**** *creator_verlaine *book_verlaine_chair *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_chair *dist2_verlaine_verse_verse *id_p172 *date_1896 PROLOGUE L'amour est infatigable ! Il est ardent comme un diable, Comme un ange il est aimable. L'amant est impitoyable, Il est méchant comme un diable, Comme un ange, redoutable, Il va rôdant comme un loup Autour du cœur de beaucoup Et s'élance tout à coup Poussant un sombre hou-hou ! Soudain le voilà roucou- Lant ramier gonflant son cou. Puis que de métamorphoses ! Lèvres rouges, joues roses, Moues gaies, ris moroses, Et, pour finir, moulte chose Blanche et noire, effet et cause ; Le lis droit, la rose éclose... **** *creator_verlaine *book_verlaine_chair *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_chair *dist2_verlaine_verse_verse *id_p173 *date_1896 CHANSON POUR ELLES Ils me disent que tu es blonde Et que toute blonde est perfide, Même ils ajoutent, « comme l'onde ». Je me ris de leur discours vide ! Tes yeux sont les plus beaux du monde Et de ton sein je suis avide. Ils me disent que tu es brune, Qu'une brune a des yeux de braise Et qu'un cœur qui cherche fortune S'y brûle... O la bonne foutaise ! Ronde et fraîche comme la lune, Vive ta gorge aux bouts de fraise ! Ils me disent de toi, châtaine : Elle est fade, et rousse : trop rose. J'encague cette turlutaine, Et de toi j'aime toute chose De la chevelure, fontaine D'ébène ou d'or (et dis, ô pose- Les sur mon cœur) tes pieds de reine. **** *creator_verlaine *book_verlaine_chair *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_chair *dist2_verlaine_verse_verse *id_p174 *date_1896 AUTRE Car tu vis en toutes les femmes Et toutes les femmes c'est toi. Et tout l'amour qui soit, c'est moi Brûlant pour toi de mille flammes. Ton sourire tendre ou moqueur, Tes yeux, mon Styx ou mon Lignon, Ton sein opulent ou mignon Sont les seuls vainqueurs de mon cœur. Et je mords à ta chevelure Longue ou frisée, en haut, en bas, Noire ou rouge et sur l'encolure Et là ou là — et quels repas ! Et je bois à tes lèvres fines Ou grosses, — à la Lèvre, toute ! Et quelles ivresses en route, Diaboliques et divines ! Car toute la femme est en toi Et ce moi que tu multiplies T'aime en toute Elle et tu rallies En toi seule tout l'amour : Moi ! **** *creator_verlaine *book_verlaine_chair *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_chair *dist2_verlaine_verse_verse *id_p175 *date_1896 ET DERNIÈRE Car mon cœur, jamais fatigué D'être ou du moins de le paraître, Quoi qu'il en soit, s'efforce d'être Ou de paraître fol et gai. Mais, mieux que de chercher fortune Il tend, ce cœur, dur comme l'arc De l'Amour en plâtre du parc, A se détendre en l'autre et l'une Et les autres : des cibles qu'on Perçoit aux ventres des nuages Noirs et rosâtres et volages Comme tels désirs en flocon. **** *creator_verlaine *book_verlaine_chair *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_chair *dist2_verlaine_verse_verse *id_p176 *date_1896 LOGIQUE Quand même tu dirais Que tu me trahirais Si c'était ton caprice, Qu'est-ce que me ferait Ce terrible secret Si c'était mon caprice ? De quand même t'aimer, — Dusses-tu le blâmer, Ou plaindre mon caprice, D'être si bien à toi Qu'il ne m'est dieu ni roi Ni rien que ton caprice ? Quand tu me trahirais, Eh bien donc, j'en mourrais Adorant ton caprice ; Alors que me ferait Un malheur qui serait Conforme à mon caprice ? **** *creator_verlaine *book_verlaine_chair *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_chair *dist2_verlaine_verse_verse *id_p177 *date_1896 ASSONANCES GALANTES I Tu me dois ta photographie A la condition que je Serai bien sage — et tu t'y fies ! Apprends, ma chère, que je veux Être, en échange de ce don Précieux, un libertin que L'on pardonne après sa fredaine Dernière en faveur d'un second Crime et peut-être d'un troisième. Cette image que tu me dois Et que je ne mérite pas, Moyennant ta condition Je l'aurais quand même tu me La refuserais, puisque je L'ai là dans mon cœur, nom de Dieu ! II Là ! je l'ai, ta photographie Quand t'étais cette galopine, Avec, jà, tes yeux de défi, Tes petits yeux en trous de vrille, Avec alors de fiers tétins Promus en fiers seins aujourd'hui. Sous la longue robe si bien Qu'on portait vers soixante-seize Et sous la traîne et tout son train, On devine bien ton manège D'abord jà, cuisse alors mignonne, Ce jourd'huy belle et toujours fraîche ; Hanches ardentes et luronnes, Croupe et bas ventre jamais las, A présent le puissant appât, Les