Fénelon, François de (1651-1715)

Explication des Maximes des saints sur la Vie intérieure (édition Chérel)

Avertissement §

J’ai toujours crû qu’il fallait parler et écrire le plus sobrement qu’on pourrait sur les voies intérieures. Quoiqu’elles ne renferment rien qui ne soit manifestement conforme à la règle immuable de la foi et des mœurs évangéliques, il me parait néanmoins que cette matière demande une espèce de secret. Le commun des lecteurs n’est point préparé pour faire avec fruit de si fortes lectures. C’est exposer ce qu’il y a de plus pur et de plus sublime dans la Religion à la dérision des esprits profanes, aux yeux desquels le mystère de J.-C. crucifié est déjà un scandale et une folie. C’est mettre entre les mains des hommes les moins recueillis et les moins expérimentés le secret ineffable de Dieudans les cœurs, et ces hommes ne sont capables ni de s’en instruire, ni de s’en édifier. D’un autre côté c’est tendre à toutes les Âmes crédules et indiscrètes un piège pour les faire tomber dans l’illusion ; car elles s’imaginent bien tôt être dans tous les états qui sont représentés dans les livres : par là elles deviennent visionnaires et indociles ; au lieu que si on les tenait dans l’ignorance de tous les états qui sont au-dessus du leur, elles ne penseraient à entrer dans les voies d’amour désintéressé et de contemplation qu’autant qu’elles y seraient portées par le seul attrait de la grâce, sans que leur imagination échauffée par des lectures y eût aucune part. Voilà ce qui m’a persuadé qu’il fallait garder autant qu’on le pourrait le silence sur cette matière, de peur d’exciter trop la curiosité du public, qui n’a ni l’expérience ni la lumière de grâce nécessaire pour examiner les ouvrages des Saints. Car l’homme animal ne peut ni discerner ni goûter les choses de Dieu telles que sont les voies intérieures. Mais puisque cette curiosité est devenue universelle depuis quelque temps, je crois qu’il est important d’écrire pour empêcher qu’elle n’aille jusqu’à des excès dangereux, et qu’il est aussi nécessaire de parler contre l’illusion, qu’il eût été à souhaiter de se taire sur les expériences mêmes les plus véritables.

Je me propose dans cet Ouvrage d’expliquer les expériences et les expressions des Saints, pour empêcher qu’ils ne soient exposés à la dérision des impies. En même temps je veux éclaircir aux Mystiques le véritable sens de ces saints Auteurs, afin qu’ils connaissent la juste valeur de leurs expressions. Quand je parle des saints Auteurs, je me borne à ceux qui sont canonisez, ou dont la mémoire est en bonne odeur dans toute l’Église, et dont les écrits ont été solennellement approuvez après beaucoup de contradictions. Je ne parle que des Saints qui ont été canonisez ou admirez de toute l’Église, pour avoir pratiqué et fait pratiquer au prochain le genre de spiritualité qui est répandue dans tous leurs écrits. Sans doute il n’est pas permis de rejeter de tels Auteurs, ni de les accuser d’avoir innové contre la tradition.

Je veux montrer combien ces saints Auteurs sont éloignez de blesser le dogme de la loi et de favoriser l’illusion. Je veux montrer aux Mystiques que je n’affaiblis rien de tout ce qui est autorisé par les expériences et par les maximes de ces Auteurs qui sont nos modèles. Je veux les engager par là à me croire quand je leur ferai voir les bornes précises que ces mêmes Saints nous ont marqués, et au-delà desquelles il n’est jamais permis d’aller. Les Mystiques à qui je parle ne sont ni des fanatiques, ni des hypocrites qui cachent sous des termes de perfection le mystère d’iniquité. À Dieu ne plaise que j’adresse la parole de vérité à ces hommes qui ne portent point le mystère de la Foi dans une conscience pure : ils ne méritent qu’indignation et horreur. Je parle aux Mystiques simples, ingénus et dociles. Ils doivent savoir que l’illusion a toujours suivi de prés les voies les plus parfaites. Dès l’origine du Christianisme les faux Gnostiques hommes exécrables voulurent se confondre avec les vrais gnostiques qui étaient les Contemplatifs et les plus parfaits d’entre les Chrétiens. Les Beguards ont imité faussement les Contemplatifs de ces derniers siècles, tels que saint Bernard, Richard et Hugues de saint Victor. Gerson ne doit pas être suspect aux mystiques. Bellarmin en parlant de Rusbroc que Gerson avait critiqué remarque que les expressions des Auteurs Mystiques ont été souvent blâmées sur des équivoques. Il arrive d’ordinaire, dit-il, à ceuxqui écrivent de la Théologie mystique, que leurs expressions sont blâmées par les uns et louées par les autres, parce qu’elles ne sont pas prises par tout le monde dans le même sens. Le Cardinal Bona dit aussi, que ceux qui sont dans la Contemplation passive sont les moins habiles pour s’exprimer, mais les plus excellents dans la pratique et dans l’expérience. En effet rien n’est si difficile que de faire bien entendre des états qui consistent en des opérations si simples, si délicates, si abstraites des sens, et de mettre toujours en chaque endroit tous les correctifs nécessaires pour prévenir l’illusion, et pour expliquer en rigueur le dogme théologique. Voilà ce qui a scandalisé une partie des Lecteurs qui ont lu les Livres des Mystiques, et qui a exposé à l’illusion plusieurs autres de ces Lecteurs. Pendant que l’Espagne était remplie dans le siècle passé de tant de Saints d’une grâce merveilleuse, les illuminez furent découverts dans l’Andalousie, et rendirent suspects les plus grands Saints. Alors sainte Thérèse, Balthazar Alvarez et le Bienheureux Jean de la Croix eurent besoin de se justifier. Saint François de Sales n’a pas été exempt de contradiction ; et les Critiques n’ont point su connaître combien il joint une Théologie exacte et précise avec une lumière de grâce qui est très éminente. Il a fallu une apologie au saint Cardinal de Berulle. Ainsi la paille a souvent couvert le bon grain, et les plus purs Auteurs de la Vie intérieure ont eu besoin d’explication, de crainte que des expressions prises dans un mauvais sens n’altérassent la pure doctrine.

Ces exemples doivent rendre les Mystiques sobres et retenus surtout dans un temps ou il est certain que les Quietistes ont abusé de diverses expressions des saints pour établir des maximes très pernicieuses. Si les mystiques sont humbles et dociles, ils doivent laisser aux Pasteurs de l’Église non seulement la décision absolue sur la Doctrine, mais encore le choix de tous les termes dont il est à propos de se servir. Saint Paul veut ne manger jamais de viande plutôt que de scandaliser le moindre de ses frères pour qui Jesus-Christ est mort. Gomment pourrions-nous donc être attachez à quelque expression dés qu’elle scandalise quelque aine infirme ? Que les mystiques lèvent donc toute équivoque, puisqu’ils apprennent qu’on a abusé de leurs termes pour corrompre ce qu’il y a de plus saint : que ceux qui ont parlé sans précaution d’une maniéré impropre et pour exagérée s’expliquent et ne laissent rien à désirer l’édification de l’Église : que ceux qui se sont trompez pour le fonds de la doctrine ne se contentent pas de condamner l’erreur, mais qu’ils avouent de l’avoir crue ; qu’ils rendent gloire à Dieu ; qu’ils n’aient aucune honte d’avoir erré ce qui est le partage naturel de l’homme ; et qu’ils confessent humblement leurs erreurs, puisqu’elles ne seront plus leurs erreurs dès qu’elles seront humblement confessées. C’est pour déméler le vrai d’avec le faux dans une matière si délicate et si importante que deux grands Prélats ont donné au public trente-quatre propositions qui contiennent en substance toute la Doctrine des voies intérieures. Je les ai arrêtées autrefois avec eux et avec M. l’abbé Tronson avant que je fusse dans l’épiscopat. Et je ne prétends dans cet ouvrage qu’en expliquer les principes avec plus d’étendue. On les trouvera à la fin de cet avertissement.

Toutes les voies intérieures tendent à l’amour pur ou désintéressé ; parce qu’elles doivent toujours tendre vers la plus liante perfection et que cet amour pur est le plus liant degré de la perfection chrétienne. Il est le terme de toutes les voies que les Saints ont connu. Quiconque n’admet rien au-delà est dans les bornes de la tradition. Quiconque passe cette borne est déjà égaré. Si quelqu’un doute de la vérité et de la perfection de cet amour, j’offre de lui en montrer une tradition si claire et si constante depuis les Apôtres jusqu’à saint François de Sales qu’aucun théologien persuadé du sentiment contraire ne pourra traiter cette doctrine de nouveauté, et je donnerai là-dessus au public quand on le désirera un recueil de tous les passages des Peres, des Docteurs de l’École, et des saints Mystiques qui parlent unanimement. On verra dans ce recueil que les anciens Peres ont parlé aussi fortement que saint François de Sales, et qu’ils ont fait pour le désintéressement de l’amour les mêmes suppositions sur le salut, dont les critiques dédaigneux se moquent tant quand ils les trouvent dans les Saints des derniers siècles. Saint Augustin même que quelques personnes ont crû opposé à cette doctrine ne l’enseigne pas moins que les autres. Il est vrai qu’il est capital de bien expliquer ce pur amour, et de marquer précisément les bornes au-delà desquelles son désintéressement ne peut jamais aller. Son désintéressement ne peut jamais exclure la volonté d’aimer Dieu sans bornes ni pour le degré, ni pour la durée de l’amour ; il ne peut jamais exclure la conformité au bon plaisir de Dieu qui veut notre salut, et qui veut que nous le voulions avec lui pour sa gloire. Cet amour désintéressé toujours inviolablement attaché a toutes les volontés de Dieu, et particulièrement a sa volonté écrite fait tous les mêmes actes et exerce toutes les mêmes vertus distinctes que l’amour intéressé, avec cette unique différence qu’il les exerce d’ordinaire d’une manière simple, paisible, et dégagée de tout motif de propre intérêt.

La sainte Indifférence si louée par saint François de Sales n’est que le désintéressement de cet amour qui est toujours indiffèrent et sans volonté mercenaire intéressée pour soi-même, mais toujours déterminé et voulant positivement tout ce que Dieu nous fait vouloir par sa volonté écrite et par l’attrait de sa grâce non seulement pour sa gloire mais encore pour nôtre béatitude rapportée à sa gloire.

Pour parvenir à cet état il faut purifier l’amour, et toutes les épreuves intérieures ne sont que sa purification. La Contemplation même la plus passive n’est que l’exercice paisible et uniforme de ce pur amour. On ne passe insensiblement de la méditation où l’on fait des actes méthodiques et discursifs, à la Contemplation dont les actes sont simples et directs, qu’à mesure qu’on passe de l’amour intéressé au désintéressé. L’état passif et la transformation avec les noces spirituelles et l’union essentielle ou immédiate ne sont que l’entière pureté de cet amour, dont l’état est habituel en un très petit nombre d’aines, sans être jamais ni invariable, ni exempt de fautes vénielles. Quand je parle de tous ces différents degrés dont les noms sont si peu connus du commun des Fidelles, je ne le fais qu’à cause qu’ils sont consacrés par l’usage d’un grand nombre de Saints approuvez par l’Église et qui ont expliqué par ces termes leurs expériences. De plus je ne les rapporte que pour les expliquer avec la plus rigoureuse précaution. Enfin toutes les voies intérieures aboutissent au pur amour comme à leur terme, et le plus haut de tous les degrés dans le pèlerinage de cette vie est l’état habituel de cet amour. Il est le fondement et le comble de tout l’édifice. Rien ne serait plus téméraire que de combattre la pureté de cet amour si digne de là perfection de nôtre

Dieu à qui tout est du, et de sa jalousie qui est un feu consumant. Mais aussi rien ne serait plus téméraire que de vouloir par un raffinement chimérique ôter à cet amour la réalité de ses actes dans la pratique des vertus distinctes. Enfin il ne serait ni moins téméraire ni moins dangereux de mettre la perfection des voies intérieures dans quelque état mystérieux au-delà de ce terme fixe d’un état habituel de pur amour.

C’est pour prévenir tous ces inconvénients que je me propose de traiter dans cet ouvrage toute la matière par articles rangez suivant les divers degrés que les mystiques nous ont marqué dans la vie spirituelle. Chaque article aura deux parties. La première sera la vraie que j’approuverai, et qui renfermera tout ce qui est autorisé par l’ expérience des Saints, et réduit à la doctrine saine du pur Amour. La seconde partie sera la fausse, on j’expliquerai l’endroit précis dans lequel le danger de l’illusion commence. En rapportant ainsi dans chaque article ce qui est excessif, je le qualifierai et je le condamnerai dans toute la rigueur théologique.

Ainsi mes articles seront dans leur première partie un recueil de définitions maisonnées aussi exactes qu’il me sera possible sur les expressions des Saints pour les réduire toutes à un sens incontestable qui ne puisse plus faire aucune équivoque, ni alarmer les âmes les plus timorées. Ce sera une espèce de dictionnaire par définition pour savoir la valeur précise de chaque terme. Ces définitions rassemblées formeront un système simple et le plus complet que je pourrai de toutes les voies intérieures pour lui donner une parfaite unité, puis que tout s’y réduira clairement à l’exercice du pur amour aussi fortement enseigné par tous les anciens Peres, que par les Saints les plus récents.

D’un autre côté la seconde partie de mes articles montrera toute la suite des faux principes qui peuvent former l’illusion la plus dangereuse contre la Foi et contre les moeurs sous une apparence de perfection.

En chaque article je tâcherai de marquer où commence l’équivoque, et de censurer tout ce qui est mauvais, sans affaiblir jamais en rien tout ce que l’expérience des Saints autorise. Les bons Mystiques s’ils veulent m’écouter sans prévention verront bien que je tâche de les entendre, et de prendre leurs expressions dans la juste étendue de leur sens véritable. Je leur laisse même à juger si je n’explique pas leurs maximes avec plus d’exactitude que la plupart d’entre eux n’ont pu jusqu’ici les expliquer, parce que je me suis principalement appliqué à réduire leurs expressions à des idées claires, précises, et autorisées par la Tradition, sans affaiblir le fonds des choses au lieu que quelques mystiques faute d’être exactement instruits des dogmes théologiques se servent d’expressions impropres et exagérées qui exposent a l’illusion. Tous les Mystiques qui n’aiment que la vérité et l’édification de l’Église doivent ce me semble être satisfaits de mon plan. J’aurais pu y joindre un grand nombre de Passages formels des plus anciens Peres aussi bien que des Docteurs de l’École et des Saints Mystiques ; mais cette entreprise rejetait dans une longueur et dans des répétitions innombrables qui m’ont épouvanté pour le Lecteur. C’est ce qui me fait supprimer ce recueil de Passages déjà rangez dans leur ordre. Pour épargner la peine du Lecteur je suppose d’abord cette Tradition constante et je ne la propose comme décisive que pour montrer que mon sentiment loin d’être nouveau est fondé sur des autorités de l’antiquité la plus pure, et sur les témoignages des bons auteurs dans la suite de tous les siècles, enfin je me borne à montrer un système clair et suivi dans des définitions Theologiques. La sécheresse de cette méthode me parait un inconvénient très fâcheux, mais moindre que celui d’une longueur accablante.

Il ne me reste qu’à exécuter ce plan, que je viens d’expliquer. J’en attends la force non de moi, mais de Dieu qui se plaît à se servir du plus vil et du plus indigne instrument. Ma doctrine ne doit point être ma doctrine, mais celle de Jesus-Christ qui envoie les Pasteurs. Malheur à moi si je disais quelque chose de moi-même. Malheur à moi si dans la fonction d’instruire les autres, je n’étais moi-même le plus docile et le plus soumis des enfants de l’Eglise Catholique, Apostolique et Romaine.

Je commencerai l’exécution de ce plan par une exposition simple des divers sens qu’on peut donner au nom d’amour de Dieu, pour faire entendre nettement et précisément l’état des questions en cette matière ; après quoi le Lecteur trouvera mes articles qui approuvent le vrai et condamnent le faux sur chaque point des voies intérieures.

Extrait du privilège du roi

Par Lettres Patentes du Roi données à Paris le 17 décembre 1696. Signées De S. Hilaire : Il est permis à Messire François de Salignac Fenelon Archevêque Duc de Cambrai, Précepteur de Messeigneurs les Ducs de Bourgogne, d’Anjou et de Berry, de faire imprimer par tel Libraire qu’il voudra choisir, le Livre qu’il a composé, intitulé : Explication des MaximesdesSaints sur la vie intérieure ; et cependant le temps et espace de huit années entières et consécutives, à commencer du jour que ledit Livre sera achevé d’imprimer pour la première fois, avec défenses à toutes personnes d’en vendre d’autre impression, à peine de confiscation des Exemplaires contrefaits, trois mille livres d’amendes, et de tous dépens, dommages et intérêts.

Mondit Seigneur Archevêque a cédé son droit de Privilege à Pierre Auboüyn, Libraire de Messeigneurs les Enfans de France, qui en a fait part à Pierre Émery, et Charles Clousier, pour eu jouir suivant l’accord fait entr’eux.

Registre sur le Livre de la Communauté des Libraires et Imprimeurs de Paris, le 10 janvier 1697. Signé : P. Aubouyn, Syndic.

Achevé d’imprimer pour la première fois le 25 janvier 1697.

Trente-quatre articles des ordonnances du 16 et 20 avril 1695.

Tout chrétien en tout état, quoique non à tout moment, est obligé de conserver l’exercice de la foi, de l’espérance et de la charité, et d’en produire des actes comme de trois vertus distinguées.

Tout chrétien est obligé d’avoir la foi explicite en Dieu Tout-puissant créateur du ciel et de la terre, rémunérateur de ceux qui le cherchent, et en ses autres attributs également révélez ; et à faire des actes de cette foi en tout état, quoique non à tout moment.

Tout chrétien est pareillement obligé à la foi explicite en Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, et à faire des actes de cette foi en tout état, quoique non à tout moment.

Tout chrétien est de même obligé à la foi explicite en Jésus-Christ et homme comme médiateur, sans lequel on ne peut approcher de Dieu, et à faire des actes de cette foi en tout état, quoique non à tout moment.

Tout chrétien en tout état, quoique non à tout moment, est oblige de vouloir, désirer et demander explicitement son saint éternel, comme chose que Dieu veut, et qu’il veut que nous voulions pour sa gloire.

Dieu veut que tout chrétien en tout état, quoique non à tout moment, lui demande expressément la rémission de ses péchez, la grâce de n’en plus commettre la persévérance dans le bien, l’augmentation des vertus, et tonte autre chose requise pour le salut éternel.

En tout état le chrétien a la concupiscence a combattre, quoique non toujours également ; ce qui l’oblige en tout état, quoique non à tout moment, à demander force contre les tentations.

Toutes ces propositions sont de la foi catholique, expressément contenues dans le symbole des Apôtres et dans l’Oraison dominicale, qui est la prière commune et journalière de tons les enfants de Dieu ; ou même expressément définies par l’Eglise, comme celle de la demande de la rémission des péchés et du don de persévérance, et celle du combat de la convoitise, dans les conciles de Carthage, d’Orange et de Trente : ainsi les propositions contraires sont formellement hérétiques.

Il n’est pas permis à un chrétien d’être indifférent pour son salut, ni pour les choses qui y ont rapport : la sainte indifférence chrétienne regarde les événements de cette vie (à la réserve du péché) et la dispensation des consolations ou sécheresses spirituelles.

Les actes mentionnez ci-dessus ne dérogent point à la plus grande perfection du Christianisme, et ne cessent pas d’être parfaits pour être aperçus, pourvu qu’on en rende grâces à Dieu, et qu’on les rapporte à sa gloire.

Il n’est pas permis au chrétien d’attendre que Dieu lui inspire ces actes par voie et inspiration particulière ; et il n’a besoin pour s’y exciter que de la foi qui lui fait connaître la volonté de Dieu signifiée et déclarée par ses commandements, et des exemples des saints, en supposant toujours le secours de la grâce excitante et prévenante. Les trois dernières propositions sont des suites manifestes des précédentes, et les contraires sont téméraires et erronés.

Par les actes d’obligation ci-dessus marquez, on ne doit pas entendre toujours des actes méthodiques et arrangez ; encore moins des actes réduits en formules et sous certaines paroles, ou des actes inquiets ou empressez : mais des actes sincèrement formez dans le cœur, avec toute la sainte douceur et tranquillité qu’inspire l’esprit de Dieu.

Dans la vie et dans l’oraison la plus parfaite, tous ces actes sont mis dans la seule charité, en tant qu’elle anime toutes les vertus, et en commande l’exercice, selon ce que dit Saint-Paul : La Charité souffre tout, elle croit tout, elle espère tout, elle soutient tout.On en peut dire autant des autres actes du chrétien, dont elle réglé et prescrit les exercices distincts, quoiqu’ils ne soient pas toujours sensiblement et distinctement aperçus.

Le désir qu’on voit dans les Saints, comme dans Saint Paul et dans les autres de leur salut éternel et parfaite rédemption, n’est pas seulement un désir ou appétit indélibéré, mais comme l’appelle le même Saint Paul, une bonne volonté que nous devons former et opérer librement en nous avec le secours de la grâce, comme parfaitement conforme à la volonté de Dieu. Cette proposition est clairement révélée, et le contraire est hérétique.

C’est pareillement une volonté conforme à celle de Dieu, et absolument nécessaire en tout état, quoique non à tout moment, de vouloir ne pêcher pas ; et non seulement de condamner le péché, mais encore de regretter de l’avoir commis, et de vouloir qu’il soit détruit en nous par le pardon.

Les réflexions sur soi-même, sur ses actes et sur le don qu’on a reçus, qu’on voit par tout pratiquées par les Prophetes et parles Apostres, pour rendre grâces à Dieu de ses bienfaits, et pour autres fins semblables, sont proposées pour exemples à tous les fidèles, même aux plus parfaits ; et la doctrine qui les en éloigne et erronée et approche de l’hérésie.

Il n’y a de réflexions mauvaises et dangereuses que celles où l’on lait des retours sur ses actions et sur les dons qu’on a reçus, pour repaitre son amour- propre, se chercher un appui humain, ou s’occuper trop de soi-même.

Les mortifications conviennent à tout état du christianisme, et y sont souvent nécessaires ; et en éloigner les fidèles sous prétexte de perfection c’est condamner ouvertement Saint-Paul, et présupposer une doctrine erronée et hérétique.

L’oraison perpétuelle ne consiste pas dans un acte perpétuel et unique qu’on suppose sans interruption, et qui aussi ne doive jamais se réitérer ; mais dans une disposition et préparation habituelle et perpétuelle à ne rien faire qui déplaise à Dieu, et à faire tout pour lui plaire : la proposition contraire, qui exclurait en quelque état que ce fût, même parfait, toute pluralité et succession d’actes, serait erronée et opposée à la tradition de tous les Saints.

Il n’y a point de traditions apostoliques que celles qui sont reconnues par toute l’Église et dont l’autorité est décidée par le Concile de Trente : la proposition contraire est erronée, et les prétendues traditions apostoliques secrètes seraient un piège pour les fidèles, et un moyen d’introduire toute sorte de mauvaises doctrines.

L’oraison de simple présence de Dieu, ou de remise et de quiétude, et les autres oraisons ordinaires, mêmes passives, approuvées par saint François de Sales, et les autres spirituels reçus dans toute l’Église, ne peuvent être rejetées ni tenues pour suspectes sans une insigne témérité, et elles n’empêchent pas qu’on ne demeure toujours disposé à produire en temps convenable tous les actes ci-dessus marquez : les réduire en actes implicites ou éminents en faveur des plus parfaits, sous prétexte que l’amour de Dieu les renferme tous d’une certaine maniéré, c’est eu éluder l’obligation, et en détruire la distinction qui est révelée de Dieu.

Sans ces oraisons extraordinaires, on peut devenir un très grand saint, et atteindre à la perfection du Christianisme.

Réduire l’état intérieur et la purification de l’âme a ces oraisons extraordinaires, c’est une erreur manifeste.

C’en est une également dangereux d’exclure de l’état de contemplation, les attributs, les trois personnes divines et les mystères du Fils de Dieu incarné, surtout celui de la croix et celui de la résurrection ; et toutes les choses qui ne sont vues que par la foi sont l’objet du chrétien contemplatif.

Il n’est pas permis à un chrétien, sous prétexte d’oraison passive ou autre extraordinaire, d’attendre dans la conduite de la vie, tant au spirituel qu’au temporel que Dieu le détermine à chaque action par voie et inspiration particulière : et le contraire induit à tenter Dieu, à illusion et à nonchalance.

Hors le cas et les moments d’inspiration prophétique et extraordinaire, la véritable soumission que toute âme chrétienne, même parfaite, doit à Dieu, est de se servir des lumières naturelles qu’elle eu reçoit, et des règles de la prudence chrétienne en présupposant toujours que Dieu dirige tout par sa providence, et qu’il est auteur de tout bon conseil.

On ne doit point attacher le don de prophétie et encore moins l’état apostolique à un certain état de perfection et d’oraison, et les y attacher c’est induire à illusion, témérité et erreur.

XXVIII. Les voies extraordinaires avec les marques qu’en ont données les spirituels approuvez, selon eux-mêmes, sont très rares, et sont sujettes à l’examen des Evesques, supérieurs ecclésiastiques et docteurs, qui lui doivent en juger, non tant selon les expériences que selon les réglés immuables de l’Écriture et de la tradition ; enseigner et pratiquer le contraire, est secouer le joug de l’obéissance qu’on doit à l’Église.

S’il y a, ou s’il y a eu, en quelque endroit de la terre, un très petit nombre dames d’élite, que Dieu par des préventions extraordinaires et particulières qui lui sont connues, meuve à chaque instant de telle manière à tous actes essentiels au christianisme et aux autres bonnes œuvres, qu’il ne soit pas nécessaire de leur rien prescrire pour s’y exciter, nous le laissons au jugement de Dieu ; et sans avouer de pareils état, nous disons seulement dans la pratique, qu’il n’y a rien de si dangereux ni de si sujet à illusion, que de conduire les âmes comme si elles y étaient arrivées, et qu’en tout cas ce n’est point dans ces préventions qui consiste la perfection du christianisme.

Dans tous les articles susdits, en ce qui regarde la concupiscence, les imperfections, et principalement le péché : pour l’honneur de notre Seigneur nous n’entendons pas comprendre la Très Sainte-Vierge sa More.

Pour les aines que Dieu tient dans les épreuves, Job qui en est le modèle leur apprend à profiter du rayon qui revient par intervalles, pour produire les actes les plus excellents de foi, d’espérance et d’amour. Les spirituels leur enseignent à les trouver dans la cime et plus haute partie de l’esprit. Il ne faut donc pas leur permettre d’acquiescer à leur désespoir et damnation apparente, mais avec saint François de Sales les assurer que Dieu ne les abandonnera pas.

Il faut bien en tout état, principalement en ceux-ci, adorer la justice vengeresse de Dieu, mais non souhaiter jamais qu’elle s’exerce sur nous en toute rigueur, puisque même l’un des effets de cette rigueur est de nous priver de l’amour. L’abandon du chrétien est de rejeter en Dieu toute son inquiétude, mettre en sa bonté l’espérance de son salut, et comme l’enseigne saint Augustin après saint Cyprien, lui donner tout : ut totum delur Deo.

On peut aussi inspirer aux âmes peinées et vraiment humbles une soumission et consentement à la volonté de Dieu, quand même, par une très fausse supposition, au lieu des biens éternels qu’il a promis aux âmes justes, il les tiendrait par son bon plaisir dans des tournions éternels, sans néanmoins qu’elles soient privées de sa grâce et de son amour : qui est un acte d’abandon parfait et d’un amour pur pratiqué par des Saints, a qui le peut être utilement avec une grâce très particulière de Dieu par les aines vraiment parfaites : sans déroger à l’obligation dos autres actes ci-dessus marquez qui sont essentiels au Christianisme.

XXXIV. Au surplus il est certain que les commençons et les parfaits doivent être conduits chacun selon sa voie par des réglés différentes, et que les derniers en tendent plus hautement et plus a fond les vérités chrétiennes

Exposition de cinq divers états d’amour de Dieu

On peut aimer Dieu, non pour lui, mais pour les biens distinguez de lui, qui dépendent de sa puissance, et qu’on espère en obtenir, en sorte qu’on ne l’aimerait point sans ce motif. Tel était l’amour de ceux d’entre les Juifs qui étaient charnels, et qui observaient la Loy, pour être récompensés par la rosée du Ciel, et par la fertilité de la terre. Cet amour n’est ni chaste, ni filial, mais purement servile. À parler exactement, ce n’est pas aimer Dieu, c’est s’aimer soi-même, et rechercher uniquement pour soi, non Dieu, mais ce qui vient de lui.

2° On peut, quand on a la foi, n’avoir aucun degré de charité. On sait que Dieu est notre unique béatitude ; c’est-à-dire le seul objet dont la vu peut nous rendre bienheureux. Si en cet état on aimait Dieu, comme le seul moyen propre à nôtre bonheur, et par l’impuissance de trouver nôtre bonheur en aucun autre objet : si on regardait Dieu comme un moyen de félicité, qu’on rapporterait uniquement à soi comme fin dernière, en sorte que l’âme fut déterminée a ne le point aimer si ce n’était pour elle-même et pour son bonheur, cet amour serait plutôt un amour de soi qu’un amour de Dieu : du moins, il serait contraire à l’ordre ; car il rapporterait Dieu en le regardant comme objet, ou moyen de nôtre félicité, à nous et à nôtre félicité propre.

Quoique cet amour ne nous fit point chercher d’autre récompense que Dieu seul, il serait néanmoins purement mercenaire, et de pure concupiscence. Saint Bernard suppose cet amour, et il en fait le second des quatre qu’il représente dans son traité de l’amour de Dieu. L’homme, dit-il, aime déjà Dieu, mais néanmoins encore pour soi et non pour Dieu même. « Amat ergo jam Deum, sed propter se interim adhuc non propter ipsum ». Saint François de Sales suppose aussi cet état d’amour, et voici comment il en parle : L’âme, dit ce saint, qui n’aimerait Dieu que pour l’amour d’elle-même, établissant la fin de l’amour qu’elle porte à Dieu en sa propre commodité, hélas elle commettrait un extrême sacrilège… L’âme qui n’aime Dieu que pour l’amour d’elle-même, elle s’aime comme elle devrait aimer Dieu ; et elle aime Dieu comme elle de- v ?’oit s’aimer elle-même. C’est comme qui dirait : L’amour que je vie ’porte est la fin pour laquelle j’aime Dieu : en sorte que l’amour de Dieu soit dépendant, subalterne et inférieur à l’amour propre

Ce qui est une impiété non pareille.

3° Ou peut aimer Dieu d’un amour qu’on nomme d’espérance et qui peut précéder la justification du pecheur, alors l’homme qui a cet amour ne rapporte point Dieu comme moyen a soi, comme fin, de même que dans l’amour de pure concupiscence. Il peut même préférer Dieu a tous les objets qui sont hors de lui. Mais il ne préfère pourtant pas encore Dieu a soi-même. S’il le fait, ce n’est que par un amour effectif, comme dit saint François de Sales, et non par un amour effectif, qui est le seul de préférence réelle. C’est pourquoi cet amour ne justifie pas quand il est tout seul. Ce saint parle ainsi de cet amour. Je ne dis pas toutefois qu’il revienne tellement à nous, qu’il nous fasse aimer Dieu seulement pour l’amour de nous… Il y a bien de la différence entre celleparole : J’aime Dieu pour le bien que j’en attends ; et celle-ci : Je n’aime Dieu que pour le bien que j’en attends. Cet amour d’espérance, quand il précédé la justification, n’empêche point que l’amour de nous-mêmes ne soit encore le plus fort en nous. C’est un commencement de conversion, car c’est un commencement d’amour véritable pour Dien, mais cet amour n’est pas encore dominant, et de préférence de Dieu a nous-mêmes. Ainsi, ce n’est pas encore la véritable justice. C’est de cet amour d’espérance dont saint François de Sales a parlé ainsi : Le souverain amour n’est qu’en la charité ; mais en l’espérance, l’amour est imparfait, parce qu’il ne tend pas en la bonté infinie, en tant qu’elle est telle en elle-même ; mais en tant qu’elle nous est telle… Quoiqu’en vérité, nul par ce seul amour ne puisse ni observer les Commandemens de Dieuni avoir la vie éternelle.

4° Il y a un état d’amour véritablement justifiant ou l’âme ne fait pas encore fréquemment des actes de charité. Mais ceux qu’elle fait sont purs et de la même espèce que ceux du 5e état que nous verrons ensuite. Ces actes regardent Dieu en lui-même et dans sa perfection, sans rapport a nous, mais il y a encore alors dans l’aine un reste d’amour intéressé parce que l’aine qui est dans cet état fait le plus souvent les actes d’espérance et des autres vertus sans qu’ils soient prévenus, animez et commandez par la charité. Alors ces actes ont presque toujours un reste d’amour de nous même qui est la cupidité soumise et qui n’est pas l’amour de charité. Cet état est néanmoins justifiant parce qu’il renferme, non seulement la charité infuse et habituelle, mais encore des actes de vraie charité, et que les actes des autres vertus y sont rapportés tantôt habituellement, tantôt virtuellement quelquefois même formellement à la fin dernière. C’est cet amour dont saint François de Sales parle dans l’endroit ci-dessus : Le souverain amour n’est qu’en la charité. L’amour de cet état est souverain en ce qu’il préféré Dieu a toutes les choses créées et a soi-même.

Ce n’est que par cette préférence qu’il est capable de nous justifier. Il ne préfère pas moins Dieu et sa gloire, à nous et à nos intérêts, qu’a toutes les créatures qui sont hors de nous. En voici la raison : C’est que nous lie sommes pas moins des créatures viles, et indignes d’entrer en comparaison avec Dieu, que le reste des êtres créez. Dieu qui ne nous a faits pour les autres créatures, ne nous a point faits non plus pour nous-mêmes, mais pour lui seul.

