**** *creator_verlaine *book_verlaine_romances *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_romances *dist2_verlaine_verse_verse *id_p1 *date_1874 Ariettes oubliées I Le vent dans la plaine Suspend son haleine. C'est l'extase langoureuse, C'est la fatigue amoureuse, C'est tous les frissons des bois Parmi l'étreinte des brises, C'est, vers les ramures grises, Le chœur des petites voix. O le frêle et frais murmure ! Cela gazouille et susurre, Cela ressemble au cri doux Que l'herbe agitée expire... Tu dirais, sous l'eau qui vire, Le roulis sourd des cailloux. Cette âme qui se lamente En cette plainte dormante, C'est la nôtre, n'est-ce pas ? La mienne, dis, et la tienne, Dont s'exhale l'humble antienne Par ce tiède soir, tout bas ? II Je devine, à travers un murmure, Le contour subtil des voix anciennes Et dans les lueurs musiciennes, Amour pâle, une aurore future ! Et mon âme et mon cœur en délires Ne sont plus qu'une espèce d'œil double Où tremblote à travers un jour trouble L'ariette, hélas ! de toutes lyres ! O mourir de cette mort seulette Que s'en vont, cher amour qui t'épeures Balançant jeunes et vieilles heures ! O mourir de cette escarpolette ! III Il pleut doucement sur la ville. Il pleure dans mon cœur Comme il pleut sur la ville, Quelle est cette langueur Qui pénètre mon cœur ? O bruit doux de la pluie Par terre et sur les toits ! Pour un cœur qui s'ennuie, O le chant de la pluie ! Il pleure sans raison Dans ce cœur qui s'écœure. Quoi ! nulle trahison ? Ce deuil est sans raison. C'est bien la pire peine De ne savoir pourquoi, Sans amour et sans haine, Mon cœur a tant de peine ! IV Il faut, voyez-vous, nous pardonner les choses. De cette façon nous serons bien heureuses, Et si notre vie a des instants moroses, Du moins nous serons, n'est-ce pas ? deux pleureuses. O que nous mêlions, âmes sœurs que nous sommes, A nos vœux confus la douceur puérile De cheminer loin des femmes et des hommes, Dans le frais oubli de ce qui nous exile. Soyons deux enfants, soyons deux jeunes filles Éprises de rien et de tout étonnées, Qui s'en vont pâlir sous les chastes charmilles Sans même savoir qu'elles sont pardonnées. V Son joyeux, importun d'un clavecin sonore. (Pétrus Borel.) Le piano que baise une main frêle Luit dans le soir rose et gris vaguement, Tandis qu'avec un très léger bruit d'aile Un air bien vieux, bien faible et bien charmant, Rôde discret, épeuré quasiment, Par le boudoir longtemps parfumé d'Elle. Qu'est-ce que c'est que ce berceau soudain Qui lentement dorlote mon pauvre être ? Que voudrais-tu de moi, doux chant badin ? Qu'as-tu voulu, fin refrain incertain Qui va tantôt mourir vers la fenêtre Ouverte un peu sur le petit jardin ? VI C'est le chien de Jean de Nivelle Qui mord sous l'œil même du guet Le chat de la mère Michel ; François-les-bas-bleus s'en égaie. La lune à l'écrivain public Dispense sa lumière obscure Où Médor avec Angélique Verdissent sur le pauvre mur. Et voici venir La Ramée Sacrant en bon soldat du Roi. Sous son habit blanc mal famé Son cœur ne se tient pas de joie ! Car la boulangère... — Elle ? — Oui dame ! Bernant Lustucru, son vieil homme, A tantôt couronné sa flamme... Enfants, Dominus vobiscum ! Place ! en sa longue robe bleue Toute en satin qui fait frou-frou, C'est une impure, palsembleu ! Dans sa chaise qu'il faut qu'on loue, Fût-on philosophe ou grigou, Car tant d'or s'y relève en bosse, Que ce luxe insolent bafoue Tout le papier de monsieur Loss ! Arrière, robin crotté ! place, Petit courtaud, petit abbé, Petit poète jamais las De la rime non attrapée ! Voici que la nuit vraie arrive... Cependant jamais fatigué D'être inattentif et naïf ? François-les-bas-bleus s'en égaie. VII O triste, triste était mon âme A cause, à cause d'une femme. Je ne me suis pas consolé Bien que mon cœur s'en soit allé, Bien que mon cœur, bien que mon âme Eussent fui loin de cette femme. Je ne me suis pas consolé Bien que mon cœur s'en soit allé. Et mon cœur, mon cœur trop sensible Dit à mon âme : Est-il possible, Est-il possible, — le fût-il, — Ce fier exil, ce triste exil ? Mon âme dit à mon