsqu'elle s'aperçût, le second jour, qu'elle était extraordinairement examinée par une grosse dame, fort bien mise, à laquelle on donnait le titre de baronne. A force de l'observer à son tour, Justine crut la reconnaître ; et toutes deux s'avancent simultanément l'une vers l'autre, comme deux personnes qui se sont reconnues, mais qui ne peuvent se rappeler où. Enfin, la baronne tirant Justine à l'écart : - Mademoiselle, lui dit-elle, me trompé-je ? n'êtes-vous pas la même personne que je sauvai, il y a dix ans, de la Conciergerie, et ne reconnaissez-vous point la Dubois ? Peu flattée de cette découverte, Justine néanmoins répond avec politesse ; mais, comme elle avait affaire à la plus adroite coquine qu'il y eût en France, il lui devint impossible d'échapper. La baronne lui dit qu'elle s'était intéressée à son sort avec toute la ville ; que, si elle avait su que cela l'eût regardée, il n'y eût eu sorte de démarches qu'elle n'eût faites près des magistrats, parmi lesquels plusieurs étaient, disait-elle, de ses amis. Faible, comme à son ordinaire, Justine se laissa conduire dans la chambre de cette femme, et lui raconta ses malheurs. - Ma chère amie, répondit la Dubois après l'avoir entendue, si j'ai désiré de te voir plus intimement, c'est pour t'apprendre que j'ai parcouru une carrière bien différente de la tienne. Ma fortune est faite, et tout ce que j'ai est à ton service. Regarde, lui dit-elle en lui ouvrant des cassettes pleines d'or et de diamants, voilà les fruits de mon industrie : si j'eusse encensé la vertu comme toi, je serais aujourd'hui enfermée ou pendue. - Oh ! madame, répondit Justine, si vous ne devez tout cela qu'à des forfaits, la Providence, toujours juste, ne vous en laissera pas jouir longtemps. - Erreur, répondit la Dubois ; ne t'imagine pas que ta fantastique Providence favorise toujours la vertu , qu'un court instant de prospérité ne t'aveugle pas à ce point. Il est égal au maintien des lois de la nature que Paul suive le mal, pendant que Pierre se livre au bien. Ce qu'il faut à cette nature compensatrice, c'est une somme égale de l'un et de l'autre ; et l'exercice du crime, plutôt que celui de la vertu, est la chose du monde qui lui est la plus indifférente. Écoute, Justine, écoute-moi avec un peu d'attention, continua cette scélérate ; tu as de esprit, je voudrais enfin te convaincre. Ce n'est pas, ma chère amie, le choix que l'homme fait de la vertu qui lui fait trouver le bonheur ; car la vertu n'est, comme le crime, qu'une des manières de se conduire dans le monde. Il ne s'agit donc pas de suivre plutôt l'une de ces manières, que l'autre ; il n'est question que de marcher dans la route générale ; celui qui s'en éloigne a toujours tort. Dans un monde entièrement vertueux, je te conseillerais la vertu, parce que les récompenses y étant attachées, le bonheur y tiendrait infailliblement ; dans un monde totalement corrompu, je ne te conseillerai jamais que le vice. Celui qui ne suit pas la route des autres périt inévitablement ; tout ce qu'il rencontre le heurte ; et, comme il est le plus faible, il faut nécessairement qu'il soit brisé. C'est en vain que les lois veulent rétablir l'ordre, et ramener les hommes à la vertu. Trop prévaricatrices pour l'entreprendre, trop insuffisantes pour y réussir, elles écarteront un instant du chemin battu, mais elles ne le feront jamais quitter. Quand l'intérêt général des hommes les portera à la corruption, celui qui ne voudra pas se corrompre avec eux, luttera donc contre l'intérêt général ; or, quel bonheur peut attendre celui qui contrarie perpétuellement l'intérêt des autres ? Me diras-tu que c'est le vice qui contrarie l'intérêt des hommes ? Je te l'accorderais dans un monde composé d'une égale partie de bons et de méchants, parce qu'alors l'intérêt des uns choque visiblement celui des autres. Mais ce n'est plus cela dans une société toute corrompue. Mes vices alors, n'outrageant que le vicieux, déterminent dans lui d'autres vices qui les dédommagent ; et nous nous trouvons tous les deux contents. La vibration devient générale ; c'est une multitude de chocs et de lésions mutuelles, où chacun, regagnant aussitôt ce qu'il vient de perdre, se retrouve sans cesse dans une position heureuse. Le vice n'est dangereux qu'à la vertu, qui, faible et timide, n'ose jamais rien entreprendre. Mais quand elle n'existe plus sur la terre, quand son fastidieux règne est fini, le vice alors, n'outrageant plus que le vicieux, fera éclore d'autres vices, mais n'altérera plus de vertus. Comment n'aurais-tu pas échoué mille fois dans ta vie, Justine, en prenant sans cesse à contre-sens la route que suivait tout le monde ? Si tu t'étais livrée au torrent, tu aurais trouvé le port comme moi. Celui qui veut remonter un fleuve, parcourt-il, dans un même jour, autant de chemin que celui qui le descend ? Tu me parles toujours de la Providence, eh ! qui te prouve que cette Providence aime l'ordre, et par conséquent la vertu ? Ne te donne-t-elle pas sans cesse des exemples de ses injustices et de ses irrégularités ? Est-ce en envoyant aux hommes la guerre, la peste et la famine ; est-ce en ayant formé un univers vicieux dans toutes ses parties, qu'elle manifeste à tes yeux son amour extrême pour le bien ? Pourquoi veux-tu que les individus vicieux lui déplaisent, puisqu'elle n'agit elle-même que par des vices, que tout est vice et corruption dans ses œuvres, que tout est crime et désordre dans ses volontés ? Mais de qui tenons-nous d'ailleurs ces mouvements qui nous entraînent au mal ? n'est-ce pas sa main qui nous les donne ? est-il une seule de nos sensations qui ne vienne d'elle, un seul de nos désirs qui ne soit son ouvrage ? Est-il donc raisonnable de dire qu'elle nous laisserait ou nous donnerait des penchants pour une chose qui lui nuirait, ou qui lui serait inutile ? Si donc les vices lui servent, pourquoi voudrions-nous y résister ? de quel droit travaillerions-nous à les détruire ? et d'où vient que nous étoufferions leur voix ? Un peu plus de philosophie dans le monde remettrait bientôt tout dans l'ordre, et ferait voir aux magistrats, aux législateurs, que les crimes qu'ils blâment et punissent avec tant de rigueur, ont quelquefois un degré d'utilité bien plus grand que ces vertus qu'ils prêchent sans les pratiquer eux-mêmes, et sans jamais les récompenser. - Quand je serais assez faible, madame, répondit Justine, pour embrasser vos affreux systèmes, comment parviendriez-vous à étouffer les remords qu'ils feraient à tout instant naître dans mon cœur ? - Le remords est une chimère, reprit la Dubois ; il n'est, ma chère Justine, que le murmure imbécile de l'âme assez timorée pour n'oser pas l'anéantir. - L'anéantir ! le peut-on ? - Rien de plus aisé. On ne se repent que de ce qu'on n'est pas dans l'habitude de faire : Renouvelez sans cesse ce qui vous donne des remords, et vous les éteindrez facilement ; opposez-leur le flambeau des passions, les lois puissantes de l'intérêt, vous les aurez bientôt dissipés. Le remords ne prouve pas le crime ; il dénote seulement une âme facile à subjuguer. Qu'il vienne un ordre absurde de t'empêcher de sortir à l'instant de cette chambre, tu n'en sortirais pas sans remords, quelque certain qu'il fût que tu ne ferais pourtant aucun mal d'en sortir. Il n'est donc pas vrai qu'il n'y ait que le crime qui donne des remords. En se persuadant du néant des crimes... de la nécessité dont ces actions sont au plan général de la nature, il serait donc possible de vaincre aussi facilement le remords qu'on sentirait après les avoir commises, comme il le deviendrait d'étouffer celui qui naîtrait de ta sortie de cette chambre, après l'ordre illégal que tu aurais reçu d'y rester. Il faut commencer par une analyse complète de tout ce que les hommes appellent crime ; par se convaincre que ce qu'ils nomment ainsi n'est que la très juste infraction à leurs absurdes conventions sociales... que ce qu'on taxe crime en France cesse de l'être à deux cents lieues de là ; je dis plus, que le même siècle voit souvent honorer, sur sa fin, ce qu'on aurait puni dans son commencement. Quelle meilleure preuve de ce que je dis, que la révolution des empires, qui, se métamorphosant en républiques, couronnent souvent le régicide qu'eût écartelé le despotisme ! Persuade-toi donc, en un mot, Justine, qu'il n'est aucune action qui soit considérée comme crime universellement dans le monde... aucune qui, vicieuse ou criminelle ici, ne soit louable et vertueuse à quelques milles de là ; que tout est affaire d'opinion, de géographie, et qu'il est donc absurde de vouloir s'astreindre à pratiquer des vertus qui ne sont que des vices ailleurs, et à fuir des crimes qui sont d'excellentes actions dans d'autres climats. Je te demande maintenant si tu peux, d'après ces réflexions, conserver encore des remords, pour avoir, par plaisir ou par intérêt, commis en France un crime qui n'est qu'une vertu en Chine ; si je dois me rendre très malheureuse... me gêner prodigieusement, afin de pratiquer en France des actions qui me feraient brûler au Siam. Or, si le remords n'est qu'en raison de la défense ; s'il ne naît que des débris du frein, et nullement de l'action commise ; est-ce un mouvement bien sage à laisser subsister en soi ? N'est-il pas absurde de ne pas l'étouffer aussitôt qu'on est parvenu à considérer comme indifférente l'action qui vient de donner des remords, qu'on a réussi à la juger telle, par l'étude réfléchie des mœurs et coutumes de toutes les nations de la terre ? Ce travail fait, qu'on renouvelle cette action, quelle qu'elle soit, aussi souvent que cela sera possible ; ou mieux encore, qu'on en fasse de plus fortes que celle que l'on combine, afin de se mieux accoutumer à celle-là. L'habitude et la raison détruiront bientôt les remords ; ils s'anéantiront aussitôt, ces mouvements ténébreux, seuls fruits de l'ignorance et de l'éducation. On sentira dès lors que, dès qu'il n'est de crime réel à rien, il n'y a que de l'extravagance à se repentir et à n'oser faire tout ce qui peut nous être utile ou agréable, quelles que soient les digues qu'il faille culbuter pour y parvenir. J'ai commis mon premier crime à quatorze ans, Justine ; celui-là brisait tous les liens qui me gênaient... Je fis, à l'être qui m'avait donné la vie, le présent le plus contraire à celui que j'avais reçu de lui... tu m'entends ? Le malheureux ! je le vois encore rendre l'âme, et n'y pense jamais sans les plus piquantes émotions de plaisir ! Je n'ai cessé depuis de courir à la fortune par une carrière semée d'horreurs ; il n'en est pas une seule que je n'aie commise... ou fait faire ; et je n'ai jamais connu de remords. Je touche à la fin au but ; encore deux ou trois coups heureux, et je passe de l'état de médiocrité, où je devais finir mes jours, à plus de cent mille livres de rente. Je le répète, chère fille, jamais dans cette route, heureusement parcourue, le remords ne m'a fait sentir ses épines. Un revers inattendu me précipiterait-il dans l'abîme, je ne l'éprouverais pas davantage ; je me plaindrais des hommes ou de ma maladresse, mais je serais toujours tranquille avec ma conscience. - Soit, répondit Justine ; mais raisonnons un instant, madame, d'après vos principes mêmes. De quel droit prétendez-vous que ma conscience soit aussi ferme que la vôtre, dès qu'elle n'a pas été accoutumée dès l'enfance à vaincre les même préjugés ? à quel titre voulez-vous que mon esprit, qui n'est pas organisé comme le vôtre, puisse adopter le même système ? Vous admettez qu'il y a une somme de bien et de mal dans la nature, et qu'il faut en conséquence une certaine quantité d'êtres qui pratiquent le bien, et une autre qui se livrent au mal. Le parti que je prends en adoptant le bien est donc dans la nature ; d'où vient, d'après cela, que vous exigeriez que je m'écartasse des règles qu'elle me prescrit ? Vous trouvez, dites-vous, le bonheur dans la carrière que vous parcourez ; eh bien ! madame, d'où vient que je ne le trouverais pas également dans celle que je suis ? N'imaginez pas, d'ailleurs, que la vigilance des lois laisse en repos longtemps celui que les enfreint. Vous venez d'en voir un exemple frappant. De quinze fripons parmi lesquels j'habitais, un seul se sauve ; quatorze périssent ignominieusement. - Et voilà donc ce que tu appelles un malheur ? reprit la Dubois. Mais que fait cette ignominie à celui qui n'a plus de principes ? Quand on a tout franchi, quand l'honneur, à nos yeux, n'est plus qu'un préjugé, la réputation une chose indifférente, la religion une chimère, la mort un anéantissement total, n'est-ce donc pas la même chose alors de périr sur un échafaud ou dans son lit ? Il y a deux espèces de coquins dans le monde, Justine : celui qu'une fortune puissante, un crédit prodigieux, met à l'abri de cette fin tragique, et celui qui ne l'évitera pas, s'il est pris. Ce dernier, né sans bien, ne doit avoir qu'un seul désir, s'il a de l'esprit : devenir riche, à quelque prix que ce puisse être. S'il réussit, il a ce qu'il a voulu, il doit être content ; s'il périt, que regrettera-t-il, puisqu'il n'a rien à perdre ? Les lois sont donc nulles vis-à-vis de tous les scélérats, dès qu'elles n'atteignent pas celui qui est puissant, et qu'il est impossible au malheureux de les craindre, puisque leur glaive est sa seule ressource. - Eh ! croyez-vous, madame, répondit vivement Justine, que la justice céleste n'attende pas, dans un autre monde, celui que le crime n'a pas effrayé dans celui-ci ? - Je crois, répondit cette femme dangereuse, que s'il y avait un Dieu, il y aurait moins de mal sur la terre. Je crois que si ce mal y existe, ou ces désordres sont ordonnés par ce Dieu, et alors voilà un être barbare ; ou il est hors d'état de les empêcher, et de ce moment, voilà un Dieu faible, et, dans tous les cas, un être abominable, un être dont je dois braver la foudre et mépriser les lois. Ah ! Justine, l'athéisme ne vaut-il pas mieux que l'une et l'autre de ces extrémités ? et n'est-il pas cent fois plus raisonnable de ne point croire de Dieu, que d'en adopter un aussi dangereux... aussi épouvantable, aussi contraire au bon sens et à la raison ?... Non, sacredieu... Et le monstre se levant ici avec d'indicibles mouvements de rage et de fureur, vomit une foule de blasphèmes, plus atroces... plus exécrables les uns que les autres, et dont l'innocente Justine frémit, au point de lever le siège. - Arrête, lui cria la Dubois en la retenant, arrête ma fille ; si je ne peux vaincre ta raison, que je captive au moins ton cœur. J'ai besoin de toi, ne me refuse pas ton secours. Voilà mille louis ; ils t'appartiennent, dès que le coup sera fait. La prudente Justine, n'écoutant ici que son penchant à faire le bien, demanda tout de suite ce dont il s'agissait, afin de prévenir, si elle le pouvait, le crime médité par cette furie. - Voilà ce que je veux te dire, répondit la Dubois ; as-tu remarqué ce jeune négociant de Lyon, qui mange ici depuis quatre ou cinq jours ? - Dubreuil ? - Précisément. - Eh bien ? - Il est amoureux de toi ; il m'en a fait la confidence ; ton air modeste et doux lui plaît infiniment ; il aime ta candeur, et ta vertu l'enchante. Cet amant romanesque a huit cent mille francs en or ou en papiers dans une cassette auprès de son lit. Laisse-moi lui persuader que tu consens à l'écouter. Que cela soit ou non, que t'importe ; je l'engagerai à te proposer une partie hors de la ville ; je le convaincrai du point auquel il avancera ses affaires avec toi, au moyen de cette promenade. Tu l'amuseras, tu le tiendras dehors le plus longtemps possible. Je le volerai pendant cet intervalle ; mais je ne fuirai point. Ses effets seront déjà dans le Piémont, que je serai encore dans Grenoble. Nous emploierons tout l'art possible pour le dissuader de jeter les yeux sur nous ; nous aurons l'air de l'aider dans ses recherches. Cependant mon départ sera annoncé ; il n'étonnera point ; tu me suivras ; et mille louis te seront comptés en touchant les frontières de France. - J'accepte, madame, répondit Justine, bien décidée à prévenir le jeune homme du vol qu'on voulait lui faire. Mais réfléchissez-vous, continua-t-elle, pour mieux tromper cette scélérate, que si Dubreuil est amoureux de moi, je puis, en le prévenant ou me rendant à lui, en tirer beaucoup plus que vous ne m'offrez pour le trahir ? - Bravo ! répondit la Dubois ; voilà ce que j'appelle une bonne écolière ; je commence à croire que le ciel t'a donné plus d'art qu'à moi pour le crime. Eh bien ! continua-t-elle en écrivant, voilà mon billet du double ; ose me refuser à présent ! - Je m'en garderai bien, madame, dit Justine en prenant le billet ; mais n'attribuez au moins qu'à ma faiblesse et qu'à ma pauvreté le tort que j'ai de me rendre à vos séductions. - Je voulais en faire un mérite de ton esprit, dit la Dubois ; tu aimes mieux que j'en accuse ton malheur ; ce sera comme tu le voudras. Sers-moi toujours, et tu seras contente. Justine, remplie de son projet, commence, dès le même soir, à faire un peu plus d'avance à Dubreuil. Elle démêle bientôt les sentiments de ce jeune homme pour elle. Rien d'embarrassant comme sa situation. Elle était bien éloignée, sans doute, de se prêter au crime proposé, eût-il été question de mille fois plus d'or. Mais dénoncer cette femme, était un autre chagrin pour elle ; il lui répugnait infiniment d'exposer à périr une créature à qui elle avait dû sa liberté dix ans auparavant ; elle aurait bien voulu trouver le moyen d'empêcher le crime sans le punir ; et, avec toute autre qu'une scélérate consommée comme la Dubois, elle y serait infailliblement parvenue. Voici donc quels furent les résultats de sa détermination, ignorant que les manœuvres sourdes de cette femme horrible, non seulement dérangeraient tout l'édifice de ses projets honnêtes, mais la puniraient même de les avoir conçus. Au jour prescrit pour la promenade, la Dubois invite à dîner Dubreuil et Justine dans sa chambre. Le repas fait, les deux jeunes gens descendent pour presser la voiture qu'on leur prépare. La Dubois n'ayant point suivi, Justine se trouve seule avec son amant. - Monsieur, lui dit-elle fort vite, écoutez-moi avec attention ; point d'éclat, observez surtout rigoureusement tout ce que je vais vous prescrire... Avez-vous un ami sûr dans cette auberge ? - Oui, un jeune associé sur lequel je puis compter comme sur moi-même. - Eh bien ! monsieur, allez promptement lui ordonner de ne pas quitter votre chambre une minute de tout le temps que nous serons à la promenade. - Mais, j'ai la clef de cette chambre ; que signifie ce surcroît de précautions ? - Il est plus essentiel que vous ne pensez, monsieur ; usez-en, je vous en conjure, ou je ne sors point avec vous. La femme chez qui nous avons dîné est une coquine ; elle n'arrange la promenade que nous allons faire ensemble, que pour vous voler plus à l'aise. Pressez-vous, monsieur, elle nous observe... elle est dangereuse ; remettez vite votre clef à votre ami ; qu'il aille s'établir dans votre chambre, et qu'il n'en bouge pas que nous ne soyons revenus. Je vous expliquerai tout le reste, dès que nous serons en voiture. Dubreuil entend Justine ; il lui serre la main pour la remercier, vole donner des ordres relatifs à l'avis qu'il reçoit, et revient aussitôt. On part. Chemin faisant, Justine découvre toute l'aventure ; elle raconte les siennes, instruit son jeune amant des malheureuses circonstances qui lui ont fait connaître l'exécrable Dubois. Dubreuil, honnête et sensible, témoigne la plus vive reconnaissance du service qu'on veut bien lui rendre ; il s'intéresse aux malheurs de Justine, et lui propose de les adoucir par le don de sa main. - Je suis trop heureux de pouvoir réparer les torts que la fortune a envers vous, mademoiselle, lui dit-il. Je suis mon maître ; je ne dépends de qui que ce soit ; je passe à Genève, pour le placement des sommes considérables que vos bons avis me sauvent ; vous m'y suivrez. En arrivant, je deviens votre époux, et vous ne paraissez à Lyon que sous ce titre ; ou, si vous l'aimez mieux, mademoiselle, si vous avez quelque défiance, ce ne sera que dans ma patrie même que je vous donnerai mon nom. Une telle offre flattait trop Justine pour qu'elle osât la refuser ; mais il ne lui convenait pas non plus de l'accepter, sans faire sentir à Dubreuil tout ce qui pourrait l'en faire repentir. Il lui sut gré de sa délicatesse, et ne la pressa qu'avec plus d'instance. Ô créature infortunée ! fallait-il que le bonheur ne s'offrît à toi que pour te pénétrer plus vivement du chagrin de ne