Il n’est pas moins jaloux de nous, que des autres objets extérieurs que nous pouvons aimer. À proprement parler, l’unique chose dont il est jaloux en nous, c’est nous-mêmes ; car il voit clairement que c’est nous- mêmes que nous sommes tentés d’aimer dans la jouissance de tous les objets extérieurs. Il est incapable de se tromper dans sa jalousie. C’est l’amour de nous- mêmes, auquel se réduisent toutes nos affections. Tout ce qui ne vient pas du principe de la charité, c’est a dire de l’amour de Dieu ou de son ordre en général, comme saint Augustin le dit si souvent, vient de la cupidité, c’est a dire de l’amour de nous même. Ainsi c’est cet amour, unique racine de tous les vices, quand il n’est point subordonné à Dieu, que la jalousie de Dieu attaque précisément en nous. Tandis que nous n’avons encore qu’un amour d’espérance, où l’intérêt de la gloire de Dieu ne domine point sur l’amour de nous-mêmes, une âme n’est point encore juste. Mais quand l’amour désintéressé ou de charité commence à prévaloir sur le motif de l’intérêt propre, alors l’âme qui aime Dieu, est véritablement aimée de lui. Cette charité véritable n’est pourtant pas encore toute pure, c’est-à-dire que l’état de cette aine n’est pas encore sans aucun mélange : quoique les actes de charité soient toujours purs en eux-mêmes : mais l’amour de charité prévalant sur le motif intéressé, on nomme cet état un état de charité. L’âme aime alors Dieu pour lui et pour soi ; mais en sorte qu’elle aime principalement la gloire de Dieu, et qu’elle y cherche son bonheur propre par le mélangé d’un motif d’amour de soi qui n’est point l’amour de charité, quoiqu’elle rapporte et subordonne son bonheur même à la fin dernière, que est la gloire de son Créateur. Il n’est pas nécessaire qui cette préférence de Dieu et de sa gloire, n nous et à nos intérêts, soit toujours explicite dans l’aine juste. La foi nous assure que la gloire de Dieu et notre félicité sont inséparables. Il suffit que cette préférence si juste et si nécessaire soit réelle, mais implicite, pour les occasions communes de la vie. Il n’est nécessaire qu’elle devienne explicite, que dans les occasions extraordinaires, où Dieu voudrait nous éprouver pour nous purifier. Alors, il nous donnerait, à proportion de l’épreuve, la lumière et le courage pour la porter, et pour développer dans nos cœurs cette préférence. Hors de là, il serait dangereux de la chercher scrupuleusement dans le fonds de nos cœurs.

5° On peut aimer Dieu d’un amour que les saints ont appelé pur. Ce n’est pas que dans cet état on fasse des actes de charité d’une autre espèce que ceux du 4e état précèdent les actes de charité sont toujours spécifiquement les mêmes, ils sont seulement plus fréquents et plus intenses dans ce 5e état. Il ne faut pas s’imaginer non plus que l’âme n’y fasse que des actes de charité. Elle y en fait très fréquemment de toutes les autres vertus distinctes, et entr’autres de l’espérance avec leurs motifs spécifiques. Mais voici la différence précise qui est entre le 4e et le 5e état. C’est que dans le 4e l’espérance excitée par un amour de nous même qui n’est point de pure charité prévient d’ordinaire a son tour, excite, et soutient la charité dans ses refroidissements au lieu que dans le 5e état c’est presque toujours la charité forte et prévenante qui anime l’espérance et qui en commande expressément les actes pour les rapporter a sa propre fin. Elle fait de même a l’égard des autres vertus en sorte que presque tons les actes méritoires de cet état sont ou des actes de pure charité ou des actes de vertus distinguées par leurs motifs spécifiques, mais animez et commandez expressément par la charité qui les rapporte en même temps a sa propre fin. Ainsi d’un côté la charité est alors si forte qu’elle n’a plus d’ordinaire besoin d’être prévenue et préparée par l’espérance. Voilà le cas ou les saints disent qu’ils n’aiment plus pour la récompense, et qu’ils aimeraient autant, quand même il n’y aurait point de béatitude à espérer. D’un autre côté les actes d’espérance et des autres vertus étant commandés avec leurs motifs spécifiques par la charité, ils sont élevés et épurez par elle puisqu’elle ne les commande que pour les rapporter en même temps a sa propre fin. Selon saint Thomas, ils conservent leur propre spécification, quoiqu’ils soient commandés par une vertu supérieure, et ils entrent néanmoins dans l’espèce de cette vertu supérieure qui les commande et qui les rapporte a sa fin.

En cet état, une âme aime Dieu au milieu des peines de manière qu’elle ne l’aimerait pas davantage quand même il la comblerait de consolation. Ni la crainte des peines ni le désir ou l’attente des récompenses n’ont plus d’ordinaire de part aux actes de cet amour, purus amor de spe vires non sumit, dit saint Bernard. On n’aime plus Dieu ni pour l’intérêt du mérité, ni pour celui de la perfection, ni pour celui du bonheur qu’on trouve en l’aimant. Ce n’est pas qu’on ne veuille et le mérité et la perfection et le bonheur par conformité a l’ordre de Dieu, on veut même ces choses pour soi. On les veut par leur raison précise, on comme parle l’école, par leur motif spécifique, c’est-à-dire qu’on les veut parce qu’elles nous sont bonnes, qu’elles sont aimables dans l’ordre de Dieu, et qu’elles nous sont convenables par leur degré de bien pour notre fin dernière qui est Dieu même. On les veut par amour pour soi, mais l’amour pour soi qu’on a d’ordinaire en cet état de haute perfection est un amour de charité, et l’idée peu noble qui est attachée dans nôtre langue au terme d’intérêt ne convient point a un amour de nous-mêmes si pur et si désintéressé. Par intérêt et par motif intéressé, il est naturel d’entendre un amour de soi qui est autre que cet amour de nous si pur et si parfait, suivant lequel on ne s’aime plus que comme le reste des créatures, dans l’ordre de Dieu et du même amour dont on aime sa beauté souveraine. Alors on aimerait autant Dieu quand même par supposition impossible, il devrait ignorer qu’on l’aime ou qu’il voudrait faire souffrir des peines éternelles a ceux qui l’auraient aimé. En cet état, on l’aime néanmoins toujours comme souveraine et infaillible béatitude de tous ceux qui lui sont fidèles. On l’aime comme nôtre bien personnel, comme nôtre récompense, comme nôtre tout : mais 011 ne l’aime plus par le motif intéressé de la récompense et du bonheur, c’est a dire par le motif qui vient d’un autre amour de nous-mêmes que celui de la charité, car pour le motif spécifique [de vertu] de l’espérance qui est inséparable de l’amour de charité pour nous-mêmes, il est toujours essentiel, et il ne peut jamais diminuer le désintéressement des actes.Tel est l’amour pur et parfait autant qu’il peut l’être dans les fragilités et les variations du pèlerinage de cette vie. Cet amour, quoique pur d’ordinaire, fait néanmoins exercer les actes de tontes les mêmes vertus que l’amour moins parfait : avec cette unique différence, qu’il chasse la crainte aussi bien que toutes les inquiétudes, et qu’il est même exempt des empressements de l’amour moins désintéressé.

Au reste, je déclare que pour éviter toute équivoque, dans une matière où il est si dangereux d’en faire, et si difficile de n’en faire aucune ; j’observerai toujours exactement les noms que je vais donner à ces cinq sortes d’amour pour les mieux distinguer.

L’état d’amour de ceux d’entre les Juifs qui étaient charnels et qui cherchaient Dieu pour les dons distinguez de lui, et non pour lui-même, peut être nommé l’amour purement servile. Mais comme nous n’aurons aucun besoin d’en parler, je n’en dirai rien dans cet ouvrage.

L’état d’amour par lequel on aimerait Dieu que comme un simple moyen de félicité, que l’on rapporterait absolument à soi, comme à la fin dernière, peut être nommé l’amour de pure concupiscence.

L’état d’amour où l’on aime Dieu véritablement et où l’on ne rapporte point Dieu comme moyen a soi, comme fin de même que dans celui de pure concupiscence, nais ou l’amour n’est pas encore de préférence effective de Dieu a soi est celui que je nomme d’espérance.

L’état d’amour, de préférence pour Dieu ou l’espérance et les autres vertus préviennent souvent la charité, et sont mêlées d’un motif d’amour de nous-mêmes qui est de cupidité soumise à la charité est un état moins parfait que l’état suivant, l’amour de charité y domine néanmoins : Iº par la charité infuse et habituelle, 2° par les actes de charité qui s’y exercent, 3º par l’exercice même des vertus qui y sont rapportées virtuellement ou habituellement à la fin principale et dernière qui est la gloire de Dieu. On devrait, par ces raisons, nommer cet état un état de charité. Mais domine nous aurons besoin à tout moment d’opposer cet amour à celui qu’on appelle pur ou entièrement désintéressé, je serai obligé de donner à ce quatrième amour es noms d’amour moins désintéressé ou d’amour mélangé d’intérêt propre ; parce qu’en effet, il a encore un reste d’intérêt propre, quoiqu’il soit un état d’amour de préférence de Dieu à soi.

5. L’état d’amour pour Dieu seul, considéré en lui- même et qui n’est d’ordinaire prévenu ni soutenu par aucun mélange de motif intéressé, ni de crainte, ni d’espérance, est le pur amour, réservé à la parfaite charité. Dans l’état le plus parfait de cet amour, la charité prévient, commande et anime d’ordinaire toutes les autres vertus distinctes, et rapporte en même teins leur exercice à sa propre fin, de sorte que ce n’est plus d’ordinaire l’espérance qui prévient et qui prépare les actes delà charité, comme dans les justes moins parfaits, mais c’est la charité qui prévient, anime et dirige les actes d’espérance pour les perfectionner et pour les épurer en les élevant a sa fin.

Articles §

Article I. Vrai §

L’amour de pure concupiscence, ou entièrement mercenaire, par lequel on ne desireroit Dieu que pour le seul intérêt de son propre bonheur, et parce qu’on croirait trouver en lui seul le moyen de notre félicité, serait un amour indigne de Dieu. On l’aimerait comme un avarie aime son argent, ou comme un voluptueux aime ce que fait son plaisir ; en sorte qu’on rapporterait uniquement Dieu à soi, comme le moyen à la fin. Ce renversement de l’ordre serait, suivant saint François de Sales, un amour sacrilège, et une impiété non pareille. Mais cet amour de pure concupiscence, ou entièrement mercenaire, 11e doit jamais être confondu avec l’amour que les Theologiens nomment de préférence, qui est un amour de Dieu, mélangé de nôtre intérêt propre, et dans lequel nôtre propre intérêt se trouve toujours subordonné à la fin principale, qui est la gloire de Dieu. L’amour de pure concupiscence, ou purement mercenaire, est plûtost un amour de soi-même, qu’un amour de Dieu. Il peut bien préparer indirectement à la justice, en ce qu’il fait une espèce de contrepoids de nos passions violentes, il nous rend même comme, dit saint Bernard en quelque manière prudents pour connaitre ce que nous pouvons attendre de Dieu et de nous, et pour nous éloigner d’offenser celui qui nous a conservés à nous-mêmes, est tamen quædam prudentia scire quid ex te quid ex Dei adjutorio possis et ipsi te servareinfensum qui te tibi servavit illœsum, mais il est contre l’ordre essentiel de la créature, et il ne peut être ni un principe ni un commencement réel et positif de véritable justice intérieure. Au contraire, l’amour de préférence, quoique moins désintéressé, peut justifier une âme, pourvu que l’intérêt propre y soit rapporté, et subordonné à l’amour de Dieu dominant, et que sa gloire soit la fin principale ; en sorte que nous ne préférions pas moins sincèrement Dieu à nous-mêmes, qu’à tout le reste des créatures. Cette préférence ne doit pas néanmoins être toujours explicite, pourvu qu’elle soit réelle : car Dieu qui connaît la boue dont il nous a pétris, et qui a pitié de ses enfants, ne leur demande une préférence distincte et développée, que dans les cas où il leur donne par sa grâce le courage de porter les épreuves, où cette préférence a besoin d’être explicite.

Parler ainsi, c’est parler sans s’éloigner en rien de a doctrine du saint Concile de Trente, qui a déclaré contre les Protestans, que l’amour dans lequel le motif de la gloire de Dieu est le motif principal, auquel celui de nôtre intérêt propre est rapporté et subordonné, n’est point un péché. II condamne ceux qui assurent que les Justes pêchent dans toutes leurs œuvres, si outre ledésir principal que Dieu soit glorifié, ils envisagent aussi la récompense éternelle, pour exciter leur paresse, et pour s’encourager à courir dans la carrière.C’est parler comme saint François de Sales, et comme toute l’école suivie par les Mystiques.

Article I. Faux §

Tout amour moins désintéressé, ou mélangé d’intérêt propre sur nôtre bonheur éternel, quoique rapporté et subordonné au motif principal de la gloire de Dieu, est un amour indigne de lui, dont les âmes ont besoin de se purifier comme d’une véritable souillure ou péché. On ne peut pas même se servir indirectement de l’amour de pure concupiscence, ou purement mercenaire, pour préparer les âmes pécheresses à leur conversion, en suspendant par là leurs passions et leurs habitudes, pour les mettre en état d’écouter tranquillement les paroles de la Foi.

Parler ainsi, c’est contredire la décision formelle du saint Concile de Trente, qui déclaré que l’amour mélangé, où le motif de la gloire de Dieu domine, n’est point un péché. De plus, c’est contredire l’expérience de tons les saints pasteurs, qui voient souvent des conversions solides préparées indirectement et de loin par l’amour de concupiscence et par la crainte servile.

Article II. Vrai §

Il y a trois divers degrés, ou trois états habituels de Justes sur la terre. Les premiers ont un amour de préférence pour Dieu, puisqu’ils sont justes ; mais cet amour, quoique principal et dominant, est encore mélangé d’une crainte pour leur intérêt propre qui ne naît point d’un pur amour de charité pour eux-mêmes. Les seconds sont à plus forte raison dans un amour de préférence : mais cet amour, quoique principal et dominant, est encore mélangé d’un motif d’espérance pour leur intérêt, en tant que propre qui ne naît point d’un amour de charité pour eux-mêmes. C’est pourquoi saint Bernard nous parle d’une cupidité réglée par la charité qui se mêle toujours avec la charité même pendant cette vie. Ce n’est pas la charité qui en est le principe. La charité qui survient trouve cette cupidité et ne fait que la modérer, la soumettre, et la subordonner ainsi à la fin dernière. Asuperveniente caritateordinatur cupiditas tuncrecta. C’est pourquoi saint François de Sales représente la sainte résignation comme ayant encore des désirs propres, mais soumis. Elle se fait, dit-il, parmanièred’effort et de soumission.Ces deux amours sont renfermés dans le quatrième état, que j’ai appelé état d’amour moins désintéressé.

Les troisièmes, plus parfaits que les deux autres sortes de justes, ont un amour pleinement désintéressé, qui a été nommé pur, pour faire entendre qu’il n’est d’ordinaire excité par aucun autre motif, que celui d’aimer uniquement en elle-même et pour elle-même, la souveraine beauté de Dieu. C’est ce que les Anciens ont exprimé, en disant qu’il y a trois états : le premier est des justes qui craignent encore par un reste d’esprit d’échange. Le second est de ceux qui espèrent encore pour leur propre intérêt,par un reste d’esprit mercenaire. Le troisième est de ceux qui méritent d’être nommez les en fans, parce qu’ils aiment le Pere sans aucun motif intéressé, ni d’espérance, ni de crainte. C’est ce que les auteurs des derniers siècles ont exprimé précisément de même sous d’autres noms équivalents. Ils en ont fait trois états. Le premier est la Vie purgative, où l’on combat les vices par un amour mélangé d’un motif intéressé de crainte sur les peines éternelles. La seconde est la Vie illuminative, où l’on acquiert les vertus ferventes par un amour encore mélangé d’un motif intéressé pour la béatitude céleste. Enfin, le troisième est la Vie contemplative, ou unitive, dans laquelle on demeure d’ordinaire uni à Dieu par l’exercice paisible du pur amour. Dans ce dernier état on ne perd jamais ni la crainte filiale ni l’espérance des enfants de Dieu, quoiqu’on perde d’ordinaire tout motif intéressé de crainte et d’espérance.

La crainte se perfectionne en se purifiant, elle devient une délicatesse de l’amour, et une révérence filiale qui est paisible. Alors c’est la crainte chaste qui demeure au siècle des siècles. De même, l’espérance loin de se perdre, se perfectionne par la pureté de l’amour. Alors c’est un désir réel et une attente sincère de l’accomplissement des promesses, non seulement en général et d’une manière absolue, mais encore de l’accomplissement des promesses en nous et pour nous, suivant le bon plaisir de Dieu ; mais par ce motif unique de son plaisir, qui renferme toujours le motif spécifique de notre propre bien, sans y mêler celui de notre intérêt propre, qui viendrait d’un amour de cupidité soumise. Ce pur amour ne se contente pas de ne vouloir point de récompense qui ne soit Dieu même. Tout mercenaire purement mercenaire, animé par le seul motif de la concupiscence, qui aurait une foi distincte des vérités révélées, pourrait ne vouloir point d’autres récompenses que Dieu seul, parce qu’il le connaîtrait clairement comme un bien infini, et comme étant lui seul sa véritable récompense ou l’unique moyen de sa félicité. Ce mercenaire ne voudrait dans la vie future que Dieu seul ; mais il voudrait Dieu comme béatitude objective ou objet de sa béatitude, pour le rapporter à sa béatitude formelle, que l’école nomme créée, c’est-à-dire à soi-même qu’ils voudront rendre bienheureux, et dont il serait la dernière fin. Au contraire, celui qui aime du pur amour sans aucun mélange d’intérêt propre, n’est plus excité d’ordinaire par le motif de son intérêt. Il ne veut la béatitude pour soi, qu’à cause qu’il sait que Dieu la veut en tant qu’elle est la chose la plus excellente pour nous et la plus convenable a sa glorification en nous, et qu’il veut que chacun de nous la veuille de même pour sa gloire. Si par un cas qui est impossible à cause des promesses purement gratuites, Dieu voulait anéantir les aines des Justes au moment de leur mort corporelle, ou bien les priver de sa vue, et les tenir éternellement dans les tentations et les misères de cette vie, comme saint Augustin le suppose, ou bien leur faire souffrir loin de ; lui toutes les peines de l’enfer pendant toute l’éternité, comme saint Gregoire de Nazianze et Saint-Chrysostome le supposent après saint Clément d’Alexandrie ; les aines qui sont dans ce troisième état de pur amour, ne l’aimeraient, ni ne le serviraient pas avec moins de fidélité. Encore une fois, il est vrai que cette supposition est impossible à cause des promesses, ou Dieu s’est donné à nous comme rémunérateur ; nous ne pouvons plus séparer notre béatitude de Dieu aimé avec la persévérance finale ; mais les choses qui ne peuvent être séparées du côté de l’objet, peuvent l’être très réellement du côté des motifs. Dieu ne peut manquer d’être la béatitude de l’âme fidèle ; mais elle peut l’aimer avec un tel désintéressement, que cette venue de Dieu béatifiant n’augmente en rien l’amour qu’elle a pour lui sans penser à soi, et qu’elle l’aimerait tout autant s’il ne devait jamais faire sa béatitude. Dire que cette précision de motifs est une vaine subtilité, ce serait ignorer la jalousie de Dieu et celle des saints contre eux-mêmes : c’est traiter de vaine subtilité la délicatesse et la perfection du pur amour, que la tradition de tous les siècles a mis dans cette précision de motifs.

Parler ainsi, c’est parler conformément à la tradition, depuis les plus anciens Peres jusques à saint Bernard ; comme beaucoup de célébrés Docteurs de l’École, depuis saint Thomas jusques à ceux de nôtre siècle ; enfin comme tous les Mystiques canonisez ou approuvez de toute l’Église malgré les contradictions qu’ils ont souffertes. (Jette tradition est constante, et il serait téméraire de la combattre, ou de la vouloir éluder. Cette supposition du cas impossible dont nous venons de parler, loin d’être une supposition indiscrète et dangereuse des derniers Mystiques, est au contraire formellement dans saint Clement d’Alexandrie, dans saint Gregoire de Naziauze, dans saint Augustin, dans Saint-Chrysostome, dans Cassien, dans Theodoret, dans Jean d’Antioche, dans saint Isidore de Peluse, dans Euloge patriarche d’Alexandrie rapporté par Photius, dans Theophylacte, dans Saint-Anselme, dans Hugues de saint Victor, dans saint Thomas, dans Estius et dans un grand nombre de théologiens célébrés sans parler des Mystiques canonisez qui ont souvent exprimé le désintéressement habituel de leur amour par cette même supposition : c’est pour nous conformer à cette tradition que notre 33e proposition a été faite, il ne sera pas inutile d’en répéter ici encore les paroles. On peut aussi inspirer, etc.

II. Faux §

Il y a un amour si pur, qu’il ne veut plus la récompense, qui est Dieu même. Il ne la veut plus en soi ni par aucun amour de soi quoique la foi nous enseigne que Dieu la veut en nous et pour nous, et qu’il nous commande de la vouloir comme lui pour sa gloire.

Cet amour porte son désintéressement jusqu’à consentir de haïr Dieu éternellement, ou de cesser de l’aimer ; ou bien il va jusques à perdre la crainte filiale, qui n’est que la délicatesse de l’amour jaloux ; ou bien il va jusqu’à éteindre en nous toute espérance, en tant que l’espérance la plus pure est un désir paisible de recevoir en nous et pour nous l’effet des promesses selon le bon plaisir de Dieu et pour sa pure gloire sans aucun mélange d’intérêt propre ; ou bien il va jusques à nous haïr nous-mêmes d’une haine réelle, en sorte que nous cessons d’aimer en nous pour Dieu son œuvre et son image, comme nous l’aimons par charité en nôtre prochain.

Parler ainsi, c’est donner par un terrible blasphème, le nom de pur amour à un désespoir brutal et impie, et à la haine de l’ouvrage du Createur. C’est par une extravagance monstrueuse, vouloir que le principe de conformité à Dieu nous fasse consentir a devenir contraires à lui. C’est vouloir, par un amour chimérique, détruire non seulement l’espérance, mais encore l’amour même. C’est éteindre le Christianisme dans les cœurs, c’est être du nombre de ces insensés qui, selon Hugues de Saint-Victor ne s’entendaient pas eux-mêmes quand ils disaient, de peur d’être mercenaires nous ne cherchons point là récompense. Nous ne cherchons pas même le Seigneur. Nous secouons tellement de nos mains toute récompense que nous ne cherchons pas même le bien-aimé.

Article III. Vrai §

Il faut laisser les aines dans l’exercice de l’amour qui est encore mélangé du motif de leur intérêt propre, tout autant de temps que l’attrait de la grâce les y laisse. Il faut même révérer ces motifs qui sont répandus dans tous les Livres de l’Ecriture Sainte : dans tous les monuments les plus précieux de la tradition ; enfin dans toutes les prières de l’Église. Il faut se servir de ces motifs pour réprimer les passions, pour affermir toutes les vertus, et pour détacher les âmes de tout ce qui est renfermé dans la vie présente.

Cet amour, quoique moins parfait que celui qui est pleinement désintéressé, a fait néanmoins dans tous les siècles un grand nombre de Saints, et la plupart des saintes âmes ne parviennent jamais en cette vie jusqu’au parfait désintéressement de l’amour ; c’est les troubler et les jeter dans la tentation que de leur ôter les motifs d’intérêt propre, qui étant subordonnés a la fin dernière les soutiennent et les animent dans les occasions dangereuses. Il est inutile et indiscret de leur proposer un amour plus élevé auquel elles ne peuvent atteindre, parce qu’elles n’en ont ni la lumière intérieure ni l’attrait particulier de grâce. Celles mêmes qui commencent à en avoir ou la lumière ou l’attrait, sont encore infini ment éloignées d’en avoir la réalité. Enfin celles qui en ont la réalité imparfaite, sont encore bien loin d’en avoir l’exercice uniforme et tourné en état habituel.

Ce qui est essentiel dans la direction, est de ne faire que suivre pas à pas la grâce avec une patience, nue précaution et une délicatesse infinie. Le directeur doit se borner à laisser faire Dieu, et ne parler jamais du pur amour pour en demander l’exercice que quand Dieu par l’onction intérieure commence à ouvrir le cœur à cette parole, qui est si dure aux âmes encore attachées à elles-mêmes, et si capable ou de les scandaliser ou de les jeter dans le trouble. Encore même ne faut-il jamais ôter à une âme le soutien des motifs intéressez, quand on commence suivant l’attrait de sa grâce à lui montrer le pur amour. Il suffit de lui faire voir en certaines occasions combien Dieu est aimable en lui-même, sans la détourner jamais de recourir au soutien de l’amour mélangé. Autrement on ne se proportionnerait pas au besoin des âmes qu’il faut attendre patiemment dans les voies de Dieu et à qui il ne faut demander la perfection, que quand elles sont capables de porter cette doctrine.

Parler ainsi, c’est parler comme l’esprit de grâce et l’expérience des voies intérieures feront toujours parler ; c’est prévenir les âmes contre l’illusion.

III. Faux §

L’amour mêlé du motif intéressé pour nous-mêmes qui ne vient point de là charité,est un amour bas, grossier, indigne de Dieu, que les âmes généreuses doivent mépriser. Il faut se hâter de leur en donner le dégoût, pour les faire aspirer dès les commencements à un amour pleinement désintéressé.

Il faut leur ôter les motifs de la crainte sur la mort, sur les jugements de Dieu, et sur l’Enfer, qui ne conviennent qu’à des esclaves. Il faut leur ôter le désir de la céleste patrie, et retrancher tous les motifs de l’espérance. Après leur avoir fait goûter l’amour pleinement désintéressé, il faut supposer qu’elles en ont l’attrait et la grâce ; il faut les éloigner de toutes les pratiques qui ne sont pas dans toute la perfection de cet amour tout pur.

Parler ainsi, c’est ignorer les voies de Dieu et les opérations de sa grâce. C’est vouloir que l’esprit souffle où nous voulons, au lieu qu’il souffle où il lui plaît. C’est confondre les degrés de la vie intérieure. C’est inspirer aux âmes par une recherche précipitée et indiscrète de leur propre perfection l’ambition et l’avarice spirituelle, dont parle le Bienheureux Jean île la Croix. C’est les éloigner de la véritable simplicité du pur amour, qui se borne à suivre la grâce sans entreprendre jamais de la prévenir. C’est tourner en mépris les fondements de la justice chrétienne, je veux dire la crainte qui est le commencement de la sagesse et l’espérance par laquelle nous sommes sauvés.

Article IV. Vrai §

Dans l’état habituel du plus pur amour, l’espérance loin de se perdre, se perfectionne, et conserve sa distinction d’avec la charité : 1° L’habitude en demeure infuse dans l’âme, et elle y est conforme aux actes de cette vertu qui doivent être produits ; 2° L’exercice de cette vertu qui demeure toujours distinguée de celui de la charité : car elle conserve toujours même dans les actes les plus purs et les plus commandez par la charité son motif spécifique sans déroger au désintéressement de cet état : voici comment. Ce n’est pas la diversité de fin éloignée qui fait la diversité ou spécification des vertus. Toutes les vertus ne doivent avoir qu’une seule fin dernière, quoiqu’elles soient distinguées les unes des autres par une véritable spécification. Saint Augustin assure que toute vertu qui nous conduit a la viebienheureuse n’est que l’amour suprême de Dieu « quod si virtus ad beatam vitam nos ducit nihit omnino esse virtutem affirmaverim, ni si summum amorem Dei ». Par l’amour suprême il entend manifestement la charité il ajoute que les vertus ne sont que ce même amour qui prend divers noms, suivant qu’il est appliqué a des affections diverses..Namque illud quod quadripartita dicitur virtus. ex ipsius amoris vario quodam affectu, quantum intelligi dicitur. Saint Thomas dit que la charité est la forme ou la fin de toutes les vertus. C’est pourquoi sa doctrine est comme nous l’avons vu que les actes des vertus qui procèdent de la charité en tant que commandez par elle appartiennent tout ensemble et a l’espèce de la vertu commandée, et à la vertu qui les commande pour les rapporter à sa fin. Ce même saint docteur veut que l’espérance puisse s’étendre sur le prochain comme sur nous-mêmes, alors elle est sans doute pleinement désintéressée, et elle ne laisse pas d’être une vraie espérance quoique sans intérêt. Saint-François de Sales qui a exclus si formellement tout motif intéressé des vertus des âmes parfaites a marché sur les vestiges de saint Augustin et de saint Thomas, il n’ôte point aux vertus inférieures ce qu’elles ont de propre et de spécifique. Mais il a voulu comme les pères que dans l’état des parfaits il n’y eut d’ordinaire aucun reste du motif qu’ils ont nommé mercenaire et qui vient de la cupidité soumise dont parle saint Bernard. Il est donc constant que l’espérance de cet état habituel quoiqu’il ne soit ni fixe ni invariable doit néanmoins être exercée ordinairement par des actes conformes a l’habitude qui eu est dans l’âme, et par conséquent que ces actes ordinaires sont purifiés de tout motif intéressé conformément a la nature de la charité même. Il est vrai que cette âme peut faire quelquefois des actes un peu intéressez qui ne seront pas précisément conformes a ce principe habituel d’amour pur. Mais ces actes ne feront point déchoir l’âme de son état habituel, car une habitude ne se détruit point par quelques actes qui n’ont point de suite constante. Et un état variable n’est point détruit par quelques variations. Il est donc vrai que dans cet état habituel d’amour désintéressé il ne faut plus chercher pour l’ordinaire une espérance exercée par un motif d’intérêt propre : autrement ce serait défaire d’une main ce qu’on aurait fait de l’autre ; ce serait se jouer d’une si sainte tradition ; ce serait affirmer et nier la même chose en même temps ; ce serait vouloir trouver le motif de l’intérêt propre dans l’amour pleinement désintéressé. Il faut donc se bien souvenir, que ce n’est pas la diversité de fins éloignées qui fait la distinction, ou spécification des vertus. Ce qui fait cette distinction, est la diversité des objets formels. Afin que l’espérance demeure véritablement distinguée de la charité, il n’est pas nécessaire qu’elles aient des fins éloignées qui soient différentes : au contraire, pour être bonnes et parfaites, elles doivent se rapportera la même fin dernière. Il suffit que l’objet formel de l’espérance ne soit pus l’objet formel de la charité. Or est-il, que dans l’état habituel de l’amour le plus désintéressé, les deux objets formels de ces deux vertus demeurent très différents ; donc ces deux vertus conservent en cet état une distinction et une spécification véritable dans toute la rigueur scolastique. L’objet formel de la charité est la bonté ou beauté de Dieu prise simplement et absolument en elle-même, sans aucune idée qui soit relative à nous. L’objet formel de l’espérance est la bonté de Dieu, en tant que bonne pour nous et difficile à acquérir ; Or est-il que ces deux objets, pris dans toute la précision la plus rigoureuse et suivant leur concept formel, sont très différents. Donc en cet état la différence des objets conserve la distinction ou spécification de ces deux vertus. Il est constant que Dieu en tant que parfait eu lui même et sans rapport à mon intérêt ; et Dieu, en tant qu’il est mon bien que je veux tâcher d’acquérir, sont deux objets formels très différents. Il n’y a aucune confusion du côté de l’objet qui spécifié les vertus ; il n’y en a que du côté de la fin éloignée et dernière, et cette confusion y doit être : elle n’altère en rien la spécification des vertus. L’unique difficulté qui reste, est d’expliquer comment une unie pleinement désintéressée peut vouloir Dieu, en tant qu’il est son bien. N’est-ce pas, dira-t-on, déchoir de lu perfection de son désintéressement, reculer dans la voie de Dieu, et revenir à un motif d’intérêt propre, malgré cette tradition des Saints de tous les siècles qui excluent du troisième état des Justes tout motif intéressé ? Il est aisé de répondre, que le plus pur amour ne nous empêche jamais de vouloir, et nous fait même vouloir positivement tout ce que Dieu veut que nous voulions. Dieu veut que je veuille Dieu, en tant qu’il est mon bien, mon bonheur, et ma récompense. Je le veux formellement sous cette précision : c’est-à-dire que je le veux par cette raison précise car c’est ainsi que Dieu le veut, et le principe de conformité à la volonté de Dieu renferme autant cette raison précisé de vouloir la chose que la chose même. Je veux l’objet à cause qu’il est bon en lui-même convenable a mon unique fin, et choisi de Dieu par cette raison : mais en un autre sens je ne le veux point parce qu’il est mon bien propre, c’est a dire un bien qui excite ma cupidité soumise. L’objet et le motif intéressé pour vouloir l’objet sont différents ; l’objet est mon intérêt, si on veut absolument se servir de ce terme indécent, mais le motif n’est point intéressé, puisqu’il ne regarde mon intérêt que par le commandement exprès de la pure charité, et pour le bon plaisir de Dieu. Je veux cet objet formel, et dans cette réduplication, comme parle l’École : mais je le veux par pure conformité à la volonté de Dieu qui me le fait vouloir. L’objet formel ou motif spécifique est celui de l’espérance commune de tous les Justes, et c’est l’objet formel qui spécifie les vertus. La fin donnée ou dernière est la même que celle de la charité ; mais nous avons vu que l’unité de fin dernière ne confond jamais les vertus. Je puis sans doute vouloir mon souverain bien en tant qu’il est mon avantage personnel, en tant qu’il est mon souverain bien, en tant qu’il est ma récompense et non celle d’un autre, et le vouloir pour me conformer à Dieu qui veut que je le veuille. Alors je veux ce qui est réellement s’il est permis de parler si peu noblement de la béatitude et ce que je reconnais en ce sens comme le plus grand de tous mes intérêts, sans qu’aucun motif intéressé m’y détermine. En cet état l’espérance demeure distinguée de la charité, sans altérer la pureté ou le désintéressement de sou état. Que si on veut encore aller plus loin et demander qu’on veuille la béatitude par un motif d’amour de cupidité soumise qui est par conséquent intéressé, je réponds qu’il y a dans l’espérance la plus parfaite un motif d’amour de soi-même. Mais je nie qu’il soit nécessairement de cupidité, et par conséquent je nie aussi qu’il soit intéressé suivant l’idée basse et mercenaire du terme d’intéressé qui est naturel à tous les hommes, que les pères aussi bien que les Saints Mystiques ont suivies dans leur langage et qu’on ne peut jamais effacer des esprits, s’aimer par charité comme son prochain ce n’est point être intéressé. Se vouloir du bien par cet amour de charité c’est s’en vouloir avec autant de désintéressement qu’on en voudrait a son prochain. Cet amour de nous même est la charité, et le désir de notre béatitude est aussi pur que la charité qui le commande et qui le rapporte en même temps a sa fin cet amour est celui dont les anges et les saints s’aimeront eux-mêmes éternellement dans le ciel. L’homme qui est sur la terre peut donc et doit toujours désirer attendre en un mot espérer la récompense par le motif qui vient de cet amour de soi même et qui a toute la perfection tout le mérité et tout le désintéressement de la charité. Ce motif est sans doute spécifique et essentiel a l’espérance. Mais il n’a rien de commun avec cet autre motif qu’on nomme intéressé et qui vient de la cupidité soumise. Le motif spécifique de l’espérance n’en est pas moins un vrai motif propre a cette vertu quoiqu’il vienne d’un amour de charité pour nous-mêmes. La charité ne commande point d’autre désir pour nous que celui qu’elle nous inspire. Alors on désire son propre bien et par amour pour soi voudrait-on dire qu’il faut encore nécessairement le vouloir par un amour de cupidité ? L’espérance se conserve donc dans toute sa spécification, quoique ses actes soient expressément commandez et animez par la charité pour les rapporter en même temps a sa fin tou le pure et toute désintéressée.

