I §
L’incroyable, l’unique horreur de pardonner,
Quand l’offense et le tort ont eu cette envergure,
Est un royal effort qui peut faire figure
Pour le souci de plaire et le soin d’étonner :
L’orgueil, qu’il faut, se doit prévaloir sans scrupule
Et s’endormir pur, fort des péchés expiés,
Doux, le front dans les cieux reconquis, et les pieds
Sur cette humanité toute honte et crapule.
Ou plutôt et surtout, gloire à Dieu qui voulut
Au cœur qu’un rien émeut, tel sous des doigts un luth,
Faire un peu de repos dans l’entier sacrifice.
Paix à ce cœur enfin de bonne volonté
Qui ne veut battre plus que vers la Charité,
Et que votre plaisir, ô Jésus, s’assouvisse.
II §
La vie est bien sévère
A cet homme trop gai :
Plus le vin dans le verre
Pour le sang fatigué,
Plus l’huile dans la lampe
Pour les yeux et la main,
Plus l’envieux qui rampe
Pour l’orgueil surhumain,
Plus l’épouse choisie
Pour vivre et pour mourir,
En qui l’on s’extasie
Pour s’aider à souffrir,
Hélas ! et plus les femmes
Pour le cœur et la chair,
Plus la Foi, sel des âmes,
Pour la peur de l’Enfer,
Et ni plus l'Espérance
Pour le ciel mérité
Par combien de souffrance !
Rien. Si. La Charité.
Le pardon des offenses
Comme un déchirement,
L’abandon des vengeances.
Comme un délaissement,
Changer au mieux le pire,
A la méchanceté
Déployant son empire,
Opposer la bonté,
Peser, se rendre compte.
Faire la part de tous,
Boire la bonne honte,
Être toujours plus doux...
Quelque chaleur va luire
Pour le cœur fatigué,
La vie enfin sourire
A cet homme trop gai.
Et puisque je pardonne,
Mon Dieu, pardonnez-moi,
Ornant l’âme enfin bonne
D’espérance et de foi.
III §
Après la chose faite, après le coup porté
Après le joug très dur librement accepté,
Et le fardeau plus lourd que le ciel et la terre,
Levé d’un dos vraiment et gaîment volontaire,
Après la bonne haine et la chère rancœur,
Le rêve de tenir, implacable vainqueur,
Les ennemis du cœur et de l’âme et les autres ;
De voir couler des pleurs plus affreux que les nôtres
De leurs yeux dont on est le Moïse au rocher,
Tout ce train mis en fuite, et courez le chercher !
Alors on est content comme au sortir d’un rêve,
On se retrouve net, clair, simple, on sent que crève
Un abcès de sottise et d’erreur, et voici
Que de l’éternité, symbole en raccourci
Toute une plénitude afflue, aime et s’installe,
L’être palpite entier dans la forme totale,
Et la chair est moins faible et l’esprit moins prompt ;
Désormais, on le sait, on s’y tient, fleuriront
[p. 129]
Le lys du faire pur, celui du chaste dire,
Et, si daigne Jésus, la rose du martyre.
Alors on trouve, ô Jésus si lent à vous venger,
Combien doux est le joug et le fardeau léger !
Charité la plus forte entre toutes les Forces,
Tu veux dire, saint piège aux célestes amorces,
Les mains tendres du fort, de l’heureux et du grand
Autour du sort plaintif du faible et du souffrant.
Le regard franc du riche au pauvre exempt d’envie
Ou jaloux, et ton nom encore signifie
Quelle douceur choisie, et quel droit dévouement,
Et ce tact virginal, et l’ange exactement !
Mais l’ange est innocent, essence bienheureuse,
Il n’a point à passer par notre vie affreuse
Et toi, Vertu sans pair, presqu’Une, n’es-tu pas
Humaine en même temps que divine, ici-bas ?
Aussi la conscience a dû, pour des fins sûres.
Surtout sentir en toi le pardon des injures.
Par toi nous devenons semblables à Jésus
Portant sa croix infâme et qui, cloué dessus,
Priait pour ses bourreaux d’Israël et de Rome,
A Jésus qui, du moins, homme avec tout d’un homme,
N’avait lui jamais eu de torts de son côté,
Et, par Lui, tu nous fais croire en l’éternité.
IV §
De plus, cette ignorance de Vous !
Avoir des yeux et ne pas vous voir,
Une âme et ne pas vous concevoir.
Un esprit sans nouvelles de Vous !
O temps, ô mœurs qu’il en soit ainsi,
Et que ce vase de belles fleurs,
Qu’un tel vase, précieux d’ailleurs,
De la plus belle se passe ainsi !
Religion, unique raison,
Et seule règle et loi, piété,
Rien, là, de vous n’a jamais été,
Pas un penser juste, une oraison !
Aussi cette ignorance de tout !
Et de soi-même, droits et devoirs
Et des autres, leurs justes pouvoirs,
Leur action légitime et tout !
Jusqu’à méconnaître en moi quel nom,
Quel titre augural et de par Dieu !
Et six ans passés à plaire à Dieu,
Vertu réelle, effort bel et bon !
Jusqu’à ne pas se douter vraiment
Du tour affreux et plus que cruel
Qu’un sot grief, à peine réel,
Inflige à ses revanches vraiment.
Éclairez ces ténêbres de mort,
C’est votre créature après tout.
L’ignorance invincible l’absout.
Bah ! claire et bonne lui soit la mort.
V §
L’adultère, celui du moins codifié
Au mépris de l’Église et de Dieu défié,
Tout d’abord doit sembler la faute irrémissible.
Tel un trait lancé juste, ayant l’enfer pour cible !
Beaucoup de vrais croyants, questionnés ici,
Répondraient à coup sûr qu’il en retourne ainsi.
D’autre part le mondain, qui n’y voit pas un crime,
Pour qui tous mauvais tours sont des bons coups d’escrime,
Rit du procédé lourd, préférant, affrontés,
Tous risques et périls à ces légalités
Abominablement prudentes et transies
Entre ces droits divers et plusieurs fantaisies,
Enfin juge le cas boiteux, piteux, honteux.
Le Sage, de qui l’âme et l’esprit vont tous deux,
Bien équilibrés, droit, au vrai milieu des causes,
Pleure sur telle femme en route pour ces choses.
Il plaide l’ignorance, elle donc ne sachant
Que le côté naïf, c’est-à-dire méchant,
[p. 133]
Hélas ! de cette douce et misérable vie.
Elle plaît et le sait, et ce qu’elle est ravie !
Mais son caprice tue, elle l’ignore tant !
Elle croit que d’aimer c’est de l’argent comptant,
Non un fonds travaillant, qu’on paie et qu’on est quitte,
Que d’aimer c’est toujours « qu’arriva-t-elle ensuite »,
Non un seul vœu qui tient jusqu’à la mort de nous.
Et certes suscité, néanmoins son courroux
Gronde le seul péché, plaignant les pécheresses,
Coupables tout au plus de certaines paresses,
Et les trois quarts du temps luxurieuses point.
Bête orgueil, intérêt mesquin, voilà le joint,
Avec d’avoir été trop ou trop peu jalouses.
Seigneur, ayez pitié des âmes, nos épouses.
VI §
Puis, déjà très anciens,
Des songes de souvenirs,
Si doux nécromanciens
D’encor pires avenirs :
Une fille, presque enfant,
Quasi zézayante un peu,
Dont on s’éprit en rêvant,
Et qu’on aima dans le bleu.
Mains qu’on baisa que souvent
Bouche aussi, cheveux aussi !
C’était l’âge triomphant
Sans feintise et sans souci.
Puis on eut tous les deux tort,
Mais l’autre n’en convient pas,
Et si c’est pour l’un la mort,
Pour l’autre c’est le trépas,
Montrez-vous, Dieu de douceur,
Fût-ce au suprême moment,
Pour qu’aussi l’âme, ma sœur,
Revive éternellement.
VII §
Maintenant, au gouffre du Bonheur !
Mais avant le glorieux naufrage
Il faut faire à cette mer en rage
Quelque sacrifice et quelque honneur.
Jettes-y, dans cette mer terrible,
Ouragan de calme, flot de paix,
Tes songes creux, tes rêves épais,
Et tous les défauts comme d’un crible.
(Car de gros vices tu n’en as plus.
Quant aux défauts, foule vénielle
Contaminante, ivraie et nielle,
Tu les as tous on ne peut pas plus.)
Jettes-y tes petites colères,
— Garde-les grandes pour les cas vrais, —
Les scrupules excessifs après,
— Les extrêmes, que tu les tolères !
Jette la moindre velléité
De concupiscence, quelle qu’elle
Soit, femmes ou vin ou gloire, ah ! quelle
Qu’elle soit, qu’importe en vérité !
Jette-moi tout ce luxe inutile
Sans soupir, au contraire, en chantant,
Jette sans peur, au contraire étant
Lors détesté d’un luxe inutile.