pouvoir jamais le saisir... fallait-il donc qu'aucune vertu ne pût naître en ton cœur, sans te préparer des tourments. On se trouvait, toujours causant, presque à deux lieues de la ville, et l'on allait descendre de la voiture pour jouir de la fraîcheur de quelques avenues sur les bords de l'Isère, où l'on avait dessein de se promener, lorsque tout à coup Dubreuil se trouve mal... D'affreux vomissements le surprennent... On revole à Grenoble. Dubreuil est dans un tel état, qu'il faut le porter dans sa chambre. Sa situation surprend son associé. Un médecin arrive. Juste ciel !... le malheureux jeune homme est empoisonné. Justine, épouvantée, court à l'appartement de la Dubois. L'infâme ! elle était partie. Notre héroïne passe chez elle... Son armoire est forcée ; le peu de hardes qu'elle possède lui est enlevé. La Dubois, lui dit-on, court, depuis trois heures, du côté de Turin. Il n'est pas douteux qu'elle ne soit l'auteur de cette multitude de crimes. Elle s'était présentée chez Dubreuil. Piquée d'y trouver du monde, elle s'était vengée sur Justine ; et elle avait empoisonné ce jeune homme en dînant, pour qu'au retour, si elle avait réussi à le voler, le malheureux, plus occupé de sa vie que de poursuivre celle qui dérobait sa fortune, la laissât fuir en sûreté, et pour que, l'accident de sa mort arrivant, pour ainsi dire, dans les bras de Justine, cette pauvre fille pût être plus légitimement soupçonnée qu'elle. Notre triste orpheline retourne chez Dubreuil ; on ne la laisse point approcher ; elle se plaint du refus. On lui en dit la cause : l'infortuné ne s'occupe plus que de Dieu, et rend l'âme. Cependant il a disculpé celle qu'il aime ; il défend qu'on la poursuive ; il meurt. A peine a-t-il fermé les yeux, que son jeune ami accourt près de Justine, lui raconte toutes ces circonstances, et s'efforce de la tranquilliser... Hélas ! cela se peut-il ? doit-elle ne pas pleurer amèrement la perte d'un homme qui s'est si généreusement offert à la tirer de l'indigence ? Peut-elle ne pas déplorer un vol qui la plonge dans la misère dont elle ne fait que de sortir ? Dangereuse femme ! s'écrie-t-elle, si c'est là que conduisent tes effrayants principes, faut-il s'étonner qu'on les abhorre, et que les honnêtes gens les punissent ? Mais Justine raisonnait en partie lésée, et la Dubois, qui ne voyait que son bonheur... son intérêt dans ce qu'elle avait entrepris, concluait sans doute bien différemment. Justine confia tout à Valbois, l'associé de Dubreuil, et ce qu'on avait combiné contre celui qu'il perdait, et ce qui lui été arrivé à elle-même. Il la plaignit, regretta bien sincèrement Dubreuil, et blâma dans Justine l'excès de délicatesse qui l'avait empêchée de s'aller plaindre aussitôt qu'elle avait été instruite des projets de la Dubois. Tous deux combinèrent que ce monstre, auquel il ne fallait que quatre heures pour se mettre en pays de sûreté, y serait plus tôt que l'on aurait avisé à la faire poursuivre... qu'il en coûterait beaucoup de frais... que le maître de l'auberge, vivement compromis dans la plainte qui serait faite, et se défendant avec éclat, finirait peut-être par écraser Justine elle-même... elle qui ne semblait respirer Grenoble qu'en échappant de la potence. Ces raisons la persuadèrent et la convainquirent tellement, qu'elle résolut de partir, sans même prendre congé de son protecteur. Valbois approuve ce parti ; il ne cache point à notre héroïne, que, si cette aventure se réveille, les dépositions que lui-même sera obligé de faire lui nuiront infailliblement, tant à cause de ses liaisons avec la Dubois, qu'en raison de la dernière promenade qu'elle fit avec son ami ; qu'il lui conseillait donc, d'après cela, de partir aussitôt, sans voir personne, bien sûr que de son côté il n'agirait jamais contre elle, qu'il croyait innocente, et qu'il ne pouvait accuser que de faiblesse dans tout ce qui venait de se passer. En réfléchissant aux avis de Valbois, Justine crut reconnaître qu'ils étaient d'autant meilleurs, qu'il paraissait aussi certain qu'elle avait l'air coupable, comme il était constant qu'elle ne l'était pas ; que la seule chose qui parlât en sa faveur (la recommandation faite à Dubreuil à l'instant de la promenade), mal expliquée par lui, assurait-on, à l'article de la mort, ne deviendrait plus une preuve aussi forte qu'elle avait pu se l'imaginer. Ces considérations la décident aussitôt ; elle en fait part à Valbois, qui continue de les approuver. - Je voudrais, lui dit cet honnête jeune homme, que Dubreuil m'eût chargé de quelque disposition favorable pour vous, je la remplirais avec le plus grand plaisir ; je voudrais même qu'il m'eût dit que c'était à vous qu'il devait le conseil de me faire garder sa chambre ; mais il n'a rien fait de tout cela. Je suis donc contraint de me borner à la seule exécution de ses ordres. Les malheurs que vous avez éprouvés pour lui m'engageraient à faire quelque chose de moi-même, si je le pouvais, mademoiselle ; mais je commence le commerce, je suis jeune, ma fortune est bornée ; je suis obligé de rendre à l'instant les comptes de Dubreuil à sa famille ; permettez donc que je me restreigne au seul petit service que je vous conjure d'accepter ; voilà cinq louis, et voilà une honnête marchande de Chalon-sur-Saône, ma patrie ; elle y retourne, après s'être arrêtée vingt-quatre heures à Lyon, où l'appellent quelques affaires. Je vous remets entre ses mains. Madame Bertrand, continua Valbois en présentant Justine à cette femme, voici la jeune personne dont je vous ai parlé, je vous la recommande ; elle désire de se placer ; je vous prie, avec les mêmes instances que s'il s'agissait de ma propre sœur, de vous donner tous les mouvements possibles pour lui trouver dans notre ville quelque chose qui convienne à son personnel, à sa naissance... à son éducation... qu'il ne lui en coûte rien jusque-là ; je vous tiendrai compte de tout à la première vue. Adieu, mademoiselle, continua Valbois en demandant à Justine la permission de l'embrasser ; madame Bertrand part demain à la pointe du jour, suivez-là, et qu'un peu plus de bonheur puisse vous accompagner dans une ville où j'aurai peut-être la satisfaction de vous revoir bientôt. L'honnêteté de ce jeune homme fit verser des larmes à Justine : les bons procédés sont bien doux, quand on en éprouve depuis si longtemps d'odieux. Elle accepta tout, en protestant qu'elle ne va s'occuper qu'à pouvoir s'acquitter un tour. Hélas ! disait-elle en se retirant, si l'exercice d'une nouvelle vertu vient de me précipiter dans l'infortune, au moins, pour la première fois de ma vie, l'espérance d'une consolation s'offre-t-elle dans ce gouffre épouvantable de maux où la vertu me précipite encore. Il était de bonne heure ; le besoin de respirer avait fait descendre Justine sur le quai de l'Isère, à dessein de s'y promener quelques instants ; et, comme il arrive presque toujours en pareil cas, ses réflexions la conduisirent fort loin. Un bosquet isolé la fixe ; elle s'y assied pour rêver plus à l'aise. Cependant la nuit vient sans qu'elle pense à se retirer, lorsqu'elle se sent tout à coup saisie par trois hommes ; l'un lui met une main sur la bouche ; les deux autres la jettent précipitamment dans une voiture, y montent avec elle, et l'on fend les airs pendant trois grandes heures sans qu'aucun de ces brigands daigne lui dire une parole, ni répondre à aucune de ses questions. Quoiqu'il fit nuit, les jalousies se baissèrent, et Justine ne put absolument rien voir. La voiture arrive enfin dans une maison ; des portes s'ouvrent et se referment aussitôt ; ses guides l'emporte et lui font traverser ainsi plusieurs appartements très sombres ; ils la laissent enfin dans un, près duquel est une pièce où elle aperçoit de la lumière. - Reste là, lui dit durement un de ses ravisseurs en se retirant avec ses camarades, tu vas bientôt voir des gens de connaissance. Et les fripons disparaissent en fermant avec soin toutes les portes. Une autre s'ouvre presque au même moment ; et Justine aperçoit une femme arriver à elle, une bougie à la main... Dieu ! quelle est cette femme !... le croira-t-on ? c'est la Dubois, la Dubois elle-même, ce monstre épouvantable, dévoré sans doute du plus ardent désir de la vengeance. - Venez, charmante fille, dit-elle arrogamment, venez recevoir le prix des vertus où vous vous êtes livrée à mes dépens... Ah ! bougresse, je t'apprendrai à me trahir. - Je ne vous ai jamais trahie, madame, répondit précipitamment Justine ; non, jamais, informez-vous-en ; je n'ai pas fait la moindre plainte qui puisse vous donner de l'inquiétude ; je n'ai pas dit un mot qui puisse vous compromettre. - Tu ne t'es pas opposée au crime que je méditais ? tu ne l'as pas empêché, indigne créature ? et ce n'est pas me causer le plus mortel de tous les chagrins, que d'arrêter l'impulsion de mes forfaits ? Il faut que tu en sois punie, garce, il le faut. Et elle lui serra si violemment la main en prononçant ces mots, qu'elle pensa lui casser les doigts. On entre dans un appartement aussi somptueux que bien éclairé ; c'était celui de la maison de campagne de l'évêque de Grenoble, qui lui-même, à demi-couché sur une ottomane, recevait ces dames en robe de chambre de taffetas violet. Nous reviendrons bientôt au portrait de ce libertin. - Monseigneur, lui dit la Dubois en lui présentant Justine, voici la jeune personne que vous avez désirée, elle à qui tout Grenoble s'est intéressé comme vous ; la célèbre Justine, en un mot, condamnée à être pendue avec des faux monnayeurs, et délivrée depuis à cause de son innocence et de sa vertu. Vous la vîtes à son interrogatoire, vous la désirâtes... Si elle doit être pendue, me dîtes-vous, je donne mille louis pour en jouir auparavant. Elle est sauvée. Aurait-elle moins de prix à vos yeux ? - Beaucoup moins, dit le prélat en frottant son vit par dessus sa chemise, infiniment moins sans doute. Le plaisir de cela était de s'en amuser et de la faire pendre après. J'avais fait l'impossible pour la faire tomber dans le panneau ; et ce maudit S... avec son équité gothique, est venu troubler tous mes arrangements. - Qu'importe ! la voilà ; n'êtes-vous pas le maître d'en faire de même aujourd'hui tout ce qui vous plaît ? - Eh oui, madame, oui, je le sais bien ; mais je vous répète que ce n'est pas la même chose. Il est délicieux de se servir du glaive des lois pour immoler ces coquines-là ! - Eh bien ! monseigneur, dit la Dubois, nous mettrons à celle-ci le piquant qui lui manque, en joignant à Justine cette jolie pensionnaire du couvent des bénédictines de Lyon, dont vous avez eu l'art de ruiner la famille pour faire tomber la fille entre vos mains. - Quoi ! c'est fini ? - Oui, monseigneur. Absolument dénuée de ressources, la malheureuse arrive ce soir pour implorer vos soins. Cette dernière a sa vertu physique et morale. Celle-ci n'a que celle des sentiments, mais elle fait partie de son existence ; et vous ne trouverez nulle part une créature plus remplie de candeur et d'honnêteté. Elles sont l'une et l'autre à vous, monseigneur ; et vous les expédierez toutes deux ce soir, ou l'une aujourd'hui, l'autre demain. Pour moi, je vous quitte. Les bontés que vous avez pour moi m'ont engagée à vous faire part de mon aventure... Un homme mort... monseigneur, un homme mort, je me sauve... - Eh ! non, non, femme charmante, s'écria le pasteur ; non, reste, et ne crains rien quand je te protège... Un homme mort, dis-tu ?... Y en eût-il vingt, je te sauverai de là... Reste, te dis-je ; tu es l'âme de mes plaisirs ; toi seule possède le grand art de les exciter et de les satisfaire ; et plus tu redoubles tes crimes... plus tu te vautres dans le bourbier de l'infamie, plus ma tête s'échauffe pour toi... Mais elle est jolie, cette Justine... Puis, s'adressant à elle : quel âge avez-vous, mon enfant ? - Vingt-six ans, monseigneur, et beaucoup de chagrins. - Oui, des chagrins... des malheurs ; pas autant que j'aurai voulu ; car je ne te le cache pas, ma chère, j'ai fait l'impossible pour te faire pendre ; mais ce que je n'ai pu faire exécuter d'une manière, peut-être y procéderai-je moi-même de l'autre, et je te réponds que tu n'y perdras rien... Tu as des malheurs, prétends-tu ? Eh bien ! nous les terminerons tous, mon ange ; je te réponds que dans vingt-quatre heures tu ne seras plus malheureuse (et avec d'affreux éclats de rire), n'est-il pas vrai, Dubois, que j'ai un moyen sûr pour terminer les revers d'une jeune fille ? - Assurément, dit cette odieuse créature ; et si Justine n'était pas une de mes amies, je ne vous l'aurais pas amenée ; mais il est juste que je la récompense de ce qu'elle a fait pour moi ; vous n'imagineriez jamais combien cette chère fille m'a été utile dans ma dernière entreprise de Grenoble. Vous voulez bien vous charger de ma reconnaissance, et je vous conjure de m'acquitter amplement. L'obscurité de ce propos, ceux plus affreux encore du maudit prélat... cette jeune fille qu'on annonçait... tout remplit à l'instant l'imagination de Justine d'un trouble qu'il serait difficile de peindre. Une sueur froide s'exhale de ses pores ; elles est près de s'évanouir. Telle est l'époque où les procédés du paillard finissent enfin par l'éclairer. Il la fait approcher de lui ; débute par deux ou trois baisers où les bouches sont forcées de s'unir ; il attire la langue de Justine, il la suce, darde la sienne au fond du gosier de notre belle aventurière, et semble pomper jusqu'à sa respiration. Il l'oblige de pencher la tête sur sa poitrine à lui ; et, relevant les cheveux, il observe attentivement la nuque de son cou. - Oh ! c'est délicieux, s'écrie-t-il en pressant fortement cette partie ; je n'ai jamais rien vu de si bien attaché ; ce sera divin à faire sauter. Ce dernier propos fixe d'une manière invariable tous les doutes de Justine ; et la malheureuse voit bien qu'elle est encore chez un de ces libertins à passions cruelles, dont les plus piquantes voluptés consistent à jouir des douleurs ou de la mort des tristes victimes qu'on leur procure à force d'argent, et qu'elle est au moment de perdre la vie. En cet instant on frappe à la porte ; la Dubois sort, et ramène aussitôt la jeune Lyonnaise dont il venait d'être question. Tâchons d'esquisser maintenant les deux nouveaux personnages avec lesquels nous allons voir Justine. Monseigneur l'évêque de Grenoble, par lequel il est justice de commencer, était un homme de cinquante ans, mince, maigre, mais vigoureusement constitué. Des muscles presque toujours gonflés, s'élevant sur ses bras couverts d'un poil rude et noir, annonçaient en lui la force avec la santé ; sa figure était pleine de feu ; ses yeux petits, noirs et méchants ; ses dents belles, et de l'esprit dans tous les traits. Sa taille, bien prise, était au-dessus de la médiocre ; et l'aiguillon de la lubricité, d'une taille bien rare assurément, joignait à la longueur d'un pied plus de huit pouces de circonférence. Cet instrument, sec, nerveux, toujours écumant, fut en l'air pendant cinq ou six heures que dura la séance, sans s'abaisser une minute. Il n'existait aucun homme si velu ; on eût dit que c'était un de ces faunes que la fable nous peint. Ses mains, sèches et dures, étaient terminées par des doigts dont la force était celle d'un étau. Son caractère était brusque, méchant, cruel ; son esprit tourné à une sorte de sarcasme et de taquinerie, faits pour redoubler les maux où l'on voyait bien qu'une pauvre fille devait s'attendre avec un tel homme. Pour Eulalie, il suffisait de la voir pour juger de sa naissance et de sa vertu. Rien n'égalait les scélératesses exécutées par l'évêque pour la conduire en ses filets. Elle possédait, avec une candeur et une naïveté enchanteresses, une des plus délicieuses physionomies qu'il fût possible de voir. Eulalie, à peine âgée de seize ans, avait une figure de vierge ; son innocence et sa pudeur l'embellissaient encore. Elle avait peu de couleur ; mais elle n'en était que plus intéressante ; et l'éclat de ses beaux yeux noirs rendait à sa jolie figure tout le feu dont cette pâleur semblait la priver d'abord. Sa bouche, un peu grande, était garnie des plus belles dents ; sa gorge déjà très formée, paraissait plus blanche que son teint ; sa taille était délicieuse ; ses formes rondes et fournies ; toutes ses chairs fermes, douces et potelées. Il était impossible de voir un aussi beau cul ; une mousse légère ombrageait le devant ; des cheveux blonds, superbes, flottant sur tous ses charmes, les rendaient plus piquants encore ; et, pour compléter son chef-d'œuvre, la nature, qui semblait la former à plaisir, l'avait douée du caractère le plus doux et le plus sensible. Tendre et délicate fleur, ne deviez-vous donc embellir un instant la terre que pour être aussitôt flétrie ! - Oh ! monseigneur, s'écria cette belle fille en reconnaissant son persécuteur, est-ce donc ainsi que vous m'avez trompée ? Je devais, disiez-vous, rentrer dans mes biens... dans tous mes droits ; et les scélérats qui sont venus m'arracher de ma retraite, ne m'amènent chez vous que pour y être déshonorée. - Hein, oui, c'est affreux, n'est-ce pas, mon ange, c'est d'une trahison... d'une barbarie. Et, en disant cela, le perfide l'attirait brusquement vers lui, et commençait déjà ses baisers lubriques, pendant qu'il se faisait doucement polluer par Justine. Eulalie voulut se défendre ; mais la Dubois, la pressant sur ce libertin, lui enlève tous les moyens de se soustraire. Ces débuts furent longs ; plus la fleur était fraîche, plus le paillard aimait à la pomper. A ces suçons multipliés succède la visite du con. C'est alors que Justine peut s'apercevoir de l'effet incroyable que produit en lui cet examen. Son vit, en le faisant, s'allonge d'une telle force, que notre intéressante orpheline ne peut plus l'empoigner, même de ses deux mains... - Allons dit monseigneur, voilà deux victimes qui vont me combler d'aise ; tu seras largement payée, Dubois ; car je suis bien servi. Passons dans mon boudoir ; suis-nous, chère femme, suis-nous, continua-t-il en emmenant cette mégère, tu partiras cette nuit ; mais j'ai besoin de toi pour cette expédition. Rien ne porte au forfait comme l'aspect d'un monstre ; et tu en es un, mon enfant, un des mieux prononcés qu'ait depuis longtemps vomi la nature. Oh ! combien tu m'es précieuse à ce prix !... La Dubois se résigne ; et l'on passe dans le cabinet des plaisirs de ce débauché, on les femmes, dès en arrivant, reçoivent l'ordre de se mettre nues. Avant que de décrire les horreurs qui se commettaient dans ce séjour affreux, nous croyons nécessaire d'en peindre la décoration ; et, pendant que les robes se quittent, nous allons l'esquisser de notre mieux. Ce vaste cabinet était en forme de pentagone, rempli par cinq niches de glaces, au milieu desquelles était un sofa de satin noir. Les angles de chacune des niches, étaient ceintrés, et contenaient, dans leur sein, un petit autel, ayant en son milieu un groupe de stuc, représentant une jeune fille nue sous la main d'un bourreau. Chaque supplice étant différent, on en voyait par conséquent de dix sortes. Une fois dans le local, il devenait impossible de savoir par où l'on était rentré, attendu que la porte se trouvait masquée par les glaces des niches. Le plafond de ce cabinet était en vitrages ; la lumière n'y parvenait que du haut. Des rideaux de taffetas bleu de ciel retombaient sur ce dôme vitré, et formaient pour la nuit un délicieux plafond, du milieu duquel paraissait alors un soleil à huit rayons, dont le boudoir se trouvait infiniment mieux éclairé qu'en plein jour. Le centre de ce voluptueux local était occupé par un vaste bassin rond. Du milieu s'élevait un petit échafaud où se trouvait placée une machine assez singulière pour mériter une description. Derrière la machine était un fauteuil place sur l'échafaud et destiné au personnage qui voulait faire jouer le ressort de l'infernale manivelle, dont voici le détail. Sur une planche de bois d'ébène se liait fortement l'objet que l'on avait envie de sacrifier ; près de lui était le mannequin d'un homme horrible, tenant un sabre énorme. Le bourreau, placé sur le fauteuil, avait, à fleur de son visage, le cul de l'objet captivé ; s'il voulait jouir de ce derrière, en se tenant debout, il le pouvait avec facilité. Près de sa main droite était un cordon de soie, qu'il pouvait mouvoir à sa guise. L'agitait-il avec violence, le spectre coupait net et fort vite la tête offerte à ses coups ; tirait-il le cordon doucement, le sabre tailladait, et ne déchirait plus qu'avec lenteur les ligaments