Parler ainsi, c’est conserver la distinction des vertus Thelogales dans les états les plus parfaits de la vie intérieure, et par conséquent ne se départir en rien de la doctrine du saint Concile de Trente. En même temps, c’est expliquer la tradition des pères, des Docteurs de l’école et des saints Mystiques, qui ont supposé un troisième degré de Justes, qui sont dans un état habituel de pur amour sans aucun motif d’intérêt.

IV. Faux §

Dans ce troisième degré de perfection, une aine ne veut plus son salut comme son sai ut, ni Dieu comme sou souverain bien, ni la récompense comme récompense, quoique Dieu veuille qu’on ait cette volonté. D’où il s’ensuit, qu’en cet état on ne peut plus faire aucun acte de vraie espérance distingué de la charité ; c’est a dire, qu’on ne peut plus désirer ni attendre l’effet des promesses eu soi et pour soi même pour la gloire de Dieu.

Parler ainsi, c’est mettre la perfection dans la résistance formelle à la volonté de Dieu, qui veut notre salut, et qui veut que nous le voulions pour sa gloire comme notre propre récompense. En même temps c’est confondre l’exercice des vertus théologales, contre la décision du saint Concile de Trente.

V. Vrai §

Il y a deux états différents parmi les âmes justes. Le premier est celui où l’on pratique la sainte résignation dont parle saint François de Sales. L’âme resignée veut, ou du moins voudrait plusieurs choses pour soi, par le motif de son intérêt propre. Saint François de Sales représente la résignation comme ayant encore des désirs propres, mais soumis, la résignation, dit-ilse pratiquepar maniéré d’effort et de.soumission…larésignationpéfère la volonté deDieuentoutes choses. Mais ellene laisse pas d’aimer beaucoupd’autres choses outrela volonté de Dieu. Voilà la cupidité dont parle saint Bernard qui est réglée et soumise par la charité survenance. Or l’indifférence, dit notre saint est au-dessusdetarésignation, carelle n’aime rien sinon pourl’amour delavolonté deD.…Voilà un état d’amour pur ou l’on n’aime plus d’ordinaire ni les créatures ni soi que d’un amour de pure charité. Le cœurindifférentest comme une boule de cire entre les mains de son Dieu pour recevoir semblablement tontes les impressions du bon plaisir éternel, un cœur sans choix également disposé a tout sans aucun autre objet de sa volonté que la volonté de son Dieu ne met point son amour des choses que Dieu veut ainsi en la volonté de Dieu qui les veut.Saint Thomas avant saint François de Sales avait déjà fait cette distinction, et c’est dans cette distinction qu’il a mis la différence des justes parfaits et des justes imparfaits. Les imparfaits selon luiont seulement un amour habituel en sorte qu’ils ne pensent et ne veulent rien de contraire a Dieu Les parfaitsse détachent de tout autant que la nécessité le permet. Quoiqu’ils croissent encore en charité, ce n’est pas la leur principal soin, mais leur principale occupation est d’être unis a Dieu.Sed non est ad hoc principalis eorum cura. Sed jam eorum studium circa hoc maxime versatur ut deo inhaereant.Bellarmin a dit aussi que les imparfaits aiment d’autres choses avec Dieu, mais aucune autant que lui, et que les parfaits ont levé tout empêchement et sont uniquement dévoués a Dieu. Cette résignation soumet et subordonne ses désirs intéressez à la volonté de Dieu, qu’elle préféré à son intérêt. Par là, cette résignation est bonne, et méritoire. Le second état est celui que le même saint nommela très sainte indifférence. L’âme indifférente ne veut plus rien pour soi par le motif de son propre intérêt : elle n’a plus de désirs intéressés à soumettre, parce qu’elle n’a plus d’ordinaire aucun désir intéressé. Il est vrai qu’il lui reste encore des inclinations et des répugnances involontaires, qu’elle soumet ; mais elle n’a plus d’ordinaire de désirs volontaires et délibérés pour son intérêt propre. Il y a néanmoins divers cas ou une aine parfaite fait encore des actes moins désintéressés. Voici ces cas de La grâce de cet état est variable aussi bien que l’état de l’âme. Après un péché véniel, la grâce peut un peu varier et laisser une âme dans un besoin passager de mêler dans quelque acte un motif intéressé ; 2e l’âme peut être touchée par exemple de là béatitude en elle-même dans un moment, sans avoir la vue de remonter alors a la fin supérieure qui est la pure gloire de Dieu ; 3e elle peut recourir au motif intéressé de la béatitude dans certaines tentations violentes ou elle courrait risque de succomber sans cette ressource extraordinaire ; 4° Dieu peut soustraire pour certains moments l’attrait des exercices les plus parfaits pour dénué davantage cette âme et pour lui osier l’appui de son abandon et de son désintéressement même afin de la tenir plus souple et plus dépendante dans sa main. Dans tous ces cas elle fera des actes moins désintéressés sans manquer a sa grâce. Mais il y a un autre cas, qui est le plus ordinaire et ou elle ne coopérerait pas fidèlement a toute sa grâce si elle faisoit de tels actes. C’est dans les occasions ordinaires de son état ou la grâce la porte expressément au parfait désintéressement de l’amour et ou elle ne pourrait revenir aux actes moins désintéressés que par hésitation et par une résistance volontaire à Dieu pour se rechercher par amour-propre. Alors ce serait une espèce d’infidélité. L’âme indifférente, quand elle remplit sa grâce, ne veut donc plus rien d’ordinaire que pour Dieu seul, et que comme Dieu le lui fait vouloir par son attrait. Elle aime, il est vrai, plusieurs choses hors de Dieu, mais elle ne les aime que pour le seul amour de Dieu, et de l’amour de Dieu même qui est l’amour de charité dont elle doit toujours aimer et soi et son prochain ; c’est Dieu qu’elle aime dans tout ce qu’il lui fait aimer. Car elle ne met point son amour es choses que Dieu veut ai ?is en la volonté de Dieu qui les veut.

La sainte indifférence n’est que le désintéressement do l’amour, comme la sainte résignation n’est que l’amour mélangé de cupidité ou d’intérêt dans lequel on soumet l’intérêt propre à la gloire de Dieu. L’indifférence s’étend toujours tout aussi loin, et jamais plus loin que le parfait désintéressement de l’amour. Or est-il que le plus grand désintéressement de l’amour ne peut jamais exclure que les désirs intéressez sur le salut et non pas les désirs désintéressés du salut qui consiste essentiellement dans le parfait amour. Donc l’indifférence ne peut jamais exclure absolument le désir du salut. Le désintéressement de l’amour qui est le principe de la sainte indifférence ne peut donc jamais empêcher que nous ne désirions le salut pour nous par charité comme pour le prochain, mais d’une volonté d’autant plus forte que l’amour est plus pur, et nôtre bien est toujours la raison précise pour laquelle nous le voulons. Comme ceste indifférence est l’amour même, c’est un principe très réel et très positif. C’est une volonté positive et formelle, qui nous fait vouloir ou désirer réellement toute volonté de Dieu qui nous est connue. Ce n’est point une indolence stupide, une inaction intérieure, une non-volonté, une suspension générale, un équilibre perpétuel de l’aine. An contraire, c’est une détermination positive et constante de vouloir tout et de ne vouloir rien, comme parle le Cardinal Bona. Aussi voyons-nous que saint François de Sales représente l’indifférence comme un principe actif et fécond en volontés distinctes, quoique désintéressée. L’indifférence, dit-il, est an dessus de la résignation, car elle n’aime rien sinon pour l’amour de la volonté de Dieu, vous voyiez donc que cette indifférence aime et qu’elle a un amour réel avec des motifs précis, lin cet état on ne veut rien pour soi c’est a dire par un amour de soi qui ne soit point de pure charité ; mais on veut tout pour Dieu : et comme on s’aime en Dieu on se désire tous les biens qui nous conviennent dans l’ordre de Dieu et dans la subordination des fins qu’il s’est proposées : on ne veut rien par le désir d’être parfait ou bienheureux, pour son propre intérêt ; car le propre intérêt est un amour de soi que la charité ou amour de la justice éternelle ne met point dans le cœur. Mais il y a un autre amour plus pur et très désintéressé par lequel on exerce les vertus pour être parfait et heureux selon le bon plaisir de Dieu. Ainsi on veut toute perfection et toute béatitude, autant qu’il plaît à Dieu de nous faire vouloir ces choses, par l’impression de sa grâce, suivant sa volonté écrite, qui est toujours nôtre réglé inviolable. En cet état on ne veut plus le salut par le motif intéressé de ce qu’il est le salut propre, la délivrance éternelle, la récompense de nos mérités, et qu’on pourrait même nommer improprement le plus grand de tous nos intérêts : mais on le veut d’une volonté pleine, comme la gloire et le bon plaisir de Dieu, comme une chose qu’il veut, qu’il veut que nous voulions pour lui, et que nous voulions aussi pour nous par un amour de nous-mêmes qui étant de charité porte avec soi le désintéressement le plus parfait.

Il y aurait une extravagance manifeste à refuser par pur amour de s’aimer ainsi, et de vouloir le bien que Dieu veut nous faire, puisqu’il nous commande de le vouloir avec lui. L’amour le plus désintéressé doit vouloir ce que Dieu veut pour nous, comme ce qu’il veut pour autrui. La détermination absolue à ne rien vouloir, ne serait plus le désintéressement, mais l’extinction de l’amour, qui renferme un désir et une volonté véritable : elle ne serait plus la sainte indifférence ; car l’indifférence est l’état d’une âme également preste à vouloir ou à ne vouloir pas, à vouloir pour Dieu tout ce qu’il veut, et à ne vouloir jamais pour soi ce que Dieu ne témoigne point vouloir : au lieu que celte détermination insensée à ne vouloir rien, est une résistance impie à toutes les volontés de Dieu connues et à toutes les impressions de sa grâce. C’est donc une équivoque facile et importante a lever, que de dire qu’on ne désire point son salut comme saint François de Sales l’a dit en ces termes. Il est bon de désirer son salut, mais il est encore meilleur de ne rien désirer. On le désire pleinement comme volonté de Dieu comme le principal moyeu de sa glorification dans les âmes, comme notre bien souverain que nous sommes obligés de vouloir et de nous procurer pour la gloire de Dieu par un amour de charité pour nous-mêmes. Il y aurait un blasphème horrible à le rejeter en ce sens, et il faut parler toujours là-dessus avec beaucoup de précaution. Il est vrai seulement qu’on ne le veut pas par le motif intéressé de ce qu’il est nôtre récompense, notre bien, et nôtre félicité c’est a dire en un mot que nous pouvons dans la plus haute perfection cesser d’ordinaire de le vouloir avec cet amour de nous-mêmes que saint Bernard nomme une cupidité réglée par la charité parce qu’alors c’est d’ordinaire par le seul amour de charité que nous nous aimons et que nous nous désirons le plus grand des biens. C’est donc en ce sens et jamais en aucun autre que saint François de Sales a dit, s’il y avait un peu plus du bon plaisir de Dieu en Enfer, les Saints quitteraient le Paradis pour y aller. Et encore ailleurs.Le désir de la vie éternelle est bon, mais il ne faut désirer que la volonté de Dieu. Et encore ailleurs, si nous pouvions servir Dieu sans mérite, nous devrions désirer de le faire. Et encore ailleurs, l’indifférence est au-dessus de la résignation, car elle n’aime rien sinon pour la volonté de Dieu : si qu’aucune chose ne louche le cœur indiffèrent en la présence de la volonté de DIEU… Le cœur indiffèrent est comme une boule de cire entre les mains de son Dieu, pour recevoir semblablement toutes les impressions du bon plaisir éternel. C’est un cœur sans choix, également disposé à tout, sans aucun autre objet de sa volonté que la volonté de Dieu ; qui ne met point son amour es choses que Dieu veut, ains en la volonté de Dieu qui les veut. En somme le bon plaisir de Dieu est le souverain objet de l’aine indifférente. Partout où elle le voit elle court à l’odeur de ses parfums, et cherche toujours l’endroit ou il y en a plus sans considération d’aucune autre chose. Il est conduit par sa divine volonté comme par un lien très aimable, et partout ou elle va il la suit. Il aimerait mieux l’enfer avec la volonté de Dieu que le paradis sans la volonté de Dieu. Ouy même il prefereroit l’enfer au paradis s’il savait qu’en celui-là il y eut un peu plus du bon plaisir divin qu’en celui-ci en sorte que si par imagination de chose impossible il savait que sa damnation fut un peu plus agréable a Dieu que sa salvation, il quitterait sa salvation et courrerait a sa damnation.

Telle est selon saint François de Sales l’âme indifférente quand elle regarde son salut. Il ne faut pourtant pas s’imaginer qu’elle puisse jamais être dans une réelle indifférence ou suspension de volonté sur son salut. Elle peut bien avoir une réelle suspension de volonté a l’égard des événements de la vie, avant qu’ils arrivent ; parce qu’elle ignore alors la volonté de Dieu qu’on nomme de bon plaisir dans l’école, et dont elle attend la décision. Mais elle ne peut point pratiquer la même suspension de volonté à l’égard des choses telles que le salut ou elle a toujours devant les yeux une volonté signifiée par les saintes Écritures, et qui est invariable. Encore même la sainte indifférence n’est-elle jamais en rigueur une entière non-volonté pour les événements de la vie qui appartiennent a la volonté de bon plaisir. Avant que Dieu les décide l’âme se conforme par avance dans son abandon a l’événement futur quoiqu’inconnu. Dès qu’il arrive il n’est plus une volonté de bon plaisir, il devient une volonté de signe, car les volontés de Dieu ne nous sont pas moins signifiées par la décision de sa Providence, que par sa loi. Ainsi les volontés de bon plaisir et de signe qui méritent d’être soigneusement distinguées ne laissent pas de se réunir dans le cas précis ou les événements sont arrivés par la décision de la Providence. Et ce cas précis est celui ou il s’agit de vouloir. L’événement même en est la signification. C’est a l’égard de ces choses si certainement signifiées que saint François de Sales veut que l’âme indifférente ne mette point son amour des choses que Dieu veut, ainsi en la volonté de Dieu qui les veut. Dira-t-on qu’on doit vouloir moins parfaitement et d’une manière moins désintéressée les choses qui sont de la volonté signifiée que celles de la volonté de bon plaisir. Ce serait une opinion bien indécente. Quoi les parfaits voudront les événements non écrits sans intérêt propre, et ils seront obligé de vouloir avec intérêt propre les choses ou la volonté de Dieu est declarée dans l’écriture ! Les livres divins sont-ils écrits pour nous faire vouloir moins purement les choses qui y sont écrites que celles qui ne le sont pas ? Il est donc manifeste qu’il faut pour la perfection vouloir avec une égale pureté et un égal désintéressement les volontés de Dieu écrites et les volontés non écrites. Plus les choses que Dieu veut pour nous sont parfaites et convenables a sa gloire, plus nous devons les vouloir avec un désintéressement parfait pour sa gloire. Les parfaits doivent donc désirer avec un désintéressement encore plus parfait leur souverain bien, que les biens inférieurs qui sont renfermés dans les événements de la vie. La béatitude céleste mérite sans doute un amour plus parfait que le gain d’un procès, ou quelque consolation même spirituelle. De plus nous avons déjà remarqué ce qui est décisif qui est que nous ne pouvons vouloir distinctement les événements de la vie que quand ils sont arrivés. Alors la volonté de bon plaisir devient comme nous l’avons vu une volonté signifiée. C’est dans ce cas ou sommes obligés précisément de vouloir la chose que la distinction des deux volontés de Dieu est déjà cessée. L’unique différence réelle entre le salut et un événement de la vie, c’est que pour l’événement j’attends jusqu’à son arrivée la signification de la volonté de Dieu, jusques la je ne veux cet événement que d’une volonté générale. Cette volonté générale est pourtant réelle. La suspension ou indifférence n’est jamais non pas même alors une non-volonté absolue, car je veux par avance réellement ce qui arrivera, sans savoir précisément ce qui doit arriver. Pour le salut la signification en est toujours toute faite et invariable dans les écritures. À cet égard ma volonté n’est jamais et ne peut jamais être en aucune suspension. Elle reçoit à tout moment pour parler le langage de saint François de Sales le contrepoids qui lui vient de la volonté divine signifiée dans les ecritures, mais toutes les fois que l’âme indifférente veut distinctement un événement déjà arrivé, elle le veut d’une volonté aussi pleine que le salut, parce qu’alors ces 2 choses sont également de volonté signifiée, et toutes les fois qu’elle veut le salut, elle le veut d’une volonté aussi désintéressée pour la gloire de Dieu que le moindre événement de la vie. C’est pourquoi saint François de Sales parle ainsi. Il n’est pas seulement requis de ?nous reposer en la divine providence pour ce qui regarde les choses temporelles, mais beaucoup plus pour ce qui appartient il nôtre vie spirituelle et a notre perfection ailleurs il dit. Soit pour ce qui regarde l’intérieur, soit pour ce qui regarde l’extérieur, ne veuillez rien que ce que Dieu voudra pour vous. Enfin il dit dans un autre endroit : Je n’ai presque point de désirs, mais si j’étais à renaître je n’en aurais point du tout. Si Dieu venait à moi, j’irai aussi à lui : s’il ne vau lois pas venir à moi je me tiendrais là, et n’irais pas à lui. C’est-à-dire qu’il ne voulait point chercher Dieu avec empressement par des désirs intéressez pour sa perfection et pour son bonheur, sans cesser néanmoins de demeurer uni a lui par un amour fidèle, et de se désirer a soy même par principe de charité tous les biens promis. Je ne rapporte ici tous ces passages que pour montrer aux mystiques a quoi se doivent toujours réduire les expressions les plus fortes dont ils pourraient abuser en retranchant les désirs essentiels a la vie intérieure. Les autres Saints des derniers siècles, qui sont autorisés dans toute l’Église, ont beaucoup d’expressions semblables. Elles se réduisent toutes à dire qu’on n’a plus d’ordinaire aucun désir propre et intéressé ni sur le mérité, ni sur la perfection, ni sur la béatitude éternelle.

Parler ainsi, c’est ne laisser aucune équivoque dans une matière si délicate on l’on n’en doit jamais souffrir ; c’est prévenir tous les abus qu’on pourrait faire de la chose la plus précieuse et la plus sainte qui soit sur la terre, je veux dire le pur amour ; c’est parler comme les Peres, comme les principaux Docteurs de l’École, et comme les saints mystiques. Enfin c’est parler conformément a notre oe proposition dont voici les termes. Tout chrétien en tout état quoique non à tout moment, est obligé de vouloir désirer et demander explicitement son salut éternel comme une chose que Dieu veut, et qu’il veut que nous voulions pour sa gloire. Voilà l’endroit ou nous avons voulu prévenir toutes les illusions d’un désintéressement excessif ; et ou nous avons pris soin de marquer avec la plus rigoureuse précaution en quoi consiste le désir du salut qui est essentiel dans tout état ou degré de vie intérieure. Si le désir du salut par le motif intéressé c’est a dire par le principe de cupidité soumise eut été nécessaire en tout état de perfection, et si l’état habituel d’amour désintéressé eut été une nouveauté dangereuse, il eut été capital de le décider en cet endroit : c’était précisément de quoi il s’agissait pour réprimer l’illusion. Nous aurions été inexcusables de n’établir pas clairement cette nécessité de désirer notre salut par le motif intéressé de cupidité soumise comme un devoir essentiel du christianisme. Nous aurions du dire. Tout chrétien en tout état quoique non à tout moment est obligé d’aimer Dieu par le motif de son propre intérêt, et par un amour de soi même différent de la charité. Il faut pour le salut même désirer le salut pour son propre intérêt. Si dans certains moments on aime Dieu par transport passager sans ce motif d’intérêt, et par simple abstraction momentanée, on est obligé néanmoins d’y revenir aussitôt après, parce qu’il n’y a jamais dans la condition de voyageur aucun état habituel d’amour désintéressé. Loin de faire cette décision qui eut etc essentielle et si elle eut été vraie, nous avons tout au contraire pris grand soin de l’éviter dans nos expressions. Nous nous sommes contentés d’exiger le désir du salut comme d’une chose que Dieu veut et qu’il veut que nous voulions pour sa gloire.Ce qui suppose qu’on peut en un certain état ne le vouloir d’ordinaire qu’en cette manière pleinement désintéressée et de pure conformité a l’ordre de Dieu tant sur le salut que sur la raison de le vouloir. Après avoir donné dans la 5e proposition cette idée du désir désintéressé du salut nous avons ajouté dans la 9e que la sainte indifférence ne s’étend point sur le salut et sur les choses qui y ont rapport. Eu effet le désintéressement de l’amour ne peut jamais nous rendre indifférents c’est a dire sans aucune volonté pour le salut considéré suivant cette idée, comme d’une chose que Dieu veut que nous voulions pour sa gloire. Ce qui est essentiel, c’est de ne dispenser jamais aucune âme sous prétexte de perfection de ce désir explicite du salut et de toutes les choses qui vont rapport, quoique le motif intéressé ou de cupidité soumise à l’égard de la béatitude ne soit de précepte pour aucun état, mais seulement proposé comme utile dans l’état moins parfait.

V. Faux §

La sainte indifférence est une suspension absolue de volonté, une non-volonté entière, une exclusion de tout désir même désintéressé. Elle s’étend plus loin que le parfait désintéressement de l’amour. Elle ne veut point pour nous les biens éternels que la sainte Écriture nous enseigne que Dieu nous veut donner, et, qu’il veut que nous désirions recevoir en nous et pour nous par le motif de sa gloire. Tout désir même le plus désintéressé du salut est imparfait. La perfection consiste à ne vouloir plus rien, à ne désirer plus non seulement les dons de Dieu, mais encore Dieu même, et à le laisser faire en nous ce qu’il lui plaise, sans que nous y mêlions de notre part aucune volonté réelle et positive.

Parler ainsi, c’est confondre toutes les idées de la raison humaine ; c’est mettre une perfection chimérique dans une extinction absolue du Christianisme, et même île l’humanité. On ne peut trouver de termes assez odieux pour qualifier une extravagance si monstrueuse.

Article VI. Vrai. §

La sainte indifférence, qui n’est que le désintéressement de l’amour loin d’exclure les désirs désintéressés est le principe réel et positif de tous les désirs désintéressés que la volonté de Dieu écrite nous commande, et de tons ceux que la grâce nous inspire. C’est ainsi que Daniel fut nommé l’homme des désirs. C’est ainsi que Psalmiste disait à Dieu. Tous mesdésirs sont devant vos yeux. Non seulement l’aine indifférente désire pleinement son salut, en tant qu’il est le bon plaisir de Dieu et son propre bien ; mais encore la persévérance, la correction de ses défauts, l’accroissement de l’amour par celui des grâces, et généralement sans aucune exception tous les biens spirituels, et même temporels qui sont, dans l’ordre de la providence, une préparation de moyens pour notre salut, et pour celui de nôtre prochain. La sainte indifférence admet, non seulement des désirs distincts et des demandes expresses, pour l’accomplissement de toutes les volontés de Dieu qui nous sont connues ; mais encore des désirs généraux pour toutes les volontés de Dieu que nous ne connaissons pas et qui regardent les événements de la vie.

Parler ainsi, c’est parler suivant les vrais principes delà sainte indifférence, et conformément aux sentiments des Saints dont toutes les expressions, quand on les examine de prés par ce qui précédé et par ce qui suit, se réduisent sans peine à cette explication pure et saine dans la Foi.

Article VI. Faux. §

La sainte indifférence n’admet aucun désir distinct, ni aucune demande formelle pour aucun bien ni spirituel ni temporel, quelque rapport qu’il ait ou à nôtre salut ou à celui de nôtre prochain. Il ne faut jamais admettre aucun des désirs pieux et édifiants auxquels nous nous pouvons trouver portez intérieurement. Tous les désirs et toutes les demandes faites par charité pour nous mêmes et qui tendent a nous faire recevoir le plus grand des biens sont des actes intéressez qui diminuent la perfection de l’état de pur amour.

Parler ainsi, c’est s’opposer à la volonté de Dieu, sous prétexte de s’y conformer plus purement ; c’est violer la Loi de Dieu, qui nous commande des désirs, quoiqu’elle ne nous commande pas de les former d’une manière intéressée, inquiète ou toujours distincte. C’est éteindre le véritable amour par un raffinement insensé : c’est condamner avec blasphème les paroles de l’Écriture, et les prières de l’Église, qui sont pleines de demandes et de désirs. C’est s’excommunier soi-même et se mettre hors d’état de pouvoir ‘jamais prier ni de cœur ni de bouche dans l’assemblée des fidèles. C’est se refuser a soi-même l’amour de charité que nous ne nous devons pas moins qu’a nos frères. C’est par un vain et pernicieux raffinement d’amour violer le grand précepte de l’amour même.

Article VII. Vrai. §

Il n’y a aucun état ni d’indifférence, ni d’aucune autre perfection connut- dans l’Église, qui donne aux âmes une inspiration miraculeuse ou extraordinaire. La perfection des voies intérieures ne consiste que dans une voie de pur amour qui aime Dieu sans aucun intérêt, et de pure foi, où l’on ne marche que dans les ténèbres, et sans autre lumière que celle de la Foi même qui est commune à tous les chrétiens. Cette obscurité de la pure

Foi ne donne par elle-même aucune lumière extraordinaire. Ce n’est pas que Dieu, qui est le maître de ses dons, ne puisse y donner des extases, des visions, des révélations, des communications intérieures. Mais elles no sont point attachées à cette voie de pure foi, et les Saints nous apprennent, qu’il ne faut point alors s’arrêter volontairement à ces lumières extraordinaires, pour s’en faire un appui secret, mais les outre passer, comme dit le bien heureux Jean de la Croix, et demeurer dans la Foi la plus nue et la plus obscure. À plus forte raison faut-il se garder de supposer dans les voies dont nous parlons, aucune inspiration miraculeuse ou extraordinaire par laquelle les âmes indifférentes se conduisent elle- mêmes. Elles n’ont pour réglé que la loi de Dieu commune a tous les chrétiens, et que la grâce actuelle qui est toujours conforme à cette Loi. À l’égard des préceptes, elles doivent toujours présupposer sans hésiter ni raisonner, que Dieu n’abandonne personne s’il n’en a pas été abandonné auparavant ; et par conséquent, que la grâce toujours prévenante les inspire toujours pour l’accomplissement du précepte, dans le cas où il doit être accompli. Ainsi c’est à elles à coopérer de toutes les forces de leur volonté, pour ne manquer pas à la grâce par une transgression du précepte. Pour les cas où les conseils ne se tournent point en préceptes, elles doivent sans se gêner faire les actes ou de l’amour en général, ou de certaines vertus distinctes en particulier, suivant que l’attrait intérieur de la grâce les incline plùtost aux uns qu’aux autres en chaque occasion. Ce qui est certain, c’est que la grâce les prévient pour chaque bonne action, que cette grâce, qui est le souffle intérieur de l’esprit de Dieu, les inspire ainsi en chaque occasion : que cette inspiration n’est que celle qui est commune à tous les Justes, et qui ne les exempte jamais en rien de toute l’étendue de la loi de Dieu ; que cette inspiration est seulement plus forte et plus spéciale dans les âmes élevées au pur amour, que dans celles qui n’ont en partage que l’amour moins désintéressé : parce que Dieu se communique plus aux parfaits qu’aux imparfaits. Ainsi quand quelques saints mystiques ont admis dans la sainte indifférence les désirs inspirez, et ont rejeté tous les autres ; il faut bien se garder de croire qu’ils ayant voulu exclure les désirs et les autres actes commandés par la loi de Dieu, et n’admettre que ceux qui sont extraordinairement inspirez. Le cardinal Pierre d’Ailly qui était tout ensemble un grand théologien et un fervent contemplatif a dit-il est vrai que l’inspirationconsistedans la parole intérieure : car comme dit saint

Augustin sur la genese a la lettre la sagesse de Dieu ne cesse de parler par une inspiration secrète a lacréatureintelligente l’épouse a l’expériencede ce langage quand elle dit. C’est la voix de mon bien aimé qui frappe a la porte. Et encore mon âme s’est fondue edès que le bien-aimé a parlé. Cette voix et ce langage du bien-aimé ne doivent être pris pour rien d’extérieur ni de sensible, mais pour quelque chose d’intérieur et de spirituel, car comme dit saint Grégoire Dieu parle intérieurement d’une manière silencieuse se faisant entendre par une expression insensible. « Loquitur Deus intrinsecus silenter, sonans invisibili lingua ». Mais cet auteur qui parle ainsi de l’inspiration intérieure des âmes élevées a la contemplation veut toujours 3 choses : 1° que cette inspiration ne soit que celle de la grâce dans la voie de la foi ; 2° qu’elle soit toujours réglée par l’obéissance : 3° qu’elle ne dispense jamais des désirs essentiels a l’espérance et aux autres vertus évangéliques. Blosius a dit aussi que l’âme voit et comprend clairement pour elle et pour les autres ce qu’il faut faire et ne faire pas. Il ajoute quedans le doute la chose a laquelle on est le plus souvent attiré est l’attrait de Dieu pourvu qu’elle ne soit pas contraire aux saintes lettres ni aux dogmes de l’église. Voilà lesexpériencesdes mystiques réduites a la doctrine dont les pasteurs sont les dépositaires. Mais comme Blosius craignait avec raison que des âmes indiscrètes n’abusassent de cette liberté, de l’esprit pour s’attacher a un attrait intérieur souvent imaginaire, il déclare que dans les choses importantes il faut consulter les personnes expérimentées à cause desartifices dudémonqui se transforme en ange de lumière. Le père Surin dont les ecrits ont été approuvés par M. de de Meanx parle à peu près de même, l’aine, dit-il retranche même les bons désirs, excepté les désirs particuliers que Dieu lui donne des choses qui sont de sa volonté… Quand il plaît a Dieu que l’aine fasse quelque chose, il lui donne un désir paisible qui ne prejudicio point a cette indifférence… C’est une connaissance expérimentale que l’âme a que N. S. s’unit a elle qui réveille toutes ses pensées au besoin et lui suggéré les images et formes, quand il faut opérer discourir ou agir pour sa gloire.

Mais toutes ces choses ne supposent point une inspiration miraculeuse, ni différente de celle que tous les chrétiens reconnaissent dans la grâce prévenante, l’état de pure foi ne peut jamais donner par lui-même que cette inspiration de la grâce qui ne nous rend ni infaillibles, ni impeccables, ni assurez dans nôtre voie, ni indépendants de la conduite de nos supérieurs. Reconnoitre dans un certain degré d’oraison ou de perfection une inspiration évidente ce serait détruire l’état de pure foi. Reconnoitre cette inspiration comme supérieure aux règles communes et a l’obéissance ce serait blasphémer contre la loi, et en même temps élever au-dessus d’elle une inspiration fanatique. Les désirs et les autres actes inspirés dont ces saints Mystiques ont voulu parler sont ceux que la Loi commande, ou ceux que les conseils approuvent, et qui sont formez dans une âme indifférente ou désintéressée, par l’inspiration de la grâce toujours provenante, sans qu’il s’y môle d’ordinaire aucun empressement intéressé de l’âme pour prévenir la grâce. Ainsi tout se réduit à la lettre de la Loi, et à la grâce provenante du pur amour, à laquelle l’aine coopéré ans le prévenir.

Parler ainsi, c’est expliquer le vrai sens des bons Mystiques ; c’est lever toutes les équivoques qui peuvent séduire les uns et scandaliser les autres ; c’est precautionner les âmes contre tout ce qui est suspect d’illusion ; c’est conserver la forme des paroles saines, comme saint Paul le recommande.

Article VII. Faux §

Les âmes établies dans la sainte indifférence, ne connaissent plus aucun désir même désintéressé que la Loi de Dieu les oblige à former. Elles rejettent comme intéressez tous les désirs qui tendent a obtenir de Dieu nôtre perfection ou notre béatitude. Elles ne doivent plus désirer que les choses qu’une inspiration miraculeuse ou extraordinaire les porte a désirer sans dépendance de la Loi ; elles sont s’il est permis de parler ainsi agis ou mues de Dieu et instruites par lui sur chaque chose, de maniéré que Dieu seul désire en elles et pour elles ; sans qu’elles aient aucun besoin d’y coopérer par leur libre arbitre. Leur sainte indifférence qui contient éminemment tous les désirs, les dispense d’on former jamais aucun. Leur inspiration est leur seule règle.

Parler ainsi, c’est éluder tous les préceptes et tous les conseils sous prétexte de les accomplir d’une façon plus éminente ; c’est établir dans l’Église un acte de fanatiques impies ; c’est oublier que Jésus Christ est venu sur la terre, non pour dispenser de la Loi ni pour en diminuer l’autorité, mais au contraire pour l’accomplir et pour la perfectionner : en sorte que le Ciel et la terre passeront avant que les paroles du Sauveur prononcées pour confirmer la Loi puissent passer. Enfin c’est contredire grossièrement tous les bons mystiques, et renverser de fond en comble tout leur système de pure foi qui est manifestement incompatible avec toute inspiration miraculeuse ou extraordinaire qu’une âme suivrait volontairement comme sa règle et sou appuie pour se dispenser d’accomplir la Loi.

