**** *creator_verlaine *book_verlaine_dansleslimbes *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_dansleslimbes *dist2_verlaine_verse_verse *id_p13 *date_1894 I Je vis à l'hôpital comme un bénédictin Des vrais bons temps, faisant mon salut en latin, Docte, pieux, ça va de soi, mais plutôt, dame ! D'octe : l'on est bénédictin en Notre-Dame D'abord, après le père Éternel et Jésus, Ensuite en saint Benoit, conformément aux us ; Puis, humblement, fils doux et soumis de l'Église, Mère très tendre, en l'érudition permise. Mais l'instant attendu survenant, on se prend Ou plutôt se reprend à ne songer qu'au grand But, le ciel par Benoît. Jésus et Notre-Dame Dans le Père Éternel qui, si bon, nous réclame. Ici, je fais des vers, de la prose, et de tout Pour toi, chérie, pour toi seule, et fort jusqu'au bout, J'attends, quand ma journée est faite, ta venue Et tu viens, puissante et souriant, devenue Une apparition presque à mon cœur tout coi, Tout extasié, Car Notre-Dame, c'est toi. Décembre 1892. **** *creator_verlaine *book_verlaine_dansleslimbes *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_dansleslimbes *dist2_verlaine_verse_verse *id_p14 *date_1894 II Hélas ! tu n'es pas vierge ni Moi non plus. Surtout tu n'es pas La Vierge Marie et mes pas Marchent très peu vers l'infini De Dieu ; mais l'infini d'amour, Et l'amour c'est toi, cher souci, Ils y courent, surtout d'ici, Lieu blême où sanglote le jour. Ils y courent comme des fous, Saignant de n'être pas ailés ; Puis s'en revienne désolés De la porte fermée à tous Espoirs certains, et résistant A tels efforts pour t'enfin voir En plein grand jour par un beau soir Mué tôt en nuit douce tant ! Ah ! Limbes où non baptisés Du platonisme patient Vont, pitoyablement criant Et pleurant mes désirs brisés. Décembre 1892. **** *creator_verlaine *book_verlaine_dansleslimbes *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_dansleslimbes *dist2_verlaine_verse_verse *id_p15 *date_1894 III O tes manières de venir ! J'y mets du mien Aussi, mais toi, que c'est gentil quand c'est du tien ! Oui, tes manières de t'y prendre pour venir Me voir et m'étonner à ne plus en finir. C'est tous les jours et du charmant et du nouveau. Sans cesse en équilibre et jamais de niveau. Hier je te voyais, derrière mon palier, Descendre vivement le premier escalier Pour remonter le mien de ton pas net et preste M'apercevant alors, quel prompt, quel joli geste De sembler retourner, pour ne faire que mieux Et mon plaisir et mon bonheur de pauvre vieux Encore vert en me sautant si fort, exprès, Au cou, que j'en palpite très longtemps après D'un tel bonheur, et, sarpejeu ! de quel plaisir ! Aujourd'hui, comme tu tardais, moi de saisir Ma plume, et la laissant débridée, et tournant Le dos à la porte d'entrée, ô l'étonnant Aspect, de travailler pupitrant mon lit même, Encre, buvard, papier tout à quelque poème, Quand soudain je sens un baiser comme un acier Que, traîtresse, en mon cou tu plonges tout entier ; Et moi, je te le rends sur le cou par devant Au lieu de par derrière ainsi qu'auparavant. Question de position, — gosse, gamin — Demain ce sera mieux encore, après demain Mieux encor. O petits, bonheurs de mon malheur ! C'est peut-être après tout ce qu'il est de meilleur, Et j'oublie en ces jeux la volupté brutale, Bonne certes, mais moins, qui sait ? que l'idéale. **** *creator_verlaine *book_verlaine_dansleslimbes *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_dansleslimbes *dist2_verlaine_verse_verse *id_p16 *date_1894 IV Bonjour. Chéri ! J'arrive de bonne heure, pas ? Pas trop. Tu n'es jamais content. C'est vrai, là-bas On fait queue et c'est long. Puis aujourd'hui l'on fouille, Je sais, jeudi ! Ça prend du temps. Et l'on farfouille Et l'on trifouille, et toi, tu bafouilles. Le mieux, Pour éviter tout ça, serait, mon pauvre vieux, Moi, ne plus venir ni jeudi ni dimanche. Tiens, au fait, de ne plus venir du tout, bath flanche ! Méchante ! Et comment va ! Mieux. Tant pis, l'Infernal ! Mieux depuis que tu es là. Zut avec ton banal, Ton vulgaire « depuis que t'es là ». C'est que, c'est que... C'est que : c'est que, tu m'as l'air... c'est que... Zut ! avecque Tes boniments toujours les mêmes. C'est mon cœur Qui parle. O oui ! Toi pas là, je meurs de langueur. As-tu fini ? Pourquoi toujours dure ? Eh, je blague ! T'es bête, quand je ris, tu geins, toi, t'as du vague A l'âme. Que c'est drôle ! Un homme comme toi Qu'on dit spirituel, très bête auprès de moi. Tiens, devant toi, j'ai comme peur... Je suis si belle ? Pour changer, tu reçois, dis, un tel, une telle, Une telle, un tel, tu sais que je te défends Absolument de les recevoir et te rends, S'ils viennent, responsable, et, pour ta pénitence, Tu ne me verras plus jamais. J'... O rouspétance Détestable ! Ne réponds pas et fais le mort. Je ne veux pas ici de ces gens-là. D'accord, Là, j'obéis, Bien sûr ? Oui. Cette femme ignoble, Je lui ferais une conduite de Grenoble Telle qu'elle s'en souviendrait en Paradis ! Quant aux autres... Je les consigne, je te dis. C'est qu'avec toi je suis toujours sur le qui-vive. T'es gentil quand moi là, moi pas là, tout arrive ! Monsieur fait son fendant, il se laisse mener. Il dit du mal de moi... Çà, non ! Va donc crâner ! Mais assez — t'es mignon — de mines furieuses. Embrasse... Et causons de choses plus sérieuses. **** *creator_verlaine *book_verlaine_dansleslimbes *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_dansleslimbes *dist2_verlaine_verse_verse *id_p17 *date_1894 V Tu m'as donné, non point à tort, Mais certe avec juste raison, Ce surnom d'infernal, c'est fort Bien ; n'as-tu pas toujours raison ? En effet, malgré la sincère, Plus pur sincère, entière amour, Que je te voue et tout entière, Sincère que soit cette amour. Mon caractère diabolique Parfois ne sait pas abaisser Un orgueil vraiment babélique Qui, lui, ne veut pas s'abaisser. Ah ! courbe-le, mon caractère, Piétine-le donc sous le tien : Mon cœur, t'est là pour partenaire. Mon âme est là pour ton soutien. Mon cœur qui t'a donné ma vie, Mon âme dont tu tiens les sceaux ! Pardon pour mes péchés d'envie, De colère, et tous crimes sots. D'ailleurs je les expie assez Toutes ces mes infractions Loin de toi, sauf en laps pressés, Par de telles privations ! **** *creator_verlaine *book_verlaine_dansleslimbes *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_dansleslimbes *dist2_verlaine_verse_verse *id_p18 *date_1894 VI Le lieu des adieux (pas éternels), — la saison Dernière était au coin de la basse maison Tout rouge — la tuile et la brique y fourmillent (Vis-à-vis le gazon bordé de camomille) Qui sert de local à des services divers. Là l'heure ayant sonné de son timbre pervers, Nous enjoignant de nous séparer tout de suite, Hélas ! avant qu'hélas ! tu ne prennes la fuite, Je t'embrassais si fort que toi tu ne pouvais T'empêcher de rire aux éclats, et ne savais Pour lors me refuser un baiser sur la bouche, Un gros, frais, long baiser partagé, puis, farouche Pour la forme — c'était presque en public, des yeux Pouvaient nous voir, en malins, ou pics, officieux, Des langues bavardes, et quel scandale ! et leste, Cruellement, tu me quittais, instant céleste Et diabolique, avec ces mots : « Je ne viens plus. » Car, sachant bien que tu viendrais, irrésolus Toutefois, mes désirs fous tantôt ivres d'ire Et de larmes, tantôt pleins d'espoir à ton dire, Se souvenant de la chère intonation Et de la gentiment taquine intention, Me balançaient dans une fausse inquiétude, Jusqu'au lendemain, tendre amie au verbe rude. **** *creator_verlaine *book_verlaine_dansleslimbes *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_dansleslimbes *dist2_verlaine_verse_verse *id_p19 *date_1894 VII Aux tripes d'un chien pendu Tu m'assimiles parfois. M'engueulant de cette voix Idoine à ce propos dû. Tu me dis, robuste et grasse, Assez souvent, qu'un beau jour Ce serait si bien mon tour Que le diable en crierait grâce ! Mon