du cou ; ce qui remplissait bien également le but, mais de manière à ne faire souffrir qu'en détail la malheureuse victime dont le sang coulait dans le bassin rond, environnant l'échafaud, comme nous l'avons dit tout à l'heure. Le plus grand silence régnait dans toute cette partie de la maison ; et c'eût été sans fruit qu'on eût essayé de s'y faire entendre. Lorsque les femmes entrèrent avec le prélat, elles trouvèrent établi dans ce local un gros abbé de quarante-cinq ans, dont la figure était hideuse, et toute la construction gigantesque. Il lisait, sur un canapé, La Philosophie dans le Boudoir1. - Regarde, lui dit l'évêque, les deux jolies victimes que la Dubois m'amène ce soir : vois ces fesses sublimes, toi qui les aime, abbé ; examine-les, libertin, et dis-m'en ton avis. Justine et Eulalie, poussées par la Dubois, furent alors obligées d'aller présenter leur derrière à l'abbé, qui toujours le livre à la main, les palpe, les examine de sang-froid, en disant avec négligence : - Oui, cela n'est pas trop mal... cela vaut la peine d'être vexé. S'adressant ensuite à la Dubois, dont il touche également les fesse : Avez-vous recommandé l'obéissance... la plus exacte soumission ? ces créatures savent-elles qu'elles sont ici dans le plus saint asile du despotisme et de la tyrannie ?... - Oui, monsieur, répond la Dubois en s'inclinant pour mieux présenter ses fesses à l'abbé ; je leur ai suffisamment parlé de l'extrême puissance de monseigneur, de ses richesses prodigieuses, et de son crédit éminent, et je les croit toutes prêtes à s'humilier devant sa grandeur... - Qu'elles le prouvent donc, dit l'abbé, en ne paraissant ici qu'à genoux, jusqu'à ce qu'on leur permette de se relever. Et les deux jeunes personnes, aussitôt inclinées, parurent attendre les ordres qu'il plairait au prélat de leur signifier. Ce libertin, presque nu lui-même, fut, selon sa coutume, se regarder dans toutes les glaces, en se faisant branler, devant chacune, par la Dubois. Tous deux considéraient la représentation des supplices, et semblaient en menacer les deux malheureuses, qui, toujours à genoux, se contentaient de frémir et de baisser les yeux, pendant que le flegmatique abbé continuait sa lecture, sans avoir l'air de prendre la moindre part à la scène. Cette tournée faite, l'évêque fut essayer le fauteuil du bourreau ; il s'y place, fait jouer le ressort en ordonnant aux deux patientes d'observer avec quelle légèreté... quelle vitesse, son mannequin savait trancher les têtes. Il redescend. - Dubois. dit-il, ordonnez à ces gueuses de venir, l'une après l'autre, me rendre leur hommage. Justine paraît la première ; elle suce la bouche du prélat, fait baiser son cul, pompe le vit, et par ordre de la Dubois, introduit sa langue, le plus avant qu'elle peut, dans l'anus du vieux libertin... - Si je vous chiais dans la bouche, dit l'évêque, l'avaleriez-vous ?... - Pardieu, monseigneur, observe à ces mots l'abbé, ce serait un bien grand honneur pour cette petite pécore, et vous êtes bien sûr qu'elle ne s'avisera pas de s'y refuser... - Et vous ? poursuit l'évêque en s'adressant à Eulalie.. - Oh ! juste ciel ! répond cette belle fille en larmes, n'abusez pas de mon malheur, puisque je suis dans vos fers, faites de moi ce que vous voudrez, mais respectez mon infortune ; je suis en droit de vous le demander... - Voilà une réponse bien insolente, dit l'abbé, et qui prouve que cette petite fille n'est pas assez pénétrée de tout ce qu'elle doit au personnage important chez lequel elle a l'honneur d'être... - Quelle est la pénitence, dit Dubois, qu'ordonne monseigneur, pour une réponse aussi incongrue ?... - Je veux, dit le prélat, qu'elle lèche le trou du cul de l'abbé... qu'elle lui suce le vit... qu'elle s'approche ensuite de moi, pour y recevoir une douzaine de soufflets, autant de pinçons sur le derrière. L'arrêt n'est pas plutôt prononcé, que le monstrueux ecclésiastique expose magistralement le plus dégoûtant derrière qu'il fût possible de voir... cul détestable, que la pauvre Eulalie est contrainte à sucer amoureusement. Quel contraste ! Elle prend de même, sur ces lèvres roses, le vit molasse et baveux de ce débauché ; puis, se rapprochant du prélat, elle y va subir humblement les mortifications qui lui sont imposées. Cependant le vilain abbé, qui devine ces préliminaires, se fait branler par la Dubois, en maniant les fesses de Justine, pendant que l'évêque tourmente Eulalie... - Abbé, dit le maître du lieu, en terminant cette opération, je bande excessivement ; je vois que je ferai beaucoup de mal aujourd'hui. - Monseigneur n'est-il pas le maître ? tout ce qui habite ces lieux ne lui est-il donc pas soumis ? il n'a qu'à faire un geste, et tout va s'humilier devant lui. L'évêque, qui jouissait de ce despotisme, et dans l'esprit duquel on voyait que ces flagorneries obtenaient le plus grand succès, fit un signe à Justine, qui, s'approchant aussitôt, reçut l'ordre de se coucher à plat ventre sur un canapé, afin de prêter son derrière aux introductions du vit épiscopal. Mais ce n'est pas sans d'incroyables peines que sa monstrueuse poutre parvient à s'introduire dans un aussi petit orifice ; il y est à la fin niché. Eulalie, conduite par l'abbé, est en même temps étendue sur les reins de Justine, les jambes en l'air, et la tête en bas, de manière à ce que l'enculeur de Justine puisse baiser la bouche d'Eulalie, dont les cuisses ouvertes offrent à l'aumônier un joli petit con vierge, que celui-ci gamahuche, pendant que la Dubois, agenouillée devant son derrière, lui rend le même service au trou du cul. Cependant Justine, horriblement tourmentée par le vit qui la sodomise, fait tout ce qu'elle peut pour se dégager, et y réussit à la fin. - Oh ! double foutu dieu, dit l'évêque en colère, jamais encore aucune femme n'osa me manquer à ce point. Abbé, que dis-tu de la sottise ?... - Il n'est point de punition assez grave pour s'en venger, monseigneur, répond le chapelain. Si cette coquine n'avait encore quelques instants à servir vos caprices, je vous supplierais de la mettre à mort sur-le-champ ; mais, puisque le besoin que vous en avez n'est malheureusement que trop réel, je crois qu'il faut s'en tenir à me la livrer, afin que je l'étrille devant vous de la plus sanglante manière. - Oui, dit l'évêque ; mais je veux que ce soit sur le sein ; vous connaissez mon horreur pour cette partie du corps d'une femme. Que Justine s'agenouille donc devant vous, abbé ; et déchirez-lui les tétons avec ces verges, de toute la force de votre bras. L'arrêt n'est pas plutôt prononcé qu'il s'exécute ; le farouche abbé frappe d'une telle violence, que Justine est près de s'en s'évanouir... - En voilà suffisamment, dit l'évêque ; elle saigne, c'est tout ce que je voulais ; qu'on la représente à mes coups maintenant, et qu'elle se persuade bien que je l'immole à l'instant où il lui prendra fantaisie de me rejouer un pareil tour. L'attitude se reforme ; notre héroïne est limée près d'une demi-heure de suite, et de nouveaux plaisirs viennent occuper le prélat. - Abbé, dit-il en montrant Eulalie, il faut que tu dépucelles cette petite fille avant que je ne l'encule ; je ne la sodomiserais pas volontiers, si quelqu'autre vit que le mien ne lui eût farfouillé le con auparavant. - Foutredieu, monseigneur, dit l'abbé, vous me donnez là une besogne qui, vous le savez, n'est pas fort de mon goût ; il n'est pas très certain que je puisse bander, n'ayant qu'un con pour perspective. Essayons toujours, pour vous plaire. La Dubois tient l'enfant ; Justine prépare le membre de l'abbé ; et le prélat, une lorgnette à la main, examine tout avec la plus scrupuleuse attention. Ce n'est effectivement pas sans peine que le coquin parvient à se mettre en état ; plusieurs fois même, pendant l'opération, la Dubois, pour le mieux exciter, est obligée de retourner la médaille ; et comme elle observe que le nerf érecteur plie chaque fois qu'on remet l'enfant sur le dos, on décide unanimement qu'Eulalie ne sera dépucelée qu'en levrette. L'opération commence. Justine et la Dubois la servent ; et comme l'abbé, quelque monstrueux qu'il fût par la taille, n'était pourtant pas un colosse relativement aux facultés physiques, son engin disparut bientôt ; le sang annonce sa victoire. - Bien, bien s'écrie l'évêque en venant lui-même exciter son homme au combat ; déchire cette garce, pourfends-la, cher abbé ; je voudrais qu'en ce moment ton vit fût de fer, pour mieux tourmenter la victime. - Ma foi, monseigneur, dit le croque-Dieu ; en retirant son vit tout couvert de sang, c'est en vérité tout ce que je puis faire pour votre service ; car, pour du foutre, sur mon honneur, je n'en perdrai pas dans un con. - Eh bien ! dit l'évêque, encule la Dubois, pendant que je vais sodomiser tour à tour ces deux petites putains dans une de mes niches. Tout s'exécute ; et, cette nouvelle joute terminée, sans qu'il en eût coûté de sperme, l'évêque s'empare d'Eulalie, et la tripote de manière à convaincre que sa tête s'échauffe terriblement à molester cette petite fille. Ce fut alors qu'il mit en usage, avec elle, un supplice dont les annales du libertinage le plus corrompu n'offriraient sûrement nul exemple. Il lui entoure les mamelles d'un fil ciré ; puis, serrant prodigieusement ce fil, il lui fait gonfler les tétons, au point de les rendre violets ; il mord cette masse gonflée, et en fait jaillir le sang dans sa bouche. Justine le branlait pendant ce temps-là, et la Dubois lui donnait le fouet. - Je déteste les gorges, s'écriait l'évêque, et n'ai pas au monde de plus délicieuse jouissance que celle de les molester. Peu après, il passe un nouveau fil au petit bout des seins, et comprime si violemment cette délicate partie, que le sang en jaillit sur une des glaces. L'infâme porte sa bouche sur la blessure, il se délecte à sucer la plaie. On lui représente la victime, dont les cris et les douleurs ne peuvent se peindre ; on la lui replace dans une attitude tout à fait contraire. Ce ne sont maintenant plus que les fesses qu'elle expose à son persécuteur. Ici l'abbé est chargé de saisir avec le bout des doigts des pincées de chair, ce qui est très difficile sur un derrière aussi ferme... aussi potelé. Dès qu'il a pu faire tendre la peau, l'évêque passe son fil, entoure du morceau pincé, et le comprime ; souvent la chair échappe, quelquefois l'opération réussit. Dans ce dernier cas, monseigneur n'oublie pas de mordre de toutes ses forces la pincée de chair comprimée, et de s'extasier dès qu'il voit le sang. - Je ne sais, dit le farouche abbé, d'où vient que monseigneur ne coupe pas ces morceaux de chair. - C'est que je ménage, répond le prélat haletant de lubricité ; nous redoublerons bientôt tout cela. Il est facile de deviner ici quelle devait être la situation de Justine. Ne voyant dans tous ces supplices que l'image de ceux qui lui étaient destinés, elle frémissait : les regards de l'évêque ne lui annonçaient que trop sa déplorable destinée... La malheureuse, hélas ! l'eût-elle même oublié, tout ce qui l'entourait n'eût-il pas pris le plus grand plaisir à le lui rappeler ? Une nouvelle horreur s'exécuta ; elle est encore neuve, sans doute, dans les annales de la lubricité. Eulalie est fixée, à genoux, contre les parois de la cuve au milieu de laquelle nous avons dit qu'était l'échafaud, ses mains sont liées derrière elle, tout moyen de défense lui est enlevé ; elle ne présente plus que sa jolie figure et sa gorge d'albâtre. L'effroyable évêque la fouette sur le visage, il la soufflette, il lui crache au nez, il lui donne d'affreuses nasardes, et bouleverse absolument, par tant d'atrocités, les traits intéressants de cette délicieuse petite créature. Elle faisait horreur à regarder ; on eût dit qu'un essaim de mouches à miel eût à plaisir boursouflé cette délicieuse figure. Et cependant l'insulte n'étant pas encore assez grave aux yeux de ce monstre, il la fait étendre à terre, lui marche sur le corps, et lui chie dans la bouche. Il appelle l'abbé, exige de lui en faire autant ; Dubois les imite ; et la tête entière d'Eulalie disparaît sous la masse de merde dont elle est absorbée. Ce n'est pas tout ; il faut qu'elle avale ; on l'y condamne, un poignard sur le sein. - Qu'on la relève, dit l'évêque ; je ne puis plus attendre ; il faut que je l'expédie... et puis vous... vous, dit-il en fixant Justine, sacredieu, vous ne serez pas autant ménagée, je le jure. Ce que vous venez de voir n'est qu'un échantillon ; je vous promets bien d'autres supplices ; vous m'êtes trop recommandée, pour que je vous épargne. Allons, poursuit ce monstre de luxure dès qu'il voit Eulalie nettoyée, que cette petite fille se confesse, et qu'elle se prépare à la mort. L'infortunée se rapproche de l'abbé, qui, revêtu d'un surplis, le Christ à la main, écoute avec attention les innocents aveux qui lui sont faits, pendant que la Dubois le branle, et qu'il lui manie le derrière de la main qui lui reste libre. - Oh ! mon père, dit cette intéressante fille en finissant, vous voyez quelle est la pureté de ma conscience ; intercédez pour moi, je vous conjure ; je n'ai pas mérité de perdre la vie. Mais ces paroles, prononcées de l'organe le plus doux et le plus flatteur... ces mots touchants, qui eussent attendri des tigres, n'enflammèrent que mieux la perfide imagination de l'évêque. Par son confesseur même, Eulalie est portée, presque évanouie sur l'affreux échafaud où ses jours vont s'éteindre. Étendue sur la funeste planche, l'évêque lui enfonce son vit dans le cul, pendant que la Dubois le fustige, et qu'en face de l'échafaud, l'abbé, encore en surplis, sodomise Justine. Déjà le fatal cordon est aux mains de l'évêque. - Ménagez ! ménagez ! monseigneur, lui crie l'infâme aumônier ; tâchez qu'elle se sente mourir ; plus vous prolongerez les douleurs, plus vous déchargerez chaudement. Le prélat s'échauffe ; les plus épouvantables blasphèmes volent avec énergie sur ses lèvres écumantes ; le délire s'empare de ses sens ; le ressort part, mais avec une perfide douceur, qui ne déchire qu'en détail la belle tête offerte à ses coups... Elle est enfin totalement détachée ; elle roule, avec des flots de sang, dans la cuve destinée à la recevoir. Ô comble de l'horreur et de la cruauté ! il ne reste plus que le tronc ; le féroce évêque s'y excite encore, il ne cesse de sodomiser ce cadavre sanglant. Il avait pourtant perdu son foutre... l'exécrable mortel ; il poursuivait, afin de réparer ses forces... afin de retrouver la vie dans un corps auquel il vient de l'arracher. - Allons, dit-il en se retirant, me voilà tout aussi en train que si je n'eusse rien perdu ; qu'on prépare Justine. - Oh ! monseigneur, interrompit ici la Dubois, ce supplice est trop doux pour elle ; n'en auriez-vous pas de plus affreux ? Je suis bien sûre que, si vous étiez à la tête d'un gouvernement, vous trouveriez cette mort trop faible pour les scélérats qui l'auraient méritée ; or, Justine est dans ce cas ; trouvez-nous donc quelque chose de meilleur. - Assurément, répondit l'évêque ; quoiqu'un grand criminel moi-même, je ne vous cache pas que je voudrais, et qu'on multipliât beaucoup plus qu'on ne fait les supplices judiciaires, et qu'on les rendît plus imposants. La raison de cela est bien simple... Tenez, poursuivit-il en descendant, et se couchant sur un de ses sofas, analysons un peu cette matière, pendant que je vais reprendre haleine... Tranquillisez-vous, Dubois, votre protégée n'y perdra rien. Vous croyez, dites-vous, mes amis, que les supplices que j'érigerais, dans le cas où je me trouverais revêtu de quelque autorité, deviendraient infiniment plus rigoureux que ceux qui sont maintenant en usage ; assurément, ces supplices seraient, et plus affreux, et plus multipliés, sans doute. Souvenez-vous bien que la soumission du peuple, cette soumission si nécessaire au souverain qui le régit, n'est jamais due qu'à la violence et à l'étendue des supplices2. Tout chef, quel qu'il soit, qui voudra gouverner par la clémence, sera bientôt culbuté de son trône. L'animal féroce, connu sous le nom de peuple, a nécessairement besoin d'être conduit avec une verge de fer : vous êtes perdu, dès l'instant où vous lui laissez apercevoir sa force. Ce ne sera jamais que pour secouer le joug, qu'il profitera des rayons de lumière que vous laisserez briller à ses yeux. Et quelle nécessité y a-t-il donc de l'instruire ? quel bien l'État recueille-t-il de la philosophie du peuple ? Il ne faut d'autre vertu que la patience et la soumission dans l'individu gouverné ; l'esprit, les talents, les sciences, ne sont faits pour être le partage que du gouvernant. Les plus grands malheurs résulteront toujours du renversement de ces principes. Il cessera d'y avoir une autorité réelle dans tout gouvernement où chacun se croira fait pour la partager ; et tous les fléaux de l'anarchie résulteront de cette extravagance. Or, l'unique moyen d'éviter ces dangers est de resserrer la chaîne le plus qu'il est possible, de promulguer les lois les plus sévères, de refuser absolument l'instruction du peuple, de s'opposer surtout à cette fatale liberté de la presse, foyer de toutes les lumières qui viennent dissoudre les liens du peuple, et de l'effrayer ensuite par des supplices aussi graves que multipliés. Il n'est point d'animal au monde plus dangereux que le peuple ; et tout gouvernement qui ne le tiendra pas dans la plus extrême servitude s'écroulera bientôt de lui-même. La tyrannie la plus outrée fait seule toute la sûreté de l'État. Lâchez le frein, le peuple se révolte ; accoutumez-le à l'aisance, il deviendra bientôt insolent ; soulagez-le, il vous insultera ; éclairez-le, il vous massacrera. N'imaginez pourtant pas, mes amis, que j'entende par le peuple la caste désignée sous la dénomination de tiers état ; non, certes : j'appelle peuple cette classe vile et méprisable qui, grossièrement lancée sur notre planète comme l'écume de la nature, ne peut vivre qu'à force de peines et de sueurs... qui nous vole, qui nous pressure, qui nous escroque toutes les fois qu'elle ne peut nous faire autrement contribuer ; voilà celle que je voue à la chaîne et à l'humiliation perpétuelle, celle que j'affirme n'exister dans le monde que pour servir l'autre. Tout ce qui respire doit se liguer contre cette classe abjecte ; l'univers entier doit concourir à river les fers de ces vils esclaves, bien certain d'être à son tour grevé, s'il s'apitoie ou se relâche. Vous que j'élève et dont je reconnais les droits, ne balancez donc point à vous soumettre au gouvernement le plus despote ; celui-là seul maintiendra vos privilèges et les fera valoir. Flatté de vous voir contribuer comme lui à l'asservissement des seuls êtres qu'il ait à redouter, il vous cédera, tant que vous le voudrez, une portion de son autorité pour assurer l'autre ; et les lois qu'il aura promulguées ne feront jamais qu'effleurer vos têtes pour aller mutiler les leurs. Est-il un pays dans le monde où les grands soient plus heureux qu'en Turquie ? Ils craignent le cordon, j'en conviens ; mais ce supplice est bien rare pour eux ; seulement destiné pour quelques crimes d'État, jamais leurs délits particuliers, jamais leur despotisme secret, ne courent risque d'être réprimés : la jouissance de mille crimes délicieux leur est donc assurée, pour un ou deux qu'ils ont à craindre !... Oh ! vivent, vivent à jamais de tels gouvernements ! J'irai toujours habiter de préférence les pays qu'ils enchaîneront : j'aime la férule qui ne me frappe point, et dont je puis effrayer les autres. Que m'importe qu'on m'appelle esclave, quand j'ai le droit d'en faire à mon tour ? Le véritable esclave est celui qui consent à vivre sous un gouvernement dont les lois frappent également, parce qu'il le devient de ces lois, dont l'autre se moque, et que la tyrannie de l'homme qui ne frappe que celui qui lui plaît est bien plus douce que la loi qui frappe tout le monde. Oui, je le répète avec plaisir, le sang impur de la populace, si j'étais souverain, coulerait à tous les instants de ma vie ; je l'effrayerais sans cesse par de sanguinaires exemples ; coupable ou non, je l'immolerais, afin de maintenir sa dépendance ; je la priverais de tout ce qui pourrait lui donner de l'énergie ; je l'assouplirais par un travail perpétuel, et lui rendrais sa subsistance si pénible, que l'idée seule de secouer ses chaînes lui deviendrai impossible. - Il faudrait en faire des bêtes de somme, dit l'abbé, qu'il fût permis de tuer comme les bœufs qu'on vend à nos boucheries ; il faudrait l'écraser d'impôts, de contributions. - Ne doutez pas, reprit l'évêque, que cette vermine n'use les ressorts de l'État par sa rouille dangereuse. Extirpons-la donc, détruisons-la dans sa racine ; et voici, pour y parvenir, les principaux moyens que je mettrais en usage : 1� Il est d'abord essentiel, non seulement de permettre, mais même d'autoriser l'infanticide. Ce n'est que par ce moyen sage que la Chine a diminué l'excessive population qui la desséchait, qui l'opprimait avec tant de violence, et qui, sans doute, eut fini par renverser tout à fait sa constitution. Le sage Chinois, détruisant avec courage l'enfant qu'il ne peut nourrir, ne soupçonne aucun crime à se débarrasser un peu plus tôt ou un peu plus tard de la matière dont il est surchargé. Contraignons à cette loi le peuple que nous voulons asservir ; gardons-nous surtout d'ériger aucun asile pour le fruit de son libertinage ; que celle qui le porte, obligée de le mettre bas publiquement, ne puisse le sauver par aucun moyen ; qu'elle soit elle-même punie de mort, si elle veut conserver ce fruit inutile, comme dans l'île d'Othaïti, où les femmes de la société des Arreoïs sont foulées aux pieds, si elles laissent voir le jour à leurs enfants, ou si elles ne les tuent pas dès qu'ils sont nés3. 