A CHARLES BAUDELAIRE §
Je ne t’ai pas connu, je ne t’ai pas aimé,
Je ne te connais point et je t’aime encor moins :
Je me chargerais mal de ton nom diffamé,
Et, si j’ai quelque droit d’être entre tes témoins,
C’est que, d’abord, et c’est qu’ailleurs, vers les Pieds joints
D’abord par les clous froids, puis par l’élan pâmé
Des femmes de péché desquelles ô tant oints,
Tant baisés, chrême fol et baiser affamé ! —
Tu tombas, tu prias, comme moi, comme toutes
Les âmes que la faim et la soif sur tes routes
Poussaient belles d’espoir au Calvaire touché !
— Calvaire juste et vrai, Calvaire où, donc, ces doutes,
Ci, çà, grimaces, art, pleurent de leurs déroutes.
Hein ? mourir simplement, nous, hommes de péché.
ASPERGES ME
I §
Moi qui ne suis qu’un brin d’hysope dans la main
Du Seigneur tout-puissant qui m’octroya la grâce,
Je puis, si mon dessein est pur devant sa face,
Purifier autrui passant sur mon chemin.
Je puis, si ma prière est de celles qu’allège
L’Humilité du poids d’un désir languissant
Comme un païen peut baptiser en cas pressant,
Laver mon prochain, le blanchir plus que la neige.
Prenez pitié de moi, Seigneur, suivant l’effet
Miséricordieux de vos mansuétudes,
Veuillez bander mon cœur, cœur aux épreuves rudes.
Que le zèle pour votre maison soulevait.
Faites-moi prospérer dans mes vœux charitables,
Et pour cela, suivant le rite respecté,
Gloire à la Trinité durant l’éternité,
Gloire à Dieu dans les cieux les plus inabordables,
Gloire au Père, fauteur et gouverneur de tout,
Au Fils, créateur et sauveur, juge et partie,
Au Saint-Esprit, de qui la lumière est sortie
Par quel rayon ? — ainsi qu’une eau lustrale, mon sang bout, —
Moi qui ne suis qu’un brin d’hysope dans la main...
AVENT
II §
« Dans les Avents », comme l’on dit
Chez mes pays qui sont rustiques
Et qui patoisent un petit
Entre autres usages antiques,
« Dans les Avents les côs chantont »,
Toute la nuit, grâce à la lune
« Clartive » alors, et dont le front
S’argente et cuivre dès la brune
Jusqu’à l’aube en peu d’ombre, et ces
Chante-clair, clair comme un beau rêve,
Proclament jusques à l’excès
Le soleil... qui plus tard se lève,
Trop tard pour ceux qui sont reclus
Au poulailler, — tout comme une âme
Ne tendant que vers les élus,
Dans le péché, prison infâme, —
Et comme une âme les bons coqs,
Vigilants, tels au temps de Pierre,
Souffrent, mais, en dépit des chocs
D’ombre, chantent, et l’âme espère.
NOÈL
III §
Petit Jésus qu’il nous faut être,
Si nous voulons voir Dieu le Père,
Accordez-nous d’alors renaître
En purs bébés, nus, sans repaire
Qu’une étable, et sans compagnie
Qu’une âne et qu’un bœuf, humble paire ;
D’avoir l’ignorance infinie
Et l’immense toute-faiblesse
Par quoi l’humble enfance est bénie ;
De n’agir sans qu’un rien ne blesse
Notre chair pourtant innocente
Encor même d’une caresse,
Sans que notre œil chétif ne sente
Douloureusement l’éclat même
De l’aube à peine pâlissante,
Du soir venant, lueur suprême,
Sans éprouver aucune envie
Que d’un long sommeil tiède et blême...
En purs bébés que l’âpre vie
Destine, — pour quel but sévère
Ou bienheureux ? — foule asservie
Ou troupe libre, à quel calvaire ?
SAINTS INNOCENTS
IV §
Cruel Hérode, noir Péché,
De tes sept glaives tu poursuis
Les innocents, lesquels je suis
Dans mes cinq sens, — et, qu’empêché
Me voici pour, las ! me défendre !