Article VIII. Vrai §

La sainte indifférence qui n’est jamais que le désintéressement de l’amour, devient dans les plus extrêmes épreuves ce que les saints mystiques ont nommé abandon ; c’est-à-dire que l’âme désintéressée s’abandonne totalement et sans réserve à Dieu pour tout ce qui regarde son intérêt propre ; mais elle ne renonce jamais ni à l’amour, ni à aucune des choses qui intéressent la gloire et le bon plaisir du bien-aimé. Cet abandon n’est que l’abnégation la plus parfaite ou le renoncement le plus entier de soi-même que Jésus Christ propose dans l’Évangile a ses disciples, comme ce qui reste a faire après qu’on aura tout quitté au dehors. Cette abnégation de nous-même n’est que pour l’intérêt propre ou cupidité soumise, et ne doit jamais empêcher l’amour désintéressé que nous nous devons à nous-mêmes comme au prochain pour l’amour de Dieu. Les épreuves extrêmes où cet abandon doit être exercé, sont les tentations par lesquelles Dieu jaloux veut purifier l’amour, en ne lui faisant voir d’une manière sensible, et réfléchie pour sa consolation aucune ressource ni aucune espérance pour son intérêt propre, même éternel. Ces épreuves sont représentées par un très grand nombre de saints comme un purgatoire terrible, qui peut exempter du Purgatoire de l’autre vie les âmes qui le souffrent avec une entière fidélité. On peut voir ce qu’en ont dit saint François d’Assise dans son grand cantique d’amour de charité, la bienheureuse Angele de Foligny, Sainte-Catherine de Gênes, le bienheureux Jean de lu Croix, saint François de Sales et un grand nombre d’antres saints. II n’appartient, comme le cardinal Bona l’assure, qu’a des insensés et à des impiesde refuserdecroire ces choses sublimesetsecrètes, et delesmépriser comme fausses, quoiqu’elles ne soient pasclaires, lors qu’elles sont attestées pardeshommes d’une vertutrès vénérable, qui parlent sur leur propreexpériencedeceque Dieu fait dansles cœurs.Ces épreuves ne sont que pour un temps. Plus les aines y sont fidèles à la grâce pour se laisser purifier de tout intérêt propre par l’amour jaloux, plus ces épreuves sont courtes. C’est d’ordinaire la résistance secrète des âmes à la grâce sous de beaux prétextes, c’est leur effort intéressé et empressé pour retenir les appuis sensibles dont Dieu veut les priver, qui rend leurs épreuves si longues et si douloureuses : car Dieu ne fait point souffrir sa créature pour la faire souffrir. Ce n’est que pour la purifier et pour vaincre ses résistances, ou pour augmenter sa perfection. Les tentations qui purifient l’amour de tout intérêt propre, ne ressemblent point aux autres tentations communes. Les Directeurs expérimentez peuvent les discerner à des marques certaines. Mais rien n’est si dangereux que de prendre les tentations communes des commençants pour les épreuves qui vont a l’entière purification de l’amour dans les âmes les plus éminentes. C’est la source de toute illusion : C’est ce qui fait tomber dans des vices affreux des âmes trompées. Il ne faut supposer ces épreuves extrêmes que dans un très petit nombre d’aines très pures et très mortifiées, en qui la chair est depuis longtemps très soumise à l’esprit, et qui ont pratiqué solidement toutes les vertus évangeliques. Il faut que ce soit des âmes humbles et ingénues, jusques à être toutes prête à faire une confession publique de leurs misères. Il faut qu’elles soient dociles, jusqu’à n’hésiter jamais volontairement sur aucune des choses dures et humiliantes qu’on peut leur commander. Il faut qu’elles ne soient attachées à aucune consolation ni à aucune liberté ; qu’elles soient détachées de tout, et même de la voie qui leur apprend ce détachement ; c’est-à-dire qu’elles soient disposées à toutes les pratiques qu’on voudra leur imposer ; qu’elles ne tiennent ni à leur genre d’oraison, ni à leurs expériences, ni à leurs lectures, ni aux personnes qu’elles ont consulté autrefois avec confiance. Il faut avoir éprouvé que leurs tentations sont d’une nature différente des tentations communes en ce que le vrai moyen de les apaiser est de n’y vouloir point trouver un appui aperçu pour le propre intérêt.

Parler ainsi, c’est répéter mot à mot les expériences des saints qu’ils ont raconté eux-mêmes. C’est en même temps prévenir les inconvénients très dangereux, où l’on pourrait tomber par crédulité, si l’on admettoit trop facilement dans la pratique ces épreuves qui sont très rares ; parce qu’il y a très peu d’âmes qui soient arrivées à cette perfection, où il n’y ait plus d’ ordinaire à purifier, que les restes de cet iuterest propre ou de cette cupidité soumise et mêlée avec l’amour divin. En parlant de cette dernière purification je ne prétends pas exclure celle des fautes vénielles dont nous parlerons expressément dans la suite et qui est toujours nécessaire dans les états les plus parfaits du pèlerinage de cette vie.

VIII. Faux §

Les épreuves intérieures ôtent pour toujours les grâces sensibles et les grâces aperçues. Elles suppriment pour toujours les actes distincts de l’amour et des vertus. Elles mettent une âme dans une impuissance réelle et absolue de s’ouvrir à ses supérieurs, ou de leur obéir par la pratique essentielle de l’Évangile. Elles ne peuvent être discernées d’avec les tentations communes. On peut, dans cet état, se cacher à ses supérieurs, se soustraire au joug de l’obéissance, et chercher dans des livres ou dans des personnes sans autorité le soulagement et la lumière dont on a besoin, quoique les supérieurs le défendent.

Le Directeur peut supposer qu’on est dans ces épreuves, sans avoir auparavant éprouvé à fond l’état d’une âme sur la sincérité, sur la docilité, sur la mortification, sur l’humilité. Il peut d’abord appliquer cette âme à purifier son amour de tout intérêt propre dans la tentation, sans lui faire faire aucun acte intéressé pour résister à la tentation qui la presse. Parler ainsi, c’est empoisonner les âmes ; c’est leur ôter les armes de la Foi nécessaires pour résister à l’ennemi de notre salut ; c’est confondre toutes les voies de Dieu ; c’est enseigner la rébellion et l’hypocrisie aux enfants de l’Église.

Article IX. Vrai §

Une âme qui dans ces épreuves extrêmes s’abandonne à Dieu, n’est jamais abandonnée par lui. Si elle demande dans le transport de sa douleur à être délivrée, Dieu 11e refuse de l’exaucer qu’à cause qu’il veut perfectionner sa forme dans l’infirmité, et que sa grâce lui suffit. Elle ne perd en cet état ni le pouvoir véritable et complet dans le genre de pouvoir pour accomplir réellement les préceptes, ni celui de suivre les plus parfaits conseils suivant sa vocation et son degré présent de perfection, ni les actes réels et intérieurs de son libre arbitre pour cet accomplissement. Elle ne perd ni la grâce prévenante, ni la Foi explicite, ni l’espérance en tant qu’elle est un désir et une attente désintéressée des promesses, ni l’amour de Dieu, ni la haine extrême du péché même véniel, ni la certitude intime et momentanée qui est nécessaire pour la droiture de la conscience. Elle ne perd que le goût sensible du bien, que la ferveur consolante et affectueuse, que les actes empressez et intéressez des vertus, que la certitude qui vient après coup et par réflexion intéressée pour se rendre à soi même un témoignage consolant de sa fidélité ces actes directs, et qui échappent aux réflexions de l’âme, mais qui sont très réels et qui conservent en elle toutes les vertus sans tache, sont comme j’ay déjà dit, l’opération que saint François de Sales met dans la pointe de l’esprit, ou dans la cime de l’âme. Alors les vertus concentrées dans les actes les plus intimes de l’aine sont comme les plantes pendant 1 hiver. Elles ne fleurissent pas au-dehors. Mais elles conservent sous la glace et dans la neige une racine profonde et une nourriture secrète qui prépare pour la belle saison des fruits abondants. Cet état de trouble et d’obscurcissement qui n’est que pour un temps, n’est pas même dans toute sa durée sans intervalles paisibles, où certaines lueurs de grâces très sensibles sont comme des éclairs dans une profonde nuit d’orage, qui ne laissent aucune trace après eux.

Parler ainsi, c’est parler également suivant le dogme catholique, et suivant les expériences des saints mystiques.

IX. Faux §

Dans ces épreuves extrêmes, une âme sans avoir été auparavant infidèle à la grâce, perd le vrai et plein

François de Sales a nommé la pointe de l’esprit, ou la cime de l’âme. Cet état… pouvoir de persévérer dans son état : elle tombe dans une impuissance réelle d’accomplir les préceptes dans les cas où les préceptes pressent. Elle cesse d’avoir la Foi explicite dans les cas où la Foi doit agir explicitement ; elle cesse d’espérer, c’est a dire d’attendre et de désirer, même d’une manière désintéressée, l’effet des promesses en elle ; elle n’a plus l’amour de Dieu ni perceptible ni imperceptible ; elle n’a plus la haine du péché ; elle en perd non seulement l’horreur sensible et refléchie, mais encore la haine la plus directe et la plus intime. Elle n’a plus aucune certitude intime et momentanée qui puisse conserver la droiture de sa conscience au moment où elle agit. Tous les actes des vertus essentiels à la vie intérieure cessent même dans leur opération la plus directe et la moins reflechie, qui est selon le langage des saints Mystiques, dans la pointe ‘de l’esprit et la cime de l’âme. Le directeur expérimenté ne peut plus juger de l’arbre par les fruits. Il ne peut plus discerner dans cette âme les vertus convenables a son état et a son degré de perfection.Parler ainsi, c’est anéantir la piété chrétienne sous prétexte de la perfectionner. C’est faire des épreuves destinées à purifier l’amour, un naufrage universel de la Foi et de toutes les vertus chrétiennes : C’est dire ce que les fidèles nourris des paroles de la Foi ne doivent jamais entendre sans boucher leurs oreilles.

Article X. Vrai §

Il y a deux cas très différents ou une âme peut produire des actes d’un désintéressement formel et explicite sur l’éternité. Le premier est un cas ordinaire ou l’âme parfaite ne ressent ni peine ni trouble. Le second ne regarde que les extrêmes épreuves. Dans le premier, l’âme désintéressée aime tellement Dieu qu’elle n’a pas besoin d’y être excitée par le motif de la récompense. C’est cet état que saint Clement d’Alexandrie dépeint lorsqu’il dit : Celui qui est parfait pratique le bien, mais ce n’est point à cause de son utilité… étant établi dans l’habitude constante de faire le bien non à cause de la gloire que les philosophes appellent bonne renommée, ni pour la récompense qui vient des hommes ou de

Dieu celui qui est véritablement bon et établi dans cette habitude imite la nature du bien, c’est-à-dire qu’il se communique et qu’il agit selon sa nature sans autre pente que celle de bien faire.L’ouvrage du gnostique (ou contemplatif) dit encore que ce père ne consiste pas a s’abstenir du mal, car ce n’est la que le fondement d’un plus grand progrès ni a agir par l’espérance de la récompense promise suivant qu’il est écrit. Voici le Seigneur et la récompense est devant sa face pour rendre a chacun selon ses œuvres.Faire le bien uniquement par amour, c’est le partage du gnostique, il ne lui faut point d’autre motif de sa contemplation que sa contemplation même. Celui qui est gnostique par cette science ne la choisit point pour vouloir être sauvé. En cet état on espère. Mais ce n’est plus l’espérance qui anime et qui soutienne la charité. C’est la charité qui prévient, qui commande et qui anime l’espérance, et on aimerait autant quand même on n’espérerait plus. De la viennent les suppositions impossibles d’un état de fidélité a Dieu sans récompense dans l’autre vie qui sont si fréquentes dans saint Clement et dans les autres pères. De la vient que saint Grégoire de Naz., et saint Chrysostome avec toute son école suivie de saint Thomas et des plus célébrés théologiens des derniers siècles, ont assuré que Saint Paul avait voulu préférer le salut éternel de ses frères selon la chair au sien propre. Saint Gregoire de Nysse va jusqu’a dire que le juste parfait méprisé la récompense même de peur de paraitre l’aimer plus que celui de qui elle vient. Saint Chrysostome dit : Les aines bonnes et généreuses regardent la beauté divine sans aucun autre motif d’être récompensées, que si quelqu’un est trop faible qu’il jette aussi les yeux sur la récompense, Saint Ambroise dit : Celui qui suit Jésus-Christ n’est point mené par la récompense a la perfection, mais au contraire, c’est par la perfection qu’il est consommé pour la récompense. Les imitateurs de Jésus-Christ sont bons non par espérance, mais par amour de la vertu. Il dit ailleurs que les cœurs rétrécis soient invitez par les promesses et élevez par la récompense qu’ils espèrent, l’âme véritablement bonne sans songer a la récompense céleste remporte le fruit d’une double gloire. Saint Augustin qui veut que nous aimions Dieu pour lui seul et nous uniquement pour lui, de même que le prochain dit que la règle de l’amitié est d’aimer gratuitement. À combien plus forte raison, continue t’il, doit-on aimer Dieu sans intérêt puisque c’est lui qui nous fait aimer ainsi les hommes. Ce père suivant ce principe de pur amour parle ailleurs de l’éternelle paix que nous désirons comme notre délivrance, et il assure que si nous n’avions plus aucune espérance, nous devrions demeurer dans la souffrance du combat, plutôt que de nous laisser dominer par les vices en ne leur résistant pas. Si quod absit illius tanti boni spes nulla esset malle debuimus in illius conflectationismolestiaquam viliorum in nos dominationem, non eisresistendo permittere. Environ le temps de la mort de ce père, un homme d’Adrumete, nommé Victorien, répondit aux Vandales qui le persecutoient pour la foi : Quand même il n’y aurait point d’autre vie que la vie présente et que nous n’espérerions pas l’éternelle qui est véritable, je ne voudrais point pour une gloire temporelle et courte me rendre ingrat a mon créateur qui m’a donné la foi.

Saint Anselme, après avoir fait la supposition impossible comme les autres afin d’exprimer le désintéressement du parfait amour, dit a Dieu : Pour celui a qui cette parole ne plait pas. Seigneur donnez lui de se renoncer, afin qu’il puisse comprendre cette parole. Saint Bernard assure que le seul enfant n’est ni ébranlé par la crainte ni attiré par le désir, mais soutenu par l’esprit d’amour. Le pur amour, dit-il ailleurs, n’est point mercenaire, il ne tire point de force de l’espérance et le découragement ne lui fait aucun tort. Telle est l’épouse, car en quelque endroit qu’elle soit, c’est ainsi qu’elle est. Il fait dire a l’enfant de Dieu : Je ne cherche point le salut pour éviter la peine ou pour régner dans le ciel, mais pour vous louer éternellement. Tons les contemplatifs des derniers siècles ont fait ces mêmes suppositions impossibles pour exprimer un désintéressement, non seulement possible, mais actuel et ordinaire en eux ; les âmes de la 6e demeure, dit sainte Therese, voudront que le Seigneur vit qu’elles ne le servent point par le motif de la récompense. Ainsi, elles ne pensent jamais a la gloire qu’elles doivent recevoir comme a un motif qui doive les fortifier et les encourager dans le service de Dieu.

C’est encore dans le même esprit de désintéressement que saint François de Sales dit que l’âme indifférente aimerait mieux l’enfer avec la volonté de Dieu que le Paradis sans sa volonté. Il marque ailleurs en ces termes le principe qui produit celte disposition : la très profonde obéissance d’amour n’a pas besoin d’être excitée par menace ou récompense ni par aucune loi, ou par quelque commandement, car elle prévient tout cela. Pour mieux entendre ces suppositions que tant de saints ont faites pour montrer que leur amour était indépendant du motif de la récompense éternelle, il faut faire attention aux choses que je vais tacher d’expliquer.

Les promesses sur la vie éternelle sont purement gratuites. La grâce ne nous est jamais duo ; autrement elle ne serait plus grâce. Dieu lie nous doit jamais en rigueur ni la persévérance à la mort, ni la vie éternelle après la mort corporelle. Il ne doit pas même absolument et de droit rigoureux a nôtre âme de la taire exister aprez cette vie, quoiqu’il n’y ait aucune créature qui puisse détruire l’aine et qu’elle n’ait en soi aucun principe de destruction, Dieu pourrait néanmoins la laisser retomber dans le néant : Autrement il ne serait pas libre sur la durée de sa créature, et elle deviendrait un être nécessaire. Mais quoique Dieu ne nous doive jamais rien en rigueur, il a voulu nous donner des droits fondez sur des promesses purement gratuites et sur l’ordre qu’il lui a plû d’établir. Par ses promesses il s’est donné comme suprême béatitude à l’âme qui lui est fidèle avec persévérance. Il est donc vrai en ce sens que toute supposition qui va à se croire exclus de la vie éternelle en aimant Dieu est impossible, parce que Dieu est fidèle de ses promesses : Il ne veut point la mort du pécheur, mais qu’il vive et se convertisse. Par là il est constant que tous les Sacrifices que les âmes les plus désintéressées font d’ordinaire sur leur béatitude éternelle sont purement conditionnels. Un dit : mon Dieu, si par impossible vous me vouliez condamner aux peines éternelles de l’Enfer sans perdre vôtre amour, je ne vous eu aimerais pas moins. Voilà le premier cas qui est impossible à cause des promesses et dont la supposition se peut faire tous les jours hors des teints d’espérance. Mais voici le second cas qui ne regarde que les épreuves les plus extrêmes, et ou l’âme ne regarde point comme impossible la supposition qu’elle fait. Elle s’imagine qu’elle a comblé la mesure de ses péchez et qu’elle est inévitablement réprouvée. Le sacrifice qu’elle fait alors n’est plus dans une forme conditionnelle comme celui du premier cas. Mais il ne peut jamais néanmoins être tout à fait absolu : 1° parce qu’il ne regarde pas le salut,mais le seul intérêt propre dans le salut ou le contentement de la cupidité subordonnée ; 2° parce que ce sacrifice est joint avec la foi, avec l’espérance actuelle du salut, avec le désir actuel et formel du salut, comme d’une chose que Dieu veut qu’on veuille pour sa gloire ; 3° parce que ce sacrifice n’est fondé que sur une persuasion purement apparente de l’imagination seule et d’une supposition que lame sait dans le fond de sa conscience être impossible. Elle désire, elle attend alors plus que jamais l’effet des promesses. Elle en fait des actes réels, mais directs et non aperçus. La persuasion de sa perte n’est point réelle parce quelle n’est pas le fond intime de sa conscience c’est une espèce d’illusion passagère que Dieu permet pour tirer d’elle un consentement ou acquiescement simple a sa volonté, cet acquiescement ne renferme qu’ un amour pur et sans aucun reste du motif intéressé ou de cupidité subordonnée pour la béatitude. Alors une aine peut être tellement persuadée de la réprobation par cette persuasion apparente et imaginaire qu’elle ne peut la vaincre par aucun effort direct. C’est ainsi que saint François de Sales se trouva dans l’Église de Saint-Etienne des Grecs. Une âme dans ce trouble s’imagine voir qu’elle est contraire à Dieu par ses infidélités passées et par sou endurcissement présent, qui lui paraissent combler la mesure pour sa réprobation. Elle prend ses mauvaises inclinations pour des volontés délibérées, et elle ne voit point les actes réels de son amour ni de ses vertus, qui par leur extrême simplicité échappent à ses réflexions et qui sont même obscurcis par le trouble d’une imagination émue. Elle devient à ses propres yeux couverts de la lèpre du péché, quoiqu’apparent et non réel. Elle ne peut se supporter. Elle est scandalisée de ceux qui veulent l’apaiser et lui ôter cette espèce de persuasion. Si on lui représente le dogme précis de la Foi sur la volonté de Dieu de sauver tous les hommes, et sur la croyance où nous devons être qu’il veut sauver chacun de nous en particulier, cette vérité ne peut lui rendre le calme. Cette âme ne doute point de la bonne volonté de Dieu, mais elle croit la sienne mauvaise, parce qu’elle ne voit eu soi par réflexion que le mal apparent qui est extérieur et sensible, et que le bien qui est toujours réel et intime est dérobé à ses veux par la jalousie de Dieu. Dans ce trouble involontaire et que l’on doit toujours tacher de vaincre jusqu’a ce qu’on éprouve que l’âme ne peut s’en délivrer par aucun effort, rien ne peut la rassurer ni lui découvrir au fond d’elle même ce que Dieu prend plaisir à lui cacher. Elle voit la colère de Dieu enflée et suspendue sur sa teste comme les vagues de la nier, toute preste à la submerger : c’est alors que l’âme est divisée d’avec elle même, elle expire sur la croix avec Jésus- Christ, en disant : O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? Dans cette impression involontaire de désespoir, elle fait le sacrifice en quelque manière absolu de son intérêt propre pour l’éternité, comme je viens de l’expliquer, parce que le cas impossible lui parait possible et actuellement réel, dans le trouble et l’obscurcissement où elle se trouve. Encore une fois il n’est pas question de raisonner avec elle, car elle est incapable de tout raisonnement. Il ne s’agit que d’une persuasion qui n’est ni intime ni réelle, mais seulement apparente. Elle tient de la nature de celle de toutes les âmes scrupuleuses dans les épreuves de la vie, suivant qu’elles sont plus ou moins dans le scrupule elles sont aussi plus ou moins dans le trouble et dans la persuasion apparente dont je parle. Si une âme scrupuleuse ne voyait en aucune façon sa droiture, elle ne serait plus droite et elle opérerait intérieurement sans aucune droiture de conscience. D’un autre côté si elle pouvait trouver par réflexion la droiture, elle ne serait plus dans le scrupule. Il faut donc qu’elle soit actuellement tout ensemble d’un côté dans une conscience intime de sa droiture, de l’autre dans une impuissance de réfléchir sur sa droiture pour s’en rendre témoignage. Voilà ce qu’on ne peut s’empêcher de dire de tous les scrupuleux, et c’est précisément à quoi je borne ce que je dis des âmes qui sont dans les plus extrêmes épreuves. Le trouble de leur imagination ne leur représente qu’un mal faux et apparent pendant qu’elle obscurcit le bien véritable. Mais la persuasion du mal n’est jamais réellement dans l’entendement. Autrement il faudrait dire que toutes les âmes les plus innocentes qui sont dans le scrupule perdent la foi l’amour de Dieu et leur droiture pendant leur trouble, car ces choses sont incompatibles avec une réelle persuasion du contraire. Cette persuasion est donc seulement apparente, c’est a dire de pure imagination pendant que l’entendement dans ses actes directs ne cesse point de croire et d’espérer. En cet état l’amène perd donc qu’une certaine espérance sensible pour son propre intérêt, mais elle ne perd jamais dans la partie supérieure, c’est a dire, dans ses actes directs et intimes, l’espérance parfaite qui est le désir et l’attente désintéressée des promesses. Elle aime Dieu plus purement que jamais. Loin de consentir positivement à le haïr, elle ne consent pas même indirectement à cesser un seul instant de l’aimer, ni à diminuer en rien son amour, ni à mettre jamais à l’accroissement de cet amour aucune borne volontaire, ni à commettre aucune faute même vénielle. Un Directeur peut alors laisser faire à cette âme un acquiescement simple à la perte de ;on intérêt propre, et à la condamnation juste où elle croit être de la part de Dieu pour la peine éternelle, ce qui d’ordinaire sert à la mettre en paix et à calmer la tentation, que Dieu n’a permise que pour cet effet, je veux dire, pour la purification de l’Amour. Mais il doit jamais ni lui conseiller ni lui permettre de croire positivement par une persuasion libre et volontaire qu’elle est réprouvée et qu’elle ne doit plus désirer promesses par un désir désintéressé. Il doit encore moins la laisser consentir à haïr Dieu, ou à cesser de l’aimer ou à violer sa Loi, même par les fautes les plus vénielles. Tout ceci est conforme a la 33e de nos propositions de voici les termes : on peut aussi inspirer aux âmes peinées et vraiment humbles une soumission et consentement a la volonté de Dieu quand même pur une très fausse supposition au lieu des biens éternels qu’il promis aux âmes justes, il les tiendrait par son bon plaisir dans des tourments éternels sans néanmoins qu’elles soient privées de sa grâce et de son amour qui est un acte d’abandon parfait et d’amour pur pratique par des saints et qui le peut être utilement ai une grâce particulière de Dieu par les âmes vraiment parfaites sans déroger a l’obligation des autres actes ci-dessus marquez qui sont essentiels au Christianisme. Inspirer ce consentement aux peinées, c’est sans doute les porter a ce consentement pour calmer leur peine. Pour moi je me contente qu’on le leur laisse faire. Il faut bien qu’on suppose que cet acte servira calmer leur peine puisqu’il peut être pratiqué utilement dans ce cas de peine et de trouble. Un tel consentement ne peut être inspiré qu’aux âmes vraiment parfaites. On ferait très mal de l’inspirer sans cette nécessité. C’est pourquoi je crois qu’il ne faut recourir a ce remède que quand tous les autres sont inutiles et que le trouble parait invincible par tout autre moyen. On ne doit donc inspirer ce consentement qu’aux aines qu’on a éprouvées longtemps et qu’on reconnait clans une véritable perfection bien différente de la perfection commune des chrétiens. Puisque c’est un amour pur et un abandon parfait ce consentement on acquiescement ne peut être qu’excellent et très méritoire quand il est fait dans l’occasion convenable. Il est manifeste que ce sacrifice ne peut servir qu’a purifier l’amour, et par conséquent qu’a en retrancher le mélangé de la cupidité soumise. Car pourquoi serait-il utile a l’âme do consentir a souffrir les tourments éternels en la place des biens éternels qui lui sont promis, si ce n’était pour achever de la détacher de tout intérêt propre et de toutes les restes do la cupidité soumise sur la félicité éternelle ? Dieu qui permet que ce trouble arrive ou par les illusions du tentateur ou par l’infirmité de l’homme en veut tirer sans doute un grand fruit pour cet homme racine. Le fruit que Dieu en veut tirer est un amour pur c’est-a-dire sans mélangé, et un abandon parfait c’est a dire sans réserve sur l’intérêt propre, quoique l’âme ne doive jamais alors cesser de désirer par un amour de charité pour soi la persévérance dans l’amour avec la consommation do l’amour même qui est la vraie béatitude.

Parler ainsi c’est parler suivant l’expérience des saints avec toute la précaution nécessaire pour conserver le dogme de la foi et pour n’exposer jamais les ames a aucune illusion

Article X. Faux §

L’âme qui est dans les épreuves peut croire d’une persuasion intime, libre et volontaire, contre le dogme de la Foi, que Dieu l’a abandonné sans être abandonné par elle ; ou qu’il n’y a plus de miséricorde pour elle, quoiqu’elle la désire sincèrement ; on qu’elle peut consentir à haïr Dieu, parce que Dieu veut qu’elle le haïsse ; ou qu’elle peut consentira n’aimer plus Dieu, parce qu’il ne veut plus être aimé par elle ; ou qu’elle peut borner volontairement son amour, parce que Dieu veut qu’elle le borne ; ou qu’elle peut violer sa Loi, parce que Dieu veut qu’elle la viole. En cet état une aine n’a plus aucune foi, ni aucune espérance ou désir désintéressé des promesses, ni aucun amour réel et intime de Dieu, ni aucune haine même implicite du mal qui est le péché, ni aucune coopération réelle à la grâce, ni aucune marque extérieure par ou l’on puisse reconnaitre sa droiture et sa perfection comme l’arbre par les fruits. Mais elle est sans action, sans volonté, sans intérêt non plus pour Dieu que pour soi, sans actes des vertus ni réfléchis ni directs.Parler ainsi, c’est blasphémer ce qu’on ignore et se corrompre dans ce qu’on sait ; c’est faire succomber les âmes à la tentation sous prétexte de les y purifier : c’est réduire tout le christianisme à un désespoir impie et stupide : c’est même contredire grossièrement tous les bons. Mystiques, qui assurent que les âmes de cet état montrent un amour très vif pour Dieu par le regret de l’avoir perdu, et une horreur infinie du mal par l’impatience avec laquelle elles supportent souvent ceux qui veulent les consoler et les rassurer.

Article XI. Vrai. §

Dieu n’abandonne jamais le Juste sans en avoir été abandonné. Il est le bien infini qui ne cherche qu’à se communiquer. Plus on le reçoit, plus il se donne. C’est d’ordinaire nôtre résistance qui resserre ou qui retarde ses dons. La différence essentielle de la Loi nouvelle et de l’ancienne, c’est que l’ancienne par elle-même ne menait l’homme à rien de parfait ; qu’elle montrait le bien sans donner de quoi le faire, et le mal sans donner de quoi l’éviter ; an lieu que la nouvelle est la Loi de grâce qui donne le vouloir et le faire, et qui ne commande que ce qu’elle donne le véritable pouvoir d’accomplir. Comme ceux qui observaient fidèlement la Loi ancienne avoient la promesse de ne voir point la diminution de leurs biens temporels : Inquirentesautem

Dominum nonminuentur omni bono. Dans la loi nouvelle, les âmes fidèles a leur grâce ne souffriront jamais aussi aucune diminution dans leur grâce toujours prévenante, qui est le véritable bien de la Loi chrétienne.

Ainsi chaque âme, pour être pleinement fidèle à Dieu, ne peut rien faire de solide ni de méritoire que de suivre sans cesse la grâce, sans avoir besoin de la prévenir par empressement. Vouloir la prévenir, c’est vouloir se donner par avance dans un moment les dispositions qu’elle ne donne pas encore, ou qu’elle ne rend pas tout à fait sensibles dans ce moment-là. Pour bien entendre cette vérité et pour provenir toute équivoque il faut distinguer deux choses par rapport a la grâce, d’un côté je suppose avec le Concile de Trente que la grâce ne manque jamais au Juste qui n’a pas manqué le premier à Dieu. D’un autre côté je suppose avec toute l’Église que la grâce ne nous donne point à la fois en chaque moment toutes les différentes dispositions de la vie intérieure, mais qu’elle nous les distribué, pour ainsi dire, successivement, tantôt l’une, tantôt l’autre, suivant que ces dispositions conviennent aux devoirs de nôtre état, et aux desseins de Dieu pour nôtre avancement. Si on regai de la grâce en général et comme ne manquant jamais au Juste qui n’a point manqué à Dieu, il faut conclure qu’on ne doit et qu’on ne peut jamais prévenir la grâce pour aucun bien réel. On ne peut rien faire de bon sans elle, et on n’a jamais besoin de l’attendre puisqu’il la faut toujours supposer prévenante pour toutes nos bonnes actions ; dans le cas du précepte il la faut toujours supposer présente et prévenante pour son accomplissement. Hors du cas du précepte, il la faut encore supposer prévenante tantôt pour l’exercice de l’amour eu général, tantôt pour celui des vertus distinctes selon nôtre vocation. En un mot, comme la grâce ne nous laisse jamais, pendant que nous lui sommes fidèles, sans un secours plus ou moins perceptible, mais toujours réel pour nous préserver d’un vide intérieur et d’une oisiveté a craindre, nous n’avons jamais besoin d’attendre la prévention de la grâce.

Mais, d’un autre côté, si on regarde la grâce comme nous donnant successivement les différentes dispositions convenables a nôtre vocation et a nôtre avancement, il faut prendre garde de n’anticiper point par une impatience et un empressement indiscret sur les opérations que la grâce ne fait point en nous et n’y doit pas faire en certains moments, et qu’elle réserve pour d’autres moments plus convenables. Dieu a ses moments pour chaque chose, et au lieu de nous assujettir patiemment aux arrangements de sa grâce, nous voudrions le faire entrer dans les nôtres. La nature inquiète et empressée voudrait se donner à la fois tous les plus saints désirs et tous les actes les plus distincts pour se consoler par la vue et par le sentiment de ces pratiques. On voudrait contempler comme les Chérubins, quand il ne s’agit que de souffrir un délaissement sensible. On voudrait être toujours fervent, toujours occupé d’un amour vif, d’une foi explicite, d’une abondance de vertus distinctes, quoique la grâce ne demande de nous en certains moments qu’un amour presque insensible et obscurci par les nuages des tentations. On voudrait a toute heure s’exciter pour faire certains sacrifices et pour vaincre certaines tentations dont les cas sont eloignez et n’arriveront peut-être jamais. On veut trouver en soi à point nommé la volonté pleine et formelle de tous ces sacrifices dont il ne s’agit pas, et que la grâce ne doit pas donner hors de l’occasion. On s’inquiète, on se trouble, on se tourmente pour sentir ce qu’on ne sent pas. En voulant se donner ce que la grâce ne donne ni ne demande, alors on se distrait pour les choses qu’elle inspire actuellement, et on manque l’occasion d’y coopérer. Plus on veut tirer de son cœur ce que la grâce n’y met pas et n’y doit pas mettre alors, plus on se désseiche, on se distrait, et on se dissipe par ces efforts superflus. Ainsi ce contretemps a l’égard de l’attrait de la grâce nuit a notre progrès au lieu de le faciliter. Ce n’est pas un péché, car ce n’est qu’un empressement naturel que beaucoup d’auteurs ont nommé vertueux parce qu’il se meule avec le principe de vertu surnaturelle et qu’il a pour objet des choses vertueuses. C’est l’inquiétude de Marthe qui est louable puisqu’elle ne s’agite que pour le service du fils (le Dieu, mais qui est moins parfaite que l’amour paisible et efficace de Marie.