2� Il faut ensuite que des commissaires fassent régulièrement des visites annuelles chez tous les paysans, et soustraient impitoyablement ce que chaque père de famille a de trop. Ces visites seront inattendues... imposantes ; et le bourreau, qui suivra toujours ceux qui les feront, massacrera sans pitié tout le superflu d'une maison. Chaque famille ayant plus qu'il ne lui faut de trois enfants, ce sera l'excédent de ce nombre qui tombera sans pitié sous le fer exterminateur des commissaires. Ne craignez pas, avec de telles précautions, que ce paysan ose maintenant donner l'existence à plus d'enfants que ne lui en permettra la loi. Chargez-le fortement d'impôts, s'il enfreint ; allez plus loin, s'il s'accoutume à la braver ; massacrez sa femme à ses yeux, et n'oubliez pas que tous les malheurs d'un gouvernement n'eurent jamais pour cause que l'excès de la population. Attaquez donc vivement le luxe et l'aisance de cette classe abjecte, si vous voulez couper le mal dans sa racine. Douteriez-vous de ce luxe ?... Eh bien ! parcourez les asiles de ce peuple insolent ; et vous verrez avec quelle arrogance il ose l'afficher aujourd'hui ! Or, je vous demande si ce n'est pas ce luxe, qui, l'amollissant et le dégradant chaque jour, lui fait aussi scandaleusement étendre sa population. Supprimez donc ce luxe absurde en lui ; réduisez ces manants au simple nécessaire ; obligés de fatiguer beaucoup pour se le procurer, vous verrez qu'ils ne procréeront plus autant. Ce peuple que vous plaignez, que vous choyez tant en Europe, est-il traité de même à Ceylan, où il travaille comme des chevaux sans rien posséder en propre ? L'est-il de même en Pologne, où il ne végète encore que dans la plus extrême servitude ? en Perse et sur les bords du Gange où on le tue, comme nous faisons ici nos lièvres ? Surchargez-le donc impunément ; ses reins sont plus forts que vous ne pensez. Persuadez-vous bien que la nature n'a fait ces êtres secondaires que pour servir de jouets aux autres hommes : c'est son vœu. Le pauvre n'est créé que pour être utile au riche ; que pour être employé à ses besoins... à ses fantaisies ; pour servir de fascines dans les sièges, comme fit Mahomet à Constantinople. Forcez-le donc sans aucun scrupule ; contraignez-le, par la misère où vous le réduisez, à ne plus jouer d'autres rôles sur la surface du monde. Obligez-le à amener lui-même les enfants qu'il a de trop dans le cabinet de vos plaisirs, où vous les flétrirez, où vous les immolerez, si bon vous semble. Voilà le seul moyen d'écumer cette crasse dont les ressorts de l'État, si l'on n'y prend garde, sont toujours ébranlés tôt ou tard. 3� Une autre considération importante est de remettre le peuple sous le joug de la servitude d'où la cupidité et la mauvaise politique de nos rois l'ont sorti. Redoutant l'empire de la noblesse, ils affranchirent le peuple pour maintenir l'équilibre, sans prendre garde à l'inégalité des poids, sans observer que cette noblesse qu'ils voulaient affaiblir ne s'anéantirait jamais sans entraîner le trône dans sa chute. Si les rois ne veulent pas rendre aux seigneurs ces paysans dont ils étaient immeubles, qu'ils les gardent pour eux, j'y consens ; mais qu'ils ne les soustraient pas à l'esclavage : rien n'est aussi dangereux que la liberté du peuple. C'est par la plus complète oppression de cette classe, en un mot, c'est par sa réduction au plus dur esclavage, par la diminution de ses subsistances, par l'anéantissement total de son luxe, par l'obligation d'acheter au prix des plus rudes travaux le sobre nécessaire qui lui convient, que vous parviendrez à diminuer la population, vice destructeur de tout gouvernement, inconvénient terrible qui le conduira toujours à sa perte. Aucune pitié sur cet objet ; elle serait bien funeste. Quand l'arbre est énervé du trop grand nombre de ses branches, et que le suc nourricier ne peut plus se répartir également, on taille, on coupe, on diminue ; le tronc y gagne, et l'arbre se conserve. Henri IV désirait que chaque paysan eût la poule au pot le dimanche ; mais Henri parlait en politique, et non pas en monarque ; ayant bien plus de raison, vu l'état de faiblesse où il était, de se faire aimer que de se faire craindre, il faisait aussi bien de parler de cette manière, qu'il eût eu de tort d'exécuter d'aussi ridicules promesses. Qu'on ne s'y trompe pas ; la source de l'aisance du peuple est celle de la misère publique ; et nous mourrons toujours de faim, quand le paysan sera riche. Encore une fois, ce ne sont pas les branches qui doivent prospérer, c'est le tronc. Quelle est la cause du peu de rapport des grandes possessions ? C'est la richesse du peuple. Il ne s'engraisse jamais qu'aux dépens de l'homme à son aise : ne craignez donc point de ravir à votre tour cette substance qu'il vous a prise. Si le paysan ne possédait pas ces richesses, ne seraient-elles pas dans votre poche ? Pourquoi faut-il donc que vous vous en priviez, pendant que le pauvre, cet être faible et vil, que la nature n'a créé que pour être dans les fers, en jouit à votre détriment ? Ressaisissez-vous donc, sans scrupule, de ce qui vous appartient. C'est renverser toutes les institutions sociales ; c'est méconnaître toutes les inspirations de la nature, que d'agir d'une manière différente ; et la tolérance de tant d'abus grossiers, soyez-en bien sûrs, ne nous amènera qu'au plus affreux et qu'au plus prochain bouleversement. L'abâtardissement de l'espèce, bientôt occasionné par la mésalliance inévitable dans une si prodigieuse population, devient un autre inconvénient fait pour précipiter la perte de l'État, et, de conséquences en conséquences, d'inconvénients en inconvénients, nous nous précipiterons dans un gouffre dont rien ne pourra plus nous sortir ; et tout cela, pour des sentiments d'une fausse pitié ; comme si la pitié ne consistait pas à maintenir les lois de la nature, bien plutôt qu'à les renverser !... comme si la véritable humanité pouvait nous obliger à perdre la plus importante classe des sujets pour engraisser l'autre ! Loin de nous ces perfides sentiments ! soyons plutôt inhumains et barbares, si ce n'est qu'au prix de cette manière d'être que nous pouvons honorer la nature, et maintenir, à tout, l'ordre sublime dont elle nous donne l'exemple. Eh ! qui doute que la pitié ne soit une faiblesse, quand elle conduit à des inconvénients de cette force ? Et quelle est donc cette fausse pitié qui vise à renverser tous les principes de l'équité et de la loi naturelle ? Érigeriez-vous en sentiment louable celui dont les dangers seraient aussi manifestes ? Il vaudrait autant dire qu'un maître fait une bonne œuvre, en se passant de son dîner pour le donner à son chien. Analysons mieux les vrais mouvements de la nature. La pitié, sans aucun doute, est une faiblesse dans tous les cas ; mais elle devient un crime réel... un crime d'État dans celui-ci ; et tel qui se laisse toucher devient réellement digne de punition. 4� Une autre opération, plus nécessaire encore que tout ce qui précède, est la suppression totale de vos aumônes publiques ou particulières. Je voudrais qu'il y eût une forte amende décernée contre celui qui oserait se livrer à cette pernicieuse action, quand on lui en aurait démontré les inconvénients. Nous nous plaignons des mendiants, et nous les alléchons par des charités. Ne ririons-nous pas d'un imbécile qui se plaindrait d'être incommodé par des mouches, et qui, pour les chasser, s'environnerait de rayons de miel ? Point d'aumône, je le répète : gardons-nous d'entretenir la fainéantise. Souvenons-nous que si ce polisson de Jésus l'a prêchée, c'est qu'il n'était lui-même qu'un mendiant... qu'un vagabond, à qui les Romains, au lieu du mépris dont ils l'entourèrent, auraient dû décerner le plus cruel et le plus humiliant des supplices. On proposa, sous Louis XIV, d'exterminer tous les pauvres, de les pendre tous sans pitié. Ce projet, digne d'un régime aussi sage, aurait influé sur notre siècle ; et nous ne serions pas aujourd'hui rongés de cette pullulante vermine. Osons revenir à ce sublime projet ; et persuadons-nous bien qu'en le remplissant avec exactitude, nous préviendrions peut-être bien des maux. Songez que l'État qui sacrifie le pauvre ne perd rien, et gagne beaucoup. Par quel motif l'épargneriez-vous donc ? Blâmeriez-vous un homme, surchargé d'humeurs, qui prendrait une médecine pour se rendre plus dispos et plus sain ? C'est absolument la même chose. Et pour que le moyen vigoureux que j'exige influât davantage sur notre nation, infiniment trop chargée de ce funeste excrément populaire, je voudrais que, dans des spectacles publics de taureaux ou de gladiateurs, on immolât des essaims de cette vile canaille, comme on faisait des chrétiens autrefois à Rome ; qu'on les exposât aux bêtes féroces ; qu'on écartelât leurs garçons... qu'on éventrât leurs femmes... qu'on tenaillât leurs filles ; que les supplices les plus atroces et les plus barbares fussent inventés pour eux ; qu'on les réservât enfin à tout ce que la cruauté la plus réfléchie pourrait inventer de tourments les plus recherchés. Vous verriez comme, avec ces moyens, la terre serait bientôt purgée de ces excroissances qui la souillent. On s'effraie au premier coup d'œil, je le sens, de ces projets de jeux inhumains. Qui doute néanmoins qu'ils ne fussent bientôt aussi suivis que vos bals et vos comédies ? qui doute que vos petites maîtresses à nerfs et à vapeurs ne les vinssent incessamment dissiper aux égorgements populaires ? Les Porcies, les Cornélies pleuraient aux tragédies de Sophocle, et n'en venaient pas moins se chatouiller lubriquement le clitoris aux massacres des chrétiens, dans le cirque de Rome. Néron jouait supérieurement Œdipe, et déchiquetait voluptueusement, au sortir de là, les jolis tétons de sainte Cécile, ou les belles fesses de sœur Agathe, qui avaient, l'une et l'autre, l'imbécillité de croire au Christ. Ces spectacles, à la fois magnanimes et piquants... dignes du génie d'une grande nation, ne seraient révoltants pour nous, que parce que nos yeux n'y seraient pas faits. On frémirait peut-être aux premiers ; on s'écraserait aux seconds. Nos places publiques ne sont-elles pas remplies chaque fois que l'on y assassine juridiquement4 ? Ce serait la même chose ici. Nous aurions bonne grâce, vraiment, à faire les réservés sur ces fadaises, pendant que nous nous permettons tant d'atrocités secrètes. Eh ! qui sait si, en donnant ainsi carrière à la méchanceté des hommes, on ne tarirait pas la source de leurs crimes mystérieux ? Le célèbre maréchal de Retz n'eût peut-être pas assassiné quatre ou cinq cents enfants, pour éjaculer son sperme un peu plus chaudement, s'il y eût eu des spectacles où ses fureurs lubriques eussent pu trouver des issues. Combien serait satisfaite, par ce projet, la haine que tant d'honnêtes gens ont pour cette classe vile, dont Saint-Pouanges, archevêque de Toulouse, ne pouvait apercevoir un individu sans l'accabler d'invectives ou de coups, ou le faire assommer par ses gens devant lui. Quant à moi, je l'avoue, poursuivit chaleureusement ce libertin, je ne serais pas le dernier à y assister... que dis-je ! l'extrême horreur que j'ai pour cette indigne race me déterminerait peut-être à des choses plus fortes, et ce serait avec délices que j'inventerais moi-même des tourments pour elle, et que mes mains les lui feraient endurer... Poursuivons. 5� Joignez à ces premiers moyens de dépopulation l'usage d'honorer les célibataires, les pédérastes, les tribades, les masturbateurs, tous ces êtres enfin qui, ennemis jurés de la progéniture, n'ont d'autres principes que de lui ravir des germes, ou d'en détruire. Que le meurtrier même soit en honneur dans un État ; dés que l'objet est de diminuer cette abondante superfluité qui mine une nation, gardez-vous de punir celui qui, en détruisant, coopère le plus à vos vues ; honorez-le, récompensez-le même, et votre but sera rempli. 6� Pour étayer les moyens dont je viens de parler tout à l'heure, il faut que tous les blés soient transportés dans des magasins publics, érigés dans les principales villes de France, et que là ils y soient payés leur valeur au propriétaire, avec injonction à lui de ne garder absolument que ce qu'il lui faut pour vivre. Ce prétexte vous donne le droit d'établir des visites domiciliaires, que vous faites avec assez de rigueur, pour enlever même au malheureux ce que vous lui aviez laissé d'abord pour son année ; vous lui faites rapporter ce prétendu superflu dans les magasins, en l'assurant qu'il en sera payé. Vous lui tenez parole ; trois mois après, vous l'imposez au double de l'argent que vous savez qu'il a reçu ; vous le contraignez à payer tout de suite. Le voilà donc, avant l'hiver, et sans argent, et sans subsistance ; à peine a-t-il conservé ses semailles. Même procédé l'année d'ensuite. Comment voulez-vous, qu'en renouvelant ainsi trois ou quatre ans, le malheureux, absolument ruiné, ne soit pas obligé d'abandonner sa chaumière, pour aller mendier ?... Il le fait. Ne vous y opposez point ; gardez-vous seulement de le secourir. Six mois après, promulguez les lois les plus sévères contre les mendiants ; sabrez-les, pendez-les sans aucune pitié. Et voilà, dans dix ans, par ce procédé bien simple, votre population diminuée d'un tiers. Déclarez alors à ce qui reste que, pour se mettre à l'abri d'un telle vexation, ce que le paysan a de mieux à faire, est de se replacer sous la servitude féodale ; qu'en engageant à son patron tout ce qu'il peut posséder au monde, ce qui lui restera sera du moins pour lui, puisqu'on respecte les biens seigneuriaux. Faites-lui comprendre qu'au moyen de cet engagement, celui avec lequel il le fait se chargera de le protéger, de le défendre ; qu'il le maintiendra dans son petit héritage, et que dès lors il en jouira sans aucun danger, et cela sous la simple clause d'une redevance. Plutôt que d'être trompé comme il vient de l'être ; plutôt que de s'exposer à mourir de faim comme cultivateur, ou à être pendu comme mendiant, le malheureux s'engagera à tout ; et le voilà redevenu serf. Mais, quoique dans les fers, quoique simplement réduit à la plus simple subsistance, peut-être va-t-il se remettre à pulluler encore. Renouvelez alors toutes vos entraves. La victime est à vous ; vos moyens seront bien plus simples. Promulguez une loi sur les mariages, qui ne les permette qu'à trente ans... qui les interdise à la plus légère apparence de parenté. Continuez vos suppressions du supplément de la progéniture ; que la confiscation des biens du délinquant soit toujours au profit du maître, afin qu'insensiblement la race s'éteigne, et que le seigneur accapare toutes les propriétés. Plus aucune crainte de sédition ou de révolte désormais ; voilà vos insurgés ou sous le joug, ou sous le glaive ; et, dans tous les cas, réduits à moitié. Qu'un gouvernement despotique veille maintenant sur ces opérations, les consolide par les plus violents moyens ; et voilà votre pays tranquille ; voilà l'hydre absorbée, et la paix maintenue. - Vous bandez, monseigneur, dit la Dubois. - Cela est vrai, répondit l'évêque ; ces systèmes m'échauffent l'imagination, et je sens que je serais le plus heureux des hommes, si je pouvais les mettre en pratique. - Il fut un temps où vous le pûtes, monseigneur, je le sais ; et que n'entreprîtes-vous pas peut-être alors ? - Cela est vrai, j'abusai furieusement de mon autorité. - Qui n'en abuse pas ? - Les sots ; eux seuls se maintiennent dans des digues inconnues à des gens tels que nous... Oh ! ma chère Dubois, quel délicieux temps tu me rappelles ! comme on menait alors cette cour corrompue ! comme on y abusait de son crédit ! Et comme Dubois s'aperçut que l'évêque se manuélisait à ces doux souvenirs : - Tenez, monseigneur, lui dit-elle, voilà Justine, ne la faites pas languir plus longtemps ; la situation dans laquelle elle est vous prouve à quel point l'attente de la mort est affreuse ; à peine peut-elle se soutenir. Mais, quel que soit son état, rappelez-vous bien que vous m'avez promis de servir ma vengeance ; c'est l'unique gratification que je vous demande, et vous la servirez bien mal, en ne condamnant cette fille qu'au médiocre supplice qui vient d'être employé pour Eulalie. - Eh bien ! dit le prélat en palpant la victime, en lui claquant les fesses à tour de bras, et lui comprimant fortement la gorge, il faut, en ce cas, faire disparaître la décoration centrale de cette chambre. Occupez-vous, l'abbé, à remettre à la place l'infernale machine qui brûle, coupe et brise les os tout à la fois. Celle dont nous nous servîmes, il y a huit jours, avec cette jeune fille, si belle, si douce et si sage. - Je sais ce que monseigneur veut dire, répondit l'aumônier ; mais ces préparatifs sont un peu longs. - Eh bien ! nous souperons pendant ce temps-là ; n'es-tu pas de cet avis, Dubois ? - A vos ordres sur tous les points, monseigneur, vos intentions seront toujours les miennes ; mais je connais Justine, et je crains les délais. - Je te réponds de tout ; cessera-t-elle, d'ailleurs, d'être sous nos yeux ? Et pendant que l'abbé prépare les nouveaux instruments de supplice, on passe dans une salle à manger. Quelle débauche !... quelle intempérance ! Mais Justine eut-elle à s'en plaindre, puisqu'elle lui sauva la vie. Excédés de vin et de nourriture, l'évêque et Dubois tombent ivres morts avec les débris de leur souper. A peine notre héroïne les voit-elle dans cet état, qu'elle saute sur le mantelet et sur le jupon que vient de quitter la Dubois, pour être plus immodeste aux yeux de son patron, et, saisissant une bougie, elle s'avance rapidement vers l'escalier. La maison, dégarnie de valets, n'offre rien qui s'oppose à son évasion... elle est libre. Le premier chemin qui se présente à elle est celui qu'elle choisit de préférence ; heureusement c'est celui de Grenoble. On était encore couché dans l'auberge. Justine pénètre secrètement, et s'introduit en hâte dans la cambre de Valbois. Il s'éveille, reconnaît à peine celle qui s'avance à lui... Que signifie... que désirez-vous ? - Hélas, monsieur ! Et la tremblante Justine raconte tout ce qui lui est arrivé. - Vous pouvez faire arrêter la Dubois, poursuit-elle ; ce monstre n'est qu'à deux lieues d'ici ; j'indiquerai le chemin... La malheureuse ! indépendamment de tous ses crimes, elle m'a pris encore et mes hardes et les cinq louis que vous m'aviez donnés. - Oh ! Justine, vous êtes assurément la fille la plus infortunée qu'il y ait au monde ; mais, vous le voyez pourtant, honnête créature, au milieu des maux qui vous accablent, une main céleste vous conserve ; que ce soit toujours pour vous un motif d'être vertueuse ; jamais les bonnes actions ne sont sans récompense. Nous ne poursuivrons point la Dubois ; mes raisons de la laisser en paix sont les mêmes que celles que je vous exposai hier. Réparons seulement les torts qu'elle vous a faits. Voilà d'abord l'argent qu'elle vous a pris. Une heure après, une couturière vient essayer à Justine deux vêtements complets ; une lingère lui apporta des chemises. - Il faut partir, lui dit alors Valbois, partir dans la journée même ; la Bertrand y compte ; elle est prévenue ; rejoignez-la... - Ô vertueux jeune homme, s'écria Justine en tombant aux pieds de Valbois, puisse le ciel vous rendre un jour tous les biens que vous