cœur : Sais-je Moi-même, que nous veut ce piège D'être présents bien qu'exilés, Encore que loin en allés ? VIII Dans l'interminable Ennui de la plaine, La neige incertaine Luit comme du sable. Le ciel est de cuivre Sans lueur aucune, On croirait voir vivre Et mourir la lune. Comme des nuées Flottent gris les chênes Des forêts prochaines Parmi les buées. Le ciel est de cuivre Sans lueur aucune. On croirait voir vivre Et mourir la lune. Corneille poussive Et vous les loups maigres, Par ces bises aigres Quoi donc vous arrive ? Dans l'interminable Ennui de la plaine, La neige incertaine Luit comme du sable. IX Le rossignol, qui du haut d'une branche se regarde dedans, croit être tombé dans la rivière. Il est au sommet d'un chêne et toutefois il a peur de se noyer. L'ombre des arbres dans la rivière embrumée    Meurt comme de la fumée, Tandis qu'en l'air, parmi les ramures réelles,    Se plaignent les tourterelles. Combien, ô voyageur, ce paysage blême    Te mira blême toi-même, Et que tristes pleuraient dans les hautes feuillées    Tes espérances noyées ? **** *creator_verlaine *book_verlaine_romances *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_romances *dist2_verlaine_verse_verse *id_p10 *date_1874 PAYSAGES BELGES « Conquestes du Roy. » (Vieilles estampes.) WALCOURT Briques et tuiles, O les charmants Petits asiles Pour les amants ! Houblons et vignes, Feuilles et fleurs, Tentes insignes Des francs buveurs ! Guinguettes claires, Bières, clameurs, Servantes chères A tous fumeurs ! Gares prochaines, Gais chemins grands... Quelles aubaines, Bons juifs errants ! CHARLEROI Dans l'herbe noire Les Kobolds vont. Le vent profond Pleure, on veut croire. Quoi donc se sent ? L'avoine siffle. Un buisson gifle L'œil au passant. Plutôt des bouges Que des maisons. Quels horizons De forges rouges ! On sent donc quoi ? Des gares tonnent, Les yeux s'étonnent, Où Charleroi ? Parfums sinistres ? Qu'est-ce que c'est ? Quoi bruissait Comme des sistres ? Sites brutaux ! Oh ! votre haleine, Sueur humaine, Cris des métaux ! Dans l'herbe noire Les Kobolds vont. Le vent profond Pleure, on veut croire. BRUXELLES simples fresques I La fuite est verdâtre et rose Des collines et des rampes, Dans un demi-jour de lampes Qui vient brouiller toute chose. L'or sur les humbles abîmes, Tout doucement s'ensanglante, Des petits arbres sans cimes, Où quelque oiseau faible chante. Triste à peine tant s'effacent Ces apparences d'automne. Toutes mes langueurs rêvassent, Que berce l'air monotone. II L'allée est sans fin Sous le ciel, divin D'être pâle ainsi ! Sais-tu qu'on serait Bien sous le secret De ces arbres-ci ? Des messieurs bien mis, Sans nul doute amis Des Royers-Collards, Vont vers le château. J'estimerais beau D'être ces vieillards. Le château, tout blanc Avec, à son flanc, Le soleil couché. Les champs à l'entour... Oh ! que notre amour N'est-il là niché ! BRUXELLES chevaux de bois Par Saint-Gille, Viens-nous-en, Mon agile Alezan. (V. Hugo.) Tournez, tournez, bons chevaux de bois, Tournez cent tours, tournez mille tours, Tournez souvent et tournez toujours, Tournez, tournez au son des hautbois. Le gros soldat, la plus grosse bonne Sont sur vos dos comme dans leur chambre ; Car, en ce jour, au bois de la Cambre, Les maîtres sont tous deux en personne. Tournez, tournez, chevaux de leur cœur, Tandis qu'autour de tous vos tournois Clignote l'œil du filou sournois, Tournez au son du piston vainqueur. C'est ravissant comme ça vous soûle D'aller ainsi dans ce cirque bête ! Bien dans le ventre et mal dans la tête, Du mal en masse et du bien en foule. Tournez, tournez, sans qu'il soit besoin D'user jamais de nuls éperons, Pour commander à vos galops ronds, Tournez, tournez, sans espoir de foin. Et dépêchez, chevaux de leur âme, Déjà, voici que la nuit qui tombe Va réunir pigeon et colombe, Loin de la foire et loin de madame. Tournez, tournez ! le ciel en velours D'astres en or se vêt lentement. Voici partir l'amante et l'amant. Tournez au son joyeux des tambours. MALINES Vers les prés le vent cherche noise Aux girouettes, détail fin Du château de quelque