**** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p188 *date_1896 I PROLOGUE Je suis en train de commencer Un bouquin dont, affre muette ! Le titre duquel je m'enquête M'inquiète, au point de laisser Aller là mon esprit, sans trêve, A droite, à gauche, et nonobstant Mon cœur si faible et ta fille. Ève, Et, ô Seigneur, mon frère Adam ! Mais je m'égare en des pensées Qui, ci, ne sont pas de saison, Puisque mes rancunes, passées ? Non ? n'auraient aucune raison D'être, si la vie importune N'était là pour vous dire : « Assez. » Or vous allez voir si quelqu'une Ou quelqu'un pourrait me lasser Dans le pardon ou la rancune ! **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p189 *date_1896 II POST-SCRIPTUM AU PROLOGUE Mais, avant que d'entamer Ce livre où mon fiel s'amuse, Je récuse comme Muse Celle qui ne sut m'aimer, Celle à qui mon nom sut plaire, Quand j'avais un sou vaillant, Et qui me lâcha m'ayant Ruiné ; non en colère, Non pour tel ou tel grief, Sans nul doute un peu plausible, Mais de sang-froid, plus horrible Que tel criminel grief, Mais plus lâche que nature Contre un homme à terre par Le fait d'elle seule, car, Car... ô l'immonde aventure ! Je me tairai par grandeur Et mon fiel fier qui s'amuse Récuse à titre de Muse Cette épouse sans pudeur. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p190 *date_1896 III L'ART POÉTIQUE « AD HOC » Je fais ces vers comme l'on marche devant soi — Sans musser, sans flâner, sans se distraire aux choses De la route, ombres ou soleils, chardons ou roses — Vers un but bien précis, sachant au mieux pourquoi ! J'adore, autrement, certain vague, non à l'aine, Bone Deus ! mais dans les mots, et je l'ai dit — Et je ne suis pas ennemi d'un tout petit Brin de fleurette autour du style ou de la femme. Pourtant — et c'est ici le cas — j'ai mes instants Pratiques, sérieux si préférez, où l'ire Juste au fond, dans le fond injuste en tel cas pire, Sort de moi pour un grand festin à belles dents. Ce festin, je ferai des milliards de lieues Pour me l'offrir et le manger avec les doigts, Goulûment, salement, sans grand goût ni grand choix. Et j'inaugure aujourd'hui ce ruban de queues, A l'effet de me payer goujat et docteur, Niais ou vaurien, pute ou prude, ample provende ; Sang qui soûle, vraiment appétissante viande... — Surtout n'excusez pas les fautes de l'auteur ! **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p191 *date_1896 IV LITTÉRATURE Bons camarades de la Presse Comme aussi de la Poésie, Fleurs de muflisme et de bassesse ? Élite par quel Dieu choisie, Par quel Dieu de toute bassesse ? Confrères mal frères de moi Qui m'enterriez presque jadis Sous tout ce silence — pourquoi ? — Depuis l'affreux soixante-dix. Confrères mal frères de moi. Pourquoi ce silence mal frère Depuis de si longues années, Et tout à coup comme en colère Ces clameurs, comme étonnées, Pourquoi ce changement mal frère ! Ah, si l'on pouvait m'étouffer Sous cette pile de journaux Où mon nom qu'on feint de trouver Comme on rencontre des cerneaux. Se gonfle à le faire crever ! C'est ce qu'on appelle la Gloire ! — Avec le droit à la famine, A la grande misère noire Et presque jusqu'à la vermine — C'est ce qu'on appelle la Gloire ! **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p192 *date_1896 V METZ Je déteste l'artisterie Qui se moque de la Patrie Et du grand vieux nom de Français, Et j'abomine l'Anarchie Voulant, front vide et main rougie, Tous peuples frères — et l'orgie ! Sans autre forme de procès. Tous peuples frères ! Autant dire Plus de France, morne martyre, Plus de souvenirs, même amers ! Plus de la raison souveraine, Plus de la foi sûre et sereine, Plus d'Alsace et plus de Lorraine... Autant fouetter le flot des mers. Autant dire au lion d'Afrique : Rampe et sois souple sous la trique. Autant dire à l'aigle des cieux : Fais ton aire dans le bocage En attendant la bonne cage Et l'esclavage et son bagage. Autant braver l'ire des dieux ! Et quant à l'Art, c'est une offense A lui faire dès à l'avance Que de le soupçonner ingrat Envers la terre maternelle, Et sa mission éternelle D'enlever au vent de son aile Tout ennui qui nous encombrât. Il nous console et civilise, Il s'ouvre grand comme une église A tous les faits de la Cité. Sa voix haute et douce et terrible Nous éveille du songe horrible. Il passe les esprits au crible Et c'est la vraie égalité. O Metz, mon berceau fatidique, Metz, violée et plus pudique Et plus pucelle que jamais ! O ville où riait mon enfance, O citadelle sans défense Qu'un chef que la honte devance, O mère auguste que j'aimais. Du moins quelles nobles batailles, Quel sang pur pour les funérailles Non de ton honneur, Dieu merci ! Mais de ta vieille indépendance, Que de généreuse imprudence, A ta chute quel deuil intense, O Metz, dans ce pays transi ! Or donc, il serait des poètes Méconnaissant ces sombres fêtes Au point d'en rire et d'en railler ! Il serait des amis sincères Du peuple accablé de misères Qui devant ces ruines fières Lui conseilleraient d'oublier ! Metz aux campagnes magnifiques, Rivière aux ondes prolifiques, Coteaux boisés, vignes de feu, Cathédrale toute en volute, Où le vent chante sur la flûte, Et qui lui répond par la Mute, Cette grosse voix du bon Dieu ! Metz, depuis l'instant exécrable Où ce Borusse misérable Sur toi planta son drapeau noir Et blanc et que sinistre ? telle Une épouvantable hirondelle, Du moins, ah ! tu restes fidèle A notre amour, à notre espoir ! Patiente, encor, bonne ville : On pense à toi. Reste tranquille. On pense à toi, rien ne se perd Ici des hauts pensers de gloire Et des revanches de l'histoire Et des sautes de la victoire. Médite à l'ombre de Fabert. Patiente, ma belle ville : Nous serons mille contre mille, Non plus un contre cent, bientôt ! A l'ombre, où maint éclair se croise, De Ney, dès lors âpre et narquoise, Forçant la parte Serpenoise, Nous ne dirons plus : ils sont trop ! Nous chasserons l'atroce engeance Et ce sera notre vengeance De voir jusqu'aux petits enfants Dont ils voulaient — bêtise infâme ! — Nous prendre la chair avec l'âme, Sourire alors que l'on acclame Nos drapeaux enfin triomphants ! O temps prochains, ô jours que compte Éperdument dans cette honte Où se révoltent nos fiertés, Heures que suppute le culte Qu'on te voue, ô ma Metz qu'insulte Ce lourd soldat, pédant inculte, Temps, jours, heures, sonnez, tintez ! Mute, joins à la générale Ton tocsin, rumeur sépulcrale, Prophétise à ces lourds bandits Leur déroute absolue, entière Bien au-delà de la frontière, Que suivra la volée altière Des Te Deum enfin redits ! Paris, 17 septembre 1892. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p193 *date_1896 VI PORTRAIT ACADÉMIQUE Fleur de cuistrerie et de méchanceté Au parfum de lucre et de servilité, Et pousse en plein terrain d'hypocrisie. Cet individu fait de la poésie (Qu'il émet d'ailleurs sous un faux nom « pompeux » Comme dit Molière à propos d'un fossé bourbeux,) Sous l'empire il émargea tout comme un autre, Mais en catimini, car le bon apôtre Se donnait des airs de farouche républicain : Depuis il a retourné son casaquin Et le voici plus et moins qu'opportuniste. Mais de ses hauts faits j'arrête ici la liste Dont Vadius et Trissotin seraient jaloux. Pour conclure, un chien couchant aux airs de loups ! **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p194 *date_1896 VII A ÉDOUARD ROD Comme on baise une femme sur les cheveux, Sur les yeux, le cou, les seins, et tout partout, A rebrousse-poil bien entendu ! je veux Caresser ce Suisse et ce sot, de bout à bout C'est un écrivain comme on l'est en Suisse, C'est un professeur ainsi qu'on est un pion, Il est très élégant, telle une saucisse, Il est obstiné, pareil à tel... scorpion. Il est un monsieur qu'autre part on admire, Il est psychologue : aussi Georges Ohnet. Et tant de sottise est sienne qui s'expire, Que l'on se souvient mal de ce que l'on en connaît ! Ce Rod, qui n'est pas le fils du vieil Hérode, Pourquoi donc ? je n'en sais absolument rien, M'a traité, lui, débutant dès son exode, De bon écrivain, mais d'horrible vaurien... Or je reconnais peu le droit à ce cuistre D'apprécier ainsi mon pire et mon mieux, Et qu'il se taise, car un destin sinistre Est dû pour son style sentant le vieux. Et zut à la fin (et mieux) pour ses morales Qui ne sont qu'un tas blafard d'hypocrisies ! En