me faites ! je ne cesserai jamais de l'implorer pour vous. - Allez, chère fille, répondit cet honnête mortel en embrassant notre infortunée, le bonheur que vous me souhaitez, j'en jouis déjà, puisque le vôtre est mon ouvrage. Voilà comme Justine quitta Grenoble ; et si elle n'y trouva pas tout le bonheur dont elle s'était flattée, au moins ne rencontra-t-elle dans aucune antre ville tant d'honnêtes gens réunis pour plaindre ou calmer ses maux. **** *creator_sade *book_sade_justine1799 *style_prose *date_1799 CHAPITRE XX AVENTURES DE VILLEFRANCHE - PRISON - CE QUE RETIRE JUSTINE DES AMIS QU'ELLE ENVOIE CHERCHER - COMME SES JUGES LA TRAITENT - ÉVASION - VOYAGE DE PARIS - QUI ELLE RETROUVE Justine et sa conductrice voyageaient dans un petit chariot attelé d'un cheval, qu'elles conduisaient du fond de la voiture. Là étaient les marchandises de Mme Bertrand avec une petite fille de quinze mois, qu'elle nourrissait, et que la trop compatissante Justine ne tarda pas, pour son malheur, de prendre dans une si grande amitié que pouvait le faire celle qui lui avait donné le jour. C'était une assez vilaine femme que cette Bertrand ; soupçonneuse, bavarde, commère, ennuyeuse et bornée ; ce peu de mots la peint au naturel. On descendait, régulièrement chaque soir, tous les effets dans l'auberge, et l'on couchait dans la même chambre. Jusqu'à Lyon tout se passa fort bien ; mais, pendant les trois jours dont cette femme avait besoin pour ses affaires, Justine fit dans cette ville une rencontre à laquelle elle était bien loin de s'attendre. Elle se promenait l'après-midi, sur le quai du Rhône, avec une des filles de l'auberge, lorsqu'elle aperçut tout à coup le révérend père Antonin de Sainte-Marie-des-Bois, maintenant supérieur de la maison de son ordre, située en cette ville. Le moine l'aborde ; et, après lui avoir tout bas aigrement reproché sa fuite, et lui avoir fait entendre qu'elle courait les plus grands risques d'être reprise, s'il en donnait avis au couvent de Bourgogne, il lui ajouta, en se radoucissant, qu'il ne parlerait de rien, si elle voulait à l'instant même le venir voir dans son habitation, avec la fille qui l'accompagnait, assez fraîche, assez jolie, prétendait-il, pour lui inspirer quelques désirs. Puis, s'adressant à cette créature : - Nous vous payerons bien l'une et l'autre, dit-il en la caressant ; nous sommes dix dans notre maison ; et je vous promets un louis de chacun, si votre complaisance est sans bornes. Justine, comme on se le persuade aisément, rougit beaucoup de ces propos. Un moment elle veut faire croire au moine qu'il se trompe ; n'y réussissant pas, elle essaye des signes ; rien n'en impose à cet insolent ; les sollicitations n'en deviennent que plus chaudes. Le moine enfin, sur des refus réitérés, se borne à demander des adresses. Pour se débarrasser, Justine en donne des fausses. Il les écrit sur son portefeuille, et se sépare, en assurant qu'on entendra bientôt parler de lui. Justine, en retournant à l'auberge, expliqua du mieux qu'elle pût, l'histoire de cette malheureuse rencontre, à la fille qui l'accompagnait. Mais, soit que ce qu'elle dit ne fût pas fait pour satisfaire, soit que cette servante eût été fâchée d'un acte de vertu qui la privait d'un gain assuré, elle bavarda. Justine n'eut que trop lieu de s'en apercevoir aux propos de la Bertrand, lors de la malheureuse catastrophe que nous allons bientôt raconter. Cependant le moine ne reparut plus, et l'on partit. Sorties de Lyon, nos deux voyageuses ne purent, ce premier jour, coucher qu'à Villefranche ; elles y arrivèrent sur les six heures du soir, et se retirèrent de suite dans leur chambre, afin d'entreprendre une plus forte marche le lendemain. Il n'y avait pas deux heures qu'elles étaient couchées, lorsqu'elles sont réveillées tout à coup par une fumée affreuse. Persuadées que le feu n'est pas loin, elles se lèvent avec promptitude. Juste ciel ! les progrès de l'incendie ne sont déjà que trop effrayants. Elles ouvrent leur porte, à moitié nues, et n'entendent autour d'elles que le fracas des murs qui s'écroulent, le bruit de charpentes qui se brisent, et les hurlements épouvantables de ceux qui tombent dans les flammes. Entourées de ces flammes dévorantes, elles ne savent déjà plus où fuir. Pour échapper à leur violence, elles se précipitent dans leur foyer, et se trouvent ainsi bientôt confondues dans la foule de ceux qui cherchent leur salut dans la fuite. Justine se rappelle alors que sa conductrice, plus occupée d'elle que de sa fille, n'a pas songé à garantir cette enfant de la mort. Elle vole dans la chambre où cette petite est oubliée, à travers les flammes qui l'atteignent et la brûlent en plusieurs endroits, se saisit de la créature, s'élance pour la rapporter à sa mère, fléchit sur une poutre à moitié consumée, laisse tomber le précieux fardeau qu'elle porte, et ne se sauve elle-même que saisie par une femme qui lui tend le bras, et qui se presse de l'entraîner hors du tumulte. On la jette dans une chaise de poste ; sa libératrice s'y place avec elle... Sa libératrice ! grand Dieu ! de quelle expression nous sommes obligés de nous servir ! cette libératrice est Dubois. - Scélérate, lui dit la mégère, en lui appuyant la pointe d'un pistolet sur la tempe... ah ! putain, je te tiens, pour le coup, et cette fois tu ne m'échapperas plus. - Oh ! madame, vous ici ? s'écria Justine. - Tout ce qui vient de se passer est mon ouvrage : répondit la Dubois. C'est par un incendie que je t'ai sauvé le jour, c'est au moyen d'un incendie que tu vas le perdre. Je t'aurais poursuivie jusqu'aux enfers, s'il l'eût fallu, pour te ravoir. Monseigneur devint furieux, quand il apprit ton évasion ; il me menaça de toute sa colère, si je ne te ramenais pas. Je t'ai manquée de deux heures à Lyon. Hier, j'arrivai à Villefranche une heure après toi. J'ai mis le feu à l'auberge, avec le secours des satellites que j'ai perpétuellement à mes gages. Je voulais te brûler ou t'avoir. Je t'ai ; je te reconduis dans une maison que ta fuite a précipitée dans le trouble et dans l'inquiétude, et t'y ramène, ma fille, pour être traitée d'une cruelle manière. Monseigneur a juré qu'il n'aurait pas de supplices assez effrayants pour toi ; et nous ne descendrons pas de la voiture, que nous ne soyons chez lui. Eh bien ! Justine, que penses-tu maintenant de la vertu ? n'eût-il pas mille fois mieux valu laisser brûler tous les enfants de l'univers, que de t'exposer à ce qui t'arrive, pour en avoir voulu sauver un... qui, malheureusement, ne l'est pas ? - Oh ! madame, ce que j'ai fait, je le ferais encore... Vous me demandez mon opinion sur la vertu... je pense qu'elle est souvent la proie du crime... qu'elle est heureuse, quand elle triomphe ; mais qu'elle doit être l'unique objet des récompenses de Dieu dans le ciel, si les forfaits de l'homme parviennent à la flétrir sur terre. - Tu ne seras pas longtemps, Justine, sans savoir s'il est vraiment un Dieu qui punisse ou qui récompense les actions des hommes... Ah ! si dans le néant éternel où tu vas rentrer tout à l'heure, il t'était permis de penser, combien tu regretterais les sacrifices infructueux que ton entêtement t'a forcée de faire à des fantômes... qui ne t'ont jamais payée qu'avec des malheurs !... Il en est encore temps, Justine ; veux-tu devenir ma complice ? Il est plus fort que moi de te voir échouer sans cesse dans les routes dangereuses de la vertu. N'es-tu donc pas suffisamment punie de ta sagesse et de tes faux principes ? quelles infortunes te faut-il donc pour te corriger ? quels exemples te sont nécessaires pour te convaincre que le parti que tu prends est le plus mauvais de tous, et qu'ainsi que je te l'ai dit cent fois, on ne doit s'attendre qu'à des revers, quand, prenant la foule à rebours, on veut être seule vertueuse dans une société tout à fait corrompue. Tu comptes sur un Dieu vengeur ! détrompe-toi, Justine, détrompe-toi ; le Dieu que tu te forges n'est qu'une chimère dont la sotte existence ne se trouva jamais que dans la tête des fous. C'est un fantôme inventé par la scélératesse des hommes, qui n'a pour but que de les tromper ou de les armer les uns contre les autres. Le plus important service qu'on eût pu leur rendre, eût été d'égorger sur-le-champ le premier imposteur qui s'avisa de leur parler d'un Dieu. Que de sang un seul meurtre eût épargné dans l'univers ! Va, va, Justine, la nature, toujours agissante, toujours active, n'a nullement besoin d'un maître pour la diriger. Eh ! si ce maître existait effectivement, après tous les défauts dont il a rempli ses œuvres, mériterait-il autre chose de nous que des mépris et des outrages ? Ah ! s'il existe, ton Dieu, que je le hais, Justine ! que je l'abhorre ! Oui, si cette existence était vraie, je l'avoue, le seul plaisir d'irriter perpétuellement celui qui en serait revêtu, deviendrait le plus précieux dédommagement de la nécessité où je me trouverais alors d'apporter quelque croyance en lui... Encore une fois, Justine, veux-tu devenir ma complice ? Un coup superbe se présente ; nous l'exécuterons avec du courage ; je te sauve la vie, si tu l'entreprends. Le prélat, chez qui nous allons, s'isole dans le sanctuaire de ses débauches ; le genre dont tu sais qu'elles sont l'exige ; un seul valet et l'aumônier l'habitent avec lui, quand il y va pour ses plaisirs. L'homme qui court devant cette chaise, toi et moi, Justine, nous voilà trois contre un. Quand ce libertin sera dans le feu de ses voluptés, je m'emparerai des armes dont il se sert pour trancher la vie de ses victimes ; tu le tiendras ; nous le tuerons ; et mon courrier, pendant ce temps-là, se défera des deux acolytes. Il y a de l'argent caché dans cette maison, Justine ; plus d'un million, je le sais ; le coup en vaut la peine... Choisis, sage créature, choisis la mort... ou me servir. Si tu me trahis, si tu lui fais part de mon projet, je t'accuserai seule ; et tu ne doutes pas que je ne l'emporte par la confiance qu'il eut toujours en moi. Réfléchis bien avant que de me répondre. Cet homme est un scélérat ; donc en l'assassinant nous ne faisons que servir les lois desquelles il a mérité la rigueur. Il n'y a pas de jour, mon enfant, où ce coquin ne massacre une fille : est-ce donc outrager la vertu que de punir le crime ? et la proposition raisonnable que je te fais alarmera-t-elle encore tes farouches principes ?... - N'en doutez pas, madame, répondit Justine. Ce n'est pas dans la vue de corriger le crime que vous me proposez cette action ; c'est dans le seul motif d'en commettre un vous-même : il ne peut donc y avoir qu'un très grand mal à faire ce que vous dites, et nulle apparence de légitimité. Il y a mieux. N'eussiez-vous même pour dessein que de venger l'humanité des horreurs de cet homme, vous feriez encore mal de l'entreprendre ; ce soin ne vous regarde pas ; les lois sont faites pour punir les coupables ; laissons-les agir ; ce n'est pas à nos faibles mains que l'Être éternel en a confié le glaive ; nous ne nous en servirions pas sans les outrager elles-mêmes. - Rien de si grossier que ton erreur, Justine. Dès que les lois sont aveugles, prévaricatrices, ou insuffisantes, il est permis à l'homme d'y suppléer. Les lois sont l'ouvrage des hommes ; l'homme a le droit de les corriger. Celui dont il s'agit est un despote... un tyran. Rappelle-toi les maximes affreuses qu'il nous étala l'autre jour ; le scélérat détruirait le peuple entier s'il l'osait ; et c'est une vertu, ma fille, oui, une vertu, que d'anéantir les tyrans. Il n'en existerait pas un seul dans le monde, s'il m'était possible de les égorger tous ; cette pernicieuse engeance est-elle donc nécessaire pour conduire les hommes ? Mais, ce que j'abhorre encore plus qu'eux, s'il est possible, ce sont leurs courtisans et leurs flatteurs, tous scélérats qui ne cherchent qu'à faire refluer sur eux les bontés du prince et leurs richesses. Ainsi le pauvre n'a travaillé que pour engraisser cette canaille ; c'est de son sang, de ses larmes et de ses sœurs qu'est abreuvé le luxe insolent de ces sangsues. Et l'on veut nous faire respecter les dégoûtantes idoles, enfantant d'aussi cruels abus ! Non, non, je les voue tous à la haine et à la vengeance publique, ces prétendus maîtres du monde, qui ne trouvent jamais, dans la puissance qui les enivre, que des moyens de scélératesses et de crimes. - Oh ! madame, répondit Justine, ne pourrait-on pas trouver plus d'une fois vos maximes en contradiction avec vos mœurs ? - Jamais, Justine, jamais ; je veux l'égalité, je ne prêche que cela. Si j'ai corrigé les caprices du sort, c'est parce qu'écrasée, anéantie de l'inégalité de la fortune et des rangs, ne voyant que vanité, que tyrannie dans les uns, que bassesse, que misère dans les autres, je n'ai voulu ni briller avec le riche orgueilleux, ni végéter avec le pauvre humilié. Je me suis fait un sort, une fortune, unique ouvrage de mon adresse et de ma philosophie. C'est à force de crimes, j'en conviens ; mais je ne crois pas au crime, moi, ma chère ; il n'existe aucune sorte d'action, qui, selon moi, puisse être qualifiée ainsi... En un mot, Justine, nous approchons, décide-toi ; veux-tu me servir ? - Non, madame, ne l'espérez jamais. - Eh bien, tu mourras, indigne créature, reprit la Dubois en fureur ; oui, tu mourras ; ne te flatte pas d'échapper à ton sort. - Que m'importe ! je serai délivrée de tous mes maux ; le trépas n'a rien qui m'effraie, c'est le dernier sommeil de la vie, c'est le repos du malheureux. Et cette bête féroce, s'élançant aussitôt sur notre infortunée, elle l'accable de coups... elle a l'insolence de la trousser et de lui déchirer de ses ongles les cuisses, le ventre et les fesses ; elle lui donne des soufflets, elle l'invective de toutes les manières, toujours en la menaçant du pistolet, si elle ose jeter un seul cri. Justine fond en larmes. Cependant, on avançait fort vite ; l'homme qui courait devant faisait préparer les chevaux, et l'on n'arrêtait à aucune poste... Qu'entreprendre ?... L'abattement de Justine et sa faiblesse la mettaient dans un tel état, qu'elle préférait la mort aux peines de s'en garantir. On allait entrer dans le Dauphiné, lorsque six hommes à cheval, galopant à toute bride derrière la voiture, l'atteignent, et forcent le postillon à s'arrêter. Il y avait à trente pas du chemin une chaumière où les cavaliers poursuivants ordonnent au postillon d'amener la chaise. Ici Dubois s'aperçoit que c'était des gens de la maréchaussée. Elle leur demande, dès qu'elle a mis pied à terre, si elle est connue d'eux, et de quel droit on en use ainsi avec une femme de son rang. Tant d'effronterie réussit à merveille. - Nous n'avons pas l'honneur de vous connaître, madame, dit l'exempt ; mais nous sommes certains que vous avez dans votre voiture une malheureuse qui mit hier le feu à la principale auberge de Villefranche. Puis, se mettant à toiser Justine : - Voilà son signalement, madame ; nous ne nous trompons pas ; ayez la bonté de nous la livrer et de nous apprendre comment une personne aussi respectable que vous paraissez l'être a pu se charger d'une telle femme ? - Rien que de simple à cet événement, répondit l'adroite créature ; et je ne prétends ni vous le cacher ni prendre le parti de cette fille, du moment qu'elle est coupable du crime affreux dont vous parlez. Je logeais comme elle hier à cette auberge de Villefranche ; j'en partis au milieu du trouble ; et comme je montais dans ma voiture, cette fille s'élança vers moi, en implorant ma compassion, en me disant qu'elle venait de tout perdre dans cet incendie, qu'elle me suppliait de la prendre jusqu'à Lyon, où elle espérait de se placer. Écoutant moins ma raison que mon cœur, j'acquiesçai à ses demandes. Une fois dans ma chaise, elle s'offrit à me servir. Imprudemment encore je consentis à tout, et je la menais en Dauphiné où sont mes biens et ma famille. Assurément, c'est une leçon ; je reconnais bien à présent tous les inconvénients de la pitié ; je m'en corrigerai. La voilà, messieurs, la voilà ; Dieu me garde de m'intéresser à un tel monstre ; je l'abandonne à la sévérité des lois, et vous supplie de cacher avec soin le malheur que j'ai eu de la croire un instant. Justine voulut se défendre ; elle voulut dénoncer la vraie coupable. Ses discours furent traités de récriminations calomniatrices, dont l'insolente Dubois ne se défendit qu'avec un sourire méprisant. Ô funestes effets de la misère et de la prévention, de la richesse et de l'audace ! était-il possible qu'une femme qui se faisait appeler Mme la baronne de Fulconis, qui affichait le luxe, qui se donnait des terres, une famille ; se pouvait-il qu'une telle femme pût se trouver coupable d'un crime où elle ne paraissait pas avoir le plus mince intérêt ? Tout, au contraire, ne condamnait-il pas l'infortunée Justine ? Pauvre et sans protection, comment n'eût-elle pas eu tort ? L'exempt lui lut les plaintes de la Bertrand ; c'était elle qui l'avait accusée. Selon cette mégère, notre orpheline avait mis le feu à ce logis, pour la voler plus à son aise ; elle l'avait été jusqu'au dernier sou. C'était Justine qui avait jeté l'enfant dans le feu, pour que le désespoir où cet événement allait plonger la mère, lui voilât le reste des manœuvres. C'était d'ailleurs, ajoutait la Bertrand, une fille de mauvaise vie que cette Justine, une créature échappée au gibet de Grenoble, et dont elle ne s'était chargée que par excès de complaisance pour un jeune homme, amant présumé de la délinquante, laquelle, pour surcroît d'impudence, avait impunément raccroché des moines à Lyon. En un mot, il n'était rien dont cette indigne Bertrand n'eût profité pour perdre Justine ; rien que la calomnie, aigrie par le désespoir, n'eût inventé pour l'avilir. A la sollicitation de cette femme on avait fait un examen juridique sur les lieux mêmes, le feu avait commencé dans un grenier à foin où plusieurs personnes avaient déposé que Justine était entrée le soir de ce jour funeste ; et cela était vrai. Désirant un cabinet d'aisance mal indiqué par la servante à laquelle Justine s'adressa, elle était entrée dans ce galetas, ne trouvant point l'endroit cherché, et y était restée assez de temps pour faire soupçonner ce dont on l'accusait, ou pour fournir au moins des probabilités. Elle eut donc beau se défendre, l'exempt ne répondit qu'en apprêtant des fers. - Mais, monsieur, osa-t-elle dire cependant, si j'avais volé ma compagne de route à Villefranche, l'argent devrait se trouver sur moi ; qu'on me fouille. Cette défense ingénue n'excita que des rires ; on lui assura qu'elle n'était pas seule, qu'on était sûr qu'elle avait des complices auxquels avaient été remises les sommes à l'instant de sa fuite. Alors la méchante Dubois, qui connaissait la flétrissure que cette infortunée avait eu le malheur de recevoir autrefois chez Rodin, contrefit un instant la commisération : - Monsieur, dit-elle à l'exempt, on commet chaque jour tant d'erreurs sur toutes ces choses-ci, que vous pardonnerez l'idée qui me vient. Si cette fille est coupable de l'action dont on l'accuse, assurément ce n'est pas son premier forfait ; on ne parvient pas en un jour à des délits de cette nature. Visitez-la, monsieur, je vous en prie... Si par hasard vous trouviez sur son malheureux corps... Mais si rien ne l'accuse, permettez-moi de la défendre et de la protéger. L'exempt consentit à la vérification ; elle allait se faire. - Un moment, monsieur, dit Justine en s'y opposant, cette recherche est inutile. Madame sait bien que j'ai cette affreuse marque ; elle sait bien aussi que le malheur en est la cause ; ce subterfuge de sa part est un surcroît d'horreurs qui se dévoilera, ainsi que le reste, au temple de Thémis. Conduisez-y moi, monsieur ; voilà mes mains, couvrez-les de chaînes ; le crime seul rougit de les porter ; la vertu malheureuse en gémit, et ne s'en effraie pas. - En vérité, je n'aurais pas cru, dit la Dubois, que mon idée eût un tel succès ; mais comme cette créature me récompense de mes bontés par d'insidieuses inculpations, j'offre de retourner avec elle, si cela est nécessaire. - Cette démarche est parfaitement inutile, madame la baronne, répondit l'exempt ; nos recherches n'ont que cette fille pour objet ; ses aveux, la marque dont elle est flétrie, tout la condamne ; nous n'avons besoin que d'elle, et nous vous demandons mille excuses de vous avoir retardée si longtemps. Notre orpheline, aussitôt enchaînée, est mise en croupe derrière un des cavaliers, et la Dubois remonte en voiture, en achevant d'insulter cette malheureuse par le don de