I §
Tu fus une grande amoureuse
A ta façon, la seule bonne
Puisqu’elle est tienne et que personne
Plus que toi ne fut malheureuse
Après la crise de bonheur
Que tu portas avec honneur,
Oui, tu fus comme une héroïne,
Et maintenant tu vis, statue
Toujours belle sur la ruine
D’un espoir qui se perpétue
En dépit du Sort évident,
Mais tu persistes cependant.
Pour cela, je t’aime et t’admire
Encore mieux que je ne t’aime
Peut-être, et ce m’est un suprême
Orgueil d’être meilleur ou pire
Que celui qui fit tout le mal,
D’être à tes pieds tremblant, féal.
Use de moi, je suis ta chose ;
Mon amour va, ton humble esclave,
Prêt à tout ce que lui propose
Ta volonté, dure ou suave,
Prompt à jouir, prompt à souffrir,
Prompt vers tout hormis pour mourir !
Mourir dans mon corps et mon âme,
Je le veux si c’est ton caprice.
Quand il faudra que je périsse
Tout entier, fais un signe, femme,
Mais que mon amour dût cesser ?
Il ne peut s’éterniser.
Jette un regard de complaisance,
O femme forte, ô sainte, ô reine,
Sur ma fatale insuffisance
Sans doute à te faire sereine :
Toujours triste du temps fané,
Du moins, souris au vieux damné.
II §
Laisse dire la calomnie
Qui ment, dément, nie et renie
Et la médisance bien pire
Qui ne donne que pour reprendre
Et n’emprunte que pour revendre...
Ah ! laisse faire, laisse dire !
Faire et dire lâches et sottes,
Faux gens de bien, feintes mascottes,
Langue d’aspic et de vipère ;
Ils font des gestes hypocrites,
Ils clament, forts de leurs mérites,
Un mal de toi qui m’exaspère,
Moi qui t’estime et te vénère
Au-dessus de tout sur la terre,
T’estime et vénère, ma belle,
De l’amour fou que je te voue,
Toi, bonne et sans par trop de moue,
M’admettant au lit, ma fidèle !
Mais toi, méprise ces menées,
Plus haute que tes destinées,
Grand cœur, glorieuse martyre,
Plane au-dessus de tes rancunes
Contre ces d’aucuns et d’aucunes ;
Bah ! laisse faire et laisse dire !
Bah ! fais ce que tu veux, ma belle
Et bonne, — fidèle, infidèle, —
Comme tu fis toute ta vie,
Mais toujours, partout, belle et bonne,
Et ne craignant rien de personne,
Quoi qu’en aient la haine et l’envie.
Et puis tu m’as, si tu m’accordes
Un peu de ces miséricordes
Qui siéient envers un birbe honnête.
Tu m’as, chère, pour te défendre,
Te plaire, si tu veux m’entendre
Et voir, encore que laid et bête.
III §
L’écartement des bras m’est cher, presque plus cher
Que l’écartement autre :
Mer puissante et que belle et que bonne de chair,
Quel appât est la vôtre !
O seins, mon grand orgueil, mon immense bonheur,
Purs, blancs, joie et caresse,
Volupté pour mes yeux et mes mains et mon cœur
Qui bat de votre ivresse,
Aisselles, fins cheveux courts qu’ondoie un parfum
Capiteux où je plonge,
Cou gras comme le miel, ambré comme lui, qu’un
Dieu fit bien mieux qu’en songe,
Fraîcheur enfin des bras endormis et rêveurs
Autour de mes épaules,
Palpitantes et si doux d’étreinte à mes ferveurs
Toutes à leurs grands rôles,
Que je ne sais quoi pleure en moi, peine et plaisir,
Plaisir fou, chaste peine,
Et que je ne puis mieux assouvir le désir
De quoi mon âme est pleine
Qu’en des baisers plus langoureux et plus ardents
Sur le glorieux buste
Non sans un sentiment comme un peu triste dans
L’extase comme auguste !
Et maintenant vers l’ombre blanche — et noire un peu,
L’amour il peut détendre
Plus par en bas et plus intime son fier jeu
Dès lors naïf et tendre !
IV §
La sainte, ta patronne, est surtout vénérée
Dans nos pays du Nord et toute la contrée
Dont je suis à demi, la Lorraine et l’Ardenne.