Jette à l’eau ! Que légers nous dansions
En route pour l’entonnoir tragique
Que nul atlas ne cite ou n’indique,
Sur la mer des Résignations.
VIII §
L’homme pauvre du cœur est-il si rare, en somme ?
Non. Et je suis cet homme et vous êtes cet homme,
Et tous les hommes sont cet homme ou furent lui,
Ou le seront quand l’heure opportune aura lui.
Conçus dans l’agonie épuisée et plaintive
De deux désirs que, seul, un feu brutal avive,
Sans vestige autre nôtre, à travers cet émoi,
Qu’une larme de quoi ! Que pleure quoi ! dans quoi !
Nés parmi la douleur, le sang et la sanie,
Nus, de corps sans instinct et d’âme sans génie
Pour grandir et souffrir par l’âme et par le corps,
Vivant au jour le jour, bernés de vœux discors,
Pour mourir dans l’horreur fatale et la détresse,
Quoi de nous, dès qu’en nous la question se dresse ?
Quoi ? qu’un être capable au plus de moins que peu
En dehors du besoin d’aimer et de voir Dieu,
Et quelque chose, au front, du fond du cœur te monte
Qui ressemble à la crainte et qui tient de la honte,
[p. 139]
Quelque chose, on dirait, d’encore incomplété,
Mais dont la Charité ferait l’Humilité.
Lors, à quelqu’un vraiment de nature ingénue
Sa conscience n’a qu’à dire : continue,
Si la chair n’arrivait à son tour, en disant :
Arrête, et c’est la guerre en ce juste à présent.
Mais tout n’est pas perdu malgré le coup si rude :
Car la chair avant tout est chose d’habitude,
Elle peut se plier et doit s’acclimater.
C’est son droit, son devoir, la loi de la mater
Selon les strictes lois de la bonne nature.
Or la nature est simple, elle admet la culture ;
Elle procède avec douceur, calme et lenteur.
Ton corps est un lutteur, fais-le vivre en lutteur,
Sobre et chaste, abhorrant l’excès de toute sorte,
Femme qui le détourne et vin qui le transporte
Et la paresse pire encore que l’excès.
Enfin pacifié, puis apaisé, — tu sais
Quels sacrements il faut pour cette tâche intense,
Et c’est l’Eucharistie après la Pénitence, —
Ce corps allégé, libre et presque glorieux,
Dûment redevenu, dûment laborieux,
Va se rompre au plutôt, s’assouplir au service
De ton esprit d’amour, d’offre et de sacrifice,
Subira les saisons et les privations,
Enfin sera le temple embaumé d’actions
De grâce, d’encens pur et de vertus chrétiennes,
Et tout retentissant de psaumes et d’antiennes
[p. 140]
Qu’habite l’Esprit-Saint et que daigne Jésus
Visiter comparable aux bons rois bien reçus.
De ce moment, toi, pauvre avec pleine assurance,
Après avoir prié pour la persévérance,
Car, docte charité tout d’abord pense à soi,
Puise au gouffre infini de la Foi — plus de foi —
Que jamais et présente à Dieu ton vœu bien tendre,
Bien ardent, bien formel et de voir et d’entendre
Les hommes t’imiter, même te dépasser
Dans la course au salut, et pour mieux les pousser
A ces fins que le ciel en extase contemple,
Bien humble (souviens-toi !), prêcheur, prêche d’exemple !
IX §
Bon pauvre, ton vêtement est léger
Comme une brume,
Oui, mais aussi ton cœur, il est léger
Comme une plume,
Ton libre cœur qui n’a qu’à plaire à Dieu,
Ton cœur bien quitte
De toute dette humaine, en quelque lieu
Que l’homme habite,
Ta part de plaisir et d’aise paraît
Peu suffisante.
Ta conscience, en revanche, apparaît
Satisfaisante.
Ta conscience que, précisément,
Tes malheurs mêmes
Ont dégagée, en ce juste moment,
Des soins suprêmes.
Ton boire et ton manger sont, je le crains,
Tristes et mornes ;
Seulement ton corps faible a, dans ses reins,
Sans fin ni bornes,
[p. 142]
Des forces d’abstinence et de refus
Très glorieuses,
El des ailes vers des cieux entrevus
Impérieuses.
Ta tête, franche de mets et de vin,
Toute pensée,
Tout intellect, conforme au plan divin,
Haut redressée,
Ta tête est prête à tout enseignement
De la parole
Et, de l’exemple de Jésus clément
Et bénévole,
Et de Jésus terrible, prêt au pleur
Qu’il faut qu’on verse,
A l’affront vil qui poigne, à la douleur
Lente qui perce,
Le monde pour toi seul, le monde affreux
Devient possible,
T’environnant, toi qu’il croit malheureux,
D’oubli paisible,
Même t’ayant d’étonnantes douceurs
Et ces caresses !
Les femmes qui sont parfois d’âpres sœurs,
D’aigres maîtresses,
Et de douloureux compagnons toujours
Ou toujours presque,
Te jaugeant malfringant, aux gestes lourds,
Un peu grotesque,
[p. 143]
Tout à fait incapable de n’aimer
Qu’à les voir belles,
Qu’à les trouver bonnes et de n’aimer
Qu’elles en elles,
Et le pesant si léger que ce n’est
Rien de le dire,
Te dispenseront, tous comptes au net,
De leur sourire.
Et te voilà libre, à dîner, en roi,
Seul à ta table,
Sans nul flatteur, quel fléau pour un roi,
Plus détestable ?
L’assassin, l’escroc et l’humble voleur
Qui n’y voient guère
De nuance, t’épargnent comme leur
Plus jeune frère,
Des vertus surérogatoires, la
Prudence humaine,
(L’autre, la cardinale, ah ! celle-là
Que Dieu t’y mène !)
L’amabilité, l’affabilité
Quasi célestes,
Sans rien d’affecté, sans rien d’apprêté,
Franches modestes,
Nimbent le destin, que Dieu te voulut
Tendre et sévère.
Dans l’intérêt surtout de ton salut,
A bien parfaire
[p. 144]
Et pour ange contre le lourd méchant
Toujours stupide
La clairvoyance te guide en marchant,
Fine et rapide,
La clairvoyance, qui n’est pas du tout,
La Méfiance
Et qui plutôt serait pour sommer tout,
La Prévoyance,
Élicitant les gens de prime-saut
Sous les grimaces
Faisant sortir la sottise du sot.
Trouvant des traces,
Et médusant la curiosité
De l’hypocrite
Par un regard entre les yeux planté
Qui brûle vite...
Et s’il ose rester des ennemis
A ta misère,
Pardonne-leur, ainsi que l’a promis
Ton Notre-Père...
Afin que Dieu te pardonne aussi, Lui,
Prends cette avance.
Car, dans le mal fait au prochain, c’est Lui
Seul qu’on offense.
X §
Écrit en 1888.
Le « sort » fantasque qui me gâte à sa manière
M’a logé cette fois, peut-être la dernière
Et la dernière c’est la bonne — à l’hôpital !
De mon rêve à ceci le réveil est brutal
Mais explicable par le fait d’une voleuse
(Dont l’histoire posthume est, dit-on, graveleuse)
Du fait d’un rhumatisme aussi, moindre détail ;
Puis d’un gîte où l’on est qu’importe le portail ?
J’y suis, j’y vis. « Non, j’y végète », on rectifie ;
On se trompe. J’y vis dans le strict de la vie,
Le pain qu’il faut, pas trop de vin, et mieux couché !
Évidemment j’expie un très ancien péché
(Très ancien ?) dont mon sang a des fois la secousse,
Et la pénitence est relativement douce
Dans le martyrologe et sur l’armorial
Des poètes, peut-être un peu proverbial.
C’est un lieu comme un autre, on en prend l’habitude :
A prison bonne enfant longanime Latude.
[p. 146]
Sans compter qu’au rimeur, pour en parler, alors !
Pauvre et fier, il ne reste qu’à mourir dehors
Ou tout comme, en ces temps vraiment trop peu propices.
Et mourir pour mourir, Muse qui me respices,
Autant le faire ici qu’ailleurs, et même mieux,
Sinon qu’ici l’on est tout « laïque », les vieux
Abus sont réformés et le « citoyen » libre !
Et fort ! doit, ou l’État perdrait son équilibre,
Avec ça qu’il n’est pas à cheval sur un pal !
Mourir dans les bras du Conseil Municipal,
Mal rassurante et pas assez édifiante
Conclusion pour tel, qu’un vœu mystique hante
Moi par exemple, j’en forme l’aveu sans fard,
Me dût-on traiter d’âne ou d’impudent cafard,
La conversation, dans ce modeste asile,
Ne m’est pas autrement pénible et difficile !
Ces braves gens, que le Journal rend un peu sots,
Du moins ont conservé, malgré tous les assauts
Que « l’Instruction » livre à leur tête obsédée ;
Quelque saveur encor de parole et d’idée ;
La Révolution, qu’il faut toujours citer
Et condamner, n’a pu complètement gâter
Leur trivialité non sans grâce et sincère.