quelques écus laissés piteusement aux gardes pour aider à la situation de la prisonnière, dans le triste séjour qu'elle allait habiter jusqu'à son jugement. - Ô vertu ! S'écria Justine, quand elle se vit dans cette affreuse humiliation, devais-tu recevoir un plus sensible outrage ? se peut-il que le crime ose t'affronter et te vaincre avec autant d'insolence et d'impunité ? Dès en arrivant à Lyon, Justine fut précipitée dans le cachot des criminels, où on l'écroua comme incendiaire, fille de mauvaise vie, meurtrière d'enfant, et voleuse. Il y avait eu sept personnes de brûlées dans l'auberge ; elle avait pensé l'être elle-même ; elle avait voulu sauver un enfant ; elle allait périr. Mais celle qui était cause de cette horreur, échappait à la vigilance des lois, à la justice du ciel ; elle triomphait, elle retournait à de nouveaux crimes ; tandis qu'innocente et malheureuse, Justine n'avait pour perspective que le déshonneur, la flétrissure et la mort. Dubois rendit compte à l'évêque de tout ce qui s'était passé ; et celui-ci, furieux de manquer sa proie, voulut se dédommager au moins en faisant ajouter, le plus qu'il serait possible de charges au procès de cette infortunée. Il envoya sur-le-champ son aumônier à Lyon, muni de nouvelles pièces contre elle. On l'accusa d'avoir volé monseigneur pendant le temps où il avait eu la bonté de la prendre à son service. Ce surcroît de preuves hâta la procédure, et l'on informa promptement. De son côté, notre intéressante aventurière, accoutumée depuis longtemps à la calomnie, à l'injustice et au malheur, faite depuis son enfance à ne se livrer à un sentiment de vertu, qu'assurée d'y trouver des épines, éprouvait une douleur plus stupide que déchirante ; ses larmes, retombant glacées sur son cœur, ne pouvaient humecter ses beaux yeux. Cependant, comme il est naturel à toute créature souffrante d'imaginer même l'impossible pour se tirer de l'abîme où son infortune la plonge, le père Antonin lui revint à l'esprit. Quelque médiocre secours qu'elle en attendit, elle ne se refusa point à l'envie de le voir ; elle le demande. Il paraît. On ne lui avait pas dit par quelle personne il était désiré ; il affecte de ne pas reconnaître Justine qui, pour sauver le mauvais effet de ce procédé, s'empresse de dire au geôlier, qu'il est très possible que cet honnête religieux ne se ressouvienne pas d'elle, n'ayant dirigé sa conscience que dans les plus jeunes années de sa vie A peine avais-je douze ans, continua-t-elle, lorsqu'il me fit faire ma première communion ; et quoi qu'il en puisse être, à ce titre elle demande un entretien secret avec lui. On y consent de part et d'autre. Dès qu'elle est seule avec le moine : - Oh ! mon père, s'écrie-t-elle en se jetant à ses genoux, et les arrosant de ses larmes, sauvez-moi, je vous en conjure, de la cruelle position où je suis. Alors elle lui prouva son innocence ; elle ne lui cacha point que les mauvais propos qu'il lui avait tenus quelques jours auparavant, avaient indisposé la femme avec laquelle elle voyageait, et qui se trouvait maintenant son accusatrice. Le moine écoute très attentivement. - Justine, lui dit-il ensuite, ne t'emporte pas comme à ton ordinaire, sitôt qu'on enfreint tes maudits préjugés ; tu vois où ils t'ont conduite, et tu peux facilement te convaincre à présent, qu'il vaut cent fois mieux être coquine et heureuse, que sage et dans l'infortune. Ton affaire est aussi mauvaise qu'elle peut l'être ; il est inutile de te le déguiser. Cette Dubois dont tu me parles, ayant le plus grand intérêt à ta perte, y travaillera sûrement en sous-main ; la Bertrand poursuivra ; toutes les apparences sont contre toi ; et il ne faut que des apparences aujourd'hui pour faire condamner à la mort. Je sais d'ailleurs que l'évêque de Grenoble agit sourdement, mais avec vigueur, contre toi ; on assure même qu'il vient d'arriver pour suivre personnellement cette affaire. Tu es donc une fille perdue, il faut t'y attendre. Un seul moyen peut te sauver. Je suis bien avec l'intendant ; il peut beaucoup sur les juges de cette ville. Je vais lui dire que tu es ma nièce, et te réclamer à ce titre ; il anéantira toute la procédure. Je demanderai à te renvoyer dans ma famille ; je te ferai enlever, mais ce sera pour t'enfermer dans notre couvent de cette ville, dont tu ne sortiras de ta vie... Et, là, je ne te le cache point, Justine, là, esclave asservie de mes caprices, tu les assouviras tous sans distinction ; tu te livreras de même à ceux de mes confrères ; tu seras, en un mot, à nous, comme la plus soumise des victimes... Tu m'entends... tu te souviens de Sainte-Marie-des-Bois... La besogne est rude ; tu sais quelles sont les passions de libertins de notre espèce. Détermine-toi donc, et ne fais pas attendre ta réponse... - Allons, mon père, répondit Justine, avec horreur, allez, vous êtes un monstre, puisque vous vous permettez d'abuser aussi cruellement de ma situation pour me placer entre la mort et l'infamie. Je saurai périr, s'il le faut ; mais ce sera du moins sans remords. - Comme il vous plaira, ma belle enfant, dit le moine en se retirant ; je n'ai jamais su violenter une femme quand il s'agissait de la rendre heureuse. La vertu vous a si bien réussi jusqu'à présent, que vous avez raison d'encenser ses autels... Adieu ; ne vous avisez pas surtout de me demander davantage... Il sortait. Un mouvement impétueux rentraîne Justine à ses genoux. - Tigre ! s'écrie-t-elle en larmes, ouvre ton cœur de roc à mes affreux revers, et n'impose pas, pour les fuir, des conditions plus terribles que la mort. Ici la violence de ses mouvements avait fait disparaître les voiles qui couvraient son sein... il était nu ; ses beaux cheveux y flottaient en désordre ; ce sein d'albâtre était inondé de ses larmes. Elle inspire d'exécrables désirs à cet homme... d'indignes caprices que le scélérat veut satisfaire à la minute même ; il ose montrer à quel point la luxure le tourmente ; il ose concevoir des voluptés au milieu des fers dont cette malheureuse est couverte... Il bande sous le glaive qui va frapper Justine... Elle était à genoux. Le coquin la renverse, il se précipite avec elle sur la malheureuse paille qui lui sert de lit. Elle veut crier ; il lui enfonce un mouchoir dans la bouche ; il attache ses bras : maître d'elle, le libertin la trousse. - Oh ! foutre, s'écrie-t-il, comme ses charmes se sont soutenus !... comme la coquine est encore belle ! Il écarte les cuisses... Plus de résistances, il enconne ; c'est le tigre en fureur sur la tendre brebis. Après l'avoir un instant tourmentée, il s'assied sur la gorge de cette malheureuse ; il la soufflette avec son vit, et le lui enfonce enfin dans la bouche. - Je t'étouffe, si tu me déranges, lui dit-il ; laisse-moi t'inonder le gosier de foutre ; à ce seul prix je ferai peut-être quelque chose pour toi. Mais les désirs de ce libertin, aussi bizarres qu'irréguliers, se dirigent bientôt sur un autre temple. Le beau cul de Justine revient à sa mémoire ; il se l'expose, et les plus rudes attaques succèdent promptement aux plus ardents baisers. Justine, enculée, se démène, tant qu'elle le peut, sous le membre qui la tyrannise ; mais elle est contenue de façon que chacun de ses mouvements sert le moine au lieu de le déranger. Un sperme impétueux se déborde à la fin ; et l'on connaît assez le personnage dont il est question, pour se douter des épisodes dont est accompagné ce dénouement : c'est la foudre écrasant l'arbuste dont les tendres rameaux ne peuvent lui résister. Il contemple sa victime dès qu'il en a joui ; à la fureur qui l'anime, notre infortunée ne voit plus succéder que le dégoût... que le mépris : voilà l'homme. - Écoutez, lui dit-il en la détachant, et se rajustant lui-même, vous ne voulez pas que je vous sois utile ? A la bonne heure, je ne vous servirai, ni ne vous nuirai, je le promets ; mais si vous vous avisez de dire un seul mot de ce qui vient de se passer, en vous chargeant des crimes les plus énormes, je vous ôte à l'instant tout moyen de pouvoir vous défendre. Réfléchissez bien avant que de parler ; on me croit maître de votre confession... vous m'entendez : il nous est permis de tout révéler quand il s'agit d'un criminel. Saisissez donc bien l'esprit de ce que je vais dire au concierge, ou j'achève à l'instant de vous perdre. Il frappe. Le geôlier paraît. - Monsieur, lui dit ce traître, cette bonne fille se trompe, elle a voulu parler d'un père Antonin qui est à Bordeaux. Je ne la connais nullement. Elle m'a prié d'entendre sa confession ; je l'ai fait. Je vous salue l'un et l'autre, et serai toujours prêt à me représenter quand on jugera mon ministère important. Le barbare sort en disant ces mots, laissant Justine aussi confondue de sa fourberie que révoltée de son insolence et de son libertinage, et dévorée de l'affreux remords de ne s'être pas tuée, plutôt que d'avoir (quoique malgré elle) servi de plastron à d'aussi affreuses débauches. Cependant son état était trop horrible pour ne pas faire usage de tout. Justine se ressouvient de Saint-Florent. Il est impossible, se disait-elle, que cet homme puisse me mésestimer relativement à la conduite que j'ai eue avec lui. Je lui ai rendu un service assez important ; il m'a traitée d'une manière assez barbare pour imaginer qu'il ne refusera pas de réparer ses torts envers moi dans une circonstance aussi essentielle, et de reconnaître, en ce qu'il pourra du moins, ce que j'ai fait de si honnête pour lui. Le feu des passions peut l'avoir aveuglé aux deux époques où le l'ai connu ; mais il est mon oncle, et, dans ce cas-ci, nul sentiment ne doit l'empêcher de me secourir. Me renouvellera-t-il ses dernières propositions ? mettra-t-il les secours que je vais exiger de lui au prix des affreux services qu'il m'a expliqués ? eh bien, j'accepterai ; et, une fois libre, je trouverai bien les moyens de me soustraire au genre de vie abominable auquel il aura eu la bassesse de m'engager. Pleine de ces réflexions, Justine écrit à Saint-Florent. Elle lui peint ses malheurs, elle le supplie de la venir voir. Mais elle n'a pas assez réfléchi sur l'âme de cet homme, quand elle a cru la bienfaisance capable d'y pénétrer ; elle ne s'est pas assez rappelé les indignes maximes de ce pervers. Et sa malheureuse faiblesse, l'engageant toujours à juger les autres d'après son cœur, elle a mal à propos supposé que cet individu devait se conduire avec elle comme elle se serait conduite avec lui. Il arrive. Et, comme Justine avait demandé à le voir seul, on les laisse ensemble. Il avait été facile à notre héroïne de voir, aux marques de respect qu'on lui avait prodiguées, quelle était sa prépondérance dans Lyon. - Quoi ! c'est vous, lui dit-il en jetant sur elle des regards de mépris. Je m'étais trompé sur la lettre ; je la croyais d'une femme plus honnête que vous, et que j'aurais servie de tout mon cœur ; mais que voulez-vous que je fasse pour une imbécile de votre espèce ? Comment ! vous êtes coupable de cent crimes tous plus affreux les uns que les autres, et quand on vous propose un moyen de gagner honnêtement votre vie, vous vous y refusez avec opiniâtreté ? on ne porta jamais la bêtise plus loin. - Oh ! monsieur, s'écria Justine, je ne suis point coupable. - Que faut-il donc faire pour l'être ? reprit aigrement cet homme dur. La première fois de ma vie que je vous vois, c'est au milieu d'une bande de voleurs, qui veulent m'assassiner ; maintenant, c'est dans les prisons de cette ville, accusée de trois ou quatre nouveaux crimes, et portant sur vos épaules la marque assurée des anciens ; si vous appelez cela être honnête, apprenez-moi donc ce qu'il faut pour ne l'être pas ? - Oh ! juste ciel ! monsieur, répondit Justine, pouvez-vous me reprocher l'époque de ma vie où je vous ai connu, et ne serait-ce pas bien plutôt à moi de vous en faire rougir ? J'étais de force, vous le savez, monsieur, parmi les bandits qui vous arrêtèrent ; ils voulaient vous arracher la vie ; je vous la sauvai en facilitant votre évasion... en nous échappant tous les deux. Que fîtes-vous, homme cruel, pour me rendre grâces de ce service ? est-il possible que vous puissiez vous le rappeler sans horreur ? Vous voulûtes m'assassiner moi-même ; vous m'étourdîtes par des coups affreux ; et profitant de l'état où vous m'aviez mise, malgré les liens du sang qui nous unissaient, vous m'arrachâtes ce que j'avais de plus cher ; par un raffinement de cruauté sans exemple vous me dérobâtes le peu d'argent que je possédais, comme si vous eussiez désiré que l'humiliation et la misère vinssent achever d'écraser votre victime. Que n'avez-vous pas entrepris depuis, pour perpétuer mes malheurs ! Vous avez bien réussi, homme barbare ; assurément vos succès sont entiers ; c'est vous qui m'avez perdue ; c'est vous qui avez entrouvert l'abîme où je n'ai cessé de tomber depuis ce malheureux instant. J'oublie tout, néanmoins, monsieur, oui, tout s'efface de ma mémoire ; je vous demande même pardon d'oser vous en faire des reproches ; mais pourriez-vous vous dissimuler qu'il ne me soit dû quelque dédommagement... quelque reconnaissance de votre part ? Ah ! daignez n'y pas fermer votre âme, quand le voile de la mort s'étend sur mes tristes jours ; ce n'est pas elle que je crains, c'est l'ignominie. Sauvez-moi de l'horreur de mourir comme une criminelle ; tout ce que j'exige de vous se borne à cette seule grâce ; ne me la refusez pas, monsieur, ne me la refusez pas, et le ciel et mon cœur vous en récompenseront un jour. Justine était en larmes devant cet homme féroce ; et, loin de lire sur sa figure l'effet qu'elle devait attendre des secousses dont elle se flattait d'ébranler son âme, elle n'y distinguait que cette altération de muscles qu'elle avait pu y remarquer, quand il assouvissait ses lubricités avec elle. Il était assis bien en face ; ses yeux noirs et méchants la considéraient d'une manière affreuse ; le scélérat se branlait devant elle. - Infâme coquine, lui dit-il avec ce courroux libertin dont la malheureuse Justine avait été si souvent victime ; malheureuse garce, ne te souvient-il pas qu'en te quittant chez moi, je te recommandai surtout de ne jamais paraître dans Lyon ? - Mais, monsieur !... - Que m'importe l'accident qui t'y ramène ! t'y voilà ; c'est mille fois plus qu'il ne me faut pour exciter ma rage, et pour désirer de te voir pendre. Écoute-moi cependant ; je veux bien encore te servir. Toute ta procédure est ici entre les mains de M. de Cardoville, mon ami depuis l'enfance ; ton sort dépend absolument de lui ; je vais lui parler ; mais je t'avertis que tu n'obtiendras rien sans la plus servile soumission, non seulement à lui, mais même à son fils et à sa fille, avec lesquels il partage ordinairement toutes ses scènes de luxure. Je t'exhorte donc à l'obéissance la plus entière ; lui seul peut quelque chose à ton procès, et tu es perdue si tu résistes. Pour moi, Justine, je te le déclare, absolument dégoûté de toi, je n'y serai pas ; mais si mes amis dont tu n'es point connue, t'acceptent, on viendra te prendre à l'entrée de la nuit, tu suivras tes gardes. Une fois aux pieds de tes juges, tu te laveras de ton mieux ; tu établiras ton innocence de la manière la plus persuasive, et tu te prêteras surtout à tout ce qui te sera proposé. Voilà l'unique service que je puisse te rendre. Adieu ; tiens-toi prête à tout événement et surtout ne me fais pas faire de fausses démarches, car tu ne me retrouverais de tes jours. A ces mots, Saint-Florent, qui n'avait pas cessé d'agiter son vit tout en raisonnant, ordonne à Justine de montrer son cul ; il y applique cinq ou six claques de toute la vigueur de son bras ; il enfonce dans les chairs des ongles meurtriers, et laisse tomber sur les cuisses de cette malheureuse le résultat honteux de ses scélératesses. Il disparaît en laissant au geôlier des ordres de resserrer de plus en plus la coupable, mais de la livrer néanmoins à Cardoville, s'il se présente pour l'emmener. Rien n'égalait la perplexité de Justine. N'avait-elle pas dans ce qu'elle voyait trop de raisons de se méfier, et du protecteur qu'on lui proposait, et plus encore des moyens dont elle serait obligée de payer cette protection ? Et cependant elle ne pouvait balancer. Devait-elle rejeter tout ce qui paraissait lui offrir quelque secours ? Il était question de se prostituer ; on le lui faisait assez clairement entendre. Soit ; mais Justine se flattait d'émouvoir, d'attendrir, de se soustraire. Il s'agissait d'ailleurs de sauver sa vie ; et cet intérêt devenait d'un tel poids, qu'on est bien pardonnable en lui faisant céder quelque autre considération étrangère... Jamais celle de l'honneur... je le veux ; mais ce que la force entreprenait sur Justine était-ce donc au prix de son honneur ? était-elle responsable des attentats commis sur sa personne ? et, aux yeux des gens les plus scrupuleux, toutes les horreurs dont elle avait été souillée jusqu'à ce moment attaquaient-elles en rien l'inébranlable base de sa vertu ? Telles étaient les réflexions que Justine faisait en s'habillant et en se préparant à suivre ceux qui allaient venir la prendre. L'heure sonne ; le geôlier paraît ; Justine frémit. - Suivez-moi, lui dit le Cerbère ; c'est de la part de M. de Cardoville. Songez à profiter comme il convient de la faveur que le ciel vous offre ; nous en avons beaucoup ici qui désireraient une telle grâce, et qui ne l'obtiendront jamais. Parée du mieux qu'il lui est possible, Justine suit le concierge, qui la remet aux mains de deux grands nègres, dont le farouche aspect excite sa frayeur. On la jette dans une voiture, sans dire un mot. Les nègres y montent avec elle ; les stores se baissent ; et le seul calcul que puisse faire Justine, est que c'est à deux ou trois lieues de Lyon que la voiture s'arrête. La cour d'un château solitaire, environnée de cyprès, est le seul objet que lui laissent apercevoir les rayons de la lune ; aucun bruit ne se fait entendre, et l'on conduit notre héroïne dans une salle assez mal éclairée, où les nègres, toujours en silence, l'entourent, sans lui dire un mot. Au bout d'un quart d'heure, une vieille femme, suivie de quatre jeunes garçons, très jolis, âgés de seize à dix-huit ans, et tenant chacun le coin d'un grand drap noir, paraissent aux yeux de Justine. - Parvenue au dernier terme de votre vie, lui dit la vieille, les vêtements que vous portez vous deviennent inutiles, quittez-les donc tous à l'instant, sans en excepter un seul. Il faut aussi que je coupe le poil de votre motte, dit la duègne, dès que Justine fut nue ; et maintenant, poursuivit-elle quand ces deux premières opérations furent faites, il faut que je vous bande les yeux, et que vous soyez emportée dans ce drap mortuaire. Tout s'exécute, et Justine, ainsi privée du sens de la vue, est portée dans un salon où la vieille, les deux nègres et les quatre porteurs la fixent debout, dans une telle attitude que ses bras, élevés en l'air et rattachés par des cordes, ne peuvent pas lui être d'un plus grand secours que ses pieds, fortement liés de même au parquet. Ainsi contenue, toujours voilée, Justine est maniée par plusieurs mains, sans qu'elle sache à qui elle a affaire. On lui débande les yeux ; et voici les personnages qu'elle aperçoit, et qui s'apprêtent à se divertir d'elle. Nous allons comprendre dans ce détail ceux qui l'avaient apportée là, quoiqu'elle les eût aperçus dès en arrivant. Dolmus et Cardoville, tous deux âgés de quarante-cinq à cinquante ans, paraissaient les deux principaux acteurs de ces scandaleuses orgies ; tous deux occupaient dans Lyon les places les plus éminentes. Une jeune personne, nommée Nicette, de dix-huit à vingt ans, fort brune, l'air excessivement libertin, fut annoncée comme la fille de Cardoville, et comme l'un des personnages de la scène, auquel devait également se soumettre Justine. Brumeton, gros garçon de vingt-deux ans, frais comme une rose, le plus beau vit et le plus charmant cul, était le frère de Nicette, dont Saint-Florent avait parlé à notre héroïne. Zulma, très jolie blonde, de vingt-quatre ans, la peau superbe, les formes moulées, les yeux divins, et la luxure pétillant dans chacun de ses traits, fut également produite comme l'une des agentes de cette partie ; et Cardoville dit à Justine qu'elle était fille de Dolmus. Cette jeune personne avait aussi son frère, âgé de vingt-six ans, laid, velu comme un ours, et celui de toute l'assemblée dont l'air était le plus aigre et le plus méchant ; on le nommait Volcidor. A l'égard des quatre jeunes garçons qui venaient d'apporter