tour d'écoper, car tu Ne te mouches pas du pied Pour manier comme il sied La gifle, et c'est ta vertu De n'avoir pas peur d'un homme, Fût-il fort comme un millier, Et ton geste familier Tu n'en es pas économe... Ainsi nous nous disputons (Tu me disputes du moins), Prenant les dieux à témoins, Sacrant, jurant, puis battons En retraite l'un vers l'autre Après tel combat fatal, Distraction d'hôpital, Bonne fille et bon apôtre. En retraite, oui, nous battons L'un vers l'autre et nous baisons Sur la bouche et ces façons Je les aime encor mieux que des coups de bâtons. Décembre 1892. **** *creator_verlaine *book_verlaine_dansleslimbes *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_dansleslimbes *dist2_verlaine_verse_verse *id_p20 *date_1894 VIII Voilà bien le déjà quantième jour de l'an Que tu me vois ici : le premier c'était en ⁎⁎⁎ Ah ! mon amour est vieux déjà de plus d'un lustre ; Et comme un qui s'accoude à même tel balustre Et paresseusement resonge aux biens, aux maux, Aux insignifiants événements, faits, mots, Pensers, de cette part quelconque de sa vie, Ainsi, moi, je souffre à nouveau colère, envie, Trahison : je jouis après des jours, des jours Et des jours et des jours et des bonnes amours Et des espoirs remplis jadis, et de la vie Enfin ! et malgré trahison, colère, envie ! Mais de tous ces memoranda le meilleur c'est Toi, quand ta forme, aimée à l'infini, glissait D'un pas léger malgré la majesté du buste Vers moi tout rassuré dès lors par ta voix, juste Au point par ma langueur loin de toi, douce voix, Divine voix dont les gaîtés sont des pavois Où trônent mes désirs triomphals en cette heure. La voix s'envole, mais le souvenir demeure. 1er janvier 1893. **** *creator_verlaine *book_verlaine_dansleslimbes *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_dansleslimbes *dist2_verlaine_verse_verse *id_p21 *date_1894 IX Des méchants, ou, s'ils aiment mieux, des indiscrets Sinon des envieux que je pardonnerais, S'ils ne te faisaient pas, bon chéri, de la peine, Tant leur manège est nul, tant leur malice est vaine, Ont essayé, même s'efforcent d'essayer A nouveau de nous désunir, d'entre-bailler La porte à la querelle, au soupçon qui gourmande, A la colère à qui lors, l'ouvrir toute grande Et qui rugit avec un couteau dans la main. Honnêtes lagos passez votre chemin. Comme si ce n'était assez de mes misères, Des ennuis de partout me griffant de leurs serres En attendant de m'emporter je ne sais où, Voici sortir je ne sais quels serpents d'un trou Pour taquiner mes pieds clapotant dans leurs vases. Heureusement, amie, ô toi, tu les écrases, Femme bonne que le mépris arme et défend, Femme bonne qui me défends comme un enfant, Femme douce qui me souris, femme sublime, O ma femme, qui recevras mon souffle ultime ! **** *creator_verlaine *book_verlaine_dansleslimbes *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_dansleslimbes *dist2_verlaine_verse_verse *id_p22 *date_1894 X Ils ont rampé jusques ici, Dans ces limbes où je soupire Après toi lointaine, ô martyre ! Ils ont rampé jusques ici. Guettant ta venue et l'instant Propice pour, devant ma face, T'insulter, limiers sur ta trace, Guettant ta venue et l'instant. T'insulter, or, c'est m'insulter, Au centuple, et certes pour ce Ils auront lieu d'apprendre que T'insulter, or, c'est m'insulter. Viens, bien-aimée, et, va, vivons En paix loin du monde imbécile : « La vie est là, simple et tranquille ». Viens, bien-aimée, et, va, vivons ! **** *creator_verlaine *book_verlaine_dansleslimbes *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_dansleslimbes *dist2_verlaine_verse_verse *id_p23 *date_1894 XI Oh ! tu n'es pas une savante Et je t'en félicite fort, Et je t'en loue et je t'en vante, Et qui me censure il a tort, Car ta finesse toute nue Sans vains mots et sans gestes faux, Car ta ruse mieux qu'ingénue, Car ta rouerie aux plans nouveaux, Car jusqu'à ta « méchanceté », Comme ces bons pantes-là disent, Nous défendent de leur