Même je les préfère aux mufles de ma sphère
Certes ! et je subis leur choc sans trop d’émoi.
Leur vice et leur vertu sont juste à point pour moi
Les goûter et me plaire en ces lieux salutaires
A (comme moi) des espèces de solitaires,
[p. 147]
Espèce de couvent moins cet espoir chrétien !
Le monde est tel qu’ici je n’ai besoin de rien
Et que j’y resterais, ma foi, toute ma vie,
Sans grands jaloux, j’espère, et pour sûr, sans envie !
Si, dès guéri, si je guéris, car tout se peut,
Je n’avais quelque chose à faire, que Dieu veut.
XI §
Prêtres de Jésus-Christ, la vérité vous garde.
Ah ! soyez ce que pense une foule bavarde
Ou ce que le penseur lui-même dit de vous.
Bassement orgueilleux, haineusement jaloux,
Avares, impurs, durs, la vérité vous garde.
Et, de fait, nul de vous ne risque, ne hasarde
Un seul pan du prestige, un seul pli du drapeau,
Tant la doctrine exacte du Bien et du Beau
Est là, qui vous maintient entre ses hauts dilemmes.
Plats comme les bourgeois, vautrés dans des Thélèmes
Ou guindés vers l’honneur pharisaïque alors,
Qu’importe, si, Jésus, plus fort que des cœurs morts,
Règne par vos dehors du reste incontestables ?
Cultes respectueux, formules respectables,
Un emploi libéral et franc des Sacrements
(Car les temps ont du moins, dans leurs relâchements,
Parmi plus d’une bonne et délicate chose,
Laissé tomber l’affreux jansénisme morose),
[p. 149]
Et ce seul mot sur votre enseigne : Charité !
Mal gracieux, sans goût aucun, même affecté,
Pour si peu que ce soit d’art et de poésie,
Incapables d’un bout de lecture choisie,
D’un regard attentif, d’une oreille en arrêt
Pis qu’inconsciemment hostiles, on dirait,
A tout ce qui, dans l’homme et fleurit et s’allume,
Plus lourds que les marteaux et plus lourds qu’une enclume.
Sans même l’étincelle et le bruit triomphant,
Que fait ? si Jésus a, pour séduire l’enfant
Et le sage qu’est l’homme en sa double énergie,
Votre théologie et votre liturgie ?
D’ailleurs maints d’entre vous, troupeau trié déjà,
Valent mieux que le monde autour qui vous jugea,
Lisent clair, visent droit, entendent net en somme,
Vivent et pensent, plus que non pas un autre homme,
Que tels, mes chers lecteurs, que moi cet écrivain,
Tant leur science est courte et tant mon art est vain !
C’est vrai qu’il sort de vous, comme de votre Maître,
Quand même une vertu qui vous fait reconnaître.
Elle offusque les sots, ameute les méchants,
Remplis les bons d’émois révérents et touchants,
Force indéfinissable ayant de tout en elle,
Comme surnaturelle et comme naturelle,
Mystérieuse et dont vous allez investis,
Grands par comparaison chez les peuples petits.
Vous avez tous les airs de toutes, sinon toutes
Les choses qu’il faut être en l’affre de vos routes,
[p. 150]
Si vous ne l’êtes pas, du moins vous paraissez
Tels qu’il faut et semblez dans ce zèle empressés,
Poussant votre industrie et votre économie,
Depuis la sainteté jusqu’à la bonhomie.
Hypocrisie, émet un tiers, ou nullité !
Bonhomie, on doit dire en chœur, et sainteté !
Puisque, ô croyons toujours le bien de préférence,
Mais c’est surtout ce siècle et surtout cette France,
Que charme et que bénit, à quelques fins de Dieu ?
Votre ombre lumineuse et réchauffante un peu.
Seul bienfait apparent de la grâce invisible
Sur la France insensée et le siècle insensible
Siècle de fer et France, hélas ! toute de nerfs,
France d’où détalant partout comme des cerfs,
Les principes, respect, l’honneur de sa parole,
Famille, probité, filent en bande folle,
Siècle d’âpreté juive et d’ennuis protestants,
Noyant tout, le superbe et l’exquis des instants,
Au remous gris de mers de chiffres et de phrases.
Vous, phares doux parmi ces brumes et ces gazes,
Ah ! luisez-nous encore et toujours jusqu’au jour,
Jusqu’à l’heure du cœur expirant vers l’amour
Divin, pour refleurir éternel dans la même
Charité loin de cette épreuve froide et blême.
Et puis, en la minute obscure des adieux,
Flambez, torches d’encens, et rallumez nos yeux
[p. 151]
A l’unique Beauté, toute bonne et puissante,
Brûlez ce qui n’est plus la prière innocente,
L’aspiration sainte et le repentir vrai !
Puisse un prêtre être là, Jésus, quand je mourrai !
XII §
Guerrière, militaire et virile en tout point,
La sainte Chasteté que Dieu voit la première,
De toutes les vertus marchant dans sa lumière
Après la Charité distante presque point,
Va d’un pas assuré mieux qu’aucune amazone
A travers l’aventure et l’erreur du Devoir,
Ses yeux grands ouverts pleins du dessein de bien voir,
Son corps robuste et beau digne d’emplir un trône,
Son corps robuste et nu balancé noblement,
Entre une tête haute et des jambes sereines,
Du port majestueux qui sied aux seules reines,
Et sa candeur la vêt du plus beau vêtement.
Elle sait ce qu’il faut qu’elle sache des choses,
Entre autres que Jésus a fait l’homme de chair
Et mis dans notre sang un charme doux-amer
D’où doivent découler nos naissances moroses,
Et que l’amour charnel est bénit en des cas.
Elle préside alors et sourit à ces fêtes,
Dévêt la jeune épouse avec ses mains honnêtes
Et la mène à l’époux par des tours délicats.
Elle entre dans leur lit, lève le linge ultime,
Guide pour le baiser et l’acte et le repos
Leurs corps voluptueux aux fins de bons propos
Et désormais va vivre entre eux leur ange intime.
Puis au-dessus du couple ou plutôt à côté,
— Bien agir fait s’unir les vœux et les nivelle, —
Vers le Vierge et la Vierge isolés dans leur belle
Thébaïde à chacun la sainte Chasteté.
Sans quitter les Amants, par un charmant miracle,
Vole et vient rafraîchir l’Intacte et l’Impollu
De gais parfums de fleurs comme s’il avait plu
D’un bon orage sur l’un et sur l’autre habitacle,
Et vêt de chaleur douce au point et de jour clair
La cellule du Moine et celle de la Nonne,
Car s’il nous faut souffrir pour que Dieu nous pardonne,
Du moins Dieu veut punir, non torturer la chair.
Elle dit à ces chers enfants de l’Innocence :
Dormez, veillez, priez. Priez surtout, afin
Que vous n’ayez pas fait tous ces travaux en vain,
Humilité, douceur et céleste ignorance !
Enfin elle va chez la Veuve et chez le Veuf,
Chez le vieux Débauché, chez l’Amoureuse vieille,
Et leur tient des discours qui sont une merveille
Et leur refait, à force d’art, un corps tout neuf.
Et quand alors elle a fini son tour du monde,
Tour du monde ubiquiste, invisible et présent,
Elle court à son point de départ en faisant
Tel grand détour, espoir d’espérance profonde ;
Et ce point de départ est un lieu bien connu,
Eden même : là sous le chêne et vers la rose,
Puisqu’il paraît qu’il n’a pas faire autre chose,
Rit et gazouille un beau petit enfant tout nu.
XIII §
Un projet de mon âge mûr
Me tint six ans l’âme ravie,
C’était, d’après un plan bien sûr,
De réédifier ma vie.
Vie encor vivante après tout,
Insuffisamment ruinée,
Avec ses murs toujours debout
Que respecte la graminée,
Murs de vraie et franche vertu,
Fondations intactes certes,
Fronton battu, non abattu,
Sans noirs lichens ni mousses vertes,
L’orgueil qu’il faut et qu’il fallait,
Le repentir quand c’était brave,
Douceur parfois comme le lait,
Fierté souvent comme la lave.
Or, durant ces deux fois trois ans,
L’essai fut bon, grand le courage.
L’œuvre en aspects forts et plaisants
Montait, tenant tête à l’orage
Un air de grâce et de respect
Magnifiait les calmes lignes
De l’édifice que drapait
L’éclat de la neige et des cygnes...
Furieux mais insidieux,
Voici l’essaim des mauvais anges.
Rayant le pur, le radieux
Paysage de vols étranges,
Salissant d’outrages sans nom,
Obscénités basses et fades.
De mon renaissant Parthénon
Les portiques et les façades,
Tandis que quelques-uns d’entre eux,
Minant le sol, sapant la base,
S’apprêtent, par un art affreux,
A faire de tout table rase.