L’argile dont Dieu les forma,
Leur faiblesse à ces tristes sens
Par quoi je suis les innocents
Que l’on immole dans Rama,
Trahissent leur âge trop tendre.
Nulle fuite. Mais mon Sauveur,
Assumant mon sort et ma mort,
Vit en Égypte dont il sort
A temps pour l’insigne faveur
Qu’il me fait de donner sa vie
Et sa pensée à mon bonheur
Éternel, et, par l’action
Sûre de l’absolution
De son prêtre à lui, le Seigneur,
Ressuscite ma chair ravie.
CIRCONCISION
V §
Petit Jésus qui souffrez déjà dans votre chair
Pour obéir au premier précepte de la Loi,
Or, nous venons en ce jour saintement doux-amer,
Vous offrir les prémices aussi de notre foi.
Pour obéir, nous autres, à votre obéissance,
Nous apportons sur l’autel le parfait hommage
De nos péchés pénitents à votre innocence,
Sur l’autel blanc où votre sang si pur, notre otage,
Coule mystiquement comme il coula littéral
Au Golgotha, comme il stilla, pas plus réel
Mais littéral aussi, ce jour, dont le rituel
Retient l’anniversaire cruel et lilial,
Et nous circoncisons nos cœurs suivant votre exemple,
Et nous voudrons ressembler à Vous-même, qui fîtes
Le vieux Siméon, dans la solennité du temple,
Exhaler vers vous une allégresse sans limites.
L’ancien Adam qui se désolait dans son espoir
Toujours remis d’enfin voir, de ses yeux, nous meilleurs,
Nous très doux sans plus d’ire rouge ou d’orgueil noir,
Va chanter un fier cantique de joie et de pleurs,
Et dans les cieux les bienheureux et bienheureuses
S’éjouiront plus que de coutume, et les anges,
Pour ce que cette année, elle à peine dans les langes,
Dès son premier souffle, a ces haleines amoureuses.
ROIS
VI §
La myrrhe, l’or et l’encens
Sont des présents moins aimables
Que de plus humbles présents
Offerts aux Yeux adorables
Qui souriront plutôt mieux
A de simples vœux pieux.
Le voyage des Rois Mages
Certes agrée au Seigneur.
Il accepte ces hommages
Et les tient en haut honneur ;
Mais d’un pécheur qui s’amende
Pour lui la gloire est plus grande.
Dans ce sublime concours
D’adorations premières,
Jésus goûtera toujours
[p. 361]
Davantage les prières
Des misérables et leur
Garde un royaume meilleur.
Les anges et les archanges
Qui réveillent les bergers,
Voix d’espoir et de louanges
Aux hommes encouragés,
Priment dans l’azur sans voile
La miraculeuse étoile...
Riches, pauvres, faisons-nous
Néant devant toi, le Maître,
De Ton saint nom seuls jaloux :
Tu sauras bien reconnaître
Et magnifier les tiens,
Riches, pauvres, tous chrétiens.
KYRIE ELEISON
VII §
Ayez pitié de nous, Seigneur !
Christ, ayez pitié de nous !
Donnez-nous la victoire et l’honneur
Sur l’ennemi de nous tous.
Ayez pitié de nous, Seigneur.
Rendez-nous plus croyants et plus doux
Loin du Péché suborneur,
Christ, ayez pitié de nous.
Criblez-nous comme fait le vanneur
Du grain dont il est jaloux.
Ayez pitié de nous, Seigneur.
Nous vous en supplions à genoux,
Ouvrez-nous par la Foi et le Bonheur.
Christ, ayez pitié de nous.
Ouvrez-nous par l’Amour le Bonheur,
Nous vous en prions à genoux.
Ayez pitié de nous, Seigneur.
Seigneur, par l’Espérance, ouvrez-nous,
Christ, ouvrez-nous le Bonheur.
Christ, ayez pitié de nous.
Ayez pitié de nous, Seigneur !