Il est vrai qu’on doit faire deux choses pour empocher l’illusion. La première est de supposer toujours qu’en aucun état on n’est impeccable et, par conséquent, que la grâce pourrait se retirer de nous, si nous lui manquions. Nous ne savons même jamais si ce cas n’est point effectivement arrivé. Mais, dans ce doute, l’unique ressource qui nous reste est de coopérer de toutes nos forces et sans trouble a la grâce du moment présent quelle qu’elle puisse être. Car c’est la tout ce que nous pouvons et que Dieu demande de nous. Tout ce que nous y ajouterions d’inquiétude et de trouble ne serait point une véritable fidélité a la grâce, ni par conséquent un acte utile pour attirer le secours de Dieu. La seconde chose à observer, c’est qu’il faut toujours se préparer à recevoir la grâce et l’attirer en soi, mais on ne doit le faire que par la coopération à la grâce même. La fidèle coopération a la grâce du moment présent, est la plus efficace préparation pour recevoir et pour attirer la grâce du moment qui doit suivre. Si on examine la chose de près, il est donc évident que tout se réduit à une coopération fidèle de pleine volonté et de toutes les forces de l’âme a la grâce de chaque moment. Tout ce qu’on pourrait ajouter à cette coopération bien prise dans toute son étendu, ne serait qu’un zèle indiscret et précipité, qu’un effort empressé et inquiet d’une âme intéressée pour elle-même ; qu’une excitation à contretemps qui troublerait, qui affaiblirait, qui retarderait l’opération de la grâce, au lieu de la faciliter et de la rendre plus parfaite. C’est comme si un homme mené par un autre dont il devrait suivre toutes les impulsions, voulait sans cesse provenir ses impulsions et se retourner à tout moment pour mesurer l’espace qu’il auroit parcouru : ce mouvement inquiet et mal concerté avec le principal moteur, ne ferait qu’embarrasser et retarder la course de ces deux hommes. Il en est de même du Juste dans la main de Dieu qui le meut sans cesse par sa grâce. Toute excitation empressée et inquiétée qui provient quelque grâce particulière de peur de n’agir pas assez ; toute excitation empressée hors du cas du précepte pour se donner par un excès de précaution intéressée les dispositions que la grâce n’inspire point dans ces moments-là, parce qu’elle en inspire d’autres moins consolantes et moins perceptibles ; toute excitation empressée et inquiétée pour se donner comme par secousses marquées un mouvement plus aperçu et dont on puisse se rendre aussitôt un témoignage intéressé, sont des excitations défectueuses pour les âmes appelées au désintéressement paisible du parfait amour. Cette action inquiétée et empressée est ce que les bons Mystiques ont nommé activité, qui n’a rien de commun avec l’action, ou avec les actes réels, mais paisibles qui sont essentiels pour coopérer à la grâce. Quand ils disent qu’il ne faut plus s’exciter ni faire d’efforts, ils ne veulent retrancher que cette excitation inquiétée et empressée, par laquelle on voudrait prévenir certaines grâces, on en rappeler à contretemps les impressions sensibles après qu’elles sont passées ou y coopérer d’une manière plus sensible et plus marquée qu’elles ne le demandent de nous. En ce sens l’excitation ou activité doit effectivement être retranchée. Mais si on entend par l’excitation une coopération de la pleine volonté et de toutes les forces de l’âme à la grâce de chaque moment ; il faut conclure qu’il est de Foi qu’on doit s’exciter en chaque moment pour remplir toute sa grâce. Cette coopération pour être désintéressée n’en est pas moins sincère : pour être paisible, elle n’en est pas moins efficace et de la pleine volonté : pour être sans empressement, elle n’en est pas moins douloureuse par rapport à la concupiscence qu’elle surmonte. Ce n’est point une activité, mais c’est une action qui consiste dans des actes très réels et très méritoires. C’est ainsi que les âmes appelées au pur amour résistent aux tentations des dernières épreuves. Elles combattent jusqu’au sang contre le péché ; mais ce combat est d’ordinaire paisible, parce que l’esprit du Seigneur est dans la paix. Elles résistent en présence de Dieu qui est leur force. Elles résistent dans un état de foi et d’amour, qui est un état d’oraison. Celles qui ont encore besoin des motifs intéressez de crainte et d’espérance, doivent y recourir même avec quelque empressement naturel, plutôt que de s’exposera succomber. Celles qui trouvent dans une expérience constante et reconnue par de bons

Directeurs, que leur force est dans le silence amoureux, et que leur paix est dans l’amertume la plus amère, peuvent continuer à vaincre ainsi la tentation ; et il ne faut pas les troubler, car elles souffrent assez d’ailleurs. Mais si par une infidélité secrète ces âmes venaient à déchoir soudainement de leur état, ou bien si le silence paisible et amoureux était soustrait par quelque variation passagère, ou par quelque épreuve nouvelle de Dieu, elles seraient obligées de recourir aux motifs les plus intéressés, plutôt que de s’exposer il violer la Loi dans l’excès de la tentation.

Parler ainsi, c’est parler suivant larégieEvangelique, sans affaiblir en rien ni lesexpériencesni les maximes de tous les bons Mystiques. C’est parler suivant la 12e de nos propositions dont voici les termes.Par les actes d’obligation ci-dessus marquez on ne doit pas entendre toujours des actes méthodiques et arranges, encore moins des actes réduits en formules et sous certaines paroles, ou des actes inquiets et empressez , mais des actes sincèrement formez dans le cœur avec toute la sainte douceur et tranquillité qu’inspire l’esprit de Dieu.

Article XI. Faux §

L’activité que les Saints veulent qu’on retranche, est l’action même de la volonté. Elle ne doit plus faire d’actes distincts : elle n’a plus besoin de coopérer à la grâce de toutes ses forces, ni de résister positivement et pleinement à la concupiscence, ni de faire aucune action intérieure ou extérieure qui lui soit pénible. Il lui suffit de laisser faire à Dieu en elle celles qui coulent comme de source,et pour lesquelles elle n’a aucune répugnance même naturelle. Elle n’a plus besoin de se préparer par le bon usage d’une grâce à une autre plus grande qui la doit suivre et qui est liée avec cette première. Elle n’a qu’a attendre la grâce et qu’à demeurer oisive dans celte attente jusqu’il ce qu’elle sente l’attrait distinct d’une grâce nouvelle. Elle ne doit point supposer que la grâce la prévient toujours dans le cas du précepte, et même dans celui du conseil. Elle ne doit se mettre en état de correspondre a la grâce que quand elle en déjà un attrait marqué. Hors de la elle n’a qu’a se laisser aller sans examen à toutes les pentes qu’elle trouve en soi sans se les donner. Il ne lui faut plus aucun travail, aucune violence, aucune contrainte de la nature. Elle n’a qu’à demeurer sans volonté et neutre entre le bien et le mal, même dans les plus extrêmes tentations.

Parler ainsi, c’est parler le langage du tentateur : c’est enseigner aux aines à se tendre elles-mêmes des pièges : c’est leur inspirer une indolence dans le mal qui est le comble de l’hypocrisie : c’est les engagera un consentement à tous les vices, qui n’en est pas moins réels pour être indirect et tacite.

Article XII. Vrai §

Les âmes attirées au pur amour peuvent être aussi désintéressées pour elles-mêmes que pour leur prochain, parce qu’elles ne voient et ne désirent en elles non plus que dans le prochain le plus inconnu, que la gloire de Dieu, son bon plaisir, et l’accomplissement de ses promesses. En ce sens, ces âmes sont comme étrangères à elles- mêmes : et elles ne s’aiment plus d’ordinaire que comme elles aiment le reste des créatures dans l’ordre de la pure charité. C’est ainsi qu’Adam innocent se serait aimé lui même uniquement pour l’amour de Dieu. L’abnégation de soi-même et la haine de nôtre âme recommandées dans l’Évangile, ne sont pas une haine absolue de nôtre âme image de Dieu. Car l’ouvrage de Dieu est bon, et il faut l’aimer pour l’amour de lui. Mais nous corrompons cet ouvrage par le péché, et il faut nous haïr dans notre corruption. La perfection du pur amour consiste donc à ne nous aimer plus que pour lui seul. La vigilance des âmes les plus désintéressées ne doit jamais être réglée sur leur désintéressement. Dieu qui les appelle à être détachées d’elles-mêmes comme de leur prochain, veut en même temps qu’elles soient plus vigilantes sur elles-mêmes dont elles sont chargées et responsables, que sur leur prochain dont Dieu ne les charge pas. Il faut même qu’elles veillent sur ce qu’elles font tous les jours par rapport au prochain dont la providence leur a confié la conduite. Un bon Pasteur veille sur l’âme de son prochain sans aucun intérêt. Il n’aime que Dieu en lui. Il ne le perd jamais de vue. Il le console, il le corrige, il le supporte. C’est ainsi qu’il faut se supporter soi-même sans se flatter, et se reprendre sans se jeter dans le découragement. Il faut être charitablement avec soi comme avec un autre ; ne s’oublier que pour retrancher les dépits et les délicatesses de l’amour propre ; ne s’oublier que pour ne vouloir pins se plaire à soi même ; ne s’oublier tout au plus que pour retrancher les réflexions inquiétées et intéressées quand on est entièrement dans la grâce du pur amour. Mais il n’est jamais permis de s’oublier, jusqu’a cesser de veiller sur soi comme on veillerait sur son prochain si on en étoit le Pasteur. Il faut même ajouter qu’on n’est jamais si chargé de son prochain qu’on l’est de soi-même, parce qu’on ne peut point régler toutes les volontés intérieures d’autrui comme les siennes propres. D’où il s’ensuit qu’on doit toujours veiller incomparablement plus sur soi que le meilleur Pasteur ne peut veiller sur son troupeau. On ne doit jamais s’oublier pour retrancher les réflexions même les plus intéressées, si on est encore dans la voie de l’amour intéressé. Enfin, on ne doit jamais s’oublier jusqu’à rejeter toutes sortes de réflexions comme des choses imparfaites : car les réflexions n’ont rien d’imparfait en elles même, et elles ne deviennent si souvent nuisibles à tant d’âmes, qu’à cause que les âmes malades de l’amour propre ne se regardent guère elles-mêmes que pour s’impatienter ou pour s’attendrir dans cette vue. D’ailleurs, Dieu inspire souvent par sa grâce aux aines les plus avancées des réflexions très utiles ou sur ses desseins en elles, ou sur ses miséricordes passées qu’il leur fait chanter, ou sur leurs dispositions dont elles doivent rendre compte à leurs Directeurs. Mais enfin l’amour désintéressé veille, agit, et résisté à la tentation encore plus que l’amour intéressé ne veille, n’agit, et ne résiste. L’unique différence est que la vigilance du pur amour est simple et paisible, au lieu que celle de l’amour intéressé qui est moins parfait a toujours quelque reste d’empressement et d’inquiétude, parce qu’il n’y a que le parfait amour qui chasse la crainte avec toutes ses suites.

Parler ainsi, c’est parler d’une manière correcte qui ne doit être suspecte à personne et suivre le langage des Saints.

Article XII. Faux §

Une âme pleinement désintéressée sur elle-même ne se désire plus le souverain bien, et ne s’aime plus même pour l’amour de Dieu. Elle se hait d’une haine absolue comme supposant que l’ouvrage du Createur n’est pas bon, et elle pousse jusques là l’abandon ou renoncement. Elle porte la haine de soi jusqu’à vouloir d’une volonté délibérée sa perte et sa réprobation éternelle. Elle rejette la grâce et la miséricorde. Elle ne veut que justice et vengeance. Elle devient tellement étrangère à elle même, qu’elle n’y prend plus aucune part ni pour le bien à faire ni pour le mal à fuir. Elle est indifférente d’une indifférence absolue a l’égard d’elle-même et du souverain bien qu’elle lui prépare ce bien ne la touche plus parce qu’elle ne s’aime plus même par charité comme le prochain. Elle ne veut que s’oublier en tout, et que se perdre sans cesse de vue. Elle ne se contente pas de s’oublier par rapport à son propre intérêt : elle veut encore s’oublier par rapport à la correction de ses défauts, et à l’accomplissement de la Loi de Dieu pour l’intérêt de sa pure gloire. Elle ne compte plus d’être chargée d’elle même, ni de veiller même d’une vigilance simple, paisible, et désintéressée sur ses propres volontés. Elle rejette toute réflexion comme imparfaite, parce qu’il n’y a que les vues purement directes et non réfléchies qui soient dignes de Dieu.Parler ainsi, c’est contre dire les expériences des Saints, dont toute la vie la plus intérieure a été remplie de réflexions très utiles faites par l’impression de la grâce ; puisqu’ils ont connu après coup les grâces passées, et les misères dont Dieu les a délivrés ; qu’enfin ils ont rendu compte d’un très grand nombre de choses qui s’étaient passées en eux. C’est faire de l’abnégation de soi même une haine impie de nôtre âme qui la suppose mauvaise par sa nature suivant le principe des Manichéens, on qui renverse l’ordre, en haïssant ou en n’aimant pas ce qui est bon et ce que Dieu aime en tant qu’il est son ouvrage. C’est anéantir toute vigilance, toute fidélité à la grâce, toute attention à faire régner Dieu en nous, tout bon usage de nôtre liberté. En un mot c’est le comble de l’impiété et de l’irréligion.

Article XIII. Vrai §

Il y a une grande différence entre les actes simples et directs et les actes réfléchis. Toutes les fois qu’on agit avec une conscience droite, il y a en nous une certitude intime que nous allons droit : autrement nous agirons dans le doute si nous ferions bien ou mal, et nous ne serions pas dans la bonne foi. Mais cette certitude, intime consiste souvent dans des actes si simples, si directs, si rapides, si momentanés, si dénués de toute réflexion que l’âme qui sait bien qu’elle les fait dans le moment où elle les fait, n’en retrouve plus dans la suite aucune trace distincte et durable. De là vient que si elle veut revenir par réflexion sur ce qu’elle a fait, elle tombe dans le doute ; elle ne croit plus avoir fait ce qu’elle devait, elle se trouble par scrupule, et elle se scandalise même de l’indulgence des Supérieurs quand ils veulent la rassurer sur ce qui s’est passe. Ainsi Dieu lui donne dans l’instant de l’action par des actes directs toute la certitude nécessaire pour la droiture de la conscience : et il lui dérobe aussitôt par sa jalousie la facilité de retrouver par réflexion et après coup cotte certitude <jt cette droiture : en sorte qu’elle ne pont ni en jouir pour sa consolation, ni se justifier à ses propres yeux. Pour les actes réfléchis, ils laissent après eux une trace durable et fixe qu’on retrouve toutes les fois qu’on veut : et c’est ce qui fait que les âmes encore intéressées pour elles-mêmes veulent sans cesse faire des actes fortement marqués et réfléchis pour s’assurer de leur opération et pour s’en rendre témoignage : au lieu que les aines désintéressées sont par elles mêmes indifférentes à faire des actes distincts ou indistincts,directs ou réfléchis. Elles en font de réfléchis toutes les fois que le précepte le peut demander, ou que l’attrait de la grâce les y porte ; mais elles ne recherchent point les actes réfléchis par préférence aux autres avec une inquiétude intéressée pour leur propre sûreté. D’ordinaire dans l’extrémité des épreuves, Dieu ne leur laisse que les actes directs dont elles n’aperçoivent ensuite aucune trace : et c’est ce qui fait le martyre des âmes, tandis qu’il leur reste encore quelque motif de leur intérêt propre. Ces actes directs et intimes, sans réflexion qui imprime aucune trace sensible, sont dans ce que saint François de Sales a nommé la cime de l’âme ou la pointe de l’esprit. C’était dans de tels actes que saint Antoine mettait l’Oraison la plus parfaite, quand il disait :

L’Oraison n’est point encore parfaite , quand le Solitaire connait qu’il fait Oraison.

Parler ainsi, c’est parler suivant l’expérience des Saints sans blesser la rigueur du dogme catholique. C’est même parler des opérations de l’âme conformément aux idées des bons Philosophes.

Article XIII. Faux §

Il n’y a point de véritables actes que ceux qui sont réfléchis et qu‘on sent ou qu’on aperçoit. Dés qu’on n’en fait plus de cette façon,il est vrai de dire qu’on n’en fait plus aucun de réel. Quiconque n’a point sur ses actes une certitude réfléchie et durable, n’a eu aucune certitude dans l’action. D’où il s’ensuit que les aines qui sont pendant les épreuves dans un désespoir apparent, y sont dans un désespoir véritable ; et que le doute où elles sont après avoir agi montre qu’elles ont perdu dans l’action le témoignage intime de la conscience. Parler ainsi, c’est renverser toutes les idées de la bonne Philosophie ; c’est détruire le témoignage de l’esprit de Dieu en nous pour notre filiation ; c’est anéantir toute vie intérieure et toute droiture dans les aines.

Article XIV. Vrai §

Il se fait selon les mystiques dans les dernières épreuves pour la purification de l’amour, une séparation de la partie supérieure de l’aine d’avec l’intérieure : cette espèce de séparation consiste en ce que les sens et l’imagination, qui sont ce qu’on nomme la partie inférieure n’ont aucune part à la paix et aux grâces, que Dieu fait alors assez souvent à l’entendement et à la volonté d’une manière simple et directe qui échappe à toute réflexion. D‘un autre côté la partie supérieure qui est l’entendement et la volonté n’ont aucune part au trouble et aux impressions de la partie inférieure. C’est ainsi que Jésus Christ nôtre parfait modèle a été bien heureux sur la Croix, en sorte qu’il jouïssoit par la partie supérieure de la gloire céleste, pendant qu’il était actuellement par l’inférieure l’homme des douleurs,avec une impression sensible de délaissement de son Pere. La partie inférieure ne communiquait à la supérieure ni son trouble ni les défaillances sensibles la supérieure ne communiquait à l’intérieur ni sa paix, ni sa béatitude. Pour entendre cette espèce de séparation, il faut se souvenir de la différence qui est entre les actes réels, mais simples et directs de l’entendement et de la volonté, qui ne laissent d’ordinaire aucune trace sensible, et des actes réfléchis qui laissant d’ordinaire une trace plus sensible dans l’imagination reviennent souvent se présenter à l’esprit. En cet état une âme troublée qui cherche a se consoler et a se rassurer voudront apercevoir ses actes vertueux et méritoires. Mais elle ne peut les voir par réflexion ces actes simples et directs qui ne laissent d’ordinaire aucune trace sensible échappent a ses réflexions ; 2° le trouble de la partie inférieure l’empêche de faire tranquillement ces reflexions pour apercevoir ses opérations directes. De nouvelles images pénibles viennent toujours troubler cette âme, et se succèdent les unes aux autres pour l’empescber de discerner ses propres actes ; 3° Dieu le permet afin que son amour se purifie dans une si rude éprouvé ou elle n’a aucun soutien sensible et aperçu. D’un autre côté les sens émus et l’imagination agitée sont dans un trouble auquel la partie supérieure n’a aucune part, et qu’elle ne peut calmer. La volonté ne consent point a ce trouble, et elle n’est pas maîtresse de le faire finir. Elle le souffre sans en être entraînée et sans pouvoir le dissiper. La partie inférieure ne consistant que dans l’imagination et dans les sens est par elle même aveugle incapable de réflexion, et ses impressions sont entièrement involontaires. Tel est l’état de tant de bonnes aines qui sont dans des tentations violentes. La partie supérieure qui est la seule capable de réflexions n’aperçoit en elle que la révolte de l’intérieur, et elle ne voit point ses actes directs qui pourraient la rassurer. De là viennent les scrupules, et les impressions involontaires de désespoir qui agitent ces aines. Elles prennent pour volontaires tous les mouvements indeliberez de la partie inférieure, et elles ne retrouvent point après coup leurs opérations volontaires pour se rassurer. En cela elles sont entièrement contraires aux âmes égarées qui se séduisent elles-mêmes, en prenant pour involontaires beaucoup de mouvements déréglés auxquels leur volonté à part, et en regardant comme très volontaires certaines affections sensibles pour Dieu qui ne sont point réellement volontaires et qui ne viennent que d’ une imagination excitée. Personne ne peut nier cette espèce de séparation de ces deux parties de l’âme. Les mystiques ne la doivent supposer que comme tous les théologiens la supposent et ils ne doivent jamais l’étendre plus loin que les autres l’ont étendue. Saint François de Sales l’a dépeinttrèsbien en peu de paroles dans une âme accablée d’épreuves. Le cœur, dit-il, en ces ennuis, spirituels tombe en une certaine impuissance de penser a leur fin et par conséquent d’être allégé par l’espérance.Bien quelle ait, dit-il encore, le pouvoir de croire, d’espérer, et damier Dieu, et qu’en vérité elle le fasse, toutefois ellen’apas la force de bien discerner si elle croit, espère, et chérit son Dieu, d’autant que la détresse l’ occupe et l’ accable si fort quelle ne peut faire aucun retour sur soi-même pour voir ce qu’elle fait, et c est pourquoi il lui est avis qu’elle n’a ni foi niespéranceni charité, ainsi seulement des fantosm.es et inutiles impressions de ces vertus la, qu’elle sent presque sans les sentir, et comme étrangers non comme domestiques de son âme, que si vous y prenez garde vous trouverez que nos esprits sont toujours en pareil état quand ils sont violemment occupez de quelque violente passion, car ils font plusieurs actions comme en songe, et desquelles ils ont si peu de sentiment qu’il ne leur est presque pas avis que ce soit en vérité que les choses se passent. Et en effet les hommes ont une peine extrême a croire réel tout ce qui n’a rien de sensible et de facile à retrouver toutes les fois qu’on veut le rappeler. Au contraire ils attribuent une entière réalité aux choses qui ébranlent les sens, et qui laissent d’elles des images grossières et durables. Par cette raison les aines peinées regardent comme des songes ou comme de simples spéculations le peu qu’elles aperçoivent de leurs actes vertueux. et elles sont vivement frappées de toute cette révolte sensible de la partie inférieure, qui leur parait être le véritable fonds de leur volonté. La séparation ne consiste donc que dans la grande opposition qui se trouve alors entre les mouvements indeliberez de la partie inférieure, et les actes libres de la supérieure. L’une révoltée ne tend qu’au mal. L’autre unie a Dieu a horreur de tout mal, et ne veut que le bien. Mais la partie supérieure qui ne veut que le bien ne voit point clairement le bien qu’elle veut, et ne se représente sans cesse que le mal qu’elle croit vouloir Cette espèce de séparation a néanmoins des bornes. Elle ne peut jamais être entière. L’union de l’aine avec le corps ne permet jamais que l’aine en cette vie n’ait plus aucun pouvoir sur le corps auquel elle est unie. Cette union est un rapport réciproque des pensées de l’un et des mouvements de l’autre. La volonté a toujours en tout état un certain pouvoir sur les mouvements du corps et à plus forte raison sur los opérations de l’imagination qui sont de l’âme et du corps tout ensemble. Tous les philosophes et tous les théologiens reconnaissent il est vrai, qu’il y a certains premiers mouvements du corps et même de l’imagination qui préviennent la liberté de l âme, et sa décision. Il faut même avouer que ces premiers mouvements indeliberez peuvent être plus forts et un peu plus longs dans les passions violentes. Mais enfin l’âme ne serait plus dans son union naturelle avec le corps, si elle n’avait plus le pouvoir de le ramener bientôt. Si le premier mouvement peut être indélibéré, ou ne doit pas le supposer du second. Autrement l’aine ne serait plus dans un état naturel, et la loi de son union avec le corps serait altérée. Ce ne serait plus un trouble naturel et une passion violente. Ce serait un désordre surnaturel et une espèce de miracle. De tels effets surnaturels ne sont point de la voie de pure foi, dont il s’agit ici. Il faut donc rejeter ces troubles surnaturels dont le discernement serait si difficile et dont les conséquences seraient si dangereuses. Que ceux qui admettent facilement les choses surnaturelles dans les voies intérieures prennent bien garde aux suites funestes qu’elles peuvent avoir par une illusion subtile. Ce qui est certain c’est que la voie de pur amour et de pure foi est exempte de ces inconvénients. Tout y demeure dans les bornes d’un état naturel. Ainsi dans cette voie simple, excepté les premiers mouvements que tout le monde suppose indeliberez dans les grandes passions, tous les autres mouvements du corps, des sens et de l’imagination doivent être dans l’ordre naturel. On y peut voir du trouble, et quelques premières saillies un peu irrégulières, mais la volonté les doit réprimer aussitôt. Elle doit être docile a tous les ordres des supérieurs. Ces supérieurs peuvent et doivent à cause de ce trouble excuser certains premiers mouvements pourvu qu’ils soient sans suite.

Mais a l’égard de certaines actions qui demandent un peu de suite, et pour lesquelles les premiers mouvements ne peuvent suffire dans le cours naturel des choses humaines, elles doivent toujours être censées volontaires, et la partie supérieure est par conséquent a i cet égard toujours responsable de l’intérieure. Voilà la règle constante et inviolable pour la voie de pure foi qui n’admet rien de surnaturel, et qui par la réduit toutes les plus extrêmes épreuves a une conduite simple ou la pureté des mœurs évangéliques demeure hors d’atteinte.

Quelqu’un pourra aller plus loin et me demander quelles bornes on peut donner a cette séparation de la partie supérieure et de l’intérieure dans les possessions, dans les obsessions et dans les autres saisissements de l’aine qui sont surnaturels. Mais c’est me demander ce, qui n’entre point dans le sujet que je traite. Cette difficulté regarde également toutes les voies intérieures, autant celle de l’amour mélangé d’intérêt propre que celle du plus pur amour et bien plus les voies de lumières et de sentiments extraordinaires que celle de pure foi. Pour la voie de pure foi elle est sans doute la moins exposée au danger d’illusion sur ces choses extraordinaires ; on peut dire même qu’elle donne quand elle est fidèlement suivie une pleine sûreté contre de tels pièges, car elle accoutume les aines à outrepasser comme dit le B. Jean de la Croix, tout ce qui n’est point la foi nue et obscure. Par la elle purifie le cœur de l’homme de presque toutes les choses que Dieu peut punir par les possessions véritables, et en même temps elle le dégage de son imagination, source inépuisable de possessions fausses. Il est vrai qu’on ne peut rejeter absolument eu général les possessions puisque l’Écriture et l’Église les ont reconnues ; il est vrai encore qu’on ne peut donner des bornes précisées aux actions volontaires et involontaires des hommes qui seraient véritablement possédés. Mais tous les théologiens sont également dans l’impuissance de marquer ces bornes précises. En général, on doit user d’une précaution infinie pour ne supposer jamais ni possession ni obsession sans preuve évidemment reconnue par un grand nombre d’hommes très éclairez et très pieux. De plus on doit craindre à tout moment a l’égard même des possessions reconnues pour véritables de ne laisser point le démon passer de la possession du corps a celle de l’âme. La personne possédée n’est pas toujours dans les transports involontaires de la possession, et lors même qu’elle est actuellement dans ces transports il peut lui rester de la liberté pour s’abstenir des choses défendues. C’est a elle a ne se point relâcher sur toutes les choses ou elle est encore un peu libre, et a résister courageusement aux impressions malignes du tentateur. C’est aux supérieurs ecclésiastiques a veiller sur cette âme pour la préserver d’une possession intérieure bien plus funeste que celle qui frappe les sens. Mais encore une fois cette difficulté commune a toutes les voies ne regarde point la voie de pur amour et de pure foi. Rien ne diminue tant ces choses extraordinaires, que de ne s’y arrêter point et de ne tenir qu’a Dieu seul.

Parler ainsi, c’est parler suivant le dogme Catholique, et donner les plus grands préservatifs contre l’illusion

Article XIV. Faux §

Il se fait dans les épreuves une entière séparation de la partie supérieure d’avec l’intérieure. La supérieure est unie avec Dieu d’une union dont il ne paraît en aucun teins aucune trace sensible et distincte, ni pour l’espérance, ni pour l’amour, ni pour les autres vertus convenables à l’état de la personne. La partie inférieure devient toute animale dans cette séparation, et tout ce qui se passe en elle contre la régie des mœurs n’est censé, ni volontaire, ni démeritoire, ni contraire à la pureté de la partie supérieure. On peut supposer qu’il vient de possession ou d’obsession secrète eu même teins la partie supérieure est toute parfaite.

Parler ainsi, c’est anéantir la Loi et les Prophètes : c’est parler le langage des Démons.

Article XV. Vrai §

Les personnes qui sont dans ces épreuves rigoureuses ne doivent jamais négliger cette sobriété universelle dont les Apôtres ont si souvent parlé, et qui consiste dans un usage sobre de toutes les choses qui nous environnent. Cette sobriété s’étend sur toutes les opérations des sens, sur celles de l’imagination et de l’esprit même. Elle va jusqu’à rendre notre sagesse sobre et tempérée. Elle réduit tout au simple usage et a l’usage de nécessité. Cette sobriété emporte une privation continuelle de tout ce qu’on ne gouterait que pour se contenter. Cette mortification, ou pour mieux dire cette mort, va jusqu’à retrancher non seulement tous les mouvements volontaires de la nature corrompue et révoltée par la volupté de la chair et par l’orgueil de l’esprit ; mais toutes les consolations les plus innocentes que l’amour intéressé recherche avec empressement et par des réflexions inquiètes. Cette mortification se pratique avec paix et simplicité, sans inquiétude et sans âpreté contre soi-même, souvent sans méthode, car quoique les méthodes soient en elles-mêmes bonnes et utiles soit pour l’oraison, soit pour la pratique des vertus, il vient néanmoins des temps ou les aines parfaites ne faisant que des choses vertueuses les font avec plus de liberté suivant l’attrait journalier de leur grâce. Ces aines se mortifient suivant les occasions et les besoins, mais d’une manière réelle et sans relâche.

Il est vrai que les personnes accablées par l’excès des épreuves, sont d’ordinaire obligées par l’obéissance pour un Directeur expérimenté, de cesser, ou de diminuer certaines austérités corporelles auxquelles elles ont été fort attachées. Cet adoucissement est nécessaire pour soulager leurs corps défaillants clans la rigueur des peines intérieures, qui sont la plus terrible des pénitences. Il arrive même souvent que ces aines ont été trop attachées à ces austérités : et la peine qu’elles ont d’abord à obéir pour s’en priver dans cet accablement, marque qu’elles y tenaient un peu trop. Mais c’est leur imperfection personnelle, et non celle des austérités qu’il en faut accuser. Les austérités suivant leur institution, sont utiles et souvent nécessaires : Jesus-Christ nous en a donné l’exemple, qui a été suivi par tous les Saints. Elles abattent la chair révoltée, servent à réparer les fautes commises et a se préserver des tentations. Il est vrai seulement qu’elles ne servent à détruire le fonds de l’amour propre ou cupidité qui est la racine de tous les vices, ni à unir une âme à Dieu, qu’autant qu’elles sont animées par l’esprit de recueillement, d’amour et d’oraison : faute de quoi elles amortiraient les passions grossières, et rempliraient contre leur institution l’homme de lui-même. Ce ne serait plus qu’une justice de la chair. Il faut encore observer que les personnes de cet état étant privées de toutes les grâces sensibles et de l’exercice fervent de toutes les vertus aperçues n’ont plus ni goût, ni ferveur sensible, ni attrait marqué pour toutes ces austérités qu’elles avaient pratiquées avec tant d’ardeur. Alors leur pénitence se réduit à porter dans une paix très amère la colère de Dieu qu’elles attendent sans cesse, et leur désespoir apparent. Il n’y a point d’austérité ni de tourment qu’elles ne souffrissent avec joie et soulagement en la place de cette peine intérieure. Tout leur attrait intime est de porter leur agonie,où elles disent sur la Croix avec Jésus Christ. O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez- vous délaissé ?

Parler ainsi, c’est reconnaître la nécessité perpétuelle de la mortification. C’est autoriser les austérités corporelles, qui sont par leur institution très salutaires. C’est vouloir que les âmes les plus parfaites fassent une pénitence proportionnée à leurs forces, à leurs grâces et aux épreuves de leur état.

Article XV. Faux §

Les austérités corporelles ne font qu’irriter la concupiscence et qu’inspirer à l’homme qui les pratique une complaisance de Pharisien. Elles ne sont point nécessaires pour prévenir ni pour apaiser les tentations. L’oraison tranquille suffit toujours pour soumettre la chair à l’esprit. On peut quitter volontairement ces pratiques comme grossières, imparfaites, et qui ne sont convenables qu’aux commençants.

Parler ainsi, c’est parler en ennemi de la Croix de Jesus Christ, c’est blasphémer contre ses exemples et contre toute la tradition : c’est contredire le Fils de

Dieu qui dit : Depuis les jours de Jean, le Royaume de Dieu souffre violence, et les violenta le ravissent.

Article XVI. Vrai §

Il y a deux sortes de propriétés. La première est un péché pour tous les chrétiens. La seconde n’est point un péché même véniel, mais seulement une imperfection par comparaison à quelque chose qui est plus parfait, et ce n’est même une véritable imperfection, que pour les âmes actuellement attirées par la grâce au parfait désintéressement de l’amour. La première propriété est l’orgueil. C’est un amour de sa propre excellence en tant que propre, et sans aucune subordination à nôtre fin essentielle qui est la gloire de Dieu. Cette propriété est celle qui fit le péché du premier ange, lequel s’arrêta en lui même, comme dit saint Augustin, au lieu de se rapporter à Dieu, et par cette simple appropriation de lui même il ne demeura point dans la vérité. Voilà ce qu’on nomme cupiditas inordinata.

Cette propriété est en nous un péché plus ou moins grand, suivant qu’elle est plus ou moins volontaire. La seconde propriété, qu’il ne faut jamais confondre avec la première, est un amour de notre propre excellence en tant qu’elle est la nôtre, et par un amour de nous-mêmes qui n’est point l’amour de pure charité, mais néanmoins avec subordination à noire fin essentielle qui est la gloire de Dieu. Nous voulons les vertus les plus parfaites ; nous les voulons principalement pour la gloire de Dieu, mais nous les voulons aussi pour en avoir le mérité et la récompense. Nous les voulons encore pour la consolation de devenir parfaits. C’est ce que saint Bernard appelle cupiditas ordinata. C’est la résignation qui, suivant saint François de Sales, a encore des désirspropres, mais soumis. Ces vertus qui sont intéressées pour nôtre perfection et pour nôtre béatitude sont bonnes, parce qu’elles sont rapportées à Dieu comme fin principale. Mais elles sont moins parfaites que les vertus exercées par le principe de la sainte indifférence, qui est la charité pour nous même jointe avec le désir de la gloire de Dieu en nous, sans aucun motif intéressé, ni pour nôtre mérité, ni pour nôtre perfection, ni pour nôtre récompense même éternelle.

Ce motif d’intérêt spirituel qui reste toujours dans les vertus, tandis que l’aine est encore dans l’amour intéressé, est ce que les Mystiques ont appelé propriété. C’est ce que le bienheureux Jean de la Croix appelle avarice et ambition spirituelle. L’âme qu’ils nomment propriétaire rapporte à Dieu ses vertus par le principe mélangé qui fait la sainte résignation, et en cela elle est moins parfaite que l’aine désintéressée, qui rapporte les siennes par le principe pur qui fait la sainte indifférence. Cette propriété qui n’est point un péché, est néanmoins appelée par les Mystiques une impureté ; non pour dire que ce soit une souillure de l’âme, mais seulement pour signifier que c’est un mélange de divers motifs qui empêche l’amour d’être pur ou sans mélange.

Ils disent souvent qu’ils trouvent encore cette impureté ou mélange de motifs intéressez dans leur oraison et dans leurs plus saints exercices. Mais il faut bien se garder de croire qu’ils veuillent alors parler d’aucune impureté vicieuse.

Quand on entend clairement ce que les Mystiques entendent par propriété, on ne peut plus avoir de peine à comprendre ce que veut dire des appropriations. C’est l’opération de la grâce qui purifie l’amour et qui le rend désintéressé dans l’exercice de toutes les vertus. C’est par les épreuves que cette désappropriation se fait. Elle y perd, disent les Mystiques, toutes les vertus : mais cette perte n’est qu’apparente et pour un temps borné.