Elle fut courageuse et douce et mourut vierge
Et martyre. Or il faut lui brûler un beau cierge
En ce jour de ta fête et de quelque fredaine
De plus, peut-être, en son honneur, ô ma païenne !
Tu n’es pas vierge, hélas ! mais encore martyre
Non pour Dieu, mais qui te plut. (Qu’ont-ils à rire ?)
A cause de ton cœur saignant resté sublime.
Courageuse, tu l’es, pauvre chère adorée,
Pour supporter tant de douleur démesurée
Avec cette fierté qui pare une victime.
Avec tout ce pardon joyeux et longanime.
Et douce ? Ah oui ! malgré ton allure si vive
Et si forte et rude parfois. Douce et naïve
Comme ta voix d’enfant aux notes paysannes.
[p. 406]
Douce au pauvre et naïve envers tous et que bonne
Sous un dehors souvent brutal qui vous étonne,
Vous, les gens, mais dont j’ai vite su les arcanes !
Douce et bonne et naïve, âme exquise qui planes
Au-dessus de tout préjugé bête ou féroce,
Au-dessus de l’hypocrisie et du cant rosse
Et du jargon menteur et de l’argot fétide
Dans la région pure où la haine s’ignore,
Où la rancune expire, où l’amour pur arbore
Sur la blancheur des cieux sa bannière candide.
O résignation infiniment splendide.
En ce jour de ta fête et malgré nos frivoles
Préoccupations moins coupables que folles
De baisers redoublés pour le cas, et l’antienne
Plus gentille encor qu’excessive des mots lestes,
Recueillons-nous pourtant, pensons aux fins célestes
Afin qu’après ma mort ou, las ! après la tienne,
Le survivant pour l’absent prie, ô ma chrétienne !
V §
« Quand je cause avec toi paisiblement,
Ce m’est vraiment charmant, tu causes si paisiblement !
Quand je dispute et te fais des reproches,
Tu disputes, c’est drôle, et me fais aussi des reproches.
S’il m’arrive, hélas ! d’un peu te tromper,
O misère ! tu cours la ville afin de me tromper.
Et si je suis depuis des temps fidèle,
Tu me restes, durant juste tous ces temps-là, fidèle.
Suis-je heureux, tu te montres plus heureuse
Encore, et je suis plus heureux, d’enfin ! te voir heureuse.
Pleuré-je, tu pleures à mon côté.
Suis-je pressant, tu viens bien gentiment de mon côté.
Quand je me pâme, lors tu te pâmes.
Et je me pâme plus de sentir qu’aussi tu te pâmes.
Ah ! dis quand je mourrai, mourras-tu, toi ? »
Elle : « Comme je t’aimais mieux, je mourrai plus que toi. »
... Et je me réveillai de ce colloque
Hélas ! C’était un rêve (un rêve ou bien quoi ?) ce colloque.
VI §
Mais après les merveilles
Qui n’ont pas de pareilles
De l’épaule et du sein,
Faut sur un autre mode
Dresser une belle ode
Au glorieux bassin.
Faut célébrer la blanche
Souplesse de la hanche
Et sa mate largeur,
Dire le ventre opime
Et sa courbe sublime
Vers le sexe mangeur
Que chastement, encore
Que joliment, décore
Et défend juste assez
L’ombre qui sied aux choses
Divines, peu moroses
Rideaux drûment tressés,
Teutatès adorable,
Saturne plus aimable,
Anthropophage cher
Qui veut aux sacrifices
Non le sang des génisses
Mais le lait de ma chair.
Nous chanterons ensuite
L’aine blonde et sa fuite
Ambrée au sein du Saint...
Mais déposons la lyre,
Livrons-nous au délire
Raisonnable et succinct ?
Non ! fou, braque, orgiaque,
En apache, en canaque
Ivre de tafia :
Nous ne sommes pas l’homme
Pour la docte Sodome
Quand la Femme il y a.
VII §
Fifi s’est réveillé. Dès l’aube tu m’as dit
Bonjour en deux baisers, et le pauvre petit
Pépia, puis remit sa tête sous son aile
Et tut pour le moment sa gente ritournelle.