GLORIA IN EXCELSIS
VIII §
Gloire à Dieu dans les hauteurs,
Paix aux hommes sur la terre !
Aux hommes qui l’attendaient
Dans leur bonne volonté.
Le salut vient sur la terre...
Gloire à Dieu dans les hauteurs
Nous te louons, bénissons,
Adorons, glorifions,
Te rendons grâce et merci
De cette gloire infinie !
O Seigneur, Dieu, roi du ciel,
Père, Puissance éternelle,
O Fils unique de Dieu,
Agneau de Dieu, Fils du père,
Vous effacez les péchés :
Vous aurez pitié de nous.
Vous effacez les péchés :
Vous écouterez nos vœux.
Vous, à la droite du Père,
Vous aurez pitié de nous.
Car vous êtes le seul Saint,
Seul Seigneur et seul Très Haut,
O Jésus, qui fûtes oint
De très loin et de très haut,
Dieu des cieux, avec l’Esprit,
Dans le Père,
Ainsi soit-il.
CREDO
IX §
Je crois ce que l’Église catholique
M’enseigna dès l’âge d’entendement :
Que Dieu le Père est le fauteur unique
Et le régulateur absolument
De toute chose invisible et visible,
Et que, par un mystère indéfectible,
Il engendra, ne fit pas Jésus-Christ
Son Fils unique avant que la lumière
Ne fût créée, et qu’il était écrit
Que celui-ci mourrait de mort amère,
Pour nous sauver du malheur immortel,
Sur le Calvaire et, depuis, sur l’Autel ;
Enfin que l’Esprit saint, lequel procède
Et du Père et du Fils et qui parlait
Par les prophètes, et ma foi qui s’aide
De charité croit le dogme complet
De l’Église de Rome, au saint baptême,
En la vie éternelle.
Vœu suprême.
ASCENSION
X §
Jésus au ciel est monté
Pour vous envoyer sa grâce :
Espérance et charité,
Foi qui jamais ne se lasse,
Patience et tous les dons
Que l’esprit porte en ses flammes.
Et les trésors de pardons,
De zèle au salut des âmes,
De courage durant les
Tentations de ce monde,
Ah ! surtout, oui, devant les
Tentations de ce monde,
Ces scandales étalés
Tour à tour beaux puis immondes,
Pauvres cœurs écartelés,
Tristes âmes vagabondes !
Jésus au ciel est monté,
Mais en nous laissant son ombre :
L’Évangile répété
Sans cesse aux peuples sans nombre.
Jésus au ciel est monté
Pour mieux veiller, Lui, fait homme,
Sur notre fragilité
Qu’il éprouva... Mais nous, comme
Jésus au ciel est monté
Notre nuit n’y pourrait suivre
Avant la mort sa clarté :
Ah ! d’esprit allons y vivre !
VENI, SANCTE
XI §
« Esprit-Saint, descendez en » ceux
Qui raillent l’antique cantique
Où les simples mettent leurs vœux
Sur la plus naïve musique.
Versez les sept dons de la foi,
Versez, « esprit d’intelligence »,
Dans les âmes toutes au moi
Surtout l’amour et l’indulgence
Et le goût de la pauvreté
Tant des autres que de soi-même :
Qu’ils comprennent la charité
Puisqu’ils sont l’élite et la crème.
Qu’ils estiment leur rire sot,
Visant, non le dogme immuable.
Mais l’humble et le faible (un assaut
Dont le capitaine est le Diable).
Au lieu d’ainsi le profaner,
Ce cantique de nos ancêtres,
Qu’ils le méditent, pour donner
Le bon exemple, eux, les grands maîtres.
Et, tandis qu’ils seront en train
D’édifier le paupérisme
D’esprit et d’argent, qu’ils réin-
Tègrent un peu le Catéchisme.