Le fonds des vertus, loin de se perdre réellement, ne fait que se perfectionner par le pur amour. L’aine y est dépouillée de toutes les grâces sensibles, de tous les goûts, de toutes les facilités, de toutes les ferveurs qui pourraient la consoler et la rassurer. C’est pourquoi saint Fr. de Sales parle ainsi. Ouy Tbeotime le même

Seigneur qui nous fait désirer les vertus en nôtre commencement et qui nous les fait pratiquer en toutes occurrences, c’est lui même qui nous ôte l’affection des vertus et de tous les exercices spirituels, afin qu’avec plus de tranquillité, de pureté et de simplicité, nous n’affectionnions rien que le bon plaisir de la divine majesté. Il faut observer que ce grand saint ne dit pas que Dieu ôte le fonds des vertus. Il en ôte seulement l’affection sensible, la facilité, l’exercice aperçu qui nous tiendrait encore attachés à notre consolation en même temps qu’au bon plaisir de Dieu qu’il faut affectionner seul dans les vertus. Alors une âme perd de plus en plus les actes méthodiques et excitez avec empressement pour se rendre à soi-même un témoignage intéressé sur sa perfection. Mais elle ne perd ni les actes directs de l’amour, ni l’exercice des vertus distinctes dans le cas du précepte ni la haine intime du mal ni la certitude momentanée nécessaire pour la droiture de conscience, ni le désir désintéressé de l’effet des promesses en elle. La seule apparence de son démérité suffit pour faire sa plus rigoureuse épreuve, pour lui ôter tout soutien aperçu, et pour ne laisser aucune ressource à l’intérêt propre. Pourquoi donc voudront on y ajouter encore quelque mal réel, comme si Dieu ne pou voit perfectionner sa créature que par le péché réel ? Au contraire, l’âme pourvu qu’elle soit fidèle dans les épreuves qu’on nomme perte et désappropriation, ne souffre aucune diminution réelle de sa perfection, et ne fait que croître sans cesse dans la vie intérieure. Enfin, l’âme qui se purifie dans l’expérience de ses fautes quotidiennes en haïssant son imperfection parce qu’elle est contraire à Dieu, aime néanmoins l’abjection qui lui en revient ; parce que cette abjection loin d’être le péché, est, au contraire, l’humiliation qui est la pénitence et le remède du péché même. Ayant détesté l’offense, dit saint Fr. de Sales, embrassez amoureusement l’abjection qui est en vous, etc. Cette âme hait sincèrement toutes ses fautes autant qu’elle aime Dieu, souveraine perfection : mais elle se sert de ses fautes pour s’humilier paisiblement : et, par là, ses fautes deviennent les fenêtres de l’âme par où la lumière de Dieu entre, suivant l’expression de Balthazar Alvarez.

Parler ainsi, c’est développer le vrai sens des meilleurs Mystiques. C’est suivre un système simple, qui se réduit uniquement au désintéressement de l’amour autorisé par la tradition de tous les siècles.

XVI. Faux §

La propriété des Mystiques, qui est l’amour intéressé, est une impureté réelle. C’est une souillure de l’aine. Les vertus de cet état ne sont point méritoires. Il faut perdre réellement le fonds de ses vertus. Il faut cesser d’en produire les actes mêmes les plus intimes et les plus directs. Il faut perdre réellement la haine du péché, l’amour de Dieu, les vertus distinctes de son état dans le cas du précepte. Il faut perdre réellement la certitude momentanée nécessaire pour la droiture de la conscience, et le désir même désintéressé de l’effet des promesses en nous. Il faut aimer notre abjection, en sorte que nous aimions véritablement notre peché même, parce qu’il nous rend abjects et contraires à Dieu. Enfin il faut pour être entièrement pur se dépouiller de ses vertus, et en faire à Dieu un sacrifice désintéressé par des actions volontaires qui violent sa loi et qui soient incompatibles avec ces vertus.

Parler ainsi, c’est faire un péché de l’amour intéressé contre la décision formelle du saint Concile de Trente. En même temps, c’est dépouiller les âmes de la robe d’innocence, et éteindre toute grâce en elles sous prétexte de les en désapproprier. C’est tourner en mépris toutes les vertus qui sont aimables et nécessaires à cause de leur conformité a l’ordre qui est Dieu même. C’est autoriser le Mystère d’iniquité, et renouveler l’impiété des faux Gnostiques, qui voulaient se purifier par la pratique de l’impureté même, comme nous l’apprenons de saint Clement d’Alexandrie.

Article XVII. Vrai §

Il y a un très petit nombre d’âmes qui soient dans ces dernières épreuves, où elles achèvent de se purifier de tout intérêt propre. Le reste des aines, sans passer par ces épreuves, ne laisse pas de parvenir à divers degrés de sainteté très réelle et très agréable a Dieu. Autrement on reduirait l’amour intéressé à un culte Judaïque on insuffisant pour la vie éternelle, contre la décision du saint Concile de Trente. Le Directeur ne doit passe rendre facile pour supposer que les tentations où il voit une âme sont des tentations extraordinaires. On ne sçauroit trop se défier de l’imagination échauffée, et qui exagère tout ce que l’on ressent ou qu’on croit ressentir. Il faut se défier d’un orgueil subtil et presque imperceptible, qui tend toujours à se flatter d’être une âme extraordinairement conduite. Il faut se défier de l’illusion qui se glisse, et qui fait qu’après avoir commencé par l’esprit avec une ferveur sincère, on finit par la chair. Il est donc capital de supposer d’abord, que les tentations d’une âme ne sont que des tentations communes dont le remède est la mortification intérieure et extérieure, avec tous les actes de crainte, et toutes les pratiques de l’amour intéressé. Il faut même être ferme pour n’admettre rien au-delà sans une entière conviction que ces remèdes sont absolument inutiles, et que le seul exercice simple et paisible du pur amour apaise mieux la tentation : c’est en cette occasion que l’illusion et le danger des égarements est extrême. Si un Directeur sans expérience ou trop crédule suppose qu’une tentation commune est une tentation extraordinaire pour la purification de l’amour, il perd une âme, il la remplit d’elle-même, et il la jette dans une indolence incurable sur le vice on elle ne peut manquer de tomber. Quitter les motifs intéressez quand on en a encore besoin, c’est ôter à un enfant le lait de sa nourrice, et le faire mourir cruellement en le sevrant mal à propos. Souvent les âmes qui sont encore très imparfaites et toutes pleines d’elles-mêmes, s’imaginent sur des lectures indiscrètes et disproportionnées à leurs besoins, qu’elles sont dans les plus rigoureuses épreuves du pur amour, pendant qu’elles ne sont que dans des tentations très naturelles qu’elles s’attirent elles-mêmes par une vie lâche, dissipée, et sensuelle. Les épreuves dont nous parlons ici, ne regardent que des âmes déjà très avancées dans la mortification extérieure et intérieure, qui n’ont rien appris par les lectures prématurées, mais par la seule expérience de la conduite de Dieu sur elles, qui ne respirent que candeur et docilité, qui sont toujours toutes prestes à croire qu’elles se trompent, et qu’elles doivent rentrer dans la voie commune. Ces âmes ne sont mises en paix au milieu de leurs tentations par aucun des remèdes ordinaires qui sont les motifs d’un amour intéressé, du moins pendant qu’elles sont actuellement attirées par la grâce du pur amour. Il est vrai seulement que cette grâce aussi bien que l’état pour lequel elle est donnée admet quelques variations sans suite. Mais quand la grâce du pur amour agit sur ces âmes, il n’y a que la fidèle coopération à cette grâce qui calme leurs tentations, et c’est par là qu’on peut distinguer leurs épreuves des épreuves communes. Les âmes qui ne sont pas dans cet état tomberont infailliblement dans des excès horribles, si on veut contre leur besoin les tenir dans les actes simples du pur amour ; et celles qui ont le véritable attrait du pur amour, ne seront jamais mises en paix par les pratiques ordinaires de l’amour intéressé. C’est pour le soulagement de ces âmes peinées que nous avons dit dans notre 33e article qu’on peut leur inspirer un consentement a souffrir les tourments éternels au lieu des biens éternels qui leur sont promis ; si on ne va pas jusqu’a inspirer ce consentement, du moins on peut le laisser faire quand on a reconnu que ces âmes sont vraiment humbles que leur trouble est invincible par les actes ordinaires, que le cœur en ces ennuis spirituels comme dit saint François de Sales tombe en une certaine impuissance de penser a leur fin et par conséquent d’être allégé par l’espérance. C’est ainsi que ce grand saint avait eu lui même besoin de ce remède extrême lorsqu’il porta assez longtemps une impression de réprobation et une réponse de mort assurée. On voit qu’il fallut selon l’auteur de sa vie, dans les dernières presses d’un si rude tourment en venir a cette terrible résolution que puisqu’on l’autre vie il devait être privé pour jamais de voir et d’aimer un Dieu si digne d’être aimé, il voulait au moins pendant qu’il vivait sur la terre faire tout son possible pour l’aimer de toutes les forces de son âme, etc. Cette supposition quoique impossible donna lieu a un acte où le saint homme trouva sa délivrance, puisque comme dit l’auteur de sa vie le démon vaincu par un acte d’amour si désintéressé lui céda la victoire et lui quitta la place. Voilà le fruit de ces terribles résolutions et de ces grands sacrifices. C’est pour un acte d’amour si désintéressé que Dieu jaloux permet ces tentations extrêmes. Le Directeur ne doit pas empêcher ce désintéressement d’amour pour lequel il permet le trouble de l’âme. On ne mettra jamais une âme dans une paix solide en lui faisant faire à contretemps, certains actes qui ne sont pas ceux que Dieu veut, et qui sont ceux d’amour désintéressé. Qui est-ce qui a résisté a Dieu et qui a eu la paix ? Les vies des Saints des derniers siècles sont pleines de semblables sacrifices d’amour, et ces exemples suffisent pour les autoriser, car on ne peut blâmer ce qui est canonisé pour ainsi dire par l’Église. De plus les anciens Peres que nous connaissons moins en détail ne laissent pas de nous fournir de ces exemples admirables. Mais pour faire un discernement, des âmes humbles et parfaites a qui ce désintéressement de l’amour convient, il faut éprouver les esprits pour savoir s’ils viennent de Dieu et il n’y a que l’esprit de Dieu qui sonde les profondeurs de Dieu.

Parler ainsi, c’est parler avec toute la précaution nécessaire sur une matière où la précaution ne saurait être trop grande, et c’est en même temps admettre toutes les maximes des Saints.

XVII. Faux §

L’exercice simple, paisible et uniforme du pur amour, est le seul remède qu’il faut employer contre toutes les tentations de tous les différents états. On peut supposer que toutes les épreuves tendent à la même fin et ont besoin du même remède. Toutes les pratiques de l’amour intéressé et tous les actes excités par ce motif, ne font que remplir l’homme d’amour-propre qu’irriter la jalousie de Dieu, et que fortifier la tentation.

Parler ainsi, c’est confondre tout ce que les Saints ont si soigneusement séparé : c’est aimer la séduction et courir après elle : c’est pousser les âmes dans le précipice, en leur ôtant toutes les ressources de leur grâce présente.

Article XVIII. Vrai §

La volonté de Dieu est toujours notre unique régie, et l’amour se réduit tout entier à une volonté qui ne veut plus que ce que Dieu veut et lui fait vouloir. Mais il y a plusieurs sortes de volonté de Dieu. Il y a la volonté positive exprimée dans l’écriture et dans la tradition qu’on nomme volonté signifiée, parce qu’elle nous est signifiée dans la loi divine. C’est elle qui commande le bien et qui défend le mal. Celle-là est la seule régie invariable de nos volontés et de toutes nos actions volontaires. Il y a une seconde volonté de Dieu, qui se montre à nous par l’inspiration ou attrait de la grâce qui est dans tous les justes. Cette volonté de Dieu doit être aussi notre régie, mais elle est variable, car Dieu peut nous donner un attrait tantôt pour une autre très différente. La règle fixe est dans la volonté écrite. La volonté qui nous vient par l’inspiration de la grâce est toujours entièrement conforme à la volonté écrite, et il n’est pas permis de croire qu’elle puisse exiger de nous autre chose que l’accomplissement fidèle des préceptes et des conseils renfermés dans la Loy. Il y a une troisième volonté de Dieu qui est une volonté de simple permission. C’est celle qui souffre le péché sans l’approuver. La même volonté qui le permet le condamne. Elle ne le permet pas en le voulant positivement mais seulement en le laissant faire, et en ne l’empêchant point. Cette volonté de permission n’est jamais notre réglé. Il serait impie de vouloir notre péché, sous prétexte que Dieu le veut permissivement. 1° Il est faux que Dieu le veuille. Il est vrai seulement, qu’il n’a pas une volonté positive de l’empêcher. 2° Dans le temps même qu’il n’a pas la volonté positive de l’empêcher, il a la volonté actuelle et positive de le condamner et de le punir, comme essentiellement contraire à Sa Sainteté immuable à laquelle il doit tout. 3° On ne doit jamais supposer la permission de Dieu pour le péché qu’après qu’on l’a malheureusement consommé, et qu’on ne peut plus empêcher que ce qui est fait ne soit fait. Alors il faut se conformer tout ensemble aux deux volontés de Dieu. Suivant l’une, il faut se condamner, se repentir de son péché detester et punir en soi ce que Dieu y condamne et y veut punir. Suivant l’autre,il faut vouloir la confusion et l’abjection, qui n’est pas le péché, mais au contraire, qui est la pénitence et le remède du péché même : parce que cette confusion salutaire et cette abjection qui a toute l’amertume d’une médecine, est un bien réel que Dieu a voulu positivement tirer du péché, quoi qu’il n’ait jamais voulu positive- ment le péché même. C’est aimer le remède qu’on tire du poison, sans aimer le poison.

Parler ainsi, c’est parler comme tous les Saints, et dans toute l’exactitude du dogme Catholique.

XVIII. Faux §

Il faut se conformer à toutes les volontés de Dieu, et à ses permissions comme à ses autres volontez.il faut donc permettre en nous le péché quand nous croyons que Dieu le va permettre. Il faut aimer notre péché quoique contraire à Dieu à cause de son abjection qui purifie nôtre amour, et qui nous ôte toute prétention et tout mérité pour la récompense. Enfin l’attrait ou inspiration de la grâce, exige des âmes pour les rendre plus désintéressées sur la récompense éternelle, qu’elles violent la Loy écrite.

Parler ainsi, c’est enseigner l’apostasie, et mettre l’abomination de la désolation dans le lieu le plus saint ; ce n’est pas la voix de l’Agneau, mais celle du dragon.

Article XIX. Vrai §

L’Oraison vocale sans la mentale, c’est a dire sans l’attention de l’esprit et l’affection du cœur, est un culte superstitieux qui n’honore Dieu que des lèvres, pendant que le cœur est loin de lui. L’Oraison vocale n’est bonne et méritoire, qu’autant qu’elle est dirigée et animée par celle du cœur. Il vaudrait mieux réciter peu de paroles avec beaucoup de recueillement et d’amour, que de longues prières avec peu ou point de recueillement, quand elles ne sont point de précepte. Prier sans attention et sans amour, c’est prier comme les Payens, qui s’imaginaient d’être exaucez à cause de là multitude de leurs paroles. On ne prie qu’autant qu’on désire,et on ne désire qu’autant qu’on aime au moins d’un amour mêlé d’intérêt. Il faut néanmoins aimer, respecter et conseiller l’Oraison vocale, parce quelle est propre à réveiller les pensées et les affections qu’elle exprime, qu’elle a été enseignée par le Fils de Dieu aux Apôtres mêmes, et qu’elle a été pratiquée par toute l’Église dans tous les siècles. Il y aurait de l’impiété à mépriser ce sacrifice de louanges, ce fruit des lèvres qui confessent le nom du Seigneur. L’Oraison vocale peut bien gêner pour un temps les âmes contemplatives qui sont encore dans les commencements imparfaits de leur contemplation, parce que leur contemplation est plus sensible et affectueuse que pure et tranquille. Elle peut encore être à charge aux âmes qui sont dans les dernières épreuves, parce que tout les trouble en cet état. Mais ces inconvénients ne viennent d’aucune imperfection de l’oraison vocale eu elle-même, ils viennent ou de la résistance a un attrait de grâce pour le simple recueillement dans des teins ou l’on voudrait réciter des prières vocales. qui ne sont pas d’obligation, ou bien ils viennent de l’imperfection de l’âme qui est dans une contemplation encore trop mêlée et sensible, ou dans une peine qui vient de ce que son amour n’est pas encore assez pur. Mais il ne faut jamais laisser ces âmes abandonner sans permission de l’Église et sans une véritable impuissance reconnue par les Supérieurs légitimes, aucune prière vocale qui soit d’obligation. Encore même faut-il que ces supérieurs aient les qualités nécessaires pour discerner cette impuissance ou qu’ils aient recours a d’autres supérieurs d’une plus grande autorité pour décider ces cas si extraordinaires. L’oraison vocale prise avec simplicité et sans scrupule lorsqu’elle est de précepte peut bien gêner une âme par rapport aux choses que nous venons de marquer : mais elle n’est jamais contraire à la plus haute contemplation. L’expérience fait même voir que les âmes les plus éminentes, au milieu de leurs plus sublimes communications, font avec Dieu des colloques familiers, et qu’elles lisent ou récitent à, haute voix et dans une espèce de transport, certaines paroles enflammées des Apôtres et des Prophetes.

Parler ainsi, c’est expliquer la saine doctrine dans les termes les plus corrects.

XIX. Faux §

L’oraison vocale n’est qu’une pratique grossière et imparfaite des commençants. Elle est entièrement inutile aux aines contemplatives. Elles sont dispensées par l’éminence de leur état de la récitation des prières vocales qui leur sont commandées par l’Église, parce que leur contemplation contient éminemment tout ce que les différentes parties de l’Office Divin renferment de plus édifiant.

Parler ainsi, c’est mépriser la lecture des Livres sacrez : c’est oublier que Jésus Christ nous a enseigné une oraison vocale qui contient la perfection de la contemplation la plus haute : c’est ignorer que la pure contemplation n’est jamais perpétuelle en cette vie, et que dans ses intervalles on peut et on doit réciter facilement l’Office qui est de précepte et qui par lui même est si propre à nourrir dans les âmes l’esprit de contemplation.

Article XX. Vrai §

La lecture ne doit se faire ni par curiosité, ni pur le désir de juger de son état ou de se décider soi-même sur ses lectures ni par un certain gout de ce qu’on appelle esprit et des choses élevées. Il ne faut lire les livres les plus saints et même l’Écriture, qu’avec dépendance des Pasteurs, ou des Directeurs qui tiennent leurs places. C’est à eux à juger si chaque fidèle est assez préparé si son cœur est assez purifié et assez docile pour chaque lecture différente. Ils doivent discerner l’aliment proportionné à chacun de nous. Rien ne cause tant d’illusion dans la vie intérieure que le choix indiscret des livres. Il vaut mieux lire pieu et faire de longues interruptions de recueillement pour laisser l’amour imprimer en nous plus profondément les vérités Chrétiennes. Quand le recueillement nous fait tomber le livre des mains, il n’y a qu’à le laisser tomber sans scrupule. On le reprendra assez dans la suite, et il reviendra à son tour pour renouvelé le recueillement.

L’amour quand il enseigne par son onction, surpasse tous les raisonnements que nous pourrions faire sur les livres. La plus puissante de toutes les persuasions est celle de l’amour. Il faut néanmoins reprendre le livre qui est au-dehors, quand le livre intérieur cesse d’être ouvert. Autrement l’esprit vide tomberait dans une oraison vague et imaginaire, qui serait une réelle et pernicieuse oisiveté. On négligerait sa propre instruction sur les vérités nécessaires. On abandonnerait la parole de Dieu. On ne poserait jamais les fondements solides de la connaissance exacte de la Loi de Dieu, et des mystères révélés.

Parler ainsi, c’est parler suivant la tradition et l’expérience des saintes âmes.

XX. Faux §

La lecture, même des livres les plus saints, est inutile à ceux que Dieu enseigne entièrement et immédiatement par lui même. Il n’est pas nécessaire que ces personnes aient posé le fondement de l’instruction commune. Elles n’ont qu’à attendre toute lumière de vérité de leur oraison. Pour les lectures, quand on est porté à en faire, on peut choisir sans consulter ses Supérieurs les livres qui traitent des états les plus avancez. On peut lire les livres qui sont ou censurez ou suspects aux Pasteurs,

parler ainsi, c’est anéantir l’instruction chrétienne qui est l’aliment de la foi. C’est substituer à la pure parole de Dieu une inspiration intérieure qui est fanatique. D’un autre côté, c’est permettre aux aines de s’empoisonner elles-mêmes par des lectures contagieuses, ou du moins disproportionnées à leurs vrais besoins : c’est leur enseigner la dissimulation et la désobéissance.

Article XXI. Vrai §

Il faut distinguer la Meditation de la Contemplation. La Meditation consiste dans des actes discursifs qui sont faciles à distinguer les uns des autres, parce qu’ils sont excités par une espèce de secousse marquée, parce qu’ils sont variés par la diversité des objets auxquels ils s’appliquent, parce qu’ils tirent une conviction sur une vérité de la conviction d’une autre vérité déjà connue, parce qu’ils tirent une affection de plusieurs motifs méthodiquement rassemblez. Enfin parce qu’ils sont faits et réitérez avec une réflexion qui laisse après elle des traces distinctes et sensibles dans le cerveau. Cette composition d’actes discursifs et réfléchis est propre à l’exercice de l’amour intéressé, parce que cet amour imparfait qui ne chasse point la crainte a besoin de deux choses. L’une est de rappeler souvent tous les motifs intéressez de crainte et d’espérance. L’autre est, de s’assurer de son opération par des actes bien marquez et bien réfléchis. Ainsi la Méditation discursive est l’exercice convenable à cet amour mélangé d’intérêt. L’amour craintif et intéressé ne pourrait jamais se contenter de faire dans l’oraison des actes simples, sans aucune variété de motifs intéressez. Il ne pourrait jamais se contenter de faire des actes dont il ne se rendrait à lui-même par réflexion aucun témoignage. Au contraire, la Contemplation est selon les Théologiens les plus célébrés, et selon les Saints Contemplatifs les plus expérimentés, l’exercice de l’amour parfait.

Certains fidèles, dit saint Gregoire pape aiment tellement Dieu tout puissant qu’ils sont et parfaits dans les œuvres et suspendus dans la contemplation. Elle consiste dans des actes si simples, si directs, si paisibles, si uniformes, qu’ils n’ont rien de marqué par où l’âme puisse les distinguer. C’est l’oraison parfaite de laquelle parlait saint Antoine, et qui n’est pas aperçue par le Solitaire même qui la fait quand elle est dans l’exercice de ses actes les plus purs et tes plus simples. La contemplation est également autorisée par les anciens Peres, par

les Docteurs de l’École, et par les saints Mystiques. Elle est nommée un regard simple et amoureux, pour la distinguer de la Méditation qui est pleine d’actes méthodiques et discursifs. Quand l’habitude de la Foi est grande, quand elle est perfectionnée par le pur amour, l’âme qui n’aime plus Dieu que pour lui seul, n’a plus besoin de chercher ni de rassembler des motifs intéressez sur chaque vertu pour son propre intérêt. Le raisonnement ou lieu de l’aider l’embarrasse et la fatigue. Elle ne veut qu’aimer. Elle trouve les motifs de toutes les vertus rassemblez par une vue toute simple dans l’exercice de l’amour. Il n’y a plus pour elle qu’un seul nécessaire. C’est dans cette pure contemplation qu’on peut dire ce que dit saint François de Sales : Il faut que l’amour soit bien puissant, puisqu’il se soutient lui seul sansêtre appuyé d’aucun plaisir, ni d’aucune prétention.

La Méditation effective et discursive, quoique moins parfaite que la pure et directe contemplation, est néanmoins un exercice très agréable à Dieu et très nécessaire à la plupart des bonnes âmes. Elle est le fondement ordinaire de lu vie intérieure, et l’exercice de l’amour pour tous les Justes qui ne sont point encore dans le parfait désintéressement.

Elle a fait dans tous les temps un grand nombre de Saints. Il y aurait une témérité scandaleuse à en détourner les âmes sous prétexte de les introduire dans la Contemplation. Il y a même souvent dans la Meditation la plus discursive et encore plus dans l’Oraison affectueuse, certains actes paisibles et directs qui sont un mélange de contemplation imparfaite.

Parler ainsi, c’est parler suivant l’esprit de la tradition, et suivant les maximes des Saints les plus éloignez de toute nouveauté, et de toute illusion.

XXI. Faux §

La Meditation n’est qu’une étude seiche et stérile : ses actes discursifs et réfléchis ne sont qu’un travail vain, et qui fatigue l’âme sans la nourrir : ses motifs intéressez ne produisent qu’un exercice d’amour propre. Jamais on n’avance par cette voie. Il faut se hâter d’en dégoûter les bonnes âmes, pour les faire passer dans la contemplation où les actes ne sont plus de saison.

Parler ainsi, c’est dégoûter les âmes du don de Dieu ; c’est tourner en mépris les fondements de la vie intérieure : c’est vouloir ôter ce que Dieu donne, et vouloir que l’on compte témérairement sur ce qu’il ne lui plaît pas de donner : c’est arracher l’enfant de la mamelle avant qu’il puisse digérer l’aliment solide.

Article XXII. Vrai §

Une âme peut quitter la méditation discursive et entrer dans la contemplation, lorsqu’elle a les trois marques suivantes : 1° Quelle ne peut plus tirer de la Méditation la nourriture intérieure qu’elle en tirait auparavant, et qu’au contraire elle n’y fait plus que se distraire, se dessécher, et languir contre son attrait. 2° Qu elle ne trouve de facilité, d’occupation et de nourriture intérieure, que dans une simple présence de Dieu purement amoureuse, qui la renouvelle pour toutes les vertus de son état. 3° Qu’elle n’a ni goût ni pente que pour le recueillement ; en sorte que son Directeur qui l’éprouve la trouve humble, sincère, docile, détachée du monde entier et d’elle même. Une âme peut par obéissance, avec ces trois marques de vocation, entrer dans l’Oraison contemplative sans tenter Dieu.

Parler ainsi, c’est suivre les anciens Pores, tels que saint Clement d’Alexandrie, saint Grégoire de Nazianze, saint Augustin, saint Grégoire Pape, Cassien, et tous les Ascetes ; saint Bernard, saint Thomas, et toute l’École. C’est parler comme les plus saints Mystiques, qui ont été le plus opposez à l’illusion.

XXII. Faux §

On peut introduire une âme dans la Contemplation, sans attendre ces trois marques. Il suffit que la Contemplation soit plus parfaite que la Méditation, pour devoir préférer l’une à l’autre. C’est amuser les âmes,et les faire languir dans une Méthode infructueuse, que de ne les mettre pas d’abord dans la liberté du pur amour.

Parler ainsi, c’est renverser la discipline de l’Église : c’est mépriser la Spiritualité des saints Peres : c’est démentir toutes les maximes des plus saints Mystiques : c’est précipiter les âmes dans l’erreur.

Article XXIII. Vrai §

La Meditation discursive ne convient pas aux âmes que Dieu attire actuellement à la contemplation par les trois marques ci-dessus rapportées, et qui ne rentreraient dans les actes discursifs que par scrupule et pour rechercher leur propre intérêt, contre l’attrait actuel de leur grâce.

Parler ainsi, c’est parler comme le bien heureux Jean de la Croix, qui dans ces circonstances précises seulement appelle la Meditation un moyen bas, et un moyen de boue. C’est parler comme tous les Mystiques canonisés ou approuvés par toute l’Église après l’examen le plus rigoureux. C’est même se conformer évidemment aux principes d’une exacte Theologie.

XXIII. Faux §

Dés qu’on a commencé à contempler, il ne faut plus revenir jamais à la Méditation ; ce serait reculer et déchoir. Il vaut mieux s’exposer à toutes sortes de tentations et à l’oisiveté intérieure, que de reprendre les actes discursifs.

Parler ainsi, c’est ignorer que le passage de la Méditation à la Contemplation est celui de l’exercice d’un amour mélangé a l’exercice paisible de l’union divine dans le pur amour ; que ce passage est d’ordinaire long, imperceptible, et mélangé de ces deux états ; comme les nuances de couleurs sont un passage insensible d’une couleur à une autre où elles se mêlent toutes deux. C’est contredire tous les bons Mystiques, qui disent avec le Pere Baltazar Alvarez, qu’il faut prendre la rame de la Meditation, quand le vent de la Contemplation n’enfle plus les voiles. C’est priver souvent les âmes du seul aliment que Dieu leur laisse.

Article XXIV. Vrai. §

Il y a un état de Contemplation si haute et si parfaite qu’il devient habituel, en sorte que quand une âme se met en actuelle oraison, son oraison est contemplative et non discursive. Alors elle n’a plus besoin de revenir à la méditation ni à ses actes méthodiques. Si néanmoins il arrivait contre le cours ordinaire de la grâce, et contre l’expérience commune des Saints, que cette contemplation habituelle vînt à cesser absolument ; il faudrait toujours à sou défaut substituer les actes de la méditation discursive,parce que l’âme chrétienne ne doit jamais demeurer réellement dans le vide et dans l’oisiveté. Il faut même supposer qu’une âme qui décheoiroit d’une si haute contemplation, n’en décheoiroit d’ordinaire que par quelque infidélité secrète. Caries dons de Dieu sont de sa part sans repentir. Il n’abandonne que ceux dont il est abandonné, et il ne diminue ses grâces, que pour ceux qui diminuent leur coopération. Il faudrait seulement persuader à cette âme que ce n’est point Dieu qui lui manque, mais que c’est elle qui doit avoir manqué à Dieu. Car encore que la contemplation ne soit qu’un exercice que Dieu peut ôter a une âme qui ne lui a point été infidèle, parce qu’il peut la priver de cet exercice sans la priver ni du degré de grâce ni de celui d’amour ou elle étoit, il est néanmoins vrai que dans la pratique il faut communément supposer que ces soustractions viennent de quelque petite infidélité secrète, ou de quelque petit refroidissement dans la charité, et il est bon que cette privation serve a rendre plus humble, plus détachée des dons sensibles, et plus dépendante de la grâce de chaque moment. Une âme de ce degré pourrait aussi être remise dans la Méditation pour un temps par l’ordre d’un Directeur qui voudrait l’éprouver : mais alors elle devrait suivant la règle de la sainte indifférence et celle de l’obéissance, être aussi contente de méditer comme les commençants que de contempler comme les Chérubins.

Parler ainsi, c’est suivre l’esprit de l’Église, et prevenir tous les dangers d’illusion. C’est parler comme, les plus grands Saints, dont l’Eglise a pour ainsi dire canonisé les Livres avec les personnes.

XXIV. Faux. §

Il vaut mieux demeurer dans une absolue inaction, que de reprendre le moins parfait pour le plus parfait. L’état habituel de Contemplation est tellement invariable, qu’on ne doit jamais supposer qu’on en puisse déchoir par une infidélité secrète.

Parler ainsi, c’est inspirer aux hommes une assurance téméraire. C’est jeter les âmes dans un danger manifeste d’égarement.

Article XXV. Vrai §

Il y a en cette vie un état habituel, mais non entièrement invariable, où les âmes les plus parfaites font presque toutes leurs actions délibérées en présence de Dieu et pour l’amour de lui, suivant les paroles de l’Apôtre : Que toutes vos actions se fassent en charité ;et encore : Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, ou que vous fassiez autre chose, agissez pour la gloire de Dieu. Ce rapport de toutes nos actions délibérées à nôtre fin unique, est l’oraison perpétuelle recommandée par Jesus-Christ,quand il veut que nôtre Oraison soit sans défaillance ; et par Saint Paul, quand il dit ; priez sans intermission. Mais on ne doit jamais confondre cette Oraison avec la Contemplation pure et directe, ou irise, comme parle saint Thomas, dans ses actes les plus parfaits. L’Oraison qui consiste dans le rapport à Dieu de nos actions délibérées, peut être perpétuelle on un sens, c’est-à-dire qu’elle peut durer autant que nos actes délibérés. En ce cas elle n’est interrompue que par le sommeil, et parles autres défaillances de la nature qui font cesser tout acte libre et méritoire. Mais la Contemplation pure et directe n’a pas même cette espèce de perpétuité : parce qu’elle est souvent interrompue par les actes des vertus distinctes qui sont nécessaires à tous les Chrétiens, et qui ne sont point des actes de pure et directe Contemplation.Parler ainsi, c’est lever toute équivoque dans une matière où il est si dangereux d’en faire : c’est empêcher les Mystiques mal instruits des dogmes de la Foi, de représenter leur état comme s’ils n’étaient plus dans le pèlerinage de cette vie. Enfin c’est parler comme Cassien, qui dit dans sa première Conférence que la pure Contemplation n’est jamais absolument perpétuelle en cette vie.

XXV. Faux §

La Contemplation pure et directe est absolument perpétuelle en certaines âmes. Le sommeil même ne l’interrompt pas. Elle consiste dans un acte simple et unique qui est permanent, qui n’a jamais besoin d’être réitéré, et qui subsiste toujours par lui-même, à moins qu’il ne soit révoqué par quelque acte contraire.

Parler ainsi, c’est nier le pèlerinage de cette vie, les défaillances naturelles de l’aine, et l’état du sommeil où les actes ne sont plus ni libres ni méritoires. C’est en même temps dispenser une contemplative des actes distincts des vertus nécessaires dans son état, lesquels ne sont point des actes de pure et directe Contemplation. C’est laisser une âme sous prétexte d’un acte permanent dans une oisiveté pernicieuse à l’égard de tous les actes essentiels au Christianisme qui doivent être souvent quoique paisiblement répétez. Enfin, c’est ignorer que tout acte de l’entendement ou de la volonté est essentiellement passager : que pour aimer Dieu pendant dix moments, il faut faire dix actes successifs d’amour, dont l’un n’est point l’autre ; dont l’un pourrait ne suivre jamais l’autre ; dont l’un est tellement passé, qu’il n’en reste rien, quand l’autre qui n’était point commence à être. Enfin c’est parler d’une manière aussi extravagante suivant les premiers principes de la Philosophie, que monstrueux suivant les réglés de la Religion.

Article XXVI. Vrai §

Pendant les intervalles qui interrompent la pure et directe Contemplation,une âme très parfaite peut exercer les vertus distinctes dans tous ses actes délibérés, avec la même paix et la même pureté ou désintéressement d’amour, dont elle contemple pendant que l’attrait de la Contemplation est actuel. Le même exercice d’amour, qui se nomme contemplation ou quiétude quand il demeure dans sa généralité et qu’il n’est appliqué à aucune fonction particulière, devient chaque vertu distincte, suivant qu’il est applique aux occasions particulières : car c’est l’objet, comme par le saint Thomas, qui spécifié toutes les vertus. Mais l’amour pur et paisible demeure toujours le même quant au motif ou à la fin, dans toutes ces différentes spécifications.

Parler ainsi, c’est parler comme l’école la plus exacte et la plus précautionnée.

XXVI. Faux §

La Contemplation pute et directe est sans aucune interruption, eu sorte qu’elle ne laisse aucun intervalle à l’exercice des vertus distinctes qui sont nécessaires à chaque état. Tous les actes délibérez de la vie du contemplatif regardent les choses divines, qui sont l’objet précis de la pure Contemplation ; et cet état ne souffre du côté des objets auxquels l’amour est appliqué aucune distinction ou spécification des vertus.