Ce sont, véniels et mortels,
Tous les péchés des catéchismes
Et bien d’autres encore, tels
Qu’ils font les sophismes des schismes.
La Luxure aux tours sans merci,
L’affreuse Avarice morale,
La Paresse morale aussi,
L’Envie à la dent sépulcrale,
La Colère hors des combats,
La Gourmandise, rage, ivresse,
L’Orgueil, alors qu’il ne faut pas,
Sans compter la sourde détresse
Des vices à peine entrevus,
Dans la conscience scrutée,
Hideur brouillée et tas confus,
Tourbe brouillante et ballottée.
Mais quoi ! n’est-ce pas toujours vous,
Démon femelle, triple peste,
Pire flot de tout ce remous,
Pire ordure que tout le reste,
Vous toujours, vil cri de haro,
Qui me proclame et me diffame,
Gueuse inepte, lâche bourreau,
Horrible, horrible, horrible femme ?
Vous l’insultant mensonge noir,
La haine longue, l’affront rance,
Vous qui seriez le désespoir,
Si la foi n’était l’Espérance.
Et l’Espérance le pardon,
Et ce pardon une vengeance.
Mais quel voluptueux pardon,
Quelle savoureuse vengeance !
Et tous trois, espérance et foi
Et pardon, chassant la sequelle
Infernale de devant moi,
Protégeront de leur tutelle
Les nobles travaux qu’a repris
Ma bonne volonté calmée,
Pour grâce à des grâces sans prix,
Achever l’œuvre bien-aimée
Toute de marbre précieux
En ordonnance solennelle
Bien par-delà les derniers cieux,
Jusque dans la vie éternelle.
XIV §
Sois de bronze et de marbre et surtout sois de chair :
Certes, prise l’orgueil nécessaire plus cher,
Pour ton combat avec les contingences vaines ;
Que les poils de ta barbe ou le sang de tes veines ;
Mais vis, vis pour souffrir, souffre pour expier,
Expie et va-t’en vivre et puis reviens prier,
Prier pour le courage et la persévérance
De vivre dans ce siècle, hélas ! et cette France,
Siècle et France ignorants et tristement railleurs.
(Mais le règne est plus haut et la patrie ailleurs
Et la solution est autre du problème.)
Sois de chair et même aime cette chair, la même
Que celle de Jésus sur terre et dans les cieux,
Et dans le Très Saint-Sacrement si précieux
Qu’il n’est de comparable à sa valeur que celle
De ta chair vénérable en sa moindre parcelle
Et dans le moindre grain de l’Hostie à l’autel ;
Car ce mystère, l’Incarnation, est tel,
[p. 160]
Par l’exégèse autour comme par sa nature ;
Qu’il fait égale au Créateur la créature,
Cependant que, par un miracle encor plus grand,
L’Eucharistie, elle, les confond et les rend
Identiques. Or cette chair expiatoire,
Fais-t’en une arme douloureuse de victoire
Sur l’orgueil que Satan peut d’elle t’inspirer
Pour l’orgueil qu’à jamais tu peux considérer
Comme le prix suprême et le but enviable.
Tout le reste n’est rien que malice du diable !
Alors, oui, sois de bronze impassible, revêts
L’armure inaccessible à braver le Mauvais,
Pudeur, Calme, Respect, Silence et Vigilance.
Puis sois de marbre, et pur, sous le heaume qui lance
Par ses trous le regard de tes yeux assurés,
Marche à pas révérents sur les parvis sacrés.
XV §
Mon ami, ma plus belle amitié, ma meilleure,
— Les morts sont morts, douce leur soit l’éternité ! —
Laisse-moi te le dire en toute vérité,
Tu vins au temps marqué, tu parus à ton heure ;
Tu parus sur ma vie et tu vins dans mon cœur
Au jour climatérique où, noir vaisseau qui sombre,
J’allais noyer ma chair sous la débauche sombre.
Ma chair dolente, et mon esprit jadis vainqueur,
Et mon âme naguère et jadis toute blanche !
Mais tu vins, tu parus, tu vins comme un voleur,
— Tel Christ viendra — Voleur qui m’a pris mon malheur !
Tu parus sur ma mer non pas comme une planche
De salut, mais le Salut même ! Ta vertu
Première, la gaieté, c’est elle-même, franche
Comme l’or, comme un bel oiseau sur une branche
Qui s’envole dans un brillant turlututu.
Emportant sur son aile électrique les ires
Et les affres et les tentations encor ;
Ton bon sens, — tel après du fifre c’est du cor, —
Vient paisiblement mettre fin aux délires,
N’étant point, ô que non ! le prud’homisme affreux,
Mais l’équilibre, mais la vision artiste,
Sûre et sincère et qui persiste et qui résiste
A l’argumentateur plat comme un songe creux ;
Et ta bonté, conforme à ta jeunesse, est verte,
Mais elle va mûrir délicieusement !
Elle met dans tout moi le renouveau charmant
D’une sève éveillée et d’une âme entr’ouverte.
Elle étend, sous mes pieds, un gazon souple et frais
Où ces marcheurs saignants reprennent du courage,
Caressés par des fleurs au gai parfum sauvage,
Lavés de la rosée et s’attardant exprès.
Elle met sur ma tête, aux tempêtes calmées,
Un ciel profond et clair où passe le vent pur
Et vif, éparpillant les notes dans l’azur
D’oiseaux volant et s’éveillant sous les ramées.
Elle verse à mes yeux, qui ne pleureront plus,
Un paisible sommeil dans la nuit transparente
Que de rêves légers bénissent, troupe errante
De souvenirs et d’espoirs révolus.
Avec des tours naïfs et des besoins d’enfance,
Elle veut être fière et rêve de pouvoir
Être rude un petit sans pouvoir que vouloir
Tant le bon mouvement sur l’autre prend d’avance.
J’use d’elle et parfois d’elle j’abuserais
Par égoïsme un peu bien surérogatoire,
Tort d’ailleurs pardonnable en toute humaine histoire
Mais non dans celle-ci, de crainte des regrets.
De mon côté, c’est vrai qu’à travers mes caprices,
Mes nerfs et tout le train de mon tempérament,
Je t’estime et je t’estime, ô si fidèlement,
Trouvant dans ces devoirs mes plus chères délices.
Déployant tout le peu que j’ai de paternel
Plus encor que de fraternel, malgré l’extrême
Fraternité, tu sais, qu’est notre amitié même,
Exultant sur ce presque amour presque charnel !
Presque charnel à force de sollicitude
Paternelle vraiment et maternelle aussi,
Presque un amour à cause, ô toi de l’insouci
De vivre sinon pour cette sollicitude.
Vaste, impétueux donc, et de prime-saut, mais
Non sans prudence en raison de l’expérience
Très douloureuse qui m’apprit toute nuance,
Du jour lointain, quand la première fois j’aimais :
Ce presque amour est saint ; il bénit d’innocence
Mon reste d’une vie en somme toute au mal,
Et c’est comme les eaux d’un torrent baptismal
Sur des péchés qu’en vain l’Enfer déçu recense.
Aussi, précieux toi plus cher que tous les moi
Que je fus et serai si doit durer ma vie,
Soyons tout l’un pour l’autre en dépit de l’envie,
Soyons tout l’un à l’autre en toute bonne foi.
Allons, d’un bel élan qui demeure exemplaire
Et fasse autour le monde étonné chastement,
Réjouissons les cieux d’un spectacle charmant
Et du siècle et du sort défions la colère.
Nous avons le bonheur ainsi qu’il est permis.
Toi de qui la pensée est toute dans la mienne,
Il n’est, dans la légende actuelle et l’ancienne
Rien de plus noble et de plus beau que deux amis,
Déployant à l’envi les splendeurs de leurs âmes,
Le Sacrifice et l’Indulgence jusqu’au sang,
La Charité qui porte un monde dans son flanc
Et toutes les pudeurs comme de douces flammes !
Soyons tout l’un à l’autre enfin ! et l’un pour l’autre
En dépit des jaloux, et de nos vains soupçons,
A nous, et cette foi pour de bon, renonçons
Au vil respect humain où la foule se vautre,
Afin qu’enfin ce Jésus-Christ qui nous créa
Nous fasse grâce et fasse grâce au monde immonde
D’autour de nous alors unis, — paix sans seconde ! —
Définitivement, et dicte : Alléluia.
« Qu’ils entrent dans ma joie et goûtent mes louanges ;
« Car ils ont accompli leur tâche comme dû,
« Et leur cri d’espérance, il me fut entendu,
« Et voilà pourquoi les anges et les archanges
« S’écarteront de devant Moi pour avoir admis,
« Purifiés de tous péchés inévitables
« Et des traverses quelquefois épouvantables,
« Ce couple infiniment bénissable d’Amis. »
XVI §
Seigneur, vous m’avez laissé vivre
Pour m’éprouver jusqu’à la fin.
Vous châtiez cette chair ivre,
Par la douleur et par la faim !