toute liberté, mêmes aux immorales Liberté, libertas aux poésies ! **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p195 *date_1896 VIII ECCE ITERUM CRISPINUS Rod, ce maître des élégances, Genevois fringant et flûté Au prix, flagrances et fragrances, De qui Brummel est un raté. Rod qu'on surnomme Alcibiade De Berne à Lucerne et d'Uri Jusqu'en Baie, Rod un peu fade, Ce Rod ineffable a souri, Paraît-il, de ma mine affreuse- Ment peuple et sans nul galbe exquis Comme aussi de la malheureuse Absence en moi du ton marquis, Du verbe Watteau (sauf en rimes), Du je-ne-sais-quoi polisson De bonne compagnie, escrimes De mots, enfin de cet air..., son Air à lui, Rod qui si bien mêle La science à l'urbanité Et ne trouve pas de rebelle Aux champs non plus qu'en la cité... O maître tu me vois confondre Par ton verdict, en quel émoi ! Et je ne puis que te répondre : — « Je suis un honnête homme, moi ! » **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p196 *date_1896 IX LA BALLADE DE L'ÉCOLE ROMANE En ce siècle qui prend la fuite Nous possédions, déjà, très las Mais obstinés dans la poursuite D'un mieux toujours pas bien, hélas ! Des escholiers pour le soulas De cette folle monomane, Notre littéralure en bloc ; Mais tout cela c'était en toc : Salut à l'Ecole romane ! A bas Baju ! Qu'il meur' bien vite Sous les coups d'un vaillant Maurras. D'un Lynan, brillant néophyte, D'un Raynaud, tout zèle au pourchas De la gloire de Moréas, Que l'apocope se pavane Comm'drapeau fier dans le fier choc Sur les rangs fermes comme roc De la grande école romane ! A bas le symbolisme, mythe Et termite, et encore à bas Ce décadisme parasite Dont tels rimeurs ne voudraient pas ! A bas tous faiseurs d'embarras ! Amis, partons en caravane. Combattons de taille et d'estoc Que le sang coule comm' d'un broc Pour la sainte école romane ! Prince au prix de qui tout n'est qu'âne Laissez s'époumonner, tels phoqu's, Tous ces faquins, tous ces loufoqu's Et vive l'école romane ! **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p197 *date_1896 X JEAN-RENÉ Moréas et Ghil, Ghil et Moréas, Qui va vaincre ? hélas ! Est-ce au plus agile Qu'écherra la palme Ou bien au plus calme ? Hélas ! dites, quel Le victorieux Du jour glorieux ? Hélas ! car c'est qu'elles Sont si juste égales Leurs nobles fringales De gloire et de los, Et leur vertigos, Guerriers tant égaux Qu'il entre en ma glose De pleurer d'avance Attaque et défense. J'en ai comme un sourd De pressentiment Ç'ira tristement ! Sous la hache lourde Chacun des héros Mordre les carreaux... Gentes damoiselles Les oindront de bâmes, Prieront pour leurs âmes Et plus tard pucelles Diront leurs hauts faits En des vers mauvais. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p198 *date_1896 XI CONSEILS Ghil est un imbécile. Moréas N'en est foutre pas un lui, mais, hélas ! Il tourne ainsi que ce Ghil « chef d'école ». Et cela fait que de lui l'on rigole. Chef d'école au lieu d'étre tout de go Poète vrai comme le père Hugo, Comme Musset et comme Baudelaire, Chef d'école au lieu d'aimer et de plaire. Toujours parler et ne jamais chanter, Grammairien sans cesse à disserter En place d'un esprit, d'un cœur, d'une âme ! La glace du pédant, non plus la flamme Libre et joyeuse et folle par des fois D'un pur génie, ensemble glaive et voix ! Ghil ? Un comble, un comble et cela complète Son cas, mais Moréas est un poète ! Bon Jean quitte l'un peu trop rococo Geste de scander ton cocorico. Bon coq, chante clair et baise ta poule. Ghil est un crétin, toi, ne sois maboule Et puisque « Galathée a tout ton cœur », Dis-le sans plus que seul, libre et vainqueur ! **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p199 *date_1896 XII POUR MORÉAS Moréas dit que je suis sans talent, Et F.-A. Cazals que tant on renomme Dans les endroits où l'on se fait grand homme Chante ce fait qui me semble étoilant. Peut-être serais-je trop insolent En demandant, pour leur plaire enfin, comme Il faut s'y prendre, à moins d'être un Prudhomme Bien mis, correct, et bête, et s'en gonflant, Je ne m'en gonfle pas, je m'en gondole, Et je m'en vais au vent fou qui m'envole ; Vent fou moi-même et cœur si fou Dont il ne faut pourtant pas qu'on rigole, Mais si fier, en dépit de quelque pou Qui s'en arrange — et lors, je m'en console. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p200 *date_1896 XIII L'ÉTERNEL SOT L'éternel sot qui fut jadis Fréron Et maintenant se nomme Brunetière Mériterait une ode tout entière Pour l'exécration du fanfaron ! Du fanfaron de betise au ronron Affreux du chat pire que de gouttière, Mais non, un dur sonnet en êtrivière Suffit pour châtier tel lourd baron Du snobisme actuel comme de l'autre Et le voici pour l'autre et pour le nôtre Et pour le nôtre, hélas ! surtout. Car il n'est pire pédant pour déplaire Que celui qui, méprisable à tout bout De champ, nous insultait en Baudelaire. Mai 1893 **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p201 *date_1896 XIV ARCADES AMBO H. Fouquier, sans nul orthographe, Ne me trouve pas vertueux Suivant la guise de ses vœux, Et signe ce de son paraphe H. Fouquier, sans nulle vergogne, Estime trop insuffisant Mon style ancien et le présent, Et rien n'est égal à sa rogne. H. Fouquier auquel H.Feydeau Légua sa veuve avec des rentes Trouve « plutôt indifférentes », (Anglicé) très loin du vrai beau Et de la règle et de la norme Les choses qu'il croit que j'écris Pour lui plaire (!) et jette des cris D'une dimension énorme, Si j' ose ainsi parler. Ce gas Brandit la hache de son H Sur moi povre et d'un pas de vache Espagnole écrase mon cas... M⁎⁎⁎ ! Du moins qui suis, le sais Sinon que vaux ! Moules et crabes, Lui, c'est un cuistre en trois syllabes, En trois syllabes c'est un... Sais. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p202 *date_1896 XV A MONSIEUR LE DOCTEUR GRANDM⁎⁎⁎ INTERNE DES HÔPITAUX Tu fus inhumain De sorte cruelle. Tu fus inhumain De façon mortelle. Tu fus inhumain Sans rien de romain. Tu n'as d'un Romain... De la décadence, Tu n'as d'un Romain Que ta grosse panse. Tu n'as de Romain Que d'être inhumain. Tu fus dur et sec Comme un coup de trique. Tu fus dur et sec Comme une bourrique Qui ruerait avec Un rein dur et sec. Le pauvre à ta voix Tremblait comme feuille. Le pauvre — à ta voix ! Qu'épuise et qu'endeuille La faim, à la fois, La soif — et ces froids ! Et maudis sois-tu, Selon tes mérites, Donc maudit sois-tu, Vil bourreau dodu Oui, maudit sois-tu Suivant ta vertu ! **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p203 *date_1896 XVI DÉTESTANT TOUT CE QUI SENT... Si jamais quelques noms s'embrouillent sur ma lyre Ce ne sera jamais que Grivel et Grévil. Détestant tout ce qui sent la littérature, Je chasse de ce livre uniquement privé Tout ce qui touche à l'horrible littérature. Pourtant un mot, un simple mot, et puis c'est tout, Sur un faquin qui s'est permis des facéties A mon endroit. — Un simple mot et puis c'est tout. J'étais à l'hôpital, lequel ? Vraiment le sais-je, Étant si coutumier et du fait et du lieu ! J'étais à l'hôpital. Dire lequel ? Qu'en sais-je ? Or pendant ce temps-là de miens cuisants ennuis, De douleurs non pareilles et de quantes souffrances, Et pendant ce temps-là de miens cuisants ennuis, De remèdes amers, d'opérations dures, D'odeurs mauvaises, de misères et de tout ! O remèdes amers, opérations dures ! Ce monsieur crut plaisant de me couper en deux ! Le poète, très chic, l'homme, une sale bête. Voyez-vous ce monsieur qui me coupait en deux ? Rentre, imbécile, ton « estime », pour mes livres. Mais ton mépris pour moi m'indiffère, étant vil. Garde, imbécile, ton « estime » pour mes livres, Dernier des reporters, et premier de Graivil. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p204 *date_1896 XVII LES MUSES ET LE POÈTE Mœcenas, atavis edite regibus. le poète Muses de Gaillard et Ritt Chantons vite tes mérites Des Mécènes de la Seine : Disons vite que J. R⁎⁎⁎ N'est la moitié d'un escroc Mais le comble de l'obscène Proclamez très haut qu'Albert S⁎⁎⁎ que l'on révère Emmi plus d'un tribunal Est le parangon bien net De l'Éditeur déshonnête Et du puffisme infernal... Ne laissez pas croire à quiconque Que Deschamps prénommé donc Léon comme Léon Bloy Soit le Bienfaiteur qu'il prê- Tend être par mont et pré, En ville comme au « Village ». Ni le Souscripteur sublime Qu'il se trompettait olim En faveur de pauvre moi. Mais le temps est précieux, Laissons ces malgracieuses Figurines de notre âge. Paulo, modernistes Muses, Majora, hein ? canamus. Si nous causions politique ? Le chœur des actuelles Piérides. — Oui, car c'était là le hic. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p205 *date_1896 XVIII A UN MAGISTRAT DE BOUE souvenir de l'année 1885 Fous le camp, quitte vite et plutôt que cela   Nos honnêtes Ardennes Pour ton Auvergne honnête d'où déambula   Ta flemme aux lentes veines. Paresseux ! quitte ce Parquet pour encirer   De sorte littérale D'autres au pied de la lettre au lieu de t'ancrer,   Cariatide sale, Dans ce prétoire où tu réclames l'innocent   Pour le bagne et la geôle, Où tu pérores avec ton affreux accent   Pire encore que drôle, Mauvais robin qui n'as, du moins on me l'a dit,   Pour toi que ta fortune, Qui sans elle n'eusses, triste gagne-petit,   Gagné la moindre thune, Tu m'as insulté, toi ! du haut de ton tréteau,   Grossier, trivial, rustre ! Tu m'as insulté, moi ! L'homme épris du seul beau,   Moi, qu'on veut croire illustre. Tu parles de mes mœurs, espèce de bavard,   D'ailleurs sans éloquence, Mais l'injure quand d'un tel faquin elle part   S'appelle... conséquence. La conséquence est que, d'abord tu n'es qu'un sot   Qui pouvait vivre bête, Sans plus, — tandis que, grâce à ce honteux assaut   Vers un pauvre poète, Un poète naïf qui n'avait d'autre tort   Que d'être ce poète, As mérité de lui, paresseux qui t'endors   Poncif, laid, dans ta boète, (Comme tu prononces, double et triple auverpin)   Que les siècles à suivre Compissent, et pis ! ton nom, Grivel (prends un bain)   Grâce à ce petit livre. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p206 *date_1896 XIX AUTRE MAGISTRAT Je veux pour proclamer dignement ses louanges, M'aider du sistre d'or ainsi que font les anges   Célébrant le Seigneur, Et poète sans frein, plein d'un noble délire, Chanter, m'accompagnant aux cordes de la lyre,   Une ode en son honneur. Car il est grand, malgré son nom. Vastes contrastes : Grand, Petit. Et je veux choisir entre ses fastes   Un haut fait de renom... C'était voilà longtemps, environ quatre lustres, Deux voyageurs alors, ni l'un ni l'autre illustres,   Riches, je crois que non, S'arrêtèrent dans un buffet, dans une gare, Et ma foi, las et soûls de toute la bagarre   D'un train à bon marché, Burent sans trop compter, marcs, rhums, bitters, absinthes Et dame ! leur langage en paroles peu saintes   S'était, las ! épanché, Quand des gendarmes, représentant la morale Empoignèrent les imprudents, et, sépulcrale   Leur voix hurla : « Allaiz ! » Ils allèrent jusqu'au superbe hôtel de ville, De la ville (beffroi superbe et de quel style !)   Qui servait de palais. Il siégeait dans un cabinet d'acajou sombre Au milieu de cartons et de dossiers sans nombre.   Le spectacle imposant ! En favoris de coupe un peu Louis-Philippe — Et faux toupet avec, magistrale, une lippe   Idoine au cas présent. « Vos noms, professions, et cœtera. » Les autres De répondre conformément, en bons apôtres   D'ailleurs sûrs de leur fait. L'interrogat fini : « Bien, dit-il, qu'on reparte Pour Paris. » Alors, sans par trop perdre la carte   Et pendant qu'il se tait : L'un : « Mais qu'avons-nous fait pour qu'ainsi l'on nous traite En vagabond ? » Lui, « Silence ! Quelle défaite !   Or vous avez émis Des choses qu'on ne peut ouïr dans notre ville Presque sacrée à force d'être si tranquille.   Puis, vous êtes mal mis ! » **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p207 *date_1896 XX COMPLIMENT A UN AUTRE MAGISTRAT EN ARRAS Ceci vaut le classique hexamètre. Écoutez Religieusement, car ce sont vérités, Ma parole sacrée, ou le diable m'emporte ! Il s'agissait de mettre un couvent à la porte En vertu de décrets signés Jules Grévy. Et ce fut un scandale énorme tôt suivi D'un bien plus grand encor quand, pour le mémorable Assaut, la garnison pourtant considérable : Génie et train et ligne encor se renforçait De l'importante ville forte que l'on sait, De police rurale et de gendarmerie, — Plus, ultima ratio, de l'artillerie. Mais reprenons. Aux fins de sommer « l'ennemi » Composé de quatre vieillards, d'une demi- Douzaine d'ordinands et du portier, l'usage Veut que cela soit fait — l'usage est-il très sage ? — En pareil cas, par le Procureur du ressort. Or, dans l'espèce, le Procureur fit le mort. On cherche, on fouille, l'on trifouille, l'on déterre. Pas plus de Procureur que sur la main. Mystère ! Mystère ? Non ! assure-t-on dans les salons ; Non, clame-t-on dans les cafés. — « Eh mais, allons, Le Petit la connaît, le Petit n'est pas bête. » Cependant la Loi triomphait. Dieu ! quelle fête Pour la démocrassie et pour la liberté ! Solidaires dans l'indivisibilité. On enfonça la porte à coups de hache et d'autres Engins d'effraction, sous l'œil en patenôtres D'un monsieur laid titré commissaire central Ceint d'un large torchon tricolore ventral, Comme eût dit René Ghil pour termer une écharpe, Et les soldats honteux de cet exploit d'escarpe, L'arme au pied, attendaient le signal de tirer, De charger, de pointer, mais on put espérer Bientôt qu'on n'aurait point besoin de ces extrêmes Expédients, car bientôt s'en sortirent, blêmes Mais fermes, leurs paquets à la main, les vaincus Avec, au col, la main chacun de deux Argus. (Lisez : « policiers », mais les besoins de la rime !) Or pendant que l'on punissait ainsi le crime D'être chez soi priant, aumônieux et doux, Monsieur le Procureur, aux champs, soignait la toux Qui l'avait justement pris la veille des choses (Des oncles, bons chrétiens, s'étaient montrés moroses Devant le « devoir » incombant à leur neveu Qui, Ciel nouveau, luttant entre le monde et Dieu, Entre la révocation et l'héritage) Pris ce biais d'être malade. Après l'orage Il revint dans sa bonne ville, très guéri Et très bientôt, grâce à du zèle dru, nourri, — Tel le feu d'une armée au cœur d'une bataille — Se vit promu, malgré les rires, — faut qu'on raille ! — Président, s'il vous plaît, du Tribunal civil De la ville, et taxé par les uns d'être vil Par les autres d'être un malin... C'est bien la vie ! Magistrature que l'Europe nous envie ! 14 novembre 1891. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p208 *date_1896 XXI SONNET POUR LARMOYER Juge de paix mieux qu'insolent Et magistralement injuste, Qui vas massif, ventre ballant, Jambes cagneuses — et ce buste ! Je veux dire ton maltalent, Ta manière rustique et fruste D'être pédant... et somnolent ! Et sot, que de façon robuste ! Je n'ai pas oublié, non, non ! (Ce compliment de sorte neuve Que je te rime en est la preuve.) Je n'ai pas oublié ton nom, Tes rengaines ni ta bedaine. Ni ta dégaine — ni ma haine ! **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p209 *date_1896 XXII A CAIN M... « Je ne parlerai plus à Verlaine que pour les derniers sacrements. » Ce nouveau père de l'Église (Sous bénéfice d'inventaire) M'engueule et m'enjoint de me taire, Car mon œuvre le scandalise, Montrant ma plaie en même temps Qu'un peu de ma faible santé, Vu que l'homme est double et doté D'une âme — et de sens ægrotants. Il me maudit de belle sorte Et pour flétrir d'un blâme insigne Mes livres et leur plan indigne, Non, il n'y va pas de main morte. « Medice, cura te ipsum, Donne-moi l'exemple, ami cher, Répondrait sans trop rien d'amer, Ma jugeotte au farouche Dom. « La charité te le commande Non moins d'ailleurs que la logique. Prêche d'exemple, homme emphatique, Dont le pathos en l'air se bande. « Cesse de boire trop, de trop Aimer la femme et d'être au fond Le pire des cuistres qui font Traiter tel chrétien de salop. » Broussais, septembre 1893. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p210 *date_1896 XXIII ANECDOTE   Le poète, mourant de faim   Suivant l'immuable légende,   S'en alla frapper à la fin   Chez un éditeur de sa bande.   — Sa bande, car ce sont bandits   Que tels éditeurs et poètes —   A l'effet d'un maravédis   Ou deux, pour rompre ses diètes.   L'éditeur qui venait de ne   Vendre... qu'une édition toute,   Bref, répondit : « Mon vieux, vous me   Volez comme sur la grand'route. »   Le poète, toujours serein,   Et toujours serin, lui réplique :   Des voleurs comme moi, je crains Qu'il n'en soit pas assez pour le bien de la République. 25 février 1895. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p211 *date_1896 XXIV HOU ! HOU ! Swells de Brussels et gratin de la Campine, Malins de Malines, élégants de Gand, A Linos, Orpheus et leur race divine Jetez le caleçon, relevez leur gant.   Belges que vous êtes,   Chantez, mes amours,   De vos grands poètes   L'on rira toujours. Mais las ! j'oublie, et vous êtes pittoresque En même temps qu'esthétique et musical. Pour la couleur aucun ne vous vaut que presque Et votre Rubens marche mal votre égal.   Belges que vous êtes,   Peignez, mes amours,   De vos grands poètes   L'on rira toujours. L'esprit vous étouffe et les bords de la Senne N'ont que ceux de la Sprée en ça pour rivaux Et, de par Léopold, Köning der Belgen, Vos mots vont bien au niveau de vos travaux.   Belges que vous êtes,   Causez, mes amours,   De vos grands poètes   L'on rira toujours. Enfin c'est vrai que vous sonnez la diane Et nous aller « annexer » ainsi que dû. Heureusement, comme l'on dit, que la douane Est là pour une fois, bons messieurs, sais-tu ?   Belges que vous êtes,   Venez, mes amours,   De vos grands poètes   L'on rira toujours. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p212 *date_1896 XXV A L'ADRESSE DE D'AUCUNS Rompons ! Ce que j'ai dit, je ne le reprends pas. Puisque je le pensai, c'est donc que c'était vrai. Je le garderai jusqu'au jour où je mourrai Total, intégral, pur, en dépit des combats. De la rancœur très haute et de l'orgueil très bas, Mais comme un fier métal qui sort du minerai De vos nuages à la fin je surgirai, Je sursis, amitiés d'ennuis et de débats. O pour l'affection toute simple et si douce Où l'âme se blottit comme en un nid de mousse. Et fi donc de la sale « âme parisienne ». Vive l'esprit français, d'Artois jusqu'en Gascogne, De la Champagne et de l'Argonne à la Bourgogne, Et vive un cœur, morbleu ! dont un cœur se souvienne ! **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p213 *date_1896 XXVI UN ÉDITEUR Quelqu'un a-t-il connu Monsieur   Quelqu'un ici ? C'est un gros laid d'assez fadasse mine   Et bête aussi... Sa spécialité, c'est le scandale,   Pour de l'argent. C'est le pamphlet, chose en général sale.   (Suis-je indulgent ! J'aurais dû mettre et signer : odieuse,   Digne du pal Ou du moins d'une mort plus rigoureuse,   C'est tout le mal Que je souhaite à cette gent impie.)   Quant à Monsieur. S⁎⁎⁎, ce serait faire œuvre pie   Et trop d'honneur A ce brigand de la littérature   Qui vendrait Dieu Trente deniers, ou mieux, pour telle ordure   De son milieu De le passer au feu comme un Juif pire   Que ceux qu'il a Vitupérés ou du moins laissé dire   Ces choses-là. Je n'aime pas énormément la race   De feu Judas... Pourtant elle vaut eneor mieux que la crasse   De tout ce tas ! **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p214 *date_1896 XXVII BALLADE EN FAVEUR DE LÉON VANIER ET Cie Ce que j'aime, Dieu seul le sait. Autant que le diable l'ignore... J'aime d'abord ce qui me fait Plaisir, — puis ce qui presque encore (Telles, pillules que l'on dore) Me fait mal, peine, doute ou peur. Mais, mes amis, ce que j'adore Surtout, ce sont mes éditeurs. J'aime la femme, — un fait, ce l'est Indubitable, — comm' j'abhorre (Avec apocope) le laid ! J'aime l'absinthe bicolore : Verte et blanche, autant que j'honore De loin l'eau pure et ses horreurs. Mais ce qui vaut un : « Ah ! » sonore Surtout, ce sont mes éditeurs. Ils sont charmants, doux comme lait, Luisants comme louis qui se dore (Avec apocope) et qui plaît A tout le monde. Un los s'essore Et l'envieux que l'envi' fore (Avec apocop') — ses fureurs ! — (Avec idem) crèv' comm' pécore ; Mais, au fond, viv'nt mes éditeurs ! Du Kohinnor et de Lahore Princes trop grands, mais peu donneurs, C'est vers vous que je m'édulcore, Mes chers, mes tendres éditeurs. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p215 *date_1896 XXVIII BUSTE POUR MAIRIES Marianne est très vieille et court sur ses cent ans Et comme dans sa fleur ce fut une gaillarde, Buvant, aimant, moulue aux nuits de corps de garde, La voici radoteuse, au poil rare, et sans dents. La bonne fille, après ce siècle d'accidents, A déchu dans l'horreur d'une immonde vieillarde Qui veut qu'on l'a reluque et non qu'on la regarde, Lasse, hélas ! d'hommes, mais prête comme au bon temps Juvénal y perdrait son latin, Saint-Lazare Son appareil sans pair et son personnel rare, A guérir l'hystérique égorgeuse des Rois. Elle a tout, rogne, teigne... et le reste, et la gale ! Qu'on la pende pour voir un peu dinguer en croix Sa vie horizontale et sa mort verticale ! 1881 **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p216 *date_1896 XXIX STATUE POUR TOMBEAU La Gueule parle : « L'or, et puis encore l'or, Toujours l'or, et la viande, et les vins, et la viande, Et l'or pour les vins fins et la viande, on demande Un trou sans fond pour l'or toujours et l'or encor ! » La panse dit : « A moi la chute du trésor ! La viande, et les vins fins, et l'or, toute provende, A moi ! Dégringolez dans l'outre toute grande Ouverte du seigneur Nabuchodonosor ! » L'œil est de pur cristal dans les suifs de la face : Il brille, net et franc, près du vrai, rouge et faux, Seule perfection parmi tous les défauts. L'Ame attend vainement un remords efficace, Et dans l'impénitence agonise de faim Et de soif, et sanglote en pensant à La Fin. 1881 **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p217 *date_1896 XXX THOMAS DIAFOIRUS C'est le seul Paul parmi tant de Jules, d'Albert, De Léon (ces païens ont des noms de baptême) Et c'est le seul « savant » de tous ces forts-en-thème, Sur ce banc d'avocats chimiste frais-ouvert. Cuistre autrement. Et plus hideux. Encore vert, Il vit d'obscénités qu'il arrange en système ; Spécial, il encourt un distinct anathème Et son nom, pour sa honte éternelle, est Paul Bert. C'est le persécuteur tortueux et cynique. Sa part prise au présent gâchis y communique Un goût de poison lent et des airs d'échafauds. « Sat prata biberunt. » Sonnet, rends à ses bêtes L'équarrisseur en us promis aux temps nouveaux, Tueur des chiens, qui va passer coupeur de têtes. 1881 **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p218 *date_1896 XXXI NÉBULEUSES Papa Grévy, l'affreux Ferry persécuteur, Constans proverbial et Cazot légendaire Même dans ce milieu de conte de Voltaire Pour la sottise crasse et la plate laideur ; Ces Chambres, bosse double au dos d'un dromadaire, Idoines au régime, ineptie, impudeur ; Ces maires, ces préfets, leur argot, leur odeur, Et Farre, à lui seul tout l'opprobre militaire ; Et la file des purs, des barbes, des aïeux, Juillet, Février, Juin, et « ceux » du Deux-Décembre Bonnes jambes, jamais lasses dans l'antichambre ; Et les jeunes encor plus bêtes que les vieux, Communards sans Hébert, Girons sans Charlotte, — Le tout, un vol de sous dans un bruit de parlotte ! 1881 **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p219 *date_1896 XXXII ÉCRIT PENDANT LE SIÈGE DE PARIS décembre 1870 Loyal poignet d'acier, bon vieux héros choisi De par le bon vieux Dieu barbu des vieilles Bibles Pour être le plus pur entre les plus terribles, Goetz de Berlichingen, que dis-tu de ceux-ci ? Dorothée, Ottili ? ô vous, vierges, quasi Des anges, qui, parmi vos rêves si paisibles, Tout au plus évoquiez des amis « impossibles », A force de vertus qu'en dites-vous aussi ? Et vous, les jeunes gens, fières Maisons-moussues, Contempleurs des docteurs et des choses reçues, Terreur des Philistins abjects, splendides fous ; Sur Paris, sur Paris ! ce ne sont pas des mythes, L'Allemagne, il paraît, lance, qu'en dites-vous ? Tranquillement des culs horribles de marmites. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p220 *date_1896 XXXIII OPPORTUNISTES (1874) « Assez des Gambettards ! Otez-moi cet objet, Dit le père Duchêne, un jour qu'il enrageait. Tout plutôt qu'eux ! Ce sont les bougres de naissance. Bourgeois vessards ! Ça dut tenir des lieux d'aisance Dans ces mondes antérieurs dont je me fous ! J'en-foutres, qui, tandis qu'on La confessait sous Les balles, cherchaient des alibis dans la foire ! Ah ! tous ! Badingue Quatre, Orléans et sa poire (Pour la soif), la béquille à Chambord, Attila ! Mais, mais, mais ! pas de ces La-Réveillères-là. » **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p221 *date_1896 XXXIV UN PEU DE POLITIQUE Tribune des Cinq-Cents, attributs indécents, Tremplin mesquin pour tous plongeons dans les non-sens, Dans ces mensonges, dans telles logomachies, Et, chose pire, dans les plus pires des orgies De gaspillages d'honneur civique et d'argent ! Tribune où Bonaparte, en homme intelligent Vraiment, ne monta qu'un instant pour donner l'ordre De la jeter bas, dût mons Arena le mordre D'un poignard de théâtre et d'un « Tyran ! » appris ; Tribune remplacée au-delà de son prix, Bien au-delà de son prix, ce leurre, par celle Des rois revenus, qu'on peut nommer la Pucelle De parlementarisme honnête, celui-là (Non celui-ci !) et puis, comme tout s'écroule De fier encor dans ce pays qu'un chacun pipe, Tribune encore de l'affreux Louis-Philippe, Et de Prud'homme et de Hobert Macaire et de Tous les pieds plats et d'aussi tous les cœurs bas que La honte attire et que l'opprobre rassasie ! Quarante-Huit te mit au rancart, trop moisie Que t'étais pour ses paradoxes innocents, Tribune des Cinq-Cents, attributs indécents, Et l'Empire second pour malpropre te tint... Mais vint le Prussien... Ton prestige est reteint, Ton bas-relief d'ailleurs sans talent d'autre guise Que d'étaler des seins qui ne sont plus de mise Et qu'un artiste un peu noble « ne saurait voir » Sans un chagrin profond et sans un ennui noir, Ton bas-relief, à neuf gratté, t'encor décore, Tremplin mesquin pour tout plongeur dans tout non-sens, Symbole de ceux-ci, jacobins indécents. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p222 *date_1896 XXXV UN PEU DE BATIMENT Dans ce Paris si laid moderne, il est encore Ou plutôt il était, car tout se déshonore, Il était quelques coins pittoresques, ô non ! Mais drôles d'horreur fade et de terreur sans nom Aucun. Je veux parler de feu les terrains vagues, Saint-Ouen, Montrouge, d'autres peut-être où les vagues De foule bête n'avaient osé déferler. Eugène Sue And Co surent en bien parler, Henri Monnier aussi, mais de façon badine ; Lui... mais, quoi, nous voyons, de nos jours, que lutine La fièvre de bâtir pour voler en surplus, Là s'élever, en plâtre, à sept étages, plus Peut-être, des maisons de rapport, parodie De celle du Paris intérieur, mais tout aussi Laides et d'un aspect vil aussi réussi. Ça fleure de malsain, ça prédit la misère : Termes dus, fièvre typhoïde, ça vous serre, Le cœur d'une pitié qui serait du mépris... Cependant, dès que c'est dressé, les maçons pris De vin chantent la Marseillaise, air neuf encore, Et plantent là-dessus le drapeau tricolore. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p223 *date_1896 XXXVI « PUERO DEBETUR REVERENTIA » « Moi si j'avais vingt fils, ils auraient vingt cheraux ! » Moi, si j'avais vingt fils, ils auraient vingt chevaux Et fuiraient au galop le Pédant et l'École, Infâmes pour lesquels cette gueuse raccole En ce pays conquis tous les petits cerveaux. La Truande ! qui veut pour ses sales travaux, Blasphème, puis péché, séduire, comme on vole, L'enfant, le mien, le vôtre, ô la sinistre folle ! L'enfant, tout votre orgueil et tout ce que je vaux ! Et si j'avais cent fils, ils auraient cent chevaux Pour vile déserter le Sergent et l'Armée Que ces brigands nous ont créée, et ces drapeaux Les faquins ! qui mettraient la France, notre aimée, Aux mains du plus offrant, après en avoir fait La chose impure, faible et sale que l'on sait. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p224 *date_1896 XXXVII SOUVENIRS DE PRISON (Mars 1874.) Depuis un an et plus je n'ai pas vu la queue D'un journal. Est-ce assez Bibliothèque bleue ? Parfois je me dis à part moi : « L'eusses-tu cru ?... » Eh bien, l'on n'en meurt pas. D'abord c'est un peu cru, Un peu bien blanc, et l'œil habitueux s'en fâche. Mais l'esprit ! comme il rit et triomphe, le lâche ! Et puis, c'est un plaisir patriotique et sain De ne plus rien savoir de ce siècle assassin Et de ne suivre plus dans sa dernière transe Cette agonie épouvantable de la France. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p225 *date_1896 XXXVIII SOUVENIRS DE PRISON. (1874) Les passages Choiseul aux odeurs de jadis Où sont-ils ? En hiver de ce Soixante-Dix On s'amusait. J'étais républicain, Leconte De Lisle aussi, ce cher Lemerre étant archonte De droit, et l'on faisait chacun son acte en vers. Jours enfuis ! Quels Autans soufflèrent à travers La montagne ! Le Maître est décoré comme une Châsse, et n'a pas encor digéré la commune. Tous sont toqués, et moi qui chantais aux temps chauds, Je danse sur la paille humide des cachots. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p226 *date_1896 XXXIX ACTUALITÉ Je trouverais très ridicules Au lieu d'affreux que je le fais Cette cause et tous ses effets Qui démonteraient cent Hercules, S'il n'était encor la Patrie, — Non ce « pays » qu'il faut haïr Ni son bon « droit » qu'il faut trahir — Mais cette aveuglément chérie Patrie à qui tous sacrifices Extravagants, exorbitants, Sacrés, saints, sont dus en tous temps, En tous lieux, malgré tant de vues ! Et j'implore, en ma joie amère De voir s'abîmer ce pays Dans ces opprobres inouïs, La France, l'éternelle mère ! **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p227 *date_1896 XL A PROPOS D'UN PROCÈS INTENTÉ A UN ARCHEVÊQUE FRANÇAIS Je n'aime pas énormément Le Clergé que le Concordat Nous procure présentement, Et je voudrais qu'on émondât Quelque peu, quand même un Soldat S'en mêlerait brusque et charmant Au fond, remplissant ce mandat : Tout pour le bien, — et persistât, Qu on émondât quelque peu, dis-je, — Par quel détour ou quel prodige Je n'en sais rien, mais je m'entête — L'Église française — et les autres, Mais, aussi, que tels bons apôtres, Bonne R F, fussent de la fête. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p228 *date_1896 XLI POUR DÉNONCER LA « TRIPL1CE » AU LIEU DU CONCORDAT L'Italie ? Elle est dans le train Extraordinaire qui s'emporte Même au-delà des flots du Rhin, Même en-deçà de notre Porte ! L'Autriche, elle est bien bonne là, Non sans son « laurier sur son shak' O, la Prusse qu'on consola Par telles cessions dont chaque Est si terrible qu'il ne faut Aucunement espérer trêve Ni paix sans reprendre de haut ! Verdun, Toul, Metz, hélas ! et Trêve⁎ ⁎ ⁎ Et quant à ce... gouvernement Qui prétend garder l'équilibre En l'occurrence, ou bien il ment Ou bien la France n'est pas libre ! **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p229 *date_1896 XLII ODE A GUILLAUME II Guillaume Deux, empereur d'Allemagne   Comme César, Dans ce « Gastibelza » dont la montagne   A fait un « Sar » ; Guillaume Deux, l'homme à l'oreille mâle,   Au bras long mal, Et qui parfois, — faveur impériale !   Agit pas mal, Napoléon éventif, mais honnête   Mecklembourgeois Je t'aime quand même, et même c'est bête,   Mais pas bourgeois ! Parce que t'es un homme avec un sabre   (Et bien disant Des choses non dites par tel quel glabre)   Si bien luisant. Je t'aime comme on aime une ennemie   Que l'on aurait, Parce que, Sire, au fond, vous n'avez mie   Quelque secret, Parce que vous êtes un honnête homme   Bien que Prussien, Par ce que vous êtes un fou tout comme   Moi, ce Messin! **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p230 *date_1896 XLIII RASTAS « S'ennu Ver » pris pour s'ennuyer, dans ce vers de V.H. (Chansons des Rues et des Bois), par M. Jean Moréas, à cause de son romanisme, lors latent. S'adresser, pour plus mûrs renseignements, à M. Raymond de la Tailhède. Garibaldi m'ennuie   Comme la pluie. Mais Machin ! m'ennu Va,   — Tel Moréa. Guillaume Deux m'assomme,   Tels deux Guillaume, A force d'être chic   Comme mastic. Il a trop d'uniformes !...   Eux, les Romans Ils mettent trop de formes   Et de romans A devenir plus bêtes   Même qu'leur pied Et beaucoup moins honnêtes   Que mêm' trop sied, Littérair'ment, veux dire...    — Ou autrement S'il leur plaît, — car le pire   P'tit garnement De leur Bande ou Z'École   M'empêcherait De tendre une bricole   Dans leur forêt, Pourquoi, d'ailleurs, pour r'prendre   Avec le doigt Quéqu'chôs', dans leur provendRe   Que l'on me doit ? Et je reste le Maître...   