Parler ainsi, c’est anéantir toutes les vertus les plus intérieures : c’est contredire non seulement toute la Tradition dessaints Docteurs, mais encore les Mystiques les plus experimentés ; c’est contredire saint Bernard, sainte Therese, et le bien heureux Jean de la Croix, qui bornent sur leurs expériences particulières la pure Contemplation à une demi-heure, non pour décider absolument qu’elle n’aille jamais un peu plus loin, mais seulement pour faire entendre qu’on doit toujours supposer qu’elle a des bornes.

Article XXVII. Vrai §

La Contemplation pure et directe de Dieu est négative, en ce qu’elle ne s’occupe volontairement d’aucune image sensible, d’aucune idée distincte, et nominable, comme parle saint Denis ; c’est a dire, d’aucune idée limitée et particulière sur la divinité pour s’y représenter rien de borné, mais qu’elle passe au-dessus de tout ce qui est sensible et distinct, c’est adiré compréhensible et limité, pour ne s’arrenter qu’à l’idée purement intellectuelle de l’être qui est sans bornes et sans restriction.

Cette idée dont l’objet est très différent de tout ce qui peut être imaginé ou compris, est néanmoins très réelle et très positive. La simplicité de cette idée purement immatérielle et qui n’a point passé par les sens ni par l’imagination n’empêche pas que la Contemplation ne puisse avoir pour objets distincts tous les attributs de Dieu ; car l’essence sans les attributs ne serait plus l’essence même et l’idée de l’Être infiniment parfait renferme essentiellement dans sa simplicité les perfections infinies de cet Être. Cette simplicité n’empêche pas que l’âme contemplative ne contemple encore distinctement les trois Personnes divines, parce qu’une idée si simple qu’elle puisse être peut néanmoins représenter divers objets réellement distinguez les uns des autres. Enfin, cette simplicité n’exclut point la vue distincte de l’humanité de Jésus Christ et de tous les Mysteres, parce que la pure Contemplation admet d’autres idées avec celle de la divinité. Elle admet tous les objets que la pure foi nous peut présenter. Elle n’exclut sur les choses divines que les images sensibles,et les opérations discursives. Quoique les actes qui vont directement et immédiatement à Dieu seul soient plus parfaits, si on les prend du côté de l’objet et dans une rigueur philosophique ; ils sont néanmoins aussi parfaits du côté du principe, c’est a dire aussi purs et aussi méritoires, quand ils ont pour objets les objets que Dieu présente, et dont on ne s’occupe que par l’impression de sa grâce. En cet état une âme ne considère plus les Mysteres de Jésus Christ par un travail méthodique et sensible de l’imagination pour s’en imprimer des traces dans le cerveau, et pour s’en attendrir avec consolation. Elle ne s’en occupe plus par une opération discursive et par un raisonnement suivi, pour tirer des conclusions de chaque Mystere. Mais elle voit d’une vue simple et amoureuse tous ces divers objets, comme certifiez et rendus présents par la pure Foi.

Ainsi l’aine peut exercer dans la plus haute Contemplation les actes de la foi la plus explicite sans altérer la pureté et la perfection de cet exercice. La Contemplation des Bienheureux dans le ciel étant purement intellectuelle a pour objets distincts tous ces Mysteres de l’Humanité du Sauveur, dont ils chantent les grâces et les victoires. À plus forte raison la Contemplation très imparfaite du pèlerinage de cette vie ne peut jamais être altérée par la vue distincte de tous ces objets.

Parler ainsi, c’est parler comme toute la tradition, et comme les bons Mystiques.

XXVII. Faux §

La Contemplation pure exclut toute image, c’est a dire, toute idée même purement intellectuelle. L’âme contemplative n’admet aucune idée réelle et positive de Dieu qui le distingue des autres êtres. Elle ne doit voir ni les attributs divins qui le distinguent de toutes les créatures ni les trois Personnes Divines, de peur d’altérer la simplinté de son regard. Elle doit encore moins s’occuper de l’humanité de Jesus-Christ, puis qu’elle n’est pas la Nature divine ; ni de ses Mysteres, parce qu’ils multiplieraient la Contemplation. Les âmes de cet état n’ont plus besoin de penser à Jesus-Christ, qui n’est que la voie pour être unies avec Dieu son Pere, parce qu’elles sont déjà arrivées au terme.Parler ainsi, c’est ignorer ce que tous les bons Mystiques ont dit de la plus pure Contemplation. C’est anéantir la Foi sans laquelle la Contemplation même est anéantie. C’est faire une Contemplation chimérique qui n’a aucun objet réel, et qui ne peut plus distinguer Dieu du néant. C’est anéantir le Christianisme sous prétexte de le purifier. C’est faire une espèce de Deïsme qui retombe un moment après dans une espèce d’Athéïsme,où toute idée réelle de Dieu comme distingué de ses créatures est rejetée. Enfin c’est avancer deux impiétez. La première est de supposer qu’il y a sur la terre quelque contemplatif qui n’est plus voyageur, et qui n’a plus besoin de là voie parce qu’il est arrivé au terme. La seconde est d’ignorer que Jésus Christ qui est la voie n’est pas moins la vérité et la vie ; qu’il est autant le consommateur que l’auteur de notre salut ; qu’enfin les Anges mêmes dans leur plus sublime Contemplation, ont désiré de voir ses Mysteres, et que les Bienheureux chantent sans cesse le Cantique de l’Agneau en sa présence.Les Aines contemplatives sont privées de la venue distincte, sensible et réfléchie le Jesus Christ en deux temps différents : mais elles ne sont jamais privées pour toujours en cette vie de la veut simple et distincte de Jésus Christ. Premièrement dans la ferveur naissante de leur Contemplation, cet exercice est encore très imparfait il ne représente Dieu que d’une manière confuse. L’âme comme absorbée par son goût sensible pour le recueillement ne peut encore être occupée de vues distinctes. Ces vues distinctes lui feraient une espèce de distraction dans sa faiblesse, et la rejetteroient dans le raisonnement de la Méditation d’où elle est à peine sortie. Cette impuissance de voir distinctement Jésus Christ n’est pas la perfection, mais au contraire l’imperfection de cet exercice, parce qu’il est alors plus sensible que pur. Secondement une âme perd de vue Jésus Christ dans les dernières épreuves, parce qu’alors Dieu ôte à l’aine la possession et la connaissance réfléchie de tout ce qui est bon en elle, pour la purifier de tout intérêt propre. En cet état de trouble et d’obscurcissement involontaire, lame ne perd pas plus de vue Jésus-Christ que Dieu. Mais toutes ces pertes ne sont qu’apparentes et passagères ; après quoi Jésus Christ n’est pas moins rendu à l’âme que Dieu même. Hors ces deux cas l’unie la plus élevée peut dans l’actuelle Contemplation êtredans les intervalles où la pure Contemplation cesse, elle est encore occupée de Jesus-Christ. On trouvera dans la pratique que les âmes les plus éminentes dans la Contemplation, sont celles qui sont les plus occupées île lui. Elles lui parlent à toute heure comme l’épouse à l’époux. Souvent elles ne voient plus que lui seul en elles. Elles portent successivement des impressions profondes de tous ses Mysteres et de tous les états de sa vie mortelle. Il est vrai qu’il devient quelque chose de si intime dans leur coeur, qu’elles s’accoutument à le regarder moins comme un objet étranger et extérieur, que comme le principe intérieur de leur vie.

Parler ainsi, c’est réprimer une des plus damnables erreurs. C’est expliquer nettement les expériences et les expressions des Saints dont les âmes livrées à l’illusion pourraient abuser.

XXVIII. Faux §

Les âmes contemplatives n’ont plus besoin de voir distinctement l’Humanité de Jésus Christ qui n’est que la voie, parce qu’elles arrivées au terme. La chair de Jésus Christ n’est plus un objet digne d’elles, et elles ne le connaissent plus selon la chair, même rendue présente par la pure foi. Elles ne sont non plus occupées de lui hors de l’actuelle Contemplation, que dans la pure Contemplation même. Dieu qu’elles possèdent dans sa suprême simplicité leur suffit. Elles ne doivent s’occuper ni des Personnes divines, ni des attributs de la Divinité.

Parler ainsi, c’est ôter la pierre angulaire : c’est arracher aux fidèles la vie éternelle, qui ne consiste qu’à connaître le seul Dieu véritable et Jésus Christ son Fils qu’il a envoyé. C’est être l’Antéchrist qui rejette le Verbe fait chair. C’est mériter l’anathème que l’Apôtre prononce contre tous ceux qui n’aimeront pas le Seigneur Jésus.

Article XXIX. Vrai §

On peut dire que la Contemplation passive est infuse, en ce qu’elle provient les âmes avec une douceur et une paix encore plus grande, que les autres grâces ne préviennent le commun des Justes. C’est une grâce encore plus gratuite que toutes les autres qui sont données pour mériter, parce qu’elle opère dans les âmes le plus pur et le plus parfait amour. Mais la Contemplation passive n’est ni purement infuse, puis qu’elle est libre et méritoire, ni purement gratuite, puis que l’âme y correspond a la grâce. Elle n’est point miraculeuse, puisqu’elle ne consiste suivant le témoignage de tous les Saints que dans une connaissance amoureuse, et que la grâce sans miracle suffit pour la foi la plus vive, et pour l’amour le plus épuré. Enfin celte Contemplation ne peut être miraculeuse, puis qu’on la suppose dans un état de pure et obscure foi, où le fidèle n’est conduit par aucune autre lumière que par celle de la simple révélation, et de l’autorité de l’Église commune à tous les Justes. Il est vrai que plusieurs Mystiques ont supposé que cette Contemplation était miraculeuse, parce qu’on y contemple une vérité qui n’a point passé par les sens et par l’imagination. Il est vrai aussi que ces Mystiques ont reconnu un fonds de l’aine qui opérait dans cette Contemplation sans aucune opération distincte des puissances. Mais ces deux choses ne sont venues que de la Philosophie dont ces Mystiques étaient prévenus. Tout ce grand mystère s’évanouit, dès qu’on suppose avec saint Augustin que nous avons sans miracle des idées intellectuelles qui n’ont point passé par les sens, et quand on suppose d’un autre côté que le fond de l’âme n’est point réellement distingué de ses puissances. Alors toute la Contemplation passive se réduit à quelque chose de très simple et qui n’a rien de miraculeux. C’est un tissu d’actes de foi et d’amour si simples, si directs, si paisibles, et si uniformes, qu’ils ne paraissent plus aux personnes ignorantes qu’un seul acte, ou même qu’ils ne paraissent faire aucun acte, mais un repos de pure union. C’est ce qui fait que saint François de Sales ne veut pas qu’on l’appelle union, de peur d’exprimer un mouvement ou action pour s’unir, mais une simple et pure unité. De là vient que les uns, comme saint François d’Assise dans son grand Cantique, ont dit qu’ils ne pouvaient plus h ire d’actes ; et que d’autres comme Gregoire Lopez ont dit qu’ils faisaient un acte continuel pendant toute leur vie. Les uns et les autres par des expressions qui semblent opposées veulent dire la même chose. Ils ne font plus d’actes empressés et marquez par une secousse inquiète. Ils font des actes si paisibles et si uniformes. que ces actes quoique très réels, très successifs, et même interrompus, leur paraissent ou un seul acte sans interruption, ou un repos continuel. Delà vient qu’on a nommé cette Contemplation Oraison de silence ou de quiétude. Delà vient enfin qu’on l’a appelé passive. À Dieu ne plaise qu’on la nomme jamais ainsi pour en exclure l’action réelle, positive et méritoire du libre arbitre, ni les actes réels et successifs qu’il faut réitérer à chaque moment. Elle n’est appelée passive, que pour exclure l’activité ou empressement intéressé des aines, lorsqu’elles veulent encore s’agiter pour sentir et pour voir leur opération qui serait moins marquée si elle était plus simple et plus unie. La Contemplation passive n’est que la pure Contemplation : L’active est celle qui est encore mêlée d’actes empressés et discursifs. Ainsi, quand la Contemplation a encore un mélange d’empressement intéressé qu’on nomme activité, elle est encore active. Quand elle n’a plus qu’un reste de cette activité, elle est entièrement passive, c’est a dire paisible et désintéressée dans ses actes. Enfin, plus l’âme est passive à l’égard de Dieu, plus elle est agissante à l’égard de ce qu’elle doit faire ; c’est-à-dire que plus elle est souple à l’impulsion divine, plus son mouvement est efficace, quoique sans secousses ni agitation. Car il est toujours également vrai que plus l’aine reçoit de Dieu, plus elle doit lui rendre ce qu’elle en a reçu. C’est ce flux et reflux continuel dans l’oraison comme dans tous les autres exercices, qui fait tout l’ordre de la grâce et toute la fidélité de la créature.

Parler ainsi, c’est aller au-devant de toutes les illusions, c’est expliquer à fond la Contemplation passive qu’on ne peut nier sans une insigne témérité, et qu’on ne pourrait étendre plus loin sans un danger extrême. C’est démêler tout ce que les saints ont dit dans des fermes que la subtilité de quelques Theologiens a un peu obscurci.

XXIX. Faux §

La Contemplation passive est purement passive,eu sorte que le libre arbitre n’y coopérer plus à la grâce par un acte réel et passager. Elle est purement infuse, purement gratuite, et sans mérite de la part de l’aine. Elle est miraculeuse, et elle tire pendant qu’elle dure une âme de l’état de pure et obscure Foi. Elle est un saisissement ou ravissement surnaturel et miraculeux qui prévient l’âme. Elle est une inspiration extraordinaire qui met une âme hors des règles communes. Elle est une absolue ligature ou évacuation des puissances, en sorte que l’entendement et la volonté sont alors dans une absolue impuissance de rien opérer, ce qui est sans doute une suspension miraculeuse et extatique.

Parler ainsi, c’est renverser le système de pure Foi, qui est celui de tous les bons Mystiques, et sur tout du bien heureux Jean de la Croix. C’est confondre la Contemplation passive qui est libre et méritoire avec des grâces purement gratuites qui n’ont rien de commun, et que les saints nous avertissent qui ne doivent jamais nous occuper volontairement. C’est contre dire tons les auteurs, qui mettent cette contemplation dans un regard libre, amoureux, et méritoire ; et par conséquent, dans des actes réels, mais simples de ces deux puissances. C’est contredire sainte Therese même, qui assure que dans la septième demeure l’âme n’a plus aucun de ces ravissements qui suspendent contre l’ordre de là nature les opérations de l’entendement et de la volonté. C’est contredire tous les grands spirituels qui ont dit que ces suspensions des opérations naturelles, loin d’être un état parfait, sont au contraire un signe que la nature n’est pas encore assez purifiée, et que de tels effets cessent à mesure que l’âme est plus purifiée et plus familiarisée avec Dieu dans l’état de pure foi. C’est confondre la peine qu’aurait une âme pure à faire des actes inquiets et réfléchis pour son intérêt propre contre l’attrait actuel de la grâce, avec une impuissance absolue de faire des actes par un effort, même naturel. Une méprise en cette matière peut être dans les uns une source inépuisable d’illusion, ou dans les autres un sujet de scandale très-malfondé.

Article XXX. Vrai §

L’État passif dont tous les saints Mystiques ont tant parlé, n’est passif que comme la Contemplation est passive, c’est-à-dire qu’il exclut, non les actes paisibles et désintéressés, mais seulement l’activité, ou les actes inquiets et empressés pour notre intérêt propre. L’état passif est celui où une âme n’aimant plus Dieu d’un amour mélangé fait d’ordinaire tous ses actes délibérez d’une volonté pleine et efficace, mais tranquille et désintéressée. Tantost elle fait les actes simples et indistincts qu’on nomme Quiétude ou Contemplation, tantôt elle fait les actes distincts des vertus convenables à son état. Mais elle fait les uns et les autres d’une manière également passive, c’est à dire paisible et désintéressée. Cet état est habituel, mais il n’est pas entièrement invariable. Car outre que l’âme en peut déchoir absolument, de plus elle y commet des fautes vénielles. Si elle y commet des fautes vénielles, à plus forte raison elle y est encore libre de rentrer dans les actes qui ont un motif intéressé. À parler en toute rigueur, ces actes intéressez faits de teins en teins ne détruisent pas l’état habituel de l’amour désintéressé, parce qu’ils ne forment point d’habitude contraire. C’est ainsi que la Venerable

Mère de Chantal a fait de teins en teins de tels actes par tendresse de conscience quoique sa grâce reconnue par saint François de Sales la portât an désintéressement habituel de l’amour. Cet état passif ne suppose aucune inspiration extraordinaire. Il ne renferme qu’une paix et une souplesse infinie de l’âme pour se laisser mouvoir à toutes les impressions de la grâce. Une plume bien seiche et bien légère, comme dit Cassien, est emportée sans résistance parle moindre souffle de vent, et ce souffle la pousse en tous sens avec promptitude ; au lieu que si elle était mouillée et appesantie, son propre poids la rendrait moins mobile et moins facile à enlever. L’âme dans l’amour intéressé qui est le moins parfait, a encore un reste de crainte intéressée qui la rend moins légère, moins souple et moins mobile, quand le souffle de l’esprit intérieur la pousse. L’eau qui est agitée ne peut être claire ni recevoir l’image des objets voisins : mais une eau tranquille devient comme la glace pure d’un miroir. Elle reçoit sans altération toutes les images des divers objets, et elle n’en garde aucune. L’âme pure et paisible est de même. Dieu y imprime son image et celle de tous les objets qu’il veut y imprimer. Tout s’imprime, tout s’efface. Cette aine n’a aucune forme propre, et elle a également toutes celles que la grâce lui donne. Elle est, dit Richard de saint Victor, comme un métal fondu par le feu de l’amour. Elle prend et elle quitte toutes les formes qu’il plait a l’ouvrier. Elle coule de tous côtés au gré de celui qui l’a fondue. L’homme de ce degré peut dire : Je suis fait tout a tous. Il veut être anathème pour ses frères. Il ne reste rien a cette âme, et tout s’efface en elle comme dans l’eau des que Dieu veut y faire des impressions nouvelles. II n’y a que le pur amour qui donne cette paix et cette docilité parfaite.

Cet état passif n’est point une contemplation toujours actuelle. La Contemplation qui ne dure que des temps bornez fait seulement partie de cet état habituel. L’amour désintéressé ne doit pas être moins désintéressé, ni par conséquent moins paisible dans les actes distincts des vertus que dans les actes indistincts de la pure Contemplation.

Parler ainsi, c’est lever toute équivoque, et admettre un état qui n’est que l’exercice du pur amour si autorisé par toute la Tradition.

XXX. Faux §

L’état passif consiste dans une Contemplation passive qui est perpétuelle, et cette Contemplation passive est une espèce d’extase continuelle ou ligature miraculeuse des puissances qui les met dans une impuissance réelle d’opérer librement. Parler ainsi, c’est confondre l’état passif avec la Contemplation passive, et c’est encore avoir de la Contemplation passive une très fausse idée. C’est supposer un état d’extase miraculeuse et perpétuelle qui exclut toute voi de Foi, toute liberté, tout mérité et tout démérité, enfin qui est incompatible avec le pèlerinage de cette vie. C’est ignorer les expériences des saints et confondre toutes leurs idées.

Article XXXI. Vrai §

Il y a dans l’état passif une simplicité et une enfance marquée par les Saints ; mais les enfants de Dieu qui sont simples à l’égard du bien sont toujours prudents contre le mal. Ils sont sincères, ingénus, tranquilles, et sans desseins. Ils ne rejettent, point la sagesse, mais seulement la propriété de la sagesse. Ils se désapproprient de leur sagesse comme de toutes leurs autres vertus. Ils usent avec fidélité en chaque moment de toute la lumière naturelle de la raison et de toute la lumière surnaturelle de la grâce actuelle pour se conduire selon la Loi écrite, et selon les véritables bienséances. Une âme en cet état n’est sage ni par une recherche empressée de la sagesse, ni par un retour intéressé sur soi pour s’assurer qu’elle est sage, et pour jouir de sa sagesse en tant que propre. Mais sans songer à être sage en soi, elle l’est en Dieu en n’admettant volontairement aucun des mouvements précipitez et irréguliers des passions, ou de l’humeur, ou de l’amour propre, et en usant toujours sans propriété de la lumière tant naturelle que surnaturelle du moment présent. Ce moment présenta une certaine étendue morale où l’on doit renfermer toutes les choses qui ont un rapport naturel et prochain à l’affaire dont il est actuellement question. Ainsi à chaque jour suffit son mal, et l’âme laisse le jour de demain prendre soin de lui même, parce que ce jour de demain qui n’est pas encore à elle portera avec lui s’il vient sa grâce et sa lumière qui est le pain quotidien. De telles âmes méritent et s’attirent un soin spécial de la Providence, dans le sein de laquelle elles vivent sans prévoyance éloignée et inquiète comme de petits enfants dans le sein de leur mère. Elles ne se possèdent point comme les Sages qui sont sages en eux-mêmes malgré la défense de l’Apostre. Mais elles se laissent posséder, instruire, et mouvoir en toute occasion par la grâce actuelle qui leur communique l’esprit de Dieu. Ces âmes ne croient point être extraordinairement inspirées. Elles croient au contraire qu’elles peuvent se tromper, et elles ne l’évitent qu’en ne jugeant presque jamais de rien. Elles se laissent corriger et n’ont ni sens ni volonté propre. Tels sont les enfants que Jésus Christ veut qu’on laisse approcher de lui. Ils ont dans la simplicité de la Colombe toute la prudence du Serpent, mais une prudence empruntée qu’ils ne s’approprient non plus que je m’approprie les rayons du Soleil quand je marche à sa lumière. Tels sont les pauvres d’esprit que Jésus Christ a déclaré bien heureux, et qui se détachent de leurs talents propres comme tous les Chrétiens doivent se détacher de leurs biens temporels. Tels sont les petits auxquels Dieu révèle avec complaisance ses Mysteres, pendant qu’il les cache aux Sages et aux prudents.

Parler ainsi, c’est parler suivant l’esprit de l’Évangile et de toute la tradition.

XXXI. Faux §

La raison est une fausse lumière. Il faut agir sans la consulter, fouler aux pieds les bienséances, suivre sans hésitation tous ses premiers mouvements et les supposer divins. Il faut retrancher non seulement les réflexions inquiétées, mais encore toutes les réflexions ; non seulement les prévoyances empressées et éloignées, mais encore toutes les prévoyances. Ce n’est pas assez de n’être point sage en soi même : il faut s’abandonner jusqu’à ne veiller plus sur soi d’une vigilance simple et paisible, et jusqu’à ne laisser point tomber les mouvements précipitez de la nature pour ne recevoir que ceux de la grâce.

Parler ainsi, c’est croire que la raison qui est le premier des dons de Dieu dans l’ordre de la nature est un mal, et par conséquent renouvelé l’erreur folle et impie des Manichéens. C’est vouloir changer la perfection eu un Fanatisme continuel. C’est vouloir qu’on tente Dieu dans tous les moments,de la vie.

Article XXXII. Vrai §

Il y a dans l’état passif une liberté des enfants de Dieu qui n’a aucun rapport au libertinage effréné des enfants du siècle ni au relâchement des âmes tièdes. Ces âmes simples ne sont plus gênées par les scrupules des âmes qui craignent et qui espèrent pour leur intérêt propre. L’amour pur leur donne une familiarité respectueuse avec Dieu, comme une épouse en a avec sou époux. Elles ont une paix et une joie pleine d’innocence. Elles prennent avec simplicité et sans hésitation les soulagements d’esprit et de corps qui leur sont véritablement nécessaires, comme elles les conseilleraient à leur prochain, mais elles ne le font que par obéissance a leurs supérieurs légitimés. Elles parlent d’elles-mêmes sans en juger positivement, mais par pure obéissance et pour le vrai besoin suivant que les choses leur paraissent dans le moment même. Elles en parlent alors simplement en bien ou en mal comme elles parleraient d’autrui, sans aucun attachement ni à ce qui leur parait, ni à la bonne opinion que leurs paroles les plus simples et les plus modestes pourraient donner d’elles, et reconnaissant toujours avec une humble joie que s’il y a quelque bien en elles, il ne vient que de Dieu.

Parler ainsi, c’est rapporter les expériences des Saints sans blesser la règle des mœurs évangéliques.

XXXII. Faux §

La liberté des âmes passives est fondée sur une innocence de désappropriation qui rend pur pour elles tout ce qu’elles ont inclination de faire, quoiqu’il fût irrégulier et inexcusable en d’autres. Elles n’ont plus de loi, parce que la loi n’est pas établie pour le juste, pourvu qu’il ne s’approprie rien, et qu’il ne fasse rien pour soi même.

Parler ainsi, c’est oublier que si la loi écrite n’est point pour le Juste, c’est parce qu’une loi intérieure d’amour prévient toujours le précepte extérieur, et que le grand commandement de l’amour contient tous les autres. C’est tourner le Christianisme en abomination, et faire blasphémer le nom de Dieu aux Gentils. C’est livrer les âmes à un esprit de mensonge et de vertige.

Article XXXIII. Vrai §

Il y a dans l’état passif une réunion de toutes les vertus dans l’amour qui n’exclut jamais l’exercice distinct de chaque vertu. C’est la charité, comme dit saint Thomas après saint Augustin, qui est la forme ou le principe de toutes les vertus. Ce qui les distingue ou les spécifie, c’est l’objet particulier, on formel auquel l’amour s’applique. L’amour qui s’abstient des plaisirs impurs est la chasteté, et ce même amour quand il souffre des maux prend le nom de patience. Cet amour sans sortir de sa simplicité devient tour à tour toutes les vertus différentes : mais il n’en veut aucune en tant que vertu propre, c’est a dire en tant que force, grandeur, beauté, régularité, perfection recherchée pour l’intérêt propre et par une cupidité soumise. Le juste désintéressé n’aime plus les vertus par un motif de cupidité distingué de la charité et soumis a elle ; quoique les vertus embellissent et perfectionnent ceux qui les pratiquent, qu’elles soient méritoires, et qu’elles préparent la récompense, ce juste ne les cherche plus d’ordinaire par ce motif intéressé, mais seulement parce qu’elles sont conformes a la perfection de Dieu et a sa volonté. Ces âmes, comme dit saint François de Sales, se nettoyent, purifient et ornent le mieux qu’elles peuvent, non pour êtreparfailles, non pour se satisfaire, non pour le désir de leur progrès au bien, mais pour obéir a l’époux pour la révérence qu’elles lui portent et pour l’extrême désir quelles ont de lui donner du contentement. Mais n’est-ce pas un amour bien pur, bien net et bien simple, puisqu’elles ne se purifient pas pour être pures, ellesne se parent pas pour être belles, ainsi seulement pour plaire a leur amant, auquelsila laideur était aussi agréable ils l’aimeraient autant que la beauté. A Dieu ne plaise néanmoins que nous imputions a saint François de Sales d’avoir voulu qu’on ne cherche plus les vertus à cause de leur perfection ¡irise absolument en elle- même. Cette perfection ainsi considérée est ce qu’il y a de plus pur et de plus divin dans les vertus. C’est leur conformité a l’ordre et a la Sainteté de Dieu. C’est Dieu lui-même dont la perfection reluit dans les actions conformes a sa raison suprême. En ce sens il faut aimer les vertus à cause de ce quelles ont de parfait et d’aimable en elles. Les aimer ainsi c’est aimer la vérité et la beauté éternelle, la souveraine sagesse, l’ordre et la perfection de Dieu, c’est aimer Dieu même et Dieu seul dans les vertus ou Sa Sainteté reluit. Mais les aimer parce qu’elles nous rendent aimables, parfaits, heureux, et dignes de la récompense, c’est un reste d’intérêt spirituel que saint François de Sales voulait exclure de l’amour désintéressé des âmes parfaites. C’est pourquoi il disait parlant pour la mère de Chantai : Elle ne se lave pas de ses fautes pour être pure, et ne se pare pas des vertus pour être belle, niais pour plaire à son époux, auquel si la laideur eut été aussi agréable, elle l’eut autant aimé que la beauté. Les Saints n’ont fait ces sortes de suppositions impossibles que pour exprimer plus précisément la pureté du motif qui fait aimer les vertus aux âmes parfaites. Alors on exerce toutes les vertus distinctes sans penser qu’elles sont vertus, c’est a dire orne- mens de l’âme, on ne pense en chaque moment qu’à faire ce que Dieu veut, et l’amour jaloux fait tout ensemble qu’on ne peut plus être vertueux pour son propre intérêt, et qu’on ne l’est jamais tant que quand on n’est plus attaché à l’être de la sorte. On peut dire en ce sens que l’aine passive et désintéressée ne veut plus même l’amour à cause qu’il est sa perfection et son bonheur, mais seulement à cause qu’il est ce que Dieu veut de nous et ce qu’il doit vouloir de sa créature. De là vient que saint François de Sales dit que nous revenons en nous-mêmes aimant l’amour au lieu d’aimer le bien-aimé. Ailleurs ce Saint dit que le désir du salut est bon, mais qu’il est encore plus parfait de ne rien désirer. Il veut dire qu’il ne faut pas même désirer l’amour de Dieu à cause qu’il est nôtre bien, à moins que ce ne soit par un amour de charité pour nous comme pour le prochain, auquel cas il est sans intérêt. Mais on attribuerait a saint François de Sales une horrible impiété si on voulait faire signifier a ses paroles qu’on doive jamais cesser de désirer l’amour de Dieu à cause qu’il est dû a Dieu infiniment parfait et aimable en lui-même, et que nous devons trouver dans l’amour de Dieu le plus pur un amour de nous même pour lui qui est de la même pureté. Enfin pour donner à cette vérité toute la précision nécessaire, ce Saint dit qu’il faut tâcher de ne chercher en Dieu que l’amour de sa beauté, et non le plaisir qu’il y a en la beauté de son amour.Cette distinction paraitra subtile à ceux que l’onction n’a point encore enseignez : mais elle est appuyée sur une tradition de Grands saints depuis l’origine de Christianisme, et on ne peut la mépriser, sans mépriser les Saints qui ont mis la perfection dans cette jalousie si délicate de l’amour.

Parler ainsi, c’est répéter ce que les saints Mystiques ont dit après saint Clement et après les Ascetes sur la cessation des vertus, et qui a grand besoin d’être expliqué avec une précaution infinie.

XXXIII. Faux §

Dans l’état passif l’exercice distinct des vertus n’est plus de saison, parce que le pur amour qui les contient toutes éminemment dans sa quiétude dispense absolument les âmes de leur exercice. Tout désir des vertus même recherchées pour leur conformité a l’ordre qui est Dieu même, et pour l’accomplissement des miséricordes de Dieu sur nous est intéressé et par conséquent imparfait.

Parler ainsi, c’est contredire l’Évangile : c’est mettre la pierre de scandale dans la voie des enfants de l’Église : c’est leur donner le nom de vivants pendant qu’ils sont morts.

Article XXXIV. Vrai §

La mort spirituelle dont tant de saints mystiques ont parlé et par laquelle ils assurent que s’accomplit parfaitement cette parole de l’apôtre a tous les chrétiens : vous êtes morts et vôtre vie est cachée avec J.-C. eu Dieu n’est que l’entière purification ou désintéressement de l’amour. Alors les inquiétudes et les empressements qui viennent d’un motif intéressé n’affaiblissent plus d’ordinaire l’opération de la grâce, et la grâce agit d’une maniéré entièrement libre. La résurrection spirituelle n’est de même dans le degré le plus parfait que l’état habituel du pur amour, auquel on parvient d’ordinaire après les épreuves destinées à le purifier.

Parler ainsi, c’est parler comme tous les plus saints et les plus précautionneux Mystiques.

XXXIV. Faux §

La mort spirituelle est une extinction entière du vieil homme et des dernières étincelles de la concupiscence. Alors on n’a plus besoin de résister même d’une résistance paisible et désintéressée à ses mouvements naturels, ni de coopérer à aucune grâce médicinale de Jesus-Christ. La résurrection spirituelle est l’entière consommation de l’homme nouveau dans l’âge et dans la plénitude de l’homme parfait comme au Ciel.

Paner ainsi, c’est tomber dans une hérésie et dans une impiété qui renverse toutes les mœurs chrétiennes.

Article XXXV. Vrai §

L’état de transformation dont tant de Saints anciens et nouveaux ont si souvent parlé, n’est que l’état le plus passif c’est-à-dire le plus exempt de toute activité ou inquiétude intéressée. L’âme paisible et également souple aux impulsions les plus délicates de la grâce ressemble en quelque maniéré à un globe sur un plan qui n’a plus de situation propre et naturelle. Il va également en tout sens, et la plus insensible impulsion suffit pour le mouvoir. Ce n’est pas que la concupiscence ne puisse faire sentir a cette aine quelque difficulté et quelques répugnance sensible pour la pratique de la perfection. Mais c’est seulement qu’une âme est alors par le fonds de sa volonté également preste a toutes les diverses choses vertueuses que Dieu peut vouloir d’elle, qu’elle n’est pas plus attachée a l’une qu’a l’autre, et qu’elle ne mot point son amour, comme dit saint François de Sales ès choses que Dieu vent, ainsi en la volonté de Dieu qui les veut. En cet état une âme n’a plus qu’un seul amour, et elle ne sait plus qu’aimer. Cet amour unique dans sa racine produit tous les autres dans sa pureté et ils ne sont que les branches de cette tige. L’amour est sa vie, il est comme son être et comme sa substance, parce qu’il est le seul principe de toutes ses affections. De la vient que saint Clement d’Alexandrie dit que la gnose ou parfait amour est la substance vive et permanente du gnostique. Comme cette âme ne se donne aucun mouvement empressé, elle ne fait presque plus de contretemps dans la main de Dieu qui la pousse ainsi elle ne sent plus d’ordinaire qu’un seul mouvement, savoir celui qui lui est imprimé, de même qu’une personne poussée par une autre ne sent plus que cette impulsion, quand elle ne la déconcerte point par une agitation à contre temps. Alors l’aine dit avec simplicité après Saint Paul : Je vis, niaisce n’est pas moi, c’estJésus Christ qui vil en moi. Elle dit encore avec cet apôtre que Jésus Christ se manifeste dans la chair mortelle, comme l’Apôtre veut qu’il se manifeste en nous tous. Alors l’image de Dieu obscurcie et presque effacée en nous par le péché, s’y retrace et y renouvelle une ressemblance qu’on a nommé Transformation. Alors si cette âme parle d’elle par simple conscience, elle dit comme sainte Catherine de Gênes je netrouve plus de moi ; il n’y a plus d’autre moi que Dieu.Si au contraire elle se cherche par réflexion, elle se liait elle même en tant qu’elle est quelque chose hors de Dieu ; c’est-à-dire qu’elle condamne le moi en tant qu’il est séparé de la pure impression de l’esprit de grâce, comme la même Sainte le faisait avec horreur. Cet état n’est ni fixe ni invariable. Il est vrai seulement qu’un ne doit pas supposer que l’aine déchoie du degré de son amour sans aucune infidélité, parce que les dons de Dieu sont sans repentir, et que les âmes fidèles a leur grâce n’en souffriront point de diminution. Mais enfin la moindre hésitation dans cette voie sublime de pure foi ou la plus subtile complaisance peuvent rendre par leurs suites une âme peu à peu indigne d’une grâce si éminente.