JUIN
XII §
Mois de Jésus, mois rouge et or, mois de l’Amour,
Juin, pendant quel le cœur en fleur et l’âme en flamme
Se sont épanouis dans la splendeur du jour
Parmi des chants et des parfums d’épithalame,
Mois du Saint-Sacrement et mois du Sacré-Cœur,
Mois splendide du Sang réel, et de la Chair vraie,
Pendant que l’herbe mûre offre à l’été vainqueur
Un champ clos où le blé triomphe de l’ivraie,
Et pendant quel, nous misérables, nous pécheurs,
Remémorés de la Présence non pareille,
Nous sentons ravigorés en retours vengeurs
Contre Satan, pour des triomphes que surveille
Du ciel là-haut, et sur terre, de l’ostensoir,
L’adoré, l’adorable Amour sanglant et chaste,
Et du sein douloureux où gîte notre espoir
Le Cœur, le Cœur brûlant que le désir dévaste,
Le désir de sauver les nôtres, ô Bonté
Essentielle, de leur gagner la victoire
Éternelle. Et l’encens de l’immuable été
Monte mystiquement en des douceurs de gloire.
SANCTUS
XIII §
Saint est l’homme au sortir du baptême,
Petit enfant humble et ne tétant pas même,
Et si pur alors qu’il est la pureté suprême.
Saint est l’homme après l’Eucharistie.
La chair de Jésus a sa chair investie
De force sage et de divine modestie.
Saint l’homme quand clos ses jours débiles,
Dans l’heur et dans le pardon des Saintes Huiles,
Et l’essor soudain vers des séjours enfin tranquilles.
Les cieux sont pleins, Juste, de ta gloire.
La terre en bas vénérera ta mémoire,
Béni soit celui qui vient au Nom qu’il nous faut croire !
Hosanna sur terre et dans les cieux.
Deux fois hosanna pour l’homme glorieux !
Trois fois hosanna pour Dieu miséricordieux.
IMMACULÉE CONCEPTION
XIV §
Vous fûtes conçue immaculée,
Ainsi l’Église l’a constaté
Pour faire notre âme consolée
Et notre fois plus fort conseillée,
Et notre esprit plus ferme et bandé.
La raison veut ce dogme et l’assume.
La charité l’embrasse et s’y tient,
Et Satan grince et l’enfer écume
Et hurle : « L’Ève prédite vient
Dont le Serpent saura l’amertume » :
Sous la tutelle et dans l’onction
De votre chaste et sainte mère Anne,
Vous grandissez en perfection
Jusqu’à votre présentation
Au temple saint, loin du bruit profane,
Du monde vain que fuira Jésus
Et, comme lui, toute au pauvre monde,
Vous atteignez dans de pieux us
L’époque où, dans sa pitié profonde,
Dieu veut que de vous sorte Jésus !
L’ange qui vous salua la mère
Du Rédempteur que Dieu nous donnait
Ne troubla pas votre candeur fière
Qui dit comme Dieu de la lumière :
« Ce que vous m’annoncez me soit fait. »
Et tout le temps que vivra le Maître,
Vous le passerez obscurément,
Sans rien vouloir savoir ou connaître
Que de l’aimer comme il daigne l’être,
Jusqu’à sa mort, prise saintement.
Aussi, quand vous-même rendez l’âme,
Pendant à votre conception
Immaculée, un décret proclame
Pour vous la tombe un séjour infâme,
Vous soustrait à la corruption,
Et vous enlève au séjour de la gloire
D’où vous régnez sur l’Ange et sur nous,
Participant à toute l’histoire
De notre vie intime et de tous
Les hauts débats de la grande histoire.