Or, de moi-mêm' Et s'il faut me l' permettre,   Je leur dis : « M. » **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p231 *date_1896 XLIV CONTRE LES PARISIENNES Il faut enfin parler de la Parisienne  Mieux que banalement Et lui dire sans fiel que dans la chose sienne  Tout n'est pas qu'agrément. Elle-même se dit point belle mais jolie  Et par « jolie » elle, elle entend Quelque chose de laid platement que pallie  Un port de tête exorbitant Et qu'émaillent des mots ressassés qu'elle vole  Aux journaux finis d'achever, Avec, en sus, un tortillement trop frivole  Des hanches pour faire... rêver. La chlorose est son lot et ses cuisantes suites  Et la tuberculose aussi, Aussi la fausse couche et ses péritonites,  Aussi tous maux dans ces tons-ci... Elle qui se prétend reine de l'élégance,  C'est d'Angleterre, deux ou trois Ans après, qu'elle tire — et vêt d'extravagance  Les modes, son goût et son choix. Mais assez. Résumer sera faire œuvre pie.  Total : C'est fade et polisson Et c'est bavard et c'est voleur comme une pie  Et c'est putain comme chausson. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p232 *date_1896 XLV SUR LA MANIE QU'ONT LES FEMMES ACTUELLES DE RELEVER LEURS ROBES « Quand tu vas, balayant l'air de ta jupe large »   Baudelaire disait Dans des comparaisons superbes en surcharge   Ainsi qu'il en faisait... On peut dire aujourd'hui ce que disait le Père,   Tout à fait à rebours, Car les femmes ont adopté quelle manière,   Dieux ! d'orner leurs entours, Les entours de leur corps infernal et céleste   — J'entends leur vêtement — D'une main à baiser, oui ! mais de quel sot geste   De vain retroussement ! Car l'ampleur de la robe et son envol et tout le   Reste, grâces au vent, Font penser l'homme, non intime, mais en foule,   A ce qu'il a devant... Tandis que cette sorte absolument hideuse   De montrer des mollets Insuffisants parfois serait la source affreuse   De bien de vœux laids ! Vous accentuez trop, Mesdames, vos « tournures »,   Et j'en reste effrayé, Car elles sont, hélas ! d'amples caricatures   De ce dont on s'assié... Ou plutôt continuez, mais plus d'un infâme   Retroussement moqueur. Retroussez, retroussez, retroussez jusqu'à l'âme,   Retroussez jusqu'au cœur. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p233 *date_1896 XLVI PETTY LARCENIES  Canaille subalterne,  Sergots, cochers, logeurs,  Plate race à l'œil terne, Chiens couchants et mauvais coucheurs,  Je vous aime et j'estime  Votre petit trafic,  Qui, n'osant pas le crime, Ment et vole, depuis le flic  Jusqu'au collignon rouge  De veste et de gilet,  Jusqu'au teneur de bouge Et de sommeil qu'un rien troublait.  T'en souvient-il. Moi-même,  De tous leurs humbles trucs,  Quand la richesse extrême N'avait pas pompé tous tes sucs !...  Le flic aimait la pièce,  Aussi le collignon.  L'hostelier, gente espèce, A son tour ne disait pas non...  Puis, pour être à la coule  De ce'siècle crevant,  Chacun de cette foule Donnait gentiment de l'avant.  Et, les yeux en extase  Vers la Haute, ces bons  Garçons — le fond du vase — A leur tour devenaient fripons,  Et de fripons fripouilles,  Si que, selon les gens,  « C'est la fin des grenouilles... » Grands dieux, soyez-nous indulgents ! **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p234 *date_1896 XLVII COGNES ET FLICS Autrefois j'aimais les gendarmes. Drôle de goût, me direz-vous... Enfin je leur trouvais des charmes Non certes au-dessus de tout, Mats je les gobais tout de même, Comme on prise de bons enfants. Élite de l'armée et crème Et fleur, ils m'étaient triomphants Leurs baudriers et leurs bicornes, Si bien célébrés par Nadaud, D'une sécurité sans bornes Flattaient mon âme de badaud. Puis, ils lampent le petit verre Avant comme après le repas D'un geste plus ou moins sévère Et je ne le détestais pas. Je trinquais avec des brigades, Et nous buvions à nos amours. Comme il sied avec des troubades, C'était moi qui payais toujours... Depuis je constate avec peine Qu'ils sont des rosses vous dressant Procès-verbal à perdre haleine, Quand ils jugent le cas pressant. La douille manque à la caserne. Or voici, grâce à tels délits, Qu'ils fabriquent d'un style terne, Les budgets qu'il faut, rétablis. A moi, les chouias, les macaches ! Désormais je me voue au chant National de « Mort aux vaches ! » Fussé-je pris pour un méchant... Comme aussi les sergents de ville : J'avais un estime pour eux ! Protecteurs de la paix civile, De l'ordre gardiens valeureux, Rempart du Bien, terreur du Crime, Ils me semblaient, naïveté ! Une apparition sublime D'anges veillant sur la cité... Hélas ! c'est encor : « Mort aux vaches ! » Qu'il faut crier quand on les voit. Massacreurs féroces et lâches, Mouchards, non point maquereaux, soit Mais tout comme, ivrognes qu'indure Plus d'un rogomme monstrueux... Et le héros se dénature En un drôle imperpétueux. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p235 *date_1896 XLVIII DÉCEPTION « Satan de sort, Diable d'argent ! »   Parut le Diable Qui me dit : L'homme intelligent  Et raisonnable Que te voici, que me veux-tu ?  Car tu m'invoques Et je crois, l'homme tout vertu,  Que tu m'évoques. Or je me mets, suis-je gentil ?  A ton service : Dis ton vœu naïf ou subtil ;  Bêtise ou vice ? Que dois-je pour faire plaisir  A ta sagesse ? L'impuissance ou bien le désir  Croissant sans cesse ? L'indifférence ou bien l'abus ?  Parle, que puis-je ? » Je répondis : « Tous vins sont bus,  Plus de prestige, La femme trompe et l'homme aussi,  Je suis malade, Je veux mourir. » Le Diable : « Si  C'est là l'aubade Que tu m'offres, je rentre. En Bas.  Tuer m'offusque. Bon pour ton Dieu. Je ne suis pas  A ce point brusque. » Diable d'argent et pas la mort !  Partit le Diable. Me laissant en proie à ce sort  Irrémédiable. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p236 *date_1896 XLIX GRIEFS On me dit vieux, qui ça ? Les jeunes d'aujourd'hui ! Homère est vieux aussi, je réclame de lui, Non dans des termes équivoques ni baroques, Mon esprit qui n'a pas besoin de leurs breloques Pour tinter et briller au vrai soleil d'été. Cinquante ans, non sonnés, n'ont pas trop hébété, Que je sache, l'esprit dont Dieu fit mon partage. On me dit vieux, qui ça ? Les amants de cet âge. Ci, mannequins transis, de Gomorrhe venus. Or je suis tout plein vert, j'en atteste Vénus Et les dames. On me dit vieux, qui ça ? Ce maître Es-Anarchie ( un mot suranné), petit traître A la patrie en deuil, au pauvre qu'il voudrait Faire méchant au lieu des soins qu'il lui faudrait, Conseils doux, Dieu montré, pain, vin, la main tendue Et la bonne mort patiemment attendue Comme la délivrance en une vie enfin Heureuse ! On me dit vieux, qui ça ? Cet aigrefin Imberbe, mais pêcheur émérite en eau trouble, Qui me plaint de mon indigence triple et double, Unique ! sans songer un instant, le pauvret, Que je suis riche, étant honnête. Apre secret, Recette pas drôle, être riche puisque honnête ! On me dit vieux encore. Encore qui de bête ? Ah oui, parfois moi-même, alors surtout que j'ai Mal agi, mal parlé, garrulé comme un geai, Trottiné, comme un âne à travers telle et telle Préoccupation, sordeur ou bagatelle. Mais j'ai tôt reverdi d'entre ces détritus Et je me bande en presque enfantines vertus, En efforts bien adolescents, en très viriles Actions contre mes propres propos futiles ! Je demande pardon pour leur peu haute voix Et le ton vif, — mais on n'est jeune qu'une fois. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p237 *date_1896 L ON DIT QUE JE SUIS UN GAGA On dit que je suis un gaga. C'est Moréas qui m'envoi' ça. Doncques suis un gaga « n'hélas ! » C'est ce que m'envoi' Moréas. Moi qui suis un charmant garçon, J' dis à personn' qu'il est quel... Et si j'avais l'verbe superbe (Et l'assonance !) je dirais... **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p238 *date_1896 LI A RAOUL PONCHON (conseils dans sa manière) Ponchon, vous n'êtes pas raisonnable non plus,   Écoutez ma semonce : Eh quoi ! vous vous rangez dans les gens dissolus   Dont rougirait Alphonse, Qui font la honte, ayant de l'esprit à gogo,   De toute notre époque. Notre époque n'est plus celle du Père Hugo,   — Encore un bon loufoque ! Ni même celle de Voltaire (Arouet), ni   Celle du grand Monarque, Et vous voici parmi le nombre indéfini   Des criminels de marque. Quinze jours de prison pour outrages à la   Sainte Magistrature... Mais je me trompe... à la morale, et me voilà   Tout prêt à la rature. Car je ne suis pas, moi, comme vous, bon Raoul,   De l'opposante race, Et que me fait d'ailleurs que tel juge maboul   Soit un doux pédérasse. Tous les chasseurs à pied, tous les garçons baigneurs,   Tous les télégraphistes Peuvent bien défiler devant ses yeux sans mœurs   Et l'avoir sur leurs listes, Je m'en fous, et je suis un trop bon citoyen   Pour crier comme on beugle... Règle : vois si l'on veut, si l'on peut, c'est très bien,.   