Et Vous permîtes que le diable
Tentât mon âme misérable
Comme l’âme forte de Job,
Puis Vous m’avez envoyé l’ange
Qui gagea le combat étrange
Avec le grand aïeul Jacob
Mon enfance, elle fut joyeuse :
Or je naquis choyé, béni
Et je crûs, chair insoucieuse,
Jusqu’au temps du trouble infini
Qui nous prend comme une tempête,
[p. 167]
Nous poussant comme par la tête
Vers l’abîme et prêts à tomber ;
Quant à moi, puisqu’il faut le dire.
Mes sens affreux et leur délire
Allaient me faire succomber,
Quand Vous parûtes, Dieu de grâce
Qui savez tout bien arranger,
Qui Vous mettez bien à la place,
L’auteur et l’ôteur du danger,
Vous me punîtes par moi-même
D’un supplice cru le suprême
(Oui, ma pauvre âme le croyait)
Mais qui n’était au fond rien qu’une
Perche tendue, ô qu’opportune !
A mon salut qui se noyait.
Comprises les dures délices,
J’ai marché dans le droit sentier,
Y cueillant sous des cieux propices
Pleine paix et bonheur entier,
Paix de remplir enfin ma tâche,
Bonheur de n’être plus un lâche
Épris des seules voluptés
De l’orgueil et de la luxure,
Et cette fleur, l’extase pure
Des bons projets exécutés,
C’est alors que la mort commence
Son œuvre inexpiable ? Non,
Mais qui me saisit de démence
Bien qu’encor criant Votre nom.
L’Ami me meurt, aussi la Mère,
Une rancune plus qu’amère
Me piétine en ce dur moment
Et me cantonne en la misère,
Dans la littérale misère,
Du froid, et du délaissement !
Tout s’en mêle : la maladie
Vient en aide à l’autre fléau.
Le guignon, comme un incendie
Dans un pays où manque l’eau,
Ravage et dévaste ma vie,
Traînant à sa suite l’envie,
L’ordre, l’obsèque trahison,
La sale pitié dérisoire,
Jusqu’à cette rumeur de gloire
Comme une insulte à la raison !
Ces mystères, je les pénètre ;
Tous les mystères, je les connais,
Oui, certes, Vous êtes le maître
Dont les rigueurs sont les bienfaits.
Mais, ô Vous, donnez-moi la force,
[p. 169]
Donnez, comme à l’arbre l’écorce,
Comme l’instinct à l’animal,
Donnez à ce cœur votre ouvrage,
Seigneur, la force et le courage
Pour le bien et contre le mal.
Mais, hélas ! je ratiocine
Sur mes fautes et mes douleurs,
Espèce de mauvais Racine
Analysant jusqu’à mes pleurs.
Dans ma raison mal assagie,
Je fais de la psychologie
Au lieu d’être un cœur pénitent
Tout simple et tout aimable en somme,
Sans plus l’astuce du vieil homme
Et sans plus l’orgueil protestant...
Je crois en l’Église romaine,
Catholique, apostolique et
La seule humaine qui nous mène
Au but que Jésus indiquait,
La seule divine qui porte
Notre croix jusques à la porte
Des libres cieux enfin ouverts,
Qui la porte par vos bras même,
O grand Crucifié suprême
Donnant pour nous vos maux soufferts.
Je crois en la toute-présense,
A la messe de Jésus-Christ,
Je crois à la toute-puissance
Du Sang que pour nous il offrit
Et qu’il offre au seul Juge encore
Par ce mystère que j’adore
Qui fait qu’un homme vain, menteur,
Pourvu qu’il porte le vrai signe
Qui le consacre entre tous digne,
Puisse créer le Créateur.
Je confesse la Vierge unique,
Reine de la neuve Sion,
Portant aux plis de sa tunique
La grâce et l’intercession.
Elle protège l’innocence,
Accueille la résipiscence,
Et debout quand tous à genoux,
Impêtre le pardon du Père
Pour le pécheur qui désespère...
Mère du fils, priez pour nous !
XVII §
Rompons ! Ce que j’ai dit, je ne le reprends pas.
Puisque je le pensai, c’est donc que c’était vrai.
Je le garderai jusqu’au jour où je mourrai,
Total, intégral, pur, en dépit des combats
De la rancœur très haute et de l’orgueil très bas.
Mais comme un fier métal qui sort du minerai
De vos nuages à la fin je surgirai,
Je surgis, amitiés d’ennuis et de débats...
O pour l’affection toute simple et si douce
Où l’âme se blottit comme en un nid de mousse !
Et fi donc de la sale « âme parisienne » !
Vive l’esprit français, d’Artois jusqu’en Gascogne
De la Champagne et de l’Argonne à la Bourgogne
Et vive un cœur, morbleu ! dont un cœur se souvienne !
XVIII §
J’ai dit à l’esprit vain, à l’ostentation,
L’Ilion de l’orgueil futile, le Sion
De la frivolité sans cœur et sans entrailles,
La citadelle enfin du Faux :
« Croulez, murailles
Ridicules et pis, remparts bêtes et pis,
Contrescarpes, sautez comme autant de tapis
Qu’un valet matinal aux fenêtres secoue,
Fossés que l’eau remplit, concrétez-vous en boue,
Qu’il ne reste plus rien qu’un souvenir banal
De tout votre appareil, et que cet arsenal,
Chics fougueux et froids, mots secs, phrase redondante,
Et cœtera, se rende à l’émeute grondante
Des sentiments enfin naturels et réels. »
Ah ! j’en suis revenu, des « dandysmes » « cruels »
Vrais ou faux, dans la vie (accident ou coutume)
Ou dans l’art ou tout bêtement dans le costume.
[p. 173]
Le vêtement de son état avec le moins
De taches et de trous possible, apte aux besoins,
Aux tics, aux chics qu’il faut, le linge, mal terrible
D’empois et d’amidon, le plus fréquent possible,
Et souple et frais autour du corps dispos aussi,
Voilà pour le costume, et quant à l’art, voici :
L’art tout d’abord doit être et paraître sincère
Et clair, absolument : c’est la loi nécessaire
Et dure, n’est-ce pas, les jeunes, mais la loi ;
Car le public, non le premier venu, mais moi,
Mais mes pairs et moi, par exemple, vieux complices,
Nous, promoteurs de vos, de nos pauvres malices,
Nous autres qu’au besoin vous sauriez bien chercher,
Le vrai, le seul Public qu’il faille raccrocher,
Le Public, pour user de ce mot ridicule,
Dorénavant il bat en retraite et recule
Devant vos trucs un peu trop niais d’aujourd’hui,
Tordu par le fou rire ou navré par l’ennui.
L’art, mes enfants, c’est d’être absolument soi-même,
Et qui m’aime me suive et qui me suit qu’il m’aime,
Et si personne n’aime ou me suit, allons seul,
Mais traditionnel et soyons notre aïeul !
Obéissons au sang qui coule dans nos veines
Et qui ne peut broncher en conjectures vaines,
Flux de verve gauloise et flot d’aplomb romain
Avec, puisqu’un peu Franc, de bon limon germain,
[p. 174]
Moyennant cette allure et par cette assurance
Il pourra bien germer des artistes en France.
Mais, plus de fioritures, bons petits,
Ni de ce pessimisme et ni du cliquetis
De ce ricanement comme d’armes faussées,
Et ni de ce scepticisme en sottes fusées ;
Autrement c’est la mort et je vous le prédis
De ma voix de bonhomme, encore un peu, Jadis.
Foin ! d’un art qui blasphème et fi ! d’un art qui pose,
Et vive un vers bien simple, autrement c’est la prose.
La Simplicité, — c’est d’ailleurs l’avis rara, —
O la Simplicité, tout-puissant, qui l’aura
Véritable, au service, en outre, de la Vie.
Elle vous rend bon, franc, vous demi-déifie,
Que dis-je ? elle vous déifie en Jésus-Christ
Par l’opération du même Saint-Esprit
Et l’humblesse sans nom de son Eucharistie,
Sur les siècles épand l’ordre et la sympathie,
Règne avec la candeur et lutte par la foi,
Mais la foi tout de go, sans peur et sans émoi
Ni de ces grands raffinements des exégètes,
Elle trempe les cœurs, rassérène les têtes,
Enfante la vertu, met en fuite le mal
Et fixerait le monde en son état normal,
N’était la Liberté que Dieu dispense aux âmes
Et dont le premier homme et nous, nous abusâmes
Jusqu’aux tristes excès où nous nous épuisons
Dans des complexités comme autant de prisons.
[p. 175]
Et puis, c’est l’unité désirable et suprême :
On vit simple, comme on naît simple, comme on aime
Quand on aime vraiment et fort, et comme on hait
Et comme l’on pardonne, au bout, lorsque l’on est
Purement, nettement simple et l’on meurt de même,
Comme on naît, comme on vit, comme on hait, comme on aime,
Car aimer c’est l’Alpha, fils, et c’est l’Oméga
Des simples que le Dieu simple et bon délégua
Pour témoigner de lui sur cette sombre terre
En attendant leur vol calme dans sa lumière.