Ici je te rendis pour les tiens un baiser
Multiforme, ubiquiste et qui fut se poser
De la plante des pieds au bout des cheveux sombres
Avec des stations aux lieux d’éclairs et d’ombres,
Un jeu (car tu riais) ridiculement doux,
Et, brusque, entre les tiens je poussai mes genoux,
Tôt redressé sur eux et, penché vers ta bouche,
Fus brutal sans que tu te montrasses farouche,
Car tu remerciais dans un regard mouillé.
C’est alors que Fifi, tout à fait réveillé,
[p. 412]
Le mignon compagnon ! comparable aux bons drilles
Que le bonheur d’autrui ne fait pas envieux,
Salua mon triomphe en des salves de trilles
Que tout son petit cœur semblait lancer aux cieux.
Il sautillait, fiérot, comme un gars qui se cambre,
Acclamant un vainqueur justement renommé,
Et l’aurore éclatant aux carreaux de la chambre
Attestait sans mentir que nous avions aimé.
VIII §
Cuisses grosses mais fuselées,
Tendres et fermes par dessous,
Dessus d’un dur qui serait doux,
Musculeuses et potelées,
Cuisses si bonnes tant baisées
Devers leur naissance et par là,
Blanches plus que rose-thé, la
Meilleure part de mes pensées,
Genoux, petites têtes d’anges
Bouffis dans leur juste maigreur,
Mollets bondis qui font fureur
En des bas clairs craignant les fanges.
Pieds dressés pour te hausser jusque
A ma taille pour t’embrasser,
Moi, t’enlever et te placer
Sur le lit, pieds très beaux que busque
La cheville de mol ivoire
Et que parfume leur fraîcheur ;
Doigts délicats, frêle rougeur
Doucement fauve au talon, voire
Assez forte peau pour la marche,
Mais quoi ! faut-il pas au cher corps
Base solide et soutiens forts,
Au cher corps qui garde mon Arche,
L’arche de crainte et de blandices
Où j’entre, tous torts révolus,
Comme on monterait au ciel. Pieds
Divins, genoux fins, bonnes cuisses !
IX §
Tu fus souvent cruelle,
Même injuste parfois,
Mais que fait, ô ma belle,
Puisqu’en toi seule crois
Et puisque suis ta chose.
Que tu me trompes avec Pierre,
Louis, et cœtera punctum,
Je sais, mais, là ! n’en ai que faire :
Ne suis que l’humble factotum
De ton humeur gaie ou morose.
S’il arrive que tu me battes,
Soufflettes, égratignes, tu
Es le maître dans nos pénates,
Et moi le cocu, le battu,
Suis content et vois tout en rose.
Et puis dame j’opine
Qu’à me voir ainsi si
Tien, finiras, divine
Par m’aimoter ainsi
Qu’on s’attache à sa chose.
X §
Et maintenant, aux Fesses !
Je veux que tu confesses,
Muse, ces miens trésors
Pour quels — et tu t’y fies —
Je donnerais cent vies
Et, riche, tous mes ors
Avec un tas d’encors.
Mais avant la cantate
Que mes âme et prostate
Et mon sang en arrêt
Vont dire à la louange
De son cher Cul que l’ange...
O déchu ! saluerait,
Puis il l’adorerait,
Posons de lentes lèvres
Sur les délices mièvres
[p. 418]
Du dessous des genoux,
Souple papier de Chine,
Fins tendons, ligne fine
Des veines sans nul pouls
Sensible, il est si doux !
Et maintenant, aux Fesses !
Déesses de déesses,
Chair de chair, beau de beau,
Seul beau qui nous pénètre
Avec les seins, peut-être,
D’émoi toujours nouveau,
Pulpe dive, alme peau !
Elles sont presques ovales,
Presque rondes. Opales,
Ambres, roses (très peu)
S’y fondent, s’y confondent
En blanc mat que répondent
Les noirs, roses par jeu,
De la raie au milieu.
Déesses de déesses !
Du repos en liesses,
De la calme gaîté,
De malines fossettes
Ainsi que des risettes,
[p. 419]
Quelque perversité
Dans que de majesté... !
Et quand l’heure est sonnée
D’unir ma destinée
A Son Destin fêté,
Je puis aller sans crainte
Et bien tenter l’étreinte
Devers l’autre côté :
Leur concours m’est prêté.
Je me dresse et je presse
Et l’une et l’autre fesse
Dans mes heureuses mains.
Toute leur ardeur donne,
Leur vigueur est la bonne
Pour aider aux hymens
Des soirs aux lendemains...