Justine, ils étaient de la plus voluptueuse figure et paraissaient tous quatre destinés aux plaisirs de la bande lubrique ; on les nommait Julien, Larose, Fleur-d'Amour et Saint-Clair. Les deux nègres avaient environ vingt-deux à trente ans. Nul monstre ne fut membré comme ces deux Africains ; l'âne le plus célèbre du Mirebalais n'eût été qu'un enfant auprès d'eux ; et l'on ne pouvait croire en le voyant que jamais aucun être pût se trouver dans la possibilité d'employer de tels hommes. Nous ne parlons pas de la vieille, que Justine ne revit plus, et qui, sans doute, n'avait ici que le détail extérieur des parties de la société. Tous les membres de cette assemblée, au nombre de douze personnes, entourèrent Justine, aussitôt que le bandeau fut arraché de ses yeux, et chacun lâcha son sarcasme. - Cardoville, dit Dolmus, cette putain sait-elle qu'elle doit mourir ici ? - Comment espérerait-t-elle de s'en sauver, dit Cardoville : elle a quarante-deux témoins contre elle. Ce que nous faisons ici n'est que pour lui rendre service ; elle a témoigné de l'éloignement pour finir ses jours en place publique : nous allons l'expédier dans cette maison. A ces mots, l'impudente Nicette, dans les bras de Saint-Clair, et déjà branlée par ce beau jeune homme, lâche un blasphème horrible, en assurant que, de ses jours, elle n'aura goûté de plaisir plus vif que celui de voir expirer cette créature. - Oh ! double dieu ! s'écrie Zulma, pour le moins avec autant de cynisme, et branlant un vit de chaque main ; je demande, pour toute grâce, que l'on me laisse lui donner les derniers coups. Pendant ce temps-là, les deux pères et les deux fils tournaient et retournaient autour de la patiente, en la palpant comme les bouchers font au bœuf qu'ils marchandent. - Nous n'avons, depuis bien longtemps, dit Volcidor, condamné personne dont les crimes soient aussi constatés. - Moi, des crimes constatés ? dit Justine. - Constatés ou non, dit Cardoville, tu seras brûlée, bougresse, rôtie à petit feu ; mais c'est nous qui nous chargeons de ce doux soin. Quelle reconnaissance tu nous en dois ! Ici, Nicette se pâma ; elle ouvrit les cuisses, poussa un cri terrible, et jura comme un charretier pendant tout le temps de la crise. Cardoville approche aussitôt sa fille, s'agenouille entre ses jambes, lui suce le con, hume le foutre, et revient tranquillement près de Justine. - Es-tu folle, dit l'aimable fille de Dolmus, à qui Larose rendait amplement ce qu'il en recevait, dis, putain, es-tu folle de décharger aussi promptement ? - Quoi ! dit Nicette, tu ne veux pas que je perde mon foutre, quand mon père raisonne aussi bien ? - Ne te faut-il que de tels propos pour te faire partir également ? dit Dolmus. - Quelque chose de mieux, papa, répond la libertine. Détache cette fille ; dis-lui de me branler le con avec la langue, et tu verras si l'éjaculation de mon foutre n'accompagnera pas cette démarche. - Non, dit Dolmus ; elle ne peut quitter l'attitude qu'elle n'y ait subi la question ; et je suis bien sûr que ce spectacle t'enflammera pour le moins autant que celui que tu désires. - Oh ! oui, oui ; pourvu que la garce souffre, je serai contente ; ce sont ses douleurs que je veux... Et la petite friponne, ne se contenant plus, ouvre ses cuisses aux doigts libertins de Larose, colle ses lèvres sur la bouche de Saint-Clair qui la socratise, et décharge avec abondance. Cardoville, dont il paraît que c'est le goût, renouvelle ce qu'il vient de faire avec sa fille ; il s'agenouille, hume le foutre, et revient auprès de Justine, qui, pâle, tremblante, défigurée, ose néanmoins s'écrier - Ah ! juste ciel ! encore des horreurs !... - Oui, mais violentes, dit Brumeton en lui claquant nerveusement le derrière. On dit que vous en avez beaucoup éprouvé dans la vie ; je doute néanmoins que de plus fortes vous aient jamais assaillie. - Oh Dieu ! qu'allez-vous donc me faire ? - Vous livrer, dit Dolmus, aux plus exécrables tortures dont jamais la cruauté la mieux réfléchie ait souillé les annales de la terre. - Mon père, dit Zulma, que son frère branlait cette fois, souviens-toi que tu m'as promis de me faire sucer la moelle de ses os, et de me faire avaler son sang dans son crâne. - Je te le promets encore, dit Dolmus ; et cela, pendant que ton frère et moi mangerons ses fesses. Ici Volcidor fait voir à son père qu'il bande puissamment ; et Dolmus, présentant le cul, se fait incestueusement limer quelques minutes. Cardoville, remplaçant Volcidor, s'approche de Zulma et lui suce alternativement la bouche et le clitoris, pendant que Nicette, se remettant en train avec Brumeton son frère, branle des vits, en baisant les fesses d'un nègre. - Eh bien, dit Dolmus, revenu à l'examen de Justine, Saint-Florent n'avait-il pas eu raison de nous dire que cette garce avait un beau cul ? Et il le mordit en disant cela. - Oui, sacre-dieu, dit Cardoville en revenant à son ami ; oui, foutre dieu, la putain a le plus beau cul qu'on puisse voir ; il est urgent de nous amuser de cette prude. - Voici comment, répondit Dolmus. Il faut que nous l'entourions tous ; que chacun adopte ensuite une partie de son corps, et moleste cette partie ; c'est-à-dire que nous aurons tous un numéro, et que, tour à tour, chacun fera lestement subir à la patiente la douleur dont il sera chargé. Ces tours se recommenceront avec vitesse ; nous imiterons le battant d'une horloge ; ce seront, je suppose, les douze coups de midi qui se renouvelleront sans cesse ; et, par ce moyen, la victime tiraillée, pincée, mordue dans toutes les parties de son corps, ne sera pas une demi-seconde sans souffrir une douleur nouvelle. - Oh ! foutre, dit Nicette en mordant les fesses du nègre, et revenant sucer un des vits qu'elle branlait et qu'elle voyait près de sa décharge, oh ! sacré foutre dieu, quelle scène divine ! commençons, double dieu, pressons-nous. Les postes se prennent ; et voici quelle en est la distribution. Cardoville s'empare de la sommité du téton droit ; Brumeton, son fils, de la racine ; le gauche est occupé de même par Dolmus et son fils ; Nicette demande le clitoris ; Zulma les babines du con ; chaque nègre prend un mollet ; Larose et Julien ont chacun une aisselle ; Fleur-d'Amour et Saint-Clair prennent les fesses. Les supplices devaient s'appliquer dans l'ordre on nous venons de nommer les personnages, et l'on pouvait indifféremment piquer ou pincer la partie dont on était chargé. On exécuta douze reprises de suite, au bout desquelles Cardoville, s'apercevant que la victime chancelait, dit qu'il fallait la laisser reprendre un moment. Cet intervalle est rempli par d'infâmes luxures. Les pères foutirent leurs filles, enculés par leurs fils, et caressant chacun deux bardaches, que les nègres fouettaient devant eux. Ici, les femmes déchargèrent ; les hommes se continrent. Justine fut détachée ; les deux jeunes filles étendues sur des canapés lui offrirent leurs cons à sucer. Dès que, bien malgré elle, la pauvre fille s'est acquittée de ce premier soin, elle est contrainte à remplir le même avec les deux pères, et de lécher le trou de leurs culs, jusqu'à ce qu'un pet lui ait annoncé qu'on n'avait plus besoin de ce service. Alors on l'étend à terre, et tout le monde l'invective et la foule aux pieds. Des jeux plus sérieux s'entreprennent enfin. Saisie par un nègre, la malheureuse expose son derrière, et chacun vient lui appliquer cent coups de nerf de bœuf. On n'imagine pas avec quelle ardeur les deux jeunes filles se conduisirent en cette occasion. Elles furent de toute l'assemblée celles qui déchirèrent Justine avec le plus d'acharnement. Aussitôt qu'elles avaient fouetté, elles se vautraient sur des tapis, et attiraient à elles ceux des hommes qui leur plaisaient le mieux. De ce supplice on passa au suivant. Brumeton dit qu'il faut que chaque fille soit enculée par son père, et foutue en con par son frère ; qu'il faut que les nègres sodomisent les pères, et que les jeunes gens auront chacun le vit d'un bardache dans le cul, et l'autre dans la main. Ce groupe intéressant s'exécute pendant que Justine est placée sur une roue aux yeux de l'assemblée. Tout le monde décharge : il était temps, la victime n'y pouvait plus tenir. On lui donne une heure pour se reposer ; et, pendant ce temps, des vins, des jambons, des liqueurs sont offerts à la lubrique assemblée, qui, retrouvant ses forces dans de tels restaurants, s'occupe bientôt de nouvelles horreurs. - Allons, belle Justine, dit Dolmus, tu vois ces vits éteints, tu dois les ranimer. L'assemblée se forme en cercle ; notre héroïne est au milieu. Il faut qu'elle s'approche tour à tour de chacun ; qu'elle suce le con, le cul, la bouche des femmes, la langue, l'anus et le vit des hommes ; et chaque individu devant lequel elle passe est obligé de lui faire une blessure à sang. Dolmus lui arrache l'oreille ; Cardoville lui fait une incision dans le téton droit ; Brumeton égratigne le gauche ; Nicette enfonce, deux fois de suite, la pointe d'un canif dans la fesse droite ; sa sœur coupe un morceau de la gauche ; Volcidor, armé d'une boule qui présente des pointes de toutes parts, en chatouille assez longtemps l'intérieur du con ; Larose pique une veine à la cuisse gauche ; Julien, de ses dents, emporte un morceau de la droite ; Fleur-d'Amour donne un coup de poing dans le nez, qui fait jaillir le sang ; Saint-Clair enfonce un stylet de huit lignes dans le ventre ; le premier nègre incise les épaules ; le second pique la jugulaire. Zulma, ivre de lubricité, demande à être foutue ; Nicette témoigne le même désir. Les nègres les enconnent toutes deux, pendant qu'elles se font enculer par leurs frères, et que les pères foutent des bardaches à leurs yeux, dont elles branlent les vits. - Il faut pourtant que nous jouissions de cette garce, dit Cardoville. - Oui, répond Dolmus ; mais en la rétrécissant, j'espère. Ces paroles, que Justine ne comprenait pas, la firent néanmoins tressaillir. - Zamor, dit Cardoville à celui de ses nègres qui portait ce nom, prends cette putain, et rétrécis-la nous. Le valet obéit. Il s'empare de Justine ; lui place les reins sur une sellette ronde, qui n'a pas six douces de diamètre ; là, sans aucun point d'appui, ses jambes tombent d'un côté, ses bras de l'autre. On fixe ces quatre membres à terre, dans le plus grand écart possible. Le bourreau qui va rétrécir les voies s'arme d'une longue aiguille, su bout de laquelle est un fil ciré. Mais ici le caractère violent du Zulma se décide. - Oh ! foutu bougre de dieu, s'écrie-t-elle enflammée de vin et de luxure, laissez-moi cette besogne, c'est à moi de la remplir ; je veux coudre le con ; ma sœur se chargera du cul. - Je lui coudrai le cœur s'il le faut, dit Nicette, et le lui dévorerai tout saignant après, si l'on veut. - Courage ! braves enfants, dit Dolmus ; vous êtes dignes de ceux qui vous ont donné l'être ; et la pitié, le plus vil de tous les sentiments, n'a plus d'accès sur vos cœurs pervertis. - Non, non, foutre, elle n'en a plus, dit Zulma, s'approchant du con qu'elle va calfeutrer. Et, sans s'inquiéter du sang qu'elle va répandre, ni des douleurs qu'elle occasionnera, le monstre, en face des scélérats que ce spectacle enflamme, ferme hermétiquement, au moyen d'une couture, l'entrée du vagin de Justine. Nicette avance, et l'autel de Sodome se barricade de la même manière. - Voilà comme il me les faut, dit Cardoville, quand on eut replacé Justine sur les reins, et qu'il vit bien à sa portée la forteresse qu'il voulait envahir. Il pousse avec une incroyable vigueur ; Zamor l'encule pendant ce temps-là. Pour soutenir son illusion, il veut que les deux sœurs, sous ses yeux, soient sodomisées par leurs frères ; que Dolmus encule un bardache, pendant que l'autre nègre lui insinuera le vit dans le cul. Le tableau s'arrange ; les fils se rompent. Les tourments de l'enfer n'égalent pas ceux qu'endure Justine ; plus ses douleurs sont vives, plus paraissent piquants les plaisirs de ses persécuteurs. Tout cède enfin à ces efforts ; Justine est déchirée. Le dard monstrueux de Cardoville, en s'introduisant avec violence, va renouveler les blessures faites par Volcidor, avec la boule piquante ; mais Cardoville, qui réserve ses forces pour de nouvelles horreurs, se garde bien de décharger. On retourne la victime. Mêmes obstacles. Le cruel les observe en se branlant, et ses mains féroces molestent les environs, pour être mieux en état de surprendre la place. Il s'y présente. La petitesse naturelle du local rend les attaques bien plus vives. Le redoutable vainqueur a bientôt brisé tous les freins ; Justine est en sang ; qu'importe au triomphateur ? Deux vigoureux coups de reins le placent au sanctuaire, et le scélérat y consume à la fin un sacrifice dont la victime n'aurait pu, sans s'évanouir, soutenir un instant de plus les douleurs. - A moi, dit Dolmus en faisant détacher Justine ; je ne la coudrai pas, la chère fille, mais je vais la coucher sur un lit de camp, qui lui rendra promptement toute la chaleur que sa sotte vertu lui fait perdre. Un des nègres sort aussitôt d'un cabinet une croix diagonale, toute garnie de pointes d'acier ; c'est là-dessus que l'insigne libertin veut qu'on place Justine. Mais de quel épisode, grand Dieu ! va-t-il améliorer sa cruelle jouissance ? Avant que d'attacher la victime, Dolmus fait pénétrer lui-même, dans le cul de cette malheureuse, une boule composée. A peine est-elle introduite dans les entrailles de la patiente, qu'elle éprouve un feu dévorant au-dedans d'elle-même. Elle crie ; on la garrotte. Dolmus l'enconne, en la pressant de toutes ses forces sur les pointes aiguës qui la déchirent. Un des nègres encule Dolmus ; Nicette et Zulma viennent présenter leurs fesses au fouteur ; elles branlent leurs frères pendant ce temps-là, dont l'un d'eux fouette Cardoville, qui sodomise un des jeunes gens, pendant que les autres l'entourent. Tout jouit. La seule Justine éprouve des douleurs qu'il est difficile de se figurer ; plus elle repousse ceux qui la pressent, plus ils la rejettent sur les aiguilles dont la malheureuse est lacérée. Pendant ce temps, les ravages de la terrible boule deviennent impossibles à peindre. Les cris de cette infortunée déchireraient les cœurs de tout autre que ceux des scélérats qui l'environnent. Nulle expression ne rendrait ce qu'elle éprouve. Cependant le barbare Dolmus parait jouir délicieusement ; sa bouche, imprimée sur celle de la patiente, semble respirer les douleurs qu'elle éprouve, pour en accroître les plaisirs dont s'enivre sa délicatesse ; mais à l'exemple de son ami, sentant son foutre prêt à s'exhaler, il veut tout faire avant que de le perdre. On retourne Justine. Toutes meurtries, toutes déchirées que sont ses fesses, elles semblent encore sublimes à ses persécuteurs. La boule, qu'on lui a fait rendre, va produire au vagin le même incendie qu'elle alluma dans les lieux qu'elle quitte ; elle monte, elle descend, elle brûle jusqu'au fond de la matrice. On ne l'en attache pas moins sur le ventre à la perfide croix ; et des parties bien plus délicates vont se molester sur les pointes aiguës qui les reçoivent. Dolmus sodomise, pendant qu'un des bardaches le fout, enculé lui-même par un nègre. L'autre Africain, les deux pieds placés sur les branches élevées de la croix, frotte de ses fesses le visage de Justine ; il lui chie sur le nez... Elle est contrainte à tout avaler, tandis que, dans un coin, Brumeton enconne sa sœur. Volcidor, Cardoville et Brumeton remplacent Dolmus, tantôt enculés par les nègres, tantôt par les bardaches, tandis que Nicette et Zulma viennent à leur tour pisser et chier sur le visage de la patiente. Dès qu'elles ont fait, elles se placent vis-à-vis de la croix, et viennent s'en faire donner par les hommes qui quittent le cul de leur père ou de leur frère. Le délire paraît à son comble, et le sang de la malheureuse Justine arrose tous les sacrificateurs. - Il me vient une idée unique, dit Zulma qui décharge, enconnée par Larose, et sodomisée par Julien. Nous sommes douze ; formons deux haies ; armons-nous chacun d'une excellente gaule, et faisons passer Justine par les verges. - A combien de tours la condamnerons-nous ? dit Brumeton qu'enflamme cette idée. - A douze, répond Volcidor. - Il ne faut rien déterminer, dit Nicette ; il faut que la gueuse y passe jusqu'à ce qu'elle tombe. - Non, non, dit Cardoville ; je la réserve à un autre genre de supplice. Amusons-nous de celui qui vient de nous être proposé ; mais que ce ne soit point par un chemin si doux que cette malheureuse soit conduite à la mort. - Eh bien ! reprit Zulma, exécutons toujours mon idée. On se forme. La triste Justine, qui se soutient à peine, est obligée de parcourir les rangs ; en six minutes, son malheureux corps n'est plus qu'une plaie... Encore de même à ce supplice, on n'imagine pas à quel point les deux jeunes filles exercent leur férocité lubrique ; ce sont elles qui frappent le plus fort ; Justine succombe ; les tigres vont la chercher à terre, et c'est dans cet affreux état qu'ils ordonnent aux nègres d'en jouir. Tous deux s'en emparent ; pendant que l'un jouit du devant, l'autre s'enfonce dans le derrière ; ils changent et rechangent sans cesse. Justine est encore plus déchirée de leur grosseur, qu'elle ne l'a été du brisement des artificieuses barrières qu'on venait de franchir. Pendant ce temps les deux pères sodomisent des bardaches, en gamahuchant le trou du cul de leurs filles, chacune enconnée par leur frère. De nouveaux flots de foutre se répandent, lorsqu'un épisode inattendu s'entreprend. Zulma, la fougueuse Zulma, dit qu'elle veut être foutue sur la croix garnie d'aiguilles, et qu'il faut, là, que tous les hommes lui passent sur le corps ; elle ajoute qu'il faut que Justine soit suspendue sur sa tête, et l'arrose du sang que ses membres distillent. - Ah ! foutre, quelle idée, dit Nicette ; combien je suis jalouse de l'esprit de celle qui l'a inventée ; je demande à suivre ma sœur. - Nous la suivrons tous, dit Volcidor. Ces aiguilles ne sont rien moins qu'un supplice ; elles enflamment les sens ; elles irritent le tempérament ; elles produisent le même effet que le fouet. - Oui, oui, sacredieu, nous passerons tous, dit Brumeton. - A la bonne heure, dit Zulma ; mais je m'y place toujours la première. La putain y colle son dos ; on la fixe ; tous les hommes l'enconnent ; elle est en sang. Oh ! comme c'est délicieux, s'écrie-t-elle ; retournez-moi, que l'on m'encule. Elle est obéie. Ce funeste caprice échauffe toutes les têtes. Hommes, femmes, jeunes garçons, tout s'y arrange, tout s'y fait foutre ; et tous, armés d'une flèche, piquent, égratignent le malheureux corps suspendu sur leurs têtes, afin de redoubler sur le leur les flots de sang dont ces scélérats aiment à s'inonder. Justine est enfin descendue, mais inanimée. Son triste individu n'est plus qu'une masse informe que d'affreuses plaies cicatrisent... elle est sans connaissance. - Qu'en ferons-nous ? dit alors Cardoville. - Il faut, dit Dolmus, laisser aller le cours de la justice ; elle mourra de même, et nous serons à l'abri de tout. Faisons-la revenir, et qu'on la ramène en prison. Il s'en fallait bien que Nicette et Zulma pensassent de la même manière. Uniquement livrées à leurs passions, elles demandaient impérieusement la mort de leur victime. On la leur avait promise, elles la voulaient. Leurs frères, plus prudents, les mirent à la raison. - Elle mourra de même, dit Brumeton, et nous irons jouir de ses derniers soupirs. - Mais ce ne sera pas nous qui lui donnerons la mort. - N'en aurons-nous pas été les causes ? - Quelle différence ! dit Zulma, le crime des lois n'est plus le nôtre. - Mais, nous l'autorisons. - Nous ne le commettons pas, nous ne nous souillons pas de son sang ; et la différence est énorme. - Ma fille, dit Dolmus, commettre un crime ou le faire commettre est absolument égal pour la conscience ; le chatouillement qu'on éprouve est le même, soit qu'on agisse, ou qu'on fasse agir. Cette fille n'est pas coupable, nous en sommes sûrs ; un mot de nous peut la sauver ; nous la livrons à des lois absurdes dont le glaive est à notre disposition. Sois certaine qu'entre ce crime et celui de la tuer de nos mains, la distance est bien médiocre ; mais, existât-elle même, cette distance, une autre conduite nous compromettrait peut-être ; et pour une portion de volupté... une portion idéale, nous mettrions nous-mêmes des entraves à toutes celles qui nous attendent par la suite. Faisons quelques sacrifices à nos plaisirs ; c'est pour leur seul intérêt que j'agis, crois-le ; et, si je me prive aujourd'hui d'une dose quelconque de volupté, sois bien assurée que c'est pour en étendre un jour la sphère. Pendant que Dolmus raisonnait ainsi, Julien, par ordre de Cardoville, rappelait Justine à la vie, et bassinait ses plaies. - Allez, lui dit Dolmus, quand il la voit assez bien remise ; allez vous plaindre maintenant. - Oh ! dit Cardoville, la prudente Justine n'est pas dans le cas des plaintes ; à la veille d'être elle-même immolée, ce sont des prières que nous devons attendre d'elle, et non pas des accusations. - Qu'elle n'entreprenne ni l'un ni l'autre, répliqua Dolmus ; elle nous inculperait sans être entendue, elle nous implorerait sans nous émouvoir. - Mais, dit Justine, si cependant je révélais... - Cela reviendrait toujours à nous, dit Cardoville ; et la considération, la prépondérance dont nous jouissons dans cette ville ne permettrait pas qu'on prît garde à d'aussi méprisables récriminations ; votre supplice n'en serait que plus cruel et que plus long. Vous devez voir, chétive créature, que nous nous sommes amusés de votre individu, par la raison naturelle et simple qui engage la force à abuser de la faiblesse. - Justine, dit Volcidor, doit sentir qu'elle ne peut échapper à son jugement, qu'il doit être subi, qu'elle le subira ; que ce serait en vain qu'elle divulguerait sa sortie de prison cette nuit, on ne la croirait pas ; le geôlier, tout à nous, la démentirait aussitôt. Il faut donc que cette belle et douce fille, si pénétrée de la grandeur de Dieu, lui offre en paix tout ce qu'elle vient de souffrir, et tout ce qui l'attend encore ; ce seront comme autant d'expiations du crime affreux qui la livre aux lois. Reprenez vos habits, ma fille, poursuivit ce monstre ; il n'est pas encore jour ; les deux hommes qui vous ont amenée vont vous reconduire dans votre prison... Justine voulut dire un mot ; elle voulut se jeter aux genoux de ces ogres, ou pour les adoucir, ou pour leur demander la mort. On ne l'écoute seulement pas ; les filles l'insultent, les hommes la menacent ; elle est entraînée, rejetée dans sa prison, où le geôlier la reçoit, avec le même mystère qu'il venait de l'en faire sortir. - Couchez-vous, lui dit ce Cerbère en la repoussant dans sa chambre ; et si jamais vous vouliez révéler, à qui que ce fût, ce qui vous est arrivé cette nuit, souvenez-vous que je vous démentirais, et que cette inutile accusation ne vous tirerait pas d'affaire. - Oh ! ciel, s'écria Justine dès qu'elle fut seule ; eh quoi ! je regretterais de quitter le monde ! je craindrais d'abandonner un univers composé d'aussi grands scélérats ! Ah ! que la main de Dieu m'en arrache à l'instant même, de telle manière que bon lui semblera, je ne m'en plaindrai plus ! La seule consolation qui fuisse rester au malheureux, né parmi tant de bêtes farouches, est l'espoir de les quitter bientôt ! Le lendemain, le cruel Saint-Florent vint visiter Justine. - Eh bien ! lui dit-il, êtes-vous contente des amis que je vous ai procurés ? - Oh ! monsieur, ce sont des monstres ! - Mais il fallait bien payer cette protection ; je vous avais prévenue d'être soumise. - J'ai fait tout ce qu'ils ont voulu, et ils me perdront. - Ah ! je devine ; vous leur aurez fait éjaculer trop de foutre, et il n'y a rien de pis que la suite du dégoût. Enfin, dites... dites... est-ce qu'ils ne vous sauveront point ? - Je suis une fille perdue ! - Voyons donc un peu comme ils vous ont traitée. Et il troussait en disant cela... Ah ! foutre, je ne m'étonne plus ; il ne fallait pas leur en laisser tant faire. Écoutez ; je vais vous parler en ami, moi ; je sais qu'en raison de l'énormité de vos crimes, le projet est de vous faire brûler vive ; tel est le supplice qui vous est destiné. Ce n'est donc pas à vous sauver qu'il faut travailler maintenant ; c'est à tâcher de n'être que pendue, au lieu d'être brûlée, comme je sais que c'est l'intention. - Eh bien ! monsieur, que faut-il faire pour cela ? - D'abord vous abandonner pleinement à moi, n'y ayant rien qui allume mes sens comme de jouir d'une femme condamnée à mort. Si je ne me suis pas trouvé avec mes amis cette nuit, c'est que j'avais peur qu'ils ne vous sauvassent. Maintenant que je suis sûr que vous allez périr sur l'échafaud, et qu'il ne s'agit que du genre de supplice, vous me faites étonnamment bander ; ainsi, montrez-moi votre cul. - Oh ! monsieur. - Eh bien ! vous serez brûlée... Et la malheureuse, pour échapper à ce supplice horrible, se laisse faire machinalement. Jamais ce libertin n'avait été si chaud de sa vie. On ne se peint point tous les raffinements qu'il met en usage, pour jouir plus délicieusement d'une fille que ses complots atroces envoient à la mort ; il la couvrait de lubricités. Justine ose un instant lui rappeler les services qu'il lui avait proposés de lui rendre... elle les acceptait, pour qu'on lui sauvât la vie. Mais Saint-Florent, qui ne s'échauffait la tête que du plaisir d'envoyer cette créature à la mort, lui dit qu'il n'est plus temps, et termine la scène par une rare atrocité. Il appelle le geôlier - Pierre, lui dit-il, fous cette gueuse devant moi. Quelle bonne fortune pour un tel rustre ! Le drôle obéit ; Saint-Florent lui rabat les chausses jusque sur les talons, et sodomise le porte-clefs, pendant que d'un engin énorme celui-ci pourfend la victime. - En voilà assez, dit Saint-Florent, dès qu'il a rempli de sperme le vilain cul de l'homme aux verrous ; maintenant, garce, continue-t-il en s'adressant à Justine, ne t'imagine pas que je fasse la moindre démarche en ta faveur ; je vais, au contraire, engager tes juges à mettre plus de sévérité dans leur prononcé. Il fallait accepter ce que je te proposais dans le temps, et te garder surtout de paraître à mes yeux. Oui, tu seras brûlée, sois en sûre je ne te quitte que pour en hâter... en assurer le jugement. Le monstre sort, et laisse la pauvre fille dans un abattement ressemblant au néant de la mort, qui va bientôt la couvrir de ses ombres. Le jour suivant, Cardoville vint l'interroger. Elle ne put s'empêcher de frémir en voyant avec quel sang-froid ce coquin osait exercer la justice, lui, le plus scélérat des hommes ; lui qui, contre tous les droits de cette justice dont il se revêtissait, venait d'abuser aussi cruellement de l'innocence et de l'infortune, dont elle composait sa sauvegarde. Elle mit à se défendre toute la chaleur que donne une bonne cause ; mais l'art de ce malhonnête homme lui composa des crimes de tous les moyens qu'elle alléguait. Quand les charges du procès furent bien établies, selon ce juge inique, il eut l'impudence de lui demander si elle ne connaissait pas un riche particulier de cette ville, nommé M. de Saint-Florent. Justine répondit qu'elle le connaissait. - Bon, dit Cardoville, il ne m'en faut pas davantage. Ce M. de Saint-Florent, que vous avouez connaître, vous connaît aussi parfaitement ; il est au nombre de vos dénonciateurs ; il a déposé vous avoir vue dans une troupe de brigands, ou vous fûtes la première à lui dérober son argent et son portefeuille. Vos camarades voulaient lui sauver la vie ; vous seule fûtes d'avis de la lui ôter ; il réussit néanmoins à fuir. Ce même M. de Saint-Florent ajoute que, quelques années après, vous ayant reconnue dans Lyon, il vous avait permis de venir lui parler, sur l'instante demande que vous en faisiez, et principalement sur votre parole d'une excellente conduite actuelle ; et que là, pendant qu'il vous sermonnait, pendant qu'il vous engageait à persister dans la bonne voie, vous aviez porté l'insolence du crime, au point de lui dérober une montre et cent louis, sur sa cheminée. L'évêque de Grenoble et un bénédictin viennent aussi tous deux de vous accuser de meurtre... de vol, de je ne sais quelles autres horreurs... Et Cardoville, profitant de la colère où de si atroces calomnies plongeaient notre malheureuse orpheline, ordonna au greffier d'écrire qu'elle avouait toutes ces inculpations, par son silence et par les impressions de sa figure. Justine au désespoir se précipite à terre ; elle fait retentir la voûte de ses cris ; elle frappe sa tête contre les carreaux, à dessein d'y trouver une mort plus prompte. Et, ne rencontrant point d'expressions à son affreuse douleur : - Scélérat ! s'écrie-t-elle, je m'en rapporte au Dieu juste qui me vengera de tes crimes ; il démêlera l'innocence, et te fera repentir de l'indigne abus que tu fais de ton autorité. Cardoville sonne ; il dit au geôlier de rentrer l'accusée, attendu que, troublée par sa fureur et par ses remords, elle n'est pas en état de suivre l'interrogatoire ; mais qu'au surplus, les charges sont complètes, puisque la coupable convient de tous ses crimes... Le monstre sort en paix !... La foudre ne l'écrase point ! L'affaire alla bon train ; conduite par la haine, par la vengeance et par la luxure, Justine fut promptement condamnée. - Ô juste ciel ! s'écria-t-elle, quand elle se vit au moment de son supplice, sous quel astre suis-je donc née, pour n'avoir jamais pu concevoir un seul sentiment honnête, qui n'ait été suivi sur-le-champ de tous les fléaux de l'infortune ? et comment se peut-il que cette Providence éclairée, dont je me plais d'adorer la justice, en me punissant de mes vertus, m'offre en même temps au pinacle ceux qui m'écrasaient de leurs vices ? Une femme de haut parage, un millionnaire complotent, dans mon enfance, contre mon bonheur et ma virginité ; ils se vengent de leur peu de succès, en me faisant une affaire qui me conduit au pied de l'échafaud ; de grandes richesses les attendent, et je suis à la veille d'être pendue. Je tombe parmi des voleurs ; je m'en échappe avec un homme à qui je sauve la vie ; pour ma récompense, il me viole, et me laisse écrasée sous ses coups. J'arrive chez un seigneur débauché, qui veut me faire poignarder sa mère ; le traître a l'art de faire retomber sur moi ce qu'il a seul commis ; je fuis, la prospérité le couronne. Je vais de là chez un chirurgien incestueux et meurtrier, à qui je tâche d'épargner un infanticide épouvantable ; le meurtre se consomme ; et moi je suis flétrie, marquée, comme une criminelle ; il est comblé des dons de la fortune, et je tombe dans la plus extrême misère. Un homme a pour jouissance de noyer les enfants qu'il fait ; je m'y oppose ; saisie par lui, je suis enfermée dans ses tours ; et c'est jusqu'à la mort que le scélérat compte m'y garder. On veut que j'introduise une bande de voleurs chez cet individu... que je livre une de mes compagnes... J'ai la faiblesse d'y consentir... je suis libre ; le bonheur me sourit, parce que je viens de me permettre une atrocité. C'est la promesse d'une mauvaise action qui me sort de chez Bandole ; une vertu m'y tenait captive. Je veux m'approcher des sacrements ; je veux implorer avec ferveur l'Être suprême dont je reçois néanmoins tant de maux, le tribunal auguste où j'espère me purifier, dans l'un de nos plus saints mystères, devient le théâtre sanglant de mon ignominie. L'homme qui m'abuse et qui me souille s'élève aux plus grands honneurs de son ordre, et l'adversité me poursuit. Je me laisse attendrir par une femme qui se plaint à moi de ses malheurs ; elle me conduit dans un coupe-gorge ; là plus qu'en aucune autre circonstance de ma vie, j'éprouve à quel point la main du sort veut me ballotter éternellement. J'étais ailleurs l'objet de beaucoup de crimes, sans participer à aucun, chez d'Esterval, uniquement retenue par le désir ardent de faire triompher la vertu, je suis contrainte à partager tous les crimes, pour réussir à les empêcher. Une victime enfin échappe par mes soins ; c'est Bressac, c'est ce monstre qui m'accusa d'avoir poignardé sa mère... que lui seul put assassiner. Le fruit de mes peines est d'être conduite par lui chez un autre scélérat, où la main des furies même ne saurait tracer les horreurs dont sa rage sut m'environner. J'essaie de sauver la première des épouses de cet homme, que je trouve chez lui ; je n'y réussis pas. Je veux au moins faire évader la seconde ; c'est en me faisant risquer de périr moi-même de la plus lente des morts que la fortune paye cette action. Je rencontre chez cet infâme époux un autre anthropophage, qui me propose de distribuer des poisons. Je le refuse ; il me précipite dans une mare d'eau. Je retrouve celui que ma bonté sauva d'une troupe de voleurs... qui me viola pour récompense. Plongée dans la misère, j'implore sa pitié ; il ne met ses services qu'au prix de la plus coupable des médiations... il veut que je lui suborne des victimes. Indignée de la proposition, j'en repousse jusqu'à l'idée même ; le libertin, pour se venger, me soumet encore une fois à des ignominies. Je pars de Lyon ; le premier objet que je rencontre est une femme qui me demande l'aumône ; je la soulage, elle m'entraîne sur un souterrain, où je m'engloutis avec elle ; de nouvelles abominations se présentent à moi ; il faut que je les partage. Là, on exige un vol pour prix de ma liberté ; je m'y refuse ; je dénonce le coupable : il est heureux, je suis la seule punie. L'engagement d'un nouveau forfait brise à la fin mes fers ; ce n'est qu'en l'accueillant que la fortune me flatte. Débarrassée de tous ces fripons, je marche vers Grenoble ; un homme évanoui s'offre à moi, je le secours ; l'ingrat me fait tourner une roue comme une bête, et me prend pour se délecter ; ce furieux veut que je le pende à mon tour. Une seconde fois maîtresse de sa vie, je la lui sauve encore. Pour dédommagement, il m'enferme vivante au milieu de deux cents cadavres. Tous ses souhaits sont accomplis... je suis près de mourir sur un échafaud, pour avoir travaillé de force dans sa maison. Une femme épouvantable, que le ciel me fait retrouver, veut me séduire, et me fait perdre le peu que je possède, pour avoir voulu sauver les trésors de sa victime... Un jeune homme sensible veut me faire oublier tous mes maux... m'en consoler par l'offre de sa main ; il expire dans mes bras, avant que de le pouvoir. Son ami cherche à tarir mes larmes ; mais sa persécutrice se venge ; les serpents de l'enfer devaient me déchirer, je venais d'être vertueuse. Je suis saisie, enlevée, conduite chez un homme dont la passion est de couper les têtes. J'échappe à ce danger ; les bras qu'on me tendait me protègent encore ; je me crois à la fin tranquille. Une maison brûle ; je me précipite au milieu des flammes, pour en arracher l'enfant de celle qu'on m'a donnée pour protectrice. A jamais dupe de mes bienfaits, c'est celle même à qui j'ai rendu service qui me perd. Enfermée comme une scélérate, chargée d'imputations calomnieuses, j'implore un religieux ; il me contraint à des exécrations, et m'abandonne sans me servir. J'ai recours à la protection d'un homme à qui j'ai sauvé la fortune et la vie ; il me livre à d'insignes libertins, au milieu desquels j'éprouve mille fois plus d'horreurs que je n'en connus de mes jours. Cette multitude de bêtes féroces réunies contre moi hâtent ma perte, après m'avoir accablée d'outrages. Ils sont comblés des dons de la fortune, et je cours à la mort. Voilà ce que les hommes m'ont fait éprouver ; voilà ce que m'apprit leur dangereux commerce. Est-il donc étonnant que mon âme, aigrie par le malheur, révoltée d'outrages, accablée d'injustices, n'aspire plus qu'à briser ses liens ! Justine finissait à peine ces tristes réflexions, lorsque le geôlier vint lui parler avec le plus grand mystère. - Écoutez-moi, lui dit-il, avec attention. Vous m'avez inspiré de l'intérêt, et si vous pouvez réussir à ce que je vais vous proposer, je vous sauve la vie. - Oh ! monsieur, de quoi s'agit-il ? - Vous voyez là-bas ce gros homme, abîmé dans sa douleur, et qui, comme vous, n'attend que l'heure de son supplice ; il est possesseur d'un portefeuille dans lequel est une somme considérable... en voyez-vous dépasser le bout dans sa poche ? - Eh bien, monsieur ? - Eh bien ! je sais qu'il n'est occupé, dans ce moment-ci, que des moyens de faire passer ce trésor à sa famille ; dérobez-le lui, apportez-le moi, et vous êtes libre. Mais du silence ; soit que vous acceptiez, soit que vous refusiez, n'ouvrez jamais la bouche de ce que je vous révèle ici... allons, décidez-vous... - Oh, Dieu ! s'écria Justine, toujours entre le vice et la vertu, faut-il donc que la route du bonheur ne s'ouvre jamais pour moi qu'en me livrant à des infamies !... Oui, monsieur, oui, je vais vous obéir ; vous me proposez un crime... je vais m'y livrer... oui, je vais le commettre, pour en épargner un bien plus atroce aux scélérats qui me font périr. Le geôlier se retire ; le temps presse ; déjà l'air retentit des sons lugubres de cette cloche qui annonce aux malheureux condamnés qu'ils n'ont plus qu'un moment à vivre1. Notre héroïne vient se placer près de son confrère ; elle lui dérobe l'effet désiré, le remet au gardien, qui, dans le même instant, pour récompense, lui ouvre les portes, et lui donne un louis pour sa route. - Fuyons, fuyons, s'écrie cette infortunée dés qu'elle est seule ; quittons promptement un pays où le bonheur que j'y espérais s'éloigne avec autant d'acharnement. La nuit vient ; les ténèbres favorisent sa fuite, et la voilà dans la route de Paris, où la portent ses résolutions, dans l'espoir d'y rejoindre sa sœur, de l'attendrir sur ses infortunes, et de trouver au moins près d'elle quelques ressources à son affreuse misère. Telles furent les idées qui nourrirent Justine jusqu'aux environs d'Essonne. Il était environ quatre heures du soir ; elle marchait sur l'un des bas-côtés de la route, lorsqu'elle aperçoit une dame de la plus grande élégance, qui se promenait avec quatre hommes. - Abbé, dit cette dame en s'adressant à l'une des personnes qui l'accompagnaient, voilà une créature dont la figure me frappe... Mademoiselle, un mot, je vous prie... Voudriez-vous bien me dire votre nom... ce que vous êtes ? - Oh ! madame, la plus malheureuse des filles ! - Mais, votre nom, enfin ? - Justine. - Justine !... quoi ! vous seriez la fille du banquier N... ? - Oui, madame... - Mes amis, c'est ma sœur... oui, ma sœur, que ces guenilles et ces haillons vous déguisent. Tel devait être son sort ; je le lui avais prédit... elle était sage, comment n'eût-elle pas échoué ? Venez, mon enfant, venez à mon château ; je suis curieuse de savoir par quelle fatalité je vous retrouve. On rentre. - Eh quoi ! dit Justine éblouie du faste qu'elle vois régner partout, pendant que je puis à peine soutenir mes faibles jours, voilà donc, ma sœur, les richesses qui vous environnent ! - Ô fille pusillanime, répondit Juliette, cesse de te surprendre ; je t'avais annoncé tout cela. J'ai suivi la route du vice, moi, mon enfant ; je n'y ai jamais trouvé que des roses. Moins philosophe que moi, tes maudits préjugés t'ont fait révérer des chimères ; tu vois ou elles t'ont conduite ! Abbé, poursuivit la célèbre sœur de notre héroïne, qu'on lui fasse donner des habits plus décents, et qu'on mette son couvert avec nous ; demain nous écouterons le récit de ses malheurs. Justine, rafraîchie, reposée, raconta le lendemain à toute la société les aventures que l'on vient de lire. Quelque abattue que fût cette belle fille, elle plut à tout le monde ; et nos libertins, en l'examinant, ne peuvent s'empêcher de la louer. Oui, dit l'un d'eux que l'on verra bientôt figurer dans les aventures de la sœur de Justine ; oui, voilà bien ici les Malheurs de la Vertu ; et là, poursuivit-il en montrant Juliette, là, mes amis, les Prospérités du Vice. Le reste de la soirée fut employé au repos ; et, dès le lendemain, Juliette annonça à ses amis qu'elle voulait raconter son histoire à sa sœur, afin, disait-elle, de la faire mieux juger de la puissante manière dont le ciel protège et récompense toujours le vice, quand il abat et contriste la vertu. - Écoute-moi, Justine. Vous, Noirceuil et Chabert, je ne vous invite point à entendre de nouveau des détails dans lesquels vous avez trop de part, pour qu'ils ne vous soient pas familiers. Allez passer quelques jours à la campagne ; nous verrons, à votre retour, ce qu'on pourra faire de cette fille. Mais vous, marquis, et vous, mon cher chevalier, je vous prie d'entendre ce que j'ai à vous dire, et d'être persuadés que ce n'est pas sans fondement que Chabert et Noirceuil vous ont souvent dit qu'il existait bien peu de femmes plus singulières que moi dans le monde. On passe dans un salon délicieux. La compagnie se place sur des canapés ; Justine ne prend qu'une chaise ; et Juliette, au fond d'une ottomane, commence ses récits de la manière dont nos lecteurs le verront dans les volumes qui suivent.