Oui, d’être absolument soi-méme, absolument !
D’être un brave homme épris de vivre, et réclamant
Sa place à toi, juste Soleil de tout le monde.
Sans plus se soucier, naïveté profonde !
De ce tiers, l’apparat, que du fracas, ce quart,
Pour le costume, dans la vie et quant à l’art ;
Dédaigneux au superlatif de la réclame,
Un digne homme amoureux et frère de la Femme,
Élevant ses enfants pour ici-bas et pour
Leur lot gagné dûment en le meilleur Séjour,
Fervent de la patrie et doux aux misérables,
Fier pourtant, partant, aux refus inexorables
Devant les préjugés et la banalité
Assumant à l’envi ce masque dégoûté
[p. 176]
Qui rompt la patience et provoque la claque
Et, pour un peu, ferait défoncer la baraque !
Rude à l’orgueil tout en pitoyant l’orgueilleux,
Mais dur au fat et l’écrasant d’un mot joyeux
S’il juge toutefois qu’il en vaille la peine
Et que sa nullité soit digne de l’aubaine.
Oui, d’être et de mourir loin d’un siècle gourmé
Dans la franchise, ô vivre et mourir enfermé,
Et s’il nous faut, par surcroît, de posthumes socles,
Gloire au poète pur en ces jours de monocles !
XIX §
La neige à travers la brume
Tombe et tapisse sans bruit
Le chemin creux qui conduit
A l’église où l’on allume
Pour la messe de minuit.
Londres sombre flambe et fume ;
O la chère qui s’y cuit
Et la boisson qui s’ensuit !
C’est Christmas et sa coutume
De minuit jusqu’à minuit.
Sur la plume et le bitume,
Paris bruit et jouit.
Ripaille et Plaisant déduit
Sur le bitume et la plume
S’exaspèrent dès minuit.
Le malade en l’amertume
De l’hospice où le poursuit
Un espoir toujours détruit
S’épouvante et se consume
Dans le noir d’un long minuit...
La cloche au son clair d’enclume
Dans la cour fine qui luit,
Loin du péché qui nous nuit,
Nous appelle en grand costume
A la messe de minuit.
XX §
I §
Je voudrais, si ma vie était encore à faire,
Qu’une femme très calme habitât avec moi
Plus jeune de dix ans, qui portât sans émoi
La moitié d’une vie au fond plutôt sévère.
Notre cœur à tous deux dans ce château de verre,
Notre regard commun ! franchise et bonne foi,
Un et double dirait comme en soi-même : Voi !
Et répondrait comme à soi-même : persévère !
Elle se tiendrait à sa place, mienne aussi,
Nous serions en ceci le couple réussi
Que l’inégalité, parbleu ! des caractères
Ne saurait empêcher l’équilibre qu’il faut,
Ce point était compris d’esprits en somme austères
Qu’au fond et qu’en tout cas l’indulgence prévaut.
II §
L’indulgence qui n’est pas de l’indifférence
Et qui n’est pas non plus de la faiblesse, ni
De la paresse, pour un devoir défini,
Monitoire au plaisir, bénin à la souffrance.
Non plus le scepticisme et ni préjugé rance
Mais grand’délicatesse et bel accord béni
Et ni la chair honnie et ni l’ennui banni
Toute mansuétude et comme vieille France.
Nous serions une mer en deux fleuves puissants
Où le Bonheur et le Malheur têtes de flottes
Nous passeraient sans heurts, montés par le Bon sens,
Ubiquiste équipage, ubiquiste pilote,
Ubiquiste amiral sous ton sûr pavillon.
Amitié, non plus sous le vôtre, Amour brouillon.
III §
L’amitié, mais entre homme et femme elle est divine !
Elle n’empêche rien, aussi bien des rapports
Nécessaires, et sous les mieux séants dehors
Abrite les secrets aimables qu’on devine.
Nous mettrions chacun du nôtre, elle est très fine,
Moi plus naïf, et bien réglés en chers efforts
Lesdits rapports dès lors si joyeux sans remords
Dans la simplesse ovine et la raison bovine.
Si le bonheur était d’ici, ce le serait !
Puis nous nous en irions sans l’ombre d’un regret.
La conscience en paix et de l’espoir plein l’âme.
Comme les bons époux d’il n’y a pas longtemps
Quand l’un et l’autre d’être heureux étaient contents,
Qui vivaient, sans le trop chanter, l’épithalame.
XXI §
O ! j’ai froid d’un froid de glace
O ! je brûle à toute place !
Mes os vont se cariant,
Des blessures vont criant ;
Mes ennemis pleins de joie
Ont fait de moi quelle proie !
Mon cœur, ma tête et mes reins
Souffrent de maux souverains.
Tout me fuit, adieu ma gloire !
Est-ce donc le Purgatoire ?
Ou si c’est l’enfer ce lieu
Ne me parlant plus de Dieu ?
— L’indignité de ton sort
Est le plaisir d’un plus Fort,
Dieu plus juste, et plus Habile
Que ce toi-même débile.
Tu souffres de tel mal profond
Que des volontés te font,
Plus bénignes que la tienne
Si mal et si peu chrétienne,
Tes humiliations
Sont des bénédictions
Et ces mornes sécheresses
Où tu te désintéresses
De purs avertissements
Descendus de cieux aimants.
Tes ennemis sont les anges,
Moins cruels et moins étranges
Que bons inconsciemment,
D’un Seigneur rude et clément.
Aime tes croix et tes plaies,
Il est sain que tu les aies.
Face aux terribles courroux,
Bénis et tombe à genoux.
Fer qui coupe et voix qui tance,
C’est la bonne Pénitence.
Sous la glace et dans le feu
Tu retrouveras ton Dieu.
XXII §
Un scrupule qui ma l’air sot comme un péché
Argumente.
Dieu vit au sein d’un cœur caché,
Non d’un esprit épars, en milliers de pages,
En millions de mots hardis comme des pages,
A tous les vents du ciel ou plutôt de l’enfer,
Et d’un scandale tel, précisément tout fier.
Il faut, pour plaire à Dieu, pour apaiser sa droite,
Suivre le long sentier, gravir la pente étroite,
Sans un soupir de trop, fût-il mélodieux,
Sans un geste au surplus, même agréable aux yeux,
Laisser à d’autres l’art et la littérature
Et ne vivre que juste à même la nature
Tu pratiquais jadis et naguère ces us
Content de reposer à l’ombre de Jésus
Y pansant de vin, d’huile de lin tes blessures
Et maintenant, ingrat à la Croix, tu t’assures
[p. 186]
En la gloire profane et le renom païen,
Comme si tout cela n’était pas trois fois rien,
Comme si tel beau vers, telle phrase sonore,
Chantait mieux qu’un grillon, brillait plus qu’un fulgore
Va, risque ton salut, ton salut racheté
Un temps, par une vie autre, c’est vérité,
Que celle de tes ans primes, enfance molle,
Age pubère fou, jeunesse molle et folle
Risque ton âme, objet de tes soins d’autrefois
Pour quels triomphes vains sur quels banals pavois ?
Malheureux !
Je réponds avec raison, je pense :
Je n’attends, je ne veux pas d’autre récompense
A ce mien grand effort d’écrire de mon mieux
Que l’amitié du jeune et l’estime du vieux
Lettrés qui sont au fond les seules belles âmes,
Car où prendre un public en ces foules infâmes
D’idioterie en haut et folles par en bas ?
Où, — le trouver ou pas, le mériter ou pas,
Le conserver ou pas ! — l’assentiment d’un être
Simple, naïf et bon, sans même le connaître
Que par ce seul lien comme immatériel,
C’est tout mon attentat au seul devoir réel,
Essentiel gagner le ciel par les mérites,
Et je doute, Jésus pieux, que tu t’irrites
Pour quelque doux rimeur chantant ta gloire ou bien
Étalant ses péchés au pilori chrétien ;
[p. 187]
Tu ne suscites pas l’aspic et la couleuvre
Contre un poème ou contre un poète. Ton œuvre,
Consolant les ennuis de ce morne séjour
Par un concert de foi, d’espérance et d’amour ;
Puis ne me fis-tu pas, avec le don de vivre,
Le don aussi, sans quoi je meurs ! de faire un livre,
Une œuvre où s’attestât toute ma quantité,
Toute, bien mal, la force et l’orgueil révolté
Des sens et leur colère encore qui sont la même
Luxure au fond et bien la faiblesse suprême,
Et la mysticité, l’amour d’aller au ciel
Par le seul graduel du juste graduel,
Douceur et charité, seule toute-puissance.
Tu m’as donné ce don, et par reconnaissance
J’en use librement, qu’on me blâme, tant pis.
Quant à quêter les voix, quant à tâter les pis
De dame Renommée, à ses heures marâtre,
Fi !