échevin, Rouge de brique et bleu d'ardoise, Vers les prés clairs, les prés sans fin... Comme les arbres des féeries Des frênes, vagues frondaisons, Échelonnent mille horizons A ce Sahara de prairies, Trèfle, luzerne et blancs gazons, Les wagons filent en silence Parmi ces sites apaisés. Dormez, les vaches ! Reposez, Doux taureaux de la plaine immense, Sous vos cieux à peine irisés ! Le train glisse sans un murmure, Chaque wagon est un salon Où l'on cause bas et d'où l'on Aime à loisir cette nature Faite à souhait pour Fénelon. **** *creator_verlaine *book_verlaine_romances *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_romances *dist2_verlaine_verse_verse *id_p16 *date_1874 BIRDS IN THE NIGHT Vous n'avez pas eu toute patience, Cela se comprend par malheur, de reste. Vous êtes si jeune ! et l'insouciance, C'est le lot amer de l'âge céleste ! Vous n'avez pas eu toute la douceur, Cela par malheur d'ailleurs se comprend ; Vous êtes si jeune, ô ma froide sœur, Que votre cœur doit être indifférent ! Aussi me voici plein de pardons chastes, Non certes ! joyeux, mais très calme, en somme, Bien que je déplore, en ces mois néfastes, D'être, grâce à vous, le moins heureux homme.⁎ ⁎ ⁎ Et vous voyez bien que j'avais raison Quand je vous disais, dans mes moments noirs, Que vos yeux, foyer de mes vieux espoirs, Ne couvaient plus rien que la trahison. Vous juriez alors que c'était mensonge Et votre regard qui mentait lui-même Flambait comme un feu mourant qu'on prolonge, Et de votre voix vous disiez : « Je t'aime ! » Hélas ! on se prend toujours au désir Qu'on a d'être heureux malgré la saison... Mais ce fut un jour plein d'amer plaisir, Quand je m'aperçus que j'avais raison !⁎ ⁎ ⁎ Aussi bien pourquoi me mettrai-je à geindre ? Vous ne m'aimez pas, l'affaire est conclue, Et, ne voulant pas qu'on ose se plaindre, Je souffrirai d'une âme résolue. Oui, je souffrirai, car je vous aimais ! Mais je souffrirai comme un bon soldat Blessé, qui s'en va dormir à jamais, Plein d'amour pour quelque pays ingrat. Vous qui fûtes ma Belle, ma Chérie, Encor que de vous vienne ma souffrance, N'êtes-vous donc pas toujours ma Patrie, Aussi jeune, aussi folle que la France ?⁎ ⁎ ⁎ Or, je ne veux pas, — le puis-je d'abord ? Plonger dans ceci mes regards mouillés. Pourtant mon amour que vous croyez mort A peut-être enfin les yeux dessillés. Mon amour qui n'est que ressouvenance, Quoique sous vos coups il saigne et qu'il pleure Encore et qu'il doive, à ce que je pense, Souffrir longtemps jusqu'à ce qu'il en meure, Peut-être a raison de croire entrevoir En vous un remords qui n'est pas banal. Et d'entendre dire, en son désespoir, A votre mémoire : ah ! fi que c'est mal !⁎ ⁎ ⁎ Je vous vois encor. J'entr'ouvris la porte. Vous étiez au lit comme fatiguée. Mais, ô corps léger que l'amour emporte, Vous bondîtes nue, éplorée et gaie. O quels baisers, quels enlacements fous ! J'en riais moi-même à travers mes pleurs. Certes, ces instants seront entre tous Mes plus tristes, mais aussi mes meilleurs. Je ne veux revoir de votre sourire Et de vos bons yeux en cette occurrence Et de vous, enfin, qu'il faudrait maudire, Et du piège exquis, rien que l'apparence⁎ ⁎ ⁎ Je vous vois encor ! En robe d'été Blanche et jaune avec des fleurs de rideaux. Mais vous n'aviez plus l'humide gaîté Du plus délirant de tous nos tantôts, La petite épouse et la fille aînée Était reparue avec la toilette, Et c'était déjà notre destinée Qui me regardait sous votre voilette. Soyez pardonnée ! Et c'est pour cela Que je garde, hélas ! avec quelque orgueil, En mon souvenir qui vous cajola, L'éclair de côté que coulait votre œil.⁎ ⁎ ⁎ Par instants, je suis le pauvre navire Qui court démâté parmi la tempête, Et ne voyant pas Notre-Dame luire Pour l'engouffrement en priant s'apprête. Par instants, je meurs la mort du pécheur Qui se sait damné s'il n'est confessé, Et, perdant l'espoir de nul confesseur, Se tord dans l'Enfer qu'il a devancé. O mais ! par instants, j'ai l'extase rouge Du premier chrétien, sous la dent rapace, Qui rit à Jésus témoin, sans que bouge Un poil de sa chair, un nerf de sa face ! **** *creator_verlaine *book_verlaine_romances *style_verse *genre_verse *dist1_verlaine_verse_verse_romances *dist2_verlaine_verse_verse *id_p17 *date_1874 AQUARELLES GREEN Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches, Et puis voici mon cœur, qui ne bat que pour vous. Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches Et qu'à vos yeux si beaux l'humble présent soit doux. J'arrive tout couvert encore de rosée Que le vent du matin vient glacer à mon front. Souffrez que ma fatigue, à vos pieds reposée, Rêve des chers instants qui la délasseront. Sur votre jeune sein laissez rouler ma tête Toute sonore encore de vos derniers baisers ; Laissez là s'apaiser de la bonne tempête, Et que je dorme un peu puisque vous reposez. SPLEEN Les roses étaient toutes rouges, Et les lierres étaient tout noirs. Chère, pour peu que tu te bouges, Renaissent tous mes désespoirs. Le ciel était trop bleu, trop tendre, La mer trop verte et l'air trop doux. Je crains toujours, — ce qu'est d'attendre Quelque fuite atroce de vous. Du houx à la feuille vernie Et du luisant buis je suis las, Et de la campagne infinie Et de tout, fors de vous, hélas ! STREETS I   Dansons la gigue ! J'aimais surtout ses jolis yeux, Plus clairs que l'étoile des cieux, J'aimais ses yeux malicieux.   Dansons la gigue ! Elle avait des façons vraiment De désoler un pauvre amant, Que c'en était vraiment charmant !   Dansons la gigue ! Mais je trouve encor meilleur Le baiser de sa bouche en fleur, Depuis qu'elle est morte à mon cœur.   Dansons la gigue ! Je me souviens, je me souviens Des heures et des entretiens, Et c'est le meilleur de mes biens.   Dansons la gigue ! II O la rivière dans la rue ! Fantastiquement apparue Derrière un mur haut de cinq pieds, Elle roule sans un murmure Sans onde opaque et pourtant pure, Par les faubourgs pacifiés. La chaussée est très large, en sorte Que l'eau jaune comme une morte Dévale ample et sans nuls espoirs De rien refléter que la brume, Même alors que l'aurore allume Les cottages jaunes et noirs. CHILD WIFE Vous n'avez rien compris à ma simplicité,    Rien, ô ma pauvre enfant ! Et c'est avec un front éventé, dépité,    Que vous fuyez devant. Vos yeux qui ne devaient refléter que douceur,    Pauvre cher bleu miroir, Ont pris un ton de fiel, ô lamentable sœur,    Qui nous fait mal à voir. Et vous gesticulez avec vos petit-bras    Comme un héros méchant, En poussant d'aigres cris poitrinaires, hélas !    Vous qui n'étiez que chant ! Car vous avez eu peur de l'orage et du cœur    Qui grondait et sifflait, Et vous bêlâtes avec votre mère — ô douleur ! —    Comme un triste agnelet. Et vous n'avez pas su la lumière et l'honneur    D'un amour brave et fort, Joyeux dans le malheur, grave dans le bonheur,    Jeune jusqu'à la mort ! A POOR YOUNG SHEPHERD J'ai peur d'un baiser Comme d'une abeille. Je souffre et je veille Sans me reposer. J'ai peur d'un baiser ! Pourtant j'aime Kate Et ses yeux jolis. Elle est délicate, Aux longs traits pâlis. Oh ! que j'aime Kate ! C'est saint Valentin ! Je dois et je n'ose Lui dire au matin... La terrible chose Que saint Valentin ! Elle m'est promise, Fort heureusement ! Mais quelle entreprise Que d'être un amant Près d'une promise ! J'ai peur d'un baiser Comme d'une abeille. Je souffre et je veille Sans me reposer : J'ai peur d'un baiser ! BEAMS Elle voulut aller sur les flots de la mer, Et comme un vent bénin soufflait une embellie, Nous nous prêtâmes tous à sa belle folie, Et nous voilà marchant par le chemin amer. Le soleil luisait haut dans le ciel calme et lisse, Et dans ses cheveux blonds c'étaient des rayons d'or, Si bien que nous suivions son pas plus calme encor Que le déroulement des vagues, ô délice ! Des oiseaux blancs volaient alentour mollement. Et des voiles au loin s'inclinaient toutes blanches. Parfois de grands varechs filaient en longues branches, Nos pieds glissaient d'un pur et large mouvement. Elle se retourna, doucement inquiète De ne nous croire pas pleinement rassurés ; Mais nous voyant joyeux d'être ses préférés, Elle reprit sa route et portait haut sa tête.