Parler ainsi, c’est admettre des termes consacrez par l’Écriture et par la Tradition. C’est suivre divers anciens Peres qui ont dit que l’aine pure était transformée et déifiée. C’est expliquer les expressions des saints les plus autorisez. C’est conserver dans son intégrité le dogme de la Foi.

XXXV. Faux §

La Transformation est une déification de l’âme réelle et par nature, ou une union hypostatique, ou une conformité à Dieu qui est inaltérable, et qui dispense l’âme de veiller sur le moi parce qu’il n’y a plus en elle d’autre moi que Dieu.

Parler ainsi, c’est proférer des blasphémés horribles c’est vouloir transformer Satan en Ange de lumière

Article XXXVI. Vrai §

Les âmes transformées n’ont d’ordinaire plus besoin de certains arrangements, soit pour les temps soit pour les lieux, ni de formules expresses ni de pratiques recherchées méthodiquement pour leurs exercices intérieurs. La grande habitude de leur union familière avec Dieu leur donne une facilité et une simplicité d’union amoureuse qui est incompréhensible aux âmes d’un état inférieur, et cet exemple serait très pernicieux pour toutes ces autres âmes moins avancées qui ont encore besoin de pratiques réglées pour se soutenir. Les âmes transformées doivent toujours, quoique sans réglé gênante, produire avec simplicité, tantôt des actes indistincts de la Quietude ou pure Contemplation, tantôt les actes distincts, mais paisibles et désintéressés de toutes les vertus convenables à leur état.

Parler ainsi, c’est expliquer correctement les expressions des bons Mystiques.

XXXVI. Faux §

Les âmes transformées n’ont plus besoin d’exercer les vertus, pas même dans les cas précis de précepte ou de conseil. Hors de ces temps, elles peuvent être dans un vide absolu et une inaction intérieure. Elles n’ont qu’à suivre sans attention leurs goûts, leurs inclinations, leur pente, leurs premiers mouvements naturels. La concupiscence est éteinte en elles, ou bien elle y est dans une suspension si insensible, qu’on ne doit plus croire qu’elle puisse se réveiller jamais tout à coup.

Parler ainsi, c’est induire les âmes dans la tentation, c’est les remplir d’un orgueil funeste, c’est enseigner la doctrine des démons, c’est oublier que la concupiscence est toujours ou agissante, ou ralentie, ou suspendue, mais prête à se réveiller soudainement dans nôtre corps qui est celui du péché.

Article XXXVII. Vrai §

Les âmes les plus transformées ont toujours le libre arbitre pour pouvoir pêcher, comme le premier Ange et le premier homme. Elles ont de plus le fonds de la concupiscence, quoique les effets sensibles puissent en être suspendus ou ralentis par la grâce médicinale. Ces âmes peuveut pécher mortellement et s’égarer d’une maniéré sensible. Elles commettent mémo des péchés véniels pour lesquels elles disent chaque jour unanimement avec toute l’Église : Remettez nous nos offenses, etc.La moindre hésitation dans la Foi, ou le moindre retour sur elles-mêmes par résistance a l’attrait intérieur quand il les porte actuellement a s’oublier, pourraient par leurs suites faire tarir la grâce dont elles sont remplies. Elles doivent à la jalousie du pur amour d’éviter les plus légères fautes, comme le commun des Justes évite les grands péchés. Leur vigilance, quoique simple et paisible, doit être d’autant plus pénétrante que le pur amour dans sa jalousie est bien plus clairvoyant que l’amour intéressé avec toutes ses inquiétudes. Ces âmes ne doivent jamais ni se juger elles-mêmes, ni s’excuser, si ce n’est par obéissance et pour lever quelque scandale, ni se justifier en elles-mêmes par un témoignage délibéré et réfléchi, quoique le fond intime de leur conscience ne leur reproche rien. Elles doivent se laisser juger par leurs Superieurs, et leur obéir aveuglément en tout.

Parler ainsi, c’est parler suivant les vrais principes de tous les plus saints Mystiques, et sans blesser la Tradition.

XXXVII. Faux §

Les âmes transformées ne sont plus libres pour pêcher : elles n’ont plus de concupiscence : tout est en elles mouvement de grâce et inspiration extraordinaire. Elles ne peuvent plus prier avec l’Église en disant chaque jour : Remettez-nous nos offenses, etc.

Parler ainsi, c’est tomber dans l’erreur des faux Gnostiques renouvellée par les Beguards condamnez au Concile de Vienne, et par les Illuminés d’Andalousie dans le siècle passé.

Article XXVVIII. Vrai §

Les Âmes transformées peuvent utilement, et elles doivent même dans la discipline présenté, confesser leurs fautes vénielles qu’elles aperçoivent. En se confessant, elles doivent détester leurs fautes avec douleur, quoique cette douleur ne soit pas toujours sensible. Elles doivent se condamner, et désirer la rémission de leurs péchés, non par un motif intéressé et pour donner un soulagement a la cupidité soumise par la purification et par la délivrance, mais pour obtenir le pardon comme une chose que Dieu veut et qu’il veut que nous voulions pour sa gloire. Quoiqu’une âme désintéressée ne se lave plus de ses fautes pour être pure, comme nous l’avons vu dans saint François de Sales, et qu’elle aimât autant la laideur que la beauté si elle était aussi agréable à l’époux, elle sait néanmoins que la pureté et la beauté sont ce que l’époux veut et qu’il ne peut jamais vouloir que cette beauté des vertus qui est une image de sa beauté suprême. Ainsi elle aime uniquement pour son bon plaisir la pureté et la beauté, et elle rejette avec horreur la laideur qu’il rejette. Quand une âme est véritablement et actuellement dans le pur amour, on ne doit pas craindre que dans l’actuelle confession de son péché, elle ne soit dans l’actuelle condamnation détestation douleur et repentir de ce qu’elle a commis contre le bien-aimé, et par conséquent dans la plus formelle, la plus pure et la plus efficace contrition, quoiqu’elle n’en produise pas toujours des actes sensibles avec une formule expresse et réfléchie. Si les fautes vénielles sont effacées par la simple récitation de l’Oraison Dominicale, comme saint Augustin nous l’assure pour le commun des Justes imparfaits, à plus forte raison elles sont effacées de même dans les âmes transformées par l’exercice du plus pur amour. Il est vrai qu’on n’est pas obligé de rendre les Confessions toujours également fréquentes, lors que le Directeur éclairé a sujet de craindre qu’elles jettent dans le scrupule, ou qu’elles se tournent en pure habitude, ou qu’elles deviennent une décharge de cœur, et un soulagement pour l’amour propre plus contristé de ne se voir point entièrement parfait, que fidèle à vouloir se faire violence pour se corriger ; ou parce que ces fréquentes Confessions troublent trop certaines âmes et les occupent trop de leur état dans quelques peines passagères ; ou parce qu’elles ne voient en elle aucune faute volontaire commise depuis la dernière Confession, qui paroisse au Confesseur une matière suffisante d’absolution sacramentelle, après qu’elles se sont mises à ses pieds pour se soumettre ingénuiement a la puissance et au jugement de l’Église.

Parler ainsi, c’est parler un langage conforme mix expériences des Saints, et aux besoins de plusieurs âmes, sans blesser les principes de la Tradition.

XXXVIII. Faux §

La Confession est un remède qui ne convient qu’aux aines imparfaites, et auquel les amères avancées ne doivent avoir recours que pour la forme et de peur de scandaliser le public ; on bien elles ne commettent jamais des fautes qui mentent l’absolution ou bien elles ne doivent point être vigilantes même de la vigilance paisible et désintéressée de l’amour pur et jaloux pour apercevoir tout ce qui peut contrister le suint Esprit en elles ; on bien elles ne sont plus obligées à la contrition, qui n’est autre chose que l’amour jaloux qui hait d’une parfaite haine tout ce qui est contraire au bon plaisir du bien-aimé ; ou bien elles croiraient commettre une infidélité contre le désintéressement de l’amour et contre le parfait abandon, si elles demandaient de cœur en mêmes temps que de bouche la rémission de leurs péchés que Dieu veut néanmoins qu’elles désirent.

Parler ainsi, c’est anéantir pour ces âmes le véritable exercice du pur amour du souverain bien qui doit être en cette occasion l’actuelle condamnation du souverain mal ; c’est éloigner les âmes des Sacrements et de la discipline de l’Église par une présomption téméraire et scandaleuse. C’est leur inspirer l’orgueil des Pharisiens : C’est du moins leur apprendre à se confesser sans vigilance, sans attention, sans sincérité de cœur, lorsqu’elles demandent de bouche la rémission de leurs fautes : C’est introduire dans l’Église une hypocrisie qui rend l’illusion incurable.

Article XXXIX. Vrai §

Les âmes dans le premier attrait sensible qui les fait passer à la Contemplation ont quelquefois une Oraison qui paraît disproportionnée avec quelques imperfections grossières qui leur restent encore, et cette disproportion fait juger à quelques Directeurs qui n’ont pas assez d’expérience que leur Oraison est fausse et pleine d’illusion, comme sainte Therese assure que cela lui est arrivé. Les âmes exercées par les épreuves extraordinaires y montrent quelquefois pour des occasions passagères un esprit irrégulier affaibli par l’excès de là peine, et une patience presque épuisée, comme Job parut imparfait et impatient aux yeux de ses amis. Dieu laisse quelquefois aux âmes même qu’on nomme transformées, malgré la pureté de leur amour, certaines imperfections qui sont plus de l’infirmité du naturel que de la volonté, et qui sont suivant la pensée de saint Gregoire Pape, le contrepoids de leur Contemplation, comme l’aiguillon de la chair était dans l’Apostre l’Ange de Satan pour l’empêcher de s’enorgueillir de la grandeur de ses révélations. Enfin ces imperfections qui ne sont aucun violement de la Loi, sont laissées dans une âme, afin qu’on y voie des marques du grand ouvrage que la Grâce a eu besoin de faire en elle. Ces infirmités servent à la rabaisser à ses propres yeux, et à tenir les dons de Dieu sous un voile d’infirmité qui exerce la Foi de cette âme et des Justes qui la connaissent. Quelquefois même elles servent à lui attirer du mépris et des croix, ou pour la rendre plus docile à ses Supérieurs, ou pour lui ôter la consolation d’être approuvée et assurée dans sa voie, comme cela est arrivé à sainte Therese avec des peines incroyables ; enfin pour cacher le secret de l’Epoux et de l’Epouse aux Sages et aux prudents du siècle.

Parler ainsi, c’est parler conformément aux expériences des Saints sans blesser la réglé Evangelique, parce que les Directeurs qui ont l’expérience et l’esprit de grâce ne laisseront pas de pouvoir juger de l’arbre par les fruits, qui sont la sincérité, la docilité, et le détachement de lame dans les occasions principales avec l’exercice réel de toutes les vertus convenables a son état. De plus il y aura toujours d’autres signes certains que l’Onction de l’Esprit de Dieu donnera suffisamment pour se faire sentir, si on examine patiemment de prés l’état de chaque âme en particulier.

XXXIX. Faux §

On peut regarder une âme comme contemplative, et même comme transformée, quoiqu’on la trouve pendant des temps considérables négligents sur son instruction des principes de la Religion, inappliquée à ses devoirs dissipée, sensible, et immortifiée, toujours prête à s’excuser sur ses défauts, indocile, hautaine ou artificieuse.

Parler ainsi, c’est autoriser dans l’état le plus parfait les plus dangereuses imperfections : c’est couvrir du nom d’états extraordinaires les défauts les plus incompatibles avec une véritable piété : c’est approuver les illusions les plus grossières : c’est renverser les règles par lesquelles on peut éprouver les esprits pour savoir s’ils viennent de Dieu : C’est appeler le mal bien, et encourir la malédiction de l’Écriture.

Article XL. Vrai §

L’âme transformée est unie à Dieu sans milieu en trois maniérés : 1° En ce qu’elle aime Dieu pour lui seul sans aucun milieu de motif intéressé. 2° Qu’elle le contemple sans image sensible ni opération discursive. 3° Qu’elle accomplit ses préceptes et ses conseils sans un certain arrangement des formules pour s’en rendre un témoignage intéressé.

Parler ainsi, c’est dire ce que les saints mystiques ont voulu dire quand ils ont exclus de cet état les pratiques de vertu, et c’est une explication qui ne blesse eu rien la tradition universelle.

XL. Faux §

L’Âme transformée est unie à Dieu sans aucun milieu ni du voile de la Foi, ni de la grâce médicinale de Jesus-Christ toujours nécessaire, ni de la Méditation de Jesus-Christ, par lequel seul on peut en tout état aller au Pere, et l’infirmité de la chair n’empêche point cette union.

Parler ainsi, c’est renouveler l’Heresie des Begnards condamnez au Concile de Vienne.

Article XLI. Vrai §

Saint Bernard assure que l’épouse est par la pureté de son amour au-dessus même des enfants, quoique les enfants soient sans intérêt. Les plus saints contemplatifs des derniers siècles ont suivi cette idée, ils ont appelé noces spirituelles cette union intime de l’aine épouse avec l’époux bien-aimé. Sainte Thérèse, le bienheureux Jean de la Croix et beaucoup d’autres, ont parlé d’un état si sublime. Suivant leur langage, ces noces mystérieuses unissent immédiatement l’Épouse à l’Époux d’essence à essence, ou de substance à substance, c’est a dire, pour parler correctement, de volonté à volonté, par cet amour tout pur que nous avons expliqué tant de fois. Alors Dieu et l’aine ne sont plus qu’un même esprit, comme l’Époux et l’Épouse dans le mariage ne sont plus qu’une même chair. Celuy qui adhéré à Dieu est fait un même esprit avec lui par une entière conformité de volonté que la grâce opère. L’âme y est dans un rassasiement et une joie du Saint-Esprit qui n’est qu’un germe de la béatitude céleste. Elle est dans une pureté entière, c’est à dire sans aucune souillure de péché (excepté les péchés quotidiens que l’exercice de l’amour peut effacer aussitôt) et, par conséquent elle peut, sans passer par le Purgatoire entrer dans le Ciel où il n’entre rien de souillé ; car la concupiscence qui demeure toujours en cette vie n’est point incompatible avec cette entière pureté, puisqu’elle n’est point un péché ni une souillure de l’âme. Mais cette âme n’a pas l’intégrité originelle, parce qu’elle n’est exempte ni des fautes quotidiennes, ni de la concupiscence, qui sont incompatibles avec cette intégrité.Parler ainsi, c’est parler avec le sel de la sagesse qui doit assaisonner toutes nos paroles.

Article XLI. Faux §

L’âme en cet état a l’intégrité originelle ; elle voit Dieu face à face ; elle jouit pleinement de lui comme les bienheureux.

Parler ainsi, c’est tomber dans la même hérésie des Beguards.

Article XLII. Vrai §

L’union nommée par les Mystiques essentielle ou substantielle consiste dans un amour simple, désintéressé, qui remplit toutes les affections de toute l’âme, et qui s’exerce par des actes si paisibles et si uniformes qu’ils paraissent comme un seul, quoique ce soit plusieurs actes très réellement distinguez et que les personnes éclairées peuvent discerner sans peine. Divers Mystiques ont nommé ces actes essentiels ou substantiels, pour les distinguer des actes empressés, inégaux, et faits comme par secousses de l’amour qui est encore mélangé et intéressé.

Parler ainsi, c’est expliquer le vrai sens des Mystiques.

Article XLII. Faux §

Cette union devient réellement essentielle entre Dieu et l’âme, en sorte que rien ne peut plus ni la rompre nil’altérer. Cet acte substantiel est permanent et indivisible comme la substance de l’âme même.

Parler ainsi, c’est enseigner une extravagance autant contraire à toute philosophie qu’à la Foi, et à la pratique véritable de la Pieté.

Article XLIII. Vrai §

Dieu qui se cache aux grands et aux sages, se révèle et se communique aux petits et aux simples. L’âme transformée est l’homme spirituel, dont parle Saint Paul, c’est a dire l’homme parfaitement agi et conduit par l’esprit de grâce dans la voie de pure Foi. Cette âme a souvent par la grâce et par l’expérience pour toutes les choses de simple pratique dans les épreuves et dans l’exercice du pur amour, une lumière que les savants n’ont pas quand ils ont plus de science et de sagesse humaine que d’expérience et de pure grâce. C’est d’une âme élevée a cet état que saint Clément dit que l’homme divinisé jusqu’a l’apathie n’ayant plus de souillure devient unique. Ailleurs, il dit que c’est un Dieu conversant dans la Chair. Celui, dit-il encore, qui abandonne son âme a la vérité devient en quelque maniéré Dieu d’homme qu’il était.

Ce sont ces aines que saint Augustin appelle le Ciel les cieux en comparaison desquelles les aines communes ne sont que la terre. Dieu, dit-il, les a tellement élevées qu’elles ne sont plus capables d’être enseignées que de Dieu seul. Cœlum cœli domino qui erexit et sublimavit quorumdam sanctonum mentes in tantum ut nulli hominum sed ipsi soli deo suo dociles fierent.L’âme la plus parfaite, quoiqu’elle ait plus d’expérience que certains hommes savants doit néanmoins se soumettre de cœur aussi bien que de bouche, non seulement a toutes les décisions de l’Église, mais encore à la conduite des Pasteurs, parce qu’ils ont une grâce spéciale pour conduire sans exception toutes les brebis du troupeau.

Parler ainsi, c’est dire la vérité avec exactitude.

Article XLIII. Faux §

L’âme transformée est l’homme spirituel de Saint Paul, en sorte qu’elle peut juger de toutes les vérités de la Religion, et n’être jugée de personne. Elle est la semence de Dieu qui ne peut pêcher. L’onction lui enseigne tout : en sorte qu’elle n’a besoin d’être instruite par aucune personne, ni de se soumettre a ses Supérieurs.

Parler ainsi, c’est abuser des passages de l’Écriture et les tourner a sa propre perte. C’est ignorer que l’onction qui enseigne tout n’enseigne rien tant que l’obéissance, et qu’elle ne suggère tonte vérité de Foi et de pratique, qu’en inspirant l’humble docilité aux Ministres de l’Église. En un mot, c’est établir au milieu de l’Église une secte damnable d’independants et de fanatiques.

Article XLIV. Vrai §

Les Pasteurs et les Saints de tous les temps ont eu une espèce d’économie et de secret pour ne parler des épreuves rigoureuses et de l’exercice le plus sublime du pur amour qu’aux aines à qui Dieu en donnait déjà l’attrait ou la lumière. Quoique cette doctrine fut la pure et simple perfection de l’Évangile marquée dans toute la Tradition, les anciens Pasteurs ne proposaient d’ordinaire au commun des justes que les pratiques de l’amour moins désintéressé proportionnées à leur grâce, donnant ainsi le lait aux enfants et le pain aux âmes fortes.

Parler ainsi, c’est dire ce qui est constant par saint Clément, par Cassien et plusieurs autres saints Auteurs anciens et nouveaux.

XLIV. Faux §

Il y a eu parmi les Contemplatifs de tous les siècles une tradition secrète et inconnue au corps même de toute l’Église. Cette tradition renfermait des dogmes cachez au-delà des vérités de la tradition universelle ; ou bien ces dogmes étaient contraires à ceux de la Foi commune, et ils exemptaient les âmes d’exercer tous les actes de foi explicite et de vertus distinctes, qui ne sont pas moins essentielles dans la voie de pur amour que dans celle de l’amour moins désintéressé.

Parler ainsi, c’est anéantir la tradition en la multipliant. C’est faire une secte d’hypocrites cachez dans le sein de l’Église, sans qu’elle puisse jamais les découvrir ni s’en délivrer. C’est renouvelé le secret impie des Gnostiques et des Manichéens. C’est sapper tous les fondements de la Foi et des mœurs.

Article XLV. Vrai §

Toutes les voies intérieures les plus éminentes, loin d’être au-dessus d’un état habituel de pur amour, ne sont que le chemin pour arrivera ce terme de toute perfection. Tons les degrés inférieurs ne sont point encore ce véritable état. Le dernier degré nommé par les Mystiques transformation ou union essentielle et sans milieu, n’est que la simple réalité de cet amour sans intérêt propre ou sans cupidité soumise. Cet état est le plus assuré quand il est le plus véritable, parce qu’il est le plus volontaire et le plus méritoire de tous les états de justice chrétienne étant de pur amour, et parce qu’il est celui qui donne tout à Dieu en ne laissant rien à la créature. Au contraire quand il est faux et imaginaire, c’est le comble de l’illusion. Le voyageur après beaucoup.de fatigues, de dangers, et de souffrances en arrivant sur le sommet d’une montagne, aperçoit de loin la ville qui est sa patrie, et c’est le terme de son voyage et de toutes ses peines : d’abord il est saisi de joie, il croit déjà être aux portes de cette ville, et qui ne lui reste plus qu’un chemin court et tout uni : mais à mesure qu’il s’avance, il trouve des longueurs et des difficultés qu’avait pas prévu dans ce premier coup d’œil. Il faut qu’il descende par des précipices dans des vallées profondes où il perd de vue cette ville qu’il croyait presque toucher. Il faut qu’il remonte souvent en grimpant au travers des rochers escarpés. Ce n’est que par tant de peines et de dangers qu’il arrive enfin dans cette ville qu’il avait cru d’abord si proche de lui, et à plein pied. Il en est de même de l’amour entièrement désintéressé. Le premier coup d’œil le découvre dans une merveilleuse perspective. On croit le tenir. On s’imagine déjà y être établi. Du moins on ne voit entre soi et lui qu’un espace court et uni. Mais plus on avance vers lui, plus on éprouve que le chemin en est long et pénible. Rien n’est si dangereux que de se flatter de cette belle idée, et de se croire dans la pratique où l’on n’est point : tel qui admet dans la spéculation est amour, frémirait jusques dans la moelle des os, si Dieu le mettait dans les épreuves par lesquelles cet amour se purifie et se réalisé dans les âmes. Enfin il faut bien se garder de croire qu’on en a la réalité aussitôt qu’on en a la lumière et l’attrait. Toute âme qui ose présumer par une décision réfléchie d’y être parvenue, montre par sa présomption combien elle en est éloignée. Le très petit nombre de colles qui y sont, ne savent si elles y sont toutes les fois qu’elles réfléchissent sur elles-mêmes : Elles sont prestes à croire qu’elles n’y sont pas, quand leurs Supérieurs le leur déclarent : Elles parlent avec désintéressement et sans réflexion d’elles-mêmes comme d’autrui, elles ne le font que par nécessité avec simplicité, et sans complaisance par pure obéissance a leurs supérieurs, sans juger ni raisonner jamais volontairement de leur état. Enfin quoiqu’il soit vrai do dire que nul homme ne peut marquer des bornes précisés aux opérations de Dieu dans les âmes, et qu’il n’y a que l’esprit de Dieu qui puisse sonder les profondeurs de cet esprit même : il est néanmoins vrai de dire que nulle perfection intérieure ne dispense les Chrétiens des actes réels qui sont essentiels pour l’accomplissement de toute la Loi, et que toute perfection se réduit à cet état habituel et non invariable d’amour pur et unique qui fait dans ces âmes avec une paix désintéressée tout ce que l’amour meslangé de cupidité soumise fait dans les autres avec quelque reste d’empressement intéressé. En un mot il n’y a que l’intérêt propre qui ne peut et qui ne doit plus se trouver dans l’exercice de l’amour désintéressé ; mais tout le reste y est encore plus abondamment que dans le commun des Justes.

Parler avec cette précaution, c’est demeurer dans les bornes posées par nos Peres : c’est suivre religieusement la Tradition ; c’est rapporter sans aucun mélange de nouveauté les expériences des Saints, et le langage qu’ils ont tenu en parlant quelquefois d’eux-mêmes avec simplicité et pure obéissance.

XLV. Faux §

Les Âmes transformées peuvent se juger et juger les autres ou s’assurer de leurs dons intérieurs, sans dépendance des Ministres de l’Eglise ou bien diriger sans caractère sans vocation extraordinaire et même avec des marques de vocation extraordinaire, contre l’autorité expresse des Pasteurs.

Parler ainsi, c’est enseigner une nouveauté profane, et attaquer le plus essentiel des articles de la Foi Catholique, qui est celui de l’entière subordination des Fidelles au corps des Pasteurs, auxquels Jésus Christ a dit : Qui vous écoute, m’écoute.

Conclusion de tous ces articles §

Le principe de la sainte indifférence n’est que le désintéressement de l’amour. Les épreuves n’en sont que la purification. L’abandon n’est que son exercice dans les épreuves. La désappropriation des vertus n’est que le dépouillement de toute complaisance, de toute consolation, et de tout intérêt propre dans l’exercice des vertus par le pur amour. La contemplation pure et directe n’est que l’exercice simple de cet amour réduit à un seul motif. La Contemplation passive n’est que la pure Contemplation sans activité on empressement. L’état passif, soit dans les teins bornez de Contemplation pure et directe, soit dans les intervalles où l’on ne contemple pas, n’exclut ni l’action réelle ni les actes successifs de la volonté, ni la distinction spécifique des vertus par rapport à leurs objets propres ; mais seulement la simple activité ou inquiétude intéressée : c’est un exercice paisible de l’Oraison et des vertus par le pur amour. La transformation et l’union la plus essentielle ou immédiate n’est que l’habitude de ce pur amour qui fait lui seul toute la vie intérieure, et qui devient alors l’unique principe de tous les actes délibérés et méritoires ; mais cet état habituel n’est jamais ni inamissible ni fixe ni invariable Verusamor recti, comme dit saint Léon, habet in seapostólicasauctoritates etcanónicassanctiones.

APPENDICE I §

Eclaircissement qui servira de première partie a cet ouvrage §

Puisque plusieurs de mes lecteurs n’ont pas bien pris mon véritable sens dans le livre intitulé Explication des Maximes des Saints, je dois conclure que mes pensées n’y étaient pas développées avec assez de clarté. Les livres ne sont fait que pour les hommes ; si les hommes pour qui ils sont fait ne les entendent pas, il s’ensuit qu’ils ne sont pas assez intelligibles. C’est la charité seule qui doit faire écrire et la charité ne se lasse jamais de chercher ce qui est utile au prochain. Elle doit être bien éloignée de le vouloir laisser ou dans le scandale ou le danger de prendre un faux sens qui n’est pas celui de l’auteur et qui la meneroit à l’illusion et par conséquent nous sommes obligez de nous compter nous-mêmes pour rien afin que la vérité soit connue, aimée, suivie, et que les enfants de Dieu ne courrent jamais de risque de prendre pour la vérité ce qui n’en aurait que l’apparence. Dans cette vue je me propose de lever toutes les équivoques qu’on pourrait faire sur mon livre et de l’expliquer si exactement par des paroles du livre même que personne ne puisse le détourner dans nu sens contraire au mien qui est celui de l’Église catholique apostolique et Romaine dont je veux être jusqu’au dernier soupir de ma vie le plus soumis et le plus docile de tous les enfants.

Cet éclaircissement servira de première partie à mon livre et les 45 articles qui faisaient tout le corps du livre dans la première édition, seront désormais la seconde partie de cet ouvrage dans cet éclaircissement je tacherai de montrer :

1° L’étendue précise de mon système sur l’état habituel du pur amour ;

2° La conformité de mon livre avec le système ;

3° Les autorités sur lesquelles je me suis servi de certains termes pour expliquer ce système.

Exposition de mon système §

Tout le système renfermé dans cet ouvrage est borné à un état habituel du pur amour. Qui dit habituel dit seulement un état ou les actes se font d’ordinaire d’une certaine façon quoiqu’ils ne se fassent pas toujours de même. Aussi ai-je ajouté que cet état habituel n’est n’y fixe ni invariable. Outre qu’on peut en déchoir, il arrive encore que sans altérer l’état on y trouve quelques variations passagères. Ces variations mêmes n’altèrent point l’état, puisqu’elles ne peuvent le rendre que ce qu’il est déjà, c’est-à-dire variable.

Ainsi, suivant ce principe on admet dans les âmes les plus parfaites des actes intéressés qui s’accordent avec cet état habituel puisqu’il n’est ni fixe ni invariable.

La seconde chose est que cet état est de pur amour ou d’amour désintéressé. Il faut lever avec une précaution infinie toutes les équivoques qu’on peut faire sur ce désintéressement de l’amour. Mais pour le faire avec ordre il est nécessaire d’examiner de près les cinq divers états d’amour de Dieu dont j’ay parlé.

Je n’ay rien à dire de l’amour que j’ay nommé purement mercenaire et que j’ay attribué à ceux d’entre les juifs qui ont été appelés charnels parce qu’ils ne regardaient dans les promesses que les liens temporels pour flatter en eux la chair et le sang.

Pour l’amour que j’ai nommé de pure concupiscence je le trouve dans Saint Bernard il reconnait dans cet amour d quoique déréglé une espèce de prudence en ce qu’il connait son véritable bien. Je le trouve aussi dans saint Thomas quand il parle de l’amour d’amitié dont il exclut de rapporter une chose à son usage, comme on use du vin qu’on boit et du cheval sur lequel on monte. L’amour qu’on a d’une chose pour un tel usage est de pure concupiscence, et c’est celui que saint Thomas rejette à l’égard de Dieu. Un grand nombre d’autres théologiens ont supposé un amour de pure concupiscence pour Dieu et l’ont rejeté comme mauvaise.

De l’amour d’espérance §

Pour l’amour d’espérance voici ce que je comprends de cet état. Une Âme qui n’a point encore la charité, en espérant la jouissance (le Dieu, a nécessairement deux amours, l’un de Dieu, l’autre d’elle-même, elle aime véritablement Dieu car c’est lui même quelle désire, et le désir est un amour do l’objet désiré. Elle s’aime aussi, puisque c’est à elle même qu’elle désire ce bien. L’espérance dit donc deux amours mêlés ensemble, elle ne rapporte point Dieu à soi, car ce serait renverser l’ordre, et l’espérance ne serait plus bonne et vertueuse. Mais aussi elle ne rapporte point encore d’un rapport formel l’intérêt propre comme moi eu a la gloire de Dieu comme à la fin car si elle le rapportait ainsi, elle aurait déjà l’amour de préférence qui est le justifiant, et elle serait déjà dans la charité ou je suppose qu’elle n’est pas encore. En un mot cet amour d’espérance étant seul n’est point encore le véritable amour de préférence de Dieu à soi même, Amor super omnia qui justifie l’âme. Si elle l’avait, elle serait déjà juste suivant cette parole : Qui diligit me diligitur a patre meo.

Pour entendre encore plus précisément ce que renferme l’espérance, je crois qu’il faut observer deux choses : savoir son objet formel et la fin à laquelle elle peut être rapportée.

Pour son objet formel c’est Dieu en tant qu’il mon bien que je désire : bonum mihi conveniens. C’est ce qui distingue l’espérance de la charité, car la charité regarde Dieu comme bon simplement en lui même sans rapport a nous a qui ce bien revient, au lieu que l’espérance le regarde comme le bien qui nous est préparé.

L’objet formel et le motif sont des termes synonymes dans la rigueur du langage de l’école : ainsi mon bien étant l’objet formel de mon espérance, sou motif est mon bien, mon bien est mon intérêt. Dira-t on donc en ce sens : mon intérêt est mon motif dans l’espérance ? Qui dit motif dit la raison précise qui me meut. Ainsi il est encore vrai de dire dans ce sens que mon intérêt est ma raison précise de désirer Dieu dans l’amour d’espérance ; dans cet amour je veux mou bien en tant que mon bien et par la raison précise qu’il est mon bien. Cette raison est précisément ce qui meut et ce qui attire ma volonté. Ce motif doit toujours être vrai motif dans tous les actes de cette vertu. C’est le motif spécifique qui en constitue l’espèce. Il faut donc qu’il mesure ma volonté par le degré de bien ou amabilité que Dieu a mise en lui ; il est vrai que ce motif peut n’être que subalterne et rapporté à une fin plus haute, en sorte qu’étant fin prochaine à l’égard de mon acte, il ne sera que simple moyen à l’égard de la fin dernière a laquelle il est lui-même rapporté aussi bien que mon acte dont il est le motif. Par la il est vrai de dire que je puis n’aime r le degré de bien ou amabilité qui est en lui, qu’à cause que ce degré de bien est une convenance par rapport au bien suprême qui est ma fin simplement dernière.

Il me reste encore pour achever l’éclaircissement de la matière, de l’espérance à expliquer l’amour de nous-mêmes qui y est renfermé. Nous pouvons selon saint Thomas nous aimer en trois façons :

1° Il y a un amour de nous-mêmes qui s’arrête en nous comme dans sa fin dernière. Cet amour renverse l’ordre, est contraire a la charité, et est la cupidité vicieuse.2° Il y a un amour naturel de nous-mêmes qui ne s’arrête point en nous comme dans sa fin dernière, il est bon dans l’ordre naturel et référible pour parler comme le saint Docteur, à la dernière fin. Il n’est pas de la charité, mais il ne lui est pas contraire :« charitate quidem distinguitur sed caritati non contrariatur… potest esse aliqua specialis dilectio prœter dilectionem caritatis… quætamen referibilis sit ad caritatem. » 3° Il y a un amour de charité qui consiste en ce que la charité qui nous fait aimer Dieu nous fait aimer aussi ses ouvrages qui participent a sa bonté, qu’il aime et qu’il veut que nous aimions. C’est par la même charité dont nous aimons Dieu pour lui même que nous aimons aussi pour lui, dit saint Augustin, nous et notre prochain.

Pour l’amour matériel de nous-mêmes, il se trouve encore mélangé avec un amour de Dieu dans les âmes qui espèrent avant que d’être dans la charité. Cet amour est naturel, mais il est référible, comme dit saint Thomas, a la charité et par conséquent peut entrer dans l’ordre surnaturel par le désir surnaturel de Dieu avec lequel il se trouve mêlé ; comme il y a dans celte espérance un commencement véri table et surnaturel d’amour pour Dieu ; il y aussi un com mencement véritable d’amour surnaturel pour nous-mêmes, mais enfin l’amour naturel s’y meule aussi et sert à exciter la volonté.