Ce sont les reins ensuite,
Amples, nerveux qu’invite
L’amour aux seuls élans
Qu’il faille dans ce monde,
C’est le dos gras et monde,
Satin tiède, éclairs blancs.
Ondulements troublants.
Et c’est enfin la nuque
Qu’il faudrait être eunuque
Pour n’avoir de frissons,
La nuque damnatrice,
Folle dominatrice
Aux frisons polissons
Que nous reconnaissons.
O nuque proxénète,
Vaguement déshonnête
Et chaste vaguement,
Frisons, joli symbole
Des voiles de l’Idole
De ce temple charmant,
Frisons chers doublement !
XI §
Riche ventre qui n’a jamais porté,
Seins opulents qui n’ont pas allaité,
Bras frais et gras, purs de tout soin servile.
Beau cou qui n’a plié que sous le poids
De lents baisers à tous les chers endroits,
Menton où la paresse se profile,
Bouche éclatante et rouge d’où jamais
Rien n’est sorti que propos que j’aimais,
Oiseux et gais — et quel nid de délices !
Nez retroussé quêtant les seuls parfums
De la santé robuste, yeux plus que bruns
Et moins que noirs, indulgemment complices,
Front peu penseur mais pour cela bien mieux,
Longs cheveux noirs dont le grand flot soyeux,
Jusques aux reins lourdement se hasarde,
Croupe superbe éprise de loisir
Sauf aux travaux du suprême plaisir,
Aux gais combats dont c’est l’arrière-garde,
Jambes enfin, vaillantes seulement
Dans le plaisant déduit au bon moment
Serrant mon buste et ballant vers la nue,
Puis, au repos, — cuisses, genoux, mollet, —
Fleurant comme ambre et blanches comme lait :
— Tel le pastel d’après ma femme nue.
XII §
Mais Sa tête, Sa tête !
Folle, unique tempête
D’injustice indignée,
De mensonge en furie,
Visions de tuerie
Et de vengeance ignée.
Puis exquise bonace,
Du soleil plein l’espace,
Colombe sur l’abîme,
Toute bonne pensée
Caressée et bercée
Pour un réveil sublime.
Force de la nature
Magnifiquement dure
Et si douce, Sa tête,
Adoré phénomène
O de ma Philomène
La tête, seule fête !
Et voyez quelle est belle
Cette tête rebelle
A la littérature
Comme à l’art de la brosse
Et du ciseau féroce,
Voyez, race future !
Car je veux dire aux Anges
Ce plus cher des visages,
Cheveux noirs comme l’ombre
Où passerait une onde
Pure, froide, profonde,
Sous un ciel bas et sombre,
Petit front d’Immortelle
Plissé dans la querelle,
Nez mignard qu’ironise
Un bout clair qui s’envole,
Bouche d’où Sa parole
Part, précise et consise
Mais sorcière sans cesse,
Qui blesse et qui caresse
Mon âme obéissante,
Soumise, adulatrice,
O voix dominatrice,
O voix toute-puissante...!
Et ô sur cette bouche
Plus âpre que farouche,
Plus farouche que tendre,
Plus tendre qu’ordinaire,
Prince au fond débonnaire,
Le Baiser semble attendre,
Et tout cela qu’éclaire
Le regard circulaire
De deux yeux de braise,
Bruns avec de la flamme,
Sournois avec de l’âme
Et du cœur, n’en déplaise
A nos jaloux, ma reine,
Ma noble souveraine
Qui me tient dans tes geôles,
O tête belle et bonne
Et mauvaise — et couronne
Du trône, tes Épaules.
XIII §
Nos repas sont charmants encore que modestes,
Grâce à ton art profond d’accommoder les restes
Du rôti d’hier ou de ce récent pot-au-feu
En hachis et ragoûts comme on n’en trouve pas chez Dieu.
Le vin n’a pas ce nom, car à quoi sert la gloire ?
Et puisqu’il est tiré, ne faut-il pas le boire ?
Pour le pain, comme on n’en a pas toujours mangé,
Qu’il nous semble excellent me semble un fait archijugé.
Le légume est pour presque rien, et le fromage :
Nous en usons en rois dont ce serait l’usage.
Quant aux fruits, leur primeur ça nous est bien égal,
Pourvu qu’il y en ait dans ce festin vraiment frugal.