Mais, pour en finir, leur foyer ou son âtre
Souffrent-ils de mon cas ? Quelle poutre en votre œil,
Quelle paille en votre œil de ce fait ? De quel deuil,
De quel scandale, vers ou proses, sont-ils cause
Dont cela vaille un peu la peine qu’on en cause ?
XXIII §
Après le départ des cloches
Au milieu du Gloria,
Dès l’heure ordinaire des vêpres
On consacre les Saintes Huiles
Qu’escorte ensuite un long cortège
De pontifes et de lévites.
Il pluvine, il neigeotte,
L’hiver vide sa hotte.
Le tabernacle bâille, vide,
L’autel, tout nu, n’a plus de cierges,
De grands draps noirs pendent aux grilles,
Les orgues saintes sont muettes.
Du brouillard danse à même
Le ciel encore blême.
On dispense à flots d’eau bénite,
Toutes cires sont allumées,
Et de solennelle musique
S’enfle au chœur et monte au jubé,
Un clair soleil qui grise
Réchauffe l’âpre bise.
Gloria ! Voici les cloches
Revenir ! Alleluia!
XXIV §
L’ennui de vivre avec les gens et dans les choses
Font souvent ma parole et mon regard moroses.
Mais d’avoir conscience et souci dans tel cas
Exhausse ma tristesse, ennoblit mon tracas.
Alors mon discours chante et mes yeux de sourire
Où la divine certitude s’en vient luire.
Et la divine patience met son sel
Dans mon long bon conseil d’usage universel.
Car non pas tout à fait par effet de l’âge
A mes heures je suis une façon de sage,
Presque un sage sans trop d’emphase ou d’embarras,
Répandant quelque bien et faisant des ingrats.
Or néanmoins la vie et son morne problème
Rendent parfois ma voix maussade et mon front blême.
De ces tentations je me sauve à nouveau
En des moralités juste à mon seul niveau ;
Et c’est d’un examen méthodique et sévère,
Dieu qui sondez les reins ! que je me considère,
Scrutant mes moindres torts et jusques aux derniers,
Tel un juge interroge à fond des prisonniers.
Je poursuis à ce point l’humeur de mon scrupule,
Que de gens ont parlé qui m’ont dit ridicule.
N’importe ! en ces moments est-ce d’humilité ?
Je me semble béni de quelque charité,
De quelque loyauté, pour parler en pauvre homme,
De quelque encore charité. — Folie en somme !
Nous ne sommes rien. Dieu c’est tout. Dieu nous créa
Dieu nous sauve. Voilà ! Voici mon aléa :
Prier obstinément. Plonger dans la prière,
C’est se tremper aux flots d’une bonne rivière,
C’est faire de son être un parfait instrument
Pour combattre le mal et courber l’élément.
Prier intensément. Rester dans la prière,
C’est s’armer pour l’élan et s’assurer derrière.
C’est de paraître doux et ferme pour autrui
Conformément à ce qu’on se rend envers lui.
La prière nous sauve après nous faire vivre,
Elle est le gage sûr et le mot qui délivre
Elle est l’ange et la dame, elle est la grande sœur
Pleine d’amour sévère et de forte douceur.
La prière a des pieds légers comme des ailes ;
Et des ailes pour que ses pieds volent comme elles ;
La prière est sagace ; elle pense, elle voit,
Scrute, interroge, doute, examine, enfin croit.
Elle ne peut nier, étant par excellence
La crainte salutaire et l’effort en silence,
Elle est universelle et sanglante ou sourit,
Vole avec le génie et court avec l’esprit.
Elle est ésotérique ou bégaie, enfantine
Sa langue est indifféremment grecque ou latine,
Ou vulgaire, ou patoise, argotique s’il faut !
Car souvent plus elle est bas, mieux elle vaut.
Je me dis tout cela, je voudrais bien le faire,
O Seigneur, donnez-moi de m’élever de terre
En l’humble vœu que seul peut former un enfant
Vers votre volonté d’après comme d’avant.
Telle action quelconque en tel temps de ma vie
Et que cette action quelconque soit suivie
D’un abandon complet en vous que formulât
Le plus simple et le plus ponctuel postulat,
Juste pour la nécessité quotidienne
En attendant, toujours sans fin, ma mort chrétienne.
XXV §
À Monsieur Borély.
Vous m’avez demandé quelques vers sur « Amour ».
Ce mien livre, d’émoi cruel et de détresse,
Déjà loin dans mon Œuvre étrange qui se presse
Et dévale, flot plus amer de jour en jour.
Qu’en dire, sinon : « Poor Yorick ! » ou mieux « poor
Lelian ! » et pauvre âme à tout faire, faiblesse,
Mollesse par des fois et caresse et paresse,
Ou tout à coup partie en guerre comme pour
Tout casser d’un passé si pur, si chastement
Ordonné par la beauté des calmes pensées,
Et pour damner tant d’heures en Dieu dépensées.
Puis il revient, mon Œuvre, las d’un tel ahan,
Pénitent, et tombant à genoux mains dressées...
Priez avec et pour le pauvre Lelian !
XXVI §
À propos de « Parallèlement ».
Ces vers durent être faits,
Cet aveu fut nécessaire,
Témoignant d’un cœur sincère
Et tout bon ou tout mauvais.
Mauvais, oui, méchant, nenni.
La sensualité seule,
Chair folle, lombes et gueule,
Trouble son désir béni.
Beauté des corps et des yeux,
Parfums, régals, les ivresses,
Les caresses, les paresses,
Barraient seuls la route aux cieux.
Est-ce fini ? Tu l’assures
Sorte de pressentiment
D’un final apaisement,
Divin panseur de blessures,
Humain rémunérateur
Des mérites si minimes,
Arbitre des légitimes
Élans devers la hauteur
Du devoir enfin visible,
Après tout ce dur chemin,
Divine âme, cœur humain,
Céleste et terrestre cible !
O mon Dieu, voyez mes vœux,
Oyez mes cris de faiblesse,
Donnez-moi toute simplesse
Pour vouloir ce que je veux.
XXVII §
Or tu n’es pas vaincu, sinon par le Seigneur,
Oppose au siècle un front de courage et d’honneur,
Bande ton cœur moins faible au fond que tu ne crois,
Ne cherche, en fait d’abri, que l’ombre de la croix.
Ceins, sinon l’innocence, hélas ! et la candeur,
Du moins la tempérance et du moins la pudeur,
Et dans le bon combat contre péchés et maux
S’il faut, eh bien, emprunte à certains animaux,
Béhémos et Léviathan, prudents qu’ils sont,
Les armures pour la défensive qu’ils ont,
Puisque ton cas, pour l’offensive, est superflu,
Abdique les airs martiaux où tu t’es plu.
Laisse l’épée et te confie au bouclier.
Carapace-toi bien, comme d’un bon acier,
De discrétion fine et de fort quant-à-moi.
Puis, quand tu voudras r’attaquer, reprends la Foi !
XXVIII §
Les plus belles voix
De la Confrérie
Célèbrent le mois
Heureux de Marie.
O les douces voix !
Monsieur le curé
L’a dit à la Messe :
C’est le mois sacré.
Écoutons sans cesse
Monsieur le Curé.
Faut nous distinguer,
Faut, mesdemoiselles,
Bien dire et fuguer
Les hymnes nouvelles.
Faut nous distinguer,
Bien dire et filer
Les motets antiques,
Bien dire et couler
Les anciens cantiques,
Filer et couler.
Dieu nous bénira,
Nous et nos familles.
Marie ouira
Les vœux de ses filles,
Dieu nous bénira.
Elle est la bonté,
C’est comme la Mère
Dans la Trinité,
La Fille et la Mère.
Elle est la bonté,
La compassion,
Sans fin et sans trêve,
L’intercession
Qu’appuie et soulève
La compassion.
Avant le salut,
Chantons ses louanges ;
Pendant le salut,
Chantons ses louanges
Après le salut
Chantons ses louanges.
XXIX §
L’autel bas s’orne de hautes mauves,
La chasuble blanche est toute en fleurs,
A travers les pâles vitraux jaunes
Le soleil se répand comme un fleuve ;
On chante au graduel : Fi-li-a !
D’une voix si lentement joyeuse
Qu’il faudrait croire que c’est l’extase
D’à-jamais voir la Reine des cieux ;
Le sermon du tremblotant vicaire
Est gentil plus que par un dimanche,
Qui dit que pour s’élever dans l’air
Faut être humble et de foi cordiale ;
Il ajoute, le cher vieux bonhomme,
Que la gloire ultime est réservée
Sur tous ceux qui vivent dans la pompe,
Aux pauvres d’esprit et de monnaie ;
On sort de l’église, après les vêpres,
Pour la procession si touchante
Qui a nom : du Vœu de Louis Treize
C’est le cas de prier pour la France.