Mais être d'un aveugle ! ! Et libre à tout un tribunal, s'il décida,   Pour que rien ne se perde, En place de biftecks, au lieu de tel rata,   De manger de la m⁎⁎⁎. Qu'il mange de la m⁎⁎⁎ ou non, dites un peu   Si cela vous regarde ! Allons, faites vos quinze jours, et nom de Dieu !   Dieu vous ait en sa garde. 16 novembre 1891. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p239 *date_1896 LII A MARCEL SCHWOB Schwob, « la Terreur future », elle existe, très cher, Plus que dans votre livre excessive et superbe, Tuant l'humanité comme on fauche de l'herbe, Par la misère et par la flamme et par le fer. Guerre, machinerie, exploitation du Pauvre haineux par le riche âpre, assauts d'astuces, Anarchistes français et nihilistes russes, Rendu pour un prêté, prêté pour un rendu, La science pouvant à peine se suffire Pour la destruction nécessaire, on dirait, Et jusqu'à l'Alchimie exhumant son secret. Ah oui, notre Terreur future elle est plus pire Que la vôtre stoppant du moins devant l'Enfant. Mais ceux-ci ! Voyez donc s'ils y vont de l'avant. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p240 *date_1896 LIII A ERNEST DELAHAYE Ernest, en un sonnet dont peut-être sa mémoire Je glorifiais Dieu jadis de nous avoir Tout fait voir rose dans ce monde où tout est noir Et créés gais tous deux pour sa plus grande gloire. Or aujourd'hui, quand l'heure de rire raréfie Ses chances et qu'un gris ennui s'en est suivi, Voici, délicieusement inassouvi, Un combat s'engager dont ma rate est ravie, Un combat de géants du Grotesque déjà Proverbiaux parmi les meilleurs de nos pitres, Et le bon sang dans mes veines coule par litres, (Dans les tiennes aussi, gageons ! se dégorgea.) Moréas contre Ghil, le Turc et la Belgique, Pense ! Et quel beau cas batracomyomachique. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p241 *date_1896 LIV A FÉLICIEN CHAMPSAUR Champsaur, n'êtes-vous pas, dites, de mon avis, Et ne trouvez-vous pas ce monde bien immonde, Je crois qu'oui, n'en voulant pour preuve sans seconde Que le poivre et le sel où vous tenez confits, Pour nos esprits charmés à qui c'est tous profits, Vos vers d'âpre ironie et l'amère faconde De cette prose où sous l'allure franche et ronde Si souvent un sarcasme exquis nous a ravis. Et vous avez raison, poète que vous êtes ! Marinons nos chagrins et saurons nos dégoûts Et servons-les bien froids ; c'est rendre coup pour coups A l'étrange société qui de nos têtes Voulut faire son jeu de massacre et son but... — Petit bonhomme vit encore et lui dit : Zut ! **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p242 *date_1896 LV A CATULLE MENDÈS (Banquet du 16 janvier 1895) Vous avez magnifiquement vengé la Muse D'un blasphème trop bête en son impiété : « Baudelaire, grand cœur douloureux », a dicté Votre vers châtiant tel pédant qui s'amuse. « Notre cher Baudelaire ! » ah, qu'il fut bien jeté Ce cri de notre cœur à la face camuse, D'une ignorance qui s'en croit, mais qui s'abuse, Et d'un muflisme aggravément prémédité. Oui, faisons respecter de la foule et du cuistre Nos aînés au tombeau qu'insulte un cri sinistre Corbeaux au lourd vol noir, belettes au corps tors. Et consolons d'un beau courroux qui berce et flatte D'un bruit encor de gloire en cette fosse ingrate Qui ne sais plus leur nom, les morts, les pauvres morts. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p243 *date_1896 LVI A F.-A. CAZALS Ils avaient escompté ma mort, Qui n'arrivait pas assez vite, Pour quel vil et quel sale effort Avaient-ils escompté ma mort ? Ils voulaient te salir, toi, fort De mon amitié, point en fuite. Ils avaient escompté ma mort Qui n'arrivait pas assez vite. Même elle a fait faux bond, ma mort, A tel type et telle drôlesse Près de mon lit, rués au bord, Elle a fait quel faux bond, ma mort. J'allais de tribord à bâbord, Mais je vis, c'est le point qui blesse. Même elle a fait faux bond, ma mort, A tel type et telle drôlesse. Mon Cazals, tu sais qu'en dépit De tout je t'aime mieux qu'un frère Cette amitié-là, sans répit, Ni trêve, en crédit ou débit, Elle est au cœur qui la fourbit, S'il le faut, en arme de guerre, Mon Cazals, tu sais qu'en dépit De tout je t'aime mieux qu'un frère. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p244 *date_1896 LVII CHANSON POUR BOIRE Je suis un sale ivrogne, dam ! Et j'ai donc reçu d'Amsterdam Un panier ou deux de Schiedam. Mais seulement le péager, Qu'il me faut pourtant ménager, A moins que de le négliger M'interdit — il a bien raison ! — D'introduire dans ma maison Ce trop pardonnable poison. Je vole à la gare du Nord, Mais j'y pense : or voici que l'ord- E misère est là qui me mord... Hélas ! comment faire, Vanier ? Je n'ai plus l'ombre d'un denier Pour vous offrir un verre ou deux de ce panier. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p245 *date_1896 LVIII AUTRE CHANSON POUR BOIRE Je triomphe et j'ai ce Schiedam, (Qui ne me vient point d'Amsterdam,   Mais de la Haye), Et j'en ai bu beaucoup, beaucoup, Trop peut-être et j'ai vu le loup   Sauter la haie. Là haie, hélas ! de ma raison Sauter et fuir à l'horizon,   Tel un cortège, A lui tout seul, ce loup, de loups Et jadis : il me serait doux,   Puisque m'assiège  Le remords — car c'est du remords,  Et le remords c'est des rats morts    Dont l'odeur pue,  De n'avoir encor partagé  Ce Schiedam ô si fort que j'ai !  Avec tel dont la note est due, — De partager (un peu) ce fier Schiedam que j'ai. 18 avril 1893. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p246 *date_1896 LIX CHANSON A MANGER Nos repas furent sommaires, Cette semaine : enfoncés Les Marguerys et les Maires Aux menus par trop foncés. Fi de la sole normande, Fi de l'entrecôte au jus, Puisque tous ces jours-ci j'eus La satisfaction grande D'être un végétarien A l'instar de ce poète Bouchor, ou de cet esthète Sarcey, critique ancien. Nous mangeâmes de la soupe Où lentilles et poireaux Mêlaient leurs parfums farauds A celui du pain qu'on coupe. L'eau coulait dans le cristal Plus pure que loi, plus claire, Meilleure que vin ou bière, Boire idéal et fatal ! C'est dommage que le ventre Soit un ventre préférant Encore un bon restaurant A Polyphème, ton antre ! **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p247 *date_1896 LX A MON AMIE EUGÉNIE pour sa fête Contrariante comme on l'est peu, nom de Dieu ! Tu n'en fais qu'à ta tête — et moi rien qu'à la mienne Non plus — et je suis tel que je suis, quelque peu Que je sois, et j'y reste en dépit de la tienne De tête, et, nom de Dieu ! j'adorerais ce jeu, S'il ne me tuait pas en manière de tienne Plaisanterie et de ta part et de la mienne, Je dis un peu ce qu'il faut dire, nom de Dieu. Je ne suis pas ni comme il faut, ni de génie, Mais je me souviens qu'on te prénomme Eugénie, Et je me rappelle aussi que c'est aujourd'hui Ta fête, et qu'il faut encore que je la souhaite, En dépit de nos torts de femme et de poète, Et je t'envoie, ô, ce sonnet fait aujourd'hui. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p248 *date_1896 LXI UNE FOLLE ENTRE DANS MA VIE Une folle entre dans ma vie Et je n'en suis pas étonné (A qui voulez-vous qu'on se fie, Une folle entre, — quelle envie ! Et pourtant j'avais ordonné Patience et philosophie A qui j'étais subordonné Moyennant sa photographie. Termes affreux ! Rimes ? Comment ? Mais n'est-il pas vraiment charmant D'être à travers ce caractère, Ce caractère qu'il faudrait Renfoncer si l'on le voudrait... Mais cette folle est mon affaire. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p249 *date_1896 LXII CONTRE UNE FAUSSE AMIE Les beaux sentiments, Tout comme une armée, Rappliquent fumants Poudre avec fumée, Rappliquent sans rien Qui rappelle l'ordre, Répliquent sans bien Savoir où que mordre ! Mais, sachant de qui Provient le désastre. Poniatowsky Mal noyé ; nul astre, (Nulle étoile) ils ont Repris la montagne Et même le Mont... Aussi, — la campagne !