Mais le triomphe, au moins pour moi, c’est la salade :
Comme elle en prend ! sans jamais se sentir malade,
Plus forte en cela que défunt Tragaldabas,
Et j’en bâfre de cœur tant elle est belle en ces ébats,
Et le café, qui pour ma part fort m’indiffère,
Ce qu’elle l’aime, mes bons amis, quelle affaire !
Je m’en amuse et j’en jouis pour elle, vrai !
Et puis je sais si bien que la nuit j’en profiterai,
Je sais si bien que le sommeil fuira sa lèvre
Et ses yeux allumés encor d’un brin de fièvre
Par la goutte de rhum bue en trinquant gaîment
Avec moi, présage gentil d’un choc bien plus charmant
XIV §
Nous sommes bien faits l’un pour l’autre ;
Pourtant quand tu me rencontreras
Menant mes derniers embarras
D’homme grave et de bon apôtre,
Ruine encore de chrétien,
Philosophe déjà païen,
Lourd de doctrine et de scrupule,
(Le tout un peu décomposé)
Mais au fond très bien disposé
Pour la popine et la crapule,
En un mot, sot entre les sots
De cette sorte de puceaux,
T’eus quelque mal à la conquête,
— Et par ce mot que j’ai voulu
J’entends ton triomphe absolu, —
Sinon de mon cœur, de ma tête ;
Je ne parle pas de mon corps
Vaincu dès les primes abords.
Mais comme nous sympathisâmes
Dès nos esprits mis en rapport
Et dès lors quel parfait accord
Entre ces luronnes, nos âmes,
Ces luronnes et nos lurons
D’esprits tout carrés et tout ronds !
Toi simple encor, que compliquée,
Et moi naïf aux cents replis,
Notre expérience des lits
Et notre ignorance marquée
En fait de sentiment subtil,
Tout ce nous rendait que gentil
L’un à l’autre ! en dépit, par crises,
De colères bien vite au trot,
D’humeurs noires, roses bientôt,
Et, mon Dieu, d’un tas de sottises
Qu’on réparait, pour t’apaiser
Madame et Monsieur, d’un baiser !
C’est de persévérer, petite !
C’est, chère, de continuer,
Quittes à parfois nous tuer
Pour nous ressusciter ensuite,
C’est de rester à deux, vraiment,
Bon cœur et mauvais garnement.
XV §
Quand tu me racontes les frasques
De ta chienne de vie aussi,
Mes pleurs tombent gros, lourds, ainsi
Que des fontaines dans des vasques,
Et mes longs soupirs condolents
Se mêlent à tes récits lents.
Tu me dis tes amours premières :
Fille des champs avec des gars,
Puis fille en ville aux fols écarts
Et les trahisons coutumières
Et mutuelles sans remord
Des deux parts et comme d’accord.
Tout d’un coup un caprice vite
Mûri, par l’us, en passion
Sauvage, tel l’humble scion
Grandissant en palme subite
[p. 431]
Qu’agiterait dans quelque vert
Paysage un vent du désert.
Fidèle, toi, l’autre, infidèle,
Toi douloureuse, lâche, enfin
Furieuse, soûle du vin
Du vice, essorant d’un coup d’aile
Ton cœur comme un aigle blessé,
Mais sans pouvoir fuir le passé...
Je t’écoute, et ma pitié toute,
Toute mon admiration,
Une indicible affection,
Sinon celle d’un pur amour
Te vont de moi par quelle route
Qui souffrirait, chère, à son tour,
Qui souffrira, j’en ai la crainte,
Qui souffre déjà, tu le sais,
Toi parfois mauvaise à l’excès,
Charmante aussi comme une sainte
Envers ce moi, bon vieil amant,
Le dernier, hein, probablement ?
XVI §
Je ne suis pas jaloux de ton passé, chérie,
Et même je t’en aime et t’en admire mieux.
Il montre ton grand cœur et la gloire inflétrie
D’un amour tendre et fort autant qu’impétueux.
Car tu n’eus peur ni de la mort ni de la vie,
Et, jusqu’à cet automne fier répercuté
Vers les jours orageux de ta prime beauté,
Ton beau sanglot, honneur sublime, t’a suivie.