XXX §
L’amour de la Patrie est le premier amour
Et le dernier amour après l’amour de Dieu,
C’est un feu qui s’allume alors que luit le jour
Où notre regard luit comme un céleste feu,
C’est le jour baptismal aux paupières divines
De l’enfant, la rumeur de l’aurore aux oreilles
Frais-écloses, c’est l’air emplissant les poitrines
En fleur, l’air printanier rempli d’odeurs vermeilles !
L’enfant grandit, il sent la terre sous ses pas
Qui le porte, le berce, et, bonne, le nourrit,
Et douce, désaltère encore ses repas
D’une liqueur, délice et gloire de l’esprit.
Puis l’enfant se fait homme ou devient jeune fille,
Et cependant que croît sa chair pleine de grâce,
Son âme se répand par-delà la famille
Et cherche une âme sœur, une chair qu’il enlace ;
Et quand il a trouvé cette âme et cette chair,
Il naît d’autres enfants encore, fleurs de fleurs
Qui germeront aussi le jardin jeune et cher
Des générations d’ici, non pas d’ailleurs.
L’homme et la femme ayant l’un et l’autre leur tâche,
S’en vont chacun un peu de son côté. La femme
Gardienne du foyer tout le jour sans relâche,
La nuit garde l’honneur comme une chaste flamme ;
L’homme vaque aux durs soins du dehors : les travaux,
La parole à porter, — sûr de ce qu’elle vaut, —
Sévère et probe et douce, et rude aux discours faux,
Et la nuit le ramène entre les bras qu’il faut.
Tous deux, si pacifique est leur course terrestre,
Mourront bénis de fils et vieux dans la patrie ;
Mais que le noir démon, la Guerre, essore l’œstre,
Que l’air natal s’empourpre aux reflets de tuerie,
Que l’étranger mette son pied sur le vieux sol
Nourricier, — imitant les peuples de tous bords,
Saragosse, Moscou, le Russe, l’Espagnol,
La France de Quatre-vingt-treize, l’homme alors,
Magnifié soudain, à son œuvre se hausse
Et tragique et classique et très fort et très calme,
Lutte pour sa maison ou combat pour sa fosse,
Meurt en pensant aux siens ou leur conquiert la palme
S’il survit, il reprend le train de tous les jours,
Élève ses enfants dans la crainte du dieu
Des ancêtres et va refleurir ses amours
Aux flancs de l’épousée éprise du fier jeu.
L’âge mûr est celui des sévères pensées.
Des espoirs soucieux, des amitiés jalouses,
C’est l’heure aussi des justes haines amassées,
Et quand sur la place publique, habits et blouses,
Les citoyens discords dans d’honnêtes combats
(Et combien douloureux à leur fraternité !)
S’arrachent les devoirs et les droits, ô non pas
Pour le lucre, mais pour une stricte équité,
Il prend parti, pleurant de tuer, mais terrible
Et tuant sans merci, comme en d’autres batailles,
Le sang autour de lui giclant comme d’un crible,
Une atroce fureur, pourtant sainte, aux entrailles.
Tué, son nom, célèbre ou non, reste honoré.
Proscrit ou non, il meurt heureux, dans tous les cas,
D’avoir voué sa vie et tout au Lieu Sacré
Qui le fit homme et tout, de joyeux petit gas.
Sa veuve et ses petits garderont sa mémoire,
La terre sera douce à cet enfant fidèle
Où le vent pur de la Patrie, en plis de gloire,
Frissonnera comme un drapeau tout fleurant d’elle.
Mais quoi donc, le poète, à moins d’être chrétien
(Le chrétien se fait tel que Jésus dit qu’il soit),
Comment en ces temps-ci et très fier peut-il bien
Aimer la France ainsi qu’il doit comme il la voit,
Dépravée, insensée, une fille, une folle
Déchirant de ses mains la pudeur des aïeules
Et l’honneur ataval et, l’antique parole,
La parlant en argot pour des sottises seules,
L’amour, l’évaporant en homicides vils
D’où quelque pâle enfant, rare fantôme, sort,
Son Dieu, le reniant pour quels crimes civils !
Prête à mourir d’ailleurs de quelle lâche mort !
Lui-même que Dieu voit être un pur patriote
L’affamant aujourd’hui, le prescrivant naguère,
Pour n’avoir pas voulu boire comme un îlote
Le gros vin du scandale au verre du vulgaire,
Le dénonçant aux sots pires que les méchants,
Bourreaux mesquins, non moins d’ailleurs que tels méchants
Pire que tous, à cause, ô honte ! que ses chants
Faisaient honte à plusieurs à cause de leurs chants,
Enfin, méconnaissant et l’heure et le génie
Jusqu’à ce péché noir entre tous ceux de l’homme
Jusqu’à ce plongeon dans toute l’ignominie
D’insulter l’ange comme en l’unique Sodome !
Mais le poète est un chrétien qui dit : « Non pas ! »
A ces comme velléités d’être tenté
Vers les déclamations par la Pauvreté,
Et d’elles dans l’horreur du premier mauvais pas.
« Non pas ! » puis s’adressant à la Vierge Marie :
« O vous, reine de France et de toute la terre,
Vous qui fidèlement gardez notre patrie
Depuis les premiers temps jusqu’à cette heure austère
Où chacun a besoin du courage de dix
S’il veut garder sa foi par ses pertes de fois
La pratiquer tout simplement, ainsi jadis,
Puis y mourir tout simplement, comme autrefois !
Depuis les Notre-Dame au-dessus des ancêtres
Profilant leur prière immense et solennelle
Jusqu’aux mois de Marie, échos des soirs champêtres,
Sourire de l’Église aux cœurs vierges en elle,
Depuis que notre culte intronisait nos rois,
Depuis que notre sang teignait votre pennon
Jusqu’au jour où quel Dogme à travers tant d’effrois
Ajoutait quel honneur encore à votre nom,
Vous qui, multipliant miracles et promesses,
De la Sainte-Chandelle à la Salette et Lourdes,
Daignez faire chez nous éclore des prouesses
Même en ces temps d’horreur d’État louches et sourdes,
Mère, sauvez la France, intercédez pour nous,
Donnez-nous la foi vive et surtout l’humble foi,
Que l’âme de tous nos aïeux brûle en nous tous
Pour la vie et la mort, au foyer, dans la loi,
Dans le lit conjugal, sur la couche dernière,
Simple et forte et sincère et bellement naïve,
Pour qu’en les chocs prévus, virils à sa manière,
Qui fut la bonne quand elle dut être active,
Si Dieu nous veut vaincus, du moins nous le soyons
En exemple, lavant hier par aujourd’hui
Et faits, après l’horreur, l’honneur des nations,
Et s’il nous veut vainqueurs nous le soyons pour lui. »
XXXI §
Immédiatement après le salut somptueux,
Le luminaire éteint moins les seuls cierges liturgiques,
Les psaumes pour les morts sont dits sur un mode mineur
Par les clercs et le peuple saisi de mélancolie.
Un glas lent se répand des clochers de la cathédrale
Répandu par tous les campaniles du diocèse,
Et plane et pleure sur les villes et sur la campagne
Dans la nuit tôt venue en la saison arriérée.
Chacun s’en fut coucher reconduit par la voix dolente
Et douce à l’infini de l’airain commémoratoire
Qui va bercer le sommeil un peu triste des vivants
Du souvenir des décédés de toutes les paroisses.
XXXII §
La cathédrale est majestueuse
Que j’imagine en pleine campagne
Sur quelque affluent de quelque Meuse
Non loin de l’Océan qu’il regagne,
L’Océan pas vu que je devine
Par l’air chargé de sels et d’arômes.
La croix est d’or dans la nuit divine
D’entre l’envol des tours et des dômes ;
Des Angélus font aux campaniles
Une couronne d’argent qui chante ;
De blancs hibous, aux longs cris graciles,
Tournent sans fin de sorte charmante ;
Des processions jeunes et claires
Vont et viennent de porches sans nombre,
Soie et perles de vivants rosaires,
Rogations pour de chers fruits d’ombre.
Ce n’est pas un rêve ni la vie,
C’est ma belle et ma chaste pensée,
Si vous voulez ma philosophie,
Ma mort choisie ainsi déguisée.
XXXIII §
Voix de Gabriel
Chez l’humble Marie,
Cloches de Noël,
Dans la nuit fleurie,
Siècles, célébrez
Mes sens délivrés !
Martyrs, troupe blanche,
Et les confesseurs,
Fruits d’or de la branche,
Vous, frères et sœurs,
Vierges dans la gloire,
Chantez ma victoire !
Les Saints ignorés,
Vertus qu’on méprise,
Qui nous sauverez
Par votre entremise,
[p. 213]
Priez, que la foi
Demeure humble en moi.
Pécheurs, par le monde,
Qui vous repentez,
Dans l’ardeur profonde
D’être rachetés,
Or, je vous contemple,
Donnez-moi l’exemple.
Nature, animaux,
Eaux, plantes et pierres,
Vos simples travaux
Sont d’humbles prières,
Vous obéissez :
Pour Dieu c’est assez.