⁎ ⁎ ⁎ Or tu m'as menti Comme une poupée : Elle a ressenti, Mon âme trompée ! Et j'ai rappliqué, Telle notre Armée Et notre Clergé, Vers-la-mieux-Aimée ! **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p250 *date_1896 LXII POUR Mlle E... M... « Plus pire encore que nature », Comme zézaie en son langage, Cet ange hors d'âge et d'usage, Elle est si toc qu'elle en est pure Elle est méchante, c'est la gale, Et vraiment pour t'avoir « gobé », Il m'a fallu quelle fringale, Mademoiselle Machabée, Quelle fringale, trop frugale, Qui rappellerait le vampire — De qui l'affre à rien ne s'égale Qu'il parait que fut l'homme pire Dont Saint-Ouen, ville destinée, Frémit encor, mal étonnée ! **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p251 *date_1896 LXIV A MA BIEN-AIMËE Je connais tout, même moi-même. Je ne sais rien, même de toi. Je suis l'inconscient, et j'aime Je ne sais qui, jusques à moi ! Mais je n'ignore pas quiconque, Et ce quiconque là, j'y suis Pour lui parler si, dans la conque De son oreille, ce pertuis ! Il désire que je lui glisse Telle parole ou bien un mot Et s'il voulait qu'on lui foutisse Un compliment de matelot. Je suis de ce siècle et de toutes Les décadences, et je suis Ce pèlerin qui, par les routes, Et me congèle et me recuis. Et sans peur ni de la mort verte Ni de la vie en rose, j'ai Pour réponse à tel propos gai Ou triste ou riendutoutiste : M... **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p252 *date_1896 LXV A LA SEULE Tu n'es guère qu'une coquine, Qu'un abominable vaurien Du sexe ennemi, mais combien Je l'aime, tu le sais, gredine Exquise qui me fis quel bien Et me fais que de mal ! J'opine Pour ta mort... ou la mienne, ou bien Pour les deux en même temps,.. Ni ne Dis mot, ni surtout ne te tais ! Je bafouille en songes épais (Ainsi que parlait Sainte-Beuve), Quand tu n'es pas là ; je n'y suis Pas non plus, et ce que je cuis Dans mon jus ! Reviens, ô ma Veuve ! **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p253 *date_1896 LXVI A L'ANCIENNE Mais puisque l'hyène ancienne Revient pour relécher le sang Des blessés, eux, tombés au rang D'honneur pourtant, puisque la haine, La haine ! elle est à qui la veut ! C'est le diable au sens catholique, La sottise au sens symbolique, Puisque la haine, alors, ne peut, Ne veut plus abdiquer ni feindre, Puisque le drapeau relevé Sous tant d'horreurs est rebravé, Ce n'est donc plus nous qu'il faut plaindre, C'est l'infamie et l'Être faux, La femme ou l'homme qui l'assume, La femme et l'homme, époux posthume D'un serment mort, et par les vaux Et par les monts et par les ondes Et les naufrages d'au-delà, Honte et pitié sur l'homme et la Femme de ces retours immondes. Et que suive en attendant mieux Ou pire, car qui sait les choses Par ces temps brusques et moroses ? Ces vœux de moi, ces miens adieux ! Juillet 1895. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p254 *date_1896 LXVII POUR E... Tu me fais un peu mal à la tête. O jalouse ainsi que le soupçon, Je ne suis pas toujours à la fête Alors que tu me fais la leçon O doctoresse en droit féminin, Épargne un peu ce moi, ta conquête, Et fais-lui le don félin, canin, De ta compétence qui me guette, Ta compétence en le droit charmant Qu'ont les femmes, hélas ! sur nos âmes D'hommes et même sur nos vraiment Faibles corps d'hommes, ô vous, les femmes... O toi, ma femme, ô toi, laisse-moi T'aimer beaucoup sans surtout trop croire Que je ne t'aime que pour la gloire. Non, je t'aime encore pour l'émoi, Pour ce cher émoi de notre chair Commune comme un bien qu'on partage, Alors que nous sommes au lit cher A noire chair laissée en otage De notre cœur ô que mutuel, De notre ame ô combien réciproque, De notre amour si doux, si cruel, Que je le crois seul de son époque. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p255 *date_1896 LXVIII RÊVE Je renonce à la poésie ! Je vais être riche demain. A d'autres je passe la main : Qui veut, qui veut m'être un Sosie Bel emploi, j'en prends à témoin Les bonnes heures de ballade, Où, rimaillant quelque ballade, Je passais mes nuits tard et loin. Sous la lune lucide et claire Les ponts luisaient insidieux, L'eau baignait de flots gracieux Paris gai comme un cimetière. Je renonce à tout ce bonheur Et je lègue aux jeunes ma lyre Enfants, héritez mon délire, Moi j'hérite un sac suborneur. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p256 *date_1896 LXIX RÉVEIL Je reviens à la poésie ! La richesse décidément Ne veut pas de mon dénûment, Et c'est un triste dénouement. A moi la provende choisie, L'eau claire et pure et ce pain sec Quotidien non sans, avec, Un gentil petit air de rebec ! A moi le lit problématique Aux nuits blanches, aux rêves noirs, A moi les éternels espoirs Pavanés des matins aux soirs ! A moi l'éthique et l'esthétique. Je suis le poète fameux Rimant des vers pharamineux A l'ombre d'un quinquet fumeux ! Je suis l'âme par Dieu choisie Pour charmer mes contemporains Par tels rares et fins refrains Chantés à jeun, ô cieux serins ! Je reviens à la poésie. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p257 *date_1896 LXX LA MONTRE BRISÉE Dans notre vie un peu fantasque Il n'est, je crois, rien arrivé De plus masque et tambour de basque Et mi-carême et mardi gras Que cette colère venue De quel donc prétexte vraiment ? Qui, dès grosse erreur reconnue, Nous rentrés de mauvaise humeur, Me fit, sans que rien pût là contre, D'un pied fantochement vainqueur, Écraser cette pauvre montre Que tu venais de m'acheter. Je piétinais comme un beau diable, Comme un polichinell' rageur, L'horloginette lamentable Qui tôt ne fut qu'un triste tas De cuivre et d'argent et de verre Dès lors se relevant en... « bosse », Et maintenant, à moi sévère, Après coup je compris trop tard Que j'ai mal et me lamente A propos du bijou perdu Et de l'heure à jamais absente... Mais quelque chose de dedans Moi-même me dit : « C'est carême Aujourd'hui, mais rassure-toi, — L'heure n'en va pas moins quand même. Heureuse ou non... » Baste ! aimons-nous. **** *creator_verlaine *book_verlaine_invectives *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_invectives *dist2_verlaine_verse_verse *id_p258 *date_1896 LXXI MON APOLOGIE Je suis un homme étrange, à ce que l'on me dit ; Aux yeux de quelques-uns pur et simple bandit, Pur et simple imbécile aux yeux de quelques autres ; D'autres encor m'ont mis au rang des faux apôtres, Pourquoi ? D'aucuns enfin au rang des dieux, pourquoi, Mon Dieu ? Quand je ne suis qu'un bonhomme assez coi, Somme toute, en dépit de quelque incohérence. Or j'ai souffert pas mal et joui non moins : rance Juste milieu, je t'ai toujours mal reniflé, Malgré tout mon désir de vivre mieux réglé. Mieux équilibré, comme parlerait un sage De nos jours après tout sages, selon l'usage Des jours anciens et futurs. Donc, j'ai souffert Beaucoup et surtout de mon fait, à découvert, Par exemple, et saignant ainsi que pour l'exemple, Et scandaleux comme l'ilote. Oui, mais quel ample Et bon remords me prit, par la grâce de Dieu, De mes fautes d'antan, presque juste au milieu De l'expiation de tant de jouissances ! Et, dès lors, j'ai vécu de toutes les puissances Du cœur et de l'esprit bien mûris par l'été Splendide du bonheur et de l'adversité. Voilà pourquoi je suis ce qu'on nomme cet homme Étrange, et qui ne l'est, encore qu'on le nomme Tel. Au plus un original ; encore, encor ? Car je ne pose pas dans tel ou tel décor, Que je sache, et mon geste est d'un complet nature, Triste ou gai, je concède assez vif, d'aventure, Quand il sied, assez lent par hasard, s'il le faut. Donc, ô mes amis chers, prisez pour ce qu'il vaut Mon caractère tel qu'il est : tout d'une pièce ? Non, et je ne crois pas qu'il emporte en l'espèce, Mais fort peu compliqué ; de bonne foi toujours ? Non, car je suis un homme et je ne suis pas l'ours Des solitudes, brave bête un peu farouche, Mais si franche ! — et je mens parfois, plutôt de bouche Qu'autrement, mais enfin je mens... au fond, si peu ! Et oui, j'ai mes défauts, qui n'en a devant Dieu ? J'ai mes vices aussi, parbleu ! Qui n'en a guère Ou beaucoup ? Mais à la guerre comme à la guerre Il faut me supporter ainsi, m'aimer ainsi Plutôt, car j'ai besoin qu'on m'aime. Et puis ceci : Dieu m'a béni, lui qui punit de main de maître, Terriblement, et j'ai reconquis tout mon être Dans le malheur tant mérité, tant médité, Et c'est ce qui m'a fait meilleur, en vérité, Que beaucoup d'entre ceux dont si stricte est l'enquête. Mais, Seigneur, gardez-moi de l'orgueil, toujours bête !