appas, mûrs mais durs qu'appètent Ma fressure quand tu es là Et quand tu n'es pas là, ma tête ! III Et puisque ta photographie M'est émouvante et suggestive A ce point et qu'en outre vit Près de moi, jours et nuits, lascif Et toujours prêt, ton corps en chair Et en os et en muscles vifs Et ton âme amusante, ô chère Méchante, je ne serai « sage » Plus du tout et zut aux bergères Autres que toi que je vais sac- Cager de si belle manière ; — Il importe que tu le saches — Que j'en mourrai, de ce plus fier Que de toute gloire qu'on prise Et plus heureux que le bonheur ! Et pour la tombe où mes gens gisent, Toute belle ainsi que la vie, Mets, dans son cadre de peluche, Sur mon cœur, ta photographie. **** *creator_verlaine *book_verlaine_chair *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_chair *dist2_verlaine_verse_verse *id_p178 *date_1896 LES MÉFAITS DE LA LUNE Sur mon front, mille fois solitaire, Puisque je dois dormir loin de toi, La lune déjà maligne en soi, Ce soir jette un regard délétère. Il dit ce regard — pût-il se taire ! Mais il ne prétend pas rester coi, — Qu'il n'est pas sans toi de paix pour moi ; Je le sais bien, pourquoi ce mystère, Pourquoi ce regard, oui, lui, pourquoi ? Qu'ont de commun la lune et la terre ? Bah, vite reviens, assez de mystère ? Toi, c'est le soleil, luis clair sur moi ! **** *creator_verlaine *book_verlaine_chair *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_chair *dist2_verlaine_verse_verse *id_p179 *date_1896 MONEY ! Ah oui, la question d'argent ! Celle de te voir pleine d'aise Dans une robe qui te plaise, Sans trop de ruse ou d'entregent : Celle d'adorer ton caprice Et d'aider s'il pleut des louis, Aux jeux où tu t'épanouis, Toute de vice et de malice. D'être là, dans ce Waterloo, La vie à Paris, de réserve, Vieille garde que rien n'énerve Et qui fait bien dans le tableau ; De me priver de toute joie En faveur de toi, dusses-tu Tromper encore ce moi têtu Qui m'obstine à rester ta proie ! Me l'ont-ils assez reprochée ! Ceux qui ne te comprennent pas, Grande maîtresse que d'en bas J'adore, sur mon cœur penchée, Amis de Job aux conseils vils, Ne s'étant jamais senti battre Un cœur amoureux comme quatre A travers misère et périls ! Ils n'auront jamais la fortune Ni l'honneur de mourir d'amour Et de verser tout leur sang pour L'amour seul de toi, blonde ou brune ! **** *creator_verlaine *book_verlaine_chair *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_chair *dist2_verlaine_verse_verse *id_p180 *date_1896 LA BONNE CRAINTE Le diable de Papefiguière Eut tort, d'accord, d'être effrayé   De quoi, bons Dieu ! Mais que veut-on que je requière A son encontre, moi qui ai   Peur encore mieux ? Eh quoi, cette grâce infinie Délice, délire, harmonie   De cette chair, O femme, ô femmes, qu'est la vôtre Dont le mol péché qui s'y vautre   M'est si cher Aboutissant, c'est vrai, par quelles Ombreuses gentiment venelles   Ou richement, Légère toison qui ondoie, Toute de jour, toute de joie   Innocemment, Or frisotté comme eau qui vire Où du soleil tiède qui se mire   Et qui sent fin, Lourds copeaux si minces ! d'ébène Tordus, sans nombre, sous l'haleine   D'étés sans fin Aboutissant à cet abîme Douloureux et gai, vil, sublime,   Mais effrayant On dirait de sauvagerie, De structure mal équarrie,   Clos et béants. Oh ! oui, j'ai peur, non pas de l'antre Ni de la façon qu'on y entre   Ni de l'entour, Mais, dès l'entrée effectuée Dans l'âpre caverne d'amour,   Qu'habituée Pourtant à l'horreur fraîche et chaude, Ma tête en larmes et en feu, Jamais en fraude, N'y reste un jour, tant vaut le lieu ! **** *creator_verlaine *book_verlaine_chair *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_chair *dist2_verlaine_verse_verse *id_p181 *date_1896 MINUIT Et je t'attends en ce café, Comme je le fis en tant d'autres. Comme je le ferais, en outre, Pour tout le bien que tu me fais. Tu sais, parbleu ! que cela m'est Égal aussi bien que possible : Car mon cœur il n'est telles cibles... Témoin les belles que j'aimais... Et ce ne m'est plus un lapin Que tu me poses, salle rosse, C'est un civet que tu opposes Vers midi à mes goûts sans freins. Janvier 1895. **** *creator_verlaine *book_verlaine_chair *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_chair *dist2_verlaine_verse_verse *id_p182 *date_1896 VERS EN ASSONANCES Les variations normales De l'esprit autant que du cœur, En somme, témoignent peu mal En dépit de tel qui s'épeure, Parlent par contre, contre tel Qui s'effraierait au nom du