bêtise... Ta méchanceté ? ta bonté ! Car ces vertus d'entre les tiennes, Me vont mieux, te vont mieux aussi, Bien qu'on n'en chante pas l'antienne, Que d'autres fleurant de moisi. Ils disent encore, les gens, Que tu n'es pas intelligente, Eux, ce qu'ils sont intelligents, C'en est une chose touchante. Il parait que tu ne comprends Pas les vers que je te soupire, Soit ! et cette fois je me rends ! Tu les inspires, c'est bien pire. **** *creator_verlaine *book_verlaine_dansleslimbes *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_dansleslimbes *dist2_verlaine_verse_verse *id_p24 *date_1894 XII Oui, tu m'inspires, Muse et que non pas Musette ! Philomène et non pas Lisette, Philomène Telle quelle, « nature », et parbleu ! très humaine Et très divine aussi, très déesse, mazette ! Ma Philomène avait du bon sens dans sa tête Et de la fantaisie au cœur, de la meilleure Et du meilleur bon sens, celui qu'à la male heure Sollicite le mien de bon sens de poète ! Ta fantaisie elle est immense, active, ardente, Gaîté mêlée à de sombre mélancolie. Quelle chaude gaîté quand ton chagrin s'oublie, Ce chagrin qui pudiquement rêve en sa tente. Quant à ta bonté, c'est ma vie et c'est mon être Sans elle je languis dans ma fade ironie. Par elle je retrouve une aube bénie Toutes naïvetés où le jour va renaître, Le beau jour baptismal de mon adolescence ! Tu me rends la jeunesse et les belles folies, O muse mienne, ô femme mienne, tu délies Et ma langue et mon âme. O plus, dis, plus d'absence ! **** *creator_verlaine *book_verlaine_dansleslimbes *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_dansleslimbes *dist2_verlaine_verse_verse *id_p25 *date_1894 XIII O ! l'absence ! le moins clément de tous les maux ! J'ai dit jadis que l'absence Est le plus cruel des maux, On s'y berce avec des mots, C'est l'horreur de la puissance Sans la consolation Du moins de quelque caresse, On meurt sans qu'il y paraisse On est mort, dis-je, et si on Feint de respirer encore, C'est bien machinalement. O ce découragement A voir se lever l'aurore, Or, depuis que dans ces lieux Je souffre, — dès toi venue, — Par quelle force inconnue, Allé-je infiniment mieux ? C'est l'histoire de l'éphèbe Mourant de la vierge au loin ! Qu'elle arrive et soit témoin, Comme il nargue et fuit l'Érèbe ! Et tant que j'y resterai, Accours en ce limbe blême : Moi qui déjà t'aime et t'aime, O que je t'adorerai ! **** *creator_verlaine *book_verlaine_dansleslimbes *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_dansleslimbes *dist2_verlaine_verse_verse *id_p26 *date_1894 XIV C'est fait, littéralement je t'adore ! On adore Dieu, créateur géant. Or ne m'as-tu pas, plus divine encore, Tiré de toutes pièces du néant ? Dieu que je bénis puisqu'il est le Père Du moins pour nous faire avec mieux que rien Toi tu n'avais rien, mais rien pour me faire Tel que me voici, ta chose et ton bien. Rien, pas même du limon comme l'Autre. Je m'étais éventé dans le Pédant Plus que mort, pas né, brume qui se vautre Aux fondrières d'un art décadent. Fantôme perdu dans des fantaisies, Fantasques, hélas ! moins encor que quoi Que ce soit qui fût, vacantes, moisies. Ah ! c'était du propre et du beau que moi ! Tu parus ! Je naquis sous ta prunelle, Du sang me battit, de la chair me vint, Par degrés rapides une éternelle Amour m'investit qui vivait pour vingt. Amour de latrie et d'idolâtrie Où s'épura mon pauvre orgueil lettré, Où la vérité rude, mais chérie A force de bonté m'a retiré. Du rêve égoïste et me fait le frère, Non, le cerf que tu daignes fraternel, L'esclave de la volonté sévère A juste titre en son vœu maternel Presque, puisque tu me diriges, guides, Protèges encontre le monde, aussi Contre moi-même, ô trop, que trop rapides Délices ! Conjugal, ce vœu si tien ! Si Que je peux dire, moi, que je t'adore, Toi qui, comme le Créateur géant, M'as, plus puissante et meilleure encore, Tiré de toutes pièces du néant. **** *creator_verlaine *book_verlaine_dansleslimbes *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_dansleslimbes *dist2_verlaine_verse_verse *id_p27 *date_1894 XV Je blasphémais Dieu, c'est le Père et le Maître, Tous deux venons de lui, c'est la source de l'Être Et je ne t'aime autant que par sa volonté. Jésus a sur la croix d'avance racheté Mes péchés — et les tiens, car tu pêches, chérie, Bien qu'à mes yeux qui te sont toute idolâtrie, Tes fautes soient encor de justes actions ; Mais mes yeux ne sont pas des yeux d'ange : prions Donc qu'il nous soit donné dans la paix que procure La conscience de bien faire, la foi pure Et simple, de façon à vivre — saintement ? Hélas, non ! mais, du moins, gentiment, bontément, Afin que le prochain qui voit nos calmes joies Et nos calmes chagrins et nos cœurs plus les proies Comme autrefois, de ces torts affreux et cruels, S'édifie, à défaut, nous laisse à nos réels Soins d'être heureux seuls et nous imite... à distance Vive, oui, n'est-ce pas, vienne cette existence ! **** *creator_verlaine *book_verlaine_dansleslimbes *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_dansleslimbes *dist2_verlaine_verse_verse *id_p28 *date_1894 XVI Hélas ! je crains fort pour nous deux Avec nos fichus caractères, Des avalanches, des cratères Mieux que fous, pis que hasardeux. Un zeste de raison nous reste Pour prévoir et, par conséquent, Pour aimer et chercher le qu'en- Dira-t-on, et : zut pour ce zeste ! Grasseye en garmin de Paris Ce notre caprice moins bête Encor que méchant quoique honnête, Et qui fait tout de nos esprits. Soit, plus de bride, à l'aventure. Liberté, libertas, et, sans Davantage ennuyer nos sens De réserves contre nature, Allons-y d'une noce en tout, L'amour, l'ivresse et tous les vices Amusants, et tous les sévices, Rendons-nous-les dès mis en goût. Tous les services aussi, folles Caresses et coups bien tapés, Défonçons tous les canapés. Toutes les querelles frivoles Et cruelles, payons-nous-les ! Bécotons-nous, puis tue, assomme ! Montre-toi femme, je suis homme, Griffe, je cogne. O pleurs salés, Cris, jurons ! et ô tendres plaintes, Sueurs dives, salives bien !... Or, mettant du tien et du mien, L'un dans l'autre sans plus de craintes D'en mal finir, lâche souci, Bah, vivons tels quels, car le pire, Pour moi du moins, serait de dire Un jour : elle n'est plus ici ! Si l'on doit vivre mal ensemble, Et bien, vivons mal ensemble, ou Mourons ensemble, car, seul, où, Comment vivre sans toi ? J'en tremble. Ainsi, sur mon lit d'hôpital Je m'agite en propos stériles. Là ! mes rêves, dormez tranquilles, Elle va venir, c'est fatal, C'est écrit, c'est la destinée ! — Et, comme elle est toute bonté, La voici dans sa majesté De reine mienne ramenée. **** *creator_verlaine *book_verlaine_dansleslimbes *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_dansleslimbes *dist2_verlaine_verse_verse *id_p29 *date_1894 XVII Un fiacre, demain, à huit heures Du matin, nous emportera Tous deux bien loin de ces demeures Devers tous les et cætera De la vie enfin reconquise, Bonheur, malheur, et toi toujours ! Car tu m'es la fête promise Ou le saut aux abîmes sourds. Cette fois comme les dernières Tu me jures bien d'en finir Avec tes mœurs aventurières Et de ne plus y revenir. Est-ce encore de la faiblesse Ou pressentiment de ma part ? Il me semble que ta promesse D'aujourd'hui d'un cœur loyal part, Pourtant tes yeux noirs, ô ma brune, De leur regard méchant et bon, Mystérieux comme la lune, Ne me disent ni oui ni non, Et le sourire qui te pare, Parfois semble avoir hésité Entre une malice barbare Et la naïve gaieté. Si tu savais ce que je souffre Dans ce misérable suspens, Me balançant des cieux au gouffre, Du gouffre morne aux cieux flambants, Des cieux flambants de toutes joies Au gouffre plein d'ombre et de mal, Tu pitoierais — et tu pitoies ? Ce pauvre vieux dit l'Infernal. Qu'importe, allons ! ô toi le maître Et la maîtresse. Il est demain, L'heure a sonné, vite au Peut-être Dont ton caprice est le chemin.