Ton beau sanglot que ton beau rire condolait
Comme un frère plus mâle, et ces deux bons génies
T’ont sacrée à mes yeux de vertus infinies
Dont mon amour à moi, tout fier, se prévalait
Et se targue pour t’adorer au sens mystique :
Consolations, vœux, respects, en même temps
Qu’humbles caresses et qu’hommages ex-votants
De ma chair à ce corps vaillant, temple héroïque
Où tant de passions comme en un Panthéon,
Rancœurs, pardons, fureurs et la sainte luxure
Tinrent leur culte, respectant la forme pure
Et le galbe puissant profanés par Phaon.
Pense à Phaon pour l’oublier dans mon étreinte
Plus douce et plus fidèle, amant d’après-midi,
D’extrême après-midi, mais non pas attiédi
Que me voici, tout plein d’extases et de crainte.
Va, je t’aime... mieux que l’autre : il faut l’oublier,
Toi, souris-moi du moins entre deux confidences,
Amazone blessée ès belles imprudences
Qui se réveille au sein d’un vieux brave écuyer.
XVII §
« Tu m’ostines ! » — « Et je t’emmène
A la campagne. » Ainsi parlaient
Deux amoureux dont s’éperlaient
Plus d’un encor propos amène.
Je crains fort que ces amoureux
N’aient été nous l’autre semaine
Nous répondant, Tyrcis, Climène,
Hélas ! en mots trop savoureux.
Mais puisqu’il en est temps encore,
Puisqu’il en est encore temps,
Ne soyons donc plus mécontents,
Au contraire, et que s’édulcore
Notre courroux, pourtant grondant
Un petit peu, mais pour la forme,
En un orage horrible, énorme,
De gros baisers se répondant.
O ma dure et bonne compagne,
Assez, dis, de malentendus,
Et si tu veux — car je le dus —
Or, je t’emmène à la campagne.
XVIII §
O toi triomphante sur deux
« Rivales » (pour dire en haut style),
Tu fus ironique ; — elles... feues —
Et n’employas d’effort subtil
Que juste assez pour que tu fus —
Ses encor mieux, grâce à cet us
Qu’as de me plaire sans complaire
Plus qu’il ne faut à mes caprices.
Or je te viens jouer un air
Tout parfumé d’ambre et d’iris,
Bien qu’ayant en horreur triplice
Tout parfum hostile ou complice,
Sauf la seule odeur de toi, frais
Et chaud effluve, vent de mer
Et vent, sous le soleil, de prées
Non sans quelque saveur amère
Pour saler et poivrer ainsi
Qu’il est urgent, mon cœur transi,
Mon cœur, mais non pas ma bravoure
En fait d’amour ! Tu ressuscite-
Rais un défunt, le bandant pour
Le déduit dont Vénus dit : Sit !
Oui, mon cœur encore il pantèle
Du combat court, mais de peur telle !
Peur de te perdre si le sort
Des armes eût trahi tes coups.
Peur encor de toi, peur encore
De tant de boudes et de moues.
Quant aux deux autres, ô là là !
Guère n’y pensais, t’étais là.
Iris, ambre, ainsi j’annonçai
— Ma mémoire est bonne — ces vers
A ta victoire fière et gaie
Sur tes rivales somnifères.
Mais que n’ont-ils le don si cher,
Si pur ? Fleurer comme ta chair !
XIX §
Ils me disent que tu me trompes.
D’abord, qu’est-ce que ça leur fait ?
Chère frivole, que tu rompes
Un serment que tu n’as pas fait ?
Ils me disent que t’es méchante
Envers moi, — moi, qui suis si bon !
Toi méchante ! Qu’un autre chante
Ce refrain très loin d’être bon
Méchante, toi qui toujours m’offres
Un sourire amusant toujours,
Toi, ma reine, qui de tes coffres
Me puise des trésors toujours.
Ils me disent et croient bien dire,
O toi que tu ne m’aimes pas ?
Que m’importe, j’ai ton sourire,
Et puis tu ne m’aimerais pas ?
Tu ne m’aimes ? Et la grâce
Et la force de ta beauté.
Tu me les donnes, grande et grasse
Et voluptueuse beauté.
Tu ne m’aimes pas ? Et quand même
Ce serait vrai, qu’est-ce que fait ?
« Si tu ne m’aimes pas, je t’aime. »
— Mais tu m’aimes, dis, par le fait.