DÉVOTIONS
XV §
Sécheresse maligne et coupable langueur,
Il n’est remède encore à vos tristesses noires
Que telles dévotions surérogatoires,
Comme des mois de Marie et du Sacré-Cœur,
Éclat et parfum purs de fleurs rouges et bleues,
Par quoi l’âme qu’endeuille un ennui morfondu,
Tout soudain s’éveille à l’enthousiasme dû
Et sent ressusciter ses allégresses feues
Cantiques frais et blancs de vierges comme aux temps
Premiers, quand les chrétiens étaient toute innocence,
Hymnes brûlants d’une théologie intense
Dans la sanglante ardeur des cierges palpitants ;
Comme le chemin de la Croix, baisers et larmes,
Argent et neige et noir d’or des Vendredis Saints,
Lent cortège à genoux dans la paix des tocsins,
Stabats sévères indiciblement aux si doux charmes,
Et la dévotion, aussi, du chapelet,
Grains enflammés de chaste délire où s’embrase
L’ennui souvent, où parfois l’excès de l’extase
Se consumait au feu des Ave qui roulait ;
Et celle enfin des saints locaux, Martin de France,
Et Geneviève de Paris, saints du pays
Et des villes et des villages, obéis
Et vénérés avec chacun son espérance
Et son exemple et son précepte bien donné,
Ses miracles ! — O mœurs plus intimes du culte,
Eh oui, c’est encor vous, en dépit de l’insulte,
Qui nous sauvez, peut-être, à tel moment donné.
AGNUS DEI
XVI §
L’agneau cherche l’amère bruyère,
C’est le sel et non le sucre qu’il préfère,
Son pas fait le bruit d’une averse sur la poussière.
Quand il veut un but, rien ne l’arrête,
Brusque, il fonce avec des grands coups de sa tête,
Puis il bêle vers sa mère accourue inquiète...
Agneau de Dieu, qui sauves les hommes,
Agneau de Dieu, qui nous comptes et nous nommes,
Agneau de Dieu, vois, prends pitié de ce que nous sommes,
Donne-nous la paix et non la guerre,
O l’agneau terrible en ta juste colère,
O toi, seul Agneau, Dieu le seul fils de Dieu le Père.
TOUSSAINT
XVII §
Ces vrais vivants qui sont les saints,
Et les vrais morts qui seront nous,
C’est notre double fête à tous,
Comme la fleur de nos desseins,
Comme le drapeau symbolique
Que l’ouvrier plante gaîment
Au faite neuf du bâtiment,
Mais, au lieu de pierre et de brique,
C’est de notre chair qu’il s’agit,
Et de notre âme en ce nôtre œuvre
Qui, narguant la vieille couleuvre,
A force de travaux surgit.
Notre âme et notre chair domptées
Par la truelle et le ciment
Du patient renoncement
Et des heures dûment comptées.
Mais il est des âmes encor,
Il est des chairs encore comme
En chantier, qu’à tort on dénomme
Les morts, puisqu’ils vivent, trésor
Au repos, mais que nos prières
Seulement peuvent monnayer
Pour, l’architecte, l’employer
Aux grandes dépenses dernières.
Prions, entre les morts, pour maints
De la terre et du Purgatoire,
Prions de façon méritoire
Ceux de là-haut qui sont les saints.
IN INITIO
XVIII §
Chez mes pays, qui sont rustiques,
Dans tel cas simplement pieux,
Voire un peu superstitieux,
Entre autres pratiques antiques,
Sur la tête du paysan,
Rite profond, vaste symbole,
Le prêtre, étendant son étole,
Dit l’évangile de saint Jean :
« Au commencement était le Verbe
« Et le Verbe était en Dieu.
« Et le verbe était Dieu. »
Ainsi va le texte superbe,
S’épanchant en ondes de claire
Vérité sur l’humaine erreur,
Lavant l’immondice et l’horreur,
Et la luxure et la colère,
Et les sept péchés, et d’un flux
Tout parfumé d’odeurs divines,
Rafraîchissant jusqu’aux racines
L’arbre du bien, sec et perclus,
Et déracinant sous sa force
L’arbre du mal et du malheur
Naguère tout en sève, en fleur,
En fruit, du feuillage à l’écorce.
O Jean, le plus grand, après l’autre
Jean, le Baptiste, des grands saints,
Priez pour moi le Sein des seins
Où vous dormiez, étant apôtre !
O, comme pour le paysan,
Sur ma tête frivole et folle,
Bon prêtre étendant ton étole,
Dis l’évangile de saint Jean.
VÊPRES RUSTIQUES
XIX §
Le dernier coup de vêpres a sonné : l’on tinte.