monde Et déposent pour tel ou telle Qui virent ou dansent en rond... Que vient faire l'hypocrisie Avec tout son dépit amer Pour nuire au cœur vraiment choisi. A l'âme exquisément sincère Qui se donne et puis se reprend En toute bonne foi divine, Que d'elle, se vendre et se rendre Plus odieuse avec son spleen. Que la faute qu'elle dénonce, Et qu'au fait, glorifier, Plutôt, en outre, hic et nunc, L'esprit altier et l'âme fière ! **** *creator_verlaine *book_verlaine_chair *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_chair *dist2_verlaine_verse_verse *id_p183 *date_1896 VERS SANS RIMES Le bruit de ton aiguille et celui de ma plume Sont le silence d'or dont on parla d'argent. Ah ! cessons de nous plaindre, insensés que nous fûmes Et travaillons tranquillement au nez des gens ! Quant à souffrir, quant à mourir, c'est nos affaires Ou plutôt celles des tocs tocs et des tic tacs De la pendule en garni dont la voix sévère Voudrait persévérer à nous donner le trac De mourir le premier ou le dernier. Qu'importe, Si l'on doit, ô mon Dieu, se revoir à jamais ? Qu'importe la pendule et notre vie, ô Mort, Ce n'est plus nous que l'ennui de tant vivre effraye ! **** *creator_verlaine *book_verlaine_chair *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_chair *dist2_verlaine_verse_verse *id_p184 *date_1896 « LA CLASSE » Allez, enfants de nos entrailles, nos enfants A tous qui souffririons de vous savoir trop braves Ou pas assez, allez, vaincus ou triomphants Et revenez ou mourez... Tels sont fiers et graves, Nos accents, pourtant doux, si doux qu'on va pleurer, Puisqu'on vous aime mieux que soi-même — mais vive La France encore mieux, puisque, sans plus errer, Il faut mourir ou revenir, proie ou convive ! Revenir ou mourir, cadavre ou revenant, Cadavre saint, revenant pire qu'un cadavre En raison des chers torts et revenant planant Comme des torts sur un cœur tendre que l'on navre. S'en revenant estropiés ou bien en point Sous le drapeau troué, parbleu ! de mille balles, Ou, nom de Dieu ! pris et repris à coups de poing ! O nos enfants, ô mes enfants — car tu t'emballes, Pauvre vieux cœur pourtant si vieux, si dégoûté De tout, hormis de cette éternelle Patrie. Liberté ! Égalité ! Fraternité ? Non ! pas possible !... Enfin, enfants de la Patrie, Allez, — et tâchez donc de sauver la Patrie. Paris, 17 novembre 1894. **** *creator_verlaine *book_verlaine_chair *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_chair *dist2_verlaine_verse_verse *id_p185 *date_1896 FOG ! Pour Mme⁎⁎⁎ Ce brouillard de Paris est fade, On dirait même qu'il est clair Au prix de cette promenade Que l'on appelle Leicester Square Mais le brouillard de Londres est Savoureux comme non pas d'autres ; Je vous le dis et fermes et Pires les opinions nôtres ! Pourtant dans ce brouillard hagard Ce qu'il faut retenir quand même C'est, en dépit de tout hasard, Que je l'adore et qu'elle m'aime. **** *creator_verlaine *book_verlaine_chair *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_chair *dist2_verlaine_verse_verse *id_p186 *date_1896 A MADAME⁎⁎⁎ Notre-Dame de Santa Fé de Bogota, Qui vous apprêtez à faire le tour de ce monde, Or, mon émotion serait trop profonde Dans le chagrin réel dont mon cœur éclata, A la nouvelle de ce départ déplorable, Si je n'avais l'orgueil de vous avoir à ta- Ble d'hôte vue ainsi que tel ou tel rasta, Et de vous devoir ce sonnet point admirable Hélas ! assez, mais que voici de tout mon cœur Tel que je l'ai conçu dans un rêve vainqueur, Dont, hélas ! je reviens avec le bruit qui grise. D'un tambourin, bruyant sans doute mais gentil D'être, grâce à votre talent de femme exquise- Ment amusant, décoré d'un doigt subtil. **** *creator_verlaine *book_verlaine_chair *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_chair *dist2_verlaine_verse_verse *id_p187 *date_1896 A Mme JEANNE Je vous ai promis mon baiser pour ce soir, En revanche vous m'avez promis la récompense Certes imméritée, et voici que j'y pense ! Et depuis lors je vis en un si doux et vague espoir ! Mais que pour l'avenir serait donc noir Si, pendant que je rêve à la bonne bombance Espérée et promise, et voici que je panse La blessure que me ferait de ne pas voir De mes yeux, presque en pleurs dans cette incertitude, Vos yeux sourire avec plus de mansuétude Que de coutume avec l'œuvre et de plus l'auteur. Et j'ai fait ces vers-ci, qu'il fallait que je fisse. Ne vous faisant d'ailleurs pas d'autre sacrifice Que de vous plaire un peu, bien qu'un peu radoteur.