Entrons donc dans l’Église et couvrons-nous d’eau sainte.
Il y a peu de monde encore. Qu’il fait frais !
C’est bon par ces temps lourds, ça semble fait exprès.
On allume les six grands cierges, l’on apporte
Le ciboire pour le salut. Voici la porte
De la sacristie entr’ouverte, et l’on voit bien
S’habiller les enfants de chœur et le doyen.
Voici venir le court cortège, et les deux chantres
Tiennent de gros antiphonaires sur leurs ventres.
Une clochette retentit et le clergé
S’agenouille devant l’autel, dûment rangé.
Une prière est murmurée à voix si basse
Qu’on entend comme un vol de bons anges qui passe.
Le prêtre, se signant, adjure le Seigneur,
Et les clers, se signant, appellent le Seigneur.
Et chacun exaltant la Trinité, commence,
Prophète-roi, David, ta psalmodie immense :
« Le Seigneur dit... » « Je vous louerai... » « Qu’heureux les saints... »
« Fils, louez le Seigneur... » et, vibrant par essaims,
Les versets de ce chant militaire et mystique :
« Quand Israël sortit d’Égypte... » Et la musique
Du grêle harmonium et du vaste plain-chant !
L’Église s’est remplie. Il fait tiède. L’argent
Pour le culte et celui du denier de Saint-Pierre
Et des pauvres tombe à bruit doux dans l’aumônière.
L’hymme propre et Magnificat aux flots d’encens !
Une langueur céleste envahit tous les sens.
Au court sermon qui suit sur un thème un peu rance,
On somnole sans trop pourtant d’irrévérence.
Le soleil lui faisant un nimbe mordoré,
Le vieux saint du village est tout transfiguré.
Ça sent bon. On dirait des fleurs très anciennes.
S’exhalant, lentes, dans le latin des antiennes.
Et le Salut ayant béni l’humble troupeau
Des fidèles, on rejoint meilleurs le hameau.
Le soir on soupe mieux, et quand la nuit invite
Au sommeil, on s’endort bien à l’aise et plus vite.
COMPLIES EN VILLE
XX §
Au sortir de Paris on entre à Notre-Dame.
Le fracas blanc vous jette aux accords long-voilés,
L’affreux soleil criard à l’ombre qui se pâme,
Qui se pâme, aux regards des vitraux constellés,
Et l’adoration à l’infini s’étire
En des récitatifs lentement en-allés.
Vêpres sont dites, et l’autel noir ne fait luire
Que six cierges, après les flammes du Salut
Dont l’encens rôde encor mêlé des goûts de cire.
Un clerc a lu : Jube, domne, comme fallut,
Et l’orage du fond des stalles se déchaîne
De rude psalmodie au même instant qu’il lut,
Le bon orage frais sous la voûte hautaine
Où le jour tamisé par les Saints et les Rois
Des rosaces oscille en volute sereine.
Cela parle de paix de l’âme, des effrois
De la nuit dissipés par l’acte et la prière.
L’espérance s’enroule autour des piliers froids.
C’est la suprême joie, et l’extrême lumière
Concentrée aux rais de la seule Vérité,
Et le vieux Siméon dit l’extase dernière !
Recommandons notre âme au Dieu de vérité.
PRUDENCE
XXI §
Contrition parfaite,
Les anges sont en fêtes
Mieux d’un pêcheur contrit que d’un juste qui meurt.
Bon propos, la victoire
Préparée et la gloire
Presque déjà dans l’au-delà sans choc ni heurt.
Absolution sainte
Savourée avec crainte
D’en être indigne encor, d’en peut-être abuser.
Rentrée emmi le monde
Et son horreur profonde
Avec un cœur d’amour qui ne sait biaiser,
Car c’est l’amour divine
Qui prévoit et devine
Les pièges, le manège et les tours du Péché.
Garde à toi tout de même,
Gare au trompeur suprême,
Chrétien certes fidèle encore qu’empêché
Par l’extase première
D’avoir vu la Lumière,
Et les yeux éblouis et tous les sens tremblants.
O chrétien nouveau, prie
A la Vierge Marie,
Et marche vers la bonne mort à pas bien lents.
PÉNITENCE
XXII §
La luxure, ce moins terrible des péchés ;
Ces deux pires de tous, l’Avarice et l’Envie ;
La Gourmandise, abus risible de la vie ;
Toi, Paresse, leur mère à tous, à ces péchés,
Et la Colère, presque belle en sa hideur,
Avec de faux reflets d’héroïsme, on veut croire,
Et l’Orgueil son grand frère à la gloire illusoire
Et tous dans leur révolte horrible et leur hideur,
Pénitence, presque innocence tu les vaincs,
Tu les poursuis, tu les arrêtes et les captes
Sauvant les âmes, par l’excellence des actes,
De l’Enfer et de ses milices que tu vaincs.
Oui, tu nous dictes et fait faire d’excellents
Actes à cause de l’excellence des causes,
Épanouissant, sur les épines de roses
Que la Prière après vient cueillir à pas lents,
Pénitence, du fond de mes crimes affreux,
Luxure, orgueil, colère et toute la filière,
J’invoque ton secours, Vertu particulière,
Seule agréable à Dieu qui voit mon cœur affreux.
OPPORTET HÆRESES ESSE
XXIII §
Opportet hæreses esse.
Car il faut, en effet, encore,
Que notre foi, donc, s’édulcore
Opportet hæreses esse.
Il fallait quelque humilité,
Ma Foi qui poses et grimaces,
Afin que tu t’édulcorasses ;
Et l’hérésiarque entêté
T’a tenté, ne nous dis pas non,
Jusque vers les pires péchés,
T’entraînant du doute impur chez
Le Diable t’ouvrant son fanon.
Or maintenant, courage ! assez
De larmes sur l’erreur d’un jour,
Songe au pardon du Dieu d’amour.
Opportet hæreses esse.
FINAL §
J’ai fait ces vers qu’un bien indigne pécheur,
O bien indigne, après tant de grâces données,
Lâchement, salement, froidement piétinées
Par mes pieds de pécheur, de vil et laid pécheur.
J’ai fait ces vers, Seigneur, à votre gloire encor,
A votre gloire douce encor qui me tente
Toujours, en attendant la formidable attente
Ou de votre courroux ou de ta gloire encore,
Jésus, qui pus absoudre et bénir mon péché,
Mon péché monstrueux, mon crime bien plutôt !
Je me rementerais de votre amour, plutôt,
Que de mon effrayant et vil et laid péché.
Jésus qui sus bénir ma folle indignité,
Bénir, souffrir, mourir pour moi, ta créature,
Et dès avant le temps, choisis dans la nature,
Créateur, moi, ceci, pourri d’indignité !
Aussi, Jésus ! avec un immense remords
Et plein de tels sanglots ! à cause de mes fautes
Je viens et je reviens à toi, crampes aux côtes,
Les pieds pleins de cloques et les usages morts,
Les usages ? Du cœur, de la tête, de tout
Mon être on dirait cloué de paralysie
Navrant en même temps ma pauvre poésie
Qui ne s’exhale plus, mais qui reste debout
Comme frappée, ainsi le troupeau par l’orage,
Berger en tête, et si fidèle nonobstant
Mon cœur est là, Seigneur, qui t’adore d’autant
Que tu m’aimes encore ainsi parmi l’orage.
Mon cœur est un troupeau dissipé par l’autan
Mais qui se réunit quand le vrai Berger siffle
Et que le bon vieux chien, Sergent ou Remords, gifle
D’une dent suffisante et dure assez l’engeance.
Affreuse que je suis, troupeau qui m’en allai
Vers une monstrueuse et solitaire voie.
O, me voici, Seigneur, ô votre sainte joie !
Votre pacage simple en les prés où j’allai
Naguère, et le lin pur qu’il faut et qu’il fallut,
Et la contrition, hélas ! si nécessaire,
Et si vous voulez bien accepter ma misère,
La voici ! faites